Viens faire un tour avec Demi Portion

On m’appelle « l’ancien », « les anciens »… Eux sont dans le futur.
Nous, on est dans le passé…

 Demi Portion - Down With This DWT Magazine - Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

On a souvent eu écho de Demi Portion ces dernières années. On entendait toujours de bonnes critiques. Mais pour nous, les bonnes choses, c’est sur la durée qu’elles se vérifient : bien après le « buzz ». On ne s’emballe jamais d’une manière générale, à tort ou à raison d’ailleurs. C’était à tort cette fois. Le pédigrée du bonhomme jouait pourtant à son avantage : parrainé par Adil Al Kabir, puis par la Scred : on n’aurait pas pris beaucoup de risque en l’interviewant. Puis des morceaux nous parviennent, tous aussi intéressants les uns que les autres. On prend le temps de réécouter et de s’apercevoir qu’il y a une bonne énergie, du sens… De quoi consolider fièrement nos attaches avec le rap français. Et quand on va à sa rencontre pour son interview : c’est le frère Mokless qui nous accueille… Alors on s’assoit volontiers à la table des gens respectables pour une discussion informelle autour d’un café canadaire. Pour la petite histoire, c’est non loin du lieu de tournage de « Demi Parrain », à Casablanca, qu’on a retranscrit et mis en ligne cette interview. Histoire d’être en phase, comme toujours.

Down With This : Quand est-ce que tu rentres-tu dans les rangs ?
Demi Portion : Je découvre la culture hip hop il y a plus de 20 ans grâce à Adil Al Kabir, un rappeur de Sète du groupe Les Disciples.

DWT : …Disciples du Mouv’…
Demi Portion : Exactement, Disciples du Mouv’. C’est grâce à Adil que j’ai appris le hip hop. En 1996, je fais mes premières scènes, des première-partie, grâce à lui et les Disciples du Mouv’. J’écris donc ma première musique à ce moment. Je garde cet unique couplet pendant à peu près un an et demi. Adil faisait les premières parties de tous les gros groupes de l’époque et m’invitait dans son show. Je faisais les deux premières minutes. Je n’ai pas commencé par des enregistrements mais par la scène.

DWT : …qui est une bonne école.
Demi Portion : Exactement.

C’est grâce à Adil que j’ai appris le hip hop. En 1996, je fais mes premières scènes, des première-partie, grâce à lui et les Disciples du Mouv’. J’écris donc ma première musique à ce moment.

DWT : Avais-tu une approche globale de cette culture à ce moment ?
Demi Portion : C’est plus par la danse que j’ai appris le hip hop, le breakdance, les fameuses boums quand on était petit. J’ai commencé en 1995, quand j’avais 11/12 ans. C’était un jeu, comme le football. Ce n’était pas sérieux au départ.

DWT : Tu parlais d’Adil tout à l’heure, on se souvient aussi de groupes comme Boss Phobie, Design de Montpellier, Oxford Université de La Paillade, Montpellier également… Qu’est ce que ça représentait toute cette scène dans votre région à l’époque ? Vous avanciez de manière collective ?
Demi Portion : Exactement, c’est des gens qui venaient à Sète, qui connaissait Adil… Je dirai même que tout s’est formé autour d’Adil à l’époque : le hip hop, les festivals, la venue des artistes. Le break aussi venait à Sète, des mecs venaient pour s’entraîner car il y avait Storm, Käfig… Aktuel Force venait aussi s’entraîner à Sète… J’avais connu Nasty, Némir à cette époque. C’est Adil qui a tout fait chez nous. La source, c’était Adil Al Kabir. Tout est passé par lui, et Fabe par la suite…

DWT : Avant de parler de Fabe, restons un moment sur cette période si tu veux bien. Il y avait également une grosse effervescence à Paris, comme à Marseille finalement. Pourquoi ces affinités avec le nord alors que vous auriez pu vous diriger plus naturellement vers Marseille, où il y avait pas mal de choses qui bougeaient ?
Demi Portion : J’ai connu Marseille. J’y allais beaucoup pour ma part, avant d’aller à Paris, vu que c’était près de chez moi. Je faisais des ateliers avec Namor, à la Friche / Belle de mai, en 1998/1999. J’ai connu Kenny Arkana à cette époque. J’étais un peu rattaché à Marseille. Il y avait aussi 45 Niggaz, l’Algérino, également des DJ’s comme DJ Rebel. J’y ai des souvenirs car j’étais attaché à Marseille. J’écoutais beaucoup IAM, Fonky Family plus que NTM. Puis il y a eu l’arrivée de la Scred Connexion… Rocca, 2Bal 2Neg, Sléo… Je me suis dit qu’il y avait Paris aussi.

Je faisais des ateliers avec Namor, à la Friche / Belle de mai, en 1998/1999. J’ai connu Kenny Arkana à cette époque. J’étais un peu rattaché à Marseille. Il y avait aussi 45 Niggaz, l’Algérino, également des DJ’s comme DJ Rebel. J’y ai des souvenirs car j’étais attaché à Marseille.

DWT : Par rapport à tout ce que tu as pu connaître à l’époque d’Adil, penses-tu que le sud a manqué de structures pour que le hip hop puisse s’y développer sans avoir à passer par la capitale ?
Demi Portion : Dans le sud, quand tu fais du rap, tu n’espères pas trop percer, ce n’est pas trop le but. Tu es isolé, un peu loin et tu te dis que tu fais ça pour le plaisir, pour les soirées, les potes… comme tout rappeur au début finalement. Puis tu as envie de rapper ton couplet ailleurs, le faire partager, l’exporter…

DWT : Coup dur lorsqu’Adil a pris la décision d’arrêter…
Demi Portion : Exactement. Adil était mon exemple. Il l’est encore aujourd’hui. Il a arrêté en 2003, au bon moment. C’était un choix que j’ai accepté car Adil est un grand frère pour moi. Il a arrêté pour une bonne cause. C’est humain. Puis il y a DJ Saxe qui est parti à Dijon, pour voir s’il pouvait avancer. Je ne sais pas si on a besoin de partir pour avancer. J’ai repris depuis 2003 les ateliers d’Adil à la Passerelle. J’y travaille depuis 12 ans mais j’assiste aux ateliers depuis 1996 : 19 ans d’ateliers…

DWT : Tu évoquais Fabe tout à l’heure. On sait qu’il a eu une influence majeure sur toi et qu’il t’hébergeait quand tu étais sur Paris. Il t’a pris sous son aile en quelque sorte…
Demi Portion : Fabe était venu à Sète, grâce à Adil encore une fois. Il avait posé sur « A force de tourner en rond », sur le EP d’Al et Adil. A cette époque, j’avais fait un « tremplin » pour pouvoir gagner un enregistrement : trois jours de studio. C’était sur le port, au phare de Sète plus précisément. Mais c’était une soirée chaotique, tout s’est un peu saccagé, le bordel, la scène est partie en couille, etc… Et Fabe était dans le jury. Je me souviens que j’avais mal fait mon truc, vu les conditions, vu le stress, etc… J’ai perdu mais je devais gagner. Il m’a repéré et m’a invité à Paris, chez lui, pour que je puisse enregistrer, sans avoir à gagner de concours. Du coup, j’ai enregistré sur « Bonjour la France », la cassette. C’était mon premier enregistrement. Ensuite, on a fait « Extra large », la cassette de Less du Neuf, en 1999/2000.

Demi Portion Fabe DWT Magazine - Archive - Down With This

Demi Portion et Fabe – Photo © Archives personnelles Demi Portion

C’était une soirée chaotique, tout s’est un peu saccagé, le bordel, la scène est partie en couille, etc… Et Fabe était dans le jury. (…) Il m’a repéré et m’a invité à Paris. (…) Il me demandait d’aller au Musée du Louvre, il me posait des tickets de métro, un plan…

DWT : Quels ont été les contours de ton premier séjour à Paris ?
Demi Portion : (il jette un œil sur Mokless) J’ai connu Mokless en même temps. Je le voyais quand il venait enregistrer chez Fabe au moment de la préparation de l’album « La rage de dire ». A l’époque, il y avait China, la chanteuse, copine à Fabe, qui est sur tous ses albums. J’étais là, posé, le petit jeune, le petit frère de Fabe…

DWT : C’était formateur ?
Demi Portion : Ben, je ne faisais pas trop de rap. C’était le début, Paris… Fabe me demandait d’aller au Musée du Louvre, il me posait des tickets de métro, un plan… Ce n’était pas rap. C’était plus « petit frère à qui on essayait de montrer autre chose ».

DWT : C’est bien, c’est respectable de sa part. Comment il va ?
Demi Portion : Super bien.

DWT : Tu n’entretenais pas de liens avec la Scred au niveau du rap ?
Demi Portion : Avec la Scred, c’était toujours en mode « salam, ça va, la famille, tu vas bien, ça fait plaisir de te voir sur Paris » mais jamais un son, jamais « ouais le hip hop ça va ? ». Jamais on parlait de rap, on était dans des relations de tous les jours. J’ai grandi aussi un peu chez Koma, au rez-de-chaussée… Je ne savais même pas que j’allais faire du rap. Je rappais comme ça. Je n’avais jamais enregistré. J’étais un auditeur, j’écoutais des mix-tapes, j’écoutais La Contrebande (rires)

DWT : Qu’est ce que tu retiens de ton fameux freestyle à TMaxx en 2007 ?
Demi Portion : Avant ça, j’étais monté sur Paris pour promouvoir un maxi, Les Grandes Gueules, mon premier groupe, mon premier projet. Je m’en souviens, arrivé sur Paris, c’était un peu dur. J’étais monté avec 300 disques. Ca snobait un peu le rap du sud tu vois. Ca prenait en dépôt-vente des 5 disques par-là, 5 disques par-ci. On est rentré chez nous avec peu de dégoût. On a vendu de main à main, avec Saxe. On était distribué par 2Good à l’époque. C’était mon premier truc. J’ai acheté mon premier micro, je me suis dit « tiens pourquoi pas » et j’ai acheté ma première caméra, un truc à disque dur. Et on a commencé à faire des vidéos : mon premier clip solo, « Mon dico », qu’on a mis sur You Tube, on utilisait My Space aussi. On essayait de faire tourner des trucs de Sète. On se faisait un nom. On croisait Sheryo, Casey, La Mixture, les connaissances d’Adil et de Saxe. Et quand on est revenu une autre fois, on commençait à se faire un nom. C’était pour la sortie de ma première mix-tape « On ne peut pas plaire à tout le monde ». C’était à charge de revanche de revenir à Paris. On était monté avec tous mes petits jeunes des ateliers de Sète, je m’en souviens. Je sentais un engouement. On était arrivé pour la promo à TMaxx, faire un freestyle, et rappeler qu’on n’oubliait pas la fois quand on est venu et qu’on ne nous connaissait pas. Ca peut démotiver mais on s’est dit « non, on continue ». A l’époque, tu ne voyais pas Kéry James ou Akhenaton faire un freestyle vidéo. Ca n’existait pas, c’était le truc le plus pourri qu’il fallait faire. On a fait le freestyle à TMaxx comme Koma qui avait fait le sien avec « Je parle ». Je dirai que les freestyles nous ont aidé. A partir de ce moment-là, j’ai vu une arrivée You Tube.

Je m’en souviens, arrivé sur Paris, c’était un peu dur. J’étais monté avec 300 disques. Ca snobait un peu le rap du sud tu vois. Ca prenait en dépôt-vente des 5 disques par-là, 5 disques par-ci. On est rentré chez nous avec peu de dégoût.

Demi Portion - Down With This - DWT Magazine - Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

DWT : Tu es d’une génération qui a connu les cassettes, ce qui a certainement motivé ton choix pour l’édition limitée de ton nouvel album en cassette. Peux-tu nous en dire plus sur le principe ?
Demi Portion : On m’appelle « l’ancien », « les anciens »… Eux sont dans le futur. Nous, on est dans le passé… J’ai fait un site pour la vente de l’édition cassette de l’album. Il sera fermé juste après. Vente express. C’est un délire, j’aurai jamais pensé faire une cassette. Il se trouve que ce n’est pas trop cher pour fabriquer.

Tout le monde a besoin de Planète Rap, Vevo, la télévision, pub, argent : ce que je n’ai pas eu. J’ai un distributeur et on a vendu très bien juste grâce au public. (…) C’est cool car ça montre à d’autres qu’il y a moyen de vendre des disques.

DWT : On a senti l’engouement sur toi, l’arrivée de l’album, la bienveillance de tout un ensemble de gens à ton propos. Il a un truc qui a fonctionné autour de la sortie. Comment l’as-tu ressenti ?
Demi Portion : On va vendu plus de 6 000 disques la première semaine, plus je ne sais plus combien en numérique. Il y avait la sortie de Lino en même temps. Tout le monde a besoin de Planète Rap, Vevo, la télévision, pub, argent : ce que je n’ai pas eu. J’ai un distributeur et on a vendu très bien juste grâce au public. C’est un album que j’ai travaillé pareil que les autres sauf que dans celui-ci, il y a des featurings (notamment Oxmo Puccino et Jeff le Nerf). C’est cool car ça montre à d’autres qu’il y a moyen de vendre des disques. On fait tourner des vidéos. C’est moi qui m’occupe du montage. Parfois Morphine fait des clips. Tout se fait à Sète. Un clip a été fait au Maroc et un autre au Canada, c’est tout. C’est plus par manque de budget qu’on se retrouve à descendre en bas pour faire un clip. Cela dit, je préfère faire un clip que de balancer un audio.

DWT : Tu parlais du morceau clipé à Casablanca, « Demi Parrain », tourné avec Saïd. Tu as un attachement fort avec le Maroc ?
Demi Portion : Je suis marocain, de Rhmiset, à côté de Mekness, et de Mohammedia. J’y vais depuis tout petit. J’ai mon père qui est enterré là-bas, à Mohammedia. C’est mes racines. Mes sœurs sont à fond sur le pays. C’est important, pour ma mère aussi. C’est un beau pays.

DWT : Le choix de Saïd pour participer au tournage est donc volontaire ou c’est un hasard ?
Demi Portion : C’est un hasard, exact. Je parlais avec lui depuis 2/3 ans sur internet. Il me paraissait être à Los Angeles. Un jour, il me dit je suis en tournage au Maroc, à Casablanca pour Scrilex de Damien Marley. Il me dit « viens chez moi, tranquille, je suis pas marié, j’ai pas d’enfants et tout, je viens d’acheter un truc, je suis en train de l’équiper ». Je lui ai dit « j’arrive direct ! ». Je suis allé, j’ai dormi chez lui, magnifique. Il a l’habitude de tourner avec des « red », des grosses machines et tout… Quand il a vu notre petit 5D, il m’a dit « mais t’es fou, viens on prends le temps et tout ! » et moi je lui disais « mais j’ai pas le temps et j’ai rien d’autre ! ». Il est dans le clip comme une forme de soutien. J’étais content de l’avoir à mes côtés, un rêve ou un truc de gamin. Après, j’avoue, il n’y a pas de scénar, rien n’est écrit.

DWT : Pourquoi ne passes-tu pas à cette étape dans la réalisation ?
Demi Portion : J’aimerai beaucoup pour le morceau avec Oxmo Puccino ou les prochains clips que j’ai à faire. Evoluer un peu au niveau des clips vu qu’on a touché un peu de ronds, autant investir. Du coup, on va mettre un peu de sous sur les prochaines vidéos.

Doivent-ils jouer un rôle ? Ont-ils peur ou non ? Pourront-ils se promener normalement avec leurs enfants ?

DWT : On a aujourd’hui une scène composé de rappeurs qui revendique haut et fort qu’ils ne feront cette musique que pour prendre du blé. On ne te demandera pas de réagir sur ce point précis puisqu’on le sait, tu es dans la musique pour des raisons plus sincères. On a plutôt envie de te demander si tu penses qu’à terme, ce genre de motivation puisse porter préjudice à la qualité des compositions, voir au rap dans son ensemble ?
Demi Portion : C’est une réponse que seuls ces rappeurs pourront vous donner. Quand ils se couchent le soir, ont-ils une forme de pression ? Quand ils sortent, n’y a t’il pas une pression dans la rue ? Doivent-ils jouer un rôle ? Ont-ils peur ou non ? Pourront-ils se promener normalement avec leurs enfants ? Il y a des artistes qui sont directement arrivés avec cet état d’esprit. Il y a des artistes qui étaient doux et qui sont devenus hardcore. Il y en a d’autres qui étaient hardcore et qui sont devenus un peu plus doux. Un peu comme moi (rires). Il n’y a pas de règle dans le rap. Tu peux être petit avec une grosse touffe, tout blanc et tout niquer. Un renoi peut puer la merde, un reubeu peut chier, il n’y a pas de règle. Tu peux mettre du rock, du ragga, du classique, tu peux tout faire, même aujourd’hui de la techno, de l’électro. Tu n’es pas limité. Mais il faut faire ce que tu aimes pour ne pas te retrouver dans la pression de ce que les gens recherchent.

Tu peux être petit avec une grosse touffe, tout blanc et tout niquer. Un renoi peut puer la merde, un reubeu peut chier, il n’y a pas de règle.

DWT : Est-ce que tu penses qu’il serait bénéfique pour un ado de 15 ans d’être hébergé chez Kaaris comme toi tu l’as été chez Fabe au même âge ?
Demi Portion : C’est pas mal ce que tu viens de dire… (après réflexion) Je pense que ça serait le rêve de certains jeunes… A mon époque, quand j’étais petit, le rap hardcore se résumait à B.James, Anfalsh, Sheryo. Aujourd’hui, pour un petit, Niro et autres, c’est son rap hardcore. Si j’avais 16 ans, je ne sais pas ce que j’aurai dit. A notre âge, on ne ressent plus ce rap là de la manière que quand on est ado. Mais si un jeune serait hébergé par Kaaris, je ne pense pas qu’il aurait une mauvaise vie suite à ça. On a joué il y a quelques temps avec Kaaris et ça s’est super bien passé. On avait peur que ça ne fonctionne pas au niveau du public, mais on a accepté après réflexion. On avait même proposé Joke et Set&Match à la place en pensant que le public aurait été content, surtout qu’on venait de faire un concert deux mois avant avec Unglorious Bastard et Scred Connexion. Mais les organisateurs ont préféré Demi Portion. C’était cool, deux choses différentes mais ça a très bien fonctionné. Super bon concert.

DWT : D’un point de vue purement technique, comment as-tu surmonté ton « cheveu sur la langue », très prononcé à tes débuts. As-tu des conseils à faire partager ?
Demi Portion : Il y a des entraînements possibles, comme un stylo au fond de la bouche. Tu articules à fond, tu rappes ton couplet plein de fois, tu as l’air d’un mongol mais dès que tu retires le stylo, c’est plus simple. J’ai les dents du bonheur aussi, la langue passe au travers, du coup, ça marque les « s ». Et j’ai l’accent du sud ! Mais je ne bloque pas sur ça. Il ne faut pas que les rappeurs bloquent là-dessus si ça leur arrive, personne d’ailleurs. Il ne faut pas s’arrêter à ça, il faut savoir l’utiliser, ça peut donner un style.

Quand j’ai commencé à écrire, j’insultais, on disait n’importe quoi. (…) On était direct dans la provoc, à vouloir toucher, dire ce qui ne nous va pas.

DWT : Quand on écoute ton dernier album, on remarque que tu es garant de certaines valeurs comme l’humilité, le respect. Tu as certainement cultivé ces qualités en côtoyant Mokless ou Fabe. Est-ce que tu tiens à mettre en avant ces valeurs pour contrebalancer avec d’autres trucs très « dark » que l’on trouve maintenant dans la musique ?
Demi Portion : Non, vraiment pas. Quand j’ai commencé à écrire, j’insultais, on disait n’importe quoi. J’étais beaucoup dans la provoc, comme beaucoup de rappeurs. On ne peut pas dire que dans nos premiers textes, on était directement cool. On était direct dans la provoc, à vouloir toucher, dire ce qui ne nous va pas. Après, il faut dire qu’on habite Sète, 47 000 habitants, 3 patrouilles de police dans le quartier, donc dire que c’est la merde, que c’est chaud, ça serait mentir… Parler en verlan, ça serait mentir, du coup on se retrouve plutôt à s’appliquer. On ne vît pas les mêmes choses tout simplement. Au niveau du respect on va dire. J’ai grandi dans un quartier tranquille, avec la peur de la mère, du papa, de ramener la police à la maison. On a fait des dingueries mais il y a toujours eu un truc qui m’a dit reste tranquille, tout simplement, que se soit pour la clope ou traîner avec un pétard dans le quartier. Chose que je n’ai jamais faite. On se cachait même pour une clope, derrière, à l’étang. Toujours par respect. En 2015, dans mon quartier, c’est pas pareil. C’est différent. Ils montrent tout, vraiment tout.

DWT : Pourquoi cette évolution ? Le contexte social n’a pourtant pas dû changer énormément…
Demi Portion : La musique a joué un rôle. C’est clair.

DWT : C’est terrible ce que tu dis…
Demi Portion : La musique a joué un rôle, comme les films, la télévision, les médias, le quotidien, bien sûr. Ca fait parti de l’éducation. C’est différent. Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus mâtures, beaucoup plus intelligents, beaucoup plus vicieux même. A la pointe de la technologie, du progrès… Mais va savoir si c’est un réel progrès de tout connaître vite. On a besoin de faire des erreurs pour avancer. Il faut pouvoir les corriger. C’est pour ça qu’on essaye d’évoluer, travailler toujours pour pouvoir mieux faire.

Rachid Demi Portion - Down With This Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

Propos recueillis le 12 mars 2015 par Nobel et Alain Garnier. Entretien préparé avec le renfort de Nasty. Remerciements à Rachid Demi Portion et Mehdi pour leur disponibilité. Photos par © Aurore Vinot et © Alain Garnier + Archives personnelles © Demi Portion