Une partie de notre passé : Fabe (interview 1996)

Je ne subis pas parce que j’estime qu’à l’endroit où je suis, et par rapport à ce qu’il se passe pour moi en ce moment, ça va. Je suis tranquille, je fais mes affaires, je fais ma vie, je sais très bien ce que je pense et où je veux aller.

Down With This : Ton album a été enregistré un ans avant qu’il sorte, n’as-tu pas été déçu sur certains points ?
Fabe : Non. Quand je suis sorti de studio, j’étais content de mon album. J’étais content qu’il arrive. C’est sûr qu’il y a des trucs que j’aurais pu faire autrement, mais ça va m’arriver dans le deuxième, tout le temps… Au niveau des idées c’était bon, c’est ce que j’ai voulu faire passer.

DWT : Tes sentiments après toutes tes productions, ton album, ton clip, les maxis…
Fabe : Ca dépend des gens. Moi, je suis jamais satisfait a 100%. C’était mon premier clip, mon premier album, donc il y a des trucs que je trouve bien, d’autres moins bien, mais c’est personnel, ça me dégoûte pas. Je sais pas comment les gens l’ont reçu. Moi ça va, je sais que j’ai fait mon album, le deuxième sort à la rentrée, j’ai sorti des inédits, ça va.

DWT : Tu a mis ton tag en avant sur la pochette, quelles sont tes connections aujourd’hui dans le graffiti ?
Fabe : Je fais plus du tout de graff, sinon je vois toujours les gars. Le truc, c’est que quand je faisais des geutas, je disais tout le temps, quand je vais arrêter, je ferai du rap . Donc voilà, c’est une page tournée et c’est la première de l’album…

DWT : Ta vision sur la chanson française après ton passage à Taratata ?
Fabe : Toujours la même. Il y en a qui tienne le show-bizness et qui essaye de cantonner les gens dans l’image qu’ils donnent du rap. On n’essaye pas d’approfondir les personnages, on cherche pas souvent à savoir ce que tu penses, on veut que tu sois là, que tu fasses «le copain» et que tu rentres dans la famille du show-biz.

DWT : Le rap français y a t-il sa place selon toi ?
Fabe : A partir du moment où t’écris, que tu fais du rap, pour moi c’est que t’as envie de communiquer. Si jamais t’estimes qu’il ne faut pas être médiatisé, qu’il ne faut pas passer à la télé, ou à la radio : écris des livres, ou fait autre chose de ta vie. Quand tu fais du rap, c’est que t’as envie qu’on entende ce que t’as à dire. Il y a des émissions que j’aurais pas faîtes. A Taratata, j’y suis pas allé pour faire le copain avec les gens, je suis allé là-bas pour faire mon morceau. Je sais qu’il y a des gens qui vont regarder et je pense que c’est un bon moyen pour communiquer.

DWT : Es-tu quand même plus retissant à aller dans des émissions télévisées ?
Fabe : Non. Mais il n’y a pas beaucoup d’émission où je suis prêt à aller. «Taratata», je me suis dit que j’allais y aller. Le jour de l’émission, je savais pas qui allait s’y trouver. Pour moi, c’était une émission de variet’, il y avait de la musique tout le long, je pouvais passer là, il n’y avait pas de problèmes. C’était une des rares que je voulais faire. Après, j’ai juste fait «Envoyé Spécial». Je pense qu’à la télé, il y a beaucoup plus de gens qui ont envie de faire les clowns et de faire croire que t’es leur copain, que des gens qui ont envie de savoir ce que tu penses. Les gars comme Nagui, ou ceux des grandes émissions, sont des personnes publiques. Soit ils sont aimé, soit ils sont détesté. A partir du moment que t’es à côté de ces gens là et que tu prends une position, il y en a qui vont te détester tout de suite et il y en a qui seront prêt à travailler avec toi. Donc Nagui, c’est pas «Dieu le père». A partir de là, il n’a pas tous les pouvoirs à la télévision.

J’estime qu’à l’endroit où je suis, et par rapport à ce qu’il se passe pour moi en ce moment, ça va. Je suis tranquille.

DWT : La grande mode médiatique du moment est de transformer la police en gentils messieurs harcelés sans cesse par de méchants jeunes, et de résumer la banlieue à des cités interdites à la police. Comment réagis-tu face à ça ?
Fabe : Ce que je vois en ce moment, c’est la violence à l’école. Ils sont en train de mettre en place quelque chose qui va rendre légitime la pression qu’ils installent. Ils sont en train de montrer aux gens la violence à l’école, et que c’est dangereux dans la rue et dans les banlieues. Les gens vont penser que les enfants qui vont à l’école se font taper dessus. Le jour où les gens vont voir aux informations qu’une banlieue s’est faite encerclé par des C.R.S et qu’il y a plein de mecs qui se sont fait marrav’, les gens vont trouver ça normal. C’est la politique de la droite, c’est subtil mais c’est grillé.

DWT : Selon certains, mettre un sampleur dans une cité, ça rend les jeunes heureux. Qu’en penses-tu ?
Fabe : J’y crois pas du tout. Il y en a qui en ont rien à branler, et c’est pas ça qui va donner du travail à cinq cent personnes. Si jamais tu mets un studio dans un quartier où il y a des rappeurs, peut-être que ça va les aider, mais je vois pas en quoi ça change le problème à la base ?

DWT : Pourquoi «Lentement mais sûrement» n’a pas été poussé commercialement ?
Fabe : Dans mon album, il y a plusieurs facettes. Il y en a certaines que l’on a pas trop envie de mettre en avant.

DWT : On a l’impression que tu subis la politique des maisons de disques…
Fabe : Non. Pour moi c’est pas subir. Je vois ce qu’il se fait aujourd’hui, je vois quel choix il y a, et je vois où je suis. J’ai sorti ce maxi et pour les gens qui sont concernés ou qui ont envie de l’écouter, il arrivera à leurs oreilles. Pour les autres, ça arrivera, ils verront cette facette là plus tard. Je ne subis pas parce que j’estime qu’à l’endroit où je suis, et par rapport à ce qu’il se passe pour moi en ce moment, ça va. Je suis tranquille, je fais mes affaires, je fais ma vie, je sais très bien ce que je pense et où je veux aller. Je voulais sortir ce maxi. il est sorti et je vois à peu près ce qu’il se passe. Je tire mes conclusions et je continue d’avancer. J’apprends. Si tu veux que les gens captent ton message, il faut apprendre comment marche la machine. C’est bien de dire ce que tu penses mais c’est mieux que tout le monde l’entende.

Propos recueillis en 1996 dans le cadre du dossier spécial Complot des bas-fonds réalisé par Nobel, Koper, L’Avokato (10’Syple), Beucay et Alain Garnier
Retrouvez Fabe et Koma au travers la carte blanche inédite d’Alain Garnier