Lava 1&2, supreme commander

En 1972, quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué !

Writer des premières heures et ancien chef de gang new yorkais au sein des Black Spades dans les années 1970, Lava 1&2 a également signé la réalisation des flyers des premières soirées de Kool Herc, Grandmaster Flash ou Kool DJ AJ… Signe du destin, nous l’avions rencontré pour la première fois en 2010 à Harlem, territoire anciennement placé sous son autorité alors qu’il en était le chef au sein des Black Spades plus de trente ans auparavant. Nous avions rapidement compris à son contact l’intérêt historique que pourrait représenter son récit. Mais ce n’est que cette année que nous avons pu l’interviewer au moment de l’accueillir pour la première fois en France dans le cadre du festival « a change of direction » du Battle of the Year et de la célébration de notre 20ème anniversaire. Nous ne nous étions pas trompé, cet entretien restera comme un témoignage rare et inédit d’une époque où des membres de gangs massacraient déjà des trains alors que le hip hop n’existait pas encore. Nobel

DWT : Parles-nous de tes débuts dans le milieu des writers et par conséquent des débuts du graffiti à New York…
Lava 1&2 : J’ai commencé avec le graffiti en étant membre d’un gang de New York. Au début, nous étions une organisation dans la société. Nous étions éparpillés en plusieurs gangs pour la simple raison qu’on était très nombreux. En 1973, nous étions plus de 7 000 membres. Avec 400 gangs à travers les rues de New York City. J’ai commencé donc en taguant mon nom et mon territoire. En posant « Black Spades » et le nom qui va avec. Les gens savaient qui l’avait fait, vous voyez ce que je veux dire… Et puis un jour mon petit frère KOOL BREEZE a dit : « Yo, nous devons le faire sérieusement », car il était aussi membre des Black Spades. Il tapait déjà des trains. Il m’a dit : « Yo, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? Je vais te présenter des writers». Je les ai donc rencontrés, il y en avait pleins et j’ai commencé à taguer avec eux à travers tout New York. Mon premier mentor était STAY HIGH 149. Je voulais être comme lui et faire tout ce qu’il faisait ou être comme TAKI 183 et JOE 182. Tous ces mecs étaient déjà super connus avant moi. Quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué ! Tout cela a commencé dans les débuts des années 1970. En 1972, j’étais déjà dans toute la ville.

Quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué ! Tout cela a commencé dans les débuts des années 1970. En 1972, j’étais déjà dans toute la ville.

DWT : Sous quel nom sévis-tu dans ces moments-là ?
Lava 1&2 : J’ai d’abord utilisé mon nom dans le gang, STRAIGHTMAN, mais c’était tellement long à écrire sur les panneaux des trains que j’ai dû abréger le nom avec « SM1 ». Quand les gens voyaient le « 1 », ils savaient que cela venait de moi. Un jour mon frère et moi revenions de tagger vers 4 heures du matin, je voulais me débarrasser des bombes avant que ma mère les découvre. Mais elle acceptait en quelque sorte et pensait qu’elle ne pourrait pas nous empêcher de faire ce qu’on voulait. Elle nous disait : « Je m’en fous de ce que vous faites tant que vous êtes en sécurité et que vous ne vous faites pas prendre ». Elle soutenait à sa façon ce que nous faisions. J’avais plein d’encre sur moi, mon frère m’a dit alors : « va au magasin, il y a ce savon dont la marque est LAVA avec des petits grains dedans, les travailleurs l’utilisent car il retire tout ». Je suis revenu avec cette barre de savon, je me suis assis à coté de mon frère et je lui ai dit : «  Yo, mon frère, merde, ce truc a 4 lettres dans son nom, c’est super court et je le sens bien parce que le lettrage de la barre est en 3D avec un fond derrière ». Il m’a regardé et je lui ai dit : « Je vais rouler avec ce nom avant que quelqu’un me le prenne !» J’ai marché avec ce nom, personne d’autre ne l’avait pris. Pendant un moment, j’ai taggé LAVA 1 puis j’ai rajouté le 2 pour protéger le nom. A mon époque, beaucoup de writers prenait des noms en rajoutant un 2 comme PINKY 1&2 ou LITTLE ROCK 1&2. Pas mal de mecs commençaient à faire ce que je faisais, c’était une manière de bloquer ton nom avant qu’un autre l’utilise. Quelques années après, je m’en tapais que quelqu’un rajoute 3 ou 4, tout le monde savait qui était l’original.

Photos © Archives personnelles Lava 1&2

DWT : Tu taggais avec qui à cette époque ?
Lava 1&2 : Il y avait plein de groupes de frères avec qui je taggais comme BONANZA, KING COOL, SEX 143 mais aussi AJ 161 qui utilisait ADAM 12, STAFF 161, DYNAMITE 161. Il y avait beaucoup de frères engagés. BOX 707 est un frère qui a été tué par un train. Rest in peace. Tout le monde a sauté dans le train en bloquant les portes. Il a glissé et le train la broyé méchamment. J’ai beaucoup de potes writers qui ont été tués par des trains. On a fait ce qu’il fallait, ce n’était pas pour le style, c’était juste pour faire tourner nos noms partout. Un peu plus tard, au milieu des années 70, le artwork est devenu meilleur, les gens progressaient. Fin 70, début 80, de grands noms sont arrivés, comme COPE, T-KID et pleins d’autres. Ils rabaissaient notre travail avec leur style et on se disait : « mais merde, comment des mecs prennent autant de temps pour faire des pièces pareilles sur tout un train ? ».  J’ai arrêté le graffiti en 1975 parce que ma première femme a eu mon premier enfant. Il était temps pour moi de ramener de l’argent et de la bouffe sur la table. Taguer ne payait pas, j’ai dû laisser cette passion que j’aimais tant de côté. Jusqu’à aujourd’hui, je vis et je dors avec. Quand j’étais à la maison, cela me manquait terriblement. Dans le gang les gens pensaient même que j’étais mort. Un des premiers mecs qui m’a revu était TRACY 168 que j’ai croisé un jour dans le quartier de King Bridge. Il m’a dit : « il y a un gros événement à 5 Pointz ce week-end, tu devrais y aller ». J’y suis donc allé et tous les vieux loups du graffiti étaient là. Quand j’y ai mis les pieds, les mecs disaient : «  Oh ! ce mec me paraît familier ». Plus je m’approchais et plus nombreux étaient ceux qui me reconnaissaient : « Oh mais c’est STRAIGHTMAN ! ». Tous les vieux writers me connaissaient du début des années 70 sous le nom de « Straightman », seulement les plus jeunes me connaissaient sous le nom de LAVA 1&2. « Quoi de neuf fils ? On pensait que tu étais mort ? » (rires).

De grands noms sont arrivés, comme COPE, T-KID et pleins d’autres. Ils rabaissaient notre travail avec leur style et on se disait : « mais merde, comment des mecs prennent autant de temps pour faire des pièces pareilles sur tout un train ? ».

Lava 1&2 (Nîmes, juin 2013) Photo © Patricia Martinez aka OZ

DWT : Quelles étaient tes rapports avec les BLACK SPADES au moment de ton travail de writer ?
Lava 1&2 : J’ai toujours eu le soutien de leur part dans tout ce que j’ai fait. Ils ont toujours su qui j’étais et ce que je faisais pendant toutes ces années. Ils m’ont donné un nom connu dans la société partout dans le monde parce qu’il est mentionné dans plusieurs livres. Tous les livres de graffiti de notre époque parlent de moi.

Réalisation d’un mur commun par Lava 1&2 et JayOne (Paris, mai 2013) – Photo © Julien Grey

DWT : En 1971, à l’époque du meurtre de BLACK BENJY, Benjamin Cornell, chef de gang des GHETTO BROTHERS, as-tu participé aux réunions qui ont suivi pour instaurer la trêve ?
Lava 1&2 : Oui. Après sa mort, notre gang, BLACK SPADES, a effectivement participé à un grand meeting. Il a été dit que nous avions tué BENJY mais c’était le fait d’un membre d’un autre gang, les SEVEN IMMORTALS. BENJY venait des GHETTO BROTHERS. Les gars pensaient qu’on avait quelque chose à voir avec ça mais ceux qui pouvaient faire un truc pareil venaient des BLACK PEARLS ou des SEVEN IMMORTALS. Il y avait les SAVAGE NOMADS, les SAVAGE SKULLS ou les REAPERS en dehors du Bronx qui étaient aussi très connus. J’étais moi même un REAPERS avant de devenir un BLACK SPADES. Je les ai rejoint car mes deux jeunes frères étaient des BLACK SPADES. Cela paraissait suspect de changer de gang mais je n’ai eu aucun problème. Pour ce meeting, les anciens qui contrôlaient tout ça m’ont demandé de devenir « supreme commander » de tout Harlem. Ils m’ont demandé si je pouvais gérer ça. Je leur ai dis que j’allais essayer. L’année d’après, j’ai commandé tout Manhattan ! J’étais plus mature que mes frères. Je parlais bien. Ils se sont dits que je maîtrisais bien les choses. J’avais des BLACK SPADES à Harlem, dans le Lower East Side, à Spanish Harlem… j’ai ramené un grand nombre d’hispaniques dans les BLACK SPADES, car avant il y avait surtout des noirs. Au moment de la création de ce gang, c’était plus un truc de noirs. Avec mes frères, nous étions très peu d’hispaniques dans le gang. A Lower East Side, il y a même eu des BLACK SPADES blancs et chinois !

Phase 2 et Lava1&2 – Photo © Archive personnelle Lava

DWT : Quel était le rôle de la Zulu Nation à cette époque ?
Lava 1&2 : Elle a commencé sous le nom de L’Organisation. L’idée d‘Afrika Bambaataa était d’apporter la paix à tous. J’étais déjà en dehors des gangs à ce moment là. Bambaataa cherchait des mecs qui avaient des connaissances tels que les DJ’s, MC’s, danseurs ou peintres. Il a pris tous ces éléments pour en faire le hip hop. C’est de là que vient cette culture. Il en est l’un des créateurs, l’un des pères avec DJ KOOL HERC. D’une certaine manière, je les ai rejoint car j’étais l’un de ceux, avec Phase 2, qui réalisaient les flyers des soirées des années 70 et du début 80. Je suis devenu un promoteur de soirées. J’ai contribué en partie à l’émergence du hip hop. C’est pourquoi je suis entouré par tous les éléments. J’étais là depuis le premier jour.

Flyer par Lava1&2 (1979) – © Archive personnelle Lava

DWT : Le graffiti te paraît loin maintenant ou est-ce toujours d’actualité pour toi ?
Lava 1&2 : Je suis toujours actif. A la différence que je ne peins maintenant que sur des supports autorisés, plus rien d’illégal.

DWT : Tu es aujourd’hui parmi nous, pour la première fois à Paris, que ressens-tu ?
Lava 1&2 : Etre ici est un plaisir. Si je n’avais pas été oublié si longtemps par mes confrères, je serai probablement venu bien avant (rires). L’opportunité est venue maintenant que je suis vieux. La France est un beau pays de ce que j’ai pu voir. Je ne vois rien de mauvais, j’ai visité beaucoup d’endroits aux U.S.A. et à Puerto Rico, c’est quelque chose de très différent pour moi. Je ne suis jamais venu en Europe et j’apprécie donc d’être ici, merci surtout à ceux qui m’ont permis d’être là. Représente Paris !

DWT : Quelques conseils donnerais-tu aux jeunes graffeurs qui arrivent ?
Lava 1&2 : Tout ce que je peux dire à ces jeunes gens, c’est de préserver la culture. Nous avons un proverbe chez les BLACK SPADES : « On ne meurt pas, on se multiplie ». Si c’est ce que vous aimez faire, continuez. Faites au mieux, cela vous préservera de la négativité de la rue. C’est maintenant une forme d’art alors qu’avant c’était vu comme du vandalisme. Le graffiti c’est un nom trash, je n’aime pas utiliser ce nom. C’est un terme qui nous a été donné par la société pour rabaisser notre travail. Entre nous on parle d’écriture, « writers », c’est le mot que les old timers utilisent. Peace !

Propos recueillis le 31 mai 2013 par Fati et FLo – Remerciement particulier à Monsieur Mamba.

Différentes vibes (Paris, mai 2013) – Photos © Julien Grey