Le problème, c’est que les autres médias me demandaient qu’est ce que c’était ce phénomène de rap, me disaient que ça ne marchera jamais…
Retrouvez l’émission de radio des Cautionneurs (diffusée le samedi 22 décembre 2012 sur Le Mouv’) spécialement dédiée au 30ème anniversaire du hip hop en France avec Solo, Gabin & Karima (Aktuel Force), Koma, Swen 93MC, Dan de Ticaret, La Caution, 16S64 et l’équipe de Down With This pendant deux heures de débats, discussions + freestyle live ici.
Paris, Bataclan – 18 nov. 2012 – Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
«Tout le monde dit qu’Afrika Bambaataa a emmené le hip hop en France, le break, le graffiti et tout ça… oui, c’est la vérité, mais on ne peut pas dire que c’est juste lui parce qu’on était tous venu. Sur la tournée, j’avais un maquillage de mime. J’avais le visage peint en blanc habillé en noir et des gants blancs. J’ai fait un petit truc au Bataclan. On était des gosses en ce temps-là. On ne pensait à rien. On faisait notre spectacle et après, on était payé 100 $. Avec, on allait s‘acheter un survêtement Adidas et c’est tout. Pour nous, c’était des choses qu’on faisait depuis toujours, c’était rien. En tout cas, pas comme le percevait les gens en France en nous voyant : « Oh la la mais c’est magnifique ça ! ». Non, c’était juste notre façon de vivre, naturelle et rien d’autre» (Mr Freeze RSC – Propos recueillis le 3 novembre 2012).
Sans le savoir, Mr Freeze et ses potes allaient révolutionner le destin de plusieurs générations de jeunes à partir de 1982. La tournée «New York City Rap» allait parfaitement jouer son rôle en France : présenter tout simplement le hip hop, en laissant s’exprimer cette inventivité fascinante.
Alors que cette culture s’exporte pour la première fois du Bronx vers Manhattan (dans le club le « Negril » en 1981 puis au « Roxy » en 1982), c’est à Paris qu’elle y atterrit la même année grâce aux deux initiateurs de cette tournée : Bernard Zekri (à l’époque journaliste à Actuel et Libération, aujourd’hui Directeur de l’agence CAPA) et Alain Maneval (à l’époque animateur radio à Europe 1 et présentateur télé sur la une, aujourd’hui réalisateur). (voir leurs témoignages ci-dessous).
Afrika Bambaataa, DST, Futura 2000, Fab Five Freddy, Phase II, Rock Steady Crew (dont Crazy Legs et Mr Freeze), Dondi, Rammellzee constitueront un plateau artistique sans précédent incluant à chaque représentation toutes les disciplines du hip hop (danse, musique peinture).
Maneval, présentateur de l’émission Mégahertz avec ses invités :
Malcolm Mc Laren et Elisabeth D.
Mister Freeze dans l’émission Mégahertz, lors du concert « New York City Rap »
du 21 novembre 1982 au Bataclan (Paris)
A Paris, comme ailleurs, les spectateurs restent surpris par cette énergie. Cette tournée sera ainsi la porte d’entrée la plus pertinente pour accéder au hip hop. A tel point que le spectacle au Bataclan du 21 novembre 1982 transformera Dee Nasty, Solo, Pascal Blaise (Aktuel Force/VNR) et Dan de Ticaret (voir son témoignage ci-dessous) en pionniers du mouvement.
Paris allait connaître une révolution culturelle tant la danse hip hop était innovante. DJ Chabin, mémoire de la musique jazz-rock, funk, soul et africaine avait ainsi offert un climat propice à l’émergence de cette danse hip hop au début des années 1980 en l’accompagnant dans sa programmation au Bataclan et à Colonel Fabien (voir son témoignage ci-dessous).
Au delà des entretiens que nous avons mené pour rendre compte de la manière dont s’est installé le hip hop en France, notre équipe avait décidé de marquer le coup d’une manière exceptionnelle pour cet anniversaire des 30 ans. Le projet de réaliser une séance photo historique avec l’ensemble des pionniers et activistes de ce mouvement avait rapidement vu le jour. Le 18 novembre 2012 à l’intérieur et à l’extérieur du Bataclan, environ soixante-dix personnes se sont retrouvés pour ce projet. Certains ne s’étaient pas revus depuis plusieurs années. D’autres plus jeunes ont rencontré pour la première fois les pionniers de leur culture. Ce «rassemblement» relevait du challenge et n’a pas été simple à coordonner. Certains étaient en déplacement en province, d’autres y habitaient, mais tous ont compris le sens du projet et ont fait le maximum pour s’y rendre, parfois sans dormir la nuit précédente… ou en prenant des trains très tôt le matin… L’ambiance était sans pareil et nous remercions l’ensemble des personnes qui se sont déplacées.
La séance s’est déclinée en deux photos. La première, avec les pionniers de cette culture en France : Mode2, RMC Odger (New Generation Mc’s), Double P. (42nd Street), Chino, Pascal Blaise (Aktuel Force/VNR), Fox (Aktuel Force), Lion Scot, DJ Chabin, Domy T., Sidney, Gabin (Aktuel Force), Solo, Enriqué, Karima (Aktuel Force), DJ Fab, Valérie Massadian, Alain Maneval, Bernard Zekri, Dan (Ticaret), Jay One (BBC), Swen (93MC) et la seconde avec les pionniers et activistes du mouvement toutes générations confondues : EJM, Nakk Mendosa, Nikkfurie (La Caution), 2Spee Gonzales, DJ Cut Killer, Yoshi, Chino, Lindis, Pascal Blaise (Aktuel Force/VNR), Vasquez, Chimiste, Sheryo, Jonone, Psyckoze, Busty 2 Brazza, Driver, Fox (Aktuel Force), Lion Scot, Doc (2Bal), Gkill (2 Bal), Nono (AOT), Yank, Dandyguel, Lavokato, DJ Chabin, Texaco, Daddy Lord C, Domy T, Sidney, Jacko, Koma (Scred Connexion), Oeno (VEP), Babali, Gabin (Aktuel Force), Solo, Enriqué, Karima (Aktuel Force), DJ Fab, DJ Nels (Time Bomb), RES, Valérie Massadian, Alain Maneval, Bernard Zekri, Wira, Lord Rico, Double P (42nd Street), Dan (Ticaret), Fist, Creez, Comer (OBK), Jay One (BBC), Stéphane Ragobert, Swen (93 MC), Ziko (La Brigade) et RMC Odger.
Ce projet comporte néanmoins des absences que nous regrettons. Nous n’avons par ailleurs pas réussi à mobiliser les marseillais sur ce projet. Comme on est naïf, on dira que cela ne s’est pas fait faute de temps. Nous nous consolerons par un commentaire qu’Imhotep d’IAM avait laissé le 24 novembre sur notre compte FB au sujet d’une photo que nous avions postée d’Alain Maneval où nous y avions indiqué en légende : « En 1982, cet homme a posé les valises du hip hop en France…». Le plus pharaon des marseillais avait réagi par une autre légende, dont la nuance avait toute son importance : « (…) Yo DWT, je crois que c’est les Balises pas les valises du Hip-Hop !». Nobel
Paris, Bataclan – 18 nov. 2012 – Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
Dans les années 1978-1980, il y avait beaucoup de concours de danse sur Paris. C’était de la danse debout, des mouvements funk, disco, soul, comme James Brown ou plus tard comme le gars qui interprète Leroy Johnson dans la série Fame.
A l’époque, c’était à la Main Bleue que ça se passait, à Mairie de Montreuil, un ancien parking, un truc vachement underground et à L’Etoile Foch, qui s’est appelé par la suite la 5ème Avenue et ensuite Le Duplex. Tout ceux qui ne pouvaient pas rentrer au Palace ou autres allaient là-bas. Ca s’est ensuite arrêté en 1981-1982 car ils avaient fait des travaux pour y faire une piste à rollers, comme à la Main Jaune qui avait le même propriétaire. L’Eméraude avait coulé, il ne restait plus que le Bataclan pour les mecs branchés. Sinon, tu allais à la Scala pour écouter du 1980… il y avait beaucoup de boîtes dans Paris à l’époque mais c’était très new-wave, hard-rock, punk…
J’étais tous les samedi après-midi de 14 heures à 19 heures 30 au Bataclan pour y passer funk, soul, jazz rock, slow et j’y avais imposé la musique reggae puis zouk et Afrique car il y avait à 80 % des africains et des afro-antillais dans la salle. Surtout que des groupes comme Zaïko Langa Langa et Kassav’ arrivaient sur le marché et étaient trop forts ! (rires)
Alpha Blondy arrivait également avec « Brigadier Sabari« . Je peux même dire que je suis un des mecs qui a fait vendre le disque car je le passais tous les dimanches en faisant chanter les gens ! On ne savait pas trop pour le hip hop. « Rapper’s Delight » était le premier truc qui était sorti en 1979. Pour nous, c’était une sorte funk.
A l’époque, il n’y avait pas facebook, ni même de magazines. Il y avait très peu d’information. La promo était limité. On avait donc des petites programmations avec des morceaux comme ça. Les choses circulaient par le bouche à oreille. Un de mes voisins avait vu Break Machine en 1982 en Belgique et nous l’avait raconté. Break Machine était également passé en Guyane en 1981. On était informé aussi grâce à l’Allemagne dans la mesure où il y avait des G.I. américains qui avaient dû exporter des trucs.
Cela dit, Paris restait LA valeur sûre car nous étions bien avancé dans la danse. A tel point que quand il y a eu l’émission « H.I.P. H.O.P. » en 1984, beaucoup de danseurs se sont expatriés et ont contaminé l’Europe comme les 42nd Street et Aktuel Force.
Cela dit, Paris restait LA valeur sûre car nous étions bien avancé dans la danse. A tel point que quand il y a eu l’émission « H.I.P. H.O.P. » en 1984, beaucoup de danseurs se sont expatriés et ont contaminé l’Europe comme les 42nd Street et Aktuel Force.
Ces danseurs avaient été en quelque sorte contraint de s’exporter car à Paris et ailleurs en France, les gens ne demandaient que les danseurs d’ « H.I.P. H.O.P.« . Cette émission avait ouvert des portes mais en avait fermé d’autres.
Pour en revenir aux années précédentes, ce qu’il faut savoir, c’est que dans le public du Bataclan, tu avais trois ou quatre personnes dont les parents avaient des responsabilités importantes comme un colonel zaïrois ou le premier ministre du Congo. Ceux-là étaient donc déjà allé aux Etats-Unis, avaient pris des cours et vu des mecs qui dansaient dans la rue.
Des gars comme Joss ou Jobali étaient les premiers à avoir une gestuelle hip hop. Pour ce qui est de la tournée « New York City Rap« , on était au courant qu’il y avait Bambaataa qui venait au Bataclan. Je n’avais pas pu y aller. A l’époque, il y avait des concerts tout le temps, on sortait tous les soirs. Cette tournée a ouvert les esprits.
Tu prends un mec comme Pascal Blaise (Aktuel Force) qui est allé à la date de Pantin je crois, il avait compris ce qu’était l’esprit de Bambaataa, il a adhéré et transmis à son tour. C’était ses grands frères qui étaient dans la funk qui l’avait ramené. Il faisait partie des petits frères qui arrivaient, cette autre génération, avec une autre culture et qui ont continué en ce sens.
On jouait aussi Tyrone Brunson, en 1982, il avait sorti deux maxis « Fresh » et « The smurf » ainsi que le groupe Warp Nine avec quelques titres. On appelait d’ailleurs cette petite série de sélection « Smurf » en référence au morceau de Brunson. C’est après qu’on a su que c’était hip hop. Mais ça sonnait vachement boîte à rythme, donc ça posait un problème aux danseurs de funk, soul, jazz-rock. Ils étaient dans l’attente en se demandant quelle était cette musique ! Il fallait que je leur explique que cette nouvelle musique n’était pas acoustique et qu’une nouvelle danse arrivait avec de nouveaux danseurs qui attendaient maintenant eux aussi leur tour. C’était notre rôle en tant que DJ d’accompagner les nouveautés qui valaient le coup. Ca pouvait aussi ouvrir l’oreille musicale à d’autres.
On était content de découvrir et pouvoir transmettre. Ca prenait de plus en plus d’ampleur. Ils ont commencé à adhérer car le son était de mieux en mieux. En août 1983, avec « Rock It« , à partir de là, ça y est, c’était parti ! La danse explosait, des émissions de radio ont suivi, Sidney, qui était passé par L’Emeraude, avait une émission sur Radio 7, etc… Il y avait aussi GrandMaster Dan de Sarcelles qui était au Grand Rex avec un organisateur qui s’appelait Mamadou.
Et petit à petit, il y a de nouveaux danseurs qui arrivent comme Solo, Zico, Vitar, Patson… Il y avait beaucoup de spécialistes comme un mec qui s’appelle Jérémy, qui habitait dans le 13ème, il avait une combinaison grise et faisait le robot. C’est arrivé dans une salle des Fêtes à Colonel Fabien, avec étage, estrade, 1800 personnes, ça venait de toutes les banlieues, même de Chartres, Orléans, Tours, Châteauroux… Un mec qui venait, ramenait ensuite ses potes.
Le message, c’était « il y a une nouvelle musique et il y a des mecs qui prennent le micro pour chanter par dessus !« . En 1983, les premiers français qu’on a entendu, c’était Domi T, Gary Gangster 8 qui rappaient en anglais les morceaux de Grand Master Flash. Le premier qui l’a fait en français, c’était Lionel D, qui était plus au départ dans le rock’n’roll ou d’autres musiques car il ne connaissait pas bien la funk. La première fois qu’il est entré à Colonel Fabien et qu’il a vu les 1800 personnes, il s’est pris une gifle ! Ca dansait de tous les côtés, grosse funk, soul, jazz-rock, hip hop, reggae ! A partir de là, certains ont compris qu’on pourrait rapper en français… Propos recueillis le 9 novembre 2012
Paris, Bataclan – 18 nov. 2012 – Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
Un Bronx à point sur le « Negril »
J’habitais fin des années 1970 sur la 2ème avenue et la 13ème rue, à quelques dizaines de mètres d’un club jamaïcain qui s’apellait le «Negril». C’est là où on peut dire que pour la quasi-première fois, en 1981, le hip hop, c’est à dire autre chose que du rap et des DJ’s, s’est exprimé à Manhattan. C’était la première fois qu’il y avait des soirées avec ce mouvement dans son ensemble, dans sa globalité, avec des danseurs mais aussi les gens du graffiti, les DJ’s… Le truc était clair, c’était affiché, annoncé et vendu comme ça : c’était le hip hop !
Je l’avais vu arriver un peu plus tôt grâce à Steven Hager, journaliste (qui deviendra plus tard le scénariste du film «Beat Street»). Il était le premier à avoir fait des papiers sur ce mouvement dans un canard underground qui tâche (rires), très underground press, où il y décrivait ce qu’était le graffiti, les battles, etc…
Les block-parties avaient commencé des années plus tôt, en 1974. Bambaataa faisait ça depuis très longtemps mais ça n’existait pas en dehors du Bronx qui était à l’époque une autre planète, un autre pays. Ca n’avait rien à voir. A Manhattan, les gens ne savaient pas.
Il faut quand même comprendre que l’Amérique a changé, il y a maintenant une classe moyenne «black», plus que moyenne d’ailleurs, des couples mixtes… A l’époque, dans les clubs, c’était «blanc», absolument très très «blanc». Les block-parties avaient commencé des années plus tôt, en 1974. Bambaataa faisait ça depuis très longtemps mais ça n’existait pas en dehors du Bronx qui était à l’époque une autre planète, un autre pays. Ca n’avait rien à voir. A Manhattan, les gens ne savaient pas. Or, le côté si on veut être sous l’oeil des médias, décoller, il fallait entrer dans le monde de Manhattan.
Donc la première fois où «ça existe», en dehors du Bronx, c’est avec Kool Lady Blue, une punk anglaise qui avait les cheveux bleus, qui en arrive à organiser ces soirées au «Negril» avec la présence d’artistes comme Afrika Bambaataa et le Rock Steady Crew, dont elle deviendra également manager. A l’origine, elle habitait un logement à Londres juste au dessus de la boutique de Malcolm Mac Laren (ndlr personnage charismatique et affairiste des cultures en marge) que l’on peut considérer comme soit génial, soit comme escroc, ou soit un peu les deux…
Il y a des gens qui ont été essentiels pour réussir à vendre l’histoire afin que ces mecs ne soient pas pris pour une bande de débiles. Par exemple, dès le début, Fab 5 Freddy, était la passerelle.
Il y a des gens qui ont été essentiels pour réussir à vendre l’histoire afin que ces mecs ne soient pas pris pour une bande de débiles. Par exemple, dès le début, Fab 5 Freddy, était la passerelle. C’est lui qui amenait ce monde du Bronx, cette forme d’art, cette énergie, à Manhattan. Il avait les codes, les clés. Il en parlait dans les dîners, dans les trucs branchés… Pour qu’Andy Warrhol comprenne ce qu’était ce truc-là par exemple, il fallait lui en parler. Freddy le faisait depuis des années. Il savait déjà comment fonctionnait le monde de l’art. Il était un peu plus vieux que les autres. Le fait d’avoir un oncle qui s’apellait Billy Cobham, (ndlr batteur de jazz), cela avait dû l’aider à comprendre certains de ces codes…
Les soirées au Negril ont commencé en 1981 et ont connu un succès foudroyant dès le départ, à tel point que la boîte sera fermée par le «Fire Departement» après seulement quelques mois d’ouverture tant l’affluence était importante ! Il n’y avait pas de métissage dans la ville. Mais au Negril, ça se déplaçait d’un peu partout : de Brooklyn, d’Harlem, mais aussi de Manhattan même, du côté d’East Village, L.E.S., un quartier qui a bien changé.
Il y a donc un mélange magique, de filles sublimes, beaucoup de top models, de gens du Bronx avec ces nouveaux looks, cette nouvelle démarche, ce nouveau langage. C’est en ça que c’est touché par la grâce. Et il y a surtout cette énergie qui est explosive, avec ces types qui veulent bouffer le monde ! Je suis au milieu de tout ça, une espèce de «gentil blaireau» et je me dis «waouh» ! (rires) Les mecs déménagent ! Il y avait cette danse étonnante, avec les mecs qui tournaient sur la tête, on n’avait jamais vu ça ! L’art du mix, pareil, le scratch…
Bien que je me sois toujours intéressé aux trucs nouveaux, avec un peu cette curiosité de l’avant-garde, cette découverte me remettait en question… On se demandait d’où ça sortait ! Ils réinventaient le monde. Et au Negril, ces mecs du Bronx qui se retrouvaient à Manhattan étaient surpris à leur tour car d’autres mecs, du monde de l’art cette fois, s’intéressaient à eux et proposaient aux graffeurs d’aller à Hong Kong ! Ca allait très très vite !
Affiche du club « Negril » (New York) – 21 janvier 1982 – Artwork © Phase 2
Le village d’irréductibles branchés
Ce mouvement est en train de monter. Je fais des aller-retours entre Paris / New York, j’en parle à Paris. Je deviens assez copain avec Freddy, Bambaataa, Blue, DST. J’habite avec Futura. On partage un appartement ensemble.
Dans un premier temps, je n’ai pas de velléité à faire des tournées ou des trucs comme, ce n’était pas mon métier, j’étais journaliste… Je travaillais pour Libération, Actuel à l’époque. Massadian, qui s’occupait d’Actuel, était un ami très proche et me prennait la tête : «on va faire une tournée, le rap, avec le magazine Actuel, etc…».
A l’époque, Actuel était à l’affût et Jacques Massadian rêve de faire un grand concert de rap. Il vient donc avec moi à New York, mais comme il ne parle pas anglais, je fais l’interprète.
Actuel était un magazine qui réussissait très très bien et qui était très puissant. Donc les mecs qui étaient dedans se la pétaient un peu. Massadian, un peu énergique, pensait qu’en arrivant à New York, ça ferait le même effet qu’à Paris. Mais là-bas, personne connait, ils en avaient rien à foutre. Je lui dis de se calmer un peu. Et puis c’est toujours énervant quand on parle pas une langue, d’attendre que son pote traduise…
Ca se dégrade entre nous, il pense que je ne fais pas d’effort, voire même que je serai assez content qu’il se plante, ce qui n’était pas vrai du tout. On avait deux tempéraments assez différents. A l’époque, il y avait «The Message» (de GrandMaster Flash) et «Planet Rock» (d’Afrika Bambaataa). Je ne sais plus pourquoi mais Jacques jette son dévolu sur Bambaataa. On avait donc de longues conversations. On allait voir Tom Silverman de Tommy Boy.
Finalement, Bambaataa appelle un matin et nous dit que c’est impossible pour lui d’être présent à la date qui avait été calé. J’avais dit, sur un ton un peu détaché à Jacques «tu vois, le mec ne veux pas, je te l’avais dit». Jacques : «Eurgh… tu te fous ma gueule !», etc, et on manque de se battre. (rires) Il se barre et repart à Paris. Je laisse tomber cette idée.
Quelques semaines plus tard, je me dis quand même, c’est con, il faut les faire venir en France. Donc je me mets à en parler à Elisabeth D, une copine journaliste, qui en parle à son tour à Maneval, un personnage assez funky et rigolo qui travaillait à Europe 1 et qu’elle finit par me présenter. Ce mec passait tout le week-end à l’antenne ! (rires)
Je lui vends ma salade, et tac, ça le tente ! Donc il me branche avec un vieux monsieur d’Europe 1, Jean Serge, qui avait un espèce de noeud pap… Je leur dit : «pas de drogue, pas d’alcool» pour les rassurer, ce qui était vrai d’ailleurs. Je leur dis surtout que ce mouvement est une révolution ! Il faut se remettre dans le contexte de l’époque quand même. Parler de rap à Europe 1 en 1982… Remarque, même maintenant, je ne suis pas sur qu’ils seraient emballés ! Ils me disent OK mais qu’il faut faire entrer ce projet de tournée dans le cadre de la promotion d’une sortie de disques que nous devrions enregistré.
A partir de là, je repars à New York, armé de forts sponsors «institutionnels». J’ai de quoi monter le projet, payer et emmener 25 mecs du Bronx en Europe !
Dans la foulée, je rencontre Francis Bueb, de la Fnac, qui me dit OK aussi. Je pense que sans lui, la FNAC n’en aurait rien eu à foutre. D’Europe 1, on m’envoit vers AZ qui sont d’accord pour faire cinq disques et qui me file un peu moins de 200 000 francs (30 000 euros) pour les produire. Comme ce n’était pas mon métier de faire des disques et que je n’étais pas doué avec le pognon, je me dis quelle galère !
Je connaissais Karakos, qui s’occupait du label Celluloïd, pour lui avoir filé un disque de «bruit» à distribuer que j’avais produit, un groupe américain, autre que du hip hop, qui n’avait même pas de nom (rires). Je lui propose de gérer les thunes et les contrats et moi de gérer ça à New York. Ca devient donc les disques Celluloïd distribués par AZ. A partir de là, je repars à New York, armé de forts sponsors «institutionnels». J’ai de quoi monter le projet, payer et emmener 25 mecs du Bronx en Europe !
J’embarque Freddy, avec qui j’étais très proche, sur ce projet de disque. Comme j’étais un génie du marketing, je me dis que ça serait bien de faire un morceau en français (rires). Je prends un papier et j’écris un truc. Je dis à ma copine qui parlait anglais de lui apprendre le morceau en phonétique car il ne parlait pas la langue. Ca donnera «Une sale histoire», premier morceau de rap en français (rires).
Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
«Fort Apache» hip hop tour
On avait des discussions pour savoir qui vient en tournée et qui ne vient pas. Il y avait pas mal de prise de tête que se soit entre eux ou avec moi, comme avec Rammelzee, qui a été particulier tout au long de sa vie. Ils avaient 100 ou 150 dollars par jour avec en plus un cachet pour les concerts.
Sauf qu’il fallait régler un détail : la moitié des mecs n’avaient pas de passeport ! Beaucoup de gens les prenait pour des sales gosses, alors pour être surs que tout le monde soit présent pour l’embarquement à l’aéroport, on leur donnait rendez-vous à Manhattan, le matin à l’aube, au Roxy pour un vol l’après-midi !
J’avais embarqué avec moi un journaliste au Soul News qui s’appelait David Herskovich et qui a fait un papier sur cette tournée. Il voulait le vendre au départ à Rolling Stone mais ils ne s’intéressaient pas aux «noirs» à l’époque. Il a fait finalement la couverture du supplément magazine du Daily News de New York, qui était à l’époque un très gros canard.
Tout ça pour dire que c’était considéré comme un événement à l’époque, à New York, que des français s’intéressent à cette culture. Le magazine Life m’avait même pris, moi, un français, pour que je fasse fixeur dans le Bronx (rires). Ce qui est quand même marrant quand on y pense.
C’était très joyeux mais la moitié de la tournée était un flop… avec des anedoctes drôles quand on y repense. Il y a eu une méga-baston à Lyon (rires).
Il y avait des filles dans la tournée, les «Double Dutch Girls», qui sautaient à la corde. Au passage, elles avaient peut être été rattaché de façon artificielle à la tournée, mais c’est une autre histoire. Il y avait un sentiment de protection de la part des mecs envers elles car elles étaient mineures. A un moment donné, des mômes du public balancent une bouteille de vin sur la scène.
Et là, je crois que c’est Futura et Dondi qui sautent dans le public pour choper les mecs et «boum boum» ! Avec l’esprit chevaleresque, on descend défendre nos petites ados du groupe. Quand on est remonté dans le bus de tournée pour repartir, il y a eu ensuite un espèce de mouvement de panique de la part des new-yorkais… Car une histoire comme ça à New York, ça se termine en représailles ! Les américains pensaient que les Lyonnais étaient allés chercher leur gang pour revenir et les matraquer ! Il y avait à la fois ce côté on saute et on se bagarre et à la fois, ce côté : «on se sauve, ils vont revenir !».
Il y a eu une bagarre similaire à Strasbourg mais cette fois avec DST, qui était un peu barge. Si je n’étais pas intervenu, je pense qu’il aurait pu tuer le mec. Le truc cocasse, c’est qu’il s’est retrouvé à l’hosto avec l’autre mec. Il était beaucoup moins fier.
Toute la tournée était une joyeuse pagaille. Il y avait parfois des prises de têtes entre eux. Il y a aussi des trucs plus ou moins drôle comme quand Francis Bueb de la FNAC nous invite à manger dans le plus beau restaurant de Strasbourg et que les mecs débarquent avec leurs sandwiches dans le resto car la bouffe française ne leur parlait pas du tout !
Il y avait un truc qui marchait systématiquement, c’était le Rock Steady Crew. Le Bataclan est la première date qu’on a fait en France. Il y avait même Mick Jones, le mec des Clash dans la salle.
Il y a un truc qui me fait toujours rire vis à vis de cette tournée. Quand on est arrivé à Paris, le bus s’est perdu vers la Porte de Bagnolet. Le chauffeur ne comprenait plus rien à cause d’une bretelle d’autoroute et s’était arrêté pour demander son chemin à un jeune africain. C’était très drôle car les new yorkais étaient étonné que le gars parle français ! «The motherfucker is speaking french, man ! This nigger speaks french !».
Il y a eu des moments très forts dans cette tournée. On a fait un after absolument incroyable au Palace, c’était plein à craquer. Il se trouve qu’on alternait avec des soirées très réussies et d’autres un peu moins comme le Pavillon de Pantin. Il devait y avoir 1 000 personnes dans une salle qui pouvait en contenir 5 000, ça faisait un peu vide…
Par contre, partout, il y avait un truc qui marchait systématiquement, c’était le Rock Steady Crew. Le Bataclan est la première date qu’on a fait en France. Il y avait même Mick Jones, le mec des Clash dans la salle. A Los Angeles, il y avait aussi dans la foule le mec qui allait devenir Ice T et peut être Doctor Dré. C’étaient des moments magiques, je trouvais ces gens formidables, d’une inventivité génial. Ca a été un moment formidable dans leur vie, et dans la mienne !
The Supreme Force
En France, les gens ne comprenaient pas très bien ce qu’était ce mouvement. Faut comprendre l’époque, personne n’avait jamais vu ça. Quant aux gens de la musique, ils pensaient que cela allait durer trois semaines… Aujourd’hui, je reconnais que je redécouvre ça car j’étais passé à autre chose. En revenant à New York après la tournée, je n’étais pas à l’aise. Je devenais le mec des disques Celluloïd à New York. Or, j’avais envie d’être journaliste.
On avait fait plein de trucs pendant ces deux ou trois ans. Le disque Wild Style avec Bambaataa, plein d’autres choses… J’allais en radio pour essayer de faire jouer les disques, etc… A un moment, je commençais à devenir hyper pointu sur la place de New York. J’ai vu défiler dans mon bureau des mecs comme Rick Rubin (fondateur du label Def Jam) qui a passé je ne sais pas combien de temps en me demandant de faire un disque pour 100 dollars… Je n’avais pas forcément la thune pour dealer, j’avais une fonction un peu «bâtarde» car je dépendais de Karakos, qui a des qualités, mais aussi des défauts sans s’attarder la dessus. Je n’avais pas envie de devenir un «roi du business». Je voulais être journaliste.
Et puis quand est arrivé l’histoire «gangster, bitch» machin, je ne m’y reconnaissais plus et je m’en suis écarté. Comme dans tous les mouvements, il y a un moment super créatif et un autre où c’est le business. C’est une histoire naturelle pour moi. J’ai oublié pas mal de choses mais avec les discussions, les anecdotes ressortent car j’écris un livre qui inclut cette période de mon parcours.
Par rapport à tous les gens qui expliquent que c’est une sous-culture pour des mecs bas de plafond, le truc qui est capital à comprendre, c’est que cette culture est très riche et a eu une influence considérable sur le cinéma, la littérature, la mode, etc… Il n’y en a pas souvent des révolutions comme ça. Propos recueillis le 25 octobre 2012
Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
En faisant des randonnées en roller le soir à Paris avec des potes et nos walkmans, je tombe sur une affiche qui annonçait une soirée avec les meilleurs danseurs de New York !
J’étais danseur de jazz-rock au Palace et à l’Emeraude, là où Sidney y balançait de la funk et rappait dessus. C’est d’ailleurs ça qui a fait qu’il se retrouva à animer l’émission « H.I.P. H.O.P. » quelques temps après.
Je voulais aller à cette fameuse soirée pour aller voir ces « meilleurs danseurs de New York » (rires). Ca me parlait New York, je faisais du freesbee aussi. J’aimais beaucoup la danse, j’avais commencé un petit peu avant 1978. On allait même jusqu’à Issy-les-Moulineaux, dans une cave que des mecs avaient transformé en boîte où ils balançaient de la funk. On ne connaissait rien au hip hop, ça n’existait pas ici.
J’étais tombé sur un article dans un journal à l’époque où il était écrit que des DJ’s à New York utilisaient deux platines et faisaient avant-arrière avec les disques pour faire des sons particuliers. Comme j’étais aussi DJ, j’avais essayé mais je trouvais que c’était une connerie ! (rires)
Franchement, ça me saoulait. Je me disais que c’était bidon car la musique n’était pas fluide. (rires) Ca ne me plaisait pas spécialement mais il y avait une atmosphère particulière qui a fait que je suis resté.
Quand je suis rentré dans le Bataclan ce soir de novembre 1982 pour assister à la première date parisienne de la tournée «New York City Rap», j’aperçois sur scène deux mecs, sur le côté. C’était apparemment Bambaataa et DST, avec un autre mec au fond, Futura 2000, qui peint des trucs en couleur. Maneval était au micro et disait un truc du genre « vous allez voir les meilleurs danseurs de New York, ils sont en galère en taxi, à République, ils vont arriver !« .
Donc, on attend. La salle était bien remplie. Et j’entends que tous les sons de la musique qui passent sont arrêtés. J’entends des bruits de funk, mais qui sont arrêtés. Franchement, ça me saoulait. Je me disais que c’était bidon car la musique n’était pas fluide. (rires) Ca ne me plaisait pas spécialement mais il y avait une atmosphère particulière qui a fait que je suis resté. Mais quand les danseurs sont arrivés en faisant des trucs par terre, je me suis aussi dit aussitôt « c’est bidon, c’est pas de la danse ».
Petit à petit, un mec commence tout de même à m’impressionner en faisant un demi-tour sur sa tête. Puis Mr Freeze entre en scène en faisant la « marche arrière » avec les gants blancs !
Et, là, c’était comme si Dieu te touchait et te demandait si tu avais enfin compris ! C’est l’explosion ! Le son commençait juste à déchirer, en harmonie avec les mouvements du danseur, et à ce moment là, Futura faisait les contours de son graff, je découvre alors que ce n’est pas juste des couleurs ! Tout s’enchaîne et là, je prends un « retourné ».
A la minute, j’ai su que ça allait être fort par la suite. Le hip hop allait me porter. Je pourrai même dire que je ne suis plus malheureux depuis que je suis dedans. Je ne dis pas que j’étais triste avant mais ça m’a beaucoup changé l’esprit. Ces énergies étaient si puissantes que ce mouvement serait quand même arrivé en France s’il n’y aurait pas eu cette tournée. Peut-être plus tard et par petits bouts… Ce qui est sûr, c’est que la manière dont s’est présentée cette tournée en France était parfaite !
Dès le lendemain, j’avais décidé de ne plus faire de roller et de m’entrainer au « moonwalk ». J’étais piqué. C’était le déclic !
Si tu étais danseur, tu avais ta dose ! Si tu voulais être dans la musique, tu avais ta dose ! Pareil pour les graffeurs ! Je me suis pris une claque si forte que je me suis dit : « et vous arrivez que maintenant ! ». J’avais déjà vingt deux piges, et depuis l’âge de quinze ans, je n’avais pas rencontré de truc aussi fort. Dès le lendemain, j’avais décidé de ne plus faire de roller et de m’entrainer au « moonwalk ». J’étais piqué. C’était le déclic ! On allait à Montparnase. On avait donc laissé tomber nos rollers et on dansait. On bossait tous la « marche arrière », puis les vagues. Le break est arrivé bien après. Pour dire, au départ, tu avais des matchs de roller au Trocadéro et c’est devenu des matchs de breakeurs !
C’est là que j’ai connu de vue Solo pour la première fois, puis à la Grange aux Belles. Il était souvent au Trocadéro. Cette culture était pour les passionnés. Nous étions dans la performance, sans être payés et on s’entraînait dur. On espérait au mieux se faire applaudir par les autres quand on avait fini notre phase. Quand Flashdance est sorti, on restait dans le cinéma pour regarder le film cinq fois de suite juste pour voir la minute de danse de Crazy Legs.
A l’époque quand tu payais ta place, tu pouvais rester dans la salle pour revoir le film autant de fois que tu voulais ! C’est le graff et la danse qui ont fait que ce truc a pris en France. Puis, on a commencé à bouger en Europe. J’ai connu Fab en Espagne en y allant danser en 1984-1985. D’ailleurs Steph KOP devait venir aussi mais il était tombé malade. Il n’y avait pas de contrat, on était payé comme ça. Je me souviens que quand j’ai vu Fab, il ne savait pas que j’étais venu pour danser. Il était avec deux ou trois espagnols et des filles, et je me disais « on va voir qui est le chef ! » (rires). On se met donc à danser tous les deux et finalement, moi qui était plus au sol, je déchirais par terre, et Fab qui était plus smurf, déchirait en haut. Donc finalement, il y a eu égalité. On kiffait, on allait danser à Ibiza et on gagnait un peu d’argent ! C’était comme si la vie devenait belle.
Ce qui est important, c’est que ça nous a uni, ça nous fait kiffer et surtout, ça nous a fait créer. A un moment où à autre, vu comment le truc m’a chopé, s’il n’y avait pas eu cette tournée, il m’aurait chopé d’une autre manière. L’avantage qu’on a eu, c’est que tout venait de naître.
Dans ses débuts, les mecs qui ne collaient pas à l’esprit de ce mouvement étaient rapidement virés. Il y avait des gens qui s’occupaient de ça, une sorte d’auto-police.
On vivait ce truc dans la passion, car il fallait l’avoir pour danser et peindre, comme ça, sans argent. Puis le mouvement n’a cessé de s’agrandir et les cons ont pu rentrer dedans.
Ce que je dis souvent, c’est que le mouvement avait atteint sa majorité… Mais si ça délire trop, il y aura toujours des gens pour s’en occuper. On a fait ce truc d’une bonne manière, on est resté comme on était et il y a des gamins aujourd’hui qui ont le même esprit. Propos recueillis le 2 novembre 2012
Photo © Down With This avec la participation d’Aurore Vinot, photographe
Fin des années 1970, je vivais à Londres. J’y avais vécu l’explosion du punk, j’étais même en pleine «punkitude». C’est d’ailleurs pour ça qu’en 1978, j’ai fait la première émission punk en France qui s’appelait «Pogo», PO pour petites ondes et GO pour grandes ondes, mais aussi en référence à la danse spécifique des punks, le «Pogo». Je sais que cette émission que j’avais sur Europe 1 était mythique par sa programmation et qu’elle était écoutée par beaucoup de monde. J’ai toujours été «up to date», je dois être dans les premiers à avoir passé du rap à la radio. J’ai fait la même chose pour le raï. J’en passais sur la radio au début des années 1980. Je recevais même des lettres d’insultes pour me demander «quand est-ce qu’on allait arrêter radio Alger ?». Pour en revenir au rap, c’est Elisabeth D., écrivain, qui était à New York et qui avait sorti un livre « Sa Majesté Titi les graffitis » où elle racontait l’histoire des graffiteurs et des rappeurs dans les années 1980, et Bernard Zekri qui m’ont parlé du rap pour la première fois.
Ce qui m’intéressait dans le rap, c’est que ça correspondait à un discours politique super important au même titre que la parole des punks anglais en plein gouvernement de Margareth Tatcher.
Zekri m’avait ramené des choses à écouter. A l’époque, j’avais beaucoup d’heures d’antenne sur Europe 1, tout le week end : le vendredi soir, le samedi soir et toute l’après-midi du dimanche, des tranches horaires énormes ! Il y avait un vieux bonhomme à Europe 1 qui s’appelait Jean Serge, il s’occupait de promotion et spectacle. Ce bonhomme m’adorait. Je lui avais dit un jour qu’il y avait un vrai phénomène en Amérique, le rap, et qu’on ne pouvait pas passer à côté. Ces artistes n’étaient jamais venus en Europe et il fallait les faire venir. Jean Serge m’avait fait confiance. On avait donc obtenu les passeports pour la plupart : Afrika Bambaataa, le roi de la Zulu Nation, Fab 5 Freddy, DST, les Fantastic Double Dutch Girls… Obtenir un passeport pour ces gens du Bronx, c’était limite historique ! Et ils ne faisaient pas ça pour le bizness mais pour le fun !
Ce qui m’intéressait dans le rap, c’est que ça correspondait à un discours politique super important au même titre que la parole des punks anglais en plein gouvernement de Margareth Tatcher. Ca avait du sens. J’ai été l’attaché de presse des Sex Pistols pour les mêmes raisons. J’aime quand ça dit quelque chose et pour moi, cette parole avait du sens. Il y avait donc une logique que je passe du punk au rap. J’ai adhéré complètement.
Le problème, c’est que les autres médias me demandaient qu’est ce que c’était ce phénomène de rap, me disaient que ça ne marchera jamais… J’avais dit à Papy Jean Serge qu’il n’y avait qu’une solution, c’était d’organiser une date à Londres : «Rappattack».
Heureusement qu’il y a eu cette date car elle a permis un bon feed back pour continuer la tournée en France et en Europe. Et puis les gens étaient curieux à Londres, donc ça s’est bien passé. J’animais aussi une émission de télévision sur la une qui s’appelait Mégahertz, véritable OVNI dans le paysage audiovisuel français de l’époque. Cela avait bien servi pour la promotion de cette tournée. Dès Mégahertz, même si je savais qu’on ne me suivait pas, je sentais que le courant était plus fort que les autres et qu’il dépasserait tout. J’en étais sûr, intimement convaincu. La date de la tournée avait bien marché au Bataclan. Je m’en souviens d’y avoir emmené Jack Lang. Le public était assez branchouille mais c’est normal, il faut du temps pour installer un truc. Il y a sûrement eu des radios spécialisées par la suite mais je pense que les journalistes ont été frileux très longtemps sur le rap.
Quand je voyais qu’un Mac Laren, qui avait fait plein de choses dans le monde de la musique, était dans la salle et commençait à avoir les oreilles et le nez qui frimoussent, tu te dis ça va, que tu ne t’es pas trompé et que ça a un vrai sens.
C’était assez incroyable, les graffiteurs peignaient sur scène pendant le show. Futura m’avait laissé l’énorme toile qu’il avait fait à Lyon. Je l’ai offert à ma soeur pour son anniversaire… J’aimerai la récupérer ! (rires) Il y avait même écrit «C.C.» dessus, qui était ma complice de l’époque à Europe 1 et que Futura a embarqué avec lui à New York. Elle est devenue sa femme et la mère de ses enfants. On l’avait appelé comme ça en clin d’oeil à Brigitte Bardot car elle avait des beaux seins (rires). J’étais allé par la suite à New York chez Futura 2000 et «C.C.» dans le Bronx. On avait passé une soirée avec Keith Haring, que j’ai bien connu, mort du dass malheureusement et Madona qui n’était pas encore connue à l’époque, sauf comme suceuse de bites à Paris, elle y avait laissé des traces sur les murs aux Bains Douches…
Afrika Bambaataa et les Double Dutch Girls en 1982 durant la tournée « New York City Rap »
(la soirée fut rebaptisée « Rappattack » pour la date à Londres) © Maneval
Pour la date de Londres, il n’y avait pas de Shuttle à l’époque pour s’y rendre. On était donc partis avec un autocar d’Europe 1 qui avait été complètement graffitté. Quand le bus est revenu, ils l’ont repeint ! Il était splendide. Il serait mythique aujourd’hui. T’imagines les cons ! Un marchand d’art aurait mieux senti le coup ! Cette énergie était incroyable. On s’était bien éclaté. C’était fun. J’adorerai revoir Bambaataa, il est génial. C’est un mec brillantissime.
A l’époque, les patrons de la direction musicale des radios me disaient tous que ça ne marcherait jamais et me demandaient «qu’est ce que c’est que ton truc le rap ?». Je m’en souviens très bien. Heureusement que j’étais passé au dessus de ces gens-là.
Malgré ça, personne ne voulait y croire. Ils étaient à coté de la plaque grave, comme aujourd’hui avec Emmanuel de mes 2 que je connais bien depuis qu’il est bébé. Ce sont des gens qui font de l’argent avec la musique, moi je suis un passeur de talent. Je ne suis pas là pour faire du flouze. Je n’ai jamais eu un point sur les artistes que j’ai aidé. Chacun son éthique. Je préfère sucer des cailloux… A cause de ces gens-là, il y a je ne sais combien de nombre de choses qui ne sortent pas, juste à cause de leurs directeurs artistiques de merde qui n’ont aucune culture. Ce sont des empêcheurs de faire. Aujourd’hui, si l’industrie discographique va aussi mal, c’est leur responsabilité, à des De Buretel ou des Pascal Nègre, ce trou du cul du monde sans poil autour.
A l’époque, les patrons de la direction musicale des radios me disaient tous que ça ne marcherait jamais et me demandaient «qu’est ce que c’est que ton truc le rap ?». Je m’en souviens très bien. Heureusement que j’étais passé au dessus de ces gens-là dont l’ancienne patronne de la musique d’Europe 1 faisait partie, Marie-France «gruyère» (Brière) comme je l’appelle. Même elle n’y croyait pas. Généralement, ils sont un peu nuls. Ce sont des mous du genoux, ils ne sont pas ouverts. C’est leur problème. Deux ans après, en 1984, elle avait quand même fini par lancer l’émission «H.I.P. H.O.P.» sur TF1… Propos recueillis le 25 septembre 2012
Dossier réalisé par Nobel, Florent Le Reste et Alain Garnier
Portrait-photos de DJ Chabin, Bernard Zekri, Dan (Ticaret) et Alain Maneval par © Alain Garnier