Mathieu Kassovitz, do the right film (2/2)
Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. (…) Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.
Suite et fin de l’interview de Mathieu Kassovitz, réalisée sur la principale thématique du hip hop. Le personnage étant ce qu’il est, c’est un avis tranché qui se présente sous vos yeux… Et qui ne concerne pas que le hip hop… (retrouvez ici la première partie)
Deuxième
partie
Down With This : Aujourd’hui, pour reprendre une de tes déclarations en 2012 sur le cinéma français, irais-tu jusqu’à dire que le rap français, comme pour les films français, c’est de la « merde » ?
Mathieu Kassovitz : Non, je pense que c’est mortel le rap. Il y a des mecs mortels qui sortent, que se soit Oxmo, Booba, Rohff… Les plus jeunes ne sont pas forcément à mon goût. Il y a des trucs durs et des trucs mortels. En entraînement, à la boxe, quand tu mets des morceaux qui partent en guerre, avec les lyrics, le flow, tu sautes en l’air, c’est mortel ! Pareil quand tu les mets dans la voiture. J’étais un des premiers à avoir un boomin’ system à Paris. J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui et ce n’est pas lui qui va faire du mal à la jeunesse mais TF1, le gouvernement, Sarkozy, l’injustice et les rêves brisés des gosses ! Ce qui fait du mal à la jeunesse, c’est les bavures policières. Booba libère la jeunesse. Je ne suis pas hors la loi lorsque je chante « nique ta mère, je vais tuer tout le monde ». Je ne suis pas un voyou, je chante. Les mecs qui chantent des chansons d’amour ne sont pas amoureux. Booba a compris exactement ce qu’est le hip hop et il a de la chance d’être dans ce qu’il aime. Comme Luc Besson qui a un cinéma particulier, qui correspond exactement au public. Il va plus loin car il sait que le public en veut plus. Tu veux plus de bras ? J’ai plus de bras ! Tu veux des tatouages ? J’ai plus de tatouages ! Tu veux que je sois plus violent ? Je suis plus violent ! Erick Sermon n’est pas une flèche. Éric B & Rakim non plus. Écoutez bien les lyrics de Booba. Dans la société d’aujourd’hui, dire à des enfants qu’elle est « une chienne donc je lui nique sa mère », ça ne me pose pas de problème. Je préfère ça que de dire que le Père Noël existe ou que 82% des femmes ne mangeront pas de riz.
J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui.
DWT : Les événements du 11 septembre 2001 on suscité chez toi pas mal d’interrogations. Dans le même genre, as-tu déjà entendu parler de la théorie du complot concernant le hip hop ?
Mathieu Kassovitz : (Rires) Que le hip hop est tenu par les juifs de maisons de disques ? Je ne crois vraiment pas en des trucs comme ça. Si il n’y a pas de preuves, ce n’est que de la merde. Les conneries qu’on sort sur ce complot concernant le hip hop et sur les illuminatis, tant qu’il n’y a pas de preuve, ce n’est que de la connerie. Il y a des livres sur tout, même sur « comment guérir le cancer en mangeant des œufs ». Je suis un cartésien-scientifique-ingénieur dans l’âme. Je veux bien croire à tous les trucs mais je sais, et je suis sur, que les gens qui peuvent ouvrir leur gueule aujourd’hui comme Mathias Cassel ou moi sont des gens qui ne peuvent pas faire de mal. S’ils nous laissent tranquille, c’est qu’on sert à canaliser certains énervements, à droite comme à gauche. Les gens qui font vraiment du mal sont condamnés à mort. Les rigolos comme nous, qui lèvent le bras sur facebook pour gueuler, personne n’en a rien à foutre. Ils en sont même très contents car il y a un besoin de contestation, comme ils sont très contents d’avoir des manifestations. Si le FBI a créé le hip hop, j’espère qu’ils ont pris 10% ! (rires). Ils ont soutenu Puff Daddy ? Alors ils sont plus riches que nous ! Ils n’ont rien fait du tout, ils ne sont pas assez intelligents pour créer quoi que ce soit. Qu’on me montre des preuves et après on en reparlera. Ça me parait ridicule. Je pense plutôt que la conspiration est sur Britney Spears. Je pense qu’il y a une conspiration mondiale sur l’ensemble de l’industrie qui dit par exemple : « il faut que Britney Spears vende des disques » car cela rend suffisamment les gens idiots. Si Britney Spears ne fonctionne pas, internet ne fonctionne pas, iTunes ne fonctionne pas et Apple ne vend plus rien.
DWT : Pour quelles raisons as-tu récemment pris position contre Dieudonné et Alain Soral ?
Mathieu Kassovitz : Soral est un XXX (ndlr : insulte dure à entendre en 7 lettres). C’est comme les rebeus qui vendaient de la drogue et qui maintenant sont les plus musulmans des musulmans. Ce sont des mecs qui ont été extrême gauche et qui sont maintenant d’extrême droite. Je ne sais pas, il était d’extrême gauche et il a du se faire taper par trois arabes et il a pété un câble. Je ne sais pas quel est leur problème à ces gens-là. Il ne m’intéresse pas et il ne représente que 200 personnes en France. Il ne faut pas leur donner de voix. Je me suis énervé sur facebook et j’ai immédiatement enlevé mes trucs. Je me suis dit ça ne sert à rien car ils ne servent à rien. Ils sont là exactement comme Nabila est là, parce que nous leur permettons d’être là. Pourquoi croyez-vous qu’ils laissent passer des conneries comme ça ? Ils se rendent compte qu’il y a du bizness derrière. Au début, ils font ça pour choquer. On a l’impression qu’ils sont 20 000 dans leur petite cour parce qu’il y a 450 000 personnes qui les like sur facebook alors qu’ils sont 200. Ils se prennent pour des dieux alors que cela concerne 200 fanatiques. Quand je balançais des trucs sur twitter j’avais 50 000 commentaires qui disaient « c’est super ». Quand j’y ai regardé de plus près, je me suis aperçu que c’était les 50 mêmes personnes à chaque fois. J’ai fermé mon compte, tu ne fais pas prendre conscience aux gens avec ça. Tu te rassures juste toi même que tu as raison parce que tu aura toujours les mêmes 50 connards qui vont dire que tu as raison. Donc, ces gens-là sont dans ce truc. Laissons-les juste dans leur vie. Il y a des groupes de néo-nazi partout. Ils sont 5, 10, laissons les faire. Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent.
DWT : Comment perçois-tu toi l’image de la culture hip hop dans les films du collectif Kourtrajmé avec notamment Kim Chapiron et Romain Gavras à la réalisation ?
Mathieu Kassovitz : Eux, ce n’est pas le hip hop. Ils ont transcendé le truc encore. Kim était mon voisin du dessous. Je le connais depuis qu’il a 5 ou 6 ans. C’était un artiste depuis le début. Kim n’est pas dans le hip hop du tout. Romain Gavras n’est pas hip hop du tout. Excusez moi mais ce sont des enfants de La Haine ! Il le revendique et j’en suis super fier. Quand Kim fait des clips pour Oxmo, c’est la vision du rap et l’image d’Oxmo.
DWT : Quelles ont été tes motivations pour accepter le tournage du clip XY de Kery James en 2008, qui sera d’ailleurs interdit au moins de 18 ans ?
Mathieu Kassovitz : Pour moi, dans le clip de Kery, je me suis dit qu’il y avait un challenge cinématographique à faire. Quand tu as un mec qui dit une phrase à l’endroit mais qui raconte l’histoire à l’envers, tu dois raconter l’histoire à l’envers en faisant que tout se synchronise parfaitement, en respectant avec quatre moments forts. C’est un exercice de style dont je suis super fier. Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel ! Pour en revenir à Kourtrajmé, je ne pense pas que Kim et Romain aient envie de s’encanailler. Ils ont vu que les canailles sont des mecs cool. Ils ont repéré les cools chez les canailles et ils ont mis le fun là-dedans. Je trouve ça mortel. Je préfère le clip de Bagel City Gang parce que je me dis « quoi ? mais vous devriez être tous être en prison là » (rires). Parce que c’est hardcore et que ça représente plus ma culture. Mais quand je vois leurs trucs et l’ambiance, je trouve ça mortel. Je suis moins d’accord avec les trucs de Justice. Le premier avec les mômes était pas mal. Quand ça se répète avec Jay Z, à vouloir lancer de cocktails Molotov sans savoir pourquoi… Il faut avoir une raison pour balancer des cocktails Molotov. Est ce que le jour où il faudra en balancer pour de vrai, est-ce que vous serez dans la rue ? C’est ça le hip hop, c’est que tu ouvres ta gueule et que tu ne balnav’ pas par derrière. Pas parce que tu parles mal d’un mec ou que tu veux te venger de quelqu’un mais quand il y a un problème social, tu représentes les tiens.
Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel !
DWT : Tu pourrais réaliser des clips pour Booba ?
Mathieu Kassovitz : Ah ouais, j’adorerais mais il a Chris Macari (ndlr : réalisateur) derrière. C’est mortel. Ils ont tout compris. Ils font des clips pour des clopinettes qui défoncent tout le monde. Ils sont dans tous les styles. Les mecs sont de gros bosseurs. Tu ne peux rien dire sur cette équipe. Ils sont tous bons dans leur domaine.
DWT : Tu ne postes pas énormément de choses sur les réseaux sociaux mais on peut y voir des images d’un ticket de spectacle pour Big Daddy Kane ou un visuel de Rick Ross, comme quoi cela t’intéresse toujours…
Mathieu Kassovitz : Un gars comme Big Daddy Kane, je l’ai vu à Los Angeles avec Franck Chevalier, l’ancien manager de NTM, qui avait fait les soirées Zoopsie à Bobino. Rick Ross, c’est pour Black Bar Mitzvah, c’est mortel. Tu sors la même chose en France, c’est un scandale partout. Là-bas, c’est passé inaperçu. Ils rigolent, tout le monde s’en fout. Rick Ross sur ce truc là, il va loin. C’est un ancien gardien de prison et il le dit d’ailleurs « mais pourquoi vous êtes fâchés contre moi ? Il faut bien que je me fasse du blé ». J’ai rencontré le patron de la prison Rickers Island avec JR le photographe. Il s’occupe de tous les juvéniles. Le mec est un ancien tagueur de 1978, il fait partie des anciens tagueurs du Bronx. Tous ses surveillants sont aussi d’anciens tagueurs. On était ensemble dans la rue, il y avait un vieux frigo et le mec sort un marker ! On va dans sa voiture de police et le mec met à fond du son hip hop old School, la sirène et on trace ! (rires). C’était il y a 6 mois.
DWT : Les « personnalités » issues de la communauté juive dans le hip hop en France sont toujours très prudentes dans leurs déclarations au sujet du mouvement. Comment expliques-tu ce positionnement ?
Mathieu Kassovitz : Je suis juif pour les blagues. L’histoire de juifs, musulmans, machin, j’en entends parler depuis 5 ans. J’ai toujours traîné avec des musulmans, d’ailleurs ce n’était pas des musulmans mais des arabes. Je ne me posais pas la question. Il y avait les Chinois, les arabes, les portugais, y avait deux sortes de renois et on s’en foutait. On ne s’est jamais posé la question. C’est ça qui était intéressant dans le hip hop. Tu rencontrais des gens qui n’avait rien à foutre là et qui sont devenus des gens connus. Au début, c’était une bande de petits jeunes qui étaient curieux.
DWT : Tu ne regrettes pas de ne pas avoir joué le rôle de Vince dans La Haine ? Ta carrière aurait peut-être pris une toute autre dimension…
Mathieu Kassovitz : C’est le réalisateur qui m’a attribué le rôle (rires). Je vais vous dire un truc, c’est moi qui aurait du faire le rôle de Vincent Cassel. C’est logique, c’est moi qui avait joué dans mon premier film, Métisse. Vincent me l’a dit lui même pendant la prépa du film « mais pourquoi tu ne fais pas le rôle ? ». Parce que je vais avoir assez de choses à faire de mon côté ! C’est des films controverses donc j’aime bien que les gens se posent des questions. Ce n’est pas que je veux faire chier le monde mais j’aime bien que les gens ne soient pas « confortables ». C’est pour ça qu’après, je n’ai pas fait La Haine 2. J’ai fait Assassin(s) parce qu’ils m’avaient tous embrassé comme étant le nouveau génie du cinéma français. Quand Assassin(s) est sorti ma première critique était « le plus mauvais film de l’histoire du cinéma ». Pourtant j’en étais très fier. Assassin avec un S à la fin, ce qui fait la différence (rires). Dans Métisse, j’avais une idée de l’influence pour le personnage que Vincent Cassel allait interpréter : Chino ! (ndlr : et là encore, pour certains, vous vous dîtes : mais qui est Chino !). Vincent a le 4×4 de Chino, le tatouage de Chino, il avait pris 10 kilos pour faire comme Chino. Et je lui avais dit de faire comme Chino. Mais c’était avant que Chino soit Chino. C’était encore un français. (rires) Pour moi, Chino était un héros. Quand on était au Diable des Lombards, il arrivait avec une copine dans un Jeep Cherokee avec les pneus qui ressortaient, des reposes pieds ! Je ne sais pas comment il arrivait à rentrer dans Les Halles pour se garer à côté du Diable des Lombards ! J’ai toujours voulu refaire cette image de lui au moment de sortir de sa voiture avec sa copine et son pit tout carré. Les quatre, avec la voiture parce que je la considère comme une personne, au ralenti, c’était dingue !
DWT : Comment regardes-tu ton parcours après toutes ces expériences ?
Mathieu Kassovitz : Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. Je suis très content, je suis super heureux. Quand je vois les mômes aujourd’hui, je suis super content d’avoir vécu ça. Ça m’a construit de A à Z. Je me demande avec quoi les mômes d’aujourd’hui se construisent, car à part avec de la MD ou l’alcool à 12 ans avant d’aller en cours… Ils sont stressés et savent que ça va être la merde partout. Aujourd’hui, j’ai 46 ans, je vois que de l’époque, on est plein et que Sear est encore là (rires). J’ai même vu une photo où il est en train de signer 4 bouquins, aux puces je crois (rires). Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.