Rapattitude : quelle attitude ?!

1990 : Joey Starr m’avait lancé : « de toute façon j’en ai rien à foutre de ta compil, je vais en faire une autre avec Virgin ! ». J’avais appris qu’Emmanuel de Buretel avait convoqué Dee Nasty avec son manager Paul Boussard et leur avait demandé de faire une liste de 10 personnes pour faire une compil dans laquelle figurait effectivement les NTM… Si Joey Starr n’avait pas grillé le truc, c’est moi qui me faisait griller !

Rapattitude fait partie de notre patrimoine, il n’est pas uniquement un outil économique. Au départ de ce projet, il y avait une volonté commune d’une poignée d’activistes de mettre un bon coup de projecteur sur cette scène émergente qu’était le rap et le reggae français. Nous sommes en 1990 et l’histoire allait montrer que l’industrie du disque resserrait déjà son étau sur ce milieu. Ce qui avait peut-être conduit NTM quelques temps après à écrire que « L’argent pourrit les gens »

Une
fausse
date
de
naissance
et
une
usurpation
d’identité

Vingt-deux ans sont maintenant passés. EMI sort in extremis un livre-disque (?) au début du mois d’avril de cette année pour les vingt ans (?) de Rapattitude. Tout portait à croire que cela allait être un beau projet. EMI était en fait uniquement animé par la volonté de ne pas perdre son droit d’exploitation sur cette marque et avait délibérément écarté tous les protagonistes historiques de l’époque.
Or, pour exploiter le nom de Rapattitude, il ne faut pas en usurper l’identité. Pour prétendre à cela, il faut coller au plus près de l’esprit qu’avaient ceux qui ont porté ce projet en 1989 et dont EMI ne faisait pas partie (ndlr : EMI devient propriétaire en 1992), construit au départ de toute pièce par la passion, mais terminé dans un enchaînement d’embrouilles verbales ou physiques : parfois à l’aide d’une chaise, souvent avec des insultes, parfois avec un juge, souvent avec « Pumba le phacochère« , parfois avec un calibre 44 sous le nez et très souvent avec le vice du business.
Olivier Cachin (journaliste musical), qui signe les écrits de ce livre à l’eau de rose, paru chez EMI (ndlr : EMI, éditeur ?), a démontré qu’il n’a visiblement pas l’ambition de raconter en profondeur l’histoire de ce courant culturel, et du labeur qu’il a nécessité, mais plutôt de démontrer sa parfaite envie d’être assimilé, une nouvelle fois, à un journaliste-VRP de maison de disques.

L’histoire s’écrit avec un grand H quand on la respecte et il s’agit tout simplement d’un leurre quand on prétend écrire dans un livre « toute l’histoire du rap français » sur seulement sept pages.

L’histoire s’écrit avec un grand H quand on la respecte et il s’agit tout simplement d’un leurre quand on prétend écrire dans un livre « toute l’histoire du rap français » sur seulement sept pages. Voulait-on nous cacher quelque chose ? Les journalistes avaient-ils été confronté à des conflits d’intérêts ? Ne savaient-ils pas ?
Quant au photographe Alain Garnier, dont le travail remarquable occupe une place bien plus importante dans ce livre, permet d’apporter le seul intérêt et la seule carte de crédibilité à ce projet (ndlr : quelle « chance », Monsieur Cachin, de l’avoir recroisé par hasard au vernissage de l’exposition de Sophie Bramly). Mis à part la divulgation parfaite et inédite de son excellent travail de photographe effectué durant de nombreuses années, ce livre n’aura de mythique que le nom. Mais le mythe s’écroule quand il s’agit d’un faux.

Un
nom
mythique

On confirme qu’il s’agit d’une « fausse joie », comme l’écrivait Laurent Rigoulet dans Télérama (avril 2012), alors inutile de s’étendre d’avantage. Nous préférons nous intéresser au fond des choses. Il s’agit de la première fois où l’histoire de Rapattitude sera retranscrite dans ses détails les plus sulfureux…
Les entretiens que nous avons menés permettront notamment de « réhabiliter » l’histoire et d’y inclure une poignée d’activistes à l’origine de la compilation sortie en 1990 et qui ont permis au nom de « Rapattitude » de devenir mythique. Nous sommes loin de la volonté de réduire les artistes présents sur Rapattitude volume 1 (NTM, Assassin, Tonton David, Saï Saï ou encore Mickey Mossman…) en une bande de saltimbanques chantant qu’un nouveau monde va exister. Les tenanciers du business étaient déjà en place et la compilation « Rapattitude » a rencontré bien plus de difficultés que la seule contrainte imaginaire d’aller enregistrer clandestinement à l’IRCAM, comme nous le précise Christian « Mil » Milia : « il y a fort à parier qu’ils étaient au courant qu’on enregistrait et que Boulez avait fermé les yeux. Surtout la nuit comme ça : quinze lascars qui débarquaient dans les couloirs, qui rentraient et sortaient à plusieurs reprises sur plusieurs semaines, tu crois que ça se baladaient comme ça ? ».

Mil : Il y a fort à parier qu’ils étaient au courant qu’on enregistrait et que Boulez avait fermé les yeux. Surtout la nuit comme ça : quinze lascars qui débarquaient dans les couloirs, qui rentraient et sortaient à plusieurs reprises sur plusieurs semaines, tu crois que ça se baladaient comme ça ?

Benny Malapa (reconnu comme producteur de la compilation) précisera dans un « grand débat » (bientôt la vidéo en ligne sur notre site), dans le cadre de la sortie du livre « Rapattitude », le 13 avril dernier à la Fnac des Halles, que les artistes étaient tous badgés et qu’il ne pouvait en être autrement.
C’est sur ces deux personnages, rencontrés séparément, Christian « Mil » Milia et Benny Malapa, que le récit de la véritable histoire et les dessous sulfureux de Rapattitude va s’articuler.

Christian
« Mil »
Milia

Mil était animateur radio et DJ dans les clubs parisiens dans les années 1980. C’est en côtoyant de près cette culture qu’il y deviendra sensible : « Je sortais beaucoup à l’époque, j’avais une vie assez « rock’n’roll ». On allait chez Roger, au Globo, la fameuse boîte funk. Je me souviens d’un soir débarquer à une soirée où il y avait Dee Nasty, Massadian, et on s’est retrouvé avec Red Alert, PE sur scène. On était 200 en 1987. C’était cool, un peu comme le mythe de Prince au Palace. Il y avait une bonne énergie ». Mil avait déjà une bonne expérience radio (Tropic FM, RFI…) depuis l’avénement des radios libres en 1981. Il se voit proposer une nouvelle émission radio qui va constituer par la suite la base arrière de Rapattitude : « Fin 1986, début 1987 Madj et moi avons eu l’opportunité d’animer une émission sur Radio Beur tous les samedis soir qui s’appelait « Fusion Dissidente ». On passait tout ce qui touchait aux cultures urbaines. La programmation était assez culottée pour cette radio, communautaire de surcroît. L’émission a déchiré très vite. C’était extrêmement pointu et extraordinaire de jouer de la musique pareille sur cette radio. Le rock alternatif était en train de s’essouffler. Le hip hop, un autre mouvement culturel, était en train de naître en France sans que les radios ou les majors n’y attachent d’importance. Il y avait pourtant quelques tentatives mais c’était des trucs de spécialistes qu’il fallait se procurer chez Blue Moon comme le premier « Je Rap » de Nec + ultra, Jhonygo avait déjà plus de visibilité puisqu’il sortait chez Barclay. Mais ce n’était pas encore ça ».

Benny
Malapa

Personnage aux contours sulfureux, était militant politique au sein du Parti des Travailleurs. Son frère, Lionel Malapa était un des gardes du corps du dirigeant, Pierre Lambert. Benny a d’autres attractions et se jette en parallèle dans la réalisation d’un film en 1988 : « j’ai commencé  à bosser sur un film qui traitait de la culture black à Paris : « Paris Black Night ». Comme je ne voulais  pas apparaître à l’écran, j’ai demandé à Madj (militant également dans le Parti des Travailleurs) de s’occuper des interviews. Au cours de nos pérégrinations, nous avons rencontré pleins d’artistes, en particulier de la scène rap et ragga. 
En sortant  d’une interview de Daddy Yod au cours de laquelle Madj avait proposé à l’artiste de le présenter à des labels indépendants, je lui ai dis de ne lui présenter personne car c’est moi qui allait produire son album.
 Par la suite, Sodi (réalisateur historique des Négresses vertes, des Têtes Raides, de Fella et du premier album d’IAM « De la planète Mars ») réalisateur artistique du film, m’a fait découvrir la compilation « Du sang neuf en 89 » , une compilation que connaissaient Madj et Mil, sur laquelle étaient présents de nombreux groupes qu’ils avaient l’habitude d’inviter dans leur émission « Fusion dissidente » : Négresses Vertes, Satellites, Mano Negra, Brut d’Auvergne, etc… C’était le « Rapattitude » du rock alternatif et c’est de cette compilation qu’est née l’idée d’une compilation de rap. (…) Je ne veux pas dire que c’est une idée de Madj ou de moi. Lui le revendique maintenant. Mais non, on était dans un mouvement, on parlait et à un moment où c’était devenu concret, j’ai dit on y va ».

Les
bons,
la
brute
et
le
truand

L’ambition du projet « Rapattitude » comporte ainsi clairement deux paramètres : la valorisation des « cultures urbaines » et, ce qui créera des dommages co-latéraux, le business, tous deux orchestrés, par paliers successifs, par cinq personnages centraux : Madj, Mil, Laurent Vanteau, Benny Malapa et Emmanuel de Buretel. Le rôle de chacun était clairement visible à l’époque mais le climat malsain des relations entre eux fera que l’histoire n’en retiendra que deux : Malapa et De Buretel. Cette compilation n’aurait jamais eu la qualité artistique qu’on lui connaît et ne serait jamais devenu mythique sans l’implication des trois autres, dont Mil faisait partie : « J’avais ces discussions avec Madj en 1989 de faire un disque. Je pense qu’il avait les mêmes avec Benny qu’il côtoyait en dehors de l’émission, dans le militantisme politique ». (…) Ce projet de compilation commence à germer. Alors dans la foulée, je rencontre Benny qu’on me présente comme un mec de gauche, militant, éducateur… donc je fais confiance… (…)

Mil : J’avais ces discussions avec Madj en 1989 de faire un disque. Je pense qu’il avait les mêmes avec Benny qu’il côtoyait en dehors de l’émission, dans le militantisme politique ». (…) Ce projet de compilation commence à germer. Alors dans la foulée, je rencontre Benny qu’on me présente comme un mec de gauche, militant, éducateur… donc je fais confiance…

On n’avait pas les moyens d’enregistrer mais comme Madj et Benny étaient dans un truc politique, ils avaient un pote qui était objecteur de conscience : Laurent Vanteau, et pas n’importe où… à l’IRCAM… Et donc on allait se retrouver avec le top du top du matériel d’enregistrement de l’époque, payé par l’Etat français ! C’était fabuleux. Vanteau devait avoir une bonne image au sein de la direction car ils ne sont pas venus nous emmerder. Et puis Boulez était quand même quelqu’un qui était dans la création… ». Solo se souvient de l’immense opportunité qui s’offre à eux : « Ce studio à l’époque, c’était la Rolls pour enregistrer. D’ailleurs, c’est marrant car nous n’étions pas tous d’accord sur l’optique à prendre sur cet enregistrement. Squat était pour refaire un morceau qu’on avait déjà pré-produit chez nous, qui s’appelait « Je te donne », un truc trop marrant, une espèce d’interprétation hip hop trop vénère du morceau de Goldman où on disait de quelle manière on allait donner des lyrics qui défoncent, des beats qui tuent, etc… D’ailleurs, on avait fait ce morceau en live à l’Elysée Montmartre dans un concert où il y avait tout le monde, NTM, Nec + ultra, etc… et on avait retourné la salle avec ce morceau ! Moi j’étais partie prenante pour faire un autre morceau pour lequel j’avais tout amené pour le composer, y compris les scratchs de Clyde… » et ça donnera un grand morceau de rap français, certainement le meilleur de Rapattitude « La formule secrète » (prévu initialement comme premier maxi extrait de la compil dont Squat avait refusé la proposition).
Benny avait réussi à mettre la main sur Laurent Vanteau, l’ingénieur du son qui allait permettre de porter ce projet dans les meilleures conditions possibles : « Un jour, je suis allé voir l’ingénieur du son du film « Paris Black Night », un objecteur de conscience. Je lui ai parlé de ce projet de compilation, il m’a dit que ça ne l’intéressait pas mais qu’il avait un collègue, objecteur de conscience lui aussi, qui adorait le rap et le reggae. Il s’occupait d’ailleurs d’un groupe qui s’appelait TKC je crois. J’ai mis un mois à le trouver. Le jour où j’ai réussi à l’avoir au téléphone, il m’a  donné rendez-vous à l’IRCAM. A l’époque, je parlais de maquette mais quand j’ai débarqué à l’IRCAM, j’ai découvert des studios de malade, grands comme des champs de courses. Un truc énorme. Je n’avais connu que des studios minables, quand j’ai vu celui là, c’est là qu’a commencé l’idée  d’enregistrer directement un album. ».

Photo © Alain Garnier

Ghetto
Academy

« L’extraordinaire connaissance » des « musiques urbaines » par Mil et Madj confirme leur implication dans la direction artistique de Rapattitude : « on s’occupe en grande partie du choix des artistes. Il s’agît en fait de groupes avec qui on avait sympathisé et qu’on invitait à la radio pendant les trois ans qu’avaient duré notre émission « Fusion Dissidente ». Mil et Madj n’étaient donc pas que des animateurs qui passaient du rap sur les ondes. Ils aiguilleraient la direction artistique de ce projet de compilation en indiquant les groupes à intégrer dont NTM et Assassin. Solo réagira à ce propos : « Ce disque a joué le rôle d’ancrer de manière concrète l’émergence de ce mouvement. Ils ont su capter le bouillonnement et le rendre concret au travers d’un disque. Je dirai que cela a permis d’obtenir une espèce de cartographie des différents styles. S’il n’y avait pas eu Rapattitude, ça aurait été sûrement plus compliqué d’amener à terme les choses.

Solo : Ce disque a joué le rôle d’ancrer de manière concrète l’émergence de ce mouvement. Ils ont su capter le bouillonnement et le rendre concret au travers d’un disque. Je dirai que cela a permis d’obtenir une espèce de cartographie des différents styles. S’il n’y avait pas eu Rapattitude, ça aurait été sûrement plus compliqué d’amener à terme les choses.

Bien que les identités fortes qui ressortent de ce disque seraient à coup sûr arrivées à concrétiser quelque chose, mais chacun dans son coin… Ce que l’on ne peut pas enlever à Rapattitude, c’est que ce disque a été plus qu’une carte de visite, mais plutôt le « blue print » de ce qui allait arriver. C’est Madj et Mil qui viennent nous voir. C’est dommage que leurs noms n’apparaissaient pas, d’autant plus que sans ces personnes, ce disque n’aurait jamais eu la teneur qu’il a et qui fait sa qualité ».
De toute évidence, Mil et Madj avaient un avantage sur Benny, ils connaissaient la musique : « Benny n’était pas dans la musique, le dernier disque qu’il avait acheté à l’époque était Henri Tachan (variété)… Il n’était en tout cas pas dans le hip hop. Il était plutôt dans l’audiovisuel puisqu’il s’occupait du tournage d’un documentaire. (…) Il prend le train en marche mais il n’est pas con, donc il se met à sortir, à rencontrer les gens… ». Le film que tournait Benny, « Paris Black Night », favorisera la présence de certains groupes : « j’avais rencontré Tonton David  dans un sound-system organisé par les Saï Saï, groupe mythique de la scène parisienne (ndlr : les Saï Saï qui avaient tenu des propos très virulents à l’égard de Benny, voir leur interview dans la rubrique archives). Tonton David y  tenait la caisse et toastait en même temps ».
 C’est aussi durant les repérages du tournage que j’ai rencontré Pablo Master un des pionniers du ragga à Paris. C’est Pablo qui m’a présenté Mickey Mosman avec qui ensuite j’ai écrit un titre composé par Mickey avec le bassiste de FFF Nicolas Baby. Pour la compil ils ont constitué un groupe qu’ils ont appelé  U.R.G.E.N.C.E
. A cette époque, les Saï Saï enregistraient pour une autre compilation baptisée  Earthquake. Je suis allé les voir en studio à Bagnolet et j’ai rencontré Ejm qui enregistrait « Nous vivons tous dans un monde de violence ». J’ai découvert que Madj connaissait les producteurs. En fait, tout le monde se connaissait un peu, soit par la musique, soit parce qu’ils étaient du même coin. J’ai connu New Generation MC’s grâce à Casa, des Black Panther’s, qui est aujourd’hui le responsable de la sécurité du New Morning. Il animait une association qui organisait des soirées où il invitait des rappeurs de la banlieue Est et Sud. Je profite de ce moment pour parler de la personne qui a été mon guide dans la nuit : Djida, qui était un copain d’adolescence de Cathy et qui trustait la sécurité de toutes les soirées branchées et black music de Paris avec Grand Jack. Saliha est venue par les New Generation car elle faisait partie comme eux du MA (Mouvement Authentique).
 Dee Nasty était incontournable car sans son émission sur Nova avec Lionel D le rap français n’aurait jamais existé à ce niveau là. 
On tenait à mettre Lionel D mais le label qui l’avait signé, Squatt Music (sous division de Sony) avait refusé pensant que ça leur aurait fait de l’ombre. C’était une erreur stratégique de leur part car au contraire cela aurait assuré de la visibilité à Lionel D. dont l’album a été très vite estompé par Rapattitude et le succès des groupes qui en étaient issus. 
Mc Solaar, qui faisait partie du 501 posse, avait souhaité y participer mais quand il m’a proposé un morceau dans une soirée appelée « Zoopsie », il était trop tard, nous avions fini les enregistrements.
 Peter Pan (devenu par la suite Pierpoljack) et Supa John étaient au départ prévus sur la compil mais on a rompu avec eux car il y avait eu des problèmes en studio et je ne voulais pas continuer la collaboration ». Les problèmes que Benny ne développent pas sont des vols de matériel, micros notamment, et qu’il a fallu rembourser pour ne pas porter préjudice à Laurent Vanteau vis-à-vis de L’IRCAM.

Emmanuel
de
Buretel

Un autre projet de compilation se montait en parallèle et Emmanuel de Buretel en aurait été l’investigateur en sous-marin. Joey Starr avait indirectement averti Benny à ce sujet : « Dès le début, c’était tendu avec Joey Starr : il ne nous faisait pas confiance. Les NTM faisaient déjà plein de trucs, ils étaient hyper branchés, avec Mondino, leur manager était le  mari de Nina Hagen et l’attaché de presse de Jean Paul Gaultier, etc… Donc pour le buzz, ils n’avaient pas besoin de nous. Mais nous étions les seuls à les avoir enregistrés. Donc tous les samedi, Kool Shen appelait pour qu’on leur file les enregistrements, de leurs play-back pour des concerts ou autres. Un jour, c’est Joey Starr qui a appelé. Ma femme, qui était aussi mon associée, a répondu au téléphone mais la conversation a mal tourné et Joey a raccroché. Il a rappelé deux minutes après et c’est moi qui lui ai répondu. Je lui ai dit « écoute Joey, on est pas bien ? On est mauvais ? On est nul ? Tu sais ce que tu fais ? Demande moi de t’effacer de la compil et je t’efface. Ca sera fini et on n’en parlera plus jamais ». Là encore il m’a menacé. Avant de raccrocher, il  m’a balancé : « de toute façon j’en ai rien à foutre de ta compil, je vais en faire une autre avec Virgin ! ».

Benny :  Joey Starr m’avait lancé : « de toute façon j’en ai rien à foutre de ta compil, je vais en faire une autre avec Virgin ! ». J’avais appris qu’Emmanuel de Buretel avait convoqué Dee Nasty avec son manager Paul Boussard et leur avait demandé de faire une liste de 10 personnes pour faire une compil dans laquelle figurait effectivement les NTM… Si Joey Starr n’avait pas grillé le truc, c’est moi qui me faisait griller !

Benny veut en savoir plus et contacte la seule personne qu’il connaissait dans le métier à l’époque : « J’avais demandé à Sodi de se renseigner et il m’avait appris qu’ Emmanuel de Buretel avait convoqué Dee Nasty avec son manager Paul Boussard et leur avait demandé de faire une liste de 10 personnes pour faire une compil. Dans la liste qu’ils ont rendu figurait effectivement les NTM.(…) Si Joey Starr n’avait pas grillé le truc, c’est moi qui me faisait griller ! De Buretel aurait fait la même chose que moi. Peut être d’une façon différente mais bien plus vite et avec des moyens… De Buretel savait  vaguement qui j’étais mais moi je ne le connaissais pas. Je lui avais téléphoné et lancé : « Alors ? on chasse sur les mêmes terres ? ». Il m’avait affirmé que non. Je lui avais alors dis qu’il allait falloir se mettre d’accord car sinon ça allait être la guerre… ». A l’issue de la conversation, De Buretel avait fixé un rendez-vous à Benny un mois après : « Quand j’ai débarqué dans son bureau et qu’il m’a vu, à l’époque je pesais 150 kilos, il s’est dit que j’arriverais mieux à gérer la production car ça faisait six mois qu’il ramait pour essayer de faire quelque chose avec Johnny et Destroy Man et il n’y arrivait pas ». De Buretel s’était donc résigné à garder Benny et son projet en se disant probablement qu’il lui reprendrait tout plus tard. Et c’est ce qui s’est passé…

La
plan
social
de
Labelle
Noire

Bien que Mil et Madj et Benny sont « potes », pour reprendre l’expression de ce dernier, et qu’au départ ils fondent ensemble l’association « Labelle Noire » (ndlr : car il s’agissait au départ d’une association), leur travail de collaboration sur le projet se dégrade lourdement. Mil témoigne : « Je faisais remarquer à Madj que le business se montait dans notre dos. Des pourparlers entre Benny et De Buretel étaient engagés. En bon connaisseur du hip hop à New york et au fait de la qualité des groupes présents sur ce projet, De Buretel se rend à Mantes voir NTM se produire et constate le potentiel du groupe. Il ira également les voir encore dans une autre banlieue. Il propose alors une avance à Benny pour qu’ils signent ensemble. Benny commence ainsi à s’envoler. Les ennuis démarrent. On va rentrer en guerre, maintenant on le sait, il y aura un problème avec Benny. Il verrouille tout et applique une rétention d’information.

Mil : De Buretel propose alors une avance à Benny pour qu’ils signent ensemble. Benny commence ainsi à s’envoler. Les ennuis démarrent. On va rentrer en guerre, maintenant on le sait, il y aura un problème avec Benny. Il verrouille tout et applique une rétention d’information.

Benny et Cathy me rendent les dix ou quinze mille francs que j’avais emprunté pour la constitution de la SARL Labelle Noire afin que je quitte la structure juridique. Je gardais en outre la propriété de la marque Labelle Noire que j’avais déposée à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) » sans que Benny ne soit au courant… Cette nouvelle responsabilité de producteur auquel Benny était confronté avait installé des paradoxes : « ils me remettaient en cause en me disant que je me faisais niquer par l’industrie.
 Madj venait me voir en me disant que les artistes ne comprenaient pas les contrats, qu’ils n’étaient pas contents. C’est là que ça a commencé à clasher. Il ne voulait pas se placer du point de vue du producteur, il ne se plaçait que du côté des artistes alors que normalement on était embarqués dans la même galère. Dans les discussions avec les artistes, au lieu de le retrouver à mes côtés pour me soutenir, je me retrouvais face à l’artiste que Madj appuyait même dans des revendications absurdes. Il était ambivalent.
 Je leur disais qu’on n’avait pas signé, qu’on avait un an à attendre et qu’on pouvait tout perdre. A chaque fois qu’on se réunissait, je me faisais contrôler.
 Quand je leur demandais où ils en étaient : pas de réponse… Un jour, je leur dit c’est terminé. On avait rien signé. J’en avais marre d’être le mec qui devait rendre des comptes alors qu’ils n’en rendaient aucun. Ca a été une source d’emmerdements, de haine. (…) Tout l’été, j’étais à l’IRCAM, pour enregistrer, me coltiner avec les mecs : ils m’ont volé des micros, etc. mais j’ai tenu. La seule fois où j’ai laissé Madj seul à l’IRCAM, il a manqué de se fritter avec Mickey Mossman et les enregistrements ont été stoppés. A chaque fois qu’on se réunissait, je me faisais contrôler.
 Aujourd’hui je ne ferai pas comme ça, je poserai les trucs légalement et chacun aurait des points en fonction de ce qu’il a fait ».
La compilation était finalement entièrement enregistrée, tant bien que mal… Benny avait un certain bagout de militant, une quarantaine d’années, ainsi qu’une corpulence imposante, ce qui lui avait sûrement permis de prendre la liberté de trancher et ainsi d’écarter Mil et Madj du projet : « Ce serait faux de dire qu’ils n’ont rien fait. Mais à cause de ce qui s’est passé ça a été la rupture alors que si ça s’était réglé dans un cadre amico-juridique, on aurait chacun pris notre part à la hauteur de l’investissement du temps et de l’argent de chacun et là il n’y aurait pas eu photo ». Or, il n’y avait pas eu de cadre « amico-juridique » et Mil et Madj n’avaient donc reçu aucune part. Aucune part non plus pour la rétribution du travail d’Alain Garnier (photographe) qui avait réalisé toutes les photos des artistes pour la pochette intérieure du disque. Mais pour Alain Garnier, la justice se chargera de l’affaire à son avantage. Emmanuel de Buretel avait tout de même essayé de tempérer la situation en convoquant Mil : « Laurence Touitou était l’interface de Virgin, sous les ordres de De Buretel. Laurence Touitou étant au courant des merdes, De Buretel, m’avait invité dans son bureau. Il m’avait dit en gros qu’il savait très bien qui avait fait quoi, l’implication de chacun… et m’avait proposé la place de directeur artistique de la compilation… mais j’avais refusé car je ne pouvais pas accepter de me retrouver sous les ordres de Benny qui, dès qu’il y avait du pognon, te la mettait… et de surcroît pourtant présenté comme communiste, humaniste… Ce n’était pas possible pour moi d’accepter ça.  Ca avait fait doucement ricaner De Buretel mais il y avait du pognon en jeu, donc ça l’avait pas fait rire plus de 5 minutes… ».

L’oeil
de
Moscou

Benny et Madj se connaissaient avant ce projet de compilation. Ils militaient ensemble au Parti des Travailleurs. Mais il n’était pas question pour eux de mêler la politique dans cette histoire, comme cela avait été fait par exemple quelques années plus tard et honorablement par Madj au travers du très célèbre maxi « 11’30 contre contre les lois racistes » dont les bénéfices avaient été reversés au Mouvement de l’Immigration et des Banlieues. Cela dit, ils militaient tout deux dans la même organisation politique. Il y a fort à penser que l’un se dresserait difficilement contre l’autre. Surtout quand l’un des deux est le frère du garde du corps du dirigeant… Benny précise : Mon frère (ndlr : Lionel Malapa, militant et garde du corps du dirigeant du Parti) n’était pas d’accord avec moi. Il me poussait à trouver un accord avec eux car il craignait que cette histoire explose et sorte dans les médias sous un jour dégueulasse. A l’époque, l’organisation dont je faisais parti et dont je suis toujours membre subissait des attaques calomniatrices des médias qui essayaient de la salir ». Sans commentaire.

Le
vice
et
le
tournevis

Le moment était venu de se confronter réellement aux aspects juridiques et business du projet. Benny travaillait dorénavant seul avec sa femme, Cathy, avec qui il était associé : « En mai 1990, quand Cathy a voulu déposer les noms Labelle Noire et Rapattitude à l’INPI, on a appris que Mil l’avait déjà fait à son nom et celui de sa copine… On a déposé un référé au Tribunal. Joey Starr et Kool Shen avaient écrit un témoignage en faveur de Mil, ainsi que Mode 2 l’artiste qui avait dessiné le logo. Le problème, c’est qu’on avait payé Mode 2 et qu’on avait une facture signée par lui avec une cession de droits en bonne et due forme. C’est comme ça qu’ils ont perdu et que Mil a été condamné à nous rembourser des sommes importantes d’argent que nous n’avons jamais réclamées. La condamnation n’était pas ce qui comptait, on voulait juste gagner et qu’il n’y ait aucune ambiguïté ».
Le projet de Rapattitude est apporté par Benny aux portes de l’industrie du disque. L’étau se resserre : « On a signé Rapattitude avec Virgin en mars 1990, peu de temps avant la sortie. Je pense que De Buretel nous gardait volontairement sous le boisseau pour que ça ne sorte pas ailleurs. Il était éditeur. On avait besoin d’argent pour les dépenses qui s’accumulaient car je donnais de l’argent de ma poche pour tous les frais … Il nous avait avancé 70 000 francs (ndlr : environ 11 000 euros) et fait signer une reconnaissance de dettes qui stipulait que si je ne remboursais pas avant le 30 avril 1990 il devenait co-producteur. On reçoit l’accord de Virgin et un chèque de 200 000 francs (ndlr : environ 30 000 euros). Le 28 avril, je retire 70 000 francs en liquide. Je vais voir de Buretel à son bureau, il est pressé et me demande de l’accompagner chez  Sony puis de ramener sa voiture à Virgin. A ce moment-là, j’ai les 70 000 francs sur moi mais je ne lui dis pas. Dès que je l’ai déposé, je fonce à Virgin avec sa propre voiture. Je rencontre Angelo, son directeur financier, un type honnête. Je rembourse, voilà, c’est fini, il ne sera pas co-producteur… A minuit, je reçois un coup de fil de De Buretel qui m’insulte « t’es un enculé, qu’est ce que t’as fait ?! Ça n’est pas valable, la signature d’Angelo ne vaut rien, etc… ». Je m’étais renseigné auprès d’un avocat : même si j’avais remis l’argent à un coursier de la boîte et qu’il m’avait rendu la reconnaissance de dettes avec la date et un coup de tampon, il l’avait dans le baba.

Benny : A minuit, je reçois un coup de fil de De Buretel qui m’insulte « t’es un enculé, qu’est ce que t’as fait ?! Ça n’est pas valable, la signature d’Angelo ne vaut rien, etc… ». Je m’étais renseigné auprès d’un avocat : même si j’avais remis l’argent (70 000 francs en espèce, environ 11 000 euros) à un coursier de la boîte et qu’il m’avait rendu la reconnaissance de dettes avec la date et un coup de tampon, il l’avait dans le baba.

Je dis à Emmanuel de Buretel que je ne comprends pas pourquoi il s’énerve comme ça puisque je lui ai rendu l’argent que je lui dois. J’ai compris finalement qu’il voulait être co-producteur mais surtout que je ne ferais pas long feu avec lui, et que sans cet épisode, j’aurais encore moins fait long feu…
 Quand il m’a permis de signer avec Virgin Music, De Buretel avait exigé d’avoir les éditions. Je n’avais même pas contesté car je n’y connaissais que dalle. Il ne m’avait rien expliqué non plus. Il savait par contre ce qu’il faisait à tel point qu’ayant signé en édition chez BMG, EJM avait failli ne pas se retrouver sur Rapattitude car De Buretel m’avait demandé de le laisser tomber. Je lui ai ramené tous les mecs pour qu’ils signent, c’était une galère. J’avais par exemple été contraint de ramener Supa John presque par la force. Il ne voulait pas y aller et me disait de lui filer simplement 1 000 balles pour son travail de co-composition de la musique « Peuples du monde » (Tonton David). Lorsque que je l’ai vu récemment à l’enterrement de la sœur de Princesse Erika, il m’a dit que j’étais le premier, peut-être le dernier, qui lui a fait obtenir  un chèque de 150 000 balles (ndlr : environ 22 000 euros)…
 En 1992, je cède Labelle Noire à Virgin. EMI éditions me proposent alors  50 % des éditions dans l’espoir que je maintienne tous les artistes de Labelle Noire chez eux et qu’ils ne partent pas chez Delabel Editions qu’Emmanuel venait de créer. Mais en 1993 voyant la force que prenait ce business, EMI me convoque et m’informe que les contrats que j’ai signé sont caducs et que je n’ai plus rien à attendre de leur part. Je suis allé voir mon avocat Maître Jarraud (avocat spécialisé dans  les droits d’auteurs et les contrats d’artistes) qui m’a alors déclaré que le contrat étant très mauvais, que je ne pouvais rien faire et que je perdrais tout si je me lançais dans une procédure. Trois ans après, une comptable de EMI, disciplinée et honnête (décidément comme on l’a vu précédemment, les comptables sont plus honnêtes que leurs patrons) m’envoie deux factures me demandant de régler une partie des frais de maquette d’IAM, 35 ou 40 000 balles et 25 000 balles de partage de « tour support » de Tonton David… Comment peut-on demander à un mec de partager alors qu’il n’est plus éditeur ? Je prends mes deux factures, je fonce en  taxi chez Sylvain Jarraud, je lui montre les documents. Il devient blême et se met à suer à grosses gouttes. Je le regarde étonné et lui demande « qu’est ce qu’il t’arrive Sylvain ? ». En fait, il était également l’avocat « personnel » du directeur général d’EMI France, celui qui me privait de mes droits. Ce qui est tout à fait contraire à la déontologie. Il aurait dû renoncer à l’un ou à l’autre de ses clients. J’aurais pu envoyer une lettre au Barreau de Paris, ça lui aurait coûté un max et peut-être sa carrière… Mais je crois en ce que les Américains appellent »poetic justice » : la justice poétique. Le droit finit toujours par triompher. Il me dit : « va voir Maître Gabrielle Oudinot, ça a été mon adversaire, elle est excellente ». J’y vais, elle me confirme que mon contrat est très mauvais mais que mon histoire est très bonne. On fait le procès contre EMI et on gagne… Pour prouver ma bonne foi, j’ai  remis toutes mes archives au tribunal et je ne les ai  d’ailleurs jamais récupérées. La juge a mis un an pour décréter que j’avais raison. EMI a fait appel, Akhenaton et Imhotep ont témoigné contre moi, petit regret sentimental pour moi, mais sûrement pour des raisons de pognon pour eux je pense. Quoiqu’il en soit, ils avaient tellement bien témoigné contre moi que leurs témoignages ont été annulés et on a également gagné en appel ».

La
chaise
musicale

Des milliers de jeunes commencent à cette époque à écouter cette musique. Benny propose a Virgin de créer un événement majeur le soir de la fête de la musique : organiser un concert gratuit avec tous les artistes de la compilation : « On obtient Bobino gratuitement mais en contrepartie, on leur laisse le bar. Il fallait retirer gratuitement ses places à NRJ. Des mecs assaillent la FNAC pensant que les places sont en vente. Dans tout Paris, il n’y a plus aucune place disponible.
J’avais eu l’idée plus ou moins heureuse de faire installer un ring au milieu de la salle en guise de scène pour qu’il y ait une ambiance particulière. On m’avait conseillé un régisseur qui ne savait finalement pas y faire : François R. qui bossait habituellement avec de grosses troupes de danse. Pendant les réunions, je le trouvais brusque, je lui disais « fais attention François, tu vas les heurter, cette fois tu n’as pas affaire à des danseuses, vas y mollo « . Les NTM étaient hyper exigeants, ils ont fait  une balance qui a duré près de trois heures. Tous les groupes venaient me voir pour protester. Personne n’osait protester directement auprès des NTM : ils avaient 120 personnes en loge qui ont liquidé le catering en quelques instants. Les ingénieurs de la boite qui nous louaient la sono ne savaient pas y faire et l’installation de la scène au milieu de la salle posait un problème. Je demande finalement à installer la sono en façade  pour une configuration classique J’étais anxieux, on attendait 2 000 personnes, ça allait être bondé. La sécu arrive en retard. Je faisais ce que je pouvais. Le régisseur, François le connard, était devenu tout mou. A un moment  Kool Shen  grimpe les escaliers qui séparaient la salle de l’endroit où était installée la sono et m’agresse verbalement. Ni NTM, ni moi n’avions vécu d’événement de cette ampleur, il aurait fallu qu’on coopère. Je finis par m’engueuler avec Kool Shen, Joey Starr se pointe et  surenchérit. Il me traite de « gros porc » et, comme Pumba le phacochère dans « Le roi Lion », c’est une insulte que je ne supporte pas. Je me propulse vers lui, il tombe sur le sol et je l’étouffe sous mon poids.

Benny : Je finis par m’engueuler avec Kool Shen, Joey Starr se pointe et surenchérit. Il me traite de « gros porc » et, comme Pumba le phacochère dans « Le roi Lion », c’est une insulte que je ne supporte pas. Je me propulse vers lui, il tombe sur le sol et je l’étouffe sous mon poids.

Tous ses potes arrivent et me lattent. Le régisseur fait comme s’il ne se passait rien. C’est Cathy, mon associé et ma femme, qui crie et essaie de me dégager. On finit par se relever mais sous le prétexte de nous séparer, les mecs d’Assassin et d’autres me tiennent. Joey Starr est un peu plus loin, mais personne ne le retient, il prend une chaise et me la balance « en cloche » et je la reçois sur la tête, je saigne. Je deviens dingue et me dégage, mais Joey cours plus vite que moi… A peine le temps de me soigner, j’ordonne à la sécurité de virer les NTM et leurs potes des loges. Je dis qu’« ILS NE JOUERONT PAS CE SOIR ». Mais Cathy me dit que plein de jeunes sont venus pour eux, que leur futur éditeur et futur label viennent aussi pour les voir sur scène. Elle me convainc qu’il ne pas faut pas les retirer du programme. Je rejoins son avis et je demande à voir Joey et Shen en tête à tête, dehors devant Bobino. Je leur demande « quel est votre problème ? ». Joey me rétorque que ce n’est  pas professionnel. Je lui précise que c’est un des premiers gros concerts de rap français indépendant et que bien sûr, nous apprenons, tout comme eux. Je leur annonce que grâce à Cathy, leur passage est maintenu, d’ailleurs ils la remercieront. Fallait-il faire un lien entre l’esprit de camaraderie qui régnait entre les animateurs de Fusion Dissidente et NTM et l’affront physique qui avait été fait à Benny ? La réponse se situe peut-être dans les propos de Mil : « Etant baigné une procédure judiciaire contre Benny, ça commençait à pas mal partir en cacahuète. C’est un peu flou dans ma tête mais Benny et moi on ne se calculait plus. L’organisation du concert à Bobino était un casse-tête et ça bouillonnait. Joey avait appris qu’on avait eu des embrouilles avec Benny. Afin de laver notre honneur, il avait finit par mettre ce soir-là une chaise dans la gueule de Benny… Un peu plus tard, après ces embrouilles, j’ai eu une discussion avec les artistes en leur disant que tout le monde allait venir les voir, les flatter mais je leur avais donné un conseil : signez avec qui vous voulez, mais ne signez pas avec Benny. Et tous les artistes s’étaient barré à droite à gauche, NTM chez Epic, etc. Labelle Noire aurait pu devenir LE label de rap ou voir LE label de black music. L’histoire fera que ça ne deviendra pas grand chose. » Les espoirs de Benny de travailler par la suite avec les artistes de Rapattitude s’envoleront : « Je me voyais vraiment travailler avec Assassin mais ils sont partis chez Remark.
 Je voulais aussi signer EJM mais ça ne s’est pas fait. Le seul qui soit resté, c’était Tonton David. Je ne voyais pas ces affaires de business comme un coup de Trafalgar, j’étais conscient que nous étions sur un marché et que ce ne sont pas des questions morales qui le gouvernent. Il y a eu moi, mais après il y a eu : Sentinel Nord, Big Cheese, la Cliqua, le Secteur Ä, puis le 45 Scientific et j’en oublie. Quels sont les labels de rap qui ont réussi à survivre au départ des artistes qu’ils avaient contribué à développer vers les majors ? »

Un
environnement…
hostile

Benny et Cathy Malapa poursuivent tout de même leur parcours de producteurs mais l’entourage n’est plus le même. Ils sont maintenant en immersion dans l’industrie du disque et l’absence de ressources artistiques et humaines dont disposaient Mil et Madj représenteront peut-être un handicap pour la suite. Le deuxième volume de Rapattitude en est un exemple frappant. Cette nouvelle compil ne réussira absolument pas à susciter le moindre engouement que le volume 1 avait brillamment réussi à faire. Benny avait pourtant réussi entretemps à produire un album d’une importance capitale et qui fera date : « De la planète Mars » d’IAM. La présence d’IAM sur le deuxième volume de Rapattitude ne suffira pas à Benny pour le rendre incontournable : « Je n’ai pas sû comprendre que j’avais eu un sacré coup de bol sur le premier Rapattitude. C’est-à-dire une super idée dans une situation favorable où personne ne voulait, ni ne pouvait structurer cette scène naissante. Avec Virgin qui devait être le leader de l’innovation pour concurrencer des grosses machines comme Polygram, BMG, Sony, etc. Il ne faut pas négliger le rôle d’Emmanuel de Buretel qui « était le seul, après Patrick Zelnick le fondateur de Virgin France, et il le prouve avec Because, qui avait une vision de la façon dont devait se développer le marché musical : en restant musical et en ne vivant pas que de compils et de téléréalités. Il ne suffisait pas de reprendre la même bonne idée et recommencer. Il fallait une autre idée encore plus puissante que la première. Pourtant sur Rapattitude 2, il y avait IAM et Nuttea. Mais sur Rapattitude 1, on était au cœur d’un mouvement en marche dont on avait pris le haut du panier et qu’on avait porté. On n’avait pas fait beaucoup d’erreur sur l’artistique. Pour la suite, il aurait fallu être entouré mais Cathy et moi, nous étions seuls dans un environnement hostile ou tout le monde, même notre label distributeur, voulait notre peau ».

Il serait possible de développer encore mais on n’en dira pas plus car cela nous semble suffisant pour rendre à l’histoire ce qui lui appartient, sans avoir à évoquer par exemple une querelle réglée par arme à feu, ni prendre partie pour X ou Y car nous ne sommes amis avec aucun des protagonistes de cette compilation. D’ailleurs, même si c’était le cas, l’article aurait été impartial. L’élément majeur demeure avant tout que Rapattitude incarne la déflagration de l’entrée du rap dans le business et l’emprise de l’industrie sur celui-ci. Le climat particulier aura au moins servi aux artistes de comprendre dans quoi ils allaient mettre les pieds… Tout n’a pas été si facile et tout ne tenait qu’à un fil… Et puis d’ailleurs : qui sait ? On ne nous a peut-être pas tout dit ? Nobel

Photo © Alain Garnier

Benny Malapa a, par la suite, produit et réalisé différents documentaires et courts métrages dont « Rapbizz ». Il vient de finir l’écriture d’un long métrage musical qui retrace « la vie d’un jeune mec qui prend conscience de ses capacités musicales et qui s’en empare pour sortir de l’impasse où il se trouve ».
Christian « Mil » Milia est devenu acteur et a tourné dans plusieurs films. On a notamment pû l’apprécier dans le nouveau film de Rabah Ameur-Zaïmeche, sorti le 25 janvier 2012 : « Les Chants de Mandrin ».