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Lokiss – Prédateur isolé

Interviews
gabin, lava

Avec LOKISS on sait tout de suite qu’on ne va pas distribuer des bisous. Tant mieux le hip hop c’est d’abord une démarche personnelle pour s’y intéresser réellement puis arrive l’envie du dépassement de soi afin de s’élever intellectuellement. Par la suite, il y a d’éventuels partages et confrontations avec d’autres aficionados de notre mouvement alors conversons tous ensemble. Au passage, sur Down With This on libère la parole de ceux qui ont des choses intéressantes à dire, peu importe les opinions ou les clans, même ceux du Clan Campbell. Cela peut donner à réfléchir, à débattre voir même s’engueuler mais rappelons tout de même que notre belle culture vit d’amour et d’eau fraîche comme tout le monde le sait. Les propos tenus ne regardent bien sûr que leurs auteurs, à vrai dire « le buzz » on s’en bat, le hip hop ce n’est pas un business pour Down With This qui est, et restera on le rappelle gratuit sans obligation d’achat. Ici, Il n’y a rien à perdre, tout à gagner avec zéro publicité. C’est du plaisir, du temps passé et de la passion. On n’a jamais voulu remplir nos assiettes avec ça et c’est mieux comme ça. Certains pour s’occuper comme hobby vont au café PMU, jouent au foot le dimanche, ou même ne font rien du tout, nous c’est DWT. On n’a pas à se justifier sur le contenu de notre site car on contrôle le mic comme Fidel Castro (vu déjà tout ce qu’on coupe par sympathie, Rires). L’intérêt n’est pas de faire des milliers de MC’s, DJ’s, Breakers, Writers en promotion. On l’a déjà fait et bien fait à d’autres époques. L’intérêt ces dernières années, c’est plutôt de susciter la réflexion, pas de servir une sempiternelle soupe promotionnelle imbuvable. Le hip hop est mûr pour avancer encore et faire son auto critique semble-t-il. Cela ne se fait pas avec des « Alors ce nouveau projet ? Ce featuring ? Vous vous êtes rencontrés par hasard ? Tout ce que vous faites est génial, on s’aime tous, faisons une ronde autour de la terre. Ici oubliez tout ça, haussons le niveau, La Place Forte est faite à l’exigeant LOKISS pionnier de la culture « graffiti » européen et surtout bonne année au hip hop français !

DWT : Bonjour Vincent. Question pointue : comment vas-tu ?
Lokiss : C’est drôle, j’avais une meuf que vous avez peut-être déjà vue à la grande époque du graffiti, qui s’appelle Myriam, qui vivait Porte de La Villette, dans la cité de Scalp et toute la bande et je la revois ce soir. C’était ma première vraie histoire d’amour, donc c’est drôle. Je ne l’ai jamais revue depuis 30 ans. Ça me fait plaisir. J’espère qu’elle n’est pas restée sur cette époque-là genre traditionaliste et nostalgique d’un « âge d’or » du hip hop… Evidemment P.E., c’est mieux que PNL. Mais écouter du hip hop en 2017… Ça me rappelle ceux qui avaient une banane et un drapeau sudiste sur le perfecto en écoutant Gene Vincent en 1985.
Sinon oui ça va. Je vais toujours bien. Car je vais toujours mieux que le syrien d’Alep. Ne pas recevoir de bombes sur la tête, ça te relativise le spleen…

DWT : On va donc essayer de ne pas trop t’ennuyer avec nos questions sur le hip hop qui peuvent te paraître depuis longtemps désuètes…
Lokiss : Mais si, vous pouvez, c’est intéressant tout ça. Enfin 5 minutes. Le futur sonne à ma porte et je ne peux pas le faire attendre.

DWT : Tu es né où et dans quelle condition sociale ?
Lokiss : Je suis originaire d’une communauté plutôt arménienne de Marseille. J’ai des origines bretonnes et arméniennes. C’était des marins les grands parents alors comment ils se sont rencontrés… Tous mes frères et sœurs sont nés à Marseille. A un moment tout le monde est venu à Argenteuil et je suis né là-bas. En 68 dans une bonne grosse cité, la ZUP d’Argenteuil.
Une fois, j’y suis retourné et j’ai compris qu’il fallait que j’en reparte. C’est vraiment la zone avec un Auchan fermé, impossible à ouvrir avec trop de vols et de violence. Si j’avais dit je suis né là, ça ne changeait rien, il fallait que j’en reparte (rires). Regards pesants…
Ma mère était dans l’éducation nationale dans une école maternelle et mon père journaliste à La Marseillaise après à L’Humanité.

Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge. Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage.

Je suis arrivé sur Paris vers l’âge de 5/6 ans dans une cité du 20ème arrondissement et puis ascenseur social avec mon père qui a une maison d’édition qui s’appelle Champ libre puis le Sagittaire. Voilà. Mon père devient romancier et ma mère change de truc. Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge.

Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage. Un côté un peu sanguin. On me conseille souvent « d’arrêter de faire peur ». Quel décalage… Cette soi-disante « violence » est essentiellement fondée sur un délit d’opinion. Dans un milieu qui ne prend pas le risque d’en avoir une, et encore moins une pensée contraire à une logique de vendeur de tapis.
Hey la foule, je suis un ange !
Ces gens n’ont aucune idée de ce qu’est la violence, de ce qu’est un vrai dur. Toujours des crèmes ces mecs d’ailleurs, jusqu’au moment où ça dérape… ça parle plus et ça saigne beaucoup.
Moi je parle avant tout, et j’essaie d’agir selon les idées exprimées. Si violence, la voilà !
Tu la sens cette société servile et policée ? Cette culture qui ne s’engage nulle part, au-delà de la bonne vieille morale consensuelle de mamie molle : peace, love, mon chèque ?
Tu parles… non. Pour eux. Tu hurles.

DWT : Tu étais quel genre d’adolescent ?
Lokiss : Quand j’ai découvert le graffiti, j’étais en 6ème dans un collège à la station Anvers, dans le 18ème. Il y avait 5 petits français de souche dans ma classe. J’y ressemblais même si je ne le suis pas vraiment.
Dans la classe, y a que des rebeus bien bastons. Donc là, ça me prépare bien pour le graffiti avec la violence, bizutage et tentatives de racket. Je résiste donc je me fais défoncer tout le temps et on m’appelle « poil de carottes ». Quelle époque. J’aurai du choisir ça comme premier nom dans le graffiti : « Poil de carotte One » (rires).
J’étais dans un lycée où tu avais deux choix ou tu déconnais avec eux, ou c’était l’allumage permanent. J’ai choisi la solution entre deux, j’ai commencé le karaté …
J’étais un bon élève mais super déconneur, passionné par le skate et les rollers. Quand j’arrive vers la culture graffiti vers 13/14 ans je passe mes journées à faire du roller tendance dingue. Je m’accroche derrière les bus, les motos, tout ce qui peut être proche de la grosse connerie et je me balade avec des gars qui vont s’appeler plus tard les Karaï Starz. Une grosse équipe du graffiti du terrain vague de La Chapelle. C’est un peu les U.V. de l’époque.
Des petits démons de 12/13 ans ultra protégés par les grands frères de Belleville.
On s’est appelés Kamikaze Commando en patins à roulettes et puis après les Karaï Starz. C’est une expression que j’ai inventée.
C’est vrai que d’être le seul petit blanc au milieu d’un terrain vague, c’était tendu mais j’étais habitué à ça, ça ne m’a pas déstabilisé plus que ça…

DWT : Tu rêvais à quel avenir dans ta vie ?
Lokiss : Absolument rien d’artistique. Ça c’est sûr. Étrangement, j’avais un truc vis-à-vis de la diplomatie chose dont je suis un peu dénué mais j’étais assez genre « je veux travailler dans des ambassades » quand j’étais petit. Je ne sais pas pourquoi et ça fait beaucoup rigoler les gens souvent quand je le raconte. « Toi diplomate !? » mais sinon rien.
Je lisais très peu de BD, plutôt mon frère. Il m’a initié. Il était très punk. Un jour il revient du service militaire qu’il a passé en compagnie d’un DJ qui écoutait du funk et aussi du rap. Il ramène, en 1979, le premier album de Kurtis Blow et de Sugar Hill Gang. Je m’en souviens très bien. Je l’ai réécouté la dernière fois et je trouve ça toujours très bien. C’est comme ça. Je découvre le rap avant de découvrir le graffiti.

DWT : On parle jamais de cette communauté arménienne dans le hip hop, il y a bien le photographe Armen Djerrahian, mais ça reste anecdotique. Quelques mots là-dessus ?
Lokiss : Je ne le revendique pas parce que j’ai un nom breton et quand un breton vient me voir en disant « oh vous avez un nom breton », je dis non, je suis africain, je dis n’importe quoi en fait. Je suis du genre à dire à un palestinien qui le revendique « moi je suis juif ». Je suis un fouteur de merde. Après vis-à-vis de la Turquie, j’ai un regard différent. Je le dis souvent « vous l’avez bien mérité votre Erdogan » mais en même temps, ils sont contents les gens. Ils disent « vaut mieux un tyran que l’explosion dans tous les sens façon Syrie ». « Vaut mieux un mec qui tienne le pays ». Avec Erdogan, la question du génocide arménien est encore problématique. Déjà car si reconnaissance des massacres, alors implicitement on reconnait les spoliations et on admet l’idée de gigantesques compensations financières… Au fond du fond, ce n’est qu’une histoire de pognon, plus que de fierté nationaliste turque.
Le métissage c’est intéressant parce qu’à un moment tu ne te reconnais dans rien et c’est bien parce que c’est la nouvelle hybridation. Les arabes par exemple me disaient : « les arméniens, ça pue le fromage ». Et les bretons, ça pue le cochon ? Je ne voyais pas d’où ça venait mais ça me faisait accepter. Vaut mieux qu’on se moque de toi que de se bastonner tous les jours.
« Sale blanc », « sale nègre », c’est vrai que moi quand je suis avec des copains noirs et qu’on se nargue en riant, que je leur balance du slogan néo-fasciste dans la face… les gens qui arrivent là-dedans, se disent : « mais vous êtes dingues les mecs de vous parler comme ça !! ».
Aujourd’hui ce n’est plus du tout la mode. Ce gros défouloir délirant.. ça vaut mieux ça que le petit racisme larvé classique, non ?
Je connais plein de personnes prétendant n’être pas racistes, à qui je demande « mais vous avez un noir ou un arabe dans vos amis ? ». Et ils n’en ont pas un seul ou alors c’est un noir qui s’est tellement intégré que c’est un blanc avec la peau noire. Avec une culture définitivement ethno centrée « blanche », « bourgeoise », « Apple ».
Chuck D. Non. Stromae. Oui.
Ensuite entre « blanc », et « petit blanc », c’est un autre fossé culturel, un autre polissage social. Une autre interview quoi !

Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets.

DWT : Quel est le premier aspect qui t’a plu dans le graffiti ?
Lokiss : Souvent, c’est une question que je me pose. Je ne sais pas quelle est la première image. Je pense que ça peut être un clip de The Clash avec Futura. Je copie un peu mon frère. A un moment, il est Mods donc je suis Mods. Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets. Au début, les clips je ne les vois pas. Mais ici, dans ces souvenirs, le vrai déclic, je ne le vois toujours pas. Je suis seul dans ma piaule avec un Onyx marqueur à faire des trucs abominables …
La découverte de Bando, c’est bien après. D’ailleurs, je découvre, avant lui, des graffiti qui sont faits sur mon lycée. Le mec peint plutôt pas mal en plus pour le niveau de l’époque et dans ce collège je rencontre Irus, aujourd’hui réalisateur de clips pour la variété française, et Scipion, urbaniste en Indonésie depuis 10 ans, qui sont dans une classe en dessous et c’est vrai que l’émulation se fait parce qu’on est trois.
Tout d’un coup, je ne suis plus dans le patin à roulettes et les ados juteuses, mais obsédé par ça.
On voit un clip où des breakers portent des lunettes de ski sous la visière de leur Kangol, alors on va voler des lunettes de ski à la FNAC Sports (à la place du Go Sport Châtelet).

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique.

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique. Là, c’est par dizaines, centaines dans les entrepôts, le BHV, les graphigro. La razzia… Même sur ce point, il y a une battle entre les crews.
La mythologie se construit avec celui du hip hop et cet univers un peu mystique dont on voit que des bribes, cela construit du coup un truc encore plus mystique. Plus c’est opaque et plus c’est mystérieux. De là on est complément parti. J’essaie de commencer à danser un peu avant aussi mais c’est très complexe.
C’est une époque un peu folle où chaque jour contient son lot de prise de risques, de vol, de violence, d’énormes fous rires et de grosses peurs. Réellement définir le déclic. C’est mettre une date sur un ensemble complexe d’influx simultanés et de ressentis disparates. Parfois tu aimes une femme sur un accident, je crois que le moment où je deviens un writer, réellement, pas seulement le dimanche façon « hobby », c’est proche de l’accident. Cela aurait pu être la pratique d’un sport extrême.
En même temps niveau « extrémités » le writing n’a pas à avoir honte d’un gars qui dévale une vague de 30 mètres, un hélicoptère Red Bull au-dessus de l’écume. La comparaison est perverse, on y reviendra plus tard…
Je me souviens aussi très bien de Radio 7 avec Laurent Garnier, y’a Deenasty qui mixe le week-end. Laurent Garnier met des trucs super pointus en électro funk et là je découvre pleins de trucs. Les disques Electro Sounds ou le hip hop est encore très électronique, très instrumental avec toutes les compilations que j’achetais au disquaire des Champs Élysées.
C’est la rencontre avec deux personnes qui sont prêtes à faire la même chose que moi. C’est des instants très simples, des choses très bêtes, on est sur un même banc de métro et on se rencontre. Il y a une électricité qui se fait et on commence à peindre à cause de ça.
On peut aussi arrêter juste parce qu’on s’est pris la mauvaise claque au mauvais moment. Et là, c’est trop et on arrête. J’en ai connu pleins comme ça. Des beaucoup plus talentueux que moi, mais qui perdaient leurs moyens dès qu’il fallait défendre physiquement son mur, sa zone, son tag. Personnellement, si j’ai commencé la pratique des arts martiaux, ce n’est pas un hasard. Juste de la survie en milieu potentiellement hostile ! Je pense que c’est un ensemble de petites choses mais je ne peux pas vous dire il y a un instant T qui dit : ok, on y va.

DWT : Qui étaient les premiers arrivés sur le terrain vague de La Chapelle ?
Lokiss : 85 ou 86. C’est évidemment Saho (Ash BBC).
Après, je suis avec Scipion, gros hasard on passe en métro aérien et on voit des mecs dans un terrain vague. Il y a une seule pièce, le terrain est quasi vierge et on voit dans le fond des mecs un peu b-boys : Jay, Skki et Saho. On descend et on va les rencontrer. On est tellement peu que bon… Rencontrer des gens d’une culture similaire fait que l’on sympathise direct.
Ensuite, c’est devenu violent malheureusement avec toutes les histoires IZB, NTM and co.
Je l’ai quitté quand je suis parti peindre des gros murs dans le 15ème. Je me faisais embrouiller comme si je n’avais rien peint et que j’étais un petit nouveau. Une fois, j’ai dit à un mec « je n’ai rien à voir avec vos embrouilles », il me sort une batte et là, 25 tombent contre moi.
Aussi injuste, qu’un flic qui se croit dans Starsky et Hutch et te braque un flingue sur la tempe.
C’est vrai que c’est bizarre d’avoir connu le terrain de la Chapelle à 6 quand on pense à la manière dont cela s’est développé en l’espace de quelques années.

J’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.

DWT : Tu peux nous parler du rapport entre les français et les américains ?
Lokiss : Cette filiation contrariée, cette paternité finalement dépassée, c’est une problématique dans laquelle je m’enfonce en ce moment. Je rédige le second ouvrage qui fait suite à Graffiti (writing) – expressions manifestes, je suis au cœur du sujet… Personnellement, quand j’ai découvert l’univers du writing, donc en 1984, dans cette chose venant de l’« au-delà new yorkais », j’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.
Difficile de rester totalement insensible aux qualités de Dondi ou Seen, mais viscéralement ça ne me touche pas. C’est trop doux et je le ressens comme cartoon, pubeux… pas mon monde. A-One est extraordinaire aussi. Lee Quinones est impressionnant sur toile. Mais, d’abord la religion des engins spatiaux, des manifestes schizophrènes de Rammellzee, des missiles et des conflits spatio temporels. Souvenez-vous des Soul Sonic Force, Jonzun Crew, les premiers singles de DST… le futur en visionnage ghetto low tech et ultra glam. J’accroche immédiatement. Un vieux fond résiduel de culture punk flotte en moi. Et puis “World Destruction” hein ? Styles Wars, hein ? Pas « Styles and flowers »… Reste que je suis un compétiteur et que je ne vis que pour le duel au laser !
Ces cosmonautes sont déjà dans la sculpture et moi je commence à peine à savoir tirer un trait droit sans me chier dessus. Donc instinctivement, je m’impose l’obligation de renouveler le vocabulaire… ce que je fais un peu.
Restons les pieds sur terre sans les freestyles de Futura 2000 ou Ramm (encore lui !), je ne serai pas allé où je suis allé. J’ai européanisé le vocabulaire. Je l’ai confronté à ma propre culture de l’abstraction soviétique aussi, du futurisme italien. Tout ça avec une technique de toy +4. J’ai dû beaucoup travailler et supporter les moqueries quand j’ai pris un rouleau à la place d’une bombe. Quand j’ai laissé de côté les « argent et noir » et la virtuosité mes couilles du joli S…
Lybian Killaz. Skki et moi. Des portraits de Khomeini, des tanks aux abords de la porte de la Villette. Une ville n’est jamais aussi belle que quand elle est en ébullition et que les barricades font feu. Non ?

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…
Puis il y a les retraités yankees de Paris, je dois vraiment en parler ? Est-ce vraiment utile ? Les légendes qui détruisent à qui mieux mieux le mythe sur lequel ces prétendues légendes se sont fondées. Le yankee veut du vert… peindre avec du vert pour gagner plus de vert encore. Qu’importe s’il se ridiculise pour un dollar, s’il humilie une culture de 50 ans pour ça, tant qu’une légion d’honneur tombe…
Donc, please, revenons, au mythe, pardon aux artistes. Oublions les saltimbanques, les vampires, les clowns, les décorateurs du système, et autres ex-rebelles devenus meilleurs kapos du mois. La mythologie !
J’ai une profonde admiration, une vraie humilité devant l’apport des artistes que j’ai nommés au début de cette réponse. Sans eux, rien ou pas grand-chose d’une culture sociale qui, ici seulement, peut s’apparenter à une vraie culture artistique. Un vrai langage bricolé de toutes pièces, se modulant selon le contexte, fabriquant des outils en conséquence. A la manière du DJ qui décide de remplacer l’instrument de musique par les platines. La frustration pragmatique, quelque chose comme ça. L’absence créative, on pourrait s’amuser à créer une liste de mots… exprimant le profond respect que j’ai pour des gens qui ont peu, savent peu, et par génie, enrichissent tout le champ de la calligraphie, de la linguistique, de la sémiotique, et en deviennent les savants les plus révolutionnaires du moment. Mais leur langage accidentel, survient dans un continuum bien lisse de l’art contemporain, et l’histoire de l’art étant écrite par les membres émérites d’une civilisation qui les a envoyés vivre dans ces ghettos,
A part « vouloir faire un coup », Gallizia ou Vitrani en tête, pardon Monsieur Urbain 2017…, et inviter ces indigènes à nous exhiber leurs maquillages rituels, leur place n’est pas dans le musée. Au fond, tant mieux. On dira sans doute plus tard pourquoi.

Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas.

Après cet aveu plein de louanges, oui, je me mets parfois en colère, oui, je prends un temps qui m’est rare pour écrire ces livres. Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas. Tu prends le langage. Tu le vides de son sens. Tu gardes l’apparence. La forme pure et tu l’utilises comme un motif quelconque.
Ce que l’on nomme « abstract graffiti », et dont je serai, je mets ça au conditionnel car je n’ai pas choisi cette vision, un pionnier, en est un exemple frappant… Ces longues improvisations patchwork à 25 sur des escaliers du Palais de Tokyo ou les vitres de Radio France. Tout ça ne veut rien dire… juste une esthétique vidée de son sens.
Et comme c’est abstrait, c’est pratique… Pas de violence, pas de sexe, pas de regard artistique sur l’actualité. Du néant sur du néant ?
La Tour 13 avait pour seul mérite d’être finalement détruite après que les ados quadra se soient amusés. Quand détruisons-nous la Maison de la Radio puis le Palais ? C’est la logique première du writing… dent pour dent. Contre-attaque de la pollution visuelle, de l’hégémonie culturelle. Lis Gramsci.
Mais non, tu veux qu’il t’aime le musée, quitte à abandonner ta langue et ton âpreté : tu veux servir en jouant de ta posture de « rebelle ». Rebelle vraiment ? Tu en es tout l’inverse. Tu es celui que le rebelle, le vrai, ça ne signifie pas que je pense en être un, doit éliminer sans aucun remord.
Bon, ça va, on se calme ! Les « joulies » fresques c’est toujours mieux que des placards publicitaires. Mais si tu prends 5 minutes pour y réfléchir. Au fond les motifs sont-ils si différents au final ? Papiers peints contre papiers peints ? Qui endort le mieux la lutte sociale ? Qui inhibe le mieux toute contestation ?
Graphisme « Tron » et petites resucées constructivistes au scotch pour les nuls… Cool, ça évolue bien… rappelles moi… tu peignais quoi entre 1985 et 1990 ? Tu n’étais pas né, ok…  Alors pourquoi tu n’as pas inventé « ta chose » rien qu’à toi ? Tu es un nostalgique ou un vampire, ou les deux ?
« Regarde Rammellzee, ce qu’ils ont fait de toi … Regarde… C’est joli et sympa hein ? Oui on sait, toi tu disais quelque chose au travers de toutes ces formes. Tu les écrivais. Tu les chantais. Tu les sculptais. Tu les performais… Quoi ? Contrer les mass media ? Oui ça va ! Arrête de râler, c’est mieux que rien, et puis t’es mort, ta gueule ».

On va parler plus loin, des affres du « méta-graffiti », et des gens évidemment plus « intelligents », enfin plus acceptables pour le musée, blancs – éduqués – non revendicatifs, aux discours formatés au mieux dans des écoles des beaux-arts, et de ce « langage alien » des bas-fonds de la galaxie, qui, donc, à force de lissage et de compromission, se dilue au milieu.
Les méta-graffitistes, qui faute de savoir tracer un trait, se disent, allez jouons la free style au cap d’origine, ça aussi, c’est neuf, bravo…, conceptualisons le geste même du writer. Théorisons sur ma nullité.
Le musée blanc adore. Une époque cynique… condescendante et profondément lâche.

DWT : Parle-nous justement d’un de tes graff, le Sons of a gun.
Lokiss : J’avais peint la nuit. C’est marrant que cela aie marqué des générations. Je le trouve horrible, clairement banal. Je préfère les murs en spirales avec les losanges qui partent. Après, avec ce qui se fait aujourd’hui, je peux valider un peu le terme précurseur mais vu le niveau ce n’était pas difficile de l’être. Je préfère les murs à gauche de celui-là, le Duel ou le Bombs. Celui-là, c’est pur graffiti sauf que je mets des trucs un peu losanges mais bon… Et là, tout d’un coup, Bando est mon copain parce que je fais des lettres. Des vraies lettres. Bando vient peindre sur le mur la nuit. On est vraiment copains à ce moment-là. Je pense que je recouvre un truc à lui qui doit être détruit mais il n’est pas resté super longtemps ce mur. C’était le mur extérieur de l’avenue.

DWT : Que t’a apporté la parution de tes œuvres dans Spray Can Art d’Henry Chalfant en 1989 ?
Lokiss : De la fierté au départ puis … de l’indifférence. Aujourd’hui je sais qu’on me connait worldwide à cause de ça. Avec mes baskets roses et les Fat laces roses ! J’aurai préféré qu’il y ait des pièces à moi. Y’avait matière à l’époque…

DWT : Quand je regardais tes graffs enfants, je ne les aimais pas. Ils me gênaient. J’y comprenais rien, et toi ?
Lokiss : Je ne les comprenais pas tout à fait moi même !
C’est la rencontre avec un mec qui s’appelle Deub qui a été hyper importante. Lui, c’est typique de pas mal de gens dans ce milieu. Il a des esquisses et un travail mental d’enfer mais il est incapable de le peindre sur mur. Je le rencontre au terrain vague de La Chapelle et il arrive avec des esquisses faites à la gouache, c’est pour vous dire que le mec est dans un autre univers. Et il pète les contours. Quand tu es dans une ignorance totale de la peinture et de l’art, et bien quelqu’un qui pète un contour, c’est comme la découverte des demoiselles d’Avignon de Picasso : waouh ! On peut faire ça ? Niveau histoire de l’art c’est du zéro complet mais pour nous c’est énorme.

J’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages.

Un peu comme lorsque j’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages. A force, je vais travailler les yeux, les fossettes de la même manière qu’une lettre. J’ai destructuré pour camoufler mon incapacité totale à dessiner de manière réaliste.
Parfois, c’est des ruses de guerre qui peuvent amener quelque chose. C’est la même chose quand on n’a pas d’instruments et bien on prend des platines. La frustration au niveau du maniement de l’outil et de les obtenir, parfois, fabrique de nouveaux modes d’expression beaucoup plus intéressants. Là, c’était le cas.

DWT : Tu n’as jamais fait de descente vandale ?
Lokiss : Pas vraiment mais j’en ai fait. Je me suis fait arrêter dans le métro. Un soir, en descendant de chez Bando avec Colt, Sign et un autre mec qui avait les clés du métro, on a un peu vandalisé. Une autre fois, je suis descendu avec Jon one à NYC. Quand j’ai commencé à tagguer sur le wagon, il m’a dit « les tags, c’est pour les toys »… Ce qui est intéressant par rapport à ce qu’il fait aujourd’hui.

DWT : C’est assez paradoxal puisque c’est l’un des seuls aspects qui trouve grâce à tes yeux…
Lokiss : Ben quand c’est fait par Azyle je trouve ça vraiment intéressant mais bon, la même chose sur toile ça n’a aucun intérêt. C’est encore un phénomène du graffiti. Pour le coût, c’est vraiment un art contextuel. Le contexte est hyper important. C’est d’abord un art in situ. Tout est un influx, la possibilité de se faire arrêter et le truc qui est en train de se détruire, le toit qui se casse la gueule alors si c’est une friche, c’est encore pire.
Dans mon livre (Graffiti [writing] – expressions manifestes / Ed. Hazan), je photographie que du « work in progress » et, également, les éléments architecturaux comme parties intégrantes de la production qui sera documentée dans cet environnement.
Sur le vandalisme, je pense que le contenu du graffiti n’est pas très politique. C’est l’acte lui-même qui l’est. On a réduit notre seuil de tolérance à presque rien … maintenant on choque tellement rapidement.
Par exemple, il y a trois jours, je dessine des enfants et je les mets dans un contexte très déstructuré, mais rien de gênant, il n’y avait pas d’ambivalence. Une symbolique basique liée à l’innocence, la curiosité infantile. Je ne joue même pas avec aucun tabou (je me permettrai pas) et quelqu’un m’a dit « ouais mais tu mets des enfants quand même ». Et ?
J’ai vraiment eu un questionnement quand j’étais à Bologne en Italie. Maintenant, je peins 1 ou 2 murs gros murs par an. C’est toujours les mêmes qui te disent avec des prix qui n’ont pas bougé depuis 30 ans : « Oui mais nous on se bat pour que vous soyez payez au juste prix un jour ». Ben voyons…
J’y vais parce que Daim l’avait fait l’année d’avant et Phase 2 deux ans avant alors je me dis c’est un truc honorifique donc je vais accepter. 1500€ pour 150m2 de peinture. J’arrive et c’est peint en noir. Je l’avais demandé. Je peins le mur.
Plus tard, je vais sur Google Maps pour voir si c’est updaté, ça ne l’est pas et là je vois que le mur était sur-massacré de tags avant mon intervention.
Le plus choquant pour moi et qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est d’avoir recouvert une partie de ma culture et donc d’avoir jouer le kärcher. Donc là, y’a un vrai problème et là je peux comprendre que les vandales nous détestent, nous les fresquistes, les gentrificateurs…
Je me suis dit que c’était un acte politique que de les recouvrir. C’est un acte suicidaire. Ils ont réussi leur coup. Le mur y est toujours. Je n’ai pas été toyé. J’aurai bien voulu car je voulais le repeindre ce mur dans le sens de cette prise de conscience.
J’ai écrit un truc pour l’expo tags qui s’appelait « Graffiti culture suicidaire », c’est un texte qui a été beaucoup partagé, je disais que la vraie anarchie c’est d’être complètement déconnecté du réel, d’être « hors monde ».
C’est une vision aussi poétique qu’elle est profondément naïve. Et j’en suis bien revenu…

DWT : Tu sembles mal à l’aise avec le style de New York, au final, tu es plus perso ou lettrage ?
Lokiss : Je suis un peu le mec qui a tout mélangé. Il n’y avait pas de fond. C’est la fameuse histoire du « qu’est- ce qu’on met dans le fond ? ». J’ai résolu le problème, le graff c’est le fond (rires).
C’est vrai que c’était des lettrages quand j’exposais les trucs et les visages, à un moment, ont tout remplacés. Après, j’ai fait deux murs avec Skki qui ont marqué tellement de gens !
Il a lourdement aspiré Rammellzee et Phase2, proche du plagiat pour moi. Faut pas l’accuser, on a les modèles qu’on veut. En plus, j’aime bien le personnage donc je ne vais pas dire du mal de lui.
Deux murs donc un qui s’appelle Orgasma Penetratorz où on a fait deux pièces l’une au-dessus de l’autre. Toute l’Europe a été marquée. « On peut faire des graffiti l’un au-dessus de l’autre mais pas l’un à côté de l’autre ? ». Ça les a tous marqué. C’est surréaliste…
On utilise du rouleau. On le mélange à la bombe alors là c’est.. révolutionnaire ! On est en 1988…
Et l’autre très grand mur avec deux visages après Lokiss et au-dessus tout son truc rouge Skki. Ça aussi ça les a marqué. Là, je suis encore en association après ça, la lettre je la quitte complètement et je fais que des visages.
Je refais après des lettres quand je reviens en 1996 et que je collabore avec Mist.

DWT : Est-ce qu’on peut dire que les boss du lettrage en France sont Bando, Skki et maintenant Lek…
Lokiss : Ouais, je ne sais pas. Bando, oui je suis d’accord. Je trouve que Skki n’est pas sur le lettrage, ce n’était plus vraiment des lettres. Mais ouais, en France, on va dire ça.
Après je trouve que ce fait Lek, ce sont juste des recettes des années 80/90. A la limite Dem 189 me semble plus intéressant, même si les deux n’apportent rien de neuf.
Et puis sans régler mes comptes ici qui sont par ailleurs définitivement réglés et enterrés…
De quel Lek parles-tu ? Lek et Hof ? Lek et Yko ? Lek et Lokiss ? Lek et Iznogoud ? Lek et Jon One ?
Vivement qu’« il tue le père » comme on dit en psychanalyse.
Car c’est quoi le style de Lek ? Celui qui n’appartiendrait qu’à lui tout seul. Dites, on serait plein à en être curieux…

DWT : Que penses-tu justement du travail de Lek et Sowat ? Il y a eu Le Mausolée mais aussi Le Palais de Tokyo, Les Bains Douches, La Villa Médicis…
Lokiss : Bon je vois que vous avez envie que l’on s’amuse… Ok.
Quand on n’appartient pas à l’Histoire, on s’en fabrique une. Quand on n’appartient pas au mythe, on s’en construit un et surtout, ensuite, on soigne sa communication : livres, films, interviews et autres fellations chez le premier Ministre Ayrault par exemple. Tu veux la photo ?
Ce n’est vraiment pas de l’art, même pas du writing désintéressé et « sauvage ». Non, c’est un plan marketing. Une saloperie de plan marketing. Tout marketing n’est pas nuisible, celui de la Place forte que j’ai dirigé me semblait sain. Tellement sain que Keag et Sore pouvaient me retourner la galerie et la rue de la galerie ! Non, ici, c’est un marketing sale et bête, entièrement co-opté et dirigé vers l’ascension de quelques personnes au sein du bon vieux « système » dont la culture graffiti ne m’était jamais apparue comme la possible putain.
Jusque là.
Au niveau de cette prostitution, j’avoue que la corruption s’est généralisée. C’est pas leur invention… Si au moins, c’était assumé. Non, les protagonistes te défendent que c’est justement le meilleur moyen de défendre cette culture.

40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.

Verbiage de requins… 40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.
Donc le trio gagnant Lek-Sowat-Vitrani, ah il y a beaucoup à dire… Est-ce l’endroit et le moment ? Tu veux vraiment ? Ca va prendre des plombes… Chaque époque a eu ses courtisans et ses benêts oui-oui tu sais ?
100 ans plus tard, qui s’en souvient ? Qui ? Moi je me souviens de Gustave Courbet, pas des 100 seconds couteaux présentés dans le salon officiel qui lui était refusé.
On va zapper Lek par respect pour une vraie amitié lointaine. Le gars que tout le monde appelle « Rain Man » dans son dos. C’est cruel. « Lekiss ». Stop. Ça va. On n’a plus l’âge des chifonnages façon Booba et le reste de l’univers sur twitter.
Passons aux newbies. A ces gens dont on ignorait encore le nom il y a 5 ans. Ces gens qui te disent qu’ils sont donc si différents de Gallizia ou tous les vautours attirés par le rôle de meneur culturel « urbain ».
Qu’ils en sont le rempart auprès des institutions. Le rempart à la récup’ facile… Puisque toi, le vieux, tu n’as pas fait le boulot !
Et ça me donne encore des leçons, et même, sans aucun malaise, questionnent ma street credibility… Ca tombe bien, j’en ai aucune. J’emmerde tout ce qui me « localise ». Je suis né dans la pire banlieue et j’en vomis les prisons verticales. 10 ans, ça m’a suffi. Ça te va ?
Le trottoir, le cher trottoir, je n’en ai jamais voulu, je vous le laisse, heureuse les copines ? Par contre, remonte ton slip, on voit la merde.
Je ne vais pas tomber dans l’insulte. Je respire… Je vais juste refermer par où j’ai commencé.
Donc… le livre « Mausolée, on enterre qui ? Ah ce dingue de Kaze2 et qui on met à la place ? Ah toi… ok. T’es sûr ? Non, parce que tu es un putain de toy, donc je ne pige pas… Tu sais, il y a une hiérarchie… Il faut monter les échelons. Par le nombre ou la qualité, cette chose appelée l’originalité. La créativité. Sampler de l’ancien… heu non ce n’est pas renouveler le genre. C’est juste saigner le cadavre et profiter de l’ignorance. De la peur à traverser le périphérique. A rentrer dans des friches tenus par des gitans….
Pardon. Mais toi tu es qui ? Non, un zéro, c’est trop. Ah ? Ok, j’ai rien compris !
La légitimité, elle se fait plus là ! C’est le premier qui montrera ses dents blanches dans le musée. Qui recevra sa médaille en chocolat au ministère. Okaaaay… Je suis con, j’avais pas compris. C’est vrai qu’en grands gourous de la « street » machine vous avez décrété que l’underground n’existe plus. Mais existez-vous vous-mêmes ? On peut le décréter aussi, dans le journal officiel…
Votre rue à vous n’est qu’un concept store entièrement dévolu à votre succès. Là aussi, ce n’est pas votre invention. Je ne suis pas aveugle. Tout le monde veut en croquer.

Le musée n’aura jamais osé rentrer dans le « hors musée », le « hors cadre », le « en dehors des frontières »… alors construisons un « terrain de la chapelle » en 6 mois. Créons une fiction historique et vendons là comme une épopée de 100 ans aux commissaires du grand Art, évidemment ignorants du subterfuge, et surtout de l’histoire réelle.
Le musée ne viendra pas à nous alors venons au musée.
Attention j’ai rien contre le musée en soi. J’y suis rentré maintes fois. Sous d’autres noms, en faisant autre chose. Juste ce langage n’y a pas sa place. Point. Son contexte n’est ni celui d’une vitrine de Prisunic, ni celui d’une fausse punition de « cube blanc » ou de sous-sol technique … bien loin de la zone ‘grand art’ des étages supérieurs.
C’est une opinion. Et elle ne bougera pas. On m’a inscrit « art nègre » sur une fresque dans le temps. Un skin head a failli nous clouer sur un mur, moi et Skki, avec la même revendication. Mais ouf, on ressemblait plus à des petits gaulois égarés dans le gothic futurism, on est parti en riant. Au fond, est ce que ça a vraiment changé ?
Faisons Lasco. En restant bien dans la piste cyclable du 3ème sous-sol. Et si on monte plus haut, restons sobres, nous les « y’a bon banania » bien polis de la sous culture urbaine.
J’ai peint une grosse quinzaine de grands murs pour le film Vandal. Mais ce film était moins une fiction que le projet Lasco ou le livre « Mausolée ». Cela résume assez bien mon point de vue, non ?
Hall of fame actuel ? La villa Médicis ! Mets-toi à la page, « has been » !!.
Si je fais ces livres aujourd’hui, c’est en grande partie, à cause des dégâts causés aussi par ces perversions, ces opportunismes, ces carriérismes d’épiciers obsédés par l’idée de « faire un coup ». Et de rentrer dans une histoire qui peut facilement se réécrire. Entendre d’ailleurs Magda Danys à ce sujet sans pisser de rire, sans pulsion de mort.
Allez… Les gars, arrêtez tous, non ça sert plus à rien. Les lettrages, c’est dead. Cartonner un train, c’est démodé. Envoyez vos CV aux nouveaux chefs. Ils ont sauté 20 classes d’un coup !

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner.

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner. Comme un jean que l’on préfère faussement usé. Comme un perfecto acheté chez The Kooples, où le Vitrani aurait dû finir vendeur. Rive gauche. Mèche bien mise et souliers cirés.
Le Musée n’ira pas contrôler. Le Musée n’emploie juste que ce qui lui ressemble, fusse t’il un escroc… et ce n’est pas Kaze2.

DWT : Tu as un sens de l’esthétique graphique très poussé. Qualité ou contrainte dans ton travail ?
Lokiss : C’est un acquis. Ça ne m’a jamais bloqué mais peut être éparpillé. Ça m’amène à des choses pas très gaies au niveau de ma solitude d’artiste parce que je ne connais pas un artiste qui peut faire de la peinture et de la vidéo. Je n’en connais pas un seul. Et moi, j’en fais beaucoup plus que deux. Ce qui m’intéresse, c’est de tout mélanger. C’est fini l’art avec des chapelles fermées entre elles.
Quand j’étais dans l’art numérique sous le nom de Vincent Elka et que je suis arrivé en Autriche pour recevoir un prix. Ils ont retrouvé que je m’appelais Lokiss. Ils étaient super contents de mettre sur la feuille d’entrée : Vincent Elka – venant de la culture graffiti – fait maintenant de l’art numérique. C’était un peu rock’n’roll pour eux. Dans un milieu profondément geek et autiste…

DWT : Tu parles souvent de ton inspiration de l’artiste Kupka mais ton style semble plus proche de l’artiste Raymond Moretti finalement…
Lokiss : Moretti, j’ai fini par le rencontrer. Il avait fait une fresque dans l’ancien forum des Halles. D’ailleurs, elle est où maintenant ? J’avais déjà commencé à peindre comme ça mais ça peut être aussi Sonia Delaunay.
Sur les visages, c’est sûr que l’on peut y sentir une influence Moretti.
Bon, c’est toujours pareil là, on parle à un gamin qui ne sait rien. Tu prends les influx comme ils sont. Je parle toujours de 2001 l’Odyssée de l’espace quand il arrive sur Jupiter et le cosmonaute se prend tous les losanges de lumière. Ça c’est nettement plus vrai.
D’ailleurs Moretti, j’ai fini par le rencontrer 2/3 fois avant qu’il meure.
Il était à La Défense. C’était un mec aussi gentil qu’il était très seul.
Il avait produit un truc qui s’appelait « Le Monstre ». Une immense installation assez datée visuellement mais intéressante et complexe. Toujours visible je pense… bien longtemps que je ne suis pas retourné à la Défense donc je n’en sais pas plus.

DWT : Il y a aussi Hervé Mathieu Bachelot exemple au métro Grands Boulevards « Cascades de temps », en 1985, ou son travail à Châtelet « Obliques enrubannées » avec André Ropion, en 85 également.
Lokiss : C’est des mosaïques dans le métro ? Non, le nom ne me dit rien. Déçu ?

DWT : Tu as dis que « se contenter de montrer une multitude de tags sur toile, c’est une imposture », c’est cash comme propos. Tu en places une pour JonOne ?
Lokiss : J’ai dit ça ? « Imposture » ? JonOne n’est pas un imposteur. Il parait qu’il se vante presque d’être un vendu. Reste que c’est un ami et que je l’évite autant que possible car malgré tout, la discussion me semble impossible. Totalement impossible. Et on devine pourquoi …
Il s’est créé un personnage. Millionnaire ou presque, couvert de peintures avec un accent qui donne des frissons aux foules. Ses toiles ressemblent aux punitions d’Azyle sur des wagons entiers. Je suis naturellement plus impressionné par les saturations d’Azyle que ces toiles… Et aussi beaucoup plus respectueux de la personne même d’Azyle. Artistiquement et surtout moralement.

DWT : Alors justement, que te suscite son parcours ? Sa légion d’honneur, sa toile sur « la liberté guidant le peuple » à l’assemblée Nationale, son avion Air France customisé…
Lokiss : Je pense que chaque époque, chaque culture, chaque mouvement artistique engendrent ce genre d’aberrations. Le fait est que je ne me sens appartenir à aucun mouvement… J’étais surtout triste pour lui. Dans une France politique encore profondément marquée par le colonialisme, voir l’incident Guerlain pour lequel il a aussi travaillé non ?, faire sa Joséphine Baker sous les lustres de l’Assemblée… triste, vraiment triste.

La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes.

DWT : Mais ce n’est pas une façon de niquer le système que tu dénonces tant ?
Lokiss : Certains appelleraient ça de l’entrisme. Moi j’appelle ça du cynisme. Et c’est le cynisme qui finit par tout salir. Par effacer toute innocence. On est alors de manière permanente dans l’opportunisme, dans l’intéressement.
La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes. Car alors, on te juge, et sur ta propre pratique, et sur celles des artistes que tu es susceptible d’inviter. Tu n’en sors plus !
Rien n’est blanc ou noir, même si j’ai décrit essentiellement du noir il y a 5 minutes. Du noir sale et visqueux. Niquer le système tout en le servant… tu devrais poser la même question à Chuck D (ndlr : c’est déjà fait !). Sa vision de l’industrie musicale et du rap pourrait être riche d’enseignement à ce sujet.
Et au fond la problématique et ses conséquences sont identiques. Niquer le système tout en le servant, c’est la crapule qui se donne bonne conscience. Qui pressens sa culpabilité, et qui ose prétendre que c’est une revanche sur une éventuelle pauvreté.
Le statut de « misérable » moral est plus enviable… c’est vrai ?

DWT : Avec du recul que penses-tu du documentaire Writers auquel tu as participé ?
Lokiss : Oui, il est pas mal du tout. On peut toujours faire mieux et faire aussi plein de critiques. Il n’a pas couvert tout. Par rapport à ce qu’il a fait sur les skinheads, c’est beaucoup plus intéressant. Il aurait dû intégrer les skinheads fascistes, ce que tout le monde lui a dit de toute façon. Sur Writers, c’est pas mal.
Sur le « Writers tour’ », je n’ai pas que de bons souvenirs. J’ai largement préféré mon travail sur les murs que les minuscules panneaux de bois pour certaines performances. La bombe se libère à une certaine échelle, au niveau d’une certaine résolution.

DWT : Tu passes une bonne partie de ton temps à la campagne, que penses-tu du niveau en province ?
Lokiss : Je connais assez mal ce qui se fait en province donc difficile de le juger. Je ne vois de grandes différences entre celle-ci et Paris. Les identités par ville, c’est une caractéristique de pays plus décentralisés comme l’Italie ou l’Allemagne. Paris reste central en France pour toutes sortes de choses, dont la culture graffiti. C’est le modèle, même dans l’attitude. C’est dommage. Par exemple, entre Hambourg et Berlin, c’est un peu deux pays avec deux mentalités, deux approches qui se confrontent.

DWT : Est-ce que la musique rap t’a déjà inspiré dans ta démarche artistique ?
Lokiss : Les premières compilations electro sounds. Très électro, opaques, étranges, j’appréciais vraiment. Tyrone Brunson « The Smurf » c’est hyper connu mais c’est une époque importante. « Looking for a Perfect Beat » ou « Planet Rock », les productions Robin and Baker, c’est de grands moments. C’est encore très agressif, ça bastonne, c’est très novateur.
Aujourd’hui, je suis sur des musiques très dures : Drum and Bass, Dark Step ou de l’expérimental genre Noise, rock Stoner, voire du Doom, et il m’arrive d’écouter de la musique classique. Des phases…. En ce moment c’est le silence !
J’essaie toujours d’être déstabilisé par ce que j’écoute. C’est vrai que je suis toujours dans une ambiance assez lourde, austère. Les musiques religieuses aussi, ça peut me plaire. Ce qui m’inspire, c’est plutôt un univers pas très gai pour l’auditeur lambda.
Je suis complément désinhibé par rapport à ça parce que je n’y vois pas la tristesse ou quelque chose d’inquiétant.
Je me force à en réécouter du rap parfois avec LP ou Killer Mike. Je trouve ça pas mal mais comme je ne comprends pas toujours ce qu’ils disent évidemment ça retire de l’intérêt…
Au niveau de la production je trouve ça hyper pauvre. Qu’il y ait encore des mecs avec ces beats là derrière putain ça n’évolue pas… on dirait le Reggae, une musique stagnante, on dirait un folklore. Ça me gêne.

DWT : Quelle place donnes-tu au sexe dans ton travail d’artiste ?
Lokiss : C’est quasiment une partie de ma sexualité mais c’est un stéréotype de dire ça. D’ailleurs, je me rends compte qu’au moment où je suis dans une période de célibat ou d’abstinence je ne suis jamais autant créatif… donc il y a vraiment un vase communicant.
Et oui, est-ce que c’est par provocation ? Le personnage d’Ana Vocera, l’alter ego que je me suis fait, c’est une militante de l’agit porn. C’est un avatar. Que la violence arrive par une femme, ça m’intéresse. Pour une fois, ça change un peu.
Je ne suis pas non plus un obsédé sexuel. Enfin un peu, quand même.
Pendant que l’on parle de ça, tu choques un mec du hip hop facilement. C’est quand même un milieu ultra prude, bien coincé du cul et c’est pour ça aussi que perdure encore la poupée Barbie autour de la piscine avec son maillot de bain et la grosse bagnole. On est dans l’univers phallique très peu créatif. Et super réactionnaire.
Mais ça semble changer… Sociologiquement oui. Musicalement non.

Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…

DWT : Est-ce que la plus grande catastrophe qui soit arrivée au graffiti français est l’apparition d’un personnage comme Alain-Dominique Gallizia dans le milieu ?
Lokiss : Je vous renvois au texte que j’ai rédigé pour justifier mon refus de participer à l’évènement « TAG ». « Graffiti culture suicidaire ». Depuis, on s’est rencontrés et l’entrevue fût bien, même drôle. Reste que j’ai continué à refuser alors que la rencontre s’est faite dans son atelier de Boulogne où j’ai pu réaliser que tout le monde avait accepté, sauf Mode 2 évidemment. Non, c’est non.
C’est d’autant plus étonnant de la part d’artistes qui m’ont dit partager sinon comprendre mon point de vue exprimé dans le texte. Et ils avaient pourtant participé au projet attaqué.
Qu’est-ce que je peux dire ou faire alors ? Autant que je souris bêtement si c’est un ami, et le mépriser totalement si c’est un petit courtisan, tout content de parler à Lokiss. C’est de l’auto dérision… mais c’est un fait que ça se passe comme ça.
Je suis de plus en plus fatigué de voir parfois cette victimisation de la part des artistes. On peut toujours dire non. On peut toujours rester intègre. Ou discuter avec le soi-disant diable pour le faire évoluer vers un projet plus sain, si ça existe en dehors du contexte naturel de « l’interzone » ou des dépôts. Ça va… Tu n’es victime que de toi-même. De ta vénalité ou de ta mollesse morale. Ou les deux à la fois.
Oui je sais. Tu as des enfants à nourrir et moi je suis un mercenaire… Blahblah de collaborateurs au moment de l’épuration d’après-guerre.
La chose principale, c’est la toute-puissance de l’égo, l’essence du writer.
Et le carriérisme à tout prix peut prendre l’apparence d’une forme de compétition. Le succès commercial vaut une mise à l’amende.
Un king c’est maintenant un mec qui a 250 000 followers. Même s’il peint du sur-vu, ben non, il gagne. Car il a 1500 likes par prout photographié sur instagram. Un monde tragique… J’ai aucune envie d’y vivre.
En oubliant toute la dimension morale, en perdant conscience que l’on est qu’un élément au sein d’une culture qui nous dépasse. Que nous sommes responsables de l’image que l’on en donne. JonOne a désintégré cette conscience.
Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…
Mais je parle justement dans le… vide. Don Quichotte ce n’est pas mon truc. Se battre contre/pour des moulins à vent…
En gros, fais ta merde, juste dis-toi que l’on sait. Et encore ‘on’ c’est trop. Plus personne ne sait rien. Ou ne veut savoir.
Moi je suis parti ailleurs pour m’éviter l’ulcère… Donc, je ne ressens aucune amertume. J’aime me déplacer trop vite pour ça.

DWT : Tu as déjà réalisé en 1996 une fresque pour la « sympathique » série de TF1, Julie Lescaut, tu as une anecdote avec la police à nous donner ?
Lokiss : (Rires) vous avez retrouvé les archives ? Je me souviens plus très bien comment c’est arrivé. Un peu comme le film Vandal, plus lourd et plus sérieux avec des tonnes et des tonnes de fresques. C’est un peu pareil, c’est une production qui m’appelle. Je n’ai même pas vu les acteurs. Je n’ai vu personne. Ça ne pose pas de problème.
Dans Vandal, la scène a été retirée mais j’y jouais un flic !
Pourquoi c’est le personnage de Julie Lescaut qui vous gêne ? Bon, c’est vrai que Véronique Genest est une vraie connasse. C’est un hasard du genre « tu ne connais pas un graffiteur ? ». Elle n’exprimait pas ses opinions politiques, à l’époque, Twitter n’existait pas. Pour le coup, ça me semble beaucoup moins grave que de faire les fonds de vitrines du Printemps Haussmann que j’ai faîtes.
J’ai été le premier gros plan. Le premier gros plan puant, c’est moi qui l’ai fait en France quand même (rires).
Et puis surtout, t’es un gamin, on te propose 8 000 francs pour sept vitrines, normalement c’est 80 000 francs, ils se sont dit « oh la bonne affaire ». Aujourd’hui, les artistes, ou presque, issus de cette culture dite urbaine ont un recul énorme par rapport à ce genre de malversations , ils peuvent faire autrement. Non. Ils font pire ! Bien bien pire…

J’ai dû faire entre 80 et 100 murs max (…) dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.

DWT : Si on réalise des fouilles archéologiques sur Paris, lequel de tes graffs aimerais-tu qu’on remette à jour ?
Lokiss : Orgasma Penetratorz et La chute de 1989. C’est les deux seuls. C’est un axe de critique récurrent, Lokiss n’a pas fait autant de vandale et il a peint 25 murs ce qui est -presque- vrai parce que j’ai dû faire entre 80 et 100 murs max, j’ai pas toujours photographié…, dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.
Après au niveau de l’adrénaline, c’est monstrueux ce qu’ils se sont pris. Parce que pour le peu que j’ai fait, ça fait partie de l’histoire du truc. C’est vrai qu’il faut du courage mais il faut aussi du courage pour faire 100 mètres de mur devant un public qui derrière fume des pétards et regarde le moindre de tes gestes. Ça prend du temps. Au niveau des nerfs, c’est aussi intéressant. Mais peindre en 10 minutes, je peux le faire aussi, y’a pas de soucis.

Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien. Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là.

DWT : Est-ce que le graffiti fait réellement parti du second marché dans la marchandisation de l’art ?
Lokiss : Le mot graffiti me gêne. Son utilisation me gêne. C’est très contradictoire quand je dis je ne veux pas de graffiti dans les musées, car en même temps, l’expo que j’ai organisé, c’est ça dans une certaine mesure. Même s’il est hors de question de peindre façon rue dans un intérieur de galerie. J’essaie de soutenir des artistes qui font évoluer leur travail urbain sur d’autres supports et via d’autres médias.
Soyons bien clairs, je ne peux pas travailler avec seulement 3 artistes sur ces critères de sélection. Donc je suis finalement plus souple. Oui je sais…
C’est juste 2017. Puis 2018, je retourne totalement ailleurs, et en plus ce seront les 50 ans de Mai 1968. Je pense que l’on peut faire deux trois plus ou moins déstabilisantes. Et cela fait longtemps que la déstabilisation à moins de faire dans le Kidult, que j’aime bien, n’est plus dans cette culture-ci.
Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien.
Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là. Ce n’est pas de faire mon mur autorisé à Bologne, ni celui du Pavillon Beaudoin qui est recouvert six mois plus tard.
D’ailleurs au sujet de ce dernier mur, je ne vais pas mentir, je me suis vraiment posé la question. J’aime bien ceux qui m’ont recouvert mais je me dis que ça aurait été fort que je les laisse recouvrir le mur et que je vienne après détruire tout.
Juste pour qu’il y ait un questionnement. Revenir à ce qui a une des règles qui ont fondé cette culture. Et on parle de culture hein, pas de cirque ?
Je me serai fait allumer par la mairie mais ça aurait au moins amené une réflexion. Du type, vous payez le travail mais vous ne régulerez jamais, vous nous déposséderez jamais de cette culture.
A une autre époque, ça aurait été « de quel droit tu me recouvres ? ». Ça amène toute une tension et donc une sélection naturelle basée aussi sur la violence et ta capacité à y résister ou à la répandre. On dit bien ‘style wars’ non ? Pas « style peace »…
Vu que je ne suis pas parti dans les meilleurs termes avec cette association, pour de simples raisons de promesses non tenues et de compétences, je me suis dit, on va s’arrêter là, il y a de meilleures batailles… mais c’est vrai que j’étais prêt à le faire.

DWT : D’où vient ton côté autodestructeur/grognon ?
Lokiss : (Rires) Peut être que si j’étais prétentieux et plein de vanités, je dirai : parce que je suis plus proche de la vérité et que la vérité est mensongère et qu’il faut la dénoncer.
Il y a un fond de violence pas toujours très maîtrisé en moi. Elle peut devenir de la colère ou de la pure énergie mais naturellement je suis un gamin un peu hyperactif. C’est ce qui me permet de vieillir sereinement mais aussi de garder la même énergie.
Quand je me retire dans cette baraque à la campagne, c’est aussi vital pour moi. Je me sens beaucoup moins seul des semaines entières là-bas que parfois dans des discussions entre artistes où je me dis « mais de quoi on parle là ? ».
Mes intérêts sont différents. Moi, c’est plutôt les nouvelles technologies.
Qu’on me ramène sur des trucs genre « Lokiss mythique » . C’est bon, j’étais là, toi t’étais pas là, tu n’avais qu’à être là. On ne va pas te le raconter 105 fois. Boring !!!
Ma marginalité est déjà technique. Je peux vous faire un livre de A à Z, je peux vous faire un site internet de A à Z, un film ou une campagne cross media.
Ce n’est pas parce que je suis un génie, c’est juste que des fois, c’est plus simple de le faire soit même. Tu apprends la technique, ce n’est pas sorcier comme dans la construction où j’ai fait des chantiers pendant des années pour survivre. Je suis un peu un couteau Suisse. Survivaliste total. Je vous parle des armes ?.
Parler à quelqu’un qui peut se rendre compte qu’un sujet amène une écriture, une écriture amène un médium et bien c’est déjà pas mal. Des fois, on me reproche d’être vachement dur à vendre parce que je peux changer à l’instinct.
Maintenant, c’est moins fréquent, moins violent. Mais oui, entre les prints, les soudures, la vidéo, etc etc … ça va assez vite. Et parfois en même temps. D’abord une peur de l’ennui et plus loin, un rejet des recettes, mais j’en ai, aussi, évidemment, dramatiquement…
Cette multiplicité technique est un aspect de l’art actuel plutôt fréquent mais le problème c’est que dans l’art contemporain les artistes font faire. Quasiment plus personne ne fait soi-même. Alors que moi je fais moi-même.
Enfin… je ne suis pas spécialement « grognon » comme un hobbit mal luné ! On va dire que je suis sanguin.
Je ne suis pas quelqu’un de très fidèle en amitié. Je me suis rendu compte qu’on peut vraiment perdre un ami avec la fameuse phrase un de perdu dix de retrouvés. Ça peut aller très vite. Des amis de dix ans, je ne leurs parle plus jamais même sans leur en vouloir. C’est aussi parce qu’il y a un manque d’évolution et que j’ai envie que nos discussions soient intéressantes. Et me parler des couches du petit et des vacances en Thaïlande…
Dans la culture graffiti, je ne vais pas donner de noms, mais il y a des mecs qui ont plus de quarante ans et qui continuent de se comporter comme des adolescents. Je ne peux pas. En plus, ils se concentrent sur des références culturelles de leur adolescence pour se sentir encore jeune. Ça ne m’intéresse vraiment pas. Donc je peux souvent apparaitre comme un rabat joie…
Je n’aurai pas fait le livre de Jay sur le terrain vague de la Chapelle. Un site internet détaillé à la limite mais plus… non.
Par exemple, niveau changement de société, un jour, je suis en Suisse dans une voiture et le mec met Daft Punk. Il se retourne et me dit « t’aime bien ça ? ».
Je réponds : « je vais te le dire, c’est au-delà de la merde ».
Il me dit en anglais « okay t’es un hater ! ». T’as tout compris. Pour lui, je suis un gros haineux parce que je n’aime pas Daft Punk… heureusement qu’il ne me demande pas d’aimer Adolf Hitler pour lui prouver que je suis trop sympa…

DWT : Pour finir, j’ai une belle toile de toi, un autoportrait sur inox, tu crois quelle vaudra combien dans 50 ans ?
Lokiss : Le prix du métal (rires général). Ou de mes provocations…

La place du hip hop à Lille

Documents
Alain Garnier, Axiom, CECU, Ernie Pannicioli, Isham One, lava

On peut dire des choses importantes sans être vulgaire, sans tags qui salopent les murs… (Martine Aubry / Inauguration du Centre européen des cultures urbaines / Lille, 4 octobre 2014)

Un événement eurorégional de portée universelle a eu lieu le 4 et 5 octobre 2014 à Lille avec l’inauguration d’un centre culturel au nom provisoire : C.E.C.U. – Centre Eurorégional des Cultures Urbaines (un appel à idées est lancé par la mairie : nom.cecu@mairie-lille.fr -), 2 500 m2 dédiés au hip hop, imaginé par Axiom et voulu par Martine Aubry. Vite dit comme ça, c’est flou et quand c’est flou : il y a un loup !
Structure administrative créée pour favoriser les échanges transfrontaliers, l’eurorégion qui regroupe la métropole lilloise avec Courtrai et Tournai en Belgique, compte deux millions d’habitants, parmi lesquels, donc, les employés, les futurs artistes et le public choyés et espérés ; le succès du C.E.C.U. étant déjà international, on leur souhaite le reste de la France bientôt aux rendez-vous de la programmation éclectique, affichant sa complémentarité avec nombre d’événements réguliers du réseau Hip Hop du nord (à venir : Hip Open, Hip Hop Dayz, Hip Hop Games, block parties, forum des musiques actuelles, salon des activistes Hip Hop, Battle Internationale de Graffiti, un Graffpark, Biennale Internationale d’Art Mural… voir sur facebook.com/ceculille).
Incontournables représentants de ce réseau de crews, d’associations, de lieux et d’activistes de longue date, Najib Ben Bella (DJ Boulaone, très remercié), Call 911, (asso partenaire de la mairie), le chorégraphe Farid Berki, Axiom, prennent part au projet ; ce dernier, rappeur parmi les plus engagés politiquement depuis 1994, en revendique l’idée et devient ainsi, nouvelle casquette, chef de file d’une imposante mouvance eurorégionale grossie par l’active Zulu Nation Belge (street-knowledge.com, lavoixduhiphop.net et la plate-forme Hip Hop Survivors).

Cependant, malgré la concertation avec ces nombreux activistes, inquiétudes et vigilance perdurent…

Cependant, malgré la concertation avec ces nombreux activistes, inquiétudes et vigilance perdurent : un anar de la CNT dénonce un projet de gentryfication et rappelle que la mairie a fait raser le lieu historique du hip hop : le Ch’ti D’Arras (cours de danse et graff, studio d’enregistrement…) pour imposer son bâtiment et sa politique administrative-culturelle, où le concept « accompagnement » remplace celui de « liberté créatrice ». Le rappeur Rekta avait créé le Build’up pour des expositions et des soirées mais n’avait pas obtenu de subventions ; les associations partenaires Call 911 et Aerawsoul n’ont pas de promesse de financement… D’autres assos comme Secteur 7 ou Soul Street vont-elles survivre ? Le debrief prévu par Martine Aubry en juin 2015 risque d’être chaud…

Hip Hop Hurray !

Les danses de rues, le MC’ing, le DJ’ing, le writing reliés dans le hip hop par Afrika Bambaataa il y a quarante ans sont devenus des moyens de reconnaissance sociale incluant logiquement l’entrepreneuriat, « for us, by us », dans les disciplines du mouvement. Une volonté d’accompagnement, de formation, de professionnalisation structurera les projets au C.E.C.U. à travers les pratiques en ateliers, en résidence, en studio et sur scène : c’est un incubateur (pas le potager de la série Black Jesus !).

Le hip hop est donc LA culture urbaine qui motive les quinze millions investis par la mairie de Lille.

Le hip hop est donc LA culture urbaine (en attendant le tuning ou les clowns qui font peur) qui motive les quinze millions investis par la mairie de Lille dans un Rubik’s cube de baies vitrées, béton fin, métaux noir et rouille, en contraste avec les briques de la maison-folie du quartier de Moulins réhabilitée (bizarrement, l’agence d’architecture King Kong annonce 4050 m2 sur son site et un article du Monde parle de 3000 m2 ?).
Basé sur le principe d’une hip hop school adjointe à différents lieux de diffusion (vastes galeries, salles de concert, projection, mur dédié au graff) et qualifié de « projet d’excellence territoriale », l’opération mutualise les deux « maison-folie » de Waremme et Moulins (centres culturels créés en 2004, distants de deux kilomètres) et le nouveau bâtiment.

À Wazemmes, m’arrachant du mix trap/électro funk/oldschool hip hop du crew féminin Supafly (Bruxelles trop puissant !), Isham One me guide dans l’expo “A Nous York” très réussie, digne d’un travail collectif intelligent, préparée par le crew Waz Here : Mikostic (alias Handmade), Fabien Swyngedauw et Najib Ben Bella. Les portraits d’habitants et le mural par Isham, l’humour de la série de 4letters, le buffet creusé de tags et l’incroyable machine à reproduire des tags vectorisés du crew Doctor Colors, les persos d’Aplick One, les contributions de Mesh et des 156, l’atelier d’Espack, le bout de métro new yorkais de 1973… etc… valent leur pesant de bigups.
Les photos d’Ernie Paniccioli (voir son livre Who shot ya ?) et les toiles de Futura 2000 exposées à Moulins sont rarement visibles en France. Que dire sinon souligner l’excellence de l’ensemble, le soin apporté au bon kif des œuvres. Les expositions sont à voir jusqu’au 11 janvier 2015. À la fin de la première journée, après les sets latins de Bobbito et Tony Touch, 5 000 visiteurs étaient passés dans les lieux, politiques et journalistes compris ; 7 000 après le concert de Casey et Asocial Club le lendemain soir (pas vu, malheureusement).

Hip-hopisation des institutions ?

En juin 2014 : le maire de Dakar inaugure la Maison du hip hop et des cultures urbaines… En 2005 à Paris, création de la Maison du hip hop de l’asso Paris Est Mouv’… Rumeurs de projets à Marseille (entre la Friche ou l’Affranchi ? En plus Phil Subrini vient d’être nommé Zulu King…), Toulouse (qui perd ses lieux dédiés au graff un à un). Aux Etats-Unis, l’Université de Cornell collecte des archives depuis longtemps et deux projets sont en négociation : le National museum of hip hop dans Harlem, et l’Universal hip hop museum dans le Bronx (4800 m2).

Le hip hop relaie artistiquement des revendications sociales. La question de l’indépendance et de l’autonomie se posera si les animateurs des établissements publics hip hop sont amenés à ignorer, mépriser ou condamner ces revendications.

Créé pour transformer les énergies négatives en énergies positives, le hip hop relaie artistiquement des revendications sociales. La question de l’indépendance et de l’autonomie se posera si les animateurs des établissements publics hip hop sont amenés à ignorer, mépriser ou condamner ces revendications ; auquel cas certaines de ces initiatives institutionnelles ou commerciales pourraient s’orienter vers d’autres cultures urbaines plus consensuelles.
Depuis « Je ne veux pas faire de politique, ma mission est artistique » d’Assassin, nous savons que les artistes travaillent leur art et les co-conspirateurs défendent le mouvement dans et face aux institutions – et que l’alliance est parfois efficace. Snype, graffeur de la Zulu Nation Belge, demande : « Les rockers ont pris les postes de décisions, pourquoi pas nous ? ».
Cette culture populaire continuera d’être respectée et défendue contre l’opportunisme et la caricature, même dans le marigot médiatico-politico-économico-populiste si l’on convient avec le sociologue Saïd Bouamama que « la faiblesse de nos associations enfermées dans la gestion d’activités, au lieu d’organiser les revendications, de faire connaître l’histoire des luttes, de refuser les compromissions, mène à la mise en scène d’une minorité culturelle par une politique coloniale raciste, à fonction économique de domination ».

« Le hip hop n’est pas une culture »

C’est Ernie Paniccioli – photographe du tout hip hop new yorkais – qui le dit. Patatras ! What the fuck ? Son argument pourrait servir aux f-haineux ! Ce n’est pas juste une opinion, il s’explique : « Le hip hop n’est pas une culture car il n’y a pas de médecine hip hop ou de juges hip hop ». Natif indien-américain, il faut comprendre que sa définition de « culture » signifie « société », et pas seulement « pratique des arts reflétant la société ». Les questions du public portent beaucoup sur la mauvaise haleine du rap, Brother Ernie répond clairement : « parmi les disciplines du hip hop, seul le rap est actuellement colonisé par le gangsta rap qui est un complot pour encourager les armes, la drogue, l’alcool et la prostitution dans les ghettos ». Mais complot du crack et simple bizness inauthentique qui occupe du temps de cerveau disponible ne sont pas le même problème. Réponses distanciées de Jean-Marc Mougeot (Directeur du centre culturel hip hop La Place – Paris) : « En France, on ne prend pas très au sérieux le gangsta rap », ou de Cachin : « Kaaris, ça peut être pris comme de l’humour ». Malheureusement un matraquage crade laisse des traces parfois honteuses (l’interview d’Ernie Paniccioli par Olivier Cachin et filmée par Mr Biggs sera diffusée sur Trace TV).

Martine Aubry résume en une phrase les contradictions entre hip hop et administration : « On peut dire des choses importantes sans être vulgaire, sans tags qui salopent les murs… ». À l’aide d’un mot vulgaire, elle stigmatise l’art calligraphique du tag qui fait partie intégrante du hip hop (il y aura d’ailleurs un concours de tags lors de la neuvième bataille internationale de graffiti organisée à Lille par Call 911, Aerawsoul et… le C.E.C.U.) ; en imaginant « les murs » comme des objets purs, Martine entre dans une utopie hygiéniste où « on » ne laisserai aucune trace. En faisant référence à la violence de certains textes, elle ne peut cependant pas enlever à la liberté d’expression et la poésie, l’usage de la vulgarité.

Le racisme, le sexisme, le vandalisme ou la violence tombent sous le coup de la loi mais surgissent parfois dans le hip hop par provocation gratuite, ignorance ou appât du gain, comme dans les médias, les partis, les sports…

Bientôt les usagers du C.E.C.U. demanderont à ce que ne soient pas effacés les tags de leurs potes disparus ou ceux de stars du graff qui seront invités. Le racisme, le sexisme, le vandalisme ou la violence tombent sous le coup de la loi mais surgissent parfois dans le hip hop par provocation gratuite, ignorance ou appât du gain, comme dans les médias, les partis, les sports… (et les excuses sont très tendance voire rentables). Rangez votre râpe à délits, Martine, papy hip hop est majeur, parent d’enfants, et ne souhaite pas que le C.E.C.U. accouche de Schtroumpfs, pas plus que de terroristes.

Enterrement de première place

Le projet parisien « La Place » est très mal embarqué depuis le début… Le questionnement sur la pertinence du projet est récurent depuis 2010 et l’opposition U.M.P. a pu facilement dénoncer en 2011 les contradictions et l’illégalité de statuts mal ficelés. Le dossier de presse fanfaron confirme les pires craintes qu’on puisse avoir. La rénovation du forum des halles impliquait, volonté du maire, la création d’un centre culturel. Il fut décidé de s’inspirer du projet Maison du hip hop, mais sans les acteurs du hip hop de la région parisienne, préjugeant des antagonismes, et de la loger dans le nouveau forum, avec des arguments fallacieux :
– un lien inventé car il n’y a pas de crew historique ou emblématique du quartier, peu de lieux pour le rap (Baisé Salé…), peu de murs graffés ; les tags et stickers révulsent les habitants et commerçants et la répression est féroce pour protéger les aménagements neufs et hors de prix ; quelques dalles lisses dans les courants d’air permirent la pratique des danses de rue, au bon vouloir des agents de sécurité, des commerçants et de la police; les boutiques hip hop ne sont implantées là qu’en bonne logique commerciale, malgré les loyers exorbitants et les odeurs de pisse…
– Paris est parsemée d’endroits plus emblématiques que les Halles pour le hip hop (Stalingrad, le XIIIème, le XVIIIème…) et l’argument centralisateur de la facilité d’accès en transport public ne tient pas car le hip hop se déplace aussi à pied, en skate, en vélib’, en Hummer (électrique)…
– Contre toute attente, les locaux ne donneront pas de plain-pied sur la rue mais seront situés au premier étage… logique commerçante et sécuritaire.
– 1400 m2, premier centre hip hop… Vantardises ! Aménager plus de 13 équipements dédiés réduira la surface utile d’au moins 100 m2. Par la date, sa surface, son ambition, le C.E.C.U. à Lille (en réalité axé sur le hip hop) est bien le premier centre hip hop en France.

Il y a déjà un centre d’animation très important aux Halles (avec un peu de hip hop dedans) et on découvre aussi le projet d’un centre culturel pour sourds et malentendants, ce qui nous ouvre une digne porte de sortie : laissons le Centre La Place qui ne correspond en rien à la pratique du hip hop à ces deux initiatives (s’ils en veulent !).

Le projet de Centre hip hop aux Halles ne peut être qu’une vitrine médiatique et mercantile qui fait déjà pitié, un mauvais placement. On devrait se réjouir de ce luxe, mais l’analyse nous montre que rien n’a été pensé pour unifier.

De toute évidence, le projet de Centre hip hop aux Halles ne peut être qu’une vitrine médiatique et mercantile qui fait déjà pitié, un mauvais placement. On devrait se réjouir de ce luxe, mais l’analyse nous montre que rien n’a été pensé pour unifier, mais plutôt maintenir le mouvement loin des autres pratiques culturelles. Ségrégation économique ou apartheid culturel, la défiance des autorités à l’égard d’un mouvement toujours soupçonné de polluer la société française, apparaît clairement dans ce cadeau empoisonné.
Le hip hop, pour briller, doit être au contact de la société et d’autres cultures, s’en nourrir et s’en influencer, et non se ranger au milieu d’un centre commercial. La direction des affaires culturelles de Paris qui prétend traiter le hip hop à égale dignité avec les autres cultures (est-il besoin de le dire ?), devrait avoir l’intelligence de connecter le Centre hip hop là où les synergies existent déjà au Parc de la Villette et au Centre National de la Danse à Pantin en créant le pôle DJ/rap/danse/beatbox dans ce parc des guitaristes, djembéïstes, batucadas, capoeïristes, jongleurs, etc…, où se trouvent la Philharmonie, le Zénith, le Trabendo, le Cabaret Sauvage, la Maison de la Chanson, la Grande Halle, la Cité de la Musique et le Work In Progress, lieu à moitié Hip Hop, à moitié ouvert, à moitié à louer !
Dans cette même optique, pourquoi ne pas envisager un deuxième pôle : graff/photo/cinéma/mode dans le 13ème (Halle Freyssinet, 42… et aussi pas loin : universités, quai de la mode et du design…) ? Et, puisque le projet est sous tutelle, qu’il soit confié, non pas au triumvirat mairie du 1er, mairie de Paris, Conseil Général de la Seine Saint-Denis (qui va disparaître vers 2020) mais à Paris Métropole (qui regroupe actuellement 152 communes de petite couronne et la capitale) ou au Conseil Régional d’Île-de-France, pour représenter tout le territoire du hip hop francilien. Alain Garnier

Lava 1&2, supreme commander

Interviews
JayOne, lava
En 1972, quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué !

Writer des premières heures et ancien chef de gang new yorkais au sein des Black Spades dans les années 1970, Lava 1&2 a également signé la réalisation des flyers des premières soirées de Kool Herc, Grandmaster Flash ou Kool DJ AJ… Signe du destin, nous l’avions rencontré pour la première fois en 2010 à Harlem, territoire anciennement placé sous son autorité alors qu’il en était le chef au sein des Black Spades plus de trente ans auparavant. Nous avions rapidement compris à son contact l’intérêt historique que pourrait représenter son récit. Mais ce n’est que cette année que nous avons pu l’interviewer au moment de l’accueillir pour la première fois en France dans le cadre du festival « a change of direction » du Battle of the Year et de la célébration de notre 20ème anniversaire. Nous ne nous étions pas trompé, cet entretien restera comme un témoignage rare et inédit d’une époque où des membres de gangs massacraient déjà des trains alors que le hip hop n’existait pas encore. Nobel

DWT : Parles-nous de tes débuts dans le milieu des writers et par conséquent des débuts du graffiti à New York…
Lava 1&2 : J’ai commencé avec le graffiti en étant membre d’un gang de New York. Au début, nous étions une organisation dans la société. Nous étions éparpillés en plusieurs gangs pour la simple raison qu’on était très nombreux. En 1973, nous étions plus de 7 000 membres. Avec 400 gangs à travers les rues de New York City. J’ai commencé donc en taguant mon nom et mon territoire. En posant « Black Spades » et le nom qui va avec. Les gens savaient qui l’avait fait, vous voyez ce que je veux dire… Et puis un jour mon petit frère KOOL BREEZE a dit : « Yo, nous devons le faire sérieusement », car il était aussi membre des Black Spades. Il tapait déjà des trains. Il m’a dit : « Yo, pourquoi tu ne viendrais pas avec moi ? Je vais te présenter des writers». Je les ai donc rencontrés, il y en avait pleins et j’ai commencé à taguer avec eux à travers tout New York. Mon premier mentor était STAY HIGH 149. Je voulais être comme lui et faire tout ce qu’il faisait ou être comme TAKI 183 et JOE 182. Tous ces mecs étaient déjà super connus avant moi. Quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué ! Tout cela a commencé dans les débuts des années 1970. En 1972, j’étais déjà dans toute la ville.

Quand j’ai commencé à écrire dans la rue, je portais cela à un autre niveau, j’ai tout tué ! Tout cela a commencé dans les débuts des années 1970. En 1972, j’étais déjà dans toute la ville.

DWT : Sous quel nom sévis-tu dans ces moments-là ?
Lava 1&2 : J’ai d’abord utilisé mon nom dans le gang, STRAIGHTMAN, mais c’était tellement long à écrire sur les panneaux des trains que j’ai dû abréger le nom avec « SM1 ». Quand les gens voyaient le « 1 », ils savaient que cela venait de moi. Un jour mon frère et moi revenions de tagger vers 4 heures du matin, je voulais me débarrasser des bombes avant que ma mère les découvre. Mais elle acceptait en quelque sorte et pensait qu’elle ne pourrait pas nous empêcher de faire ce qu’on voulait. Elle nous disait : « Je m’en fous de ce que vous faites tant que vous êtes en sécurité et que vous ne vous faites pas prendre ». Elle soutenait à sa façon ce que nous faisions. J’avais plein d’encre sur moi, mon frère m’a dit alors : « va au magasin, il y a ce savon dont la marque est LAVA avec des petits grains dedans, les travailleurs l’utilisent car il retire tout ». Je suis revenu avec cette barre de savon, je me suis assis à coté de mon frère et je lui ai dit : «  Yo, mon frère, merde, ce truc a 4 lettres dans son nom, c’est super court et je le sens bien parce que le lettrage de la barre est en 3D avec un fond derrière ». Il m’a regardé et je lui ai dit : « Je vais rouler avec ce nom avant que quelqu’un me le prenne !» J’ai marché avec ce nom, personne d’autre ne l’avait pris. Pendant un moment, j’ai taggé LAVA 1 puis j’ai rajouté le 2 pour protéger le nom. A mon époque, beaucoup de writers prenait des noms en rajoutant un 2 comme PINKY 1&2 ou LITTLE ROCK 1&2. Pas mal de mecs commençaient à faire ce que je faisais, c’était une manière de bloquer ton nom avant qu’un autre l’utilise. Quelques années après, je m’en tapais que quelqu’un rajoute 3 ou 4, tout le monde savait qui était l’original.

Photos © Archives personnelles Lava 1&2

DWT : Tu taggais avec qui à cette époque ?
Lava 1&2 : Il y avait plein de groupes de frères avec qui je taggais comme BONANZA, KING COOL, SEX 143 mais aussi AJ 161 qui utilisait ADAM 12, STAFF 161, DYNAMITE 161. Il y avait beaucoup de frères engagés. BOX 707 est un frère qui a été tué par un train. Rest in peace. Tout le monde a sauté dans le train en bloquant les portes. Il a glissé et le train la broyé méchamment. J’ai beaucoup de potes writers qui ont été tués par des trains. On a fait ce qu’il fallait, ce n’était pas pour le style, c’était juste pour faire tourner nos noms partout. Un peu plus tard, au milieu des années 70, le artwork est devenu meilleur, les gens progressaient. Fin 70, début 80, de grands noms sont arrivés, comme COPE, T-KID et pleins d’autres. Ils rabaissaient notre travail avec leur style et on se disait : « mais merde, comment des mecs prennent autant de temps pour faire des pièces pareilles sur tout un train ? ».  J’ai arrêté le graffiti en 1975 parce que ma première femme a eu mon premier enfant. Il était temps pour moi de ramener de l’argent et de la bouffe sur la table. Taguer ne payait pas, j’ai dû laisser cette passion que j’aimais tant de côté. Jusqu’à aujourd’hui, je vis et je dors avec. Quand j’étais à la maison, cela me manquait terriblement. Dans le gang les gens pensaient même que j’étais mort. Un des premiers mecs qui m’a revu était TRACY 168 que j’ai croisé un jour dans le quartier de King Bridge. Il m’a dit : « il y a un gros événement à 5 Pointz ce week-end, tu devrais y aller ». J’y suis donc allé et tous les vieux loups du graffiti étaient là. Quand j’y ai mis les pieds, les mecs disaient : «  Oh ! ce mec me paraît familier ». Plus je m’approchais et plus nombreux étaient ceux qui me reconnaissaient : « Oh mais c’est STRAIGHTMAN ! ». Tous les vieux writers me connaissaient du début des années 70 sous le nom de « Straightman », seulement les plus jeunes me connaissaient sous le nom de LAVA 1&2. « Quoi de neuf fils ? On pensait que tu étais mort ? » (rires).

De grands noms sont arrivés, comme COPE, T-KID et pleins d’autres. Ils rabaissaient notre travail avec leur style et on se disait : « mais merde, comment des mecs prennent autant de temps pour faire des pièces pareilles sur tout un train ? ».

Lava 1&2 (Nîmes, juin 2013) Photo © Patricia Martinez aka OZ

DWT : Quelles étaient tes rapports avec les BLACK SPADES au moment de ton travail de writer ?
Lava 1&2 : J’ai toujours eu le soutien de leur part dans tout ce que j’ai fait. Ils ont toujours su qui j’étais et ce que je faisais pendant toutes ces années. Ils m’ont donné un nom connu dans la société partout dans le monde parce qu’il est mentionné dans plusieurs livres. Tous les livres de graffiti de notre époque parlent de moi.

Réalisation d’un mur commun par Lava 1&2 et JayOne (Paris, mai 2013) – Photo © Julien Grey

DWT : En 1971, à l’époque du meurtre de BLACK BENJY, Benjamin Cornell, chef de gang des GHETTO BROTHERS, as-tu participé aux réunions qui ont suivi pour instaurer la trêve ?
Lava 1&2 : Oui. Après sa mort, notre gang, BLACK SPADES, a effectivement participé à un grand meeting. Il a été dit que nous avions tué BENJY mais c’était le fait d’un membre d’un autre gang, les SEVEN IMMORTALS. BENJY venait des GHETTO BROTHERS. Les gars pensaient qu’on avait quelque chose à voir avec ça mais ceux qui pouvaient faire un truc pareil venaient des BLACK PEARLS ou des SEVEN IMMORTALS. Il y avait les SAVAGE NOMADS, les SAVAGE SKULLS ou les REAPERS en dehors du Bronx qui étaient aussi très connus. J’étais moi même un REAPERS avant de devenir un BLACK SPADES. Je les ai rejoint car mes deux jeunes frères étaient des BLACK SPADES. Cela paraissait suspect de changer de gang mais je n’ai eu aucun problème. Pour ce meeting, les anciens qui contrôlaient tout ça m’ont demandé de devenir « supreme commander » de tout Harlem. Ils m’ont demandé si je pouvais gérer ça. Je leur ai dis que j’allais essayer. L’année d’après, j’ai commandé tout Manhattan ! J’étais plus mature que mes frères. Je parlais bien. Ils se sont dits que je maîtrisais bien les choses. J’avais des BLACK SPADES à Harlem, dans le Lower East Side, à Spanish Harlem… j’ai ramené un grand nombre d’hispaniques dans les BLACK SPADES, car avant il y avait surtout des noirs. Au moment de la création de ce gang, c’était plus un truc de noirs. Avec mes frères, nous étions très peu d’hispaniques dans le gang. A Lower East Side, il y a même eu des BLACK SPADES blancs et chinois !

Phase 2 et Lava1&2 – Photo © Archive personnelle Lava

DWT : Quel était le rôle de la Zulu Nation à cette époque ?
Lava 1&2 : Elle a commencé sous le nom de L’Organisation. L’idée d‘Afrika Bambaataa était d’apporter la paix à tous. J’étais déjà en dehors des gangs à ce moment là. Bambaataa cherchait des mecs qui avaient des connaissances tels que les DJ’s, MC’s, danseurs ou peintres. Il a pris tous ces éléments pour en faire le hip hop. C’est de là que vient cette culture. Il en est l’un des créateurs, l’un des pères avec DJ KOOL HERC. D’une certaine manière, je les ai rejoint car j’étais l’un de ceux, avec Phase 2, qui réalisaient les flyers des soirées des années 70 et du début 80. Je suis devenu un promoteur de soirées. J’ai contribué en partie à l’émergence du hip hop. C’est pourquoi je suis entouré par tous les éléments. J’étais là depuis le premier jour.

Flyer par Lava1&2 (1979) – © Archive personnelle Lava

DWT : Le graffiti te paraît loin maintenant ou est-ce toujours d’actualité pour toi ?
Lava 1&2 : Je suis toujours actif. A la différence que je ne peins maintenant que sur des supports autorisés, plus rien d’illégal.

DWT : Tu es aujourd’hui parmi nous, pour la première fois à Paris, que ressens-tu ?
Lava 1&2 : Etre ici est un plaisir. Si je n’avais pas été oublié si longtemps par mes confrères, je serai probablement venu bien avant (rires). L’opportunité est venue maintenant que je suis vieux. La France est un beau pays de ce que j’ai pu voir. Je ne vois rien de mauvais, j’ai visité beaucoup d’endroits aux U.S.A. et à Puerto Rico, c’est quelque chose de très différent pour moi. Je ne suis jamais venu en Europe et j’apprécie donc d’être ici, merci surtout à ceux qui m’ont permis d’être là. Représente Paris !

DWT : Quelques conseils donnerais-tu aux jeunes graffeurs qui arrivent ?
Lava 1&2 : Tout ce que je peux dire à ces jeunes gens, c’est de préserver la culture. Nous avons un proverbe chez les BLACK SPADES : « On ne meurt pas, on se multiplie ». Si c’est ce que vous aimez faire, continuez. Faites au mieux, cela vous préservera de la négativité de la rue. C’est maintenant une forme d’art alors qu’avant c’était vu comme du vandalisme. Le graffiti c’est un nom trash, je n’aime pas utiliser ce nom. C’est un terme qui nous a été donné par la société pour rabaisser notre travail. Entre nous on parle d’écriture, « writers », c’est le mot que les old timers utilisent. Peace !

Propos recueillis le 31 mai 2013 par Fati et FLo – Remerciement particulier à Monsieur Mamba.

Différentes vibes (Paris, mai 2013) – Photos © Julien Grey

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