Aller au contenu

Interview Dee Nasty (1995)

Je trouve encore qu’il y a un manque de solidarité entre les groupes. Chacun est jaloux de l’autre en croyant que l’autre fait mieux.

Alors que nous venons d’interviewer à nouveau Dee Nasty, nous avons fait le choix de publier en premier l’interview que nous avions réalisé il y a 20 ans, en 1995. Pour l’interview récente, il faudra patienter jusqu’à 16 heures. Début des années 1990, nous sommes au cœur même de ce qu’était cette culture. Le travail que nous avons mené durant cette période d’effervescence, ou d’âge d’or (au choix), nous a permis de constituer les rares témoignages de l’intérieur sur cette époque. Des groupes emblématiques comme La Cliqua ou Expression Direkt donnaient chez nous leurs premières interviews. Bien que d’autres comme Dee Nasty ou Sulee B faisaient déjà figures « d’anciens », ils avaient également toute leur place dans nos colonnes. Et même en couverture puisque c’est notamment au regard de sa forte implication dans l’émergence du hip hop que nous avions consacré à Dee Nasty celle de notre numéro 5. Dans cette interview réalisée il y a 20 ans, vous y (re)découvrirez les réflexions que nous nous faisions sur la tournure musicale du rap : celle d’accepter ou non l’intrusion des musiciens… On était finalement loin de la réalité et des problématiques qui se sont emparés de cette musique en France. Avec la même volonté qui nous animait, nous accompagnerons cette parution par une interview « vingt ans après » (disponible ici). Celle-ci vous permettra de mettre en contradiction les projections de l’avenir avec ce qui s’est réellement passé…

Down With This : Qu’as tu voulu exprimer en mettant énormément le scratch en avant dans ton nouvel album ?
Dee Nasty : On n’en entendait plus assez. Je voulais montrer qu’on peut faire des morceaux hip hop sans rapper.

DWT : Ne crois-tu pas que si cette discipline se fait rare, c’est parce qu’elle coûte très chère à pratiquer et qu’il faut se battre pour pouvoir se procurer du vinyl ?
Dee Nasty : C’est le problème depuis le début, c’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y en n’a pas assez par rapport aux rappeurs. C’est vrai qu’en France, les platines et les disques sont chers. Aux Etats-Unis, une MK2 vaut 1200 francs alors qu’ici c’est 3500. Mais quand tu veux être guitariste, tu achèteras par exemple une Gibson qui vaut 5000 francs pour pouvoir bien faire les choses. Donc, comparativement, je ne trouve pas que c’est un instrument plus cher que les autres.

DWT : Est-ce que l’on doit prendre le morceau «Le Mouvement» comme un sentiment de nostalgie de ta part ou comme un constat sur les années passées de rap en France ?
Dee Nasty : Ça a bien évolué depuis que j’ai écris ce morceau, car j’avais l’impression qu’il y avait une conspiration. Il n’y avait pas encore ce renouveau (compil de Moda et Dan, arrivée de La Cliqua, nouvel album d’IAM…). Mais tout n’est pas aussi rose que ça. Je trouve encore qu’il y a un manque de solidarité entre les groupes. Chacun est jaloux de l’autre en croyant que l’autre fait mieux. Il y a trop de gens qui sont là depuis longtemps, qui sont dégoûtés de voir d’autres personnes qui débarquent et pour qui ça va très vite. Ce n’est en fait qu’une impression. Rien que les médias créent eux-mêmes de la jalousie en présentant un groupe comme le «super-méga» groupe, ne serait-ce que pour monter le journal. C’est d’ailleurs pour ça que je disais que j’en avais marre que l’on me cite comme le «parrain», ce terme que les médias reprennent les uns aux autres. Même si c’est un rôle enviable, important ou ce qu’on veut, la manière dont c’est traité, ça devient débile. C’est comme si je voulais faire de l’ombre à d’autres, alors que ce n’est pas le cas. C’est comme s’ils me présentaient comme le seul depuis 1984, alors qu’il n’y avait pas que moi.

Il y a trop de gens qui sont là depuis longtemps, qui sont dégoûtés de voir d’autres personnes qui débarquent et pour qui ça va très vite.

DWT : Que penses-tu des groupes qui commencent à s’auto-produire alors que tu as eu une expérience similaire il y a déjà plus d’une décennie, en 1984 ?
Dee Nasty : En 1989, les majors se sont mis à signer à tout va. A l’époque, c’était un chemin de galérien que de s’auto-produire quand on savait qu’on pouvait sortir des disques en pensant qu’on toucherait des millions. Donc personne ne pensait à s’auto-produire. Depuis un certain temps, tout le monde se met à faire son business tout seul. Du coup, tu t’aperçois vraiment ce qu’il se passe et ça te remet les pieds sur terre. En ce qui me concerne, je veux créer un label qui reste à certain niveau et qui soit à une échelle humaine. Il ne faut pas que se soit la course au succès ou à l’argent. Quand tu sors en auto-production, ce qui est dommage, c’est que les gens qui écoutent ton disque vont le critiquer comme s’ils critiquaient un disque sorti sur une grosse major, avec un très gros budget. Dans mon label, il n’y aura pas que mes productions car il sera ouvert à tous. Quoiqu’il en soit, mon troisième album me permettra aussi d’inviter d’autres gens pour les faire découvrir. Même si ça ne fait pas de grosses ventes, ces disques existeront.

Quand tu sors en auto-production, ce qui est dommage, c’est que les gens qui écoutent ton disque vont le critiquer comme s’ils critiquaient un disque sorti sur une grosse major, avec un très gros budget.

DWT : La Zulu Nation tient-elle toujours une place importante dans ton travail ?
Dee Nasty : Pour moi, les principes de la Zulu Nation sont liés au hip hop lui-même. Le hip hop n’aurait pas eu une dimension autre que musical s’il n’y avait pas eu la Zulu Nation. C’est d’ailleurs par Bambataa que le hip-hop est arrivé en France, et même dans le monde entier. C’était le premier à voyager et à transmettre ça. Si tu es un vrai hip hoper, tu vis tous les préceptes de la Zulu Nation. Pour ce qui est des religions, c’était durant la période où il y avait un phénomène de mode mais toutes les religions sont acceptées. En ce qui nous concerne, nous sommes en train de faire un plan de relance et de réorganisation avec Nicky (Princes du Swing) et LBR. Nous allons aussi élire de nouveaux rois. Mais attention, être roi ce n’est pas juste avoir une couronne et des droits. D’ailleurs, la seule différence entre un Zulu et un Zulu King, c’est que tu agis pour faire évoluer les choses. Le côté officiel des choses, c’est que pour être membre, tu dois remplir un questionnaire, qui pour un fan de hip hop ne pose pas de problème. En contrepartie, on t’écris quand il se passe quelque chose, t’es donc au courant de tout. Il ne faut pas croire que la Zulu Nation c’est «papa et maman». On va apporter une nouvelle structure et informer sur les lois en les rendant moins dictatrices. Par exemple, pour les lois sur la drogue, il n’était pas précisé drogue «dur» ou «douce». A la limite, même si la nouvelle école ne connaît pas les principes de la Zulu Nation, elle en fait partie de fait, sans le savoir, car ça se rejoint.

DWT : Par ta qualité de DJ, que penses-tu des groupes de rap qui intègrent des musiciens dans leur morceau ou sur scène ?
Dee Nasty : Je trouve que le public qui aime le vrai rap, aime voir du vrai rap. Le public n’en a rien à péter qu’il y ait un bassiste ou un batteur. C’est quand même bien de faire ça, mais à ce moment-là t’en reviens à faire du funk avec quelqu’un qui rappe dessus. Tu perds donc ce truc hip hop. Et à l’inverse, quand un groupe de musiciens prend un DJ, il sera juste pris pour faire de la « percu-scratch ».

Je ne trouve pas que le futur du rap doit être comme ça. Ils trouvent comme prétexte que ça fait dix ans que c’est comme ça et qu’il faut évoluer et ne pas rester bloqué.

DWT : C’est par exemple ce qui s’est passé dans l’album des Rita Mitsouko auquel tu viens de participer ?
Dee Nasty : C’était différent car j’étais invité sur l’album. C’est d’ailleurs un truc pour lequel je ne suis pas spécialement fier. En plus, je les voyais comme des gens plus sympathiques qu’ils ne le sont réellement. J’étais donc invité sur l’album comme un percussionniste. Je pense que c’est bien qu’un DJ soit considéré comme un musicien. Cela dit, quand c’est un vrai groupe de rap qui rajoute des musiciens, ça me choque. Je ne trouve pas que le futur du rap doit être comme ça. Ils trouvent comme prétexte que ça fait dix ans que c’est comme ça et qu’il faut évoluer et ne pas rester bloqué. Le problème est qu’il y a beaucoup de gens qui font pression pour que se soit la direction que doit prendre le hip hop. Je trouve que c’est un non-respect que de faire ça, ne serait-ce que par rapport à la manière dont cette culture est née. Par exemple, dans les émissions musicales live, pour pouvoir y passer, il faut un orchestre… Ils se demandent aussi pourquoi payer des autorisations de sample alors que se serait moins cher de payer des musiciens pour qu’ils rejouent les passages. Cela dit, ça n’empêche pas que dans mon album, j’ai invité des musiciens. Mais ils sont intégrés au tout, on n’y fait pas attention car ils ne sont pas mis en avant, et ça reste dans l’esprit hip hop car ça ne devient pas du jazz-rock ou autre chose.

DWT : Mot de la fin ?
Dee Nasty : Il n’y en a pas car il n’y aura pas de fin. Donc mot de la fin : la suite ! J’espère que ça ne va froisser personne que je finisse avec un soutien inconditionnel à Get Busy dans le «mouvement» même si ce n’est pas limité à eux.

LandersSarrazin

Salut à tous les fans de hip-hop ! Je suis Landers Sarazzin, votre référence pour tout ce qui concerne le hip-hop. En tant qu'auteur et passionné fervent de ce genre électrisant, j'ai consacré ma vie à démêler les complexités, explorer les profondeurs et vibrer au rythme des beats qui définissent la culture hip-hop. J'ai découvert que ma véritable passion ne réside pas dans le fait de rapper mais d'écrire sur la musique qui nous émeut. E-mail / Instagram

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *