Ticket choc pour le « Mouvement »
Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler… Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial.
Voici un livre d’une importance capitale pour le hip hop français. En le parcourant attentivement, votre proximité avec le terrain vague de Stalingrad et les ambiances festives du Globo seront déboussolantes. Par la conviction de Jay One, Marc Boudet et Yoshi Omori, ces deux lieux historiques qui ont accueilli les pionniers du hip hop en France (milieu des années 1980) reprennent vie sous forme de récits réussis et d’archives uniques.
Jacky (Jay One) a été le moteur de cette histoire, il a fait une grosse partie du boulot, de la maquette… Il m’a cassé les burnes pour l’écriture et il a eu raison car on s’est aperçu que les textes correspondaient exactement à la thématique. (Marc Boudet)
La force de cet ouvrage est bien sur construit autour des photos inédites du photographe Yoshi Omori. Ces dernières vous permettront de visualiser la plupart des véritables «usagers» du terrain. Comme s’amusait à nous le rappeler Fat (Salim) lors de notre entrevue : « à en entendre les récits farfelus de certains qui n’étaient même pas nés à l’époque, il aurait fallu installer des miroirs sur les murs du terrain pour avoir l’impression qu’il y avait foule ! ».
Jay One (BBC), artiste peintre et ancien de Stalingrad, a joué un rôle déterminant dans la sortie de ce livre, comme nous le confirme l’ancien journaliste Marc Boudet : «Jacky (Jay One) a été le moteur de cette histoire, il a fait une grosse partie du boulot, de la maquette… Il m’a cassé les burnes pour l’écriture et il a eu raison car on s’est aperçu que les textes correspondaient exactement à la thématique».
Jay poursuit : «Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial. Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler. C’est bien qu’il y ait des gens qui soient issus du mouvement pour faire des livres et qui gèrent un peu ces aspects. Qui de mieux pour en parler ?».
La boucle est bouclée. Celui qui se rendait au terrain comme un fidèle en mission a décidé de ne pas laisser tomber son temple. Découvert par son frère d’arme, l’artiste peintre Ash (BBC) en 1984, le terrain est confisqué en 1989 mais il reste encore dans la famille… et continue de drainer toutes sortes de lettrage puisque s’y est dressé, en remplacement, un centre de tri de la Poste. Mais l’ambiance a un peu changé…
Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial. Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler (Jay One).
Jay a lancé ce projet de livre en 2007 en sollicitant Marc Boudet, qu’il avait rencontré au terrain près de trente ans auparavant. Journaliste consciencieux (tiens, ça existe ?), Marc empruntait le métro aérien chaque jour pour aller au taf et restait interpellé par les «activités» du terrain. Ces mouvements de danse et de peinture avaient fini par l’attirer. Yoshi Omori, qui a eu l’intelligence de capturer ces moments de gestation, l’accompagnait très régulièrement : « Yoshi était quasiment le seul à y faire des photos. En tant qu’ancien journaliste, je savais qu’il y avait des images qui méritaient d’être publié. Aucune image n’est sorti du Globo. Il n’y a pas eu de film. On avait essayé en 1987 de diffuser ces images dans la presse spécialisée mais on n’y était pas arrivé. Personne ne voulait en entendre parler. J’avais fait le tour de toutes les rédactions spécialisées mais bon, je ne préfère pas raconter tous ces détails, croustillants… Peut être une autre fois… En tout cas, j’ai quitté le journalisme à cause de ça ». La somme des mots et les photos publiées provoquent un véritable flashback aux côtés des pionniers et activistes de ce mouvement mondial : DJ’s Red Alert, Cash Money, Dee Nasty, Fab, les BBC, TCG, BOS, NTM, IZB, Johnny Go, Destroy Man, Colt, Mode2, Bando, Meo, Solo, Squat, Gabin, Noël, Jonone, Fat, Scot… mais également Public Enemy pour un concert légendaire !
Aux Etats-Unis, le photographe Joe Conzo avait offert la «bible» au hip hop américain à travers son livre Born in the Bronx (2007), précieux ouvrage mêlant photos et archives. C’est maintenant au tour de Jay, Yoshi et Marc de nous livrer notre «bible» française dont la retranscription est honorable pour la mémoire du mouvement. Marc Boudet nous précise à ce propos : « finalement, c’est bien que ça sorte près de trente ans après. Ca n’aurait peut être pas été perçu de la même manière si cela serait sorti avant. Jacky (Jay) m’avait relancé en 2007 en me disant « y en a marre, faut faire quelque chose». Je me sentais redevable vis à vis d’une partie des gens qui m’avaient accueilli à l’époque. Le temps a passé et cela devait sortir maintenant, c’était écrit… ».
«On se préoccupait peu de connaître l’éditeur. On s’intéressait plus à la teneur du bouquin. On ne voulait même pas entrer en contact avec un gros éditeur. On voulait que se soit le plus indépendant possible et garder le contrôle.» Cette précision de Jay est importante car ce qui résulte de cette démarche est un engagement sur le fond et non pas en substance comme on a pu le déplorer récemment devant la manoeuvre maladroite et mercantile : la triste «contrefaçon» de Rapattitude (bien que les photos d’Alain Garnier offrent à cet autre livre sa seule crédibilité). On est cette fois en phase comme on a pu l’être avec Paris Tonkar, Paris City Graffiti ou encore Descente Interdite.
Ils avaient vu juste. Ce livre se devait d’exister pour l’histoire et la mémoire du hip hop en France. Il rebooste par la même occaz la fierté d’y appartenir.
Malgré des légendes de photos parfois un peu «terrain vague», les instants captés de ce monde parallèle suffisent à en décrypter le plus important : sa brillante spécificité en France en avait fait la place européenne la plus consistante. L’idée d’une vulgaire transposition est ainsi balayée pour laisser place à une incontestable universalité du hip hop. «J’ai l’impression que nous avons enfin bouclé un travail d’information qui n’avait pas été fait à une certaine époque…» souligne Marc Boudet. Quelques photos additionnelles récentes de poings américains et autres schlass d’époque tendent à rappeler également que la vie au terrain n’était parfois pas aussi cool que les scratchs de DJ Dee Nasty…
Honorez l’invitation spatio-temporelle de Jay One Ramier, Marc Boudet et Yoshi Omori les yeux fermés et rouvrez-les à bord de leur Doloréane… Marty Mac Fly n’a encore rien vu à côté de ce que vous allez pouvoir apprécier. Pour ce voyage, qui mérite de payer son ticket choc, merci et encore merci. Nobel