Mr Freeze RSC, ultime b-boy « made in France »

Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles…

Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Si l’on veut établir l’histoire d’une culture, autant commencer par son début. Le parcours de Mr Freeze – Rock Steady Crew – est si légendaire qu’il faudrait presque l’introduire par un : « Il était une fois… ». Lorsque nous l’avons contacté, le souvenir des prémisses de l’admiration qu’on lui porte a ressurgi. C’était bien après ses débuts, à l’aube des années 1990, au festival du Grand Zebrock dans une salle du 93, au Blanc Mesnil. Ce soir-là, après l’avoir vu se figer net après un «thomas» de toute beauté, on s’est dit : « Ce mec est un véritable tueur ! » Mais vingt ans plus tard, on était quand même bien loin de se rendre compte de l’ampleur du personnage et de la profondeur historique… Trois minutes à peine après lui avoir laissé un message, il nous rappelle en visio-phone : « Dis-moi, qu’est que je peux faire pour toi mon ami ? ». On lui réponds qu’à Down With This, on trouve incroyable que personne ne parle de lui en France et qu’on aurait un grand plaisir à s’en charger. Il nous propose directement « Ok, j’emmène ma petite à l’école alors après ça vous va ? »C’est simple, facile d’accès, disponible, avec une mentalité décomplexée à l’américaine… Les principes de Down With This sont respectés : travail en direct, pas de contacts interposés et pas d’interviews strictement dictées par la promo… Alors attention, échange naturelle et spontanée, pur moment historique, parfaitement bilingue, un pan de l’histoire du hip hop mondiale se raconte et… en français, s’il vous plaît !

Down With This : Comment te retrouves-tu dans le Bronx alors que tu as grandi jusqu’à l’âge de huit ans à Paris, à côté de la place de la Bastille ?
Mr Freeze : Je suis né le 7 septembre 1963 à New York, à Manhattan, à l’hôpital Leroy. En 1964, ma famille et moi sommes retournés à Paris. C’est ma mère qui voulait y aller. J’ai été élevé au 17, boulevard Beaumarchais, place de la Bastille. J’allais à l’école à Place des Vosges. En 1970, mon père a dit à ma mère : « Si on allait en Amérique, toute ma famille est là-bas. On se fait de l’argent et après on retourne en France ». Voilà pour la petite histoire. Ils n’ont jamais fait d’argent et ne sont retournés en France que pour des vacances…

Mr Freeze avec son oncle Armand (devant le 17, boulevard Beaumarchais, Paris – 1968) et à droite,
la « cover » de son bulletin scolaire (1972) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Tes parents sont donc français…
Mr Freeze : Ma mère est parisienne, d’origine juive polonaise. Nous ne sommes pas religieux, d’aucune façon. Elle était venue de Pologne avec sa famille. Elle a été cachée pendant la guerre par une famille catholique de Lyon. La famille de mon père est de Pologne aussi, mais il est né en Allemagne. Il en est parti pour se retrouver à Paris où il s’est fait arrêter sans ses papiers par la police française, qui était avec les allemands à l’époque. Comment il s’en est échappé et comment il a connu ma mère ? C’est une drôle d’histoire aussi… Il a connu une dame qui l’a sauvé. Elle s’est échappée avec lui. Ils se sont mariés, ils ont eu un petit garçon qui est mort à trois ans d’un cancer. Ils ont divorcé, il est revenu à Paris et a connu ma mère. Mon père croyait ne jamais revoir sa famille qu’il croyait disparu pendant la guerre. Quand il a su qu’ils étaient en Amérique, il s’est dit « Voilà une chance pour les revoir » et il a fait un rapprochement familial.

DWT : Tu es donc né aux Etats-Unis, tu n’as pas la nationalité française ?
Mr Freeze : Si, j’ai la nationalité française, j’ai les papiers, j’ai le passeport français. J’ai tout !

DWT : Tu votes pour la France alors ?
Mr Freeze : Je ne vote même pas pour l’Amérique alors (rires). Je n’y connais rien. Je me dis que juste moi ça ne va rien changer. Mais bien sûr que ça changerait si tout le monde votait.

DWT : Plus sérieusement, par quelle image découvres-tu le hip hop ?
Mr Freeze : Comme tous ceux qui connaissent la culture du hip hop, je sais que le graff est certainement la première chose qui a commencé. Bien sûr, j’étais trop jeune pour comprendre ce que ça représentait pour moi. Les gens jouaient de la musique dans leurs appartements avec un haut parleur et un fil pour qu’ils aient de l’électricité et de la lumière dans la rue. Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles… Je dansais tous les week-ends et même pendant la semaine des fois.

A gauche : Mr Freeze et sa tante Suzanne à Châtelet – Les Halles, Fontaine des Innocents (Paris, 1978)
A droite : Mr Freeze au Rex (Paris, 1981 ou 1982) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Quand tu dis « là-bas » : c’était où ?
Mr Freeze : Dans le Bronx, 163 Street Madison Avenue à côté du stade de baseball le « Yankee Stadium ». J’étais vraiment bien dans le centre. Tout le monde dansait dans des Battles, ils faisaient le robot ou du lockin. Ce que je voyais le plus, c’était du Uprocking. Ils faisaient des mouvements contre d’autres personnes. Ils se prenaient le visage, ils se lançaient en l’air, ils mimaient des gestes de coups de feu. C’est ça les premières choses que j’ai vues. Un jour, dans ces battles, il s’est passé quelque chose de fort. Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! C’était un Freeze exécuté avec tant de vitesse, avec tant de souplesse et dans un style si formidable qu’on s’est tous dit autour « Wow, ça c’est vraiment quelque chose ! » Après quelqu’un a fait un autre Freeze, puis un autre : des petits pas. C’est de cette façon que s’est développé le break : dans le Bronx. La musique nous a fait sentir quelque chose. On l’a tellement ressenti avec les rythmes que ça nous a rendus fous. Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! ». Ça nous a fait casser la baraque !

Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! (…) Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! »

DWT : Le Bronx représente le ghetto urbain par excellence, ça devait être quelque chose dans les années 70 ce bol d’air…
Mr Freeze : Entre ce qu’on entend et la réalité, c’est deux choses complètement différentes. Oui, c’étaient des quartiers durs si tu faisais des problèmes mais sinon personne ne t’embêtait. Comme dans les quartiers en France.

DWT : Tu as huit ans en 1970, tu es peut-être le premier français à rencontrer le hip hop. En France, personne ne pouvait encore imaginer cette énergie…
Mr Freeze : Personne ne connaissait sur la planète ! Bien sûr les brésiliens vont dire qu’avec la capoeira, ils en faisaient déjà. Mais c’est aussi bête que si nous disions qu’ils nous avaient copiés en premier… On ne connaissait rien, on était uniquement cloisonné dans notre environnement, le Bronx…

DWT : Comment en arrives-tu à apprendre les techniques de base ?
Mr Freeze : Je l’ai fait pendant des mois, peut-être un an, mais ce n’était rien de sérieux ; on s’amusait. Des années après, on a déménagé dans un autre quartier du Bronx qui s’appelle National Park. Le quartier où j’habitais au début n’était que noir et portoricain. Celui-là était juif, irlandais et italien : tous blancs. En 1974, j’étais en train de faire du break ou de danser devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir. Je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». Je faisais des petites choses par terre. Sur la gauche, il y avait six ou sept gars qui portaient des chemises avec un nom de crew dessus « Eastside Boys ». Un des gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah !« . Parce que comme il m’avait vu danser, c’est que ça devait s’appeler du « break » ! « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’entendais tous mes copains dire : « Vas y Marc, vas y !« . J’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique. J’ai juste fais des petites choses pour progressivement en faire des plus dures. Leur crew avait envoyé quelqu’un qui n’était pas tellement bon mais qui avait fait les six pas de base du break dance. Après, j’ai fait quelques trucs, un autre est venu, puis j’y suis retourné. Un autre a fait les 6 step, des CC’S, il a fait des Swipes, un Neck Move, un Head Spin into the Freeze
Comme vous en France, la première fois que vous avez vu la culture hip hop au Bataclan en 1982, on était complètement pris ! Ça m’a attrapé d’une façon… comme si dieu m’avait dit : « Voilà ton destin !». J’avais demandé à mon adversaire : « Mais où as-tu appris ça ? ». Le jeune homme m’a répondu : « Lil Lep m’a appris ! ». Je me disais : « Mais qui est Lil Lep ? Comment il a appris ça ? Est ce que je peux faire sa connaissance ? Je suis jeune !« . Lil Lep (Ray Ramos) était avec le crew des New York City Breakers. Dans ces années là, c’était un gars horrible, les gens avaient peur de lui. Les mecs que j’affrontais m’ont emmené dans leur quartier pour que je le rencontre mais je l’ai cherché pendant des mois sans le trouver… Finalement, j’ai fait sa connaissance. Il était plus âgé que moi, il avait une drôle de voix et une façon assez spéciale de parler. On s’est entendu tout de suite et c’est lui qui m’a appris les basiques fondamentaux du break. Je trouve que c’est là, dans les années 70 que tout a commencé. En 1974-1975, Lil Lep connaissait déjà des mouvements évolués. Je lui ai demandé comment il avait lui aussi appris ces mouvements. Il m’a dit qu’un homme du nom de Kool Sky les lui avait enseignés.

En 1974, devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir, je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». (…) Un gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah ! ».  « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique…

DWT : C’était maintenant à ton tour de poser les bases de cette danse…
Mr Freeze : Pendant des années, je danse sans arrêt, on commence à me voir dans tout le Bronx et je me spécialise en Freezes. J’aime bien les faire. Les gens disaient : « Ouais, c’est le mec qui fait des Freezes ! » Un jour un mec à dit : « Mais c’est Mister Freeze !» et le nom est resté.

DWT : On ne te confondait pas avec Frosty Freeze (RIP) ?
Mr Freeze : À cette époque Frosty Freeze (Wayne Frost) n’existait même pas avec nous. Je ne dis pas qu’il n’en faisait pas, mais lui c’est venu après, avec Crazy Legs (Richard Colón). Il faut comprendre que cette culture a commencé dans le Bronx, puis le break est arrivé à Manhattan, mais bien après. Je ne dis pas que Frosty Freeze ne breakait pas mais nous, on ne connaissait que ceux du Bronx. Maintenant, il y a des gens de Brooklyn qui disent que ça existait chez eux en premier… On a tous le droit de parler, OK, mais il y a la réalité et ses documents…

Mr Freeze et le Rock Steady Crew – Fresque par T.Kid (New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Comment arriviez-vous à vous entrainez ?
Mr Freeze : Je ne m’entraînais jamais. Tous les mouvements que je faisais avec mes amis, comme Jojo, étaient inventés dans le cercle. C’est une danse qui n’était pas encore développée. Les mouvements venaient de notre rage et de notre façon de sentir la musique. On breakait dans la rue. Par exemple, si je savais qu’il y avait une Jam avec Little Rob, Flash ou n’importe quel DJ, j’y allais. Pendant les années 1970, chaque quartier du Bronx a commencé à avoir son crew et ses B-Boys. TBB avait ses B-Boys, Rock Steady Crew avait ses B-Boys, Incredible Crew pareil. Il y avait des centaines de crews, dont certains plus connus que d’autres, bien sûr.
Comme si dieu l’avait fait exprès, tous les inventeurs de la danse, du graffiti, des Dj’s et des Mc étaient dans ces quartiers. Comme si Dieu les avait placés en disant : « Bambaataa est là, Kool Herc est ici, Crazy Legs là, Rock Steady commence là…« . Tous les acteurs et activités étaient à proximité.

DWT : Tu intègres le Rock Steady et c’est notamment gràce à des b-boys comme toi, Crazy Legs (Richard Colón) ou Ken Swift (Kenneth Gabbert) que la notoriété du crew se fonde bien que vous en soyez la deuxième génération…
Mr Freeze : J’étais un des premiers B-Boys bien sûr, je suis de la génération qui a construit la notoriété du nom Rock Steady Crew et qui a participé à ce qu’il est devenu aujourd’hui. La deuxième génération donc. Rock Steady était connu grâce à nous. La notoriété ne va pas forcément aux initiateurs des crews. Les gens s’intéressent davantage au nom du crew. C’est dommage, car il faut comprendre que ce n’est pas le nom qui fait le crew mais les gens et tout le travail qu’ils ont fait.

DWT : Comment es-tu amené à intégrer la tournée New York City Rap ?
Mr Freeze : On avait un manager qui s’appelait Kool Lady Blue. Elle aimait plein de choses différentes. Quand elle était manager d’Afrika Bambaataa, elle a connu Crazy Legs alors qu’il faisait un spectacle dans une boite. Blue a bien aimé ce qu’elle a vu. Elle a dit : « Voilà, j’aimerais bien faire des choses avec vous, je crois que je peux vous faire profiter de mon travail ». Crazy Legs a dit oui. On a commencé à tourner comme ça et à rencontrer des gens comme Malcolm McLaren avec son Buffalo Galls et à aller au Roxy. Avant ça, c’est elle qui a commencé à ouvrir la boîte de nuit qui s’appelait le Negril et non Mickael Oldmen, comme il le dit. Puis le Roxy, c’était notre vie tous les vendredis ! Toutes les semaines, on ne pensait qu’à ça. Il y avait le journaliste Bernard Zekri qui travaillait pour une compagnie qui s’appelait Celluloïd Records, une maison de disques qui voulait faire des productions différentes, moins commerciales. Ils ont connu Blue et un autre français Jean Georgakarakos. Ils ont tous dit : « Pourquoi pas faire une tournée ? » Ils en ont parlé en France à Alain Maneval d’Europe 1 et C.C. qui est devenue la femme de Futura 2000 et qui vit à Brooklyn maintenant. Ils ont commencé par faire une interview de Futura pour la radio. J’étais là pour faire le traducteur. Un jour, on était dans un bus, tout d’un coup C.C. a laissé son travail pour partir avec lui. C’est incroyable ça, elle était folle amoureuse (rires).

DWT : Il y a des artistes qui t’ont impressionné dans toutes ces époques ?
Mr Freeze : Non. J’étais un gamin. Futura 2000 par exemple, je ne le connaissais même pas. Je ne connaissais que le Bronx. Tout était là-bas et tout a commencé là-bas. On ne pensait jamais aux autres. Pour moi dans les années 1970, c’est Dj Charlie Rock et les Seven Dublin Sense. Un mec comme Lil Lep était connu bien avant New York City Rap. C’est un dur de dur. Il a fait partie des New York City Breakers juste comme ça, parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Alors ils l’ont pris mais, il n’était déjà plus aussi bon.

On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Quels souvenirs évoquent pour toi l’époque du Roxy ?
Mr Freeze : Il faut comprendre que le Roxy en 1981 et 1982 c’était une boite dans laquelle les gens d’Europe et de la planète allaient pour voir cette chose qu’on appelait le «hip hop», bien que personne ne le connaissait à Manhattan. On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Te souviens-tu d’avoir croisé des mecs comme Keith Haring dans ces soirées ?
Mr Freeze : Non (rires). Je ne le connaissais pas. C’est des années où il ne faisait rien ou en tout cas rien de ce qui l’a rendu célèbre par la suite. C’est dommage que je ne l’ai pas connu. Il était incroyable.

DWT : Sur une de tes photos, on le voit pourtant au premier rang assister à une de vos représentations sur scène (voir photo ci-dessous)
Mr Freeze : J’ai vu ça des années après en me disant « Mais c’est Keith Haring qui est là en train de regarder ce qu’on faisait !». C’est incroyable (rires). On était très content de ce qu’on faisait. On s’amusait. Bien sûr, il y a d’autres gens qui en ont tiré des avantages de tout ça, bon, c’était ce que c’était…

Mr Freeze (et Keith Haring au premier rang, New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Il nous semble que tu as touché à d’autres disciplines…
Mr Freeze : Je n’ai jamais touché les platines. Mais commercialement, j’ai fait un album de rap qui est sorti chez Profile Record, en 1991. J’étais avec Run DMC, Poor Righteous Teachers, Special Ed. Mais c’était plus pour faire de l’argent et de la publicité. J’étais tellement en colère sur la merde de l’époque, que je voulais leur montrer (rires). J’ai donc eu un deal avec la maison de disque mais ça n’a rien donné. J’ai fait un rap avec la chanson « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ? ». C’est avec ça que je me suis fait remarquer (rires).

DWT : Les battles sont les moments de la danse qui semblent t’avoir le plus marqué durant toutes ces années…
Mr Freeze : Les années 1980, c’est dur à expliquer. C’était des choses qu’il fallait vivre. C’est comme si on pouvait voir Bruce Lee combattre maintenant dans un Ultimate Fighting. Il y avait une énergie qu’on sentait. Quand il y avait GrandMaster Flash qui faisait une Jam et tout d’un coup Grand Wizzard Théodore, l’inventeur du scratch, arrivait par surprise pour l’attaquer et faire un Battle devant tout le monde. Il fallait voir ça. Les choses aujourd’hui ont changé mais il y a toujours une énergie. Avant c’était comme ça toutes les semaines. C’était incroyable. Bambaataa venait lui aussi avec les Shaka Zulus pour faire des Battles. Bon, c’était différent.

On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ».

DWT : À partir du milieu des années 1980, il y a eu une véritable cassure avec un changement radical des mentalités notamment dans le rap. Tu l’as aussi ressenti dans le break ?
Mr Freeze : Oui je l’ai senti : c’est devenu de plus en plus de la vraie merde ! C’est comme si, au lieu d’évoluer, tu régresses, tu descends. Tout est devenu individuel. Les rappeurs voulaient faire de l’argent avec le rap. La partie souterraine de la culture c’était le break : on est par terre, sur le sol. Les gens s’en foutaient, ça n’existait plus. On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ». C’était devenu tellement perdu que je me suis complètement éloigné de la culture. Je n’y suis revenu que depuis quelques années parce que je trouve que maintenant les gens sont à nouveau très intéressés par la culture. Il existe même des écoles de hip hop… mais ça ne s’enseigne pas le hip hop ! C’est une culture !

DWT : Comment juges-tu le niveau du hip hop en France ?
Mr Freeze : J’ai été dans des jurys. J’ai vu des B-Boys forts, des graffeurs incroyables, j’ai vu sur You Tube des freestyles de MC’s incroyables. Dj Dee Nasty est wow ! Le niveau en France est vraiment très haut. Je ne suis pas intéressé par les chansons qui passent à la radio. Je m’intéresse aux freestylers et quand j’ai entendu en France comment un MC démontait un autre MC, j’ai trouvé ça encore plus fort que ce qu’ils font en Amérique. La langue est plus avancée, le vocabulaire est beaucoup plus riche. Je ne sais pas, mais en France ça s’est développé d’une façon incroyable. Il y a quelqu’un qui a fait beaucoup pour la culture du break en France avec une grosse réputation, c’est Benjamin de Division Alpha. Benji, il a changé le jeu pour les B-Boys, il y a peu de choses qu’il a faites que je n’ai pas aimées. Presque tout ce que les B-Boys font aujourd’hui, vient de ses mouvements. Il faut aussi que je te fasse voir une vieille photo de moi avec Aktuel Force (incluant Gabin et Karima) que j’adore (voir photo ci-dessous). La France est très forte en graff, très forte en rap, je parle du freestyle pas des trucs à la radio. Les français ont de très bons Dj’s. Alors, c’est grâce à des pays comme la France qui ont gardé la culture du hip hop à un niveau souterrain qu’on a pu conserver l’esprit. On apprend le judo de cette façon, on observe le grand maître pour que rien ne change. La seule chose qui change, c’est la force et la souplesse. Pour garder pure un art, il faut agir de cette façon. Tu sais pendant des années le niveau du break était moins bon en France, et je ne dis pas ça pour le crew Aktuel Force, dans lequel sont tous mes copains. La raison est qu’ils nous ont vus danser en Amérique à une époque où tout était déjà fini, la vague était déjà passée. Si on dansait, c’était juste parce qu’on n’avait rien d’autre à faire et qu’on ne voulait pas arrêter. Le break dans les années 70 était beaucoup plus fort que ce qu’on faisait dans les années 80. Malheureusement la France n’a pas pu voir ça sinon ils auraient commencé avec un niveau nettement supérieur. Ils nous ont juste vus à une moins bonne époque et ils ont pris des trucs pas terribles. Maintenant, ils ont un niveau très élevé.

Mr Freeze et le crew Aktuel Force (1998) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Peux-tu éclaircir cette histoire du Moonwalk que tu réalises deux ans avant Michael Jackson ?
Mr Freeze : Tu sais le Backslide, le truc en arrière que j’ai fait dans Flashdance et qu’on croit que Michael Jackson a inventé, la première fois que je l’ai vu, c’est un ami qui s’appelle Locka Tron John de Brooklyn qui l’a fait avec un parapluie. Bien sûr, ce n’est pas moi qu’il l’ait inventé. Quand j’avais vu ça, j’avais dit : « C’est super ça ! Est-ce que je peux le faire ! » ? Pendant ces années, soit tu volais les mouvements, soit tu demandais à celui qui les avait inventés. Il m’avait dit « bien sûr« . Des années après, il m’a dit : « Tu sais Freeze, je t’ai laissé utiliser le truc avec le parapluie, mais je ne savais pas que tu allais le faire dans un film ou tout le monde, sur la planète, allait croire que c’était toi qui l’avait inventé ! ». Alors, je dis à tout le monde que c’est Locka Tron John qui ma donné le mouvement avec le parapluie, comme ça on lui donne du respect.
Un jour, alors que j’étais à Hollywood Hill dans la maison de Jeffrey Daniels du groupe Shalamar, on regardait l’émission de la Motown. On savait que Michael Jackson allait passer mais on ne savait pas ce qu’il allait faire. Quand on l’a vu faire le Moonwalk, on s’est tous regardés. On se demandait ce que ça allait donner pour Michael Jackson. Tout le monde est devenu fou.
C’est rigolo parce que j’ai travaillé pour Michael pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Je lui ai donné des cours pendant quelques années. Mais quelques années plus tard, j’ai lu des interviews et aussi vu un documentaire sur lui avec des enfants à Neverland. Ce qui m’a vraiment embêté c’est qu’il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. Et, dans le documentaire quand les enfants lui demandent : « Michael fait le Moonwalk ! », lui, il répond : « Oh mais tu sais le faire, c’est de vous que j’ai appris ». Il donne le mérite à des enfants qui sont dans la rue mais la vérité c’est qu’il a payé des gens pour lui apprendre. C’est dommage de n’avoir rien dit : « Voilà, c’est cette personne là qui me l’a appris. Il faut le voir faire ». Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

J’ai travaillé pour Michael Jackson pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. C’est dommage de n’avoir rien dit. Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

DWT : Que penses-tu de sa technique d’exécution ?
Mr Freeze : Il l’a très bien faite, c’est sûr. Le Back side très bien mais le Moonwalk dans un cercle, c’était très débutant.

DWT : Le film «Flashdance» a marqué toute une génération de danseurs en France. Vous étiez pourtant réticent quant à votre participation…
Mr Freeze : Kool Lady Blue (ancien manager du Rock Steady Crew) nous a amenés dans un studio de danse et nous a dit : « Voilà, j’ai un ami qui travaille pour la Paramout Picture. Ils veulent faire un film avec des danseurs différents, qui font des choses que personne n’a jamais vues ». On avait répondu : « Non, non, non : on ne veut pas faire ça ! ». À cette époque, on pensait que si tout le monde nous voyait danser, toute la planète allait nous voler nos mouvements ! Pour nous, c’était très important ça. Tu ne pouvais pas prendre les mouvements de quelqu’un d’autre. Ça ne se faisait pas. Maintenant, c’est différent. lls nous ont donc présenté le film en nous disant qu’on allait être payé 1 000 dollars. Pour nous, c’était beaucoup d’argent à l’époque (rires). Alors, on a décidé de le faire. Avec les pourcentages et les royalties on a bien touché pendant quelques années. Ma mère était fière, mais elle se demandait si ça allait donner quelque chose. Et bien non, ça n’a rien donné ! Nous n’avons pas fait de carrière, ni d’argent (rires). Au moins, on a fait quelque chose sur la planète dont tout le monde se rappellera.

Mr Freeze effectuant le Moonwalk (Flash Dance, 1983) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Les années 1990 sont souvent présentés comme le golden age du rap. Comment as-tu vécu cette période ?
Mr Freeze : J’étais complément perdu pendant ces années. Il y avait toute une partie de la culture qui avait disparu. Je ne pensais à rien, je n’étais juste pas intéressé. C’était trop devenu un business, je n’étais pas content depuis 1988 environ. Je n’écoute plus de rap, c’est fini. Parce qu’en Amérique ils ne jouent plus que du Lil Wayne, Soulja Boy, de la vraie merde. Je me suis arrêté à KRS One, Rakim, Big Daddy Kane : les maîtres ! Je suis revenu réellement que depuis 2 ans. Je vais te dire ce que Mr Wiggles (Steffan Clemente) m’a dit : « Freeze t’es français et c’est incroyable que les français ne te connaissent pas ». Ce n’est pas par manque d’intérêt des français mais parce que je ne communiquais pas sur ce que je faisais. Ce n’est pas moi ça. Si j’avais été une personne comme Crazy Legs et Mr Wiggles, j’aurais peut-être fait du business. Ce que je faisais n’était que pour m’amuser. Je ne dis pas que faire du business n’est pas bien. Eux, ils ont continué à faire du hip hop en le gardant pur ; Sans faire de conneries.

DWT : A ce propos, sais-tu que les interviews sont payantes avec Crazy Legs, Kool Herc et parfois même KRS 1 ?
Mr Freeze : Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Qu’on veuille faire des choses, c’est bien mais quand on parle aux anciens, ils veulent être payés et c’est normal. C’est leur façon de faire de l’argent. Ils pensent que faire une interview d’eux sera, quoi qu’il arrive, une manière de faire de l’argent avec leur image. Je peux te donner un exemple : j’ai fait l’Ultimate B-Boy Championship aux U.S.A, Las Vegas. Je voulais Kool Herc et KRS1 avec qui j’ai fait plein de choses. Il s’est fait payer 10 000 dollars pour une chanson. On a envoyé le contrat et sa femme nous a dit : « Ah non, on peut le faire mais sans la vidéo, sinon il faut un pourcentage ». La même chose avec la sœur de Kool Herc si on voulait le filmer. Ils savent qu’il y a des chances que ça se vende. Si Crazy Legs envoie son avocat, il a raison parce que c’est son business. Ils ont inventé une façon de vivre pour tout le monde alors ils doivent protéger leurs intérêts. Moi, j’ai une autre approche, je ne fais pas mon argent avec la culture. Je fais du marketing, de la promotion, je donne des cours. Mais si je sais que c’est une grande entreprise qui a des millions de dollars, c’est clair que je vais leur dire : « Ok on peut faire mais il faut qu’on parle avec des avocats avant ».

DWT : Comment juges-tu l’évolution de ta discipline jusqu’à aujourd’hui ?
Mr Freeze : Tout le monde fait les choses bien. Le seul problème c’est que les gens ne veulent pas parler des inventeurs. Ils veulent faire comme si l’invention leur revenait. Ainsi, ils ne transmettent pas l’histoire. Je donne des cours de lock, je sais le faire, mais je ne suis pas un locker. J’explique tout : d’où c’est venu, pourquoi, qui sait qui l’a inventé. C’est très intéressant, il faut parler de tout.

Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !

DWT : Justement, peux-tu nous parler de l’Ultimate B-boy Championship (voir ici), ce tout nouveau championnat que tu organises…
Mr Freeze : Toute ma vie, j’ai été intéressé par le break. Je voulais vraiment voir quelque chose de formidable. Quand on faisait des défis en 3 minutes, quelqu’un se faisait complètement démonter dans le cercle. L’UBC sera exactement de la même façon pour que ça devienne un sport comme le Skate Board, le Roller qui se sont développés dans la rue. Je trouve ça formidable que les B-Boys deviennent professionnels. BC1 ou Battle Of The Year font des choses mais ce n’est pas les meilleurs de la planète. C’est des événements pour les jeunes, certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Les choses qui ne sont pas pures ne marchent jamais aussi bien. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !
Le BC1 est fait par Red Bull, c’est un bon spectacle. Alors moi, J’ai vu l’Ultimate Fighting Championship. J’ai décidé après ça et toutes ces années de faire rentrer dans un cercle les meilleurs B-Boys de la planète. Ils seront très frais et prêts à esquinter tout de suite. Ça sera excitant de voir la rage de deux B-Boys qui ne s’aiment pas, sur le sol, comme ça se faisait dans les années 1970. Si je le fais sur une scène avec un tel qui bat un tel, puis un autre, ça va prendre toute la journée. En finale, tu as toujours les deux mêmes, tu les as vu toute la journée mais Ils sont essoufflés et n’ont plus  aucun nouveau mouvement à faire.
Moi je prends un B-Boy par mois pendant un an, n’importe où sur la planète. A la fin des douze mois, on en choisit deux. Les gens pourront voter mais je ferai attention à prendre vraiment les deux meilleurs et ne pas prendre quelqu’un qui a 200 000 likes sans faire des choses bien. Il y aura la UBC Team qui validera. Je veux des gens que personne ne connait. Je suis content car j’en ai déjà repéré un. Ça sera gratuit, tout le monde sur la planète pourra suivre le championnat avec un vrai battle à la fin. Celui qui gagne le BC1 ne va pas forcément gagner l’Ultimate B-Boy Championship. Pour moi ce ne sont pas les meilleurs. Si c’est pour faire ça sur quelque chose qui glisse, ça ne marche pas. S’ils ne font pas les mouvements de base de la danse : ils ne dansent pas. Il faut le faire comme aux jeux Olympiques. Il faut qu’ils fassent des figures imposées. Même s’ils font 17 Back spins, il faut au moins qu’ils puissent se tourner sur une jambe et se balancer. Si un B-Boy de l’UBC fait un Back Spin avec un Back Top et puis il danse, ça ne compte pas. Mais s’il fait un Back spin et Back top dans un mouvement de break, ça compte.

DWT : Le déroulement de la finale de ton tournoi est assez surprenant…
Mr Freeze : 24 heures avant, une fois que j’ai donné le nom des deux finalistes de la battle sur le site internet, la finale aura lieu quelque part sur la planète. Comme c’est gratuit, il n’y aura pas de contrôle, ça peut devenir dingue. Si on le fait sous la tour Eiffel à Paris ou à Moscou, c’est plus excitant. J’essaie de devenir le Bill Gates du B-Boys world (rires). Parce que malgré les millions utilisés pour monter les événements, les B-Boys ne touchent vraiment rien. On ne leur donne que de la merde. Ça m’embête. Si je réussis à faire ce que je veux, les B-Boys et les B-Girls sur la planète auront une autre vision de la façon de faire de l’argent avec une carrière de danseurs.

Mr Freeze – UBC 2010 (Las Vegas) – Photo © Droits Réservés

DWT : Penses-tu que nous puissions associer la danse à un sport ?
Mr Freeze : Je ne dis pas que c’est du sport. Si tu fais un mouvement sur le rythme : tu danses. Si tu ne le fais pas sur le rythme : tu ne danses pas. C’est pour ça que je dis que si tu fais un saut en l’air, fais-le dans un pas de break. Parce que juste le saut, ça veut dire que tu fais du sport et c’est tout.

DWT : Le côté « Entertainment » ne semble pas te déranger…
Mr Freeze : Toutes les choses qui viennent des racines du hip hop ne me dérangent pas, pas plus que le coté commercial. Au moins ces manifestations donnent une visibilité au hip hop et une possibilité de choix. J’aime bien les grands événements breakdance. Je trouve l’organisation formidable, mais on ne sent pas l’énergie. On la sent juste avant, puis plus rien : ce n’est plus trop excitant pendant le show. Il y a un autre problème, c’est le manque de sponsors. Dans la compétition « Juste Debout », Bruce le promoteur emmène 15 000 personnes avec lui. Il change le jeu. Il l’a vraiment bien fait, tout est là ; seuls les sponsors manquent. Des sponsors qui annonceraient : le gagnant représentera notre compagnie, il gagnera 100 000 dollars ou un demi-million d’euros. C’est dommage que le business et les entreprises ne supportent pas plus, car c’est important. Quand tu remplis un Bercy avec 15 000 personnes. C’est qu’il y a des gens que ça intéresse. Certains pensent que ça enlève des choses de la culture hip hop. Moi, je ne crois pas ; c’est une chance. On donne à des danseurs, qui n’avaient rien : un événement, une grande scène, et le pouvoir de se représenter.

DWT : On sent que tu es très attaché aux valeurs originelles du mouvement hip hop…
Mr Freeze : C’est clair. Il y a toujours ces valeurs, ça dépend où tu vas, telle boîte de nuit, tel événement… C’est toujours l’interprétation que les gens font de la culture hip hop qui compte.

DWT : Il y a des grands festivals auxquels tu participes aux États-Unis ?
Mr Freeze : Je vais parfois à l’anniversaire des Rock Steady Crew. Mais aux États-Unis, c’est mort le hip hop. Le vrai hip hop qu’on connaît n’existe plus. Ce n’est plus des événements dans lesquels, les gens peuvent se dire « bonjour, comment ça va ?« . En Amérique, Il n’y a plus de substance dans les événements, contrairement à ce que l’on voit ailleurs sur la planète. Il n’y a plus rien de pur. C’est triste ! Il y a quelques années, quand je suis allé à un anniversaire de la Zulu Nation dans le Bronx, il y avait peu être 80 personnes. Quand je vais à celle de Belgique organisé par Philippe, il y a peut être 3 000 à 4 000 personnes. En Pologne, il y aussi un truc immense.

Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

DWT : Que penses-tu de la mentalité française dans le hip hop ?
Mr Freeze : J’étais le premier B-Boy à donner des cours de danse hip hop à l’opéra Bastille au début des années 90. J’avais fait une émission à la TV, pour Canal+, dans laquelle on m’avait reproché d’avoir dit que les français ne savaient pas danser. Je n’ai jamais dit ça. J’expliquais juste les techniques du Poppin et du Locking. Mais un jour, en passant à Châtelet Les Halles, des mecs m’ont abordé en me disant : «Il y a des mecs qui t’en veulent d’avoir dit que les français ne savent pas danser». J’ai demandé qui ? Ils m’ont répondu : «Ils sont en bas, dans le forum». J’étais descendu, énervé, prêt à me battre. Quand j’ai vu les mecs, je leur ai dit : «  Maintenant s’il y en a qui ont un problème avec moi et ce que j’ai dit, on peut parler ou se battre mais un par un. J’étais prêt. Je n’ai jamais tenu ces propos sur la France, pourquoi je dirai ça ? Je suis français, moi aussi. » Ils m’ont tous dit : «  Non ça va, tu es venu comme ça, on te respecte». Mais comment quelqu’un peut penser ça ?
J’ai entendu aussi qu’à Battle Of The Year, un crew américain Battle Born s’est fait huer par le public français qui lançait des bouteilles et des chaises. C’est des copains, je connais ce crew, ce sont des tueurs par terre. Idem pour la sortie d’un crew israélien où il a fallu que la sécurité intervienne. Je n’ai jamais entendu ça ailleurs qu’en France. Pourquoi font-ils ça ? Ils sont à un événement, inventé par des américains, ils écoutent du rap né au U.S.A, des Dj’s, ils s’habillent comme des américains avec des Converse et ils font des «ouh ouh» ? C’est bête mais je pourrais pourtant revenir vivre en France, je m’y sens bien. En Californie ils disent : « J. ». En France : « Ouais, je fais le hip hop français. Je représente ma façon de penser ». Et moi, je réponds : « Tu fais ce qu’on a inventé il y a des années, mais tu le fais en français ». Le hip hop est né à New York dans le Bronx alors vous nous représentez nous. Vous croyez que vous vous représentez mais vous ne représentez rien, juste nous. Je préfère que les gens me voient comme ça, plutôt qu’avec un chapeau sur le côté et des dents en or : « Je représente les quartiers et j’en ai rien à foutre, je suis de la rue ». Ça, c’est de la connerie, je ne veux pas être à coté de gens comme ça car c’est ça qui esquinte la culture. Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches que ça mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

Propos recueillis les 4 et 6 décembre 2012 par Flo.

Dédicaces de Mr Freeze à Sydney, qui représente toujours la culture, et à Solo. A tous les mimes et les cracheurs de feu du début des années 1980 sur l’esplanade du centre Pompidou (Paris)…

…avec Mr Freeze (à droite) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Notre équipe tient tout particulièrement à remercier Mr Freeze pour sa disponibilité et son enthousiasme face aux nombreux échanges que nous avons eu pour vous faire découvrir dans le détail son parcours. Nous le remercions également pour nous avoir donné accès à ses archives photos dont chaque internaute en comprendra les intérêts historiques… Nous vous invitons maintenant à suivre son actualité au travers son projet pharaonique de l’UBC, l’Ultimate B-Boy Championship dont il est le brillant investigateur (voir la présentation vidéo de l’UBC).