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Depuis longtemps, ils ont la gâchette facile

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papon, police

L’histoire de mon frère m’a hanté durant toute ma vie. J’ai décidé de me confronter après tout ce temps à ce qu’il s’est passé. J’ai décidé d’ouvrir le sarcophage de la mémoire et de me replonger dans la douleur.

« Je suis Hassan Ben Mohamed. Je n’avais que 4 ans le soir du 18 octobre 1980. Aujourd’hui en 2015, j’en ai 38. L’histoire de mon frère m’a hanté durant toute ma vie. J’ai décidé de me confronter après tout ce temps à ce qu’il s’est passé. J’ai décidé d’ouvrir le sarcophage de la mémoire et de me replonger dans la douleur afin d’y trouver les explications, d’y découvrir pourquoi mon frère est mort, qui était cet assassin, que s’était-il vraiment passé ce soir-là… ».
Marseille, le 18 octobre 1980, veille de l’Aïd, Lahouari et trois de ses amis subissent un contrôle de routine. Un des CRS grommelle « ce soir j’ai la gâchette facile« . Il fouille la boîte à gant avec le canon d’un pistolet-mitrailleur, puis tire. Lahouari est tué sur le coup. Dans la cité des Flamants, à la Canebière (Marseille), c’est l’émoi. Afin de le préserver du tumulte, le petit frère Hassan, est éloigné par sa famille. Il découvrira peu à peu ce qui s’est passé.
En 2010, Hassan Ben Mohamed devenu lui-même policier, décide de se plonger dans son en-quête de mémoire. Elle va durer 5 ans. Face aux souvenirs qui s’effilochent et à une connaissance partielle, fragmentée, des faits et de leurs conséquences, il recueille et croise les témoignages des différents protagonistes, remonte jusqu’au meurtrier lui-même. Il recherche dans des archives privées ou publiques, et rencontre de nombreux acteurs impliqués dans l’effervescence sociale, judiciaire, politique ou culturelle suscitée par l’affaire. Collectant ainsi toutes sortes de documents audio, vidéo, écrits ou photographiques, il se lance dans l’écriture du livre La gâchette facile (disponible depuis le 8 octobre 2015), avec la participation de son cousin Majid El Jarroudi.

A gauche : Laouhari Ben Mohamed (paix à son âme) – A droite : Momo Bouzidi, interprétant « Yaoulidi », sa chanson en hommage à Louhari (1982) – Photo © Joseph Marando

Témoignage de Momo Bouzidi
« En 1974, nous sommes arrivés aux Flamants, là j’ai bien connu le béton. Quand je suis arrivé à Frais Vallon, mon père participait à la construction de ces grands ensembles les Flamants et c’est comme cela qu’il s’est fait aider pour y habiter. Aux Flamants c’était le béton, le béton et le béton. Le 26 décembre 1976, de ma fenêtre, j’ai vu un jeune qui courait, poursuivi par deux policiers. J’étais frappé par tous ces murs gris. On s’en plaignait avec mes sœurs, car il y n’avait rien d’autres que le béton, pour s’échapper de tout cela. Il y avait bien le pic de l’étoile où l’on pouvait trouver les espaces verts. Ces espaces sauvages m’ont marqué. En 6éme, j’ai commencé à lire Pagnol, je me suis intéressé à Allauch, La Treille, sur les traces de l’écrivain. Je partais à la chasse avec un copain. Je ramassais des figues, des prunes, du thym, du romarin. Je pense que s’il y avait eu plus de lieux comme ces zones verdoyantes de Verdun, il y aurait moins de dégâts, moins de gens pour prendre un mauvais départ dans la vie. Ces espaces de jeux sont importants, lorsque l’on on est enfant. Avec le béton, on ne s’approprie pas les emplacements sinon par défaut ».

Commémoration « Lahouari, 35 ans après »
Le dimanche 18 octobre 2015 (de 13 heures à 18 heures 30), Hassan Ben Mohamed invite le public à commémorer Lahouari, 35 ans après, au théâtre du Merlan à Marseille.
Lectures par le comédien Moussa Maaskri & musique avec Ouled El Khaima, Momo Bouzidi et Loïc Février + Projection du film Yaoulidi, le Prix de la douleur, de Joseph El Aouadi-Marando. Discussion animée par Mogniss H. Abdallah avec Hassan Ben Mohamed, auteur du livre La gâchette facile, Farida Ben Mohamed, Moussa Maaskri, Momo Bouzidi, Fatima Mostéfaoui, Philippe San Marco, Michel Peraldi et Christian Pesci. Avec la participation de Naguib Allam (initiateur dans les années 1980 de l’Association des familles victimes des crimes racistes ou sécuritaires) et Toumi Djaïdja (initiateur de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983).

« La gâchette facile » par Hassan Ben Mohamed en collaboration avec Majid el Jarroudi.
Avant-propos par Toumi Djaïdja – Editions Max Milo – 296 pages

Ali, accords de paix

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Flynt, L'Indis

Ca m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question.

« Si tu en tues un, protège ton dos, il en reste un ». Ali est celui-là. Il est l’artiste rescapé du label 45 Scientific, historiquement composé du « métisse café crème, MC cappuccino criminel au M.I.C. », d’Ali, de Jean-Pierre Seck et du général Géraldo toujours aux ordres des productions du 45. Ali, personnage atypique et charismatique du rap hexagonal, vient de signer son troisième album solo, un cap important dans la carrière d’un artiste. L’encre a bien coulé depuis ses débuts sous les noms de Daddy Ali et Poète Musulman. Le R.A.P. et son game ne sont pourtant pas sa première préoccupation. C’est avant tout l’Islam et sa pratique qui rythme sa vie. Avec un fort attachement aux valeurs de sa religion, prônant paix, amour et unité, Ali nous livre son rapport à la musique et ses sentiments sur son parcours. Il tombe à pic. C’est en ces heures troubles pour l’opinion publique mondiale que nous le rencontrons. Ali déclare dans l’interview « Avant de vouloir défendre quelque chose, il faut le vivre pleinement ». Alors nous l’accueillons volontiers dans les colonnes du média qui vit pleinement le hip hop français depuis plus de 20 ans !

Down With This : Ton vrai prénom est Yassine. Ali est l’acronyme d’ « Africain Lié à l’Islam », parle-nous du lien que tu entretiens avec ce continent.
Ali : A un certain moment, il y a eu un mouvement qui consistait à jouer avec les mots, comme avec C.R.E.A.M. de Wu Tang. A cette époque c’était Daddy Ali, Daddy Yod, Daddy Lord C… Ce n’était pas « Africain Lié à l’Islam » dès le départ. C’est venu avec le temps, avec un mouvement et une culture de l’époque. Et même, ce n’est pas parce que Wu Tang avait fait C.R.E.A.M. que je l’ai fait de mon côté. Il y avait une globalité à faire ça. Le premier lien, c’est celui avec le Maroc, avec mes oncles, mes tantes présentes dans ce pays. Ensuite, j’ai pu voyager au Sénégal et en Guinée, donc c’est vraiment un lien fraternel qui est très important pour moi. On va dire que c’est un rapport de fraternité, tout simplement. Plus jeune, j’étais très attaché à ce continent, j’y suis toujours, mais ayant voyagé, je le vois autrement. Je vais maintenant plus m’attacher à l’individu et aux rencontres. Je peux avoir de très bons souvenirs avec des personnes rencontrés en Europe. Ce n’est plus réellement un attachement centré uniquement sur le côté « afro-centrique ». Au contraire, c’est plus un sentiment d’ouverture. C’est vrai que je suis panafricain mais ce n’est pas un panafricanisme de retrait, de clôture… Au contraire, je suis humain et j’ai appris par le voyage à avoir le même rapport avec des frères africains, des frères européens, nord américains ou asiatiques.

DWT : Tu vis en Indonésie, le pays musulman le plus peuplé au monde, es-tu en contact avec des artistes de la scène hip hop Indonésienne ?
Ali : Je suis entre la France et l’Indonésie. En Indonésie, je suis à la capitale, Jakarta. Ma femme et mes enfants sont là-bas. La plus grande a 15 ans et les deux petites dernières ont 5 et 8 ans. J’ai un rapport familial très fort, et on va dire très intime. Pour ce qui est du hip hop en Indonésie, j’ai déjà vu du graffiti à Jakarta. L’univers hip hop est présent dans ce pays mais comme je suis très souvent en déplacement en France, je n’ai pas encore approfondi cela. C’est très récent.

DWT : Pourquoi ne pas avoir choisi le Maroc, pays de tes parents ?
Ali : C’était un choix de vie. A un moment, ma femme qui vivait en France a voulu retourner vivre en Indonésie. Par amour, j’ai suivi ce qu’elle voulait faire.

Il y avait donc ce rapport d’enfants, d’amitié, d’aventure mais aussi de voir les plus grands faire déjà du rap et faire tourner des cassettes de funk ou de rap entre eux. Certains d’entre eux dupliquaient des cassettes, d’autres graffaient.

DWT : Quels souvenirs gardes-tu des Epinettes à Issy-les-Moulineaux (92) ?
Ali : C’est un souvenir très léger parce que j’étais petit. On cherchait à se réunir avec les plus grands et les jeunes de notre âge. C’est des souvenirs de début d’adolescence. C’était agréable, les premières rencontres. Dans un texte je dis que « ça commence par vouloir ressembler aux aînés, le grain de café au cou, à la peau de lézard aux pieds, on finit engrainé« . C’était la mode des Weston, de la funk et de s’habiller d’une certaine façon. Il y avait donc ce rapport d’enfants, d’amitié, d’aventure mais aussi de voir les plus grands faire déjà du rap et faire tourner des cassettes de funk ou de rap entre eux. Certains d’entre eux dupliquaient des cassettes, d’autres graffaient. On marchait en sortant de l’école, on parlait de tout, on rappait, c’était ça les Épinettes.

DWT : Peux-tu nous resituer brièvement ta provenance sociale ?
Ali : Je suis né à Paris 14ème. Mon père a effectué beaucoup de travaux difficiles avant de pouvoir ouvrir un commerce. Il a eu une intégration compliquée. À ma naissance, il était déjà commerçant. Ma mère était professeur de langue marocaine à Colombes.

DWT : Certains pratiquants se revendiquent d’un courant ou d’un autre de l’Islam. Te réclames-tu de cela et est-ce que tu en suis un plus particulièrement ?
Ali : Je ne me définis d’aucun courant religieux, je suis musulman. L’Islam étant un, malgré les différentes écoles, groupe et confrérie. Le socle de l’Islam est vraiment un. On reconnaît tous les prophètes depuis Adam, Abraham, Moïse, Jésus. Ce sont nos prophètes. Le prophète Mahomet, que la paix de Dieu soit sur lui, est le dernier prophète. On est tous d’accord là-dessus. On a une révélation sur laquelle on est tous d’accord : celle de Gabriel. On a aussi le Dieu unique, qui nous relie avec nos frères juifs sur ce plan là et à nos frères chrétiens qui le définissent en tant que père. Je garde donc vraiment l’essentiel et le socle premier qui sont ces éléments. Je ne m’éloigne pas de l’essentiel. Les groupes, les divergences sont des portes que je ne franchis pas. Le premier repère que j’ai, c’est mon père, tout simplement, et ma mère. La famille étant très importante, c’est ce chemin que je suis : celui de l’héritage. Le fait de voir son père pratiquer et de vivre ça sereinement, c’est le premier des repères.

DWT : Beaucoup de rappeurs ont, ou ont eu, des positions divergentes sur la pratique de l’Islam vis à vis du rap. On pourrait citer à ce propos des artistes comme Kéry James, Abd Al Malik, Médine ou Fabe. En ce qui te concerne, comment concilies-tu les deux ?
Ali : Tout est lié, vraiment. Ma foi, c’est mon moteur, ma locomotive. Il y a un très beau verset du Coran que dieu nous donne : Dieu parle à David et lui rappelle par rapport au psaume que David avait la plus belle voix et que ses merveilleuses psaumes étaient psalmodié. On était dans le chant. Dieu lui rappelle : « Oh David, ne suis pas le chemin de tes passions, elles peuvent t’égarer du sentier de Dieu ». Cela veut dire que quand il y a un rapport passionnel, il ne faut pas mettre sa passion, sa locomotive au dessus de son obéissance aux commandements, à partir du moment où le rapport avec Dieu est par l’intention, que j’espère sincère, propre et éclairé, la machine est en marche et le reste va suivre cette direction. Il y a des choses évidentes. Les formes d’art ont toujours fait partie des cultures humaines. Je décris la culture comme de la végétation qui pousse avec de la mauvaise herbe. Et l’Islam, c’est tout simplement : « retirons la mauvaise herbe intérieure » !

DWT : A chaque sortie d’album, tu nous sors un classique. 2005 : « Préviens les autres » (featuring Hi-Fi), 2010 : « Positive Énergie »… Tu fais le pari sur quel titre en 2015 ?
Ali : Je ne parie pas, déjà. Je suis content de tout : l’album, les 14 titres. Dans la globalité, le bonheur pour moi, c’est d’avoir fait un titre dans ma vie qui s’appelle « Que la paix soit sur vous ». C’est très important et j’espère pouvoir diffuser ce message de paix. J’ai une phrase très importante avec un mot clé : « Avant de parler de paix, je me dois de parler en paix ». On a souvent parlé de paix dans les thématiques mais émotionnellement, on n’est pas en accord avec ce qu’on dit. Avant de vouloir défendre quelque chose, il faut le vivre pleinement. Pareil pour les rapports humains. A un moment, ça ne servira à rien de rentrer dans des débats intellectuels et interminables tant que la source même n’est pas paisible. On ne trouvera jamais de solution. C’est pour cela que le titre important de mon album est tout simplement « Que la paix soit sur vous ». C’est ce qui relie les autres, ce qui définit l’essentiel de cet album.

Dieu merci, on est notre libre arbitre. Mais on fait des choix en respectant une certaine obéissance. On a alors de meilleurs résultats que ce qu’on aurait pu espérer.

DWT : Tu viens de signer ton troisième album solo, un cap important, comment le perçois-tu ?
Ali : Mes albums sont cohérents par rapport à un certain âge. Souvent, quand je parle avec des gens proches de la trentaine, ils mettent la musique dans des cases, soit noir, soit blanc. C’est comme ça ou comme ça. Souvent, une fois marié, on commence à se poser les vraies questions. On revient sur soi-même, sans vouloir nécessairement être dans un repli. Je pense que c’est essentiellement des accompagnements de vie et d’âge. Je comprends mieux ce que j’ai voulu faire à l’époque et je m’y retrouve aujourd’hui. J’espère encore m’épanouir et m’améliorer. C’est des cheminements qui, avec le temps, sont pour moi logique. Dans « Chaos et harmonie », même dans le graffiti, on voyait le côté chaotique en train d’exploser dans l’écriture. A un moment, c’est devenu un choix de vie plus évident. Inconsciemment l’album suivant, « Le Rassemblement », regardait vers le côté harmonieux de l’album précèdent. Il y a des logiques. C’est ce qui est beau dans le rapport à Dieu. Ce n’est pas nous qui faisons tout à certain moment. Dieu merci, on est notre libre arbitre. Mais on fait des choix en respectant une certaine obéissance. On a alors de meilleurs résultats que ce qu’on aurait pu espérer. C’est ce qui est très bon en l’Islam. La foi, c’est ce qui nous permet d’éclairer nos lendemains. Je pense que c’est ça, c’est un parcours de foi sur le long terme à travers ces trois albums. Rien qu’à l’écoute, « Chaos et Harmonie », c’est vrai que c’était très lourd, très sombre à l’époque. Avec « Le Rassemblement » ça s’est éclairci d’un point de vue personnel. Sur le troisième, c’est un juste milieu. Comme on dit, en l’Islam, se marier c’est la moitié de sa religion. Je le ressens vraiment. C’est un épanouissement, un élargissement du cœur. C’est une très belle chose que de se marier. Après, avoir des enfants, c’est magnifique, cela nous rappelle, une fois de plus, Dieu. Malheureusement, aujourd’hui, les gens ne croient plus au miracle. Pourtant le fait de voir un bébé naître est le plus beau miracle. Cette vision adoucit le cœur.

DWT : Ton travail est emprunt de mélancolie ; comment la ressens-tu au quotidien ?
Ali : C’est vrai qu’à une certaine époque, il y avait énormément de mélancolie dans mon écriture, surtout dans « Chaos et Harmonie », vers 2005. Ça fait partie de la culture française avec l’accordéon et le côté parisien. C’est une beauté avec de la tristesse dedans. Je me suis détaché de cette mélancolie car elle est dangereuse. C’est une porte ouverte à la tristesse, voir à la déprime. C’est très dangereux. Le côté noir et blanc, je l’ai cassé car il y a des couleurs dans la vie. Le danger de l’obscurité, c’est de rester enfermé dedans. Quand on parle de grisaille, on voit tout en gris. Alors que non, il y a de la couleur dans la vie et je suis très heureux de pouvoir en mettre dans mes albums.

Je n’ai pas envie d’être un rat de laboratoire enfermé dans des zones qui n’existent pas dans la réalité de la vie. Les zones, les frontières n’existent réellement que sur le papier.

DWT : Explique-nous cette habitude que tu as dans tes textes à citer des lieux ou des villes ?
Ali : Les villes c’est des rattachements. C’est ce que je disais dans un album précédent : « Les murs de mon 92 n’ont pas muré mon esprit ». Je n’ai pas envie d’être un rat de laboratoire enfermé dans des zones qui n’existent pas dans la réalité de la vie. Les zones, les frontières n’existent réellement que sur le papier. C’est très dangereux de vivre dans des cases et je n’ai pas envie de rester enfermé. Il faut faire des rappels et ne pas être dans le nombrilisme.

DWT : Donc plus de « 9.2.i » ?
Ali : J’ai 39 ans maintenant. Mais à un certain moment, oui… A un certain âge, tu veux représenter. Comme quand tu fais tes premières radios et que tu ne parles que de tes copains et tes amis. C’est dans la culture hip hop que de représenter mais à un moment, on a la chance de grandir, de voyager et de voir quelque chose de plus grand. Il faut élargir son champ de vision. C’est ce que les gens oublient à chaque fois. A différents âges, le cerveau n’est pas pareil. Heureusement, il évolue. Tu as périodes très sensorielles comme quand tu vas apprendre à marcher par exemple.

DWT : On sent que tu rêves d’unité. Vois-tu cela de manière anecdotique dans le hip hop et plus sérieusement dans l’Islam ?
Ali : Ça commence déjà par soi-même. L’union commence par la sincérité qu’on a envers ceux à qui on croit. Prends un parti politique, ils vont splitter rapidement, au bout d’un an ou après des élections par exemple, car la plupart fonctionnent par intérêt. La famille est très importante aussi mais même au sein de celle-ci il y a des cas de divorce, des mésententes entre frères et sœurs. On en revient à Abel et Caïn. Je veux être qui ? Ce n’est pas spécifique au hip hop ou à l’Islam. C’est spécifique à l’individu et son rapport à l’autre.

Je me souviens d’un frère de La Brigade qui s’appelle Davis. Il était venu me voir avec une douceur que je n’oublierai jamais. (…) Ca m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question.

DWT : Un ex-rappeur, Fabe, converti à l’Islam depuis, avait critiqué à une autre époque les paroles du groupe Lunatic auquel tu appartenais. Irais-tu dans son sens aujourd’hui ?
Ali : Je vais dans son sens avec la compréhension qu’un jeune reste un jeune. Quand je vois un adolescent avec quelque chose de négatif, avant d’être dur avec lui, je vais essayer de lui faire comprendre. Je me souviens d’un frère de La Brigade qui s’appelle Davis. Il était venu me voir avec une douceur que je n’oublierai jamais alors que le gars est un « placard ». Il m’avait dit : « Frère, ce n’est pas bon ». Quand tu es fort et que tu n’es pas dur, que tu as la possibilité de l’être mais que tu ne l’es pas, c’est ça la véritable force. La manière dont il m’a transmis quelque chose m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question. C’est par des rencontres qu’il y a des cheminements. Ce ne sont pas des choses hasardeuses. C’est encore une fois un rapport de cœur. Il m’a parlé avec son cœur et ça a porté ses fruits avec le temps. Donc j’essaie d’avoir ce rapport là avec les plus jeunes en me disant « c’est des ados » il faut avoir une certaine manière de leur parler. Chez nous, on nous met dans des cases « délinquance » en oubliant qu’on parle d’adolescents. Quand tu as des adolescents de bonnes familles, venus de milieux sociaux très favorables et qu’ils font quelque chose de mauvais, tout de suite on va trouver un psychologue pour qu’il y ait un suivi et une compréhension. Mais nous, non. Les animaux restent des animaux. On va les civiliser donc il y a un rapport très hautin avec lequel il faut faire très attention. Il y a un rapport humain sur lequel il va falloir revenir et pouvoir se dire qu’un enfant reste un enfant et qu’un ado se cherche entre l’enfance et l’âge adulte. C’est pareil pour tout le monde. Donc oui, j’ai suivi cette direction mais de façon plus douce.

Je n’avais rien à prouver à qui que se soit. Je ne l’avais pas pris personnellement et ça ne m’avait pas touché. Par contre, les faux durs, c’était les bouffons qui à l’époque aimaient envenimer ce truc. C’est toujours ces lâches là qui attendent qu’il y ait une embrouille pour parler.

DWT : Tu trouves donc que Fabe avait été trop dur avec vous à l’époque ?
Ali : Avant de critiquer quelqu’un, il faut d’abord essayer de le connaître, de comprendre son cheminement et pourquoi il dit ça. Fabe est quelqu’un que j’aimais beaucoup, que j’appréciais artistiquement quand j’étais plus jeune et que j’apprécie aussi humainement. Dans mon cœur, j’étais dans mon monde. La preuve : quand on est touché, on répond. J’étais dans un tempérament où tu remets les choses à leur place, pas par interférences mais en relation direct. Quand ça arrivait, on rencontrait la personne et on en parlait. On s’est vu à la mosquée une fois, après qu’il ait quitté le rap. C’est mon frère, il n’y a aucun problème là dessus. Et même avant, c’était déjà mon frère. Le problème, c’est les gens qui mettent de l’huile sur le feu. C’est chaud pour celui qui va mal le prendre. Je n’avais rien à prouver à qui que se soit. Je ne l’avais pas pris personnellement et ça ne m’avait pas touché. Par contre, les faux durs, c’était les bouffons qui à l’époque aimaient envenimer ce truc. C’est toujours ces lâches là qui attendent qu’il y ait une embrouille pour parler.

DWT : Que penses-tu de la stratégie des clashs dans le rap ?
Ali : Je n’aime pas ça. On en revient encore à Abel et Caïn. Je n’en fais pas, ça ne m’intéresse pas. Je l’observe une fois de plus mais ce sont deux choses différentes de faire et d’observer. Le clash, c’est une culture comme avec Mohammed Ali avant de monter sur le ring. J’espère ne jamais devoir en faire. J’ai fais des cypher à New York mais ce n’était pas des battles. Juste pour montrer ton adresse et faire voir ce que tu sais faire.

Il va falloir des excuses de la part de ceux qui me mettent ça sur le dos. Pour moi, ça c’est insultant. C’est plus insultant que ce que vous venez de me demander concernant Fabe.

DWT : Ton avis sur l’idée qui circule que ton ancien groupe ait « lancé et validé le concept d’islamo-racaille »… ?
Ali (agacé) : Déjà, je n’ai rien lancé du tout. Donc il va falloir des excuses de la part de ceux qui me mettent ça sur le dos. Pour moi, ça c’est insultant. C’est plus insultant que ce que vous venez de me demander concernant Fabe. Je ne vais pas rentrer dans les polémiques en cherchant à évoquer d’où ça vient. Je suis en paix, l’embêtement ne vient qu’avec celui qui le cherche. Le terme « islamo-racaille »… A un moment, il faut laisser l’Islam tranquille. Le banditisme est clairement proscrit dans les pages donc venir mettre le terme racaille avec Islam, c’est insulter l’Islam. Ce n’est pas juste moi. Comme reprendre le terme « islamo-fascisme », c’est insultant. L’Islam est un, il n’y a pas un « Islam-bisounours » ou un « Islam-fasciste ». C’est un juste milieu, un rapport de paix. Des gens qui associent ces préfixes avec l’Islam insultent cette religion. A l’époque, quand nous sommes venus, c’est vrai que c’était dur, mais pas racailleux. J’avais même des propos contre la mentalité racaille.

La réalité des quartiers, c’est qu’il y a des gens qui prient et d’autres qui se droguent. On n’a fait que refléter une réalité à un moment.

DWT : …Mais tu cautionnais l’attitude de ton collègue de l’époque en étant dans le même groupe…
Ali : Je ne cautionnais rien du tout. La réalité des quartiers, c’est qu’il y a des gens qui prient et d’autres qui se droguent. On n’a fait que refléter une réalité à un moment. Ca ne veut pas dire que je vais cautionner l’autre réalité. Elle existe. Tu crois, tu ne crois pas, tu pries, tu ne pries pas, tu te drogues, tu ne te drogues pas. Ça été une rencontre de réalité de terrain. Ça ne veut pas dire qu’en faisant cet album, je cautionne tous les vendeurs de drogues, tous les cocaïnomanes, ce n’est pas du tout vrai. L’Islam est une religion qui m’a permis de m’améliorer humainement donc il était naturel que j’en parle. C’était à un âge de transition et de changement de conditions sociales. A un moment, on veut s’améliorer dans la vie et « s’en sortir ». Je suis quelqu’un qui à la base veut faire les choses biens. Je voulais faire un bac littéraire, on m’a dit clairement : « ce n’est pas fait pour toi ». C’était très raciste à l’époque. Donc à un moment, il y a une révolte qui se crée : « Ah bon, c’est comme ça ? Donc je vais faire les choses par moi même et je vais me battre pour moi ». Il y avait à l’époque une rage et une colère. Mais aller jusqu’à dire que j’ai ramené « le concept de l’islamo-racaille », c’est très insultant. Dans un de mes titres, « Réflexion », je parle exactement de ça en disant : « Méfie-toi, c’est toi qu’on voit quand tu médis, quand tu parles de quelqu’un sans le connaître ». Cela révèle qui tu es, profondément. Ce sont des gens qui ont parlé de moi sans me connaître. J’étais en train d’exprimer un état d’être. Le rap c’est un moyen d’expression. On vient interpeller mon âme, d’être à être. Ça fait un effet boule de neige comme quand on a inventé le terme « juifs-voleurs-d’argent ». C’est dangereux. Aujourd’hui, on trouve normal d’employer le terme « islamo-racaille ». Avant, on nous appelait les Mahométans, c’était l’orientalisme, rien de nouveau sous le soleil. C’était les barbares, les indiens coupeurs de têtes sans connaître la culture qu’il y a derrière. L’Islam est propre de toutes les accusations d’untel ou untel. Le terme « islamo-racaille », je n’y ai jamais contribué. Ca n’existe pas, c’est une fantaisie.

L’Islam est propre de toutes les accusations d’untel ou untel. Le terme « islamo-racaille », je n’y ai jamais contribué. Ca n’existe pas, c’est une fantaisie.

DWT : Que penses-tu des groupes comme X-Clan, Brand Nubian, Poor Righteous Teachers, Mos Def ?
Ali : Pour moi, les pionniers de cette mouvance culturelle et musicale sont les Last Poets et Ahmad Jamal. C’est quelque chose qui automatiquement m’a parlé. Je n’ai jamais été enfermé dans une case. C’est la musicalité qui m’interpellait. Je n’étais pas dans Brand Nubian contre Vanilla Ice, ça devient raciste. 3rd Bass, c’était excellent. Là, on est dans la culture, la sensibilité et le respect de l’artistique. Ça me parle. Toute cette époque là était joyeuse. Sérieuse tout en étant légère, c’est ce que j’ai aimé.

DWT : As-tu un album de rap préféré ou un titre culte ?
Ali : Culte non mais on va dire plutôt d’accompagnement de vie. J’étais dans un rapport d’émotion et de plaisir. L’album qui m’a plus marqué était celui de Smif-n-Wessun : « Dah Shinin ». Je l’avais écouté toute une année sans écouter autre chose. Cet album était magnifique, il m’a marqué avec les phases « I shine, you shine » (sur Wrekonize). Il y avait ce rapport à l’autre, cette chaleur avec ce rapport humain. On n’était pas dans de l’individualisme. Et aussi, ramener du raggamuffin comme KRS1 dans le rap, j’ai trouvé que c’était une très belle alchimie.

Le hip hop a été synthétisé et les disciplines ont été regroupées mais il est beaucoup plus grand que cela. Le hip hop fait partie des vrais mouvements culturels.

DWT : Es-tu sensible ou solidaire des opinions que développe Louis Farrakhan de la Nation Of Islam ?
Ali : C’est un grand leader politique. Spirituellement, ce n’est pas mon cheminement. Nous n’allons pas dans la même direction. Mais il faut comprendre le parcours de mes frères afro-américains. Il n’y avait personne pour eux avant Marcus Garvey, peut-être même avant. Alors à un moment, il a fallu se structurer. Il a fallu des organisations car une entraide était nécessaire. Ce n’était que de la récupération à l’extérieur. J’étais sensible à ses actions pour défendre les jeunes afro-américains qui se font descendre dans la rue. Il est le porte-parole de ces injustices. Il y a une chose qui va nous relier très fortement, c’est le slogan : « Pas de justice, pas de paix ». Comme je le dis dans l’album : « être pacifier ne m’a pas rendu passif ». Les injustices, il faut savoir les dénoncer. Et c’est ce qu’a fait d’un point de vue politique Louis Farrakhan. Il y a une réalité de terrain, une réalité des conditions sociales qui fait que des gens sont dans la pauvreté. A un moment, il faut une entraide sans attendre après l’autre. D’un point de vue spirituel, c’est autre chose. Il faut comprendre d’autres points de vue, comme la franc-maçonnerie, Father Divine, les raéliens, le New Age qui est le satanisme… Je ne suis pas là pour juger, ils font ce qu’ils veulent. Je ne rentre pas dans les courants. Bien sur, on a tous le souffle de Dieu en nous. Mais on a eu un prophète avec un message clair. L’Islam est une religion. Je ne vais pas faire de la politique spirituelle pour arranger les gens. Le Coran, je ne vais pas commencer à le remettre en question. Les commandements sont : « il n’y a de Dieu que Dieu, rien ne peut lui être comparable ». Je m’accroche à ça. Dieu est bon. Un des attributs de Dieu est « Salam » : la paix. Si tu la ressens, ton cœur le perçoit. Le souffle de vie que Dieu nous a donné, on doit l’entretenir. La Zulu Nation, par exemple, c’est une autre école, avec le relais social des Black Spades. L’important, c’est la contribution qu’ils ont pu amener dans le développement individuel : est-ce que tu as permis à des gens de s’épanouir et de devenir meilleur dans la vie ? Le hip hop a été synthétisé et les disciplines ont été regroupées mais il est beaucoup plus grand que cela. Le hip hop fait partie des vrais mouvements culturels.

DWT : Ton album sort chez 45 Scientific. Pourquoi ce choix ?
Ali : Avec Geraldo, au niveau de la musicalité et de l’entente, on a eu un long parcours. Et le fait d’aimer réellement la culture nous a réuni. On s’est rencontré bien avant 45, bien avant Time Bomb donc c’est quelqu’un que je connais depuis suffisamment longtemps pour me dire que c’est un ami de longue date. Cela se fait naturellement.

DWT : Quelle est ton implication aujourd’hui au sein du label ?
Ali : Je suis producteur depuis le début chez 45. C’est de l’autoproduction avec une distribution par Musicast. Il n’y a pas d’artistes en signature pour le moment. On verra… Je ne me pose pas cette question. J’avance par expérience et aventure humaine. Si je dois le faire, je le ferai. Ce n’est pas nécessité ou par pression. Un label, c’est sortir des disques mais c’est aussi être une structure de qualité. En indépendant, on peut quand même être content de ce qu’on a fait. On est plus sur la défense d’un état d’esprit.

DWT : Tu as toujours dégagé une certaine aura, une prestance, un certain charisme bien différent des autres rappeurs français en es-tu conscient ? En joues-tu auprès de tes auditeurs ?
Ali : Ça serait grave parce que cela s’appellerait « être un gourou » et que Dieu me préserve de ça. J’essaie de suivre l’exemple de mon prophète en ne parlant que quand c’est nécessaire. Je n’ai pas souvenir qu’on m’ait parlé d’aura ou de choses comme ça. Je ne préfère donc pas en parler.

DWT : Tu as des enfants, les laisseras-tu écouter du rap ?
Ali : Oui, si c’est du bon rap.

DWT : Tu le définis comment ?
Ali : Quand il n’y a pas d’insultes.

DWT : Donc pas la tendance actuelle de la trap ?
Ali : Pas de case. Si ça se trouve, il y a de la trap sans insultes mais il faut chercher (rires). J’en suis sur et certain : il faut creuser, se renseigner. Un message important aux lecteurs : ne rentrez pas dans des cases !

Kimto Vasquez, l’explorateur

Société
Alain Soral, Dieudonné, Dooeen Damage, Kimto Vasquez, L'Océan, Less du Neuf, sheryo, Tonton du café du commerce

C’est ce qu’il m’arrive, mon insolence ne passe pas auprès des Inrocks. On continue à me parler dans le rap, je suis encore sollicité car ils voient bien que je ne suis pas devenu un horrible raciste antisémite ou je ne sais quoi.

Kimto Vasquez sort en trombe du peloton rap français pour tenter une échappée en solitaire. Une distance irrémédiable qui ne cessera surement de le déclasser tant sa motivation est atypique. L’entraide entre équipiers sera difficile… Aussi surprenant que cela puisse paraître, le coureur Kimto a décidé de rouler sur des pistes jusqu’à lors jamais pratiqué dans le rap : il est maintenant le premier artiste d’une culture traditionnellement ancrée à gauche fréquentant des courants alternatifs liés à la droite dure ! Ne sont jamais loin les références à Dieudonné, la branche humoriste d’Al Quaïda et Alain Soral, écrivain (ex « communiste frontiste » connu pour son rejet du rap et ses stratégies de principal artisan du ralliement des jeunes issus de l’immigration au sein du FN de 2007 à 2009). Le retour de Kimto ne marque donc pas une simple volonté de participer aux étapes contre la montre du rap débile et abrutissant. L’ex-moitié de Less du Neuf a choisi de réfléchir, de se poser des questions et trouve certaines de ses inspirations dans des écrits qui prêtent à polémiques. Alors que Kimto livre son nouvel album, L’Océan (sortie en octobre 2012), il va se voir rapidement décerner le maillot jaune de l’ignominie par certains médias après l’écoute de son morceau Tonton du café du commerce. Ses nouvelles fréquentations pèseront lourd dans la balance. Dorénavant, les pires soupçons planent au dessus de sa tête. D’autres rappeurs lui emboiteront-ils le pas ? Sa position restera t-elle marginale ? Celui qui reconnaît aisément sa bonne foi et s’être déjà beaucoup trompé sur plusieurs personnes lors de sa carrière ne serait-il pas en train de récidiver ?

Down With This : Parles-nous un peu de ton enfance et de ton pays d’origine, ça va nous détendre.
Vasquez : Mes parents sont originaires d’un même village au Portugal. Je suis né en France, en 1975, mais j’y ai vécu quelques années à partir de 1982 parce que mes parents avaient le projet d’y retourner. Comme j’étais en âge d’aller à l’école et qu’ils ne voulaient pas que je prenne de retard, je suis resté chez mes grands parents jusqu’en 1986. J’y ai fait trois années d’école primaire et une année de collège. Le projet de retour de mes parents n’ayant pas abouti, il a fallu revenir d’urgence en France. Tout cela explique mon attachement au Portugal et à mon petit village, situé à 70 Kilomètres de Porto, sur la côte, au nord, une petite station balnéaire avec un port de pêche. Cet endroit est important car il me renvoie à tous mes souvenirs d’enfance, à mes copains d’école, à ma famille…

DWT : Comment perçois-tu la communauté portugaise, as-tu continué d’être baigné dans cette culture à ton retour ?
Vasquez : Mon père n’était pas très fan des week-ends en communauté et il ne me l’a jamais imposé. Nous ne fréquentions pas les associations portugaises. Je côtoie des personnes de ma communauté qui sont très discrètes, très travailleurs et d’autres aussi, plus jeunes, moins discrètes car un peu plus flambeurs. Mais cette attitude est récente, les anciens ne sont pas là-dedans. Je ne porte pas de jugements. J’aime les portugais comme j’aime les autres. Je suis fier d’être portugais et j’ai la double nationalité depuis 1994, je suis aussi français de cœur, mes enfants le sont. Cela fait vingt-cinq ans que je suis revenu en France. Depuis tout jeune, on s’est beaucoup fait critiquer pour notre côté matérialiste et m’as-tu vu quand on y allait, c’était devenu une sorte de discrimination, de cliché. J’ai un morceau sur ce thème, dans lequel je me moque un peu de ça. Avec le temps, ce sont les mêmes portugais qui se sont mis à prendre les mêmes crédits que nous, les mêmes belles voitures allemandes, au moment du lancement de l’euro et l’arrivée des crédits. A l’arrivée, ils vivent maintenant une crise horrible du surendettement. Malgré cette auto-critique, je reste évidemment solidaire car on leur avait vendu du rêve, et comme souvent, ils n’avaient pas la bonne base de données pour faire les bons choix.

Mes dernières thunes s’étant envolées pour la production de notre deuxième album, cela faisait déjà six mois que j’avais trouvé un travail. J’avais essayé le R.M.I. mais ce n’est pas trop mon truc de demander quoi que ce soit.

DWT : Tu as fais parti très longtemps d’un groupe de rap, Less du Neuf, et tu as fini par faire une chose très rare chez un rappeur : aller bosser comme tout le monde…
Vasquez : Ça a été un long processus. J’ai pris en pleine gueule mon immaturité. Je mets ça sur le dos de la crise de la trentaine mais aussi quand j’ai commencé à découvrir le vrai visage de mon producteur de l’époque. J’étais en fait bien plus solidaire de lui que lui l’était de moi. Ce revirement a donc commencé par la rupture avec Dooeen’ Damage (label de production). Malgré que la maquette du deuxième album de Less du Neuf était déjà prête, j’avais finalement décidé de le produire avec l’argent que j’avais gagné sur le projet Taxi 2. Grâce à Sarkozy, on avait monté une petite SARL à un euro (rires). Le projet n’était pas viable commercialement mais on voulait vraiment sortir cet album plutôt chouette. Naïvement. Ol’Tenzano a pris à ce moment ses distances en nous laissant tout de même ses beats. Il était de loin le plus travailleur et le plus talentueux de nous trois. Après le bonheur de la réal, pendant toute l’exploitation et la promo, je me suis mis à vivre seul, à subir toute la désorganisation d’un groupe. Il n’y avait pas vraiment de cohésion dans la direction artistique, dans la communication entre nous ainsi qu’avec les autres partenaires. J’ai beaucoup travaillé pour ce groupe, j’étais le MC régulièrement à l’heure, le MC qui choisissait généralement les instrus, qui écrivait le premier couplet et le refrain. L’autre membre m’a toujours suivi à ce niveau-là mais quand celui-ci a voulu prendre un peu plus d’initiatives sur le troisième album, je l’ai mal vécu. La direction artistique qu’il voulait prendre et ses goûts ne me convenaient pas. J’en avais aussi marre des retards, de prendre des avions ou des trains tout seul alors qu’on était attendu pour un concert. Tout ça m’a lassé et je me demandais quel en était le sens. Je m’interrogeais sur ce que je faisais de ma vie en fumant mes pets, en devenant de plus en plus triste et passif. J’en suis arrivé après à saturer durant l’enregistrement du troisième album, chez Desh, à Aubervilliers. Grosse déprime et perte de sens. J’ai tout arrêté. Mes dernières thunes s’étant envolées pour la production de notre deuxième album, cela faisait déjà six mois que j’avais trouvé un travail. J’avais essayé le R.M.I. mais ce n’est pas trop mon truc de demander quoi que ce soit. D’ailleurs quand je suis allé m’inscrire comme demandeur d’emploi, le mépris du conseiller ne m’a pas plu, et plutôt que faire le canard, je suis parti et je ne suis plus jamais revenu. J’ai trouvé du travail assez facilement, j’ai rentré quelques poubelles de bon matin, laver quelques cages d’escaliers puis rapidement, j’ai intégré une boite de travaux sur cordes où je bosse encore. Cela m’a permis d’avoir une hygiène de vie différente de ce que j’avais vécu pendant quinze ans où je n’étais qu’artiste à me coucher à n’importe quelle heure et à exagérer des plaisirs de la nuit.

J’aurai pu être récupéré, instrumentalisé ou faire plein de conneries. D’ailleurs, j’en ai quand même fait pas mal : j’ai rappé à Skyrock et je me suis endetté auprès de mon distributeur pour que Génération passe les morceaux.

DWT : La musique t’a tout de même apporté de bons souvenirs ?
Vasquez : Ca a été du bonheur, en effet, j’y ai rencontré ma femme, la mère de mes garçons, j’avais réussi à garder un espace de liberté. J’aurai pu tomber dans tous les pièges, j’ai commencé à rapper jeune. J’ai également signé sur un label indépendant et fait des projets de majors en étant jeune. J’aurai pu être récupéré, instrumentalisé ou faire plein de conneries. D’ailleurs, j’en ai quand même fait pas mal : j’ai rappé à Skyrock et je me suis endetté auprès de mon distributeur pour que Génération passe mes morceaux. Le destin m’a guidé entre l’éducation que m’ont donné mes parents et l’envie de garder cet espace de liberté. Je n’ai jamais envisagé le rap comme un concept ou bien comme une esthétique définie et artistiquement. Je ne me suis jamais enfermé dans quelque chose. Quand j’ai eu envie de pleurer, j’ai pleuré. Quand j’ai eu besoin de passer de la colère, je l’ai passée. Du deuil, de l’humour, j’ai même souvent voulu atteindre une certaine légèreté. Je ne conçois pas la musique avec quinze fois la même atmosphère. Ce n’est pas un truc qui m’a séduit. Je suis guidé par les yeux de mon cœur, les synchronicités, le destin. Les rencontres et les accidents de parcours que j’ai eu m’ont servi à devenir ce que je suis aujourd’hui. J’espère continuer ma quête.

DWT : Tu t’es remis récemment dans la musique pour sortir ton premier album solo. Tu en as mis du temps pour embrayer sur ce projet…
Vasquez : Besoin de prendre du recul. Je me suis rapproché des valeurs de mon père. Ça m’a fait du bien et permis de retrouver un équilibre. J’avais tout de même racheté un peu de matériel car j’avais gardé le goût de faire de la musique. Quand j’avais un peu de temps, j’ai appris vaguement à faire du son avec un sampler et réaliser mes petites idées, dont la plus aboutie, « l’Océan », qui figure dans l’album. Puis j’ai rencontré Luisinho Beatmaker, un gars d’origine portugaise du nord de la France, de Cambrai. Il m’a écrit et indiqué qu’il était sensible à mon travail avec Less du Neuf. Il a commencé à me proposer des choses. J’étais très libre, je n’attendais plus rien du rap. J’ai pris énormément de temps pour faire l’album, en étant très critique. Sans le savoir, j’ai commencé à l’écrire en 2002. On laissait mûrir, on corrigeait les choses. Pour Luisinho, ça tombait bien, ça lui faisait aussi du bien car il franchissait un cap en travaillant avec un artiste qui avait plus d’expérience. Puis la concrétisation s’est accélérée lorsque mon ami Nina Kibuanda m’a invité sur son album et que j’ai rencontré le co-réalisateur du bébé.
Je ne peux pas ne pas citer le talentueux Ben Bridgen, à qui je dois le côté hybride de cet album auquel je tenais absolument ; les arrangements, des compositions originales et toute la chaleur des instruments. Je me réclame autant du rap que de la chanson française.

DWT : Dans le rap français, on entend souvent parler de la rue et des «vrais bonhommes». Le plus vrai d’entre eux ne serait pas celui qui s’occupe humblement de sa famille en allant bosser comme monsieur-tout-le-monde ?
Vasquez : Nous vivons tous des situations différentes avec des tempéraments différents. Pour ma part, ne pas faire honte à mes parents m’a très souvent aidé, même dans le rap. Je leur disais que je ne perdrai pas ma dignité. Je n’ai pas essayé de m’inventer un parcours, de me créer un personnage éloigné de ce que je porte, ni profité du rap pour m’encanailler. J’avais peu d’appétit pour les filles faciles, je ne me suis pas servi de Dooeen’ Damage pour avoir des gardes du corps et sortir flamber dans toutes les soirées de Paris. Le plus souvent, je restais au quartier avec mes copains, en petit comité à rire et à refaire le monde. J’ai toujours été très proche de ce que mes parents mon inculqué malgré quelques rejets adolescents. Quand on parlait de rap de fils d’immigrés, c’était ça pour moi. On voulait transmettre les valeurs de nos parents, plus que des valeurs soixantehuitardes. Pour moi, un vrai bonhomme, c’est comme mon père et j’espère que je suis sur son chemin. La «virilité» dont tu parles, du rap, ne me parlais pas et je n’ai jamais essayé de rentrer dans cette posture-là. J’ai des souvenirs de concerts où toutes les têtes d’affiches se croisaient. Tout le monde sortait son 31. Moi, je faisais exprès de venir avec le pull que ma tante avait acheté au marché du village, au Portugal, et que ma mère me ramenait. J’étais content de porter ses sapes à un événement de rap. Ça me faisait plaisir (rires). Bon… j’avoue, j’ai eu quelques fois des looks bien foireux ! (rires)

DWT : Au regard de ce qui est proposé aujourd’hui en terme de rap français, les rappeurs ne s’enferment-ils pas dans une invention de personnage ?
Vasquez : Chacun son libre arbitre, ses choix. Je constate de la surenchère dans ce qui est mis en avant. Aujourd’hui, je suis dans les lectures et René Guénon, un auteur traditionaliste, appelle ça « le règne de la quantité ». J’essaie de me former un peu à la géopolitique, à l’histoire, entre autres. Je suis dans ma quête de compréhension, j’écoute les différents spécialistes et j’écoute ma « petite voix ». Il y a beaucoup de choses qu’on nous a inculqué et qu’on n’a jamais vraiment vérifié. On nous a éduqué par l’école, par la presse. On nous a appris des choses et on est resté dessus. C’est devenu un dogme en croyant que certaines choses sont acquises. La démocratie, élément important de la pensée unique, par exemple : personne ne la met en doute. On bombarde des civils pour y amener la sainte démocratie et c’est positif. Le rap forcément n’échappe pas à la beauferie et au conservatisme aveugle. On dit tout le temps dans le rap qu’on est les enfants des autres musiques noires. Mais finalement, pas tant que ça. Entre la mentalité des gens du rap et celle de ceux qui ont vécu d’autres époques, il y a globalement comme un fossé. A force d’être les deux pieds dans une culture, on oublie peut être d’avoir un pied dans la réalité. Aujourd’hui, même le plus modeste des rappeurs ne s’occupe que de son rap. Rares sont ceux mis en avant qui, à côté de leur passion pour l’écriture, de la danse ou du graffiti vont lire des livres, avoir un job à côté ou réussir à être de bons chefs de famille. Seuls le matérialisme et la violence sont mis en avant. A partir du moment où tu es dans un milieu artistique, tu as tendance à t’isoler et te couper de la réalité. Mais la réalité est cruelle. Il y a trop de choses qui ne nous plaisent pas. Le salariat, c’est aliénant, ça fait de nous des robots. Quand le rap est arrivé dans nos vies, ça nous a permis de cultiver quelque chose de nouveau par nous même, sans qu’on nous impose de normes, de formation ou d’école. Ca nous paraissait comme positif mais aujourd’hui, nous sommes en train de taper le revers de la médaille et c’est au tour du rap de devenir aliénant.

Les mensonges sont trop énormes. Je ne vote plus, je suis entré en dissidence. Je ne crois plus en la démocratie telle qu’on nous l’a vendu.

DWT : Justement, il semblerait que tu es inventé un nouveau format dans ta discipline, « le rap infréquentable ». Notamment à l’écoute de tes propos dans ton album, comme sur le révisionniste Robert Faurisson. Alors, heureux ?
Vasquez : Je donne mon corps à la science en ce moment. (rires) En gros, j’avais deux tiers de l’album qui étaient réalisés quand je me suis mis à potasser sur le cas Dieudonné. Cela m’a fait connaître ou redécouvrir les gens qui étaient autour de lui, comme Alain Soral, dont j’ai étudié le livre « Comprendre L’Empire ». J’ai beaucoup aimé l’ouvrage et ça m’a mis la puce à l’oreille, car il n’y avait pas d’annotations donc un travail de recherche à faire soi-même. J’ai appris également qu’autour de Dieudonné, il y avait un historien, Paul-Eric Blanrue. C’est grâce à lui que j’ai découvert Robert Faurisson. Je savais vaguement que c’était le «pape du négationnisme» et du coup, je m’y suis intéressé en détail. «Négationnisme» est un barbarisme inventé par ses adversaires. En fait, le révisionniste, c’est un peu ce qui manque à l’historien pour être complet. L’histoire est écrite par les vainqueurs et avec le système en place, cela conditionne une population. Du coup, on a remplacé malhonnêtement le révisionnisme par ce mot de négationnisme. Mais le révisionnisme est quelque chose de normal dans l’histoire. N’importe quel historien devrait revoir, réviser, vérifier les documents historiques, les infos. C’est normal, ça bouge, c’est une science humaine. A chaque fois qu’il y a des progrès scientifiques ou de nouvelles avancées archéologiques, par exemple, de nouvelles infos peuvent êtres découvertes, retrouvées, déclassifiées et pas seulement sur une période précise de l’Histoire. J’ai entendu quelques trucs de Robert Faurisson dont je ne parlerai pas plus parce que je n’en ai pas le droit. Je ne peux pas dire publiquement si je suis d’accord d’ailleurs. Tu es obligé par la loi à croire une version « précise » des évènements, c’est comme ça, interdit par la loi. Je trouve ça très suspect que les parlementaires se mêlent d’histoire. Malsain. Ça ressemble à tout sauf à de la démocratie finalement. J’ai cru certaines choses, j’étais inscrit sur les listes électorales, j’ai voté. Mon père a vécu sous le fascisme et m’a toujours sensibilisé à ça. Aujourd’hui, je suis à un âge où je remets justement tout ça en question. Les mensonges sont trop énormes. Je ne vote plus, je suis entré en dissidence. Je ne crois plus en la démocratie telle qu’on nous l’a vendu. J’ai étudié un peu l’économie, l’histoire de la monnaie, j’ai gobé l’école et les médias comme beaucoup et je pense savoir maintenant, par d’autres alternatives comme la chronique de Pierre Jovanovic, que nous sommes au bord de l’abysse au niveau monétaire et financier. La monnaie ne repose sur rien. On est dans le virtuel, le spéculatif depuis des décennies. De moins en moins de création de richesses, de plus en plus d’emprunts à des taux fous. Les banques prêtent de l’argent qui n’existe pas. Il n’y aurait pas assez de liquidité pour tout le monde si on suivait Cantona dans son délire de tirette. Un enfant qui nait est déjà endetté de plus de 25 000 euros ! Le début de la dette dont on nous parle tout le temps remonte à la privatisation de la Banque de France. Ce qui s’avère intéressant car cela permet à nos maîtres de régner… par la dette ! Alors les clivages politiques dans tout ça, c’est de la baise ! Un outil qui sert à diviser l’électorat. C’est là tout le propos de mes chansons « Tonton Du Café Du Commerce », qui fait dans la provocation et l’humour noir, et « Amen », la conclusion de  mon album qui est plus spirituelle et « 1er degré ». Je comprends également mieux les vrais enjeux de la Révolution Française en étudiant Les Lumières de l’historienne Marion Sigaut, une horrible révisionniste (rires). Sous couvert des droits de l’homme, de liberté, d’émancipation et d’égalité, c’est finalement le libéralisme qui a émergé et pris le pouvoir sur l’aristocratie, qui était la bourgeoisie du roi. La bourgeoisie a remplacée l’aristocratie et tout cela explique un peu le monde dans lequel on est aujourd’hui. Que la Révolution ce n’était pas simplement par le peuple pour le peuple comme le dit la légende. Mais bien sûr, c’est sans fin car il faut une vie, voire plusieurs, pour étudier tout ça. Je ne demanderai pas à d’autres rappeurs de penser comme moi. Par contre, s’ils s’attaquaient à certains de ces travaux, cela donnerait à mon avis une autre dimension à notre supposé art contestataire.

DWT : Peux-tu nous donner des explications sur le fait que la démocratie est pour toi une fumisterie ?
Vasquez : En politique, ce n’est pas la volonté du peuple qui fait que tu seras élu, c’est l’argent. Si tu en as beaucoup, tu gagneras. Avec la démocratie représentative et la force des médias, la démocratie est forcément une fumisterie. On en sait aujourd’hui assez sur ceux qui financent. Les condamnations pour clientélisme, emplois fictifs, trafic d’influence etc. Les gars sont réélus. Ils n’ont même plus honte. On sait qui sont les parrains des fils Sarkozy, à qui appartient Libération, Le Figaro, qui fréquente le Dîner du Siècle. Comment peux-tu mettre à égalité le vote d’un mec qui croit les médias de masse privés ou publics et un mec qui maitrise la géopolitique ou d’autres sujets essentiels ? A la limite, je préférerai que le pays soit gérer par des érudits ou un conseil de sages qui n’hésitent pas à débattre vraiment, un système de tirage au sort, de référendums, quelque chose de participatif comme le suggère Etienne Chouard, pourquoi pas… Mais il faudrait qu’on nous dise la vérité pour pouvoir bien choisir, le bon sens populaire ne vaut que si les gens connaissent la vérité…. Ou même un roi qui aime son pays et qui le défend plutôt que ces mecs du monde de la finance ou de la haute qui passent leurs temps dans des hôtels à New York ou à Tel Aviv et qui n’en n’ont rien à foutre du peuple. Attali pense comme d’autres que les pays sont des hôtels. Je suis de ceux qui croient en l’enracinement. Le village monde peuplé de nomades sans racines, ça ne me dit rien. Parce qu’il est question de ça, ils ne le cachent même plus. En 2005, on a demandé aux gens de se prononcer sur l’Europe, les gens ont répondu non ! Résultat : c’est passé en force. Voilà quelques raisons pour lesquelles je ne crois plus en la démocratie représentative et que j’ai arrêté de voter. Cela ne sert que les intérêts du capitalisme financier. Prenons l’exemple de la fermeture de l’usine PSA-Citroën à Aulnay. Le carnet de commandes était plein, l’Iran en était le principal client. De quoi faire tourner largement l’usine encore, au moins, quelques temps. Or, PSA a été repris par General Motors, qui lui même a été sauvé par l’état américain. Le problème est que les Etats-Unis ont mis en place un embargo économique sur l’Iran… Ils interdisent donc à tous leurs partenaires de travailler avec l’Iran et c’est ce qui s’est passé avec PSA. Ils se retrouvent dans une logique sioniste de défense des intérêts d’Israël contre l’Iran. C’est ce qui fait que les pauvres mecs d’Aulnay se retrouvent au chômage. Le représentant syndical l’avait d’ailleurs évoqué une fois mais après s’être fait briefé le jour même, bah le lendemain, il insultait la famille Peugeot alors qu’ils ne sont même plus décisionnaires là-dedans…

C’est ce qu’il m’arrive, mon insolence ne passe pas auprès des Inrocks. On continue à me parler dans le rap, je suis encore sollicité car ils voient bien que je ne suis pas devenu un horrible raciste antisémite ou je ne sais quoi. C’est sûr qu’il y a de quoi être un peu frileux à partir du moment où tu ouvres une nouvelle porte…

DWT : Et te concernant, sens-tu un embargo des médias «généralistes» à ton égard, comme ce que s’est passé avec Les Inrocks ?
Vasquez : C’est le cas mais je ne fais pas de procès d’intentions et je ne me victimise pas. La seule censure qui est avérée, c’est justement celle des Inrocks. J’étais sur leur site dans la preview sorties rap 2012. Quelques mois plus tard, les mecs se sont réveillés en découvrant qu’il y avait des propos qui ne leur plaisaient pas. La censure est liée à la chanson « Tonton Du Café Du Commerce » mais aussi à mes fréquentations et mes amitiés au sein de l’association Égalité et Réconciliation dont je suis actuellement adhérent. Que ce soit clair, j’ai beaucoup de respect pour le boulot d’Alain Soral, c’est le président d’E&R, il m’a dirigé vers certains ouvrages clés qui m’ont permis d’avancer un peu dans ma quête de compréhension. L’équipe de son site a eu la gentillesse de relayer mon travail au moment de sa sortie et cela sans que je leur demande quoi que ce soit. Je touche un autre public et je les en remercie. Maintenant, j’ai passé l’âge d’idéaliser les gens, les groupes d’individus et d’attendre d’eux la perfection, petit message aux malhonnêtes qui le présente comme un gourou. Concernant Les Inrocks qui ont lancés une pétition qui s’appelle « Devoir d’Insolence » ou ils soutiennent un sociologue (Saïd Bouamama) et un rappeur (Saïdou du groupe Z.E.P.) qui se sont mis dans un concept, « nique la France », et son passé colonialiste. Ce cas est révélateur. Alors quand il s’agit de «niquer la France» Les Inrocks sont derrière mais quand il faut «niquer» le sionisme et la Franc-Maçonnerie, qui vraisemblablement «niquent» la France et nous tous qui la composons, il n’y a plus personne ! C’est ce qu’il m’arrive, mon insolence ne passe pas auprès des Inrocks. On continue à me parler dans le rap, je suis encore sollicité car ils voient bien que je ne suis pas devenu un horrible raciste antisémite ou je ne sais quoi. C’est sûr qu’il y a de quoi être un peu frileux à partir du moment où tu ouvres une nouvelle porte… Pour rigoler, parce que j’aime bien rigoler, j’appelle ça « le rap d’extrême droite ». J’ai trouvé un créneau sympa et vierge (rires). Ils parlent de relents rouge brun… désolé, j’étais pas né ! Je ne sais pas si ça vient de gauchistes, d’altermondialistes etc… Je ne sais pas trop ce que ces mecs me reprochent puisqu’il n’y a pas moyen de débattre avec eux. C’est toujours à base d’anathèmes et de procès d’intentions en disant gravement que je fais « la promotion capitaliste du négationnisme ». Cette tournure vient d’un blog « antifa » qui n’a pas apprécié une interview de moi dans un journal gratuit franco-portugais mais c’est très flou. Le résultat est qu’ils ont tout de même réussi à mettre de la pression et faire annuler une émission de radio. La directrice de cette radio a été prise de panique (rires). En vingt ans de direction, ça ne lui était jamais arrivé. Cette polémique semble les avoir choqué. Je suis issue de l’immigration, fier de mes racines et je ne suis pas xénophobe, ni un électeur du Front National. Je vais au contact des autres humains qu’on me présente comme ennemis pour savoir de quoi je parle, me faire mes propres avis, j’essaie d’être juste. Rendre sa complexité à ce que nous vivons, c’est urgent pour éviter le choc des civilisations tant souhaité par nos dirigeants. Si mes propos permettent à certains d’élever le débat ou de bousculer la réflexion, ça me va. Je ne veux ni me retrouver leader, ni le pauvre mouton suiveur victime.

Tu te rends compte de la malhonnêteté des gens. Tu comprends mieux qui sont les mecs assis, qui sont les salariés et qui sont les mecs qui construisent et ceux qui mangent des cailloux.

DWT : Fais-tu également face aux mêmes réactions de censure dans les médias plus spécialisés ?
Vasquez : En fait, j’ai été très surpris. J’ai fait deux albums et demi avec Less du Neuf, de gros projets qui ont bien marchés comme « Opération Freestyle » avec Cut Killer, « Première Classe » ou la réalisation du premier album de MC Jean Gab’1, donc un parcours assez riche. Mais quand je vais sur des sites hip hop, bizarrement, pour un mec considéré comme un bon, il n’y a que le strict minimum à mon sujet. Par contre, ils sont capables de décortiquer des textes de stars comme La Fouine, Rohff ou Booba. Ils prennent le temps pour ça. Il y en a très peu dans le rap qui m’ont parlé de « Tonton » en me disant : «ouais tu parles de Robert Faurisson, qu’est ce qui se passe ? Tu fais référence à Jean Marie Le Pen de manière inédite, qu’est ce qui se passe ?». Ces mecs et ces médias n’ont visiblement pas eu le même intérêt pour décortiquer ce genre de textes. En même temps, ça peut se comprendre. Quand ces personnes sont installés dans leur petit confort avec leur média, qu’ils rencontrent les artistes qu’ils aiment bien, qu’ils sont invités à des concerts et qu’ils reçoivent des tee shirts et des albums promos, à un moment donné ces «journalistes» ont tendance à se comporter comme des fonctionnaires. Ils ne cherchent plus et tout vient à eux. Je suis quelqu’un de bonne foi, je suis un mec gentil. Si tu me dis quelque chose, à priori, je te crois mais au fur et à mesure, tu finis par avoir ta propre expérience et tu te rends compte de la malhonnêteté des gens. Tu comprends mieux qui sont les mecs assis, qui sont les salariés et qui sont les mecs qui construisent et ceux qui mangent des cailloux. Le système fait tout pour que ce ne soit pas les gens garants de l’intégrité et de l’évolution qui puissent être à des places de décideurs.

DWT : Ton morceau « Ton Satellite » est une véritable référence. Il pourrait être dédié aux enfants de chacun d’entre nous. Explique nous ta démarche.
Vasquez : Mon album solo est un testament. J’ai commencé à penser à ma mort le jour où j’ai eu mon premier fils. Ça m’a fait un choc. Avant, je n’y pensais que lors de disparitions de proches. On se tape tous nos angoisses. Du coup, tu penses à ta santé et tu te rends compte que tes problèmes personnels n’impliquent pas que toi. J’aimais beaucoup l’instru, c’était un beat souriant, très spatial, très solaire même. C’est le premier beat que Luisinho m’a proposé, je l’avais choisi avant la naissance du petit. Je l’ai gardé sans trop savoir ce que j’allais faire dessus et ça a pris du sens quand je suis devenu papa. C’est le dernier texte que j’ai écris et que j’ai posé. Ça a été très difficile, il y avait beaucoup d’émotion : voix tremblante, etc… J’aime pas la mièvrerie en chanson. J’avais déjà entendu des morceaux de collègues sur ce thème mais ça ne m’encourageait pas à le faire (rires). J’ai essayé de faire un titre plus adulte. Ce morceau s’adresse à mon fils ainé quand il sera en âge de comprendre car j’ai conscience qu’aujourd’hui, il ne peut pas en être ainsi. De nos jours, on reste un gamin très longtemps. Peut être quand il aura 20 ans et je ne sais même pas si je serai encore là. Ce que j’ai voulu exprimer à travers « Ton Satellite » est que quand tu es jeune, toutes tes conneries n’impliquent que toi. Encore plus quand tu es artiste. Ce côté très égocentré fait que tu penses que tout passe par toi, que le monde tourne autour de toi. Mais ça peut vite changer. Pour ma part, je me suis retrouvé à tourner autour de quelqu’un. Moi qui « était » soleil, je me suis retrouvé satellite.

DWT : Tu évoquais l’humoriste Dieudonné. Comment expliques-tu son manque de soutien de la part des milieux artistiques et sa mise en marge depuis quelques années ?
Vasquez : C’est pour moi le plus drôle et le meilleur. Il a beaucoup de talent, même au niveau du charisme, de la technique et de ce qu’il rend sur scène. Son succès populaire le prouve. Il a beau être diabolisé et boycotté, il est l’humoriste qui vend le plus de billets de spectacle en France. Il y a beaucoup de choses qui interpellent à son sujet. J’ai appris récemment qu’on lui avait proposé une grosse somme d’argent pour qu’il annule de lui-même sa dernière tournée. De qui ? Je ne suis pas en mesure de vous le dire mais il s’agirait de propositions sérieuses. C’est pour vous dire à quel point il est dangereux pour le système. Je me souviens d’être aller voir « Pardon Judas à la Main d’Or »… Je ne savais pas trop quoi penser de son passage chez Fogiel (On ne peut pas plaire à tout le monde, décembre 2003, France 3). Tout ça, c’est de la politique. Même si je suis de sensibilité pro-palestinienne de nature, pendant des années, j’ai décroché, je ne calculais même plus. Je n’avais aucune position, j’étais juste méfiant. La machine de propagande est tellement forte. Ce n’est que pendant l’été 2011 que je me suis vraiment intéressé au cas Dieudonné. Je n’ai donc rien à reprocher à ceux qui ne sont pas ses soutiens. Certains se sont désolidarisés car ils ont dû prendre peur. Je pense que Dieudo mérite qu’on se mouille pour lui. Il est à l’avant garde d’un combat citoyen. Il s’est battu contre le Front National dans les années 1990. C’est un militant anti-raciste et le jour où il a pointé du doigt le racisme israélien, le racisme sioniste, la plupart des gens l’ont lâchés. Et ça, c’est édifiant. Quand tu te penches sur l’histoire de SOS Racisme, de la LICRA et de toutes c’est associations, tu te rends compte que l’anti-racisme n’est pas leur priorité. Ils ne militent que pour la protection des œuvres sionistes. Il suffit d’observer le conseil administratif de la LICRA : que des sionistes, pas de noirs, pas d’arabes, ni de chinois ou de roms là-dedans. Ce ne sont que des membres de l’élite d’une communauté qu’il est interdit de citer sous peine d’un procès et qui cautionnent et soutiennent inconditionnellement un régime d’apartheid dans sa politique suprématiste et de répression. Quand je vois les images des derniers bombardements de Tsahal sur Gaza, il  est im-pos-si-ble que ce soit ces gens-là qui désignent qui est raciste et qui ne l’est pas en France. On ne peut pas cautionner un anti-racisme qui cautionne Israël. C’est d’une incohérence totale.

Tout ce qui touche à la défense de l’anti-racisme et des minorités visibles est piloté par des sionistes. Regarde la manière dont ces associations apparaissent quand il y a un arabe ou un noir qui se fait tué par la police.

DWT : Est-ce pour ces raisons que tu es sensible aux luttes pour le respect du peuple palestinien ?
Vasquez : Oui et ce n’est pas qu’un problème régional. On a tous, toutes les petites gens, sans distinction, à perdre avec ça. Je considère que la France même est occupée. La loi Fabius-Gayssot, l’affaire PSA, l’affaire Merah sur laquelle on peut s’interroger. C’est malheureusement comme ça et depuis longtemps. Il semblerait que le dernier à résister fut De Gaulle, ce qui cacherait les vrais raisons du mouvement de 1968. Tout ce qui touche à la défense de l’anti-racisme et des minorités visibles est piloté par des sionistes. Regarde la manière dont ces associations apparaissent quand il y a un arabe ou un noir qui se fait tué par la police et comment ils en profitent pour stigmatiser le français de souche avec des amalgames sur la collaboration, la colonisation etc… Aujourd’hui encore, l’arabe ou le noir lambda est toujours confronté aux mêmes problèmes et rien n’a changé. Alors qu’au moindre semblant d’acte antisémite, souvent contredit par la suite, ça retient toute l’attention du pays et on en profite pour légiférer au nom du « plus jamais ça ». C’est un jeu malsain. Où sont les cinq israéliens qui ont tués Saïd Bourarach ? Ce n’était pas du racisme ? Qui a bougé ? Où était SOS Racisme ? La Licra ? A ma connaissance, il n’y a que Soral et Dieudonné qui ont fait une action concrète d’appels aux dons pour ramener de l’argent à sa veuve et participer aux frais de justice. Il ne suffit pas de rêver de prendre une Kalashnikov et d’aller se battre avec les Palestiniens.

DWT : En prenant ce genre de position, as tu l’impression de retrouver sur le même chemin marginal que Dieudonné ?
Vasquez : Je ne me suis pas retrouvé dans des situations compliquées, comparables. Je n’ai pas non plus sa carrière. Le destin a fait que je me suis déprofessionnalisé. J’ai sorti mon album solo en le produisant avec ma femme. Je n’ai plus de pression, plus de manager. On a de compte à rendre à personne. J’ai juste quand même prévenu ma femme qu’on pourrait avoir à souffrir quelques censures en sortant certains morceaux. Ça fait parti de mon cheminement intellectuel et spirituel, je suis obligé de l’assumer par conscience, par foi. Et je tends la main à tous les rappeurs, dont certains ont été mes amis. J’invite tous les rappeurs conscients ou à sensibilité politique ou spirituelle, que se soit La Rumeur, Kéry James, ou même tout ces rappeurs qui ont une influence sur la jeunesse ou qui simplement aiment leurs enfants, à lire tout ce qu’on leur a toujours interdit de lire et s’éloigner des milieux bobos et gauchistes de merde. Faire travailler leur libre arbitre en connaissance de cause. S’attacher aux faits, s’unir pour se réapproprier ce pays, qu’on se batte pour nos enfants et que l’on mette nos égos de côté, quelque se soit le bord politique, la religion ou le rang social. Prioriser nos luttes. Il y a de fortes chances que la situation devienne chaotique sans ça. Quand il n’y aura plus rien à manger dans le frigo, ça risque d’être très dur. Dans l’organisation que je fréquente, Egalité et Réconciliation, j’y vois une belle diversité d’origines et de générations, une forte volonté de résister par la connaissance, il y a des sensibilités diverses et variées mais patriotes, des chrétiens, des musulmans… totalement transcourant. Nous voulons arriver pourtant à trouver un consensus autour de la paix pour nos enfants. Retrouver la fierté d’être français. Les portugais sont comme les algériens : nationalistes, patriotes, ils aiment leur drapeau. On aime un pays pour son territoire, sa langue, son histoire, sa culture, un patrimoine. Je souhaite aux français de retrouver cette fierté volée. Un des problèmes que connait la France, par rapport à ces pays, est son histoire coloniale que l’on doit à la gauche et son élite. A cette époque, probablement que les 80% de français qui étaient pour la plupart des paysans n’y étaient pour rien là-dedans. On a tendance à tout mettre côté droite alors que le grand monsieur de la colonisation et de la théorie raciale sur le devoir d’éducation des peuplades inférieures est Jules Ferry, un mec de gauche. Ce n’était pas Le Pen et son grand père. On est persuadé que la gauche n’est pas raciste mais c’est faux. Ou l’on cherche à préciser historiquement sur ce qu’il s’est passé et sur qui a fait quoi pour rééquilibrer et nuancer et même ré-humaniser les parties antagonistes, ou l’on gobe la propagande, le ridicule avec des généralités sur les blancs, les colons, les noirs, les arabes… Il est plus prudent pour le système de ne pas nous permettre d’étudier ces choses. Le rap ne doit pas juste être une façon de passer ses frustrations ou son aigreur et cracher sur des gens qui portent aussi leur souffrance d’être humain et qui n’ont rien fait dans ces sordides histoires entre élites.

C’est dur d’entendre Beigbeder dire que le vrai Joey Starr, c’est peut être celui du film alors qu’il se fait enculer dedans. Il n’y a pas si longtemps, Joey Starr aurait mis une tarte dans la gueule à Beigbeder. Mais maintenant, il est dans un jeu où il accepte ça et c’est triste.

DWT : Tu te rapproches d’Alain Soral alors qu’il applique des méthodes que tu critiquent à savoir traiter en substance un sujet, ce qu’il fait avec le rap en ne se référant qu’à quelques morceaux médiocres qui passent sur une radio médiocre. N’est-ce pas une contradiction ?
Vasquez : Quand j’entends Alain Soral parler sur le rap, ça ne me choque pas parce que j’ai entendu les mêmes choses à la maison. Mais la portée de sa parole est un peu plus dérangeante car c’est un mec public. Cette musique ne lui convient pas trop je pense. Il aime plutôt les chants, les mélodies et quand ça ne dit pas des gros mots. Ce n‘est pas sa culture et il n’y connaît rien, il le reconnaît. Après, ce qu’il critique, ce n’est pas spécialement le rap et les rappeurs mais l’instrumentalisation de cette musique en tant qu’outil de domination. A ce niveau là, sa réflexion est assez pertinente car cela a fait de nous des gros consommateurs. Il n’est pas en train de juger le phénomène artistique. Quand on parle d’un mec comme Joey Starr par exemple, moi je le vois plus pour ce qu’il a représenté pour ma génération, avec son côté rebelle. Aujourd’hui, il fait des films avec Beigbeder. C’est un gars de la rue qui s’est fait bouffer par la jet set. C’est dur d’entendre Beigbeder dire que le vrai Joey Starr, c’est peut être celui du film alors qu’il se fait enculer dedans. Il n’y a pas si longtemps, Joey Starr aurait mis une tarte dans la gueule à Beigbeder. Mais maintenant, il est dans un jeu où il accepte ça et c’est triste. Cela aurait également pu m’arriver après Taxi 2. Il y avait des gens qui me venaient me dire que j’étais le nouveau Akhenaton et qu’ils avaient besoin d’un petit blanc. Ils n’ont pas réussi à faire ce qu’ils voulaient de moi. Je viens d’un quartier majoritairement bourgeois où je vois des gamins auxquels papa maman ont payé le permis à 18 ans pour mettre du rap dans leurs bagnoles en se prenant pour des cailleras, fumer des bédos, alors que leur chemin est de devenir médecin ou avocat. Ce n’est pas entièrement à cause du rap mais il y est pour quelque chose. Dans les années 1980, Hollywood nous a appris a détester les russes et le communisme, dans les années 1990, il nous appris à nous méfier des musulmans. J’ai entendu Tupac déclarer : « jamais je ne jouerai le rôle d’un délinquant musulman dans un film, un délinquant musulman ça n’existe pas ». Il avait raison car une personne de confession musulmane et délinquante à la fois est un non sens. Exemple : qu’a donc fait Lunatic dans son premier album si ce n’est un mélange d’Islam et d’attitude libéralo-libertaire/caillera ? La gauche, la droite et leurs médias nous vendent le même fantasme de caillera et musulman de banlieue avec l’affaire Mohammed Merah. Le rap aussi joue ce jeu là. Est-ce que les rappeurs qui ont joué sur ce terrain ont fait du bien à la communauté musulmane ? Est ce un truc à reprocher au Front National ? On s’est fait bluffer. On a détesté Benny B qui était indépendant et à côté de ça on préférait « Le Monde De Demain » habillé en Jean-Paul Gautier. On a cru que c’était ça la révolution (rires).

Les gens de Skyrock m’ont plutôt mis les nerfs quand ils osés dire que la liberté d’expression de toute une génération était en danger au moment où ils ont eu leurs problèmes de capitalistes.

DWT : Tu dois donc en toute logique associer Skyrock à l’instrumentalisation de cette musique. Ce qui expliquerait aussi les raisons pour lesquelles ils ne te rentrent pas en playlist…
Vasquez : Je ne ferai pas de distinguo entre Skyrock et Génération. J’ai déjà rappé à Skyrock. J’y ai même de bons souvenirs dont un que je n’ai jamais entendu avec Parrish Smith. Je suis au regret de dire que c’est grâce à Skyrock mais ça reste de la merde. Au début, on se disait qu’on est trop balaise, que le public va comprendre la différence. J’étais dans cet esprit mais finalement, cela ne change rien du tout, la machine est forte et tu te fais bouffé. Tout n’est qu’une question de régie publicitaire et Génération pratique les mêmes méthodes. La qualité artistique n’est pas une priorité. Je n’ai de toute façon pas pensé à leur envoyer des exemplaires de mon album et je n’attends plus rien d’eux. Ils m’ont plutôt mis les nerfs quand ils osés dire que la liberté d’expression de toute une génération était en danger au moment où ils ont eu leurs problèmes de capitalistes. D’ailleurs ça n’est pas un hasard si nous retrouvons ici, près de la 17ème Chambre, où je suis venu soutenir le Docteur Salim Laïbi poursuivi par le boss de Sky, Bellanger. Le garant de la liberté d’expression des jeunes attaque en diffamation !

DWT : Tu ne sembles plus trop proche non plus de tes anciennes fréquentations dans le rap français…
Vasquez : C’est vrai que j’ai cultivé peu de liens pour en créer aussi d’autres, heureusement. Je me suis très bien entendu avec Ékoué mais on a eu une petite fâcherie. On ne s’est pas revu depuis. Les années passent et je m’en fous, je ne cultive pas les rancœurs. Je lui reprochais de n’avoir une posture radicale qu’au sein de son groupe « La Rumeur » alors que finalement il était pote avec tout le monde dans les mondanités du tout Paris. Quand je me suis fâché avec Maurice (Mongo, directeur du label Dooeen’ Damage), j’attendais bêtement de lui un positionnement. J’étais très en colère. Je n’ai pas géré les choses calmement. Or Ekoué m’avait présenté Maurice… Il s’est retrouvé un peu con quand je lui ai dis que Maurice m’avait mis une belle banane. J’ai fait parti de ceux qui ont donné du crédit à son label avec Casey et Less du Neuf. Regarde comment il m’a remercié par rapport à tout le travail qui a été fait sur Jean Gab’1… Ça parlait super mal notamment à son cousin J.P. (Jeap 12). Je l’avais déjà prévenu d’arrêter de mal parler aux gens qui lui était fidèle. Il a eu une façon très particulière de remercier nos efforts et notre confiance, c’est ce qui explique que cela se soit « mal » terminé.

DWT : Revenons un peu sur des échanges qu’il y a eu sur downwiththis.fr entre Sheryo et toi, cela a eu le mérite de vous expliquer sur des malentendus…
Vasquez : Ça m’a fait vachement plaisir. Sur le coup, je me suis dis merde ce n’est pas exact ce qu’il dit à propos de Jean Gab’1. Je reconnais que j’ai co-réalisé son album, que j’étais là tous les jours, qu’on a rigolé avec lui. On l’a aidé à mettre en forme toutes les conneries qu’il a dit, il n’y a pas de problèmes, je ne vais pas me dédouaner de tout. Mais de là à me faire endosser les propos de Gab1, c’était injuste. C’est pour ça que j’ai apporté un élément de réponse sur votre média. J’ai revu Farid après à la photo pour le 30ème anniversaire du hip hop en France que vous avez organisé (Paris, Le Bataclan, 18 Novembre 2012) et c’était cool. Aujourd’hui, je ne garde que des bons souvenirs. Je n’étais pas hyper fou artistiquement de ce qu’il faisait mais j’ai apprécié faire des radios et des concerts avec lui. C’est un improvisateur hors pair. Si tu ne reconnais pas son talent, c’est que tu es de mauvaise foi. Le mec est légitime et j’espère qu’il arrivera à cultiver sa passion et qu’elle ne le détruira jamais. Malheureusement, le rap t’enferme souvent dans un mode de vie destructeur.

DWT : Destructeur… Tu nous tends ainsi une perche pour te demander si « Le rap est réellement une effroyable imposture » (titre du premier essai de Mathias Cardet) à tes yeux ?
Vasquez : D’une manière global, je pense que oui. C’est un outil de domination du capitalisme sur le prolétariat des quartiers populaires. Le temps que les gamins passent à écouter du rap, ils ne le passent pas à faire du sport, écouter des conférences ou lire des livres. Tout est une question d’équilibre. Il y a beaucoup de gens dépressifs dans ces quartiers. Quand tu te retrouves seul dans la vie, tout perd son sens. On t’apprend à culpabiliser, à chercher ton malheur dans ton enfance. Est-ce que l’on ne t’a pas tripoté le cul ? Est ce que tu n’es pas amoureux de ta mère ? Alors que souvent, c’est le manque de compréhension, ta condition sociale ou ton environnement qui font que tu déprimes. Il suffit que tu changes de vie ou de vision pour aller mieux.

DWT : Le hip hop est justement arrivé avec un message clair à ses débuts. Il était question de trouver une place dans la société à l’heure où l’exclusion la plus totale était monnaie courante dans les ghettos où est né cette culture…
Vasquez : Il y a des choses que j’ai sûrement mal interprétées. Je ne suis pas allé aussi loin dans l’idéologie. Je me suis réapproprié le rap pour en faire quelque chose qui m’était propre. Je voulais faire mon rap honnête et rassurer mes parents qui ont tout fait pour que je sois étudiant et avoir une meilleure place qu’eux dans la société. Aujourd’hui, de quelle société parle-t-on ? Je suis prêt des 40 piges, nous sommes à une autre époque, celles de révélations ou internet joue un rôle important. Profitons avant qu’ils nous coupent le robinet. J’ai constaté depuis longtemps que mon art est inadapté aux exigences industrielles. Il est aussi hors de question que je confie l’intégralité de l’éducation de mes enfants à l’école, à la musique mainstream, à Hollywood, les valeurs sont totalement inversées. A un moment donné, il va falloir que je nuance.

Lord Jamar (Brand Nubian) Five percent, « word is born » !

Société
Brand Nubian, Clarence 13X, Five Percent, Lord Jamar, Nation of Gods and the Earths, NGE

Il a fallu qu’on vienne nous voir pour nous dire : « non, vous n’êtes pas des chiens mais Dieu. Vous êtes l’opposé des chiens ».

De tout temps, les croyances ont joué un rôle dans la créativité artistique des civilisations. Aux Etats-Unis, les rappels à la religion sont partout dans la société, billet vert y compris. Ne pas croire peut choquer un grand nombre d’américains. Il s’agirait pour eux de ne pas reconnaitre ce qui est une évidence : la présence de Dieu parmi nous. Il faut croire et encore croire. Ce qui ne nous éloigne finalement pas des valeurs de la culture hip hop : croire… Est-ce une force ?  Ce qui est sûr, c’est qu’une croyance tisse depuis bien longtemps des liens étroits avec bon nombre de rappeurs américains : Nation of Gods and the Earths (Five Percent Nation) et que plusieurs artistes d’entre eux ont réussi à apporter ce qu’il y a de mieux sur le marché mondial de cette musique : Lord Jamar / Brand Nubian, Wise Intelligent / Poor Righetous Teachers, Rakim Allah / Wu Tang Clan… Voilà des artistes auxquels il est difficile de ne pas croire à son tour ! Après avoir rencontré Jennel (membre de la NGE) en nous rendant à l’école « The Street Academy », 2122 Adam Clayton Powell Jr Blvd, Harlem, New York, où le projet socio-éducatif  « Amar Education » enseigne aux jeunes du quartier les mathématiques, la grammaire et l’auto-défense, nous nous sommes par la suite entretenus avec Lord Jamar de Brand Nubian, qui nous aide à mieux cerner les convictions de cette Nation aux fondements sociaux religieux. « Word is born » ! Flo

« Les musulmans noirs américains sont un ensemble de groupes religieux issus de la communauté afro-américaine qui se réclament de l’Islam sunnite orthodoxe, de l’organisation Nation of Islam ou de divers groupes de moindre importance comme la Nation of Gods and the Earths (Five Percent Nation). La NGE est une dissidence radicale de la Nation of Islam, fondée dans les années 1960 par Clarence 13X. La doctrine a fort peu à voir avec l’Islam, malgré sa référence à Allah. C’est sans doute une des organisations dissidentes les plus importantes. Elle est fortement implantée dans les milieux du rap ». (source : A religious portrait of african-americans)

DWT : Ton appartenance aux Five Percent est très visible. As-tu grandi dans la religion ?
Lord Jamar : 
Ma mère était témoin de Jéhovah et mon père ne vivait pas à la maison. Mais je sais qu’il n’était pas très religieux. J’ai donc grandi avec les croyances en Jéhovah.

DWT : Qu’est ce qui t’a plu dans cette religion ou philosophie des Five Percent et comment l’as-tu découvert ?
Lord Jamar : J’ai commencé à m’intéresser au sujet quand j’avais 13 ans. Je glanais des informations ici et là.  Mais c’est surtout Dakim, un gars plus âgé que moi, qui me donnait la plupart des informations. Il me donnait aussi des livres (ndlr : l’ouvrage numérologique sacré «les 120 degrés»). Ce qui m’a plu, c’est que d’abord, ce n’était pas une religion. Il s’agissait plus d’une éducation. C’est quelque chose qui m’a parlé en tant que jeune homme noir. Nous avons grandi aux USA avec l’idée que nous étions les opposés de Dieu. Il a fallu qu’on vienne nous voir pour nous dire : « non, vous n’êtes pas des chiens mais Dieu. Vous êtes l’opposé des chiens ». Ces mots étaient puissants. Les mots ont du pouvoir, de l’énergie et des vibrations. On peut sentir l’énergie d’une vérité et celle d’un mensonge. Tout cela avait soudain un sens pour moi.

Ecole Five Percent Nation, 2122 Adam Clayton Powell Jr Blvd, Harlem, New York – Photo © Down With This

Nous avons grandi aux USA avec l’idée que nous étions les opposés de Dieu. Il a fallu qu’on vienne nous voir pour nous dire : « non, vous n’êtes pas des chiens mais Dieu. Vous êtes l’opposé des chiens ».

« This is Jihad music, see the God do it
Allah U Akbar, Lord Jamar’s the truest
ONE is Knowledge,
TWO is Wisdom
THREE is Understanding, the devil’s underhanded
FOUR is Culture Freedom,
FIVE is Power Refinement
SIX is Equality, newborns follow me
SEVEN is God,
EIGHT is Build or Destroy
NINE is Born, you forget to rewind the song
ZERO is Cipher, now there you have it «  Keep your cypher »
And cause I sincerely love Allah’s Mathematics »
(extrait de « Supreme Mathematics » publié dans «The Five Percent Album», Lord Jamar – ndlr : « Mathématique suprême » attribue une fonction précise à chaque chiffre de 0 à 10, le 7 représente Dieu).

DWT : Peux-tu nous éclairer sur les raisons du départ de Clarence 13X (futur fondateur des Five Percent) de la Nation of Islam ?
Lord Jamar : Le fondateur des Five Percent, Clarence 13X (ndlr : né Clarence Edward Smith, vétéran de la Guerre de Corée) pensait que quand la Nation of Islam parlait de Dieu, qu’elle parlait non seulement de Dieu et du prophète mais aussi de tous les citoyens noirs. Clarence 13X voulait promouvoir cette idée. Mais les dirigeants de la Nation Of Islam ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils disaient aux gens que seul Wallace Fard Muhammad (ndlr : fondateur de la Nation of Islam) pouvait être Dieu. Pas tout le monde. Il a donc crée sa propre nation (ndlr : entre 1963-64).

DWT : Quel regard portes-tu aujourd’hui sur Louis Farrakhan et son travail pour la communauté afro-américaine ?

Lord Jamar : Pour être sincère, je ne suis pas très sûr de son travail. Dans les années 1980, la Nation Of Islam était très puissante. Farrakhan était très important à cette époque. Aujourd’hui, tout a changé. Je ne sais pas trop ce qu’il fait vraiment aujourd’hui pour la communauté musulmane. Je suis allé à Chicago et le restaurant musulman où j’allais d’habitude était fermé. Farrakhan n’est sans doute plus ce qu’il était. C’est un vieil homme maintenant. Mais pas besoin de Farrakhan, tout le monde devrait être son propre Farrakhan. Tu dois faire ce que tu dois faire et arrêter d’attendre que quelqu’un d’autre vienne régler tes problèmes. Quand tu t’appelles Dieu et que tu commences à regarder le monde sous cet angle, tu arrêteras alors de compter sur les gens pour qu’ils fassent des choses pour toi et tu les feras toi même. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas qu’on sache qu’on est Dieu…

Quand tu t’appelles Dieu et que tu commences à regarder le monde sous cet angle, tu arrêteras alors de compter sur les gens pour qu’ils fassent des choses pour toi et tu les feras toi même. C’est pour ça qu’ils ne veulent pas qu’on sache qu’on est Dieu…

DWT : Vas-tu encore à la mosquée numéro 7 de Harlem ?

Lord Jamar : J’y allais souvent à l’époque. J’ai beaucoup d’amis qui fréquentent toujours cette mosquée. Je les respecte et ils me respectent.

Mosquée n° 7 Muhammad – Photo © Down With This

DWT : L’album «The Five percent Album» sorti en 2006 rend hommage à Clarence 13 X. Cette sortie a apporté quelque chose de bien spécifique et de nouveau dans le hip hop…
Lord Jamar : Personne n’avait fait un album entièrement dédié aux Five Percent. Je ne l’ai pas fait pour tourner en radio, ni rien de tout ça. Il a été chaleureusement accueilli par les sympathisants. Il y a encore des gens qui me remercient encore aujourd’hui pour tout ce qu’ils ont appris grâce à cet album.

DWT : En 1993, tu as également eu un titre emblématique « Allah & Justice », dans l’album « In god we trust », avec ton groupe Brand Nubian…

Lord Jamar : Ce morceau parle des Five Percent. Je parle de mathématiques. Je rends hommage à la Nation des Five Percent. J’étais attiré quand j’étais jeune par cette Nation. Lorsque j’ai compris ce que tout cela voulait dire, j’ai voulu le transmettre aux générations futures.

DWT : Croire en Dieu te semble t-il indissociable de la pratique du hip hop ?
Lord Jamar : Tu ne peux séparer Dieu de rien, car Dieu est dans toutes les fondations. Quand tu crées une rime, c’est Dieu qui la crée. Tu fais le travail de Dieu. Quand tu arrives avec de nouveaux lyrics en te demandant comment ils te sont arrivés, c’est simplement qu’ils viennent de Dieu !

DWT : Quel est le principal message des Five Percent ?

Lord Jamar : Le principal message, c’est que tu es Dieu et te déconnecter de Dieu est une erreur. Car tu es Dieu et tu es le créateur de l’univers. Tu es le contrôleur de l’âme. C’est le message de base avant toute chose. Il y a certains messages destinés à différents groupes. Il y a des messages destinés spécialement aux hommes noirs, spécialement en Amérique du Nord. Car certains n’ont pas accès à une certaine connaissance.

DWT : Te considères-tu comme un musulman en étant un Five Percent ?

Lord Jamar : Je me considère comme Dieu ! Nous mettre dans des cases, c’est ce qu’ils veulent ! Les Five Percent nous apprennent que nous ne sommes pas musulmans. Mais on apprend que le mot mu veut dire «1» et sulman veut dire paix. Alors suis-je la paix ? Oui ! Alors suis-je musulman ? Oui ! Mais si on me dit que Dieu est une divinité mystérieuse dans le ciel alors je dis non ! Mais si tu es Dieu et que Dieu est en toi alors je dis encore oui ! J’étudie toutes les religions : le bouddhisme et plein d’autres. Toutes les religions sont un miroir cassé qu’il faut recoller. C’est en recollant chaque morceau qu’on obtient la vérité.

DWT : Et le soufisme…

Lord Jamar : C’est la fondation des Five Percent. Le soufisme est la forme mystique de l’Islam où l’on t’apprend que tu es Dieu (ndlr : son enseignement est issu de la numérologie soufiste et de la numérologie hébraïque).

Jennel de l’école Five Percent Nation d’Harlem, New York – Photo © Down With This

DWT : Qu’est ce que les américains pensent de ce courant ?
Lord Jamar : C’est simple, il suffit de dire le mot Five Percent. Tu comprends alors que le pourcentage restant ne connaît même pas notre existence. Quand tu sors de New York, tu te rends compte que les américains moyens ne savent même pas que de telles pensées existent. Mais on s’en fiche de la perception des autres, c’est la tienne qui compte. Ta perception de la vie est celle qui fait la différence et qui change ta vie. Si tu penses à ce que les autres pensent de toi, de ton organisation, c’est ainsi qu’ils contrôlent tes actions. C’est toi qui dois contrôler tes propres actions.

Ta perception de la vie est celle qui fait la différence et qui change ta vie. Si tu penses à ce que les autres pensent de toi, de ton organisation, c’est ainsi qu’ils contrôlent tes actions. C’est toi qui dois contrôler tes propres actions.

DWT : Les Five Percent ont ils pour but de s’étendre aux 85 % ou veulent-ils garder cette connaissance pour eux ?

Lord Jamar : Les Five Percent ne veulent pas rester Five Percent. Ce sont les 10% qui veulent rester 10% et qui veulent tout garder pour eux. C’est pour cela que les Five Percent luttent contre les 10% dans l’intérêt des 85%.

DWT : Penses-tu avoir fait du bon boulot ?

Lord Jamar : Absolument. Depuis que je suis dans la musique, c’est ce que j’ai fait. Les preuves sont là. Beaucoup d’autres artistes sont impliqués mais ils n’en parlent pas forcément dans leur musique.

DWT : Comment devenir un bon Five Percent ?
Lord Jamar : Il suffit d’être bon, d’être généreux, serviable, respectueux avec ton esprit et ton corps avec les autres, de civiliser ceux qui ne le sont pas, de transmettre les messages et de rester conscient.

DWT : Quelle est ta place aujourd’hui dans la musique ?
Lord Jamar : Un nouvel album arrive, il s’agit de « Known Associate ». Il parle des gens de ma génération, des années 90 dans le hip hop… Avec de super lyrics et de super instrus…

Propos recueillis le 6 décembre 2012 par Fati et Flo.

Photo © Down With This

Dédicace aux membres de la NGE : DJ Kool Herc, World Famous Supreme Team, Busta Rhyme, Digable Planets, J-Live, Nas, Jay Electronica, Erykah Badu, Queen Latifah, Rakim, Big Daddy Kane, Wu Tang Clan, Poppa Wu, Ghostface Killah, Raekwon, Killarmy, Sunz Of Man, Gravediggaz, AZ, Gang Starr, Guru (RIP), DJ Premier, MF Doom, Black Thought, Ras Kass, Jus Allah, Cormega, Allah Mathematics, Brand Nubian, Pete Rock & CL Smooth, Prince Paul, Black Sheep, Poor Righteous Teachers, Large Professor, Foxx, Talib Kweli, Public Enemy…

Emeutes politiques à Dammarie-lès-Lys

Société
17 octobre 1961, papon, police

Les violences les plus dures sont en réalité celles si douloureuses que nul n’en parle. Elles ne s’offrent pas encore aux prises de position publique, elles restent encore gravées dans le souvenir intime. Elles sont celles des pères : celles des villes d’Algérie durant la guerre, du voyage vers les usines de France, des bidonvilles de la banlieue parisienne, des manifestations d’octobre 1961, des couvre-feux, des razzias dans les cafés et les foyers.

Discrètement, en une petite équipe de quatre, nous nous étions rendu à Dammarie-lès-Lys un soir d’hiver en 1997. Une centaine de jeunes «en civils» nous avaient accueillis dans leur quartier hlm de la Plaine du Lys pour une discussion informelle autour du drame qui venait de les secouer. Nous nous étions ensuite éclipser, les laissant en découdre avec les policiers qui les attendaient deux cent mètres plus loin.

La mort d’Abdelkader Bouziane (16 ans) abattu par un policier le 17 décembre 1997 avait conduit des habitants à enfiler des cagoules pour plusieurs nuits d’émeutes. Celles-ci feront date dans l’histoire des « violences urbaines » tant les cars de CRS avaient démarré en trombe pour quitter le quartier. Quelques jours plus tard, une marche en hommage à Abdelkader était organisée. Lourde sera notre déception lorsque nous (le MIB – Mouvement de l’Immigration et des Banlieues) avions rejoint ce que SOS Racisme avait manigancé en sous-marin : une marche silencieuse dans des rues désertes dont le but était simple : rendre invisible toute forme de protestation politique. L’étourdissement du deuil avait permis à SOS d’imposer sa méthode avec son bonus empoissonné : mise à disposition gracieuse d’un avocat remarquable en un seul point : son absence d’éloquence. La représentation médiatique était ainsi parfaitement contrôlée. Le Ministère de l’Intérieur salissait tranquillement la victime et SOS transformait le drame en une affaire de racisme. Signalons au passage qu’Abdelkader était français. L’affaire était rapidement plié par le terme générique usuel : «échec d’intégration», la responsabilité de la police s’en retrouvant ainsi écarté. Quelle prouesse !
Une fois sa véritable mission remplie, SOS pouvait alors disparaître en emboîtant le pas des pompiers et des caméras. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Quant à l’avocat, il montrait enfin ses crocs, non pas pour réclamer justice mais pour présenter sa facture… Un mécanisme bien huilé qui, associée à la douleur du deuil, aurait pu décourager les proches et la famille. Mais ces combines minables et habituelles de SOS Racisme auront, cette rare fois, eu l’utilité de transformer ces émeutiers en militants «redoutables», démontrant ainsi le caractère politique que revêtait leur colère. Certains rejoindront les rangs du MIB et d’autres fonderont Bouge qui Bouge, association culturelle qui s’établira dans le quartier HLM du Bas Moulin.

En 2002, un nouveau drame replongera la ville dans la confusion la plus totale. Le 23 mai 2002, Mohamed Berrichi (28 ans), frère du Président de l’association Bouge qui Bouge, roule alors en scooter sans casque à Dammarie. Il est pris en chasse par deux voitures de la BAC. La poursuite prendra rapidement fin après que sa tête ait heurté mortellement une borne en béton. En l’absence de témoignages précis, l’affaire sera plus simple à enterrer… Le propre frère du Président de l’association qui avait vu le jour après les émeutes de 1997 venait donc de décéder à son tour… Nouveau coup de tonnerre à Dammarie-Lès-Lys. Le climat de tension était déjà palpable : deux jours auparavant, le 21 mai 2002, Xavier Dem (23 ans), un autre jeune de Dammarie était abattu par un policier à son domicile. Deux nouveaux drames alors que la disparition violente d’Abdelkader Bouziane, cinq ans auparavant, était encore dans toutes les mémoires. L’émancipation politique des jeunes leur permettra d’abandonner à l’unanimité le choix de la cagoule, même si beaucoup voyait rouge. Cette fois, il s’agira d’une réponse exclusivement politique et elle sera renforcée par l’expérience des luttes passées. Mais ce choix se révélera bien plus complexe… Alors que la mobilisation autour de la mort de Mohamed Berrichi n’entraînera aucune nuit d’émeutes, les exactions policières seront beaucoup plus spectaculaires qu’en 1997. La présence en masse des policiers sera visiblement disproportionnée : des tireurs d’élite du Raid iront même jusqu’à se positionner sur des toits pendant la perquisition du local de l’association Bouge qui Bouge… La soif de justice des habitants était si forte que Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, ira jusqu’à servir sa démagogie habituelle au journal télévisé pour la décrédibiliser et se félicitera d’avoir « libéré » une ville. Libérer ? Il n’y eut pourtant aucune émeute, aucune violence à la suite de cette nouvelle mort. Est-ce le décès de Mohamed Berrichi qui constituait cette libération ?
Très discrètement, le temps d’un café dans un bar, un commissaire fera de surprenantes confidences à un ancien émeutier devenu un des leaders de la lutte politique : ordre avait été donné en haut lieu de les briser. La réponse de l’Etat face aux mobilisations des habitants prenait des proportions inquiétantes. Une brigade spéciale composée de quatre policiers, cagoulés et vêtus de noir, tournaient depuis peu dans le quartier à bord d’un véhicule noir sans inscription. La chasse à l’homme était lancée et elle aura pour limite les bâtiments du Bas-Moulin. Quelques autres policiers en planque dans des appartements vides devaient prendre soin de guider à distance l’équipage punitif. Il fallait user de ruse au quotidien. Comme ce jour où ce leader politique, celui mis dans la confidence par le commissaire, dû se cacher in extremis dans le coffre de la voiture d’un journaliste pour leur échapper… Difficile d’organiser une lutte politique dans ces conditions. L’acharnement contre la «politisation des quartiers» était maintenant caractérisé et l’Etat était capable de mettre en œuvre des moyens spéciaux pour la briser.
Par leur engagement exemplaire, leur quête de justice et leur mobilisation aux côtés des familles Bouziane et Berrichi, les habitants de Dammarie-lès-Lys feront de leur ville la plus emblématique de France dans l’histoire des pressions sécuritaires. Nous saluons au passage leur courage inébranlable durant ces années difficiles et vous invitons à poursuivre cette immersion par les travaux remarquables qui suivent de Fabien Jobard, sociologue et directeur de recherches au CNRS, et Emmanuelle Cosse, ancienne journaliste et ex-présidente d’Acte Up (initialement parus dans la revue Vacarme, numéro 21 de 2002). Nobel

Dammarie-lès-Lys : les militants de l’incertitude

Avant-propos

Déclaration de Tarek (MIB), le jeudi 6 juin 2002, sur le lieu de la mort de Mohammed Berrichi : « A l’heure actuelle, on ne sait pas comment ça s’est passé. On n’a pas de témoignage. La vérité. On va dire la vérité : on n’a pas de témoignage qui dit « Voilà, ils l’ont touché ». Mais il y a tellement d’ancienneté, d’anecdotes qui se passent, ils ont une telle habitude de violence, ils ont une telle habitude d’un comportement discriminatoire qu’on ne croit pas dans ce qu’ils disent, qu’on ne croit pas dans leur version. Donc on essaye avec les moyens du bord de faire émerger quelque chose avec des témoignages, etc. Pour qu’il y ait une responsabilité. Mais on ne va pas se mentir, ça va être très difficile. Ça va être très, très difficile. Parce qu’en face, c’est la police. En face, il y a des gens, ils sont organisés, avec des syndicats. Ils ne sont pas très nombreux, en réalité. Ils sont 100 000 en France, ils ne sont pas tous d’accord. Ils sont organisés mais ils ont des moyens de pression ».
Dammarie-lès-Lys, grande banlieue parisienne, mai dernier. En l’espace de deux jours, deux personnes décèdent suite à l’intervention de la police. Le 21 mai, Xavier Dem, 23 ans, est tué d’une balle dans la tête par le policier sur lequel il a tiré avec la carabine à plombs de son grand-père. Le 23 mai, Mohammed Berrichi, 28 ans, fait une chute mortelle, à scooter, au cours d’une course-poursuite avec la Brigade Anti Criminalité (BAC).

En 1993, une autre chute mortelle, imputée à la police, avait entraîné trois jours d’émeute dans la ville voisine de Melun ; et en 1997, la mort d’un autre jeune homme, tué d’une balle dans la nuque par un policier, avait déclenché la même mécanique dans la cité de la Plaine-du-Lys, à Dammarie même. Pourtant, cette fois, nulle émeute…

Le spectre du soulèvement hante à nouveau les lieux : en 1993, une autre chute mortelle, imputée à la police, avait entraîné trois jours d’émeute dans la ville voisine de Melun ; et en 1997, la mort d’un autre jeune homme, tué d’une balle dans la nuque par un policier, avait déclenché la même mécanique dans la cité de la Plaine-du-Lys, à Dammarie même.
Pourtant, cette fois, nulle émeute. La colère est immédiate, certes, mais elle reste contenue, malgré ou grâce au souvenir des événements de 1997, qu’il soit perpétué par une procédure judiciaire jamais achevée ou par les fresques peintes aux murs de la cité. Les émeutiers d’hier, aujourd’hui sûrs d’un savoir forgé à la racine de leur histoire et de leurs cités, à même ces vérités qu’ils savent toujours incertaines, ont refusé la violence.
D’où le « chantier » qui suit.
Chantier, dans le sens où quelque chose se fabrique, à Dammarie-lès-Lys, qui nécessite qu’on le rapporte : à la fois une pratique du pouvoir et une manière de lui résister, qui se cristallisent autour de la procédure dite d’outrage à agent dépositaire de la force publique.
Chantier, également, dans le sens où, une fois écartées les grilles d’interprétation habituelles (violence éternelle de l’État, rage émeutière des pauvres), reste une situation confuse, dont les clefs ne se livrent qu’à condition d’en restituer à la fois le détail chronologique, les moments d’affrontements et la dynamique propre : quelque chose comme l’opposition entre deux régimes de vérité, celui du pouvoir et celui de l’expérience.
Chantier, enfin, puisqu’il est impossible de clore. L’objet commande la démarche : Dammarie-lès-Lys, ou quand une force naît de l’incertitude. Emmanuelle Cosse & Fabien Jobard

Photo © Marc Pataut

La puissance du doute

La mobilisation provoquée par la mort de Mohamed Berrichi, le 23 mai, au terme d’une course-poursuite avec la police, à Dammarie-lès-Lys, est exceptionnelle à plusieurs titres. Non seulement parce qu’elle a refusé l’émeute, mais parce qu’elle ne plaide rien d’autre que l’incertitude : contre les preuves policières et la hâte idéologique, une politique du doute, adossée à l’expérience du danger.
A Dammarie-lès-Lys, la protestation s’élève en dissonance. Sa langue n’est pas celle de la conviction, de la déposition, du constat. Elle est celle de l’incertitude. Elle n’avance pas en faits établis, contre-dossiers définitifs, brusques révélations. Son point de départ, qui est aussi l’horizon de sa lutte, c’est l’incertitude. Mohamed Berrichi, agent de sécurité au château de Dammarie-lès-Lys qui abrite l’émission de télévision « Star Academy », trouva la mort au terme d’une course poursuite avec la police, deux kilomètres à la plus vive allure dans les rues de la vieille ville de Dammarie. Sa mort illustre le destin commun, le destin des hommes qui ne peuvent défier la fatalité divine, même si injuste. Les croyants qui formaient son entourage le savent bien. S’aventurer à un verdict définitif sur les causes de la mort ôte à Dieu de sa souveraineté propre, qui est de décider de son heure. Il y a, dans la retenue des membres du Comité de soutien à la famille Berrichi, de cette prudence religieuse ; lorsqu’il est dit, le nom de Mohamed est maintenant indissociable de « Dieu ait son âme.
L’incertitude n’est, toutefois, pas seulement affaire d’humilité croyante. Elle est la trame voulue, arrêtée, en vue de la protestation qui s’est développée à Dammarie. Fébrilement, d’abord, au lendemain de la mort de Xavier Dem, tué deux jours avant par un tir en pleine tête, au cours d’une altercation avec des policiers. Avec bien plus d’amplitude, ensuite, à compter de la chute mortelle de Mohamed Berrichi. Cette trame de l’action politique rompt avec les événements comparables qui avaient émaillé la chronique de l’agglomération Melun-Dammarie. En 1993, un jeune homme trouve la mort dans la chute de son scooter, dans les quartiers Nord de Melun. Très vite, la rumeur se répand. Tous savent : deux jours d’émeutes suivent l’événement, qui ne laissait aucune chance au doute. En 1997, un jeune homme de 16 ans, Abdelkader Bouziane, de la Plaine-du-Lys à Dammarie, est tué au volant de la voiture qu’il conduisait, d’une balle dans la nuque, par un policier. Cette fois, l’événement ne pouvait accorder aux policiers l’avantage du doute : nulle légitime défense ne peut être invoquée lorsque la victime est touchée de dos. Trois jours d’émeute. En 2002, les militants de Dammarie empêcheront constamment l’émeute, que rendait par ailleurs très difficile, dès le premier jour, l’impressionnant déploiement policier, engagé dès la mort de Xavier Dem. L’émeute et la ferme conviction forment une même configuration, que cette conviction fût nourrie, comme en 1993, par la rumeur ou comme en 1997, par la morphologie de l’événement. L’incertitude, elle, s’ouvre à la mobilisation pacifique. C’est ce qu’il faut d’abord comprendre.

À la naissance de la mobilisation, cet événement, irréparable : le décès violent de Mohamed Berrichi. Les événements qui suivent la chute mortelle sont précieux : ils voient les amis de la victime converger vers le lieu, exiger le film des événements. D’emblée, l’attention se focalise sur le nombre de voitures policières présentes au moment du drame.

À la naissance de la mobilisation, cet événement, irréparable : le décès violent de Mohamed Berrichi. Les événements qui suivent la chute mortelle sont précieux : ils voient les amis de la victime converger vers le lieu, exiger le film des événements. D’emblée, l’attention se focalise sur le nombre de voitures policières présentes au moment du drame, sur la distance qui les séparaient du scooter de Mohamed au moment de la chute, sur leurs trajets. Tout se resserre autour d’une hypothèse concurrente à celle de la police et du Parquet, figée dans le communiqué de presse publié le lendemain à 11h30 (« déséquilibré en raison de sa vitesse excessive (…). La vitesse importante du scooter est attestée par une glissade de l’engin, sur la chaussée, sur une trentaine de mètres environ à la suite de l’accident et par un témoin (…) À aucun moment les policiers n’ont fait usage de leur arme de service ni heurté le scooter avec leur véhicule). L’attention naît de quelques hiatus : le corps de Mohamed aurait été déplacé peu avant l’arrivée des secours, un témoin rapporte le surgissement, depuis une rue latérale, d’une autre voiture de police, à hauteur du scooter. L’attention, l’hypersensibilité aux détails, ouvrent une zone d’incertitude. Du côté des personnes mobilisées, nul ne dit ce qu’il en est : « la vérité, c’est qu’on n’en sait rien », disait Tarek, un des militants fondateurs du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB), lors de la manifestation du lundi 27 mai. Ne rien savoir n’assigne plus à l’impuissance que dictaient autrefois l’ignorance des faits ou la précarité des moyens d’enquête. Ne rien savoir fonde l’ambition de l’incertitude, qui appelle l’état de veille, la vigilance, et offre un espace à la lutte politique.
Nous n’avons plus, dans un face à face de suspicion vaine, deux récits : la « version officielle » et la « version des jeunes ». Nous n’avons pas de ces énoncés dressés l’un contre l’autre, l’un comme l’ombre renversée de l’autre, deux « il y a » définitifs. Les habitants de la cité du Bas-Moulin opposent à la version officielle un autre mode d’énonciation. D’un côté, l’indicatif, le mode du droit : « à aucun moment, les policiers n’ont… ». L’indicatif fige dans un passé révolu le récit des faits, s’arrête à ce qui étant ne peut être autrement, il expurge le champ des possibles de tout ce qui peut rester, encore, malgré la version dite, crédible. De l’autre, le conditionnel, le mode de l’incertain. Mohamed, selon telle et telle hypothèse, aurait pu décéder selon tel ou tel autre enchaînement de circonstances, qu’il faut considérer.
L’avantage du conditionnel, en l’occurrence, c’est qu’il oblige à déployer un raisonnement, à ne pas laisser la proposition (« il a glissé, donc il est mort ») amarrée à sa seule construction causale. L’incertitude refuse la clôture de la recherche. Elle impose, face au passé révolu de l’enquête, le rassemblement des témoignages, des informations, des événements. L’une des activités majeures que la mobilisation laisse voir, c’est la multiplication des appels à témoins et le récit des conditions possibles de l’événement. Voilà que la grammaire de la protestation définit un premier registre d’action : l’enquête, qui refuse le passé révolu et lui préfère l’investissement d’un présent toujours porteur de récits possibles. L’enquête, qui est aussi un défi adressé au monopole des institutions judiciaires quant à l’instruction des faits. Écrite au conditionnel, cette préférence pour le temps suspendu contre le temps révolu forme du même coup le point d’appui en vue d’une appropriation du présent. D’ordinaire enfermé dans la routine du contrôle policier, le présent est investi des tentatives de retournement du rapport entre populations contrôlées et institutions publiques. Par la maîtrise, au premier chef, de l’initiative pénale : constitution de partie civile et ouverture d’enquête préliminaire, plainte en diffamation contre les propos tenus par le député-maire, référé devant la juridiction civile contre l’expulsion de l’association de son local, plainte pour incitation à la destruction volontaire de biens appartenant à autrui…
C’est tout le sens de l’apparente mutation de l’association Bouge qui Bouge, que dirige au moment des faits Abdelkader Berrichi, un des frères de la victime. Fondée en avril 1999 en vue de « proposer du soutien scolaire, une initiation au théâtre et un atelier d’art urbain », elle se proposait d’emblée d’arracher les enfants à l’atermoiement illimité qui avait caractérisé l’adolescence des plus grands. Bouge qui Bouge voulait, sur le lieu même de leur existence, les faire échapper au non-lieu existentiel. Interpellée par la mort de Mohamed Berrichi, l’association sise dans le local à vélos de la barre du Bas-Moulin, où réside la famille Berrichi, se saisit de l’événement tragique, refuse son assignation à un passé révolu, inscrit dans les causes mécaniques de la chute du véhicule, et fédère les récits qui tentent de comprendre pourquoi la mort de Mohamed survint. L’apparente mutation de Bouge qui Bouge (qui fonde l’argumentation en vue de son expulsion du local : les activités politiques de l’association ne seraient plus conformes à son objet social) n’est en réalité que la poursuite, sous le sceau du drame, de ses efforts bel et bien constitutifs d’offrir à la jeunesse du Bas-Moulin une sortie vers un autre présent, un présent qui ne soit plus la répétition de fatalités promises, inscrites dans les causes mécaniques des impossibles ascensions sociales.

…toutes ces affaires analogues qui virent la justice ne pas entendre de témoins pourtant décisifs, ne pas avoir accès à des preuves indubitables ou tout simplement ne pas rendre de verdict conforme au récit dessiné par les éléments matériels.

Le conditionnel oblige la proposition « Mohamed Berrichi est décédé » à ne pas rester indexée à une cause précise (la vitesse, la borne, le choc) et ouvre celle-ci sur un ordre causal, celui de la probabilité, de la crédibilité de versions possibles. Du même coup, la chaîne temporelle qui lie la cause à l’effet ne bute pas contre les limites de l’événement lui-même, contre les quelques secondes qui ont séparé la perte de contrôle de l’engin, le choc sur la borne et la projection du corps contre le mur, ces quelques secondes qui offrent pour seuls éléments tangibles la trace de la glissade et les témoignages recueillis par la police. L’incertitude, d’abord, accueille dans le récit causal des éléments antérieurs à la fraction de seconde du choc ; les menaces subies la veille par Mohamed et son frère entrent dans la chaîne causale. Elles imposent une autre genèse à l’événement : la vitesse n’est plus la cause première de la chute, mais les menaces proférées la veille par les policiers à l’encontre de Mohamed et de son frère et qui, liées à la mort de Xavier Dem, ont leur place dans les énoncés causaux sur les risques pris par Mohamed Berrichi lors de sa course tragique. Point de départ de l’action : non plus cette malheureuse perte de contrôle du scooter, mais le tir à bout portant qui mit fin aux jours de Xavier Dem. La chaîne causale s’ouvre sous l’action de l’incertitude à l’ensemble des jeux de la menace et de la puissance qui semblent être au principe des relations avec les brigades anti-criminalité locales.
Les preuves matérielles déposées par le Parquet dans son communiqué de presse du vendredi 24 mai ne pèsent alors plus grand chose, dans cette autre grammaire de l’événement qui forme la trame de la lutte en vue du récit légitime des faits. Celui-ci s’hybride alors de tous les faits qui, semblables aux circonstances de la mort de Mohamed, résonnent avec lui en trop bonne congruence ; toutes ces affaires analogues qui virent la justice ne pas entendre de témoins pourtant décisifs, ne pas avoir accès à des preuves indubitables ou tout simplement ne pas rendre de verdict conforme au récit dessiné par les éléments matériels. Tous les événements passés auxquels les protestataires tentent d’arrimer la mort de Mohamed, parce que congruents avec elle, deviennent des témoins légitimes, témoins non pas de bonne moralité, mais de bonne congruence, qu’il faut amener à la barre. Parmi ces événements, le plus récent et à la fois le plus proche d’entre eux : les suites judiciaires de la mort d’Abdelkader Bouziane, décédé en décembre 1997.

Photo © Marc Pataut

Survenue fin mai 2002, la mort de Mohamed Berrichi n’est que de quelques mois postérieure à la décision de non-lieu rendue, en décembre 2001, par la cour d’appel d’Orléans, en faveur de Laurent Lechiffre, l’auteur du coup mortel de 1997. Ces quatre années de procédure ont permis la formation d’un réseau militant convaincu de l’iniquité des décisions judiciaires relatives à pareils décès. Alors même qu’il fut établi que son véhicule ne roulait qu’à 36 km/h, que celui-ci, ayant dépassé les policiers, ne posait ainsi plus de danger mortel à la sécurité des policiers présents et qu’ainsi la légitime défense ne pouvait être fondée, que Laurent Lechiffre, à la différence de son collègue, tira à hauteur d’homme, et dans le dos de la victime, la procédure s’acheva sur un non-lieu ; c’est à dire sur le refus même de considérer que ces événements pussent offrir matière à un jugement. Bon nombre d’acteurs les plus investis dans la protestation suivirent le dossier Bouziane, jusqu’à, en décembre 2001, se rendre en autocar à Orléans avec les militants du MIB pour attester de leur soutien et de leur mobilisation. Ils savent aussi que les déclarations du passager de la voiture conduite par Abdelkader Bouziane, offrirent un premier témoignage favorable à la déclaration des policiers. Mais que ce témoignage fut recueilli sur son lit d’hôpital, contre l’avis des médecins, qui estimaient que les calmants administrés altéraient ses facultés de mémoire et d’expression à un degré incompatible avec la manifestation de la vérité. Ils se souviennent, pour se l’être rappelé pas plus tard qu’en décembre, que des témoins décisifs ne furent entendus que des années après les faits, et malgré les tentatives de les tenir à l’écart de la procédure.
Contre les preuves déposées dans le communiqué du Parquet, le Comité de soutien de la famille Berrichi, qui rassemble tous ceux qui se sont formés aux épreuves probatoires dans la lutte en faveur d’Abdelkader Bouziane, a pour seule ambition de se faire militant de l’incertitude. Et si l’indicatif est le mode de l’autorité judiciaire qui dit ce qu’elle est en disant ce qui fut, le conditionnel est revendiqué comme le mode discursif d’un groupe de protestataires qui disent ce qui peut être en rappelant ce qui a été. L’indicatif, grammaire administrative de l’État ; le conditionnel, grammaire historique d’un groupe politique. En brisant la chaîne causale soudée à une lecture trop balistique de l’événement (la vitesse, la borne, le mur), en accueillant dans le récit causal le présent toujours semblable des routines policières et le passé toujours répété des affaires judiciaires, le groupe échappe à l’assignation à l’indicatif, et s’ouvre un avenir qui le relie à son histoire propre. « Ne rien en savoir » est ainsi l’aveu d’une vérité ; la vérité historique du traitement judiciaire des affaires policières. C’est aussi, et dans un même mouvement, le projet d’un mode d’établissement de la vérité ; celui qui passe, au cours de l’instruction des faits, par la convocation des contradictions mêmes de la machine judiciaire, en qualité de témoin probant, de témoin de bonne congruence. D’où l’intensité de cette séance de Conseil municipal, durant laquelle le porte-parole de l’opposition municipale, François Lemery, rapporte des brutalités policières dont il sait que des personnes membres du Conseil municipal ont été les témoins, dont il sait qu’ils savent.

Cinq années de socialisation à l’action politique et à l’usage politique des voies judiciaires de la protestation ; choses auxquelles les jeunes émeutiers de 1997 étaient parfaitement étrangers. Ce sont ces années d’apprentissage politique qui ont déterminé le choix de l’incertitude, engagé un combat de patience avec les autorités publiques.

Mohamed Berrichi allait avoir 28 ans. Ses amis, pré-trentenaires, n’étaient pas ceux d’Abdelkader Bouziane, seulement âgé de seize ans en 1997. Ces années qui séparent les amis émeutiers de ce dernier des membres de Bouge qui Bouge ou du Comité de soutien furent aussi celles des mobilisations prises en charge par le MIB, à commencer, justement, par celle autour d’Abdelkader Bouziane. Cinq années de socialisation à l’action politique et à l’usage politique des voies judiciaires de la protestation ; choses auxquelles les jeunes émeutiers de 1997 étaient parfaitement étrangers. Ce sont ces années d’apprentissage politique qui ont déterminé le choix de l’incertitude, engagé un combat de patience avec les autorités publiques. Quinze années qui séparent, dans les cités urbaines, un jeune homme de quinze ans d’un autre de trente, sont également déterminantes, pour des raisons qui tiennent cette fois aux géographies politiques de Dammarie-lès-Lys, et qu’il faut maintenant détailler. Ce sont ces pratiques politiques de l’espace qui tranchent avec les dénonciations classiques de violences policières. Ce sont elles, aussi, qui permirent l’universalité de la protestation autour de la mort de Mohamed Berrichi.
Élevée sur le lieu du drame, la voix protestataire y retourne sans cesse. Dans les deux premières semaines, l’une des soeurs de Mohamed se tenait souvent assise, seule, au milieu du banc posé en retrait de cette borne de trottoir contre laquelle buta le scooter de son frère. Les nombreux cortèges y revenaient souvent, eux aussi. Recueillement et parole publique manifestaient ainsi le silence du deuil et l’expression de la critique dans les plis mêmes des circonstances du drame. Voilà qui éloigne la grammaire protestataire de Dammarie des ritournelles ancestrales sur les violences policières. Aveugles aux conditions réelles d’occurrence des faits, ces critiques d’un autre temps, critiques d’avant-hier, s’empressent de les étouffer par des slogans forgés ailleurs et en d’autres temps. Ils ignorent, en réalité, l’événement et le qualifient au plus vite (le terme « meurtre » ou « assassinat » fut souvent employé par les « soutiens extérieurs »), le privant de son historicité singulière pour le détourner vers des luttes importées (« la radicalisation fascisante de l’État répressif », etc.). Ces critiques sapent du même coup les ressorts d’une posture qui permet aux protestataires, tout simplement, la réappropriation de leur propre histoire. C’est ce qui se lit dans la défiance des acteurs de la mobilisation de Dammarie à l’égard des mouvements extérieurs ; dans le soin porté par le service d’ordre de la manifestation du 27 mai à ne pas voir circuler de tracts étrangers, dans les différends manifestés au cours des rencontres du festival No Border de Strasbourg, précisément dans l’appréciation de la tactique à adopter face aux charges policières ou bien dans l’interdiction de prise de parole signifiée à différentes organisations politiques durant la clôture publique du deuil, le 6 juillet, ou bien encore dans le souci de garder une prudente distance lors des interventions du MRAP. Les apparitions fugaces et fugitives de SOS-Racisme dans les banlieues, contre lesquelles le MIB s’est constitué, les déclarations récentes de Malek Boutih [1], suffiraient d’ailleurs à elles seules à maintenir garde haute.
Ce ne sont toutefois pas seulement les enjeux internes au maigre champ des mobilisations sur les banlieues qui sont ici en jeu. Tout, dans leurs partis pris respectifs, éloigne les critiques habituels des jeunes protestataires de Dammarie-lès-Lys. La dénonciation de l’État répressif tente une greffe sur l’événement, mais le dépouille de cette incertitude qui fait pourtant, on l’a vu, toute sa force politique. L’événement devient exemple édifiant de quelque chose déjà dit, déjà vu, exemple édifiant du fantasme de surpuissance de l’État que porte la critique d’avant-hier. Fantasme de surpuissance de l’État ? Éternel molosse à la dérive fascisante ou répressive, l’État nourrit l’éternel aveu d’impuissance à le combattre qui est le fonds de commerce de cette critique. À Dammarie, loin de la critique d’avant-hier, c’est une intelligence située qui se manifeste. Intelligence située dans l’événement, qui oblige à en épouser les formes et la langue propres, pour formuler la critique. Sémantique et pragmatique de l’incertitude ne se lisent jamais mieux que dans cet échange entre Samir Baaloudj et la Préfecture de Melun, le 5 juillet, où le premier, saisissant l’opportunité offerte par la crispation ressentie entre la préfecture, la police locale et la municipalité, négocie la levée de la garde à vue d’Abdelkader Berrichi et la tenue de la réunion publique de Bouge qui Bouge et du Comité de soutien dans un lieu digne.

Photo © Marc Pataut

Et c’est parce qu’elle est intelligence située de l’action que les membres du Comité de soutien et de Bouge qui Bouge esquivent, en réalité, le débat sur les violences policières. Du moins, ils savent la voie sans issue qui est celle où veut l’entraîner la critique d’avant-hier : celle où se réfugient ceux qui constituent les violences policières comme le seul projet de la critique, trop contents de décrier à nouveau le point névralgique des contradictions du molosse étatique. Tout au contraire, les militants de Dammarie savent que les violences policières forment l’objet de leur mobilisation. Mais elles n’en sont pas le projet. Toujours les militants retournent au point de départ. Au lieu de la mort de Mohamed. Au pied de leur barre d’immeuble. C’est là que se donnent à voir les conditions concrètes d’existences soumises à l’incertitude sociale, dont la probabilité non négligeable d’ailleurs de mourir dans une interaction avec la police, n’est qu’un élément infime dans un océan de risques. La critique qu’ils construisent dans l’action, ils l’élaborent au lieu même de leur vie. Cet attachement, qui ne les fait jamais trop s’éloigner de leur local associatif, si dérisoire soit-il (on assista, à Dammarie, à des mois de luttes pour la jouissance d’un local à vélos !), moult sociologues urbains y liraient le symptôme de la défense semi-tribale d’espaces-forteresses tenus par des jeunes en repli identitaire. C’est tout le contraire. L’action politique ne dénonce pas les violences policières. Elle les tient pour points de départ. L’action politique ne défend pas la cité. Elle la tient, elle aussi, pour point d’appui d’une action et d’une critique situées.

L’action politique ne dénonce pas les violences policières. Elle les tient pour points de départ. L’action politique ne défend pas la cité. Elle la tient, elle aussi, pour point d’appui d’une action et d’une critique situées.

La mort de Mohamed Berrichi permet de déplier toute la géographie politique singulière du Bas-Moulin ou de la Plaine-du-Lys, de ces cités grandies loin des grandes agglomérations, en rase campagne, à peine séparées des centres-villes historiques riches de leurs populations de gros agriculteurs céréaliers. Elle dessine aussi une géographie politique plus subjective, celle de l’ascendance maghrébine des protestataires. Cette double géographie dresse en réalité les deux cartographies locales de la protestation qui, loin d’être universelle parce que liée à une mort infligée par l’État (critique d’avant-hier), creuse, dans l’investissement politique de son lieu propre d’occurrence, une voie particulière de critique et d’action politiques.
Le Bas-Moulin est une cité sortie de terre de 1959 à 1963, qui accueillit d’abord la population employée dans les usines du long de la ligne de chemin de fer et de la Seine, puis dans les grands bassins industriels et tertiaires autour du bassin de Melun-Sénart. Villes médiévales, Melun et Dammarie présentent une même cartographie socio-politique : une mairie située dans le centre ancien, siège des classes moyennes des entreprises avoisinantes et des riches propriétaires des biens fonciers alentour. Tout autour, les quartiers Nord de Melun (Montaigu, Aumont, Mézereaux – lieux d’émeutes en novembre 1993), la Plaine-du-Lys et le Bas-Moulin à Dammarie-lès-Lys (lieux d’émeutes en décembre 1997). A Dammarie-lès-Lys, le maire, toujours réélu depuis 1983, est également député de la 1ère circonscription de Seine-et-Marne : quelques cités accrochées à des industries en déclin, isolées au milieu d’étendues céréalières (Fontainebleau, Nemours, Vaulx-le-Pénil) et commerciales (Brie-Comte-Robert, Sénart). La carte de l’implantation électorale du député-maire est du même coup celle de l’impossibilité des habitants des trop maigres cités à faire entendre leur différence.
Ces zones administrativement classées « zones urbaines sensibles » vivent dans leur géographie même leur impuissance politique. La géographie de son implantation électorale fait d’ailleurs l’identité politique de Jean-Claude Mignon. Un jeune conseiller municipal ravit la municipalité au Parti communiste en 1983, puis la circonscription (Melun Sud, Savigny-le-Temple, Perthes), en juin 1988. Il les conquiert soutenu par un électorat sis en bordure des cités réputées ingérables. Même géographie électorale que celle, par exemple, de Pierre Bédier, de sept ans son cadet, lui aussi député-maire d’une riche circonscription semi-rurale, Mantes-la-Jolie, sur laquelle poussèrent sans sommation d’immenses cités ouvrières, coupées du reste du monde. La géographie électorale de J.-Cl. Mignon cartographie aussi son avenir politique. Si P. Bédier gagna ses galons actuels de secrétaire d’État aux programmes immobiliers de la Justice par la vigueur qu’il avait affichée dans la lutte contre la délinquance urbaine, en prenant pour point d’appui le souvenir du cycle d’émeutes de 1991, constamment entretenu par les suites judiciaires des affaires Ichich et Khaïf (procès du policier Hiblot, en septembre 2001), J.-Cl. Mignon sait les profits de notoriété que peuvent lui assurer les positions les plus fermes et les plus radicales au regard des « problèmes urbains ». De ce point de vue, son effort est constant, qui vise à traduire les mobilisations politiques en enjeux nationaux ou internationaux ; en sollicitant, par exemple, le terrorisme. Lors des émeutes de Melun-Nord, en 1993, il dénonçait « les agissements d’officines comme le FIS qui, sous couvert d’associations, infiltrent les quartiers paisibles pour y manipuler les jeunes et les inciter à la haine, voire au terrorisme comme cela a été le cas dans mon département de Seine-et-Marne au cours des derniers jours ». Aujourd’hui, les mêmes tentatives se répètent, identiques par la dénonciation des « terroristes de quartier », « petits groupes d’individus encadrés par le MIB (et) Bouge qui Bouge », position contre laquelle cette dernière portera plainte en diffamation (16 septembre 2002).
L’attention dont sont l’objet les « événements de Dammarie » par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy lui-même semble parer la fermeté de M. Mignon de toute la légitimité gouvernementale. L’écho ministériel offert à l’opération coup de poing du 24 juin (intervention vers sept heures du matin de plus de deux cents policiers, expulsion de Bouge qui Bouge de son local, perquisitionné, contrôles d’identité des habitants de la barre du Bas-Moulin) se fit entendre lors de l’intervention télévisée de M. Sarkozy, le 10 juillet (« Il y a une cité, à Dammarie-lès-Lys... »). Cette intervention permet de déchiffrer les profits gouvernementaux (et locaux) des opérations judiciaires menées dans les cités, notamment celles des GIR, qui sont ceux de la visibilisation maximale des antagonismes urbains sur fond d’unité rayonnante de tous les acteurs répressifs (procureur, commissaire, chef d’intervention, compagnies de CRS, tireurs d’élite), aux fins de simple démonstration de puissance.
De son côté, la mobilisation politique au Bas-Moulin revient à la cité, la revendique. Elle veut un dessein géographique : la constitution d’une force politique née dans un territoire que la géographie électorale force à l’impuissance. Mais il y a plus. Cette géographie politique n’est pas seulement celle de l’asymétrie de l’accès aux modes habituels de l’action politique, de l’accès à la participation électorale, par exemple. Elle veut aussi ancrer chaque prise de position dans les géographies personnelles des protestataires. Si l’on pouvait rendre graphiquement lisible l’entrelacs des échanges sociaux tissés quotidiennement par les jeunes de la Plaine-du-Lys et du Bas-Moulin, l’on verrait des réseaux de sociabilité qui s’étendent de cités en cités, pas autrement que dans les cités, plus dures, de la petite ceinture parisienne. À une différence près : celle de la distance. Ces cités, chacune accolée à son agglomération, sont séparées les unes des autres par les plaines agricoles de la Brie ou la forêt de Fontainebleau. L’économie des échanges y ressemble à celle d’adolescents de la campagne puisqu’elle repose sur les moyens individuels de locomotion. Une sociabilité en tous points semblable à celle des cités de la proche banlieue de Paris les en éloigne pourtant radicalement, dans ce rapport à l’espace. Et cette géographie spécifique commande ce que l’on désigne par « conduites à risques » : l’expérience de la route et de l’insécurité routière, part intégrante de la vie dans ces cités semi-rurales.
Nul hasard, alors, à constater les menaces permanentes à l’intégrité physique. Nul hasard à voir la vie d’Abdelkader Bouziane s’achever à 16 ans, lorsqu’au volant de « sa » Golf GTI blanche, il rencontre un nouveau barrage policier. Avec son ami Djamel Bouchareb, il se rendait ce soir-là régler quelques affaires dans une cité de Nemours ; à plus de trente kilomètres de chez lui. Nul hasard non plus à voir trois des militants les plus engagés dans la lutte autour de la mort de Mohamed Berrichi victimes d’accidents graves de la route. Samir Baaloudj passa deux ans en soins hospitaliers, à la suite d’un accident qu’il dit « pour une fois » n’avoir pas provoqué. La veille de sa mise en garde à vue pour outrage, le 5 juillet, Abdelkader Berrichi s’était rendu à Paris passer un test IRM suite à l’accident de voiture qu’il avait eu quelques années plus tôt avec Faudel Ziani.
Il faut ainsi, pour faire justice à la précarité de ces existences toujours menacées par les prises de risque plus ou moins volontaires, la violence des rapports entre pairs, la fragilité de l’accès aux soins publics ou aux couvertures sociales, voir ce qu’elles doivent à leur géographie singulière. Celle-ci, qui cloisonne centres anciens et zones dites urbanisées, pose des contraintes spatiales aux rapports sociaux des jeunes classes d’âge, qui les socialisent trop tôt à la maîtrise de la mobilité et à la mise en danger de soi. Revenir, encore et toujours, au lieu de la mort de Mohamed Berrichi, arrimer les prises de position publiques au pied de la tour où il vécut, y planter la tente du Comité pour inviter les organisations sympathisantes à tenir les conférences de presse, rien de tout cela ne relève de la défense tribale d’un territoire sanctuarisé. Bien au contraire. Cette pragmatique de la protestation manifeste, là aussi, un besoin de conjuration de cette géographie du risque, tout à la fois cartographie de l’insécurité routière et de l’exposition pénale, de l’intimité avec la police locale et de l’imminence des configurations d’escalade. Le lieu public, la rue du Bas-Moulin, est celui de l’entrelacs des réseaux sociaux, des corps exposés, de la présence policière. Par sa remémoration dans chaque action publique, il donne sa chair à la protestation politique. Il lui en livre aussi le sens, l’horizon. La mort de Mohamed, là non plus, n’est pas l’objet de la protestation, mais son point de départ. Elle révèle la vérité géographique de la fatalité des accidents. On comprend à nouveau la défense par les protestataires du rôle social de Bouge qui Bouge, qui tente, par la prise en charge des plus jeunes, notamment des petits, de briser les lignes de force des cartographies du risque et de rompre avec les logiques de fragilisation portées par l’espace. Rapport à la mobilité urbaine, indissociable du rapport à la mobilité sociale.

Les violences les plus dures sont en réalité celles si douloureuses que nul n’en parle. Elles ne s’offrent pas encore aux prises de position publique, elles restent encore gravées dans le souvenir intime. Elles sont celles des pères : celles des villes d’Algérie durant la guerre, du voyage vers les usines de France, des bidonvilles de la banlieue parisienne, des manifestations d’octobre 1961, des couvre-feux, des razzias dans les cafés et les foyers.

Plus puissante encore, tant dans les raisons d’agir que dans les formes de l’action, la géographie des ascendances familiales et politiques. L’enterrement de Xavier Dem, pourtant porté en terre sur la petite commune de Vosves se déroulait dans une sorte d’ailleurs des appartenances. « Conformément à son mode de vie, l’enterrement se déroulera selon le rite Rasta », annonçait le tract d’invitation à la cérémonie. La musique jamaïcaine que recouvrait l’oraison funèbre, les prêtres rastafaris, les fleurs séchées rouges, jaunes et vertes que le rite imposait de déposer dans une corbeille sise sur le cercueil ceint d’un portrait de Bob Marley, tout cela tranchait violemment avec la familiarité tranquille que nourrissait la disposition immuable des tombes du petit cimetière communal. L’enterrement de Mohamed, pour sa part, se déroula sur la terre de ses parents, au Maroc, à la frontière algérienne ; mais la clôture du deuil fut célébrée en commun avec le Comité de soutien et les sympathisants venus de Paris ou d’ailleurs, plus de deux cents personnes unies par le repas offert que les musulmans offrent au défunt, au quarantième jour qui suit son décès.
Ces géographies subjectives, géographies d’imaginaires ou d’ascendances, façonnent aussi le rapport aux violences policières et la mobilisation qu’elles suscitent. Les violences policières dont il est silencieusement question ne sont pas vraiment celles dont ceux qui les dénoncent sont, furent, pourraient être les victimes. Ou du moins, elles ne sont pas vraiment de maintenant, elles sont d’avant. Les violences policières évoquées dans les discussions publiques ne méritent pas, dans les échanges privés, une telle qualification. Les violences les plus dures sont en réalité celles si douloureuses que nul n’en parle. Elles ne s’offrent pas encore aux prises de position publique, elles restent encore gravées dans le souvenir intime. Elles sont celles des pères : celles des villes d’Algérie durant la guerre, du voyage vers les usines de France, des bidonvilles de la banlieue parisienne, des manifestations d’octobre 61, des couvre-feux, des razzias dans les cafés et les foyers. De ces violences ne restent que l’humiliation de travailleurs arabes dépouillés de moyens d’agir et de la force de transmettre.
Leurs enfants, eux, savent. Trentenaires, âgés de vingt ans lors des premières commémorations publiques du 17 octobre 1961, Français, citoyens protégés par leur droit d’usage de la liberté d’expression et de manifestation, ils savent ce qu’ils jouent dans la mobilisation, dussent-ils à nouveau n’être payés que du silence des pères. Leur géographie, c’est celle de la guerre d’Algérie et de l’immigration. Leur culture politique, celle en tous cas qu’ils mettent en avant dans les réunions ou les discussions publiques, c’est celle des années soixante, celle qu’ils auraient pu, du reste, partager avec les militants français des années d’alors. C’est un curieux décalage de cultures politiques. Car paradoxalement, les luttes françaises qui leur amènent le soutien de militants des années Marcellin, ne sont pas les leurs. Et ils ont un vrai plaisir politique à rappeler que la gauche n’est pas née en 68 ou en 81, mais en 1956, avec les pouvoirs spéciaux, le ministère Mitterrand, les conscrits Guy Mollet. Le Pen ? Un exécutant, un pion du jeu politique d’alors. À cet égard, il n’est pas la menace que la gauche morale aujourd’hui dénonce, elle qui prit si bien les allures véritables de chef de guerre. La menace Le Pen ? Non. Désajustée. Pas crédible. À peine audible.
Voilà qui éloigne définitivement la critique traditionnelle des violences policières de la critique portée par les protestataires de Dammarie-lès-Lys. La première, qui en voit tant, sait d’avance son sens politique. La seconde semble pourtant en connaître mieux le prix, en saisir plus exactement la force historique. Les violences policières, sur lesquelles elle appuie sa protestation, ne sont pas le lieu d’une critique de l’État. Elles dessinent l’espace nécessaire à la réconciliation des géographies politiques, elles invitent, saisies dans leur incertitude même, à la reconquête de son lieu de vie. Elles ouvrent, ainsi, à la politique. C’est bien pourquoi les armes qui sont employées, outre le déni de légitimité à l’encontre des acteurs de la protestation à faire de la politique associative et municipale, relèvent de l’ordre public (arrêtés municipaux d’interdiction des réunions publiques et activités festives, décision d’expulsion du local associatif) et de la procédure pénale (gardes à vue, procédures d’outrage). Contre la politique, la police et l’ordre public. C’est en cela que cette mobilisation politique est exceptionnelle : elle révèle la violence du lieu, refuse le silence crépusculaire du non-lieu, et ouvre les voies du politique. Fabien Jobard
[1] Dans un portrait publié dans le Monde du 13 juin 2002, Malek Boutih dénonçait les « barbares des cités » : « il n’y a plus à tergiverser, il faut leur rentrer dedans, taper fort, les vaincre, reprendre le contrôle des territoires qui leur ont été abandonnés par des élus en mal de tranquillité ». Quand aux bavures commises par la police (qu’ « il faut remettre au boulot »), le « plus grand nombre de bavures n’est plus son fait, c’est la racaille qui tue le plus dans les cités ».

Photo © Marc Pataut

Les suites judiciaires de la mort d’Abdelkader Bouziane

Dammarie, lieu de mémoire. Celle, cuisante, des non-lieux (affaire Bouziane). Celle, méfiante, de la désinformation, d’où l’enjeu de l’image (collectif POIS). Celle du deuil, familière jusqu’au rituel (Xavier Dem, un enterrement politique).
Le 17 décembre 1997, peu après 23 heures, Abdelkader Bouziane (16 ans) part au volant de la Volkswagen Golf blanche de sa mère, de Dammarie-lès-Lys vers Nemours, accompagné de son cousin Djamel Bouchareb (19 ans). Ils sont très vite pris en chasse par la Brigade Anti-Criminalité de Dammarie. Ils tentent de la semer et passent sans s’arrêter devant un premier barrage policier. La course poursuite continue dans la longue descente de l’entrée de Fontainebleau, qu’une autre équipe de la BAC venait de bloquer, requérant deux poids lourds, dans l’intention explicite d’empêcher la fuite des deux jeunes hommes. Les deux policiers qui tenaient le barrage, Laurent Lechiffre et Bernard Molines, avaient été avertis par radio de l’imminence du passage du véhicule en fuite. Les premiers policiers avaient tenu à ajouter que ce dernier venait de forcer un barrage policier : « Tu dis aux collègues de Fontainebleau de faire gaffe parce que le mec, il a essayé de nous foutre en l’air à Chailly-en-Bière. » A hauteur du barrage de Fontainebleau, les deux policiers tirent quatre balles. La première atteint Abdelkader Bouziane dans la nuque, qui décède durant son transfert à l’hôpital. Sitôt connue, la mort entraîne plusieurs jours d’émeutes à la cité de la Plaine-du-Lys de Dammarie.
Quatre ans de luttes judiciaires suivront, qui aboutiront à une décision de non-lieu par une chambre d’accusation. Un non-lieu n’est pas un acquittement, prononcé par une cour pour mettre la personne accusée hors de cause. Un non-lieu est une décision de clôture de l’instruction, prise lorsque les charges n’apparaissent pas suffisantes à l’encontre de la personne mise en cause. L’affaire, de ce fait, ne vient pas en jugement. La personne poursuivie n’est pas confrontée au jugement public. Au coeur de la bataille : la notion de légitime défense.
Le 19 décembre 1997, le procureur de la République ouvre une information contre X, du chef de violences avec usage d’une arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le 9 janvier 1998, Djamel Bouchareb dépose plainte en se constituant partie civile, pour violences illégitimes (il dit s’être fait tabasser par les policiers dès l’arrêt du véhicule) et tentative de meurtre. Cette plainte entraîne l’ouverture d’une seconde information judiciaire, le 29 janvier 1998, jointe à la première le 25 février 1998. Le 12 mars 1998, Laurent Lechiffre et Bernard Molines sont mis en examen des chefs de violences avec usage d’une arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner, sur la personne d’Abdelkader Bouziane et de violences illégitimes et tentative de meurtre sur la personne de Djamel Bouchareb. Ils sont maintenus en liberté, sous contrôle judiciaire. Les premiers interrogatoires s’engagent le 23 mars 1998. Le 2 novembre 1998, Serge Combebias, fonctionnaire de la BAC de Dammarie-lès-Lys, est à son tour mis en examen pour tentative de meurtre et violences illégitimes sur la personne de Djamel Bouchareb. À l’issue de ces interrogatoires, seule la qualification de violences illégitimes est retenue. Le 7 octobre 1999, les faits reprochés à Laurent Lechiffre sont requalifiés en meurtre et ceux de Serge Combebias en violences par personne dépositaire de l’autorité publique. La qualification de meurtre, c’est-à-dire d’homicide volontaire, est rarissime en matière de poursuites de policiers auteurs de coups de feu mortels qui, le plus souvent, en pareille circonstance, sont inculpés d’homicide involontaire ou de coups et blessures avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Jean Carvalho, le policier qui, en décembre 1997 également, avait tué d’un coup de fusil à pompe dans un commissariat un jeune homme menotté à sa chaise, avait été inculpé d’homicide volontaire. La décision du juge d’instruction augurait donc d’un durcissement de la justice à l’égard des fautes policières.
Mais le 1er février 2000, le procureur de la République requiert un non-lieu pour les trois personnes poursuivies. L’autopsie pratiquée sur Abdelkader Bouziane montrait pourtant que le tir avait été commis d’arrière en avant, sur un plan quasiment perpendiculaire à l’axe du corps, et les expertises balistiques établissaient qu’au moment des tirs, la vitesse du véhicule était légèrement inférieure à 40 km/h. Les quatre coups de feu avaient été tirés alors que le véhicule se trouvait en amont des deux fonctionnaires de police. Les experts estimaient également que lorsque Laurent Lechiffre avait pris la décision de tirer, Bernard Molines se trouvait toujours face au véhicule.
Le 24 mars 2000, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu partiel, de requalification et de transmission de pièces au procureur général. Il reconnaît que les deux jeunes se trouvaient dans une logique de fuite et non d’agression, et que la victime avait tenté d’éviter, et non de forcer, le barrage : « Un fuyard ne saurait être considéré comme un agresseur, à moins qu’il ne couvre sa fuite, par exemple en tirant des coups de feu, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce ». Les poursuites sont requalifiées en violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner : l’intention, nécessaire à la qualification de meurtre, n’est pas étayée. L’argument de la légitime défense, tel que l’avançait Laurent Lechiffre, qui disait vouloir protéger son collègue en danger, est par ailleurs rejeté. La Cour rappelle que « la décision de faire feu a à l’inverse été contraire aux techniques enseignées dans les écoles de Police, selon lesquelles un agent doit, dans ce type de situation, tout faire pour éviter le véhicule plutôt que d’utiliser son arme ». Le recours à la force n’était donc pas absolument nécessaire, le tir paraissait illégitime.

Aucun danger réel, actuel ou imminent, ne menaçait les policiers interpellateurs ou les usagers de la route, lorsque (le policier) Laurent Lechiffre a tiré, à hauteur d’homme, en direction du conducteur ; que ce tir ne saurait être considéré comme un acte de légitime défense.

L’ensemble des poursuites relatives aux violences commises sur Djamel Bouchareb est, de son côté, annulé. Ce dernier fait appel de cette annulation devant la Chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris, qui confirme pourtant le 8 décembre 2000 l’ordonnance de requalification. Elle admet que « aucun danger réel, actuel ou imminent, ne menaçait les policiers interpellateurs ou les usagers de la route, lorsque Laurent Lechiffre a tiré, à hauteur d’homme, en direction du conducteur ; que ce tir ne saurait être considéré comme un acte de légitime défense ». Le récit des événements s’oriente vers une déchéance de l’argument de la légitime défense.
Mais Laurent Lechiffre se pourvoit devant la Cour de cassation qui, le 20 mars 2001, infirme l’arrêt de la cour d’appel. Elle estime en effet que la décision de la cour d’appel, en ne recherchant pas si l’auteur du coup de feu mortel « pouvait raisonnablement croire, au moment où il a pris la décision de tirer, que son collègue était menacé dans sa vie ou son intégrité physique », manque de base légale. La Cour de cassation, comme d’usage en pareil cas, procède à un rappel à l’ordre, en l’occurrence de sa propre tradition jurisprudentielle en matière de légitime défense : du point de vue de la loi, policiers et citoyens ordinaires ne sont égaux en matière d’usage de la force armée qu’en cas de légitime défense à l’encontre d’une atteinte inévitable par d’autres moyens à la vie de soi ou d’autrui. Mais dans un arrêt rendu le 9 juillet 1825 la Cour de cassation réintroduit, à l’encontre même de la loi, un privilège de position aux policiers : « Au cas [de violences commises par des agents du gouvernement], les violences exercées ne sont punissables qu’autant qu’elles ont été commises sans motif légitime ». Le motif légitime trouvant son expression dans « l’agression putative » : il s’agit de convaincre que l’on s’est « raisonnablement cru en péril », pour reprendre un autre arrêt de la même Cour. Dans sa décision du 20 mars 2001, celle-ci rappelle à son impuissance la notion de légitime défense invoquée à l’encontre de policiers, protégés, en l’occurrence, par la simple situation de mise en danger.
Il restait à la Chambre d’accusation de la cour d’appel d’Orléans, devant laquelle la Cour de cassation renvoya l’affaire, à appliquer le rappel à la tradition exprimé par la Cour de cassation. Le 20 décembre 2001, elle déclare ainsi un non-lieu au bénéfice des policiers. « Le recours à la force armée dont est résultée la mort d’Abdelkader Bouziane sans intention de la donner, doit être considéré comme un acte de légitime défense. » Le privilège policier à l’usage de la force est reconduit et, dans l’ordre judiciaire, l’acte est déclaré non passible de jugement. Il n’a, dans cet ordre, pas eu lieu. Un ultime recours devant la Cour de cassation devrait être jugé dans les prochains mois, dans le but de contourner l’invincible tradition française et de la porter devant la Cour européenne des droits de l’homme, le cas échéant. Emmanuelle Cosse

Mantes-la-Jolie, qui a oublié ?

Société

Quand j’ai attaqué l’Etat en justice, on me disait que je me battais contre un mur. Je crois que le mur s’est un peu fissuré… Salah Zaouiya

Le 8 juillet 1996, accusé de vol de moto, les gendarmes prennent en chasse le jeune Sada, originaire de Mantes-la-Jolie. Ce dernier prend peur et plonge dans la Seine. Il se noie et meurt. La nouvelle se répand immédiatement au Val Fourré, et un climat de tension s’installe sur le quartier entre les jeunes et la police.

Des échauffourées finissent par éclater. Le 10 juillet au matin, une série d’interpellation se fait chez plusieurs familles du quartier. Jawad est arrêté à son tour. Après sa garde à vue, un juge le place avec d’autres jeunes du quartier en détention provisoire à la Maison d’Arrêt (sic) de Bois d’Arcy. Il se retrouve en cellule avec deux jeunes de son âge, Hassan et Abdellah. Dans la nuit du 22 au 23 juillet 1996, Hassan appelle le surveillant qui effectue sa ronde, vers 1 heure 20 du matin. Il exige le transfert du détenu de la cellule voisine qui souffre d’une infection. Hassan commence a s’énerver et avoir peur d’une possible contagion. Il menace de mettre le feu s’il n’a pas satisfaction. Le surveillant tente de le calmer à travers l’oeilleton et lui répond que cela se fera le matin. Pris de colère, Hassan met a exécution ses menaces. Le surveillant voit rapidement des flammes et une fumée épaisse s’échapper de la cellule. Il téléphone pour aviser le gradé de nuit qui lui seul détient les clés de la cellule et celles accédant aux matériels de lutte incendie. Ce dernier mettra dix minutes pour arriver sur les lieux du sinistre. Dès que l’incendie est maîtrisé, Jawad et Hassan sont extrait inanimés vers 1 heure 40 puis déposés sur la rotonde centrale en attendant l’arrivée des secours. Les pompiers contactés à 1 heure 39 arrivent sur les lieux à 1 heure 48 et s’égarent dans l’enceinte de la prison. Ils perdent de nombreuses minutes pour franchir les différents sas de sécurité. Aucun surveillant ne les oriente, ni les accompagne. Le SAMU arrive à 2 heures 06 et constate le décès par asphyxie. Abdellah a survécu en se posant devant la fenêtre.
Le 10 décembre 1996, après une enquête sommaire basée sur différentes expertises, la procédure a été classée sans suite par le Parquet de Versailles. Selon l’expert en toxicologie auprès du Tribunal de Versailles, les matelas n’auraient rien à voir avec l’asphyxie des deux dtenus.

En incarcérant trois jeunes gens dans une cellule de 9m2 en méconnaissance de la réglementation concernant l’enfermement individuel des détenus de moins de 21 ans, l’Administation Pénitentiaire a fait courir à Jawad Zaouiya un risque spécial qui l’a privé de chance de survie

Monsieur Pueyo, Directeur de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy affirme le contraire : les matelas « dégagent des gaz toxiques », contradiction flagrante. Nous portons plainte et nous nous constituons partie civile. Le parquet ouvre une information contre X. pour homicide involontaire, entrave à l’arrivée des secours, non assistance à personne en danger, abstention volontaire de combattre un sinistre. Ce qui caractérise pour nous une volonté de ne pas connaître la vérité sur les circonstances de la mort de Jawad. Le 1er juin 1998, une ordonnance de non lieu est rendue. Nous contestons cette décision auprès de la Cour d’appel de Versailles. Le 13 janvier 1999, nous demandons un complément d’information. Le 13 septembre 2000, une confirmation du non lieu est prononcée.
Le 17 octobre 2003 a lieu la 1ère audience au Tribunal administratif de Versailles. La Commissaire du Gouvernement est défavorable à notre requête, elle rejette la responsabilité de l’Etat et déboute notre demande en affirmant (sic) que « si Jawad est mort c’est la faute a pas de chance« . J’ai du exprimer devant la Cour notre drame (c’est une première). Il semble que mon audition a contribué à un changement d’attitude du Tribunal. Le juge décide de ré-ouvrir le dossier et nous demande de produire un nouveau mémoire. Le 18 mai 2004, les juges administratifs estiment qu’ « en incarcérant trois jeunes gens dans une cellule de 9m2 en méconnaissance de la réglementation concernant l’enfermement individuel des détenus de moins de 21 ans, l’Administation Pénitentiaire a fait courir à Jawad Zaouiya un risque spécial qui l’a privé de chance de survie» et condamne l’Etat. On fait appel, la Chancelerie aussi. Une seule faute reconnue nous paraît insuffisante. Le 6 avril 2006, la Cour d’appel va plus loin et distingue trois fautes : la mousse des matelas toxiques, le système d’évacuation des fumées inefficace et le local anti-incendie inaccessible (une première qui risquait de créer une dangereuse jurisprudence). Pascal Clément,  ancien Ministre de la justice demande un pourvoi en cassation.
La décision de la Cour d’appel ne nous rendra pas Jawad mais a pu faire avancer la sécurité dans les prisons. Quand j’ai attaqué l’Etat en justice, on me disait que je me battais contre un mur. Je crois que le mur s’est un peu fissuré…
Le 17 octobre 2008, le Conseil d’Etat condamne l’Etat français pour les trois fautes lourdes. Le mur que j’ai combattu pendant douze ans est tombé. Un combat acharné avec l’aide du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB), d’Agora et Divercité de Lyon, du Festival Permanent de Strasbourg, de l’Observatoire International des Prisons (surtout Hugues de Surmain), de tous les jeunes de partout et spécialement ceux du Val Fourré. Ce qu’on vit, on ne le souhaite à personne !

Lamine Dieng, 25 ans, mort dans un fourgon de police

Société

Qu’est-il arrivé à Lamine Dieng pour qu’il meurt étouffé dans un fourgon de police dans la nuit du 17 juin 2007 ?

Que l’on remonte à l’affaire de Malik Oussekine (Paris, 1986) dont la mobilisation avait conduit à la dissolution immédiate des pelotons de voltigeurs mobiles responsables de sa mort, à celle d’Aïssa Ihich (Mantes-la Jolie, 1991) décédé au commissariat de Mantes-la-Jolie, entrainant une réforme de la garde à vue (droit à la présence d’un avocat dès la première heure), ou encore l’affaire Mohamed Saoud (Toulon, 1998), mort lors d’une interpellation policière qui avait valu à la France une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (arrêt du 9 octobre 2007 : “violation du droit à la vie”), nous constatons que seule la mobilisation paie pour que ce genre d’affaires ne soit pas enterré.
Lors de contrôles d’identité, ou d’interpellations, la Police applique une méthode d’immobilisation qui, dans sa pratique, peut provoquer la mort. Cette méthode consiste à étrangler la personne interpellée face contre sol et lui comprimer la cage thoracique en appuyant fortement dans son dos à l’aide du genou. Appelée aussi “clé d’étranglement”, elle entraîne l’immobilité, la suffocation et de graves lésions qui peuvent provoquer alors des conséquences irréversibles quand ce n’est pas la mort. C’est précisément cette technique d’interpellation qui a conduit à la mort de Hakim Ajimi (Grasse, 2008) selon des récits identiques rapportés par des dizaines de témoins. Méthode interdite en Suisse, Belgique, Allemagne, également à New-York et Los Angeles, elle a valu à la France une condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans un arrêt du 9 octobre 2007 à la suite d’un décès en 1998. La CEDH avait déploré à l’époque « qu’aucune directive précise n’ait été prise par les autorités françaises à l’égard de ce type de technique d’immobilisation ». Par ailleurs, le Comité européen pour la Prévention de la Torture (CPT) a demandé à la France d’éviter son utilisation dès 2002.
Qu’est-il arrivé à Lamine Dieng pour qu’il meurt étouffé dans un fourgon de police dans la nuit du 17 juin 2007 ? Avait-il connu le même sort que celui de Hakim Ajimi d’être mortellement immobilisé par une clé d’étranglement ? Ses mains étaient pourtant menottées et ses pieds attachés… Comment les dizaines d’hématomes sur le visage et le corps de Lamine avaient-ils été provoqué ? Huit policiers pouvaient-ils être dépassé par un seul homme ?
Cinq ans après, des zones d’ombre subsistent et la famille attend toujours la fin de l’instruction. Un rassemblement à la mémoire de Lamine Dieng et en soutien à la famille de la victime est organisé le samedi 16 juin 2012 à Paris (métro Père Lachaise) avec pour mots d’ordre des slogans clairs : « STOP À L’IMPUNITÉ ACCORDÉE AUX POLICIERS CRIMINELS ! NON AU PERMIS DE TUER ! »

Que s’est-il passé le samedi 30 juillet 1955 dans le quartier de la Goutte d’or ?

Société

Ce fut une avalanche de policiers casqués, spécialement équipés, ayant troqué le bâton blanc pour la longue matraque noire à l’américaine, brandissant revolvers et mitraillette, tirant des coups de feu, qui s’abattit sur le quartier de la Goutte d’or.

De ce périmètre délimité par le Bld de la Chapelle, les rues de Chartre et de la Goutte d’or dans le 18ème arrondissement de Paris, R. Gautier parle de « cette médina qui s’est lentement reconstituée autour de la rue de la Charbonnière ». Pour l’Humanité, il s’agit du « quartier ouvrier de la Goutte d’or (…) où s’entassent dans une inimaginable promiscuité des ouvriers algériens surexploités ». Paris-Match  quant à lui révèle « la « cour des miracles » de la Charbonnière » où « les Nords-Africains n’avaient fait que succéder aux GI’s déserteurs de 1944 et aux mauvais garçons montés des ports du Sud ». L’Aurore, pour finir, décline « les ouvriers musulmans venus chez nous pour y gagner leur vie » sans cesser d’agiter le spectre de la « la criminalité Nord-africaine » dont il faut débarrasser les Parisiens.

Aussi faut-il rappeler que la guerre d’Algérie dure depuis 9 mois et que le quartier reste sous l’œil vigilant de la police. Comme le rappelle Marie Rose Pineau, « Surveillance au travail, surveillance dans les foyers, la police sait aussi exercer sa surveillance dans les hôtels » dont la Goutte d’or est remplie. Elle précise que « la brigade Nord-africaine a été constituée sous l’appellation de « brigades des agressions et violences », rappelant qu’en juin, un peu plus d’un mois avant le 30 juillet, « une rafle organisée par la préfecture de police a donné les résultats suivants : 810 personnes interpellées, 40 conduites au commissariat » tout en concluant que « ce ne sont pas les marchands de sommeil qui ont été inquiétés ».
C’est ainsi que le 29 juillet, la veille du 30, l’Assemblée nationale prolonge l’état d’urgence en Algérie. Enfin, le 30, le hasard du calendrier veut que ce jour soit le jour de l’Aïd el Kébir. Et malgré ce contexte inquiétant chargé de symboles, les travailleurs émigrés viennent en masse à la Goutte d’or pour célébrer cette fête importante qui rappelle le sacrifice d’Abraham.

Le marchand fut grièvement blessé. Il perdait son sang en abondance. Les policiers s’opposèrent à son transfert à l’hôpital et, devant l’indignation de la foule des Algériens qui s’étaient massés, ils se hâtèrent de demander du renfort.

Entre 13 heures 30 et 14 heures, tout commence dans la rue de la Charbonnière. Selon l’Humanité, « un car de police fit irruption sur le marché aux puces qui se tient au coin et les agents arrêtèrent un jeune Algérien qui venait d’acheter une chemise. « Une chemise a été volée ! »  Le car repartit, fit un tour, revint et, soudain, virant, vint défoncer la vitrine d’un café, broyant au passage la table d’un marchand de 4 saisons. Le marchand fut grièvement blessé. Il perdait son sang en abondance. Les policiers s’opposèrent à son transfert à l’hôpital et, devant l’indignation de la foule des Algériens qui s’étaient massés, ils se hâtèrent de demander du renfort ».
L’Aurore relate que « c’est l’arrestation, vers 13 heures 30, d’un Algérien, Mohammed Madi, 28 ans, demeurant rue de Chartres, qui allait déclencher les bagarres. Sur plainte d’un commerçant du quartier, qui venait de repérer un Algérien occupé à revendre des vêtements qui avaient été volés dans sa voiture en stationnement rue de la charbonnière, le commissaire de la Goutte d’or dépêcha un car de police sur les lieux. Les agents firent monter le malfaiteur dans leur véhicule, en dépit de ses protestations et de celles de ses coreligionnaires. Au moment où le chauffeur allait démarrer, les Nord-Africains, dont le nombre allait croissant, se mirent à cribler le car de projectiles divers : pavés, boulons, pastèques. Atteint au visage par une pastèque, le conducteur, aveuglé, monta sur le trottoir en marche arrière, heurta la devanture d’un magasin et renversa deux Nord-Africains : Salah Hemour, 13 rue de Chartres et Lakhdar Chalan, 7 rue St sauveur, qui furent peu après transportés à l’hôpital lariboisière. Cependant, le chauffeur du car de police, bien qu’encerclé, put finalement se dégager. Au même instant, les manifestants entourèrent un second car de police, venu à la rescousse, et le lapidèrent. Les gardiens réussirent à disperser les manifestants ».
De son côté, Paris-Match rappelle qu’ « une commerçante se plaint au commissariat. « On m’a volé des vêtements que j’avais laissés dans ma voiture. J’ai vu les voleurs, deux arabes ».

Et la rue avait répondu. En un clin d’œil, 2000 Nord-Africains étaient apparus. C’était l’obstruction, le refus de circuler. Ce n’était pas encore l’émeute. (…) Tout pouvait rester en l’état. Et d’autant mieux que l’objet du litige ne concernait en rien la politique ou le terrorisme.

Puis les policiers appréhendent les deux voleurs. « Mais les deux hommes avaient eu le temps de crier, d’ameuter la rue. Et la rue avait répondu. En un clin d’œil, 2000 Nord-Africains étaient apparus. C’était l’obstruction, le refus de circuler. Ce n’était pas encore l’émeute. (…) Tout pouvait rester en l’état. Et d’autant mieux que l’objet du litige ne concernait en rien la politique ou le terrorisme. (…) Mais la pastèque fut de trop. La pastèque s’écrasa sur la face du conducteur. Aveuglé, affolé, l’homme fit une embardée, faucha 2 Nord-Africains au passage ». Le magazine peut ainsi faire porter la responsabilité de ces événements à « une belle pastèque bien mûre » qui « compliqua tout ». Pour le magazine, ces événements seraient la simple conséquence d’une blague de collégien qui aurait mal tourné et ne semble pas tenir compte de l’actualité d’une guerre qu’on perçoit peut-être encore comme une simple opération de maintien de l’ordre.
Pourtant, R. Bony enflamme les colonnes de l’Aurore qui partage avec Paris-Match le fait de rendre compte d’un déroulement des faits assez similaire : « Assez de ce scandale ! Les Parisiens doivent être protégés contre ces Nord-Africains qui, samedi, dans le quartier de la Goutte d’or ont fait régner une atmosphère d’émeute. (…) Surexcités sans nul doute, à l’occasion de l’Aïd el kébir, par les propagandes que l’on sait, des Nords-Africains se sont déchaînés dans le quartier de la Goutte d’or, s’attaquant aux passants, brisant les vitrines et les voitures, saccageant et essayant de mettre le feu, allant jusqu’à assiéger le commissariat de Police. ».
A l’opposé, l’Humanité titre à la une avec une photo où l’on voit un policier user d’une lance à incendie pour repousser des manifestants : « Sanglante provocation au quartier de la Goutte d’or samedi à Paris. La police ouvre le feu sur des travailleurs algériens ». Le quotidien souligne alors le caractère politique en remarquant que « l’opération provocatrice a été conduite par la police comme si le gouvernement tentait de justifier en pleine capitale l’injustifiable prolongation de l’état d’urgence que la majorité gouvernementale venait de décider la veille à l’Assemblée nationale ». Et après avoir rendu compte du déclenchement des événements consécutifs, comme on vient de le voir, après que des policiers se soient rendus coupables de non assistance volontaire à personnes en danger, et contrairement à l’Aurore qui insiste sur les saccages commis par les « Algériens » sans nous dire comment les deux cars de police ont pu se dégager de la foule, l’Humanité se démarque radicalement de son confrère en relatant notamment la répression à l’arrivée des renforts  : « Ce fut une avalanche de policiers casqués, spécialement équipés, ayant troqué le bâton blanc pour la longue matraque noire à l’américaine, brandissant revolvers et mitraillette, tirant des coups de feu, qui s’abattit sur le quartier de la Goutte d’or.

Ce fut une avalanche de policiers casqués, spécialement équipés, ayant troqué le bâton blanc pour la longue matraque noire à l’américaine, brandissant revolvers et mitraillette, tirant des coups de feu, qui s’abattit sur le quartier de la Goutte d’or.

Les agents faisaient irruption dans les cafés, obligeaient les consommateurs à partir un par un et les matraquaient au passage. Des Algériens furent saisis, assommés et emmenés au commissariat de la rue Doudeauville. Quelques instants plus tard, les Algériens, plus nombreux, se rassemblèrent devant ce commissariat de la rue Doudeauville pour exiger la libération de leurs camarades. Les policiers s’étaient verrouillés dans leur local. C’est alors qu’arrivèrent les « réserves de la Cité », l’arme au poing ».
Paris-Match raconte tout de même que « les agents n’eurent que le temps de se barricader. Puis comme la foule se faisait pressante et réclamait les deux voleurs, les policiers tirèrent. La plupart des balles éraflèrent le haut de l’immeuble d’en face. Mais une rafale, tirée plus bas, blessa plusieurs personnes. Quelques instants plus tard, des renforts dégageaient le commissariat et faisaient la jonction avec les assiégés ».
Mais le magazine note seulement l’arrivée de renforts pour dégager le commissariat, l’Humanité faisant référence à deux envois de renforts, une fois pour dégager le car de police puis au moment du siège du commissariat, les deux journaux étant d’accord sur l’usage d’armes par les policiers, à l’exception de l’Aurore qui n’y fait pas référence même s’il mentionne par contre les deux envois de renforts. Pourtant, dans un communiqué, la préfecture de Paris ne cache pas que « le service d’ordre fit usage de ses armes » et l’assume en s’appuyant sur la responsabilité qu’on prête alors aux Algériens du quartier et à ceux qu’on soupçonne de les avoir poussés à l’émeute sans qu’on nous explique de qui il s’agit.
Aussi, si l’Aurore parle de violences policières, c’est en relevant qu’il s’agit de fausses rumeurs utilisées pour pousser la foule au siège du commissariat de la Goutte d’or : «  Mais les Nord-Africains, obéissant à des mots d’ordre mystérieux, se regroupèrent peu à peu dans les rues proches du Bld de la Chapelle. Des agitateurs se mirent alors à les haranguer, réussissant par des comptes rendus mensongers des incidents (en racontant par exemple que la police avait tué des dizaines de coreligionnaires) à chauffer les esprits. Ils étaient plus de 1500, quand, venant du carrefour Barbès Rochechouart où ils s’étaient finalement réunis, ils débouchèrent aux 2 extrémités de la rue Doudeauville, où, au n° 50, se tient le commissariat de la Goutte d’or. L’un des habitants de cette rue assista, de sa fenêtre, à l’arrivée de cette horde hurlante… ».  En tout cas, il ne nous relate pas comment les deuxièmes renforts, ceux de la Cité, ont délogé cette « horde » assiégeant le commissariat.
Toujours est-il que, « dans la soirée, vers 21 heures 30, des Algériens se rassemblèrent à nouveau et descendirent le boulevard de la Chapelle, pour protester contre la provocation policière de l’après midi. Tard dans la nuit, le quartier était toujours en état d’alerte, ou d’ « urgence », infesté de policiers, l’arme au pied ».  Contrairement à Paris-Match et à l’Aurore qui imputent finalement la responsabilité des événements à la population du quartier coupable d’entraver l’action des forces de l’ordre et que son comportement justifierait l’usage qu’elles firent de leurs armes, l’Humanité conclut en affirmant que « tous les témoins des incidents de samedi sont d’accord sur ces points : Le mécanisme de l’opération policière et la sauvagerie de son exécution prouvent une volonté de dresser les Parisiens contre les Algériens ; ensuite que les travailleurs algériens ont fait front aux hordes policières et démontré qu’ils étaient prêts à ne pas se laisser traiter comme des chiens ».

Selon la préfecture, le bilan officiel de cette journée s’élève à 15 blessés parmi les gardiens de la paix et de 10 manifestants, dont trois par balle et l’Humanité d’ajouter « de nombreux autres qui n’acceptèrent que les soins de leurs compatriotes ». Puis poursuivant : « On comprend qu’ils aient hésité à accepter les « bons soins » de ceux-là dont ils venaient d’essuyer le feu. Le nombre véritable des manifestants blessés est difficile à établir. Certains ont été arrêtés par la police. Blessés par balle, par matraque ou par écrasement des cars, sont nombreux », Paris-Match comptant « 10 Nord-Africains, dont 4 blessés par balle et une cinquantaine d’autres soignés à domicile ». Sur le plan judiciaire, « le parquet de la Seine a été saisie des procès verbaux de police et une double information a été ouverte samedi au quartier de la goutte d’or. La première information vise les délits de vol et de recel et est relative à ce vol de vêtement qui est à l’origine de l’émeute. Madi Mohammed, appréhender pour avoir été trouvé en possession d’un des objets dérobés, a été inculpé de recel par M. Pitti-ferrandi ». A cet homme, s’ajoutent, l’inculpation de Saïdi Saïd, jeune homme de 24 ans, poursuivi pour violence à particulier et de dommage à la propriété mobilière d’autrui, celle de Karaoui Mohammed, 18 ans, pour violence à agents et de port d’arme prohibée et, pour finir, celle de Fatima Meknes, 27 ans, poursuivie pour violence à agents, tous trois, ainsi que Madi Mohammed ayant été placés sous mandat de dépôt. Aussi pour clore ce bilan, faut-il rappeler que « au moment où se produisaient les sanglants événements de Marrakech et de Moulay Idriss, le même phénomène était d’ailleurs constaté à Paris, dans cette médina qui s’est lentement reconstituée autour de la rue de la Charbonnière », ce qui élargit cette foule que chaque journaliste nomme de différents ethnonymes à l’ensemble des Nord’Africains et rappelle que l’actualité n’est pas limitée à la guerre d’Algérie qui n’est officiellement qu’une opération de maintien de l’ordre.
Au lendemain des événements, le dimanche se passa calmement bien que « des détachements de la police municipale stationnent rue de la Charbonnière, axe de ce quartier où s’est rassemblée une fraction importante de la population algérienne de la capitale ».
Pourtant le calme n’est qu’apparent. Lundi 1er août 1955, dès 7 heures du matin, « d’importantes forces de police bloquent tout un quartier de Paris : le quartier ouvrier où ont trouvé asile des milliers de travailleurs algériens. Le blocus englobe les rues de la Charbonnière, de Chartres, de la Goutte d’or et une portion du bld de la Chapelle. Toute personne qui veut entrer dans le périmètre délimité par ces rues et le boulevard Barbès doit montrer ses papiers et justifier de sa résidence ou de son travail dans le quartier bloqué». Le directeur adjoint du cabinet du préfet de police, a déclaré que la mise en place du « dispositif d’assainissement dans ce quartier du 18ème arrondissement, constituait la première des mesures de la politique de fermeté que le préfet de police entendait suivre ». Une politique raciste. Le gouvernement veut ainsi nous habituer à voir traquer les algériens».
« Pendant une semaine et peut-être davantage, précise Le Monde, seuls les particuliers ayant leur résidence ou justifiant d’une occupation dans ce périmètre pourront y accéder librement. Tout le jour des agents disposés en barrages filtreront les passants à l’entrée de cette zone ».
Au lendemain de l’implantation de ce qui s’apparentent bien à des cheik ponts, le blocus toujours maintenu, « des effectifs de police ont procédé mardi soir à des vérifications dans tous les cafés et hôtels du quartier. Lounas Zoum, Nord-Africain, 24 ans, soudeur, est arrêté « pour avoir frappé de plusieurs coups de poing un gardien de la paix qui l’empêchait de forcer le barrage établi rue de Chartres » et Cécile Robillard, née Legent, est condamnée à 8 jours de prisons avec sursis et 6 000 francs d’amende « pour outrage à agent », ayant insulté dimanche matin dans le quartier « des policiers occupés à prendre des photographies pour dresser le constat des dommages causés par les manifestations de la veille ». Ainsi pendant toute la semaine, « dans le quartier de la Goutte d’or, où la police poursuit ses exactions, plus de mille travailleurs algériens continuent d’être à être chassés des logements qu’ils occupaient ».
Au niveau du débat public, M. Grousseaud (ARS), député et conseiller de Paris « suggère que les Nord-Africains soient mis en garde par tous les moyens possibles (presse, radio, tracts,etc) contre le danger de se laisser entraîner à des violences que la population ne saurait tolérer et qui leur feraient encourir les plus graves sanctions, dont la première devrait être l’interdiction de résidence dans la région parisienne ».

Au-delà du prétexte de la recherche de délinquants de droit commun, la volonté du gouvernement et de la police est de porter atteinte aux libertés les plus élémentaires des originaires d’Afrique du Nord travaillant en France

Dans une question au préfet de police, 4 conseillers municipaux communistes « affirment que des opérations du 30 juillet qui se sont déroulées dans le quartier de la Goutte d’or font ressortir, au-delà du prétexte de la recherche de délinquants de droit commun, que la volonté du gouvernement et de la police est de porter atteinte aux libertés les plus élémentaires des originaires d’Afrique du Nord travaillant en France ».
Dans ce climat, le journaliste de l’Huma prévient même « qu’il se confirme que des opérations semblables se dérouleront prochainement dans d’autres secteurs de Paris.
Ainsi, le samedi 06 août, une semaine après les « émeutes », comme une réponse aux questions des 4 conseillers municipaux, « sans abandonner leur blocus du quartier de la Goutte d’or, les policiers tentent (…) une nouvelle provocation contre les travailleurs algériens. Porte de Clignancourt (sur un terre-plein) derrière le marché aux puces se tient un petit marché algérien, analogue à celui de la rue de Chartres. Pour empêcher la tenue du marché, les policiers ont occupé le terre-plein. Ils ont interpellé les Algériens qui passaient  exigeant d’eux papiers et explications ». Le 07 août, « l’occupation de ce terre-plein maintenant désert se poursuivait (…) encore. Cependant dans le quartier de la Goutte d’or continuaient les tracasseries et les provocations policières contre les travailleurs algériens. Dans le périmètre interdit, et autour, les forces de police, installées en permanence, sont toujours aussi considérables». Enfin, répondant enfin aux questions des 4 conseillers, « la préfecture annonce dans le bulletin de la ville de Paris « qu’un nouveau poste de police permanent serait installé dans ce quartier» et « le PC des forces policières, primitivement installées dans un car à Barbès, est logé maintenant rue Fleury dans un cabinet dentaire désaffecté ».
Mais loin de se limiter, tout de suite après l’occupation du terre-plein et les jours qui suivent, les opérations policières s’étendent au 15ème arrondissement et à la ville de St Denis, des rafles sont organisées à Toulon et dans certaines villes du nord et, le 19 août à Lyon, sont signalées des interpellations en nombre. La question qui se pose est alors de savoir si la répression anti-algérienne va s’abattre à d’autres villes du pays. Effectivement le phénomène va crescendo et montre que l’émeute de la Goutte d’or est bien le point de départ d’une action plus vaste qui s’accentue après les événements du 20 août 1955 dans les Aurès que les historiens considèrent comme le véritable « début » de la guerre d’Algérie.

48 localités situées dans 18 départements étant concernées dans l’ensemble du pays. On évalue le nombre le nombre d’Algériens interpellés à plus de 30 000, à plusieurs centaines les emprisonnés et plusieurs centaines les reconduites en Algérie par avions cellulaires.

C’est ainsi que, le 5 septembre, dès 5 heures du matin, on assiste à « des rafles monstres parmi les travailleurs algériens dans toute la France » après qu’ « une information contre X, du chef d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat, a été ouverte par le parquet d’Alger à la suite des événements qui se sont déroulés le 20 août 1955 ». On signale des milliers d’interpellations, de perquisitions, d’interrogatoires et d’arrestations à Paris et dans une quinzaine de départements. Rien que « dans Paris et sa banlieue, 40 commissaires et 200 inspecteurs de police y ont participé », 48 localités situées dans 18 départements étant concernées dans l’ensemble du pays. On évalue le nombre le nombre d’Algériens interpellés à plus de 30 000, à plusieurs centaines les emprisonnés et plusieurs centaines les reconduites en Algérie par avions cellulaires.
On insiste sur le fait que « les conditions dans lesquelles se sont déroulées les opérations policières dont l’envergure rappellent les « chasses aux juifs » des années 1940-1944 paraissent démontrer que le gouvernement avait l’intention d’arrêter un grand nombre d’Algériens et d’en contrôler un nombre encore plus grande », les arrestations étant suivies d’une soumission au service anthropomorphique qui permet à la police d’établir des fichiers de contrôle.  Là, ce n’est pas pour des raisons de simples délinquance que l’on motive l’intervention mais bien pour des raisons politiques liées à la guerre puisque « les opérations de contrôle ont pour but de permettre l’arrestation des « agitateurs » algériens travaillant dans notre pays. A cet égard, le ministre de l’intérieur a lancé un appel à tous les Algériens résidant en France afin que ceux-ci facilitent les opérations  policières entreprises ! ».

Les violences policières apparaissent bien comme étant déjà installées au début de la guerre d’Algérie et révèlent le traitement qui sera réservé aux Nord-Africains pendant tout son déroulement.

Sur cette lancée, pendant tout le mois de septembre les opérations se multiplient et voit un début de mobilisation nationale contre cette répression. Les communistes participent activement à cette mobilisation même s’il faut la relativiser à la lumière du fameux discours de Thorez du 11 septembre où il proclame que « le droit au divorce n’implique nullement le droit de divorcer » et du fait que de nombreux algériens membres du MTLD de Messali Hadj sont impliqués au sein de la CGT. Toutefois, si on signale effectivement une mobilisation des Algériens, des Nord-Africains ou des ouvriers musulmans, on ne mentionne jamais le ou les organisations qui sont censées les représenter comme s’ils réagissaient spontanément sans encadrement politique du MTLD  bien implanté en immigration ou du FLN, ce dernier, à l’état embryonnaire en France, faisant réellement son apparition dans le débat public français au mois de septembre à la suite d’une interview de Krim Belkacem par R. Barrat qui sera arrêté et la publication du livre des époux Jeanson « L’Algérie hors la loi ».
Cette mobilisation s’agrandissant au rythme effrénée de la répression, elle prend véritablement son essor au début et au cours du mois d’octobre 55. Plusieurs rassemblement et manifestations pacifiques sont marqués par des interventions policières brutales, voire sanglantes. Ainsi, à Douai, un correspondant de l’Humanité raconte que, le 09 octobre, « plusieurs centaines d’Algériens s’étaient rassemblés. Dans le calme, ils défilaient en ville criant des mots d’ordre réclamant une juste solution du problème algérien, quand la police entra en jeu. Plusieurs policiers tirèrent des coups de feu en l’air, ce qui eut pour effet de provoquer une bousculade. Les manifestants passèrent et se dirigèrent vers le pont de Lille quand, subitement, rue de Marchiennes, ils furent accueillis par une fusillade nourrie. Les policiers mettaient en pratique les directives de « Présence Française » : « tirez les Nord-Africains comme des chiens au coin des rues. (…) Au pont de Lille, le spectacle était horrible. Des hommes plongeaient du pont dans l’eau pour échapper à la fusillade, d’autres se réfugiaient dans les maisons ou les jardins. Et la police tirait toujours cachée derrière ce qu’elle trouvait. Les policiers se livraient à une véritable chasse à l’homme. Les balles sifflaient, des centaines de coups de fusils ou de mitraillettes trouaient l’atmosphère. Ce crime a provoqué une grande indignation à Douai où on en souligne la lâcheté. (…) Si douai a vécu une journée sanglante, la faute en incombe à la police. Et qu’on ne vienne pas dire que les policiers craignaient  pour eux-mêmes puisque dans leur rang il ne se trouve que 3 blessés ». Le bilan est de deux morts par balle et de nombreux blessés dont « l’un d’eux avait les reins littéralement hachés par une rafale de mitraillette ».
Au-delà des faits que nous avons repris dans la presse de l’époque et qui mériteraient une enquête plus fine pour montrer les ressorts de la mise en place d’une véritable guerre psychologique sur le territoire français, et alors que la fédération de France du FLN n’est qu’embryonnaire et qu’elle n’y a pas encore ouvert de front, les violences policières apparaissent bien comme étant déjà installées au début de la guerre d’Algérie et révèlent le traitement qui sera réservé aux Nord-Africains pendant tout son déroulement. A la lumière de ces événements, la répression du 17 octobre 1961 n’est finalement que le point d’orgue d’une vieille habitude. Farid Taalba

 Journal Le Monde du 02 Août 1955.
  Journal L’Humanité du 01 Août 1955.
 Paris-Match n°334 du 20 au 27 Août 1955.
 Journal L’Aurore du 01 Août 1955.
 L’Humanité du 26 septembre 1955.
 L’Humanité du 01 août 1955.
 L’Aurore du 01 août 1955.
 Paris-Match op.cit.
 L’Aurore op.cit.
 L’Humanité op.cit.
 L’Humanité op.cit.
 L’Aurore op.cit.
 L’Aurore op.cit.
 L’Humanité op.cit.
 L’Huamanité op.cit.
 Le Monde du  02 août 1955.
 Le Monde op.cit..
 Le Monde op.cit.
 Le Monde du 04 août 1955.
 L’Humanité du 06 août 1955.
 Le Monde du 05 août 1955.
 Le Monde op.cit.
 L’Humanité du 08 août 1955.
 L’Humanité du 06 août 1955.
 L’Humanité du 23 août 1955.
 Le 20 août 1955, dans les Aurès, les responsables FLN organisent une insurrection populaire armée qui va marquer l’engagement des masses paysannes dans la guerre et provoquer le ralliement de Ferhat Abbas, des Oulémas et de manière plus large des classes moyennes au FLN.
 L’Humanité du  06 septembre 1955.
 L’Humanité du 07 septembre 1955.
 L’Humanité du 06 septembre 1955.

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