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assassin

Mathieu Kassovitz, do the right film (2/2)

Interviews
assassin, Kassovitz, Sear

Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. (…) Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.

 

Suite et fin de l’interview de Mathieu Kassovitz, réalisée sur la principale thématique du hip hop. Le personnage étant ce qu’il est, c’est un avis tranché qui se présente sous vos yeux… Et qui ne concerne pas que le hip hop… (retrouvez ici la première partie)

Deuxième
partie

Down With This : Aujourd’hui, pour reprendre une de tes déclarations en 2012 sur le cinéma français, irais-tu jusqu’à dire que le rap français, comme pour les films français, c’est de la « merde » ?
Mathieu Kassovitz : Non, je pense que c’est mortel le rap. Il y a des mecs mortels qui sortent, que se soit Oxmo, Booba, Rohff…  Les plus jeunes ne sont pas forcément à mon goût. Il y a des trucs durs et des trucs mortels. En entraînement, à la boxe, quand tu mets des morceaux qui partent en guerre, avec les lyrics, le flow, tu sautes en l’air, c’est mortel ! Pareil quand tu les mets dans la voiture. J’étais un des premiers à avoir un boomin’ system à Paris. J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui et ce n’est pas lui qui va faire du mal à la jeunesse mais TF1, le gouvernement, Sarkozy, l’injustice et les rêves brisés des gosses ! Ce qui fait du mal à la jeunesse, c’est les bavures policières. Booba libère la jeunesse. Je ne suis pas hors la loi lorsque je chante « nique ta mère, je vais tuer tout le monde ». Je ne suis pas un voyou, je chante. Les mecs qui chantent des chansons d’amour ne sont pas amoureux. Booba a compris exactement ce qu’est le hip hop et il a de la chance d’être dans ce qu’il aime. Comme Luc Besson qui a un cinéma particulier, qui correspond exactement au public. Il va plus loin car il sait que le public en veut plus. Tu veux plus de bras ? J’ai plus de bras ! Tu veux des tatouages ? J’ai plus de tatouages ! Tu veux que je sois plus violent ? Je suis plus violent ! Erick Sermon n’est pas une flèche. Éric B & Rakim non plus. Écoutez bien les lyrics de Booba. Dans la société d’aujourd’hui, dire à des enfants qu’elle est « une chienne donc je lui nique sa mère », ça ne me pose pas de problème. Je préfère ça que de dire que le Père Noël existe ou que 82% des femmes ne mangeront pas de riz.

J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui.

DWT : Les événements du 11 septembre 2001 on suscité chez toi pas mal d’interrogations. Dans le même genre, as-tu déjà entendu parler de la théorie du complot concernant le hip hop ?
Mathieu Kassovitz : (Rires) Que le hip hop est tenu par les juifs de maisons de disques ? Je ne crois vraiment pas en des trucs comme ça. Si il n’y a pas de preuves, ce n’est que de la merde. Les conneries qu’on sort sur ce complot concernant le hip hop et sur les illuminatis, tant qu’il n’y a pas de preuve, ce n’est que de la connerie. Il y a des livres sur tout, même sur « comment guérir le cancer en mangeant des œufs ». Je suis un cartésien-scientifique-ingénieur dans l’âme. Je veux bien croire à tous les trucs mais je sais, et je suis sur, que les gens qui peuvent ouvrir leur gueule aujourd’hui comme Mathias Cassel ou moi sont des gens qui ne peuvent pas faire de mal. S’ils nous laissent tranquille, c’est qu’on sert à canaliser certains énervements, à droite comme à gauche. Les gens qui font vraiment du mal sont condamnés à mort. Les rigolos comme nous, qui lèvent le bras sur facebook pour gueuler, personne n’en a rien à foutre. Ils en sont même très contents car il y a un besoin de contestation, comme ils sont très contents d’avoir des manifestations. Si le FBI a créé le hip hop, j’espère qu’ils ont pris 10% ! (rires). Ils ont soutenu Puff Daddy ? Alors ils sont plus riches que nous ! Ils n’ont rien fait du tout, ils ne sont pas assez intelligents pour créer quoi que ce soit. Qu’on me montre des preuves et après on en reparlera. Ça me parait ridicule. Je pense plutôt que la conspiration est sur Britney Spears. Je pense qu’il y a une conspiration mondiale sur l’ensemble de l’industrie qui dit par exemple : « il faut que Britney Spears vende des disques » car cela rend suffisamment les gens idiots. Si Britney Spears ne fonctionne pas, internet ne fonctionne pas, iTunes ne fonctionne pas et Apple ne vend plus rien.

DWT : Pour quelles raisons as-tu récemment pris position contre Dieudonné et Alain Soral ?
Mathieu Kassovitz : Soral est un XXX (ndlr : insulte dure à entendre en 7 lettres). C’est comme les rebeus qui vendaient de la drogue et qui maintenant sont les plus musulmans des musulmans. Ce sont des mecs qui ont été extrême gauche et qui sont maintenant d’extrême droite. Je ne sais pas, il était d’extrême gauche et il a du se faire taper par trois arabes et il a pété un câble. Je ne sais pas quel est leur problème à ces gens-là. Il ne m’intéresse pas et il ne représente que 200 personnes en France. Il ne faut pas leur donner de voix. Je me suis énervé sur facebook et j’ai immédiatement enlevé mes trucs. Je me suis dit ça ne sert à rien car ils ne servent à rien. Ils sont là exactement comme Nabila est là, parce que nous leur permettons d’être là. Pourquoi croyez-vous qu’ils laissent passer des conneries comme ça ? Ils se rendent compte qu’il y a du bizness derrière. Au début, ils font ça pour choquer. On a l’impression qu’ils sont 20 000 dans leur petite cour parce qu’il y a 450 000 personnes qui les like sur facebook alors qu’ils sont 200. Ils se prennent pour des dieux alors que cela concerne 200 fanatiques. Quand je balançais des trucs sur twitter j’avais 50 000 commentaires qui disaient « c’est super ». Quand j’y ai regardé de plus près, je me suis aperçu que c’était les 50 mêmes personnes à chaque fois. J’ai fermé mon compte, tu ne fais pas prendre conscience aux gens avec ça. Tu te rassures juste toi même que tu as raison parce que tu aura toujours les mêmes 50 connards qui vont dire que tu as raison. Donc, ces gens-là sont dans ce truc. Laissons-les juste dans leur vie. Il y a des groupes de néo-nazi partout. Ils sont 5, 10, laissons les faire. Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent.

DWT : Comment perçois-tu toi l’image de la culture hip hop dans les films du collectif Kourtrajmé avec notamment Kim Chapiron et Romain Gavras à la réalisation ?
Mathieu Kassovitz : Eux, ce n’est pas le hip hop. Ils ont transcendé le truc encore. Kim était mon voisin du dessous. Je le connais depuis qu’il a 5 ou 6 ans. C’était un artiste depuis le début. Kim n’est pas dans le hip hop du tout. Romain Gavras n’est pas hip hop du tout. Excusez moi mais ce sont des enfants de La Haine ! Il le revendique et j’en suis super fier. Quand Kim fait des clips pour Oxmo, c’est la vision du rap et l’image d’Oxmo.

DWT : Quelles ont été tes motivations pour accepter le tournage du  clip XY de Kery James en 2008, qui sera d’ailleurs interdit au moins de 18 ans ?
Mathieu Kassovitz : Pour moi, dans le clip de Kery, je me suis dit qu’il y avait un challenge cinématographique à faire. Quand tu as un mec qui dit une phrase à l’endroit mais qui raconte l’histoire à l’envers, tu dois raconter l’histoire à l’envers en faisant que tout se synchronise parfaitement, en respectant avec quatre moments forts. C’est un exercice de style dont je suis super fier. Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel ! Pour en revenir à Kourtrajmé, je ne pense pas que Kim et Romain aient envie de s’encanailler. Ils ont vu que les canailles sont des mecs cool. Ils ont repéré les cools chez les canailles et ils ont mis le fun là-dedans. Je trouve ça mortel. Je préfère le clip de Bagel City Gang parce que je me dis « quoi ? mais vous devriez être tous être en prison là » (rires). Parce que c’est hardcore et que ça représente plus ma culture. Mais quand je vois leurs trucs et l’ambiance, je trouve ça mortel. Je suis moins d’accord avec les trucs de Justice. Le premier avec les mômes était pas mal. Quand ça se répète avec Jay Z, à vouloir lancer de cocktails Molotov sans savoir pourquoi… Il faut avoir une raison pour balancer des cocktails Molotov. Est ce que le jour où il faudra en balancer pour de vrai, est-ce que vous serez dans la rue ? C’est ça le hip hop, c’est que tu ouvres ta gueule et que tu ne balnav’ pas par derrière. Pas parce que tu parles mal d’un mec ou que tu veux te venger de quelqu’un mais quand il y a un problème social, tu représentes les tiens.

Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel !

DWT : Tu pourrais réaliser des clips pour Booba ?
Mathieu Kassovitz : Ah ouais, j’adorerais mais il a Chris Macari (ndlr : réalisateur) derrière. C’est mortel. Ils ont tout compris. Ils font des clips pour des clopinettes qui défoncent tout le monde. Ils sont dans tous les styles. Les mecs sont de gros bosseurs. Tu ne peux rien dire sur cette équipe. Ils sont tous bons dans leur domaine.

DWT : Tu ne postes pas énormément de choses sur les réseaux sociaux mais on peut y voir des images d’un ticket de spectacle pour Big Daddy Kane ou un visuel de Rick Ross, comme quoi cela t’intéresse toujours…
Mathieu Kassovitz : Un gars comme Big Daddy Kane, je l’ai vu à Los Angeles avec Franck Chevalier, l’ancien manager de NTM, qui avait fait les soirées Zoopsie à Bobino. Rick Ross, c’est pour Black Bar Mitzvah, c’est mortel. Tu sors la même chose en France, c’est un scandale partout. Là-bas, c’est passé inaperçu. Ils rigolent, tout le monde s’en fout. Rick Ross sur ce truc là, il va loin. C’est un ancien gardien de prison et il le dit d’ailleurs « mais pourquoi vous êtes fâchés contre moi ? Il faut bien que je me fasse du blé ». J’ai rencontré le patron de la prison Rickers Island avec JR le photographe. Il s’occupe de tous les juvéniles. Le mec est un ancien tagueur de 1978, il fait partie des anciens tagueurs du Bronx. Tous ses surveillants sont aussi d’anciens tagueurs. On était ensemble dans la rue, il y avait un vieux frigo et le mec sort un marker ! On va dans sa voiture de police et le mec met à fond du son hip hop old School, la sirène et on trace ! (rires). C’était il y a 6 mois.

DWT : Les « personnalités » issues de la communauté juive dans le hip hop en France sont toujours très prudentes dans leurs déclarations au sujet du mouvement. Comment expliques-tu ce positionnement ?
Mathieu Kassovitz : Je suis juif pour les blagues. L’histoire de juifs, musulmans, machin, j’en entends parler depuis 5 ans. J’ai toujours traîné avec des musulmans, d’ailleurs ce n’était pas des musulmans mais des arabes. Je ne me posais pas la question. Il y avait les Chinois, les arabes, les portugais, y avait deux sortes de renois et on s’en foutait. On ne s’est jamais posé la question. C’est ça qui était intéressant dans le hip hop. Tu rencontrais des gens qui n’avait rien à foutre là et qui sont devenus des gens connus. Au début, c’était une bande de petits jeunes qui étaient curieux.

DWT : Tu ne regrettes pas de ne pas avoir joué le rôle de Vince dans La Haine ? Ta carrière aurait peut-être pris une toute autre dimension…
Mathieu Kassovitz : C’est le réalisateur qui m’a attribué le rôle (rires). Je vais vous dire un truc, c’est moi qui aurait du faire le rôle de Vincent Cassel. C’est logique, c’est moi qui avait joué dans mon premier film, Métisse. Vincent me l’a dit lui même pendant la prépa du film « mais pourquoi tu ne fais pas le rôle ? ». Parce que je vais avoir assez de choses à faire de mon côté ! C’est des films controverses donc j’aime bien que les gens se posent des questions. Ce n’est pas que je veux faire chier le monde mais j’aime bien que les gens ne soient pas « confortables ». C’est pour ça qu’après, je n’ai pas fait La Haine 2. J’ai fait Assassin(s) parce qu’ils m’avaient tous embrassé comme étant le nouveau génie du cinéma français. Quand Assassin(s) est sorti ma première critique était « le plus mauvais film de l’histoire du cinéma ». Pourtant j’en étais très fier. Assassin avec un S à la fin, ce qui fait la différence (rires). Dans Métisse, j’avais une idée de l’influence pour le personnage que Vincent Cassel allait interpréter : Chino ! (ndlr : et là encore, pour certains, vous vous dîtes : mais qui est Chino !). Vincent a le 4×4 de Chino, le tatouage de Chino, il avait pris 10 kilos pour faire comme Chino. Et je lui avais dit de faire comme Chino. Mais c’était avant que Chino soit Chino. C’était encore un français. (rires) Pour moi, Chino était un héros. Quand on était au Diable des Lombards, il arrivait avec une copine dans un Jeep Cherokee avec les pneus qui ressortaient, des reposes pieds ! Je ne sais pas comment il arrivait à rentrer dans Les Halles pour se garer à côté du Diable des Lombards ! J’ai toujours voulu refaire cette image de lui au moment de sortir de sa voiture avec sa copine et son pit tout carré. Les quatre, avec la voiture parce que je la considère comme une personne, au ralenti, c’était dingue !

DWT : Comment regardes-tu ton parcours après toutes ces expériences ?
Mathieu Kassovitz : Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. Je suis très content, je suis super heureux. Quand je vois les mômes aujourd’hui, je suis super content d’avoir vécu ça. Ça m’a construit de A à Z. Je me demande avec quoi les mômes d’aujourd’hui se construisent, car à part avec de la MD ou l’alcool à 12 ans avant d’aller en cours… Ils sont stressés et savent que ça va être la merde partout. Aujourd’hui, j’ai 46 ans, je vois que de l’époque, on est plein et que Sear est encore là (rires). J’ai même vu une photo où il est en train de signer 4 bouquins, aux puces je crois (rires). Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.

Mathieu Kassovitz, do the right film (1/2)

Interviews
assassin, Kassovitz, Sear

Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement.

« Je ne te répondais pas parce que je ne voulais pas te dire non ». C’est connu, Mathieu Kassovitz n’est pas un grand fan des interviews. Il les distille avec parcimonie mais a accepté de nous recevoir chez lui, sur place, sur son territoire… « Rentrez, je suis pressé et je sais que ça va durer des plombes. Vous voulez qu’on parle hip hop ? Alors allez-y, on enchaîne ». Vingt ans après la sortie du film La Haine qu’il a réalisé, on en avait accumulé des questions. Suffisamment pour que ça dure des plombes. En plein festival de Cannes, vous monterez les marches du hip hop accompagné de Mathieu Kassovitz. Le réalisateur n’a pas accepté de prendre la pose, seul un paparazzi connu dans le milieu du hip hop, Alain Garnier, a réussi un cliché volé. La première partie de l’interview qui suit sera en compétition avec la suivante et sera diffusée le 22 mai. Tous deux seront certainement nominées pour la Palme hip hop de l’interview !
Première
partie

Down With This : Dans quel environnement familial et social grandis-tu ?
Mathieu Kassovitz : Mon père est arrivé en France en 1956 de Hongrie. Il est juif hongrois. Ma mère fait partie des prolétaires français de la région de Reims. Ils se sont rencontrés à Paris à l’époque où Jean Paul Sartre était au café Flore, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. Cela remplissait le côté intellectuel dont ils avaient besoin pour différentes raisons. C’était des parisiens atypiques qui n’avaient pas envie de vivre dans un appartement normal, ni supporter de vivre dans une cage en banlieue, ni assez d’argent pour s’acheter un truc dans le 16ème. Petit, j’ai donc vécu dans un énorme atelier d’artiste dans le 11ème ou le 20ème. Cela faisait 150m2 d’un seul tenant avec 7m de hauteur sous plafond, c’était hyper impressionnant mais il n’y avait pas de chauffage, des souris, c’était l’horreur. Ils ont découvert la France à une époque où elle était un lieu privilégié et multiculturel.

DWT : Quel est ton premier contact avec la culture hip hop ?
Mathieu Kassovitz : A 10 ans, mes parents m’ont fait écouter Bobby La Pointe, puis Brel. Mais ce n’était pas trop mon truc, trop adulte. Bobby La Pointe, c’était mortel, ça m’a amené aux textes.Mes parents (ndlr : père réalisateur et mère monteuse vidéo) ont découvert le jazz des années 1960. Mon père a rencontré, et a eu comme meilleur ami, Melvin Van Peebles par exemple. En parallèle, il y avait le rockabilly avec Billy Aley et les Comets. Mon film préféré, c’était American Graffiti avec sa bande son. Tout cela m’a amené au punk super rapidement. J’étais allé dans la foulée à un concert des Sex Pistols avec un ami dont le frère a joué dans Guernica, un groupe pas mal connu de l’époque Béruriers Noirs. J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls. Mais déjà avant, The Clash m’avait emmené au ska, le reggae, le toast qui t’emmène au hip hop. C’était en fait assez proche tout ça. Même The Clash avait fait appel à Futura 2000…

J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls.

DWT : Gardes-tu en tête les souvenirs déterminants qui t’ont fait accrocher au hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Les mecs, j’ai LE souvenir hip hop ! Mon père m’avait emmené à New York. Quand on est arrivé, c’était dramatique. Le pote que mon père était venu voir était sous héroïne. On s’est donc retrouvé le soir, à la rue puis dans des hôtels de merde car mes parents n’avaient pas assez d’argent. Un jour, je suis tombé sur une petite affichette pour la sortie du film Wild Style et je me suis dit : « qu’est ce que c’est que ce truc ?! ». Je suis allé direct sur la 42ème rue, dans la seule salle qui le passait. J’avais 16 ans, j’étais le seul blanc et il y avait tous les mecs du film dans la salle ! Fab Five Freddy, les Rock Steady Crew… ! A chaque fois qu’ils apparaissaient à l’écran, ils se levaient devant tout le monde ! Je connaissais déjà un peu le hip hop mais à ce moment, je me suis dit « ok, c’est bon, c’est quoi ce délire ?! ».

DWT : Cette « découverte » a t-elle suscité chez toi des références artistiques dans chaque discipline ?
Mathieu Kassovitz : Ma référence, c’est le hip hop en général. Il y en a tellement dans chaque domaine. Des mecs qui représentent le hip hop pour moi sont des potes dont les noms ne vous diront rien. Je ne vais pas vous dire Tupac, Biggie Small ou Eminem, je ne les connais pas. Je ne sais pas comment ils sont. Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement. Le graffiti a révolutionné l’illustration, les beat-makers ont révolutionné de A à Z la façon de faire du son. Plus que le Jazz a changé les choses.

DWT : Que représente pour toi la notion de hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Je me suis encore engueulé très fort l’autre jour presque jusqu’à me battre avec un mec pour lui dire que le hip hop a tellement apporté culturellement dans la conscience des gens que cette culture, quoiqu’il en pense, est présente à tous les niveaux dans le monde. J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun. C’était notre façon de fonctionner. On sortait en boîte, on ne fumait pas, on ne buvait pas, on ne draguait même pas. On sortait en boîte uniquement pour danser. Quand on vit comme ça, c’est une vraie culture qui nous dépasse. J’adorais dire que quand tu rentres sur une piste de danse, tu en sors moins con que quand tu y es rentré. C’est ça le hip hop pour moi. Danser sur des beat c’est « facile » mais arriver à faire prendre conscience d’un truc par une chanson tout en sautant en l’air, c’est ça qui est mortel. C’est comme aller voir un Chaplin, tu rigoles et en même temps, tu vas prendre une claque dans la gueule. Comme avec un bon Chuck D ou un bon EPMD, un bon flow et un mec qui a des bons lyrics. Même un Little Jon, il t’arrache la tête. Depuis le début du hip hop, sans parler des Last Poets, mais plutôt des Eric B and Rakim, Mc Shan, BDP, j’ai toujours halluciné. J’ai appris l’anglais pour ça. Pas pour comprendre Shakespeare mais Criminal Minded ou du Public Enemy ! Et à cette époque, quand tu commences à écouter et à comprendre, tu te dis non seulement les mecs sont bons en quatrain mais en plus, ils te sortent des choses que tu n’entends nulle part ailleurs ! Ça pour moi, c’était gagnant. Mes parents étaient des gens socialement actifs donc forcément c’est l’ensemble qui m’intéresse. Après le truc de dire qui est meilleur danseur que l’autre, je m’en bats les couilles. Maintenant tout ça ne veut plus rien dire. Il y a des jeunes de vingt ans qui font des écoles de hip hop. Je me souviens, un jour on se regardait et on se disait peut être qu’un jour il y aura des écoles de hip hop. C’est l’horreur. Je viens du Punk, le jour où on a vu des pantalons avec des épingles à nourrice en vente dans les magasins Prisunic, on s’est dit c’est fini. Pareil pour le hip hop, le jour où j’ai vu des baskets Troop arrivé en France. Ce qui était intéressant à l’époque, c’est qu’on allait chercher nos baskets dans les coins les plus improbables. J’avais des exclusivités qui venaient de Hongrie, les usines étaient en Europe de l’Est, il y avait des modèles qui n’arrivaient jamais ici. Il n’y avait pas de chaussures faites pour le hip hop, on fabriquait nos looks. C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…

J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun.(…) C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…

DWT : Fais-tu un rapprochement entre le développement du hip hop en France et la manière dont il s’est développé aux Etats-Unis avec ce côté « peace, unity, love »…
Mathieu Kassovitz : « Peace, unity, love and havin’ fun », c’est la Zulu Nation, pas le hip hop. Je pense que c’est le rattrapage positif d’un truc qui pouvait déjà se barrer en couilles. C’est des mecs de gang de New York qui ont lancé ce truc, le terme hip hop n’existait même pas. C’est eux qui l’ont inventé et qui le lancent avec un truc qui me rappelle ce qu’on a vécu en France. On a eu aussi eu cette période charnière avec NTM quand ils se sont créés et qu’on s’est posé la question 15 secondes de ce que voulait dire NTM : Nique Ta Mère ou le Nord Transmet le Message ? Rappelez-vous que la Zulu Nation s’est opposé au fait que ce groupe s’appelle Nique Ta Mère. Les NTM ont dit nique ta mère, on le fait quand même. Le moment charnière est de dire ok, on en a assez, nique ta mère. C’est ce qu’a fait N.W.A. aux États Unis. Moi je m’en fous, le mec peut être dealer du moment qu’il ne dit pas aux enfants de se droguer ou de dealer. J’espère qu’il dit de l’autre côté aux enfants de ne pas dealer. Il ne faut pas oublier non plus les paroles de Grand MasterFlash dans The Message, qui sont ultra violentes. C’est pour moi un grand morceau. Il y avait un truc positif dans le hip hop. Après tout ce qu’on avait vécu en 1986, avec l’affaire Malik Oussékine (ndlr : étudiant frappé à mort par plusieurs policiers), on n’avait plus envie de faire la fête. Il y avait ce besoin de justice pour moi et mes frères, un truc de base du hip hop : « no justice, no peace ». Il n’y avait pas de minorité à cette époque. On ne parlait pas en ces termes. C’était un mélange de plein de gens qui ont fait bien bouger les choses. Ça a changé de philosophie à partir de ces événements-là, à partir de 1988 et la déception du deuxième tour de Mitterrand, la répression de Pasqua et la ghettoïsation des gens. Les mecs ne pouvaient plus sortir sans que ça fasse une embrouille. C’est ce qui a fait que le hip hop est devenu plus agressif.

DWT : Tu signes ton introduction de réalisateur dans le milieu hip hop / reggae parisien avec notamment le clip de Tonton David « Peuples du monde » tourné en 1990. Pourquoi ce choix ?
Mathieu Kassovitz : Je faisais des courts-métrages, j’étais stagiaire chez Mondino, pour des clips. Depuis l’âge de 17 ans, j’étais là-dedans. J’avais réalisé un court-métrage en noir et blanc que je n’avais pas fini. Il était monté mais il manquait le son. Je cherchais 3000 francs pour le finir. Je suis allé voir tous les gens avec qui je travaillais, dans les boîtes de production, etc… On n’était pas beaucoup dans le hip hop à travailler dans la réalisation. Et puis je traînais avec Assassin, donc Assassin – Delabel, Delabel – IAM et IAM – Benny (ndlr : Benny Malapa, producteur du premier album d’IAM). Et de Benny, j’arrive sur Tonton David. Nous n’étions pas 50 à l’époque. C’était un tout petit monde. Dans le clip, il y a Chino, André, B. Love, Nuttea et tous les anciens du High Fight International. C’était un petit groupe. Après, si tu pars sur le ragga en France, c’était encore plus petit. Je connaissais Rockin’ Squat à travers le quartier, Ticaret, le terrain vague de La Chapelle, etc… J’allais au terrain au tout début. Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvé là-bas, c’était en rentrant de New York. J’y avais vu des tags de Boxer et Bando. J’ai suivi la trace et après j’ai vu les graffs. J’y suis allé quelques fois mais j’ai arrêté parce que j’ai eu une embrouille avec des mecs qui n’avaient rien à foutre là. Je ne me suis pas fait agressé mais j’ai flippé parce que j’étais tout seul. J’ai eu du mal à y retourner. J’y suis un peu retourné après quand il y avait les fêtes et puis j’étais à Ticaret tout le temps.

DWT : Te souviens-tu de la captation de concert d’Assassin que tu avais « réalisé » en 1993 à l’Olympia ?
Mathieu Kassovitz : Ouais. Je me souviens mais je fais du cinéma, je ne suis pas reporter. Je préfère danser. Je me suis rendu compte que c’était une galère de faire ça. C’est un vrai boulot. Filmer des concerts, j’en rien à foutre. Et en plus les mecs ne payaient pas.

DWT : Quelques temps après, le projet de film La Haine se met en route. Quel est l’état d’esprit et l’idée de départ ?
Mathieu Kassovitz : Ce qui a inspiré La Haine, c’est la mort d’un jeune homme de 17 ans qui s’appelait Makomé, tué dans un commissariat en 1993. J’étais présent aux manifestations comme une fois où les policiers ont viré les mères. Ca chauffait. A un moment, les flics ont dit ça suffit. 30 condés en civils sont sortis de derrière les cordons de CRS avec des bâtons, des manches de pioches et ont commencé à taper sur tout ce qu’ils trouvaient. Ca cavalait dans tous les sens. Le seul qui est resté devant tout le monde, c’était Lucien (rires). Ces années étaient violentes. Il ne faut pas oublier qu’à notre époque, on avait la brigade des voltigeurs, les skinheads, Serge Ayoub dans les rues… Qu’un flic pète un câble parce qu’il a un problème dans sa vie ou qu’il est sous l’emprise de la drogue, qu’il tire sur un môme et qu’il le tue… Problème… Problème parce qu’il est deux fois plus responsable. Il est policier, il est armé. Il devrait prendre une peine deux fois plus grande. Si c’était ça la justice, je dirais ok, très bien. Mais il y a une forme d’impunité. Quand tu vois ça et que ça se passe 3, 4 fois et que c’était maintenant la 6ème fois… Je me suis posé des questions lors de cette manifestation. Les flics auraient dû laisser les mamans, dont la maman de Makomé, mais aussi le frère de Makomé, ses cousins, faire ce sitting sans violence. Au lieu de ça, ils ont dégagé tout le monde. Et il s’est passé un truc grave. Ils n’ont pas hésité à viré la mère de Makomé. Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic ! J’ai vu que le mec ne l’a pas fait. Je me suis alors posé deux questions : comment un flic peut commencer et finir sa journée en tirant dans la tête d’un jeune ? Qu’est ce qui s’est passé dans sa vie pour que ça aille aussi loin ? Et comment un môme peut se réveiller le matin et recevoir une balle dans la tête le soir ? Dans La Haine, les trente dernières secondes sont les plus importantes. Ma problématique, c’est les bavures policières. J’aurai pu faire de la bavure policière en campagne. J’aurai pu faire la vie d’un gendarme qui boit trop et qui bat sa femme. J’ai fait une histoire dans une banlieue qui n’était pas définie, imaginaire, avec trois mecs, représentants d’une génération dans un ensemble. Makomé n’est pas cité. Je n’ai pas dit que c’était son histoire. Quand je l’ai fait, je me suis plutôt demandé « qu’est ce qu’il se passe dans ma tête si mon meilleur ami se fait buter par un flic ? Comment je vais réagir ? » Moi, tout de suite, je te dis que j’ai envie de tuer. Mais avec du recul, tu ne le fais pas. Pourquoi les mecs à qui ça arrive ne le font pas ?

Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic !

DWT : Tu es fier de ce film et de ce qu’il a véhiculé comme message ?
Mathieu Kassovitz : Bien sur que j’en suis fier. Il faut être violent face à la violence institutionnalisée, Il faut être violent face aux gens qui n’ont pas le droit d’être violent contre toi. L’Etat n’a pas le droit d’être violent contre toi, la police n’a pas le droit d’être violente contre toi. Si un policier met la main sur toi et qu’il n’a pas le droit, tu n’es pas seulement dans le droit mais dans le devoir de lui dire qu’il a tord. Quand tu es témoin de ça, tu ne peux pas laisser faire. Les politiciens et les policiers sont beaucoup plus responsables car ils acceptent de prendre la responsabilité de protéger les citoyens. Protéger son prochain, est le métier d’un policier. Il a une arme, il connait la loi, c’est un métier. Quand quelqu’un outrepasse ses droits pour imposer sa loi personnelle aux autres, il faut pouvoir se battre contre ça. Le moyen que j’ai eu de me battre contre ça, c’est de faire un film.

DWT : La même année marque également la sortie du premier film de Jean-François Richet, État des lieux, mais aussi Raï… Une sorte de vague de films de banlieue… Quelles avaient été tes réactions ?
Mathieu Kassovitz : État des Lieux (1995), c’était marrant parce que c’était indépendant, mais c’est beaucoup plus fantasmé que n’importe quel autre film. L’autre Tabata Cash dans Raï(1995) avec son tatouage néo-nazi caché sur le sein et qui faisait une rebeu de cité, ça, j’ai pas compris. Quand La Haine est sorti, les mecs me parlaient d’éthique ! Je leur disait les gars, allez voir les films ! Et je ne parle même pas de mise en scène ou d’art cinématographique, juste du contenu ! Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite. Moi, j’ai un sujet et tout le monde s’en souvient parce qu’il était inspiré et qu’il était juste. Et tout simplement universel.

Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite.

DWT : En fonction de notre vécu de banlieusards de Seine Saint-Denis, limitrophe de Paris, on a pour notre part découvert un film limite caricatural, avec des clichés et pas mal de choses qui clochent, comme la scène de la galerie ou encore le personnage de Vince, qui rentre par effraction à 27 ans dans une voiture pour essayer de la voler, accompagné de ses amis de toujours, alors que personne ne sait comment faire et qu’aucun d’entre eux n’est capable de l’anticiper… Dans nos coins, les « voleurs de voiture » avaient 14 ans et c’était des pilotes hors pair avant l’âge du permis !
Mathieu Kassovitz : Je ne pense pas que dans le film, tu penses à un instant que Vincent a 27 ans. Personne ne m’a fait cette remarque avant. C’est la première fois de ma vie que j’entends cette critique. Le soir où tu es bourré et que tu veux voler une voiture avec des copains, qu’est-ce qu’il va se passer ? J’ai déjà essayé de voler une voiture, je n’ai pas réussi alors je suis reparti. Le mec bourré qui arrive à la porte, je l’ai vécu. Le but n’est pas là et puis je trouve que Vincent a fait un bon boulot en ne passant pas pour un mec de 27 ans. On l’a tourné en plus quand il avait plutôt 24/25 ans. Et puis excusez-moi mais des mecs de 32 ans sans chico et qui ne savent rien faire dans les quartiers, j’en connais pas mal. J’aurai pu mettre un vieux, un jeune, un grand, peu importe. Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. Les rappeurs, les danseurs et les trous du cul qui se disent être les plus hardcore pendant des années mais qui ne le sont pas ne m’intéressent pas. Cela n’a jamais existé dans le hip hop. Ce film a une légitimité sociale, artistique et cinématographique mais les gens qui me disent : « ce n’est pas ma banlieue », je leur dit que je le sais bien. J’aurai fait mon film comme les autres, personne ne serait allé le voir. Quand j’ai pris Vincent Cassel dans le film, c’est parce que j’avais besoin d’un petit bourgeois pour que les journalistes se disent « putain le fils de Jean-Pierre Cassel qui fait des trucs comme ça ! » et qu’il me fasse rentrer en salle des gens qui n’auraient pas été voir le film sans lui. Si j’aurai fait le film comme il fallait le faire, personne ne serait allé le voir. Si tu racontes réellement comment cela se passe dans un quartier, les gens vont être dégoutés et personne n’ira le voir. Les mecs de quartiers aux États-Unis font la une des journaux et gagnent 400 millions de dollars par an. Les mecs de quartiers d’ici, si tu ne vas pas chez eux, tu ne les connaîtras pas. Si tu veux introduire la vie des gens de quartier sous le nez de ceux qui n’ont rien à voir avec ça, il faut leur faciliter le chemin. Le choix du noir et blanc facilite, le côté intellectuel modéré facilite, Vincent Cassel facilite, un arabe, un noir et un blanc, ça facilite… (grand sourire).  C’est un film intelligent (rires). Il n’était pas marqueté mais bien inspiré. Il a été fait intelligemment parce que j’avais une conviction politique et que je connaissais le message du film.

Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. (…) Assassin(s) est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.

DWT : Pour la présentation de La Haine au festival de Cannes, tu refuses de monter les marches en smoking. Pourquoi cette prise de position ?
Mathieu Kassovitz : Je suis monté en sweat-shirt Champion parce qu’on représentait La Haine et qu’on n’allait pas commencer à faire comme tout le monde. On ne pouvait pas aller chercher le prix autrement. Dans ma tête, ça ne fonctionnait pas comme ça. Je leur ai dit que c’était un film sur les quartiers, alors on monte comme on est.

DWT : Es-tu également allé en banlieue pour y reverser de l’argent ou aider financièrement des familles en lutte sur ces problématiques de bavures policières ?
Mathieu Kassovitz : Ouais bien sûr. Déjà, avec mon argent personnel. On beaucoup travaillé avec Chanteloup-les-Vignes (ndlr : lieu principal de tournage du film La Haine), pendant presque 10 ans. J’ai arrêté parce que c’est loin et trop compliqué. C’est vraiment un endroit spécial. Tous les ans, on achetait du matériel scolaire pour la rentrée.

DWT : Il y a d’ailleurs eu des incidents là-bas cette semaine, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Mathieu Kassovitz : J’ai vu ça. J’ai reçu le message. J’ai juste refermé mon téléphone et j’ai continué à regarder la télé. De toute façon, c’est l’horreur. Ca va prendre une telle dimension !

DWT : Si La Haine était à refaire que changerais-tu dans le contexte de l’époque et celui d’aujourd’hui ? Pourquoi n’y a t-il pas eu de suite ?
Mathieu Kassovitz : Car elle serait cent fois plus violente. Comme je sais exactement ce que je veux faire, je sais que la suite ne passerait nulle part.

DWT : Vous aviez produit une bande-originale très réussie en parallèle du film. Quel est ton titre préféré dessus ?
Mathieu Kassovitz : Le morceau La 25ème image d’IAM est super beau. Je ne suis pas IAM mais c’est vrai que j’aime bien ce morceau. Assassin avec L’Etat Assassine aussi. Et puis Mon Esprit part en Couilles d’Expression Direkt, ça c’est mortel, c’est un classique. On a bien fait notre boulot non ? Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça. Je vous le dis, ce film a été fait d’une manière très éthique. C’est pour ça qui est reconnu aujourd’hui. Partout où je vais dans le monde, c’est du délire.

Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça.

DWT : Tu n’as pas eu dans l’idée de célébrer le 20ème anniversaire du film avec une soirée événement par exemple, avec tous les acteurs ?
Mathieu Kassovitz : Je n’aime pas ce genre de truc. Le seul truc, s’il y a une célébration, c’est de faire la suite. Qu’est ce que j’en ai à foutre ? Les gens ne vont pas payer 15 euros pour voir ça, ils l’ont déjà vu en DVD ou à la télé. En plus, je vous garanti que personne ne viendrait. On laisse ça à Trois Hommes et un Couffin. Je ne vais pas surfer sur un succès et gagner de l’argent sur les banlieues sans raison. Le film que j’ai fait ensuite, Assassin(s), reste une réaction de ce que j’ai subi avec les journalistes sur La Haine. C’est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.

DWT : Selon toi, pourquoi n’avons nous pas de filmographie digne de ce nom sur l’histoire du hip hop en France ?Où sont nos Wild Style ou nos Beat Street ?
Mathieu Kassovitz : Parce qu’il n’y a pas de créateurs en France. Il y a des mecs qui veulent faire des trucs, j’entends parler de projets tout le temps, je vois, même quand je suis branché sur facebook. Ce sont des jeunes qui n’ont pas vécu les choses à l’époque. Et dans les mecs qui ont vécu des choses à l’époque, aujourd’hui, il n’y a que moi. J’ai vraiment envie de faire un truc, je me pose la question. Il y a très peu de témoins de la première génération. J’ai vu les premiers mecs faire du break devant l’entrée des Bains-Douches et des gens qui se demandaient qu’est-ce que c’était quand on dansait dans Les Halles.

Bonus :La question surprise posée ce mois-ci par Sear :Quand reconnaîtras-tu ton pompage des films de Spike Lee ?
Mathieu Kassovitz : Ok (rires) je ne l’ai jamais croisé Sear. Déjà parce que Sear est un idiot, vous lui direz de ma part (rires) et qu’il n’a pas lu les bonnes interviews. Ou il les a lu mais il fait semblant pour avoir son avis. J’ai dit tout de suite dans mes premières interviews que je m’étais inspiré de Spike Lee et que j’étais fan de Spike Lee, de Nola Darling et Do The Right Thing. Après, je trouve que Spike Lee a fait de la merde. Malheureusement, ce que je reproche à Sear et à des mecs comme ça, c’est d’avoir une idée très monolithique du hip hop. Il y a des mecs qui ont cassé les codes du hip hop, même en peura. Il y a eu une époque où on était à fond avec des « qu’est ce que c’est d’être le plus hardcore ? ». C’était mortel parce que j’étais super énervé et que je suis encore comme ça aujourd’hui. Mais heureusement qu’il y a eu des mecs qui sont sorti de là et qui ont élevé le débat. On en avait vraiment besoin. Pas assez finalement et c’est dommage car à part quelques talentueuses personnes qui sortent des lyrics fun, ce n’est pas d’Assassin dont je vais prendre des leçons, ni de Mathias Crochon. A l’époque du groupe Assassin, ils ont fait un des plus beaux albums du rap français avec Le Futur Que Nous Réserve t-il ? (Volume 1 et 2). J’ai participé à toute la fabrication avec eux. On allait coller des affiches de concert comme en Belgique où c’est moi qui conduisait parce que j’étais le seul à avoir le permis. J’ai collé avec eux mais ça m’a très vite saoulé et surtout, je travaillais le matin. C’était une époque mortelle. Malheureusement, il s’est pris au sérieux Joe. Quand c’était la fin d’Assassin, il fallait arrêter Assassin. Je n’ai pas compris qu’il continue à s’appeler Assassin. Il faut évoluer avec son époque. Ce n’était pas son fond de commerce à l’époque parce qu’il y avait une créativité énorme. C’était plutôt assez juste, assez fort, ils tenaient le coup. Après, quand Squat est rentré dans le truc des pourcentages… Il faut le connaître un minimum, tu ne peux pas dire n’importe quoi parce que tu as lu trois bouquins. J’adore les bourgeois qui se révoltent. Il devrait s’abstenir de dire « 82% des femmes ne pourront pas manger de riz ce soir », « 23% de la population… ». Tu dis des conneries mec et puis surtout tu n’y connais rien. A posteriori, j’ai grandi avec beaucoup de vrais mecs dans le hip hop comme Solo qui ne sont pas forcément les mecs qui ont eu le plus de succès mais qui sont des vrais, purs et durs, à tous les niveaux, même humainement. J’ai rencontré plein des mecs bien dans le hip hop, c’est eux qui m’ont construit. Et je suis tombé sur des petites salopes aussi. Des gens qui disent quelque chose qu’ils ne sont pas ou qu’ils sont mais pour de mauvaises raisons…

Sear Get Busy, signataire radical

Interviews
assassin, ntm, Sear

On parlera de musique mais ça ne représentera que 10 % du contenu. Les gens restent focalisé sur l’époque du fanzine parce que c’est mythique et que c’est leur jeunesse. Mais on a fait des trucs vachement plus intéressants après et c’est de cette manière qu’on veut revenir.

Personne ne voulait y croire malgré nos différentes annonces. Il est vrai que le 1er avril comme date de lancement, ça pouvait prêter à confusion ! Mais c’est maintenant plus clair : bienvenue sur l’entité Get Busy, le meilleur magazine du monde… et de ses alentours ! Branchez-vous sans plus attendre avec celui qui va par le nom de Sear, co-fondateur de Get Busy, premier journal entièrement dédié au hip hop créé en juin 1990. Pour le retour en ligne de Get Busy, l’ancien dionysien figé en Fila revient sur ses motivations et nous livre une analyse tranchée de cette culture mais aussi un regard percutant sur ceux qui en ont forgé les premières heures. Les dizaines et les dizaines de lignes qui suivent planteront le décor de la ligne éditoriale qui vous attend : ça disperse, ça ventile… même si l’ordonnance aurait pu être bien plus sévère !

Down With This : Comment as-tu découvert la culture hip hop à ses débuts en France ? Cela n’a pas du être facile à attraper du fin fond de Saint-Denis…
Sear : J’étais un spectateur vraiment passionné. J’avais toutes les infos car j’écoutais énormément de radio mais je ne connaissais personne. Sur RDH, il y avait Dee Nasty qui s’appelait à cette époque Speedy Dan 1 avec le frère de Salim Beat Box et Ben, qui était le premier à rapper façon Grand Master Flash. J’écoutais aussi Radio 7, un mec qui s’appelait RLP, Robert Levy Provençale. Il mixait de la soul. Un jour, il a invité Dee Nasty qui avait ramené des nouveaux sons d’enculés, c’était l’époque Duke Booty avec les tous premiers Fat Boys, les premier Ice T qui sonnaient hyper east coast, super vénére. Dee Nasty a eu tellement de succès qu’il a commencé à l’inviter une fois par mois. Tout ça, ça s’est passé dans un mouchoir de poche temporel. Deenasty faisait aussi un fanzine avec mec de Saint-Denis, « Street kids News » et pour en avoir eu un dans les mains, je peux dire que c’était vraiment mortel à l’époque. J’ai entendu parler du terrain en 1986 mais j’ai du y mettre les pieds 4 fois maximum. J’ai même une photo de moi là-bas (ndlr : voir ci-dessous) avec mes Tobacco, un Tacchini et une touf de frisés (rires). J’étais habillé en reurti, je n’avais pas de Puma en daim ou des trucs comme ça. C’était pour ceux qui pouvaient aller à New York ou qui avaient des potes qui ramenaient des trucs de là-bas. J’étais passé en métro, on voyait les graffs mais je ne savais pas par où  rentrer. En fait, c’était derrière. J’avais eu l’info par Joyce, un mec de Saint-Denis qui était à fond dedans. Il trainait avec Majesty, un TCG, une figure du terrain. C’était comme ça qu’on fonctionnait à l’époque pour obtenir des infos, sans les portables ou facebook. J’ai atterri là-bas le jour où Solo s’était embrouillé avec Joël de Timide et Sans Complexe. Solo se faisait chambrer par Joël parce qu’il avait une minerve. C’est là que j’ai vu qui était qui parce qu’avant, je ne connaissais personne. Après, j’ai surtout bougé avec Reso et Crazy JM puis par extension les IZB et un peu les 93MC. Il faut démystifier le truc comme quoi tout le monde allait au terrain. Il y avait des mecs en banlieue qui étaient de vrais passionnés, avec une vraie culture musicale mais qui n’ont jamais mis les pieds dans ces trucs-là.

Il faut démystifier le truc comme quoi tout le monde allait au terrain. Il y avait des mecs en banlieue qui étaient de vrais passionnés, avec une vraie culture musicale mais qui n’ont jamais mis les pieds dans ces trucs-là.

Queen Candy le dit elle même. Elle était de La Courneuve et elle en avait rien à foutre ! Le Globo, c’est pareil, j’ai du y aller que 3 ou 4 fois mais je suis toujours bien tombé comme la fois avec Public Enemy ou une autre fois avec Afrika Bambaataa. Il y avait déjà à l’époque une sorte de petite bourgeoisie de parisiens ou de gens connectés avec ces parisiens qui voulaient se constituer en élite. L’émission d’Alain Maneval qui était passé sur TF1 a été déterminante également. J’avais rien compris, les trucs de Bambaataa, c’était chelou pour moi parce que les seuls trucs qu’on connaissait à l’époque dans le délire, c’était Kurtis Blow. Par contre, les Rock Steady Crew et le la phase de Mr Freeze m’avaient interpellé. On ne parlait que de ça le lendemain. Autre truc marquant, c’était les événements « Fêtes et Fort » à Aubervilliers. Il y en a eu une aussi aux Francs-Moisins et une autre au Fort de l’Est. Solo était venu avec les nouveaux PCB avec Nicolas dedans. C’est là que j’ai vu que ce truc de hip hop continuait après la fin de l’émission H.I.P. H.O.P. de Sydney.

Sear, terrain vague de La Chapelle / Stalingrad, vers 1986 – Archive personnelle © Sear

DWT : Vu l’effervescence dans ta ville à la fin des années 1980, Saint-Denis a t-il été le berceau du hip hop en France selon toi ?
Sear : Saint-Denis est bien évidement une ville historique du hip hop en France mais bizarrement, il n’y a pas eu tant de rappeurs que ça. Si tu regardes Vitry, il y en a eu beaucoup plus que chez nous en vérité. Mais à Saint-Denis, il y avait une espèce de dream team avec NTM, les Aktuel et après Get Busy. C’est un concours de circonstances comme les rencontres sur le hip hop organisées à l’Université Paris VIII par George Lapassade, Desdemone Bardin, Jackie Lafortune… Bon Jackie disait que Mode2 c’était de la merde et que André ça tuait mais ce n’est pas grave (rires). Mais c’était à Saint-Denis que ça se passait et que c’était médiatisé. J’en parlais une fois avec Dj Mehdi (RIP) qui était persuadé que les NTM, les Assassin et nous, traînions tout le temps ensemble et que tout se passait à Saint-Denis. Mais concrètement, cela ne s’est jamais passé comme ça. Je n’ai pas grandi avec Shen, ni avec NTM. Ils ne nous calculaient pas et on ne leur courrait pas après non plus. Après, il y a eu les 93MC qui étaient dans un autre délire. On peut dire que Reso a joué un rôle de transmission. Il venait de Sarcelles à la base. Il traînait avec Dark le graffeur et était déjà dans la culture du tag. Reso s’est ensuite retrouvé à l’école avec Kea et Swen (93MC) et leur a montré tout ça. Pour ma part, j’ai eu une vie, une avant, quand j’ai connu le hip hop et une après, avec Get Busy.

A Saint-Denis, il y avait une espèce de dream team avec NTM, les Aktuel et après Get Busy. C’est un concours de circonstances.

DWT : Peux-tu nous décrire le contexte environnemental et social dans lequel tu as grandi ?
Sear : Mes plus belles années ont commencé par une vie normale (rires). C’était chez une nourrice dans le 78. Mes parents m’ont ensuite récupéré, on s’est retrouvés à la Plaine Saint-Denis et c’est devenu une toute autre histoire ! Un logement insalubre, sans salle de bain, avec les toilettes sur le palier. C’était la friche Gaz de France où il y a le Stade de France maintenant. Mes parents ont beaucoup bougé à un moment. En 1970-1972, ils ont même tenu un bar en Normandie. Mais moins de 10 ans après la guerre d’Algérie, l’ambiance n’était pas terrible. Quand j’allais chercher du lait, on me disait non car mon père était un « sale bougnoule ». On ressentait vraiment le racisme. On s’est carrément fait chassé et on a été obligé de partir. Donc la Plaine Saint-Denis puis arrrivé aux Francs Moisins à Saint-Denis, c’était un autre délire, un truc de ouf : un F4 tout neuf alors qu’on était 3 ! Un ascenseur, un vide ordures, une baignoire, des espaces verts, des toboggans, c’était mortel ! Il y avait encore des constructions tout autour du quartier avec des grues. Le bâtiment où j’ai grandi, bâtiment 7, escalier 12, aux Francs-Moisins était majoritairement composé de kabyles. C’était un village, Tout le monde se connaissait. On a par la suite eu des noms de rues pour que les gens puissent mettre des adresses  « non pénalisantes » dans leurs CV. Dans les années 70-80, c’était un autre environnement qu’aujourd’hui. Ça grouillait dans tous les sens avec pleins de gosses partout. Il y avait beaucoup de rebeus. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de renois, juste des antillais et quelques africains. Il y avait surtout des portugais, des italiens et des prolos français. Côté ambiance, ça allait encore car il y avait du boulot. C’est parti en vrille quand les ouvriers se sont mis à faire des gosses ou demander le regroupement familial. On s’est vite rendu compte que ces cités n’avaient pas été conçues pour être des lieux de vies.

C’est parti en vrille quand les ouvriers se sont mis à faire des gosses ou demander le regroupement familial. On s’est vite rendu compte que ces cités n’avaient pas été conçues pour être des lieux de vies.

De toute façon, c’étaient des constructions destinées uniquement à y faire dormir les gens après le boulot. Ce n’était pas fait non plus pour que les enfants y grandissent, même avec des toboggans (rires). On n’avait que des tours autour de nous. La conception en elle même n’était pas saine. La vue de ma chambre a longtemps été l’usine de Charcuterie et des caravanes de gitans sur le parking. Au loin, je voyais la Tour Eiffel et le Sacré Cœur avec la maison à Rockin’ Squat (rires). Il y avait une autre ambiance à Saint-Denis. Quand on était petit, on prenait le 170 pour aller à Basilique, c’était un trip. On se disait « on va à Saint-Denis ! » alors qu’on y habitait (rires). Les gens venaient de loin pour y faire leurs courses, il y avait des magasins qui vendaient des costards Saint-Laurent ou Pierre Cardin, des traiteurs français, des putains de pâtisseries, etc… On a de bons souvenirs. Ca a bien changé, c’est très « ghetto » maintenant, et tout tire vers le bas.

DWT : Parle-nous de tes origines atypiques de kabylo-yougoslave…
Sear : Bizarrement, j’ai toujours eu un lien avec l’Algérie car j’ai plutôt côtoyé la famille du côté de mon père que de ma mère, qui était d’ex-Yougoslavie. Mon père était de la région de Tizi Ouzou, vers Beni Aïssi, les villages d’Ighil Bouzerou et Tighzert. J’y suis retourné il y a quelques mois pour lui faire plaisir mais ça faisait 40 ans que je n’y avais pas mis les pieds, avec un sentiment partagé, en m’y sentant à la fois étranger et pourtant bien chez moi aussi. Je ne connais pas la famille du côté de ma mère à part mon grand-père que j’ai connu vers la fin. Je ne suis donc pas très « famille ». Plus jeune, je ne connaissais que les oncles du côté de mon père. Quand tu es jeune, tu t’attaches plus d’un coté qu’un à autre et t’es forgé par ton environ. J’avais donc des préjugés, je n’avais pas de potes français. J’ai rencontré mon premier vrai pote français, Reso, grâce au hip hop. Dans une cité, tu vis souvent en vase clos.

DWT : Au sortir des années noires de l’héroïne qui avaient ravagé la Seine Saint-Denis dans les années 1980, penses-tu que ce truc de hip hop naissant apportait un bol d’air pour la nouvelle génération comme il avait réussi à l’apporter dans le Bronx ?
Sear : Je ne rentre pas dans les comparaisons comme ça. Le hip hop est né là-bas, il n’est pas né en Seine Saint-Denis. Il y avait des trucs aussi dans le 94. Après, c’est vrai que forcément dans les années 1980, il n’y avait pas grand chose pour nous, mais ce n’était pas valable pour tout le monde. Pour des mecs comme moi, oui ça été salvateur, parce que dans le milieu des années 1980, la vie en cité, c’était déjà pas terrible. Je n’aimais déjà pas l’ambiance qui commençait à s’y installer. Donc le hip hop m’a fait sortit de la cage d’escalier. Mais à l’époque, beaucoup de mecs de cité se foutaient de la gueule de ceux qui étaient dans le hip hop. Ce n’est donc pas non plus toute la banlieue qui s’était jeté dedans à cette époque.

TWK (fin des années 1980) – Archive personnelle © Sear

Interview Ice Cube (début des années 1990) – Photo © Alain « MasterFlash » Garnier

DWT : Tu glisses quelques temps après dans une forme d’activisme assez prononcée en lançant un fanzine hip hop devenu mythique, Get Busy. Comment s’est organisé le lancement ?
Sear : Je ne sais même plus ! (rires)… On était des B-Boyistes. On l’a fait par réactions aux conneries de la presse de l’époque. On avait un crew sur Saint-Denis, les TWK avec Reso et Eros dedans. A ce moment, il y avait deux groupes là-bas : 93 MC qui étaient pleins, et nous, TWK, qui étions un peu plus âgés. Ce sont des concours de circonstance même si ça parait évident. J’ai rencontré un jour Crazy JM (ndlr : membre des IZB, organisateurs des premiers concerts de rappeurs US) dans le métro, sur la ligne 13 où tu pouvais y voir des tags de son crew. Il parlait à tout le monde avec 40 conversations à la fois. Il faisait des grands discours hyper chiants et tractait des messages sur le mouvement (rires). Il était IZB, de Saint-Ouen, à côté de chez nous donc on se croisait souvent. On se donnait rendez-vous à la Gare du Nord, en haut où il y avait les trains gris, et on se retrouvait à une trentaine de tagueurs. Après ça, je me retrouve à faire plein de trucs avec les IZB. Un jour, JM me parle de Texaco qui était vendeur à Virgin et me le ramène. C’est là que l’idée de faire un magazine arrive. Le projet voit le jour avec Texaco, JM, Angelo et moi. JM brassait tellement de monde que la moitié des IZB, je ne les connaissais même pas ! Je ne voulais pas les connaître d’ailleurs. Autant les NTM avaient leur coté élitiste que JM, c’était tout l’inverse, il ne méprisait personne et il engrenait tout le monde. C’est un mec qui a joué un rôle important malgré qu’il soit sous-estimé par rapport à l’influence qu’il a eu. Après, pour Get Busy, tout le monde a commencé a ramener ses potes. C’est ainsi que Reso est entré. Le nom avait été trouvé par Mehdi, un pote à JM. Ce mec ne payait pas de mine avec ses chaussures bateau et son attaché caisse mais c’était en réalité un des plus gros connaisseurs de son sur la place de Paris. On a donc sorti le numéro 0, que je n’ai même plus d’ailleurs (ndlr : nous si !), il n’y avait que 8 pages. On en avait photocopié 150 exemplaires à l’œil grâce à une copine et on était parti les agrafer au Free Time de Châtelet. On les avait tous distribué gratuitement à Bobino pendant une des soirées Zoopsy. Rien n’était vraiment calculé. N’importe qui pouvait être plus ou moins Get Busy et d’ailleurs il y a bien eu n’importe qui (rires).

DWT : Comme dans tout organe de presse, les anciens membres de l’équipe avaient-ils un droit de réponse sur les « mots doux » qui étaient publiés sur eux ?
Sear : Personne ne nous a jamais rien demandé.

DWT : Es-tu prêt à t’excuser auprès d’eux sur ce que tu as pu écrire à leur sujet ?
Sear : Pas du tout, aucune excuse ! (rires). Franchement, il n’y en a aucun qu’on a regretté. Ils ne nous ont jamais manqué après qu’on les ait virés. Alain Garnier, le photographe, c’est autre chose, c’est une victime co-latérale (rires). Pour les photos, on a eu Xavier De Nauw après parce qu’on avait pas trop le choix. J’avais du mal avec lui au début mais il nous a bien aidé. Après, on a eu Armen qui est devenu un ami et avec qui j’ai pu faire beaucoup d’interview. Avec du recul, c’est facile à dire mais il y aurait un milliard de trucs qu’on aurait du faire autrement.

DWT : Quels étaient les chiffres de vente de Get Busy ?
Sear : On tournait à 2 000 exemplaires environ. Avec un fanzine, tu ne peux pas aller beaucoup plus haut. Tu en mets à Ticaret, à Ekirok, tu essaies d’en envoyer en province, à tes abonnés et puis voilà, t’as fait le tour.

Les limites du fanzinat m’avaient usé. (…) Le problème général, c’est que l’on n’a pas su créer d’alternatives face aux gros médias qui arrivaient. (…) Il faut dire aussi que dans le hip hop, à tous les niveaux, ce sont des égos, des rivalités et des embrouilles puériles.

DWT : Pourquoi l’arrêt de la « version fanzine » du titre en 1995 ?
Sear : Apres 10 numéros, ce fanzine et les embrouilles internes m’avaient usé. Les limites du fanzinat m’avaient usé aussi. C’était les débuts de la presse rap avec qui on ne pouvait pas lutter. Il y a eu aussi un renouveau du rap français que je n’ai pas capté tout de suite. Le problème général, c’est que l’on n’a pas su créer d’alternatives face aux gros médias qui arrivaient. Nos fanzines auraient pu subsister si les rappeurs avaient été plus solidaires plutôt que de fonctionner à court terme. Après, il faut dire aussi que dans le hip hop, à tous les niveaux, ce sont des égos, des rivalités et des embrouilles puériles. Le truc aussi, c’est que l’amitié entre artistes et journalistes, cela ne donne jamais des trucs bien. Ca part toujours en couille. Tu peux être le meilleur journaliste de la terre quand tu es d’accord avec mais tu seras toujours un enculé ou un traitre le jour où tu ne seras plus d’accord avec, comme ça a été le cas avec vous et Squat ou moi et Kool Shen. Bon, on était tous jeunes aussi.

Kast, Fame, Kool Shen et Joey Starr (NTM), Reso, Sear (vers 1990) – Archive personnelle © Sear

DWT : Justement, à propos de NTM, tu as pas mal gravité autour de ce groupe. Est-ce pour cela que Kool Shen estime que sans leur intervention auprès d’EPIC / SONY tu n’aurais jamais pu monter le magazine Authentik ?
Sear : On va rectifier ça tout de suite. C’est le management du groupe qui m’a appelé pour faire Authentik. Bruno (Kool Shen) n’est jamais venu pour me donner un travail. J’ai arrêté Get Busy (version fanzine) en 1995. Authentik est apparu en 1998. Durant ces trois années pas faciles, Kool Shen n’est jamais venu me proposer quoi que ce soit. Il y avait déjà une espèce de froid entre lui et moi du fait que l’on n’avait pas été élogieux sur leur troisième album. L’idée d’Authentik, c’est le manager de NTM qui l’a eu. Il voulait quelqu’un qui avait le profil et la crédibilité. Il n’allait pas demander ça à Cachin. Dans leur délire d’image, il fallait quelqu’un avec un crédit mais cela n’a jamais été du style « tiens on va donner du boulot à notre pote Sear ». Get Busy avait déjà sa réputation. On venait de Saint Denis, il y avait une connexion. De ce côté la, je ne lui dois rien. Ils avaient d’ailleurs d’autres potes plus proches d’eux. Ils sont venus me chercher pour mes compétences et faire ce travail. Et il a été plus que bien fait. Pour être encore plus précis, il ne devait y avoir qu’un numéro mais l’accueil qu’a reçu le mag a été si bon qu’on en fait trois numéros au final. Le magazine était auto-financé par la pub. Un numéro a même dégagé un petit bénéfice et un autre a perdu un peu d’argent, donc au frais de Sony et pour un montant qui n’a rien de grave au regard du coup de pub que ça a fait. Après, Epic a eu un nouveau patron, Thierry Chassagne et il n’a pas voulu continuer Authentik. Le management de NTM voulait eux le continuer et s’allier à un groupe de presse. Moi, j’ai dit que j’arrêterai après le troisième. Je ne voulais pas rester lié à un groupe. Pourtant c’était financièrement bien plus confortable que Get Busy,  comme quoi.

NTM n’a pas fait d’aide sociale avec moi. Ils l’ont peut être fait avec d’autres potes à eux avec qui ils ont voulu s’encanailler mais pas avec moi.

DWT : Le magazine Authentik faisait donc dans le publi-rédactionnel ?
Sear : C’était une commande (rires). On a fait trois numéros. C’était le magazine des NTM. Le seul impératif qu’on avait, c’était une interview d’eux, ce que d’ailleurs tous les autres magazines de l’époque faisaient aussi ! Le fait est que NTM intervenait dans le sommaire. C’est tout. Mais j’y ai fait à 90% tout ce que je voulais comme je le voulais et on a fait de bons sujets. Joey s’était vraiment pris au truc et il avait kiffé le faire. J’ai tapé des bons délires et des bons moments avec lui à ce moment là. Je l’ai apprécié humainement, c’est pour ça que je ne peux pas vraiment le haïr. Je pourrai lui reprocher pleins de choses. Il a un côté plus humain que l’autre même si c’est un grand manipulateur aussi. Mais lui contrairement à ce qu’on pourrait croire, Joey a toujours mieux accepté les critiques que Shen. Mais, ils n’ont pas fait d’aide sociale avec moi. Ils l’ont peut être fait avec d’autres potes à eux avec qui ils ont voulu s’encanailler mais pas avec moi. Encore une fois, j’ai été payé pour un travail que j’ai bien fait, j’ai donné un ton et une âme ce magazine et ça a dépassé les objectifs de départ. Les NTM y ont largement trouvé leur compte. Et au delà de ça, ça reste un très bon magazine. Indirectement c’est le magazine qui a amené Alain Chabat à co-produire leur documentaire. Il les a reçu à « La Grosse Emission » sur Comédie. Chabat a fait l’éloge du magazine et leur a dit qu’il aimerait en faire une adaptation télé. En voyant ça, j’ai appelé Nardone. Eux cherchaient une boite de prod, car on avait plus de 100 heures de rushs vidéo que j’avais filmé lors de la dernière tournée et à leurs cotés. Au final l’adaptation télé du magazine est tombée aux oubliettes mais Chabat a produit Authentiques, le docu.

DWT : Pour l’avoir vécu de l’intérieur, comment as-tu perçu l’émergence du groupe NTM à leurs débuts ?
Sear : Quand les 93MC ont fait alliance avec NTM, je leur ai dit qu’ils se faisaient carotter car ils avaient déjà tout déchirer. L’histoire, c’est qu’un jour Shen a taggué 93MC. Kea était allé le voir pour lui demander pourquoi et ils se sont fait embobiner pour fusionner. Nous, On se retrouvait tous au Carrefour de Saint-Denis. Shen, on le voyait passer mais il ne disait bonjour à personne. On ne le connaissait pas. Il habitait à la Montjoie, une co-propriété de Saint-Denis. Ses parents n’étaient pas de gros bourgeois, ce sont des gens qui ont travaillé, mais à l’échelle de Saint-Denis, ça allait, comparé à nous qui vivions presque tous en cité. Ce n’était pas la même chose. Petite anecdote à ce sujet, Bruno (Kool Shen) me disait « cet enculé de Squat joue au tennis au Country Club et moi je joue dans tel club (moins huppé) ! ». Ce qui était vrai d’ailleurs pour Squat mais je lui avais quand même répondu « ouais, ok Bruno, mais nous, tu sais, on joue au tennis contre un mur ! » (rires). Je n’avais pas une très bonne image des NTM à la base. Ils côtoyaient des gens comme Paco Rabanne. Des mecs comme Joey, Squat & co… étaient les premiers à mettre les pieds aux Bains Douches. Aucun de nous n’aurait pu imaginer y rentrer. D’ailleurs, on ne savait même pas que ça existait. Il faut dire aussi que c’était les premiers à s’en foutre dans le zen. C’est le cliché que j’avais d’eux. Après, il faut relativiser, les mecs avaient 16 ans, ils passaient à la télé, ils faisaient de la pub pour Beneton. Quand tu regardes l’histoire des Rock Steady Crew, c’est la même. Des gars super célèbres à 17 ans qui se retrouvent à côtoyer les milieux de la nuit pour que tout se casse la gueule par la suite. Ils y ont tous laissé des plumes. Joey traînait dans ces milieux là alors qu’en même temps, il n’avait pas où dormir. Bref, l’image qu’ils véhiculaient était un peu celle de vedettes du hip hop parisien. Quand Colt et Mode ont fait la fameuse couv’ de Get Busy, c’était chez Colt. Il en est le vrai concepteur. Mode, c’était le bras de Colt là dessus. En discutant avec Colt, on s’est rendu compte qu’on avait rien à voir avec eux en réalité. Ils avaient une image « hardcore » à l’époque mais aujourd’hui NTM ça serait plutôt De La Soul comparé à ce qui se fait aujourd’hui. Ce n’était pas non plus des grosses cailleras de cités comme les médias nous les ont présenté. Je n’ai pas grandi avec eux. J’avais déjà la vingtaine quand je les ai vraiment rencontré. Joey vivait déjà sur Paris, à Bastille. Avant, Shen restait uniquement dans son coin à jouer à la Belote. C’est ce que j’ai apprécié chez Kool Shen au début : je trouvais qu’il n’avait pas ce côté mondain hip hop. Je l’ai trouvé assez terre a terre, un peu prolo à rester chez lui à jouer au foot et aux cartes. Il se vantait même de n’avoir jamais acheté un disque ! Il venait nous parler de Biggie alors que ça faisait deux ans qu’on l’écoutait (rires).

C’est ce que j’ai apprécié chez Kool Shen au début : je trouvais qu’il n’avait pas ce côté mondain hip hop. Je l’ai trouvé assez terre a terre, un peu prolo à rester chez lui à jouer au foot et aux cartes. Il se vantait même de n’avoir jamais acheté un disque ! Il venait nous parler de Biggie alors que ça faisait deux ans qu’on l’écoutait (rires).

Il a toujours eu un temps de retard sur l’actualité du rap, mais c’est un bosseur, c’est un compétiteur. Il ne faut pas lui enlever ça. Au foot, dans le rap ou au poker, Il joue vraiment pour gagner. C’est un besogneux perfectionniste. A l’époque, il ne traînait pas spécialement avec des rebeus. C’est seulement quand il y a eu une alliance avec les 93 et qu’il a commencé à trainer au Vert Galant (ndlr : cité de Saint-Denis). Et là, c’est devenu un peu un autre Kool Shen, qui m’intéressait beaucoup moins. Pour moi, il y a eu deux Shen, celui de la Montjoie, puis celui du Vert Galant. Et ça aussi, ça a mis de la distance entre nous. Mais à cette époque faut comprendre que les liens se font aussi par d’autres personnes du groupe, comme Kast (choriste) et Reak (danseur) qui étaient des potes. 25 ans après, Reak est resté un de mes meilleurs potes. Il y avait aussi Patou, la mère de Lady V qui était devenu un peu la marraine de Get Busy mais aussi quelqu’un d’important dans ma vie. Donc il y avait de l’affectif et de l’émulation. On venait tous de Saint-Denis, donc il y a aussi une grosse part de chauvinisme. On avait envie que NTM cartonne. Peut-être qu’ils n’ont pas été à la hauteur de ce qu’on attendait d’eux. Ou peut-être avons-nous été trop naïfs et leur en avons-nous trop demandé. Aujourd’hui, même si on se parle plus, et qu’il y a des déceptions profondes, j’ai aussi des souvenirs de bons moments de barre de rires. Je n’ai même pas de haine envers eux aujourd’hui. Je les chambre parce que c’est des « vedettes », donc des cibles, mais ça a toujours été comme ça entre nous en vrai. Sauf que comme on se calcule plus ça donne une impression de petite guerre. Mais en fait je m’en fous. Et eux aussi surement. Je ne leur manque pas et ils ne me manquent pas non plus. Le truc amusant, c’est que Get Busy, les 93 MC, Psykopat, etc… et plein d’autres gens qui ont croisé leur chemin, on est tous resté plus ou moins potes. On a du plaisir à se voir quand on se voit et on a tous à peu près les même conclusions à leur sujet. Mais je dirais que c’est partout comme ça, en bas de la montagne on est toujours plein et au sommet, il n’y a de la place que pour une poignée d’individus… voir deux… ou même qu’une seule personne ! Avec l’âge, tu comprends que la vie, c’est aussi ça. Encore une fois, on était jeunes, eux comme nous.

DWT : Penses-tu que le débat authenticité / talent est un facteur qui a joué dans cette histoire ?
Sear : Les gens, par exemple, peuvent dire ce qu’ils veulent sur Booba mais il a du talent. Il a un truc. Joe Dalton peu dire qu’il est plus vrai que Booba, mais à chaque fois qu’il a essayé de rapper, ben ce n’était pas terrible. Alors ouais à la bagarre, dans la rue, il est le plus fort, mais ce n’est pas forcément vrai avec un micro et un stylo à la main. Difficile d’être bon dans les deux. La polémique NTM / Booba m’a beaucoup amusé à ce titre. Surtout quand Kool Shen a dit à propos de Booba que « quand tu te la joues caillera de cité alors que t’as pas grandi en cité, je trouve ça louche ». Inconsciemment, il avait fait son propre autoportrait.

DWT : Des bruits circulent quand à l’écriture de certains morceaux des NTM. Peut-on parler de ghost writing au sein du groupe, avec Yazid notamment ?
Sear : Je sais qu’à un moment, Yazid a aidé Joey à « finir ses devoirs » sur le premier album. Tout comme on peut dire que les Psykopat les ont aidé sur le troisième album. Je ne dirais pas du ghost writing mais c’était plus sur un nouveau flow, sur les placements… Tu ne peux pas dire qu’untel a volé untel. C’était une émulation de groupes dont certains éléments savaient très bien tirer parti et d’autres non ou moins. Mais c’est la règle du jeu aussi.

Yazid a aidé Joey à « finir ses devoirs » sur le premier album. Tout comme on peut dire que les Psykopat les ont aidé sur le troisième album. Je ne dirais pas du ghost writing mais c’était plus sur un nouveau flow, sur les placements…

DWT : Comment vois-tu le rôle qu’a joué Sébastien Farran sur la carrière NTM et l’image du groupe ?
Sear : Seb Farran est né dedans. Son grand-père, ses parents étaient déjà dans les médias, la musique… A la base, c’est aussi, je pense, un vrai fan de NTM. C’est devenu un élément clé pour leur carrière. Je pense qu’il a été efficace. A titre personnel, je sais que beaucoup de gens ayant eu affaire à lui via NTM ne l’aime pas. Mais il est là pour faire du bizness, pas du social. Ni pour se faire des copains. Pour moi, il n’a été ni un pote, ni un ennemi. Entre nous, les choses ont toujours été plus ou moins correctes. Mais il faut dire que j’avais plus Nicolas Nardone comme interlocuteur que Seb Farran. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il n’a jamais caché son extraction sociale. Il assume son milieu social et les avantages que cela lui a donné dès le départ. Mais il a aussi son mérite personnel. Plus que le manager, c’est quasiment la nourrice de Joey depuis toujours et ce n’est pas rien comme sacerdoce ! Dans le docu « Authentiques », Joey disait qu’entre lui et Kool Shen, « c’est comme dans un couple mais qu’on sait pas encore qui est l’homme et qui est la femme ». C’est encore plus vrai entre Joey et Farran, sauf que là, on sait vraiment qui est la femme ! (rires)

DWT : Pour en revenir à Get Busy, à en croire les éditos du début, sa vocation première était d’accompagner les auditeurs du rap avec une presse qui maîtrisait son sujet. Avec l’arrivée fourmillante du rap français en 1993, pourquoi n’as-tu pas accompagné tous ces groupes ?
Sear : On n’était pas vraiment dedans. Il y a un milliard de groupes qui sont arrivés. Ils ne se valaient pas tous réellement et j’avais un temps de retard par rapport à ça, comme avec La Cliqua ou Time Bomb. J’ai commencé à trouver ça pas mal avec le temps mais sur le coup, cela ne me parlait pas vraiment. A cette époque, j’en avais marre de Get Busy et du hip hop. J’étais en décalage, même au début avec NTM ou Assassin qu’on a quand même soutenu parce qu’on avait des potes dedans et par chauvinisme. Mais on citait les autres fanzines parce qu’on était quand même polis.

DWT : Pour notre part, on a créé notre journal en 1993 face au vide journalistique sur le rap français, tout comme Get Busy l’avait fait sur le rap américain auparavant. Comment avais-tu perçu l’arrivée de notre titre sur ce « créneau » ?
Sear : Tu es forcément dans un truc de compétition au début. Entre votre arrivée en 1993 et 1995, qui marque la fin de Get Busy, on a du sortir qu’un seul numéro. En plus c’est une époque de ma vie ou j’étais saoulé du hip hop comme je disais. J’arrivais à saturation du fanzine, j’étais un peu blasé. Tout le contexte de l’époque, avec La Cliqua puis Time Bomb par exemple, je n’étais pas dedans. Vous suiviez ces trucs-là mais cela m’intéressait moins. Après, tu regardes toujours forcément ce que les autres font.

Quand on a vu nos gueules à la télé dans « Mon Zénith à Moi » ou à « Ciel Mon Mardi », ça a marqué les gens. Si on le referait aujourd’hui, tout neuf, en arrivant de nulle part, tout le monde en aurait rien à foutre !

DWT : Question quizz : les sorties aléatoires de Get Busy ont-elles contribué : 1- A sa légende ? 2- A sa perte ?
Sear : Franchement, les deux ! A la fois tu n’es pas stable et à la fois, c’est la rareté qui crée la demande. Cela appartient à toute une époque. Pour certain, c’est l’âge d’or du rap avec le Deenastyle (ndlr : émission de radio historique de la fin des années 1980), Rapline (ndlr : ancienne webtélé du début des années 1990) qui apparaît, Get Busy, Down With This, etc… Cela reste des trucs marquants parce que c’était plus rare et qu’on était moins nombreux. Cela fait parti des fondations. Aujourd’hui, c’est tellement partout, avec tellement de trucs que c’est difficile de se faire remarquer. Quand on a vu nos gueules à la télé dans « Mon Zénith à Moi » ou à « Ciel Mon Mardi » (ndlr : anciennes émissions de télé du début des années 1990, respectivement sur Canal+ et TF1), ça a marqué les gens. Si on le referait aujourd’hui, tout neuf, en arrivant de nulle part, tout le monde en aurait rien à foutre !

DWT : Comment expliques-tu l’éradication de la presse hip hop en kiosque ?
Sear : Internet forcément. C’est aussi le mode de fonctionnement qui a tué toute forme d’alternative possible dans cette presse-là avec les Cachin, Arnaud Fraise et tout ce qu’ils veulent. C’est un système que les rappeurs ont bien voulu accepter aussi. Prends la radio par exemple. Un mec comme Booba a bien décidé de ne plus aller à Skyrock ! Et pourtant, il est toujours l’un des plus gros vendeur de disque ! Qui t’oblige à écouter cette radio ? Les rappeurs auraient du imposer leurs conditions en y allant. Maintenant avec ton iPhone, tu peux écouter 700 000 radios. Il y a toujours un moment où tu passes à autre chose. Il y a bien des mecs qui ont découvert le rap avec Benny B ! Beaucoup ont découvert le hip hop avec Sydney alors que très tôt on a trouvé ça ringard. La conséquence, c’est que ça nous avait poussé à faire autre chose, en mieux.

DWT : Tu as cité Cachin. Justement, il y a quelques semaines, dans une émission de radio, tu lui as rappelé qu’il était à l’initiative de l’instauration du publi-rédactionnel dans la presse musicale. Suivant la définition du « bâtard » que vous donniez à l’époque dans Get Busy, il en incarne pour nous le parfait icône. Paradoxalement, c’est à ce moment que tu te mets à le côtoyer…
Sear : J’ai toujours parlé à Cachin. Lui et moi, c’est le ying et le yang. Il est l’antithèse de moi et je suis l’antithèse de lui. Il faut qu’il y ait un Cachin pour qu’il y ait un Sear. J’ai toujours eu le même discours avec lui. Il y a deux choses avec Cachin : Rapline et L’Affiche. Dans L’Affiche (ndlr : plaquette commerciale aujourd’hui disparue), Cachin n’était que la vitrine de Franck Fatalot (ndlr : directeur d’édition de presse), qui n’était là que pour faire de l’oseille. Fatalot avait trouvé le bon personnage pour faire ça. Cachin avait même déclaré qu’un magazine était fait pour ramener de la pub et voyager. Moi, je pense que c’est fait pour les lecteurs. C’est donc deux conceptions différentes. Pourtant, je ne sais pas comment il a fait, il a écrit 90% des biographies du rap français et il continue ! C’est un commercial dans sa pratique malgré qu’il ait une vraie culture musicale. Humainement, Il reste un mystère pour moi. Après, c’est quoi Cachin en 2014 ? Je veux bien en 1990 mais aujourd’hui, tout le monde s’en fout. Aujourd’hui, c’est Tonton Marcel, c’est Fred Musa, etc… Cachin représente un danger pour qui aujourd’hui ? Prends l’émission qu’on a fait sur le site de Jean-Pierre Seck, si on aurait mis que des gens avec la même opinion, cela n’aurait pas marché. Tu es obligé d’avoir des antithèses. On projette de refaire ce genre d’émission. Pour Jean-Pierre Seck, son binôme de rêve, c’est moi et Cachin. Il y a aussi des gens d’avant qui ne comprennent pas pourquoi je suis parfois critique avec Squat ou NTM. Il y a des choses auxquelles tu crois à un moment et à un autre moment, tu vois que la réalité n’est pas celle-là. Aujourd’hui, je ne vais plus faire la guerre à Cachin. Ca serait dérisoire. Quand tu connais l’histoire, tu sais que Cachin a centralisé la couverture médiatique et qu’on a identifié le hip hop à travers lui. Mais ce n’est pas spécialement de son fait à lui. Ce n’est peut être pas l’entrée la plus reluisante dans cette culture mais ce n’est pas la seule. Et d’une certaine manière, c’est un mal nécessaire.

Cachin avait déclaré qu’un magazine était fait pour ramener de la pub et voyager. Moi, je pense que c’est fait pour les lecteurs.

DWT : Aurais-tu accepté la récente nomination de Pierre-Yves Bocquet, journaliste spécialisé dans la presse rap US, auprès de François Hollande (ndlr : yaourt présidentiel) comme rédacteur de ses discours officiels ?
Sear : Je ne pense pas parce que je ne me serai pas vu avec les socialos (rires). C’est les pires en fait, ni de gauche, ni de droite, bien au contraire. Il vaut toujours mieux avoir de vrais ennemis que de faux amis. Nous sommes la génération des années 1980/1990 et c’est quand même à nous qu’ils l’ont mis profond ! Aujourd’hui, il n’y a pas de gauche ou de droite. Ce qui domine maintenant, c’est l’économie de marché. Et par quasi définition, c’est un système de droite.

DWT : Comment expliques-tu le fait que nous n’ayons toujours pas sur le devant de la scène un journaliste issu de notre mouvement ?
Sear : Les médias façonnent les individualités à leur image et aucun d’entre nous a voulu jouer ce rôle là. Les gens aiment bien avoir quelqu’un qui leur ressemble. Ca les rassure. On est tous comme ça et c’est la facilité. Les journalistes allaient à Paris VIII et faisaient un dossier complet sur le hip hop parce que c’était le professeur Lapassade qui en parlait. Plus besoin de se faire chier à suivre un graffeur sur les rails. A un moment, Jean-Éric Perrin (ndlr : journaliste musical) s’occupait aussi du hip hop, c’était pas mieux que Cachin. Voire pire car Perrin se cachait derrière un pseudo pour écrire. Comme on est encore avec des soixante huitards rockeurs au contrôle, ils vont encore chercher des Rock & Folk, des Cachin et tout ça.

DWT : Trève de plaisanterie, on a mis exceptionnellement aujourd’hui, ce 1er avril, le logo Get Busy à la place du notre après avoir évoqué ces derniers jours un pseudo rachat de Down With This par Get Busy. Au delà de ça, un groupe de presse indépendant issu du hip hop aurait-il un sens d’après toi ?
Sear : Je pense que non, c’est trop tard pour ça. Et puis quelque part, Booska P, Tonton Marcel… ce sont des indépendants. Même R.A.P. est devenu un magazine indépendant. A titre personnel, j’aime bien fonctionner en petit comité avec des gens que je connais et que j’apprécie humainement aussi. Donc les alliances, les unions… c’est toujours mieux sur le papier que en vrai. En fait, c’est comme avec tes voisins, on est toujours mieux chez soi qu’à vivre sous le même toit. Il est préférable de se voir que de temps en temps pour faire un barbecue quand il fait beau.

DWT : Par contre, tu annonces le vrai retour de Get Busy pour septembre 2014, peux-tu nous en dévoiler les contours ?
Sear : Le projet n’est pas de refaire un magazine purement rap. Ça sera plutôt un mag culturel avec une vibe hip hop. Si tu es hip hop, tu peux traiter tous les sujets avec un certain angle. Un angle qui prend en compte notre vécu et notre façon de voir la société. Ce que tout le monde ne peut pas faire à la finale. Il ne sera pas simplement question de suivre l’actualité. Prends l’exemple de Kaaris, le mec est partout sur le net, les gens n’ont pas besoin de Get Busy pour trouver cette actualité. Par contre, on pourrait le rencontrer sur d’autres angles que son studio, son embrouille avec Booba ou son dernier featuring à la mode. On parlera de musique mais ça ne représentera que 10 % du contenu. Les gens restent focalisé sur l’époque du fanzine parce que c’est mythique et que c’est leur jeunesse. Mais on a fait des trucs vachement plus intéressants après et c’est de cette manière qu’on veut revenir. Les anciens articles, époque fanzine, sont marrants mais ils sont light. Quand les gens ne te parlent que de ça, tu es touché mais au bout d’un moment ça te saoule aussi. Ce qui est plus flatteur pour moi, c’est ce qui a forgé certains de nos lecteurs, comme les pages qu’on avait faîtes sur Jacques Vergès ou l’article sur Charlie Bauer. On est plus sur cette ligne éditoriale. C’est plus intéressant qu’une chronique de deux lignes sur Solaar qu’on a fait il y a vingt ans.

DWT : Tu évoquais ton attitude critique sur NTM et Assassin. A ce propos, qu’est ce qui fait que tu en remettes une couche régulièrement sur ton mur facebook au sujet d’Assassin ?
Sear : Pour moi, à part le tout début, et surtout le premier maxi, Assassin a toujours était une source de rigolade. J’ai regardé une vidéo où Madj (ex-Assassin Productions) réglait ses comptes avec Squat. C’est marrant parce que Madj le savait quand il était dedans. Nous le savions avant qu’il y aille mais bon, il y ait allé quand même. Je pense qu’il y croyait au début. Après, il a serré les fesses et mangé la gamelle. Donc ça fait un peu vieille maîtresse délaissée qui balance aujourd’hui sur son ex-amant en oubliant qu’elle a quand même couché avec pendant plus de 10 piges ! Je veux bien croire que Madj a une culture politique, un discours même si chez lui, il y a un décalage entre les grands discours et les actes parfois très petits, mais Squat, c’est un clown. Après je reconnais que quand tu es dedans, ce n’est pas facile, tu as des affinités alors tu es toujours plus indulgent avec ton pote. Il y a des choses que tu ne vois pas ou que tu ne veux pas voir. Mais il n’a pas mis 10 ans à savoir qui était Squat.

Fondamentalement, la rébellion chez les bourgeois est facile car il y a toujours un moment où ils rentrent dans le rang. Il y a toujours leur place qui les attend au chaud. Ils peuvent y aller. C’est la différence.

Aujourd’hui, il y a une sorte de retour en grâce comme quoi Squat serait le dernier des Mohicans ! Fondamentalement, c’est un mec qui a raté sa vocation. Dans ses textes, il veut être Ché Guevara mais en vérité, tout ce qu’il aurait du faire, c’est de l’égo trip et parler sur le cul des renois. Sa vraie nature est là. C’est un putain de mégalo. Il n’est pas humble, c’est un mec qui insulte la misère. Le mec est en décalage, il n’a même pas réalisé qu’il a grandi dans un hôtel particulier. Il devrait la fermer de temps en temps. Joey me disait que chez lui, rien qu’en mobilier, tu te prenais une gifle. Après, il a grandi là-dedans, il n’a rien demandé comme moi je n’ai rien demandé en grandissant à Saint-Denis. Mais s’il te plaît, ne nie pas ce que tu es en te la racontant dans une favéla ! Il fabule sur la misère alors qu’il y a des mecs qui naissent, qui vivent et qui crèvent dans des favélas en rêvant d’hôtels particuliers. Lui, il trippe à faire le chemin inverse. Etre riche n’empêche pourtant pas d’être un rappeur, un danseur ou super tagueur ! Solo avait gentiment évoqué sa rencontre avec Squat comme étant la rencontre improbable d’un gamin d’Antony avec un gosse de riche. Il l’avait super mal pris. Quand ta mère a un 200 mètre carré à NYC avec vue sur Central Park, que tu as une résidence secondaire à Thoiry et que tu as grandi sur les hauteurs de Montmartre, ne t’invente pas une misère dont tu n’as jamais été victime. Si ce n’est pas être gosse de riche, c’est quoi alors ? Mais encore une fois, on peut être riche et aimer le hip hop ou en être un acteur majeur, ce n’est pas ça qu’on lui reproche. Donc ce n’est pas de ça dont il aurait du avoir honte pendant toutes ces années. Quand j’ai vu son clip sur l’Afrique, c’est la plus grosse barre de rire que je me suis tapé de ma vie. C’est dégueulasse ce clip fait par Kim Chapiron. Tout le clip, c’est la quintessence du « bwananisme ». Il ne manque que l’image de la femme a seins nus en train de piler du mil, et tu as tous les clichés de la terre sur l’Afrique en un clip. Quand je lui parlais encore, il m’avait raconté ses fausses embrouilles avec sa belle mère. Bah putain, vient faire un tour chez nous et tu vas en voir des vrais problèmes familiaux ! J’ai une anecdote qui résume tout Squat pour moi : des mecs partent au Brésil avec lui, fasciné par lui, le KRS2. Ils le voient partir avec deux putes. Face aux mecs qui étaient un peu dépités de voir ça, Squat leur dit « attention man, moi les putes, je ne les paie pas, je leur apprend à parler anglais pour qu’elles puissent s’en sortir dans la vie ! ».  Voilà, c’est tout Squat à mes yeux ! Ce qu’il aime dans le ghetto, c’est le cul des renois. Par contre, une chose à son crédit : je pense qu’il croit vraiment à ses conneries. Il ne sait même plus où il habite, ils sont 36 dans sa tête. Il va dénoncer le « rap caillera » et il part faire des morceaux avec LIM ! Mais il se fout de la gueule de qui ? Sois cohérent ! Après, il veut se mettre avec des Mac Tyer, des mecs de rue. Mais il cherche à acheter quoi ? Il vient y chercher un fantasme. Bref, et puis surtout, il est devenu mauvais depuis des années et ça se voit. De toute façon, j’aurai toujours plus d’indulgence pour le mec qui vient d’en bas. Fondamentalement, la rébellion chez les bourgeois est facile car il y a toujours un moment où ils rentrent dans le rang. Il y a toujours leur place qui les attend au chaud. Ils peuvent y aller. C’est la différence. J’ai toujours eu plus d’indulgence pour le « Rastignac » prêt à tout pour y arriver et grimper. C’est pour ça que je préfèrerais toujours un Joey Starr à un Squat.

DWT : Deuxième chose sur ta présence sur facebook, on est en mesure de se demander si tu n’aurais pas un problème psychologique avec le sexe ? Tu en parles beaucoup de manière crue sur ce réseau. Cela n’est pas nouveau puisque tu publiais déjà des photos spéciales dans Get Busy…
Sear : Les gens retiennent souvent ce qui est à leur niveau de compréhension… Il ne faut pas tout prendre au premier degré. Après, c’est un jeu. J’étais quand même un bon pornophile. J’assume tout ce que je dis. Après, tu en ries ou tu n’en ries pas… Pour ce qui est des photos montages, c’était l’influence de Hara Kiri (ndlr : journal satirique disparu créé par le Professeur Choron). Leurs couvs m’avaient marqué quand j’étais gosse Le professeur Choron par exemple, je kiffais bien mais pas au point de m’identifier à lui même si je suis chauve ! Mais vaut mieux s’inspirer de Choron que de Philippe Vall.

Je n’ai jamais été Zulu King mais j’allais à tous les anniversaires de la Zulu Nation. (…) Je n’ai jamais critiqué mais pour moi, c’est un truc qui est mort.

DWT : Tu es retourné l’année dernière à un anniversaire de la Zulu Nation à New York. Tu avais connu ce genre d’événement à une toute autre époque, dans une autre ambiance, il y a maintenant 25 ans. Qu’est-ce que cela t’a inspiré ?
Sear : Je n’ai jamais été Zulu King mais j’allais à tous les anniversaires de la Zulu Nation. J’étais peut-être même plus Zulu King que les autres finalement. Pendant des années, Deenasty n’avait pas le droit de l’être alors qu’il l’était beaucoup plus que tout le monde. On a reçu le hip hop comme un tout. Si tu étais dans le hip hop, t’étais Zulu. Après, je n’ai jamais été dans le truc religieux du style : tu ne dois pas frauder dans le métro, tu ne dois pas tagger, etc… Si tu connais les mecs de New York, tu vois qu’en vérité, ça a toujours été des grosses cailleras. Ils n’ont jamais été des enfants de cœurs. La fondation, on l’a reçu comme ça. Je n’ai jamais critiqué mais pour moi, c’est un truc qui est mort. Les gens qui essayent de revivre ça, big up à eux, tout ce qu’ils veulent, mais bon… Je suis allé au dernier, à Harlem. Il y avait un plateau de ouf mais tu sens que c’est un truc moribond. Il n’y avait pas la vibe. Le premier anniversaire que j’ai fait, c’était en 1989. Aujourd’hui, ça ressemble à une réunion d’alter-mondialistes venus du monde entier. Ca sent le patchouli et ils vendent de l’encens. Ce n’est plus les trucs comme on a connu avant. Après, peut-être qu’on a vieilli aussi. On a plus 20 ans, ni les yeux de notre jeunesse et on est peut être blasé. Red Alert fait vraiment vieux. C’est le troisième âge mais j’ai toujours un attachement pour ça. En France, on est ailleurs. Vouloir faire revivre ça, c’est vouloir faire du bouche à bouche à un cadavre. C’était un beau truc mais maintenant, c’est comme essayer de faire courir un tétraplégique.

DWT : Pour finir, ton analyse sur le paysage musical du rap et la mouvance hip hop d’aujourd’hui se traduirait-elle par une satisfaction ?
Sear : Le rap a gagné malgré tout. Il est partout. Aujourd’hui, des mecs de 40 ans ont grandi avec ça. Je connais même des mecs qui lisaient Get Busy et qui sont devenus avocats (rires) ! Ce courant a influencé la mode, la pub, etc… Même si les gens ne veulent pas le reconnaître, on a gagné. Après, c’est une victoire amère parce qu’en vérité, on ne contrôle pas grand chose. C’est dans l’ordre des choses. En 1983, on est 100. En 1986, on est 500. En 1990, 10 000. Aujourd’hui, on est 10 millions avec tous les inconvénients et tous les avantages que cela comporte. Cette culture a eu sa jeunesse, tout était neuf, tout était à construire. Pourquoi on était si motivé ? Parce qu’on pensait que notre culture était mieux que les autres. On a toujours eu cette contradiction de vouloir être reconnu et de vouloir rester underground. Aujourd’hui, je peux être super critique sur le rap mais à ceux de l’extérieur qui le sont, je leur dit de regarder leur variété française ! Arrêtez de nous casser les couilles. Ils sont capables d’emmerder un groupe comme Ärsenik alors qu’ils vendaient 300 000 albums mais ils préféraient recevoir Patrick Fiori sur tous les plateaux de télé alors qu’il ne vend rien. Le rap reste la musique la plus stigmatisée alors que c’est la musique la plus populaire dans la jeunesse. Tu as toujours malgré tout cette condescendance sociale et ethnique, un racisme latent. Les mecs qui tiennent le truc sont encore des soixante-huitards et des ex-rockeurs. Pourquoi ? Parce que et ce dans n’importe quel domaine, pas que le rap, plus tu vas grimper dans l’échelle sociale et plus tu ne vas trouver que des hommes blancs d’un certain âge avec une certaine idée de tout ça.

Propos recueillis le 12 mars 2014 par FLo et Nobel avec le renfort d’Alain « Masterflash » Garnier.
Remerciements particuliers pour leur accueil et leur amabilité à Emmanuel, Muriel et toute l’équipe de la respectable imprimerie coopérative Expressions 2 (Paris 20ème).
Photos par © Aurore Vinot – Archives © Sear, © Xavier 2 Nauw et © Alain « Masterflash » Garnier.

Livre « Interdit aux bâtards » par Sear Get Busy (Edition Le Gri Gri – 10 euros) disponible par correspondance ici.

Le rap a gagné malgré tout. Il est partout. Aujourd’hui, des mecs de 40 ans ont grandi avec ça. Je connais même des mecs qui lisaient Get Busy et qui sont devenus avocats (rires) !

Assassin et son histoire vu par Solo

Interviews
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Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté.

DWT : Quand est-ce que tu rentres dans les rangs ?
Solo : J’avais vu sur TF1 un sujet sur la tournée « New York City Rap Tour » en France dans l’émission « Mégahertz » d’Alain Maneval, qui avait diffusé des images incroyables de la venue à Paris en 1982 d’Afrika Bambaataa avec Fab 5 Freddy, DST, le Rock Steady Crew, Mister Freeze, les Double Dutch girls, Futura, Rammellzee,  etc…  C’est là que j’ai tout découvert. Je n’y étais pas allé car j’étais un reurti, banlieusard et danseur de kyfun… J’étais déjà dans Kurtis Blow, mais pour moi c’était de la funk et pas du rap. J’avais essayé de danser à la minute même après cette émission, j’avais tout poussé chez moi pour tester mais il m’avait fallu encore six mois pour que je comprenne vraiment ce que c’était. Et c’est grâce à « Flashdance » en 1982 ou 1983 que je comprends clairement ce que c’est et que je me prends LA quecla… Et c’est là que tout a démarré pour moi : les gants blancs, etc…

J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse.

DWT : Tu vivais à Anthony (92) à l’époque. Beaucoup avaient vu la lumière comme toi en 1983 dans ton quartier ?
Solo : J’étais le seul. Pour mes potes, c’était uniquement l’oseille qui comptait. En allant faire mes affaires de reurti sur Paris, moi qui était habitué à voir des skates tout pourris, je vois des mecs sur des super skates et là, je me rends compte qu’il existe d’autres choses… Et je me dis que c’est quand même plus cool que de passer son temps à se faire courser par les flics… J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse. Je m’interroge sur mon cheminement et comment ça va se finir : soit je vais être un super braqueur, soit je passerai mon temps à cambrioler les gens, soit je finirai toxico ou charclo. Il n’y avait même pas l’espoir du travail, ni en réalité, ni en rêve… Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !! Je suis interpellé par ces gens qui utilisent l’espace public pour pratiquer des activités d’une manière qui m’était jusqu’à lors inconnue. C’est surtout d’autres mecs qui dansaient à Montparnasse devant les miroirs de la tour, qui vont vraiment m’interpeller. Au début, j’y vais pour voir et comprendre un peu plus, de mes yeux, ce qui ressemblait à ce que j’avais vu à la télé. Moi qui cours partout, joue au foot et danse tout le temps, j’accroche réellement et je finis par les rencontrer.

DWT : …Tu en arrives par occuper la place de danseur officiel dans l’émission « H.I.P. H.O.P. » présenté par Sydney sur TF1 en 1984 au sein des Paris City Breakers (PCB). Comment t’es tu retrouvé à former ce crew avec les deux autres danseurs ?
Solo : Ca s’est fait au travers d’une rencontre avec Scalp au Trocadéro. Scalp est le petit frère de la fiancée de l’époque (Candy) de Sydney, il cherchait un autre danseur pour un direct dans une émission de variété (« Atout cœur » de Patrick Sabatier). Scalp et Franck le breaker fou avaient décidé, sous l’impulsion de Sydney, de fonder les PCB en référence aux New York City Breakers. J’ai été intégré au groupe et les choses se sont enchainées pour moi.

Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !!

DWT : Sur quelles bases cette émission a t-elle été montée ?
Solo : Marie-France Brière était directrice des programmes de Radio 7 (Radio France) où Sydney avait une émission de radio quotidienne ou hebdomadaire, je ne sais plus, dans laquelle il jouait de la funk, de l’électro-funk et du Rap. Brière était témoin de l’engouement des jeunes pour ces nouvelles musiques car à chaque fois que Sydney invitait un artiste américain à la radio, il y avait un envahissement du hall d’entrée de Radio France. Bien que ce hall soit immense, tu ne pouvais même plus y rentrer. Des mômes dansaient partout, un joyeux bordel sans histoires, tous étaient là juste pour participer. La radio n’avait jamais connu d’envahissement avant Sydney. Voyant cela et passant directrice des programmes variétés de  TF1, Marie-France Brière décide en 1984 d’accorder un créneau horaire à Sydney pour animer la première émission de télé du monde consacrée au hip hop. Tout d’un coup, petit renoi de banlieue que j’étais, je me retrouve à la télé alors qu’on me considérait comme un cancre notoire ou une espèce de relou de service. Les gens qui me regardaient à moitié se mettent à me regarder vraiment. et tout ce qui était du domaine du rêve, limite inconcevable, devient réalisable…

DWT : La déprogrammation de cette émission a t-elle été vécu comme un arrêt brutal vu l’effervescence qu’elle avait provoqué dans votre quotidien ?
Solo : C’était une dure réalité mais c’est ce qui a permis de tester notre détermination et de connaître réellement nos motivations : s’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée, qu’il fallait arroser, aider à se développer afin que la plante prenne de l’envergure. Le but de cette émission de télé était juste de faire découvrir ce courant culturel. Il ne faut pas prêter à des chaînes de télé ou à ce genre de médias des intentions qu’ils n’avaient pas.

S’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée.

DWT : Un nouveau chapitre de ton activisme va démarrer… Comment débute l’histoire du groupe Assassin ?
Solo : Je me rends à New York grâce aux thunes touchées par « H.I.P. H.O.P. » et j’y rencontre par hasard, dans une boîte, Vincent Cassel, le grand frère de Squat, en 1984. On se parle vite fait car il me reconnaît. Lui avait découvert le hip hop, non pas au travers d’une émission de télé, mais en se rendant à New York car sa mère y habitait. Je l’ai recroisé par la suite en France aux Bains Douches et on est devenu ami. L’année qui a suivi, je me suis fait virer de chez moi et je me suis retrouvé à traîner. L’émission « H.I.P. H.O.P. » s’étant arrêtée, je n’ai plus les mêmes moyens financiers que j’avais avant. Vincent m’a hébergé pendant un certain laps de temps et j’ai donc connu Mathias alias Squat, son petit frère. Squat n’était pas pas trop là car il était encore en sport étude tennis. Quelques temps après, on commence à être dans les balbutiements du rap. Comme on est vraiment LA bande de potes, on essaye de faire des trucs ensemble. Vers 1986/1987, Marco Prince (FFF) nous aide à faire une maquette et nous fait enregistrer dans le petit studio d’une boite de pro d’un ami commun, Olivier Brial, paix à son âme. Le morceau s’appelait « Les esprits faibles » dans lequel Vincent Cassel, Squat et moi rappions : « Les esprits faibles doivent être à la mode, mais je te dis que le mien n’est pas commode, il est froid comme le fer et dure comme la pierre…« . Un ou deux ans après, Squat et moi nous fréquentions plus assidument. Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

DWT : Le fait d’avoir côtoyé très tôt le monde du show business, de la mode et des décideurs a t-il favorisé l’existence d’Assassin ?
Solo : A cette époque là, où tu es bon et t’existes, où tu es nul et tu es rayé, point barre. Il n’y a même pas d’entre deux. La connexion se fait parce qu’il y a une qualité. Ces gens là n’étaient pas des philanthropes qui nous disaient simplement « ah ouais tu es mon pote, tu es cool » avec une petite tape dans le dos. Il fallait susciter un engouement, avoir du charisme et être incontournable pour les intéresser. Comme Rakim disait à l’époque : « l’important n’est pas d’où tu viens mais ou tu te tiens »». L’énergie que nous dégagions et notre potentiel comptait beaucoup.

Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

 

DWT : La démarche de quitter Remark Records, avec qui vous aviez sorti « Note mon nom sur ta liste », en prenant la décision de vous auto-produire dès 1993, démontre t-elle réellement que vous aviez la capacité d’être indépendants ?
Solo : Entre ce qu’on a dit et ce qu’on a fait… J’avais contacté Corida au départ, en 1992, pour que nous calions une date d’Assassin à La Cigale. Nous rencontrons Jacques Renault et il nous fait confiance. Le concert est complet et sans promo, le show était incroyable… Corida est devenu notre partenaire et nous a aidé à concrétiser ce qu’on a entamé. Nous prenions les décisions mais ils nous conseillaient, nous épaulaient financièrement et juridiquement. On était dans une démarche d’indépendance et on se comportait comme tel. Mis à part IAM, je ne suis pas certain que tout ceux qui ont signé à l’époque sortaient quelque chose qui ressemblait à leur démo. Pour NTM par exemple, ils se sont retrouvés avec des directeurs artistiques, etc… Ce n’était pas notre cas. On se prenait la tête, on gérait tout, on faisait nos maquettes et on les enregistrait dans un gros studio. On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

DWT : Comment en arrives-tu à quitter le groupe alors qu’il commence à prendre un sérieux envol ?
Solo : Je trouvais qu’il y avait un décalage entre nos actions, ce qu’on dégageait et ce qu’on était réellement. Il y avait pour moi un décalage paradoxale entre la manière dont on apparaissait et la manière de se comporter les uns avec les autres. Il y avait aussi une certaine forme d’inconsistance dans ma manière de faire face à certaines problématiques, comme le développement du groupe ou l’équilibre des rapports entre les uns et les autres. Certains pesaient plus que d’autres dans la prise de décision. Je ne m’y retrouvais pas et je n’arrivais pas à me positionner. J’ai pensé que la solution était de m’en aller. Squat a essayé de faire perdurer le groupe avec ses armes et ses moyens et il ne s’en est plutôt pas si mal tiré. Il a eu du cran et du courage car ce n’est pas évident de continuer seul une aventure qui a été commencé à plusieurs. C’était plus facile de parler que de faire. Ce qu’est devenu Assassin peut plaire ou déplaire, mais on ne pourra jamais enlever à Squat qu’il a réussi à continuer.

DWT : Peux-tu enfin nous faire partager les raisons du clash Assassin / NTM ?
Solo : Malentendu, mauvaise foi… tout ce qui représente les humains dans leurs mauvais côtés. Il y avait de la compétition mais également, et finalement, de la concurrence… Et il y a cette histoire d’Olympia… NTM y avait déjà calé une date en 1993. Nous voulions également faire une grosse date sur Paris. La seule qui restait à l’Olympia, c’était un jour avant eux… Corida pose une option dessus. Ils en ont eu vent avant qu’on ait le temps de leur expliquer ce qu’on envisageait.

Nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter une trahison, et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

On développait avec NTM l’image des représentants du « nord », donc on s’était dit qu’on allait occuper l’Olympia ensemble pendant deux jours, genre mini-festival, faire une communication commune, etc… Car de toute façon, on avait l’habitude de faire des scènes ensemble, ça restait dans cet esprit. Sauf que Joey Starr, apprenant l’info de son côté, appelle Squat et l’abreuve d’insultes sur son répondeur. Malgré ma tentative, dans la foulée, d’expliquer à Joey notre démarche et qu’il avait tort de réagir comme ça, il ne voulait rien entendre et à continuer d’être véner (ndlr : la date des NTM à l’Olympia est finalement annulée). C’est pour ça que je dis que c’est de la mauvaise foi car on était supposé être des amis, de longue date en ce qui me concerne avec Joey, sans parler des affinités affichées entre les deux groupes et la multitude de services que Crazeebo et moi même leurs avions rendu : la première maquette que Joey est jamais enregistrée, les bandes pour leurs concerts, j’avais même co-produit avec DJ S le morceau « C’est clair » de leur premier maxi sans avoir été crédité… Bref, cela ne me paraissait pas incongru qu’on puisse s’expliquer vu que nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter, une trahison et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

DWT : Qu’est ce qui t’as motivé pour la reformation d’Assassin sur la scène de l’Olympia en 2009 ? Celle-ci laisse t-elle présager des retrouvailles également en studio ?
Solo : Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté. Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

DWT : En 1994, tu en arrives à quitter Assassin, pourquoi tu ne continues pas une carrière solo ?
Solo : Manque de confiance, manque de confiance, manque de confiance et encore manque de confiance. Sur l’existence en tant qu’artiste par exemple, je voulais viser plus haut que ce que je pouvais faire. Après Assassin, et dans ce mouvement musical, je me mettais la barre beaucoup trop haute. En tout cas, plus haut que mes propres capacités. Je voulais tellement bien faire, qu’à la fin, de manière inconsciente, je ne faisais pas, pour ne pas me tromper.

Photo © Nico/SKGZ – Aiiight.fr

DWT : En 1996, un projet de trio voit le jour composé de Polo, Jojo (Joey Starr) et Solo… Que s’est-il passé ?
Solo : J’étais encore dans la naïveté de croire que les choses peuvent se passer d’une manière super simple. Dans tout ce qui est de l’ordre du partage et de ce que je mets dans mes relations, il s’agit de sincérité et de simplicité. Ce n’est pas parce que ça n’allait pas un jour qu’on ne pouvait pas évoluer. Tout le monde n’y mettait pas la même volonté. Ca a été une jolie idée mais ça n’a pas abouti. Joey a une certaine personnalité. Quand tu vois que son dernier album s’appelle « Egomaniac », il est au moins lucide sur lui même. J’ai été un personnage très naïf pendant très longtemps.

DWT : Monter ce trio avec Joey constituait-il une forme de revanche sur ton départ d’Assassin ?
Solo : C’était une démarche naturelle. A un moment, j’étais assez proche de Didier et dans une intimité qui faisait que j’en suis arrivé un jour à lui dire qu’il était le frère que je n’avais pas eu. Est-ce que ce sentiment était partagé de sa part ? Je ne peux pas répondre à sa place. C’est quelqu’un avec qui j’ai traversé pas mal d’époques, pas mal d’épreuve de la vie. Dans mon imaginaire, le vrai groupe qui aurait du exister naturellement, il aurait dû être composé de Solo et Joey Starr ! Avec du recul, vu la haine viscéral que Joey éprouvait à l’égard de Squat, c’était peut être une manière de marquer le coup pour lui. Il arrive que cela se fasse inconsciemment et que certains n’aient même pas conscience du côté vindicatif ou mesquin de leurs actes. Est-ce que c’était le cas de Joey vis à vis de moi ou de Squat, il n’y a que lui qui peut répondre.

DWT : Tu gardes des souvenirs sympas de l’époque de La Chapelle…
Solo : …sympas ?

Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout !

DWT : …il y avait quand même les block party de Dee Nasty…
Solo : Il y a eu des bastons mémorables oui !! C’était surbouillant frère. Des mecs se faisaient gravement dépouillés. Il y avait des trucs sales. Il y avait une équipe de relous composé de Monster Kaze, Rital et d’autres taggers survéners. On marchait beaucoup à la bière à l’époque. Un jour, Lady V était allé seule au terrain. Monster Kaze avait voulu la taper, je crois même qu’il l’avait giflé. C’était vers 1986 ou 1987, à l’époque où Didier Morville (ndlr : futur Joey Starr) était surnommé « Joey Valstar »… A l’époque, j’habitais rue de la Roquette, donc elle arrive chez moi en pleurs. Je fonce là bas, ça part en baston et ça se termine au couteau. Kaze essaye de me planter le couteau dans la gorge. J’arrive à lui retirer mais il m’ouvre le menton. Je l’ai acculé jusqu’en haut d’une rampe, au fond du terrain, qui montait car il devait y avoir un ancien parking. Arrivé en haut, j’essayai de le faire tomber dans le vide… Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout ! C’était un lieu incontournable. Son histoire est mémorable. Il y avait cette atmosphère genre block party à la new yorkaise retranscrit à la française. Mais sinon, dans la manière dont les choses se déroulaient, il y avait toujours un moment où ça partait en vrille.

DWT : Quelle vision as-tu de la transposition du hip hop en France ?
Solo : Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route. Le meilleur exemple est qu’en France, il s’agit beaucoup plus d’égotrip et de représentation par rapport à un truc personnel qu’une vision d’ensemble et de partage. Et je suis autant à blâmer que les autres. Le rap n’est qu’une discipline du hip hop mais il ne faut pas oublier qu’au début, c’était le DJ qui était la star et qui appelaient les MC’s pour alimenter son truc. Les MC’s se sont accaparés la vedette et les DJ’s ont été relégué en arrière plan. Le hip hop, c’était que quand tu faisais une party, tu avais obligatoirement avoir le DJ, le MC, le crew de danseurs et les graffeurs…

Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route.

DWT : Vois-tu une forme d’influence sur la création de cette musique, voir un formatage, lorsque certains directeurs de programmation de radio, à partir du milieu des années 1990, ne se gênaient pas pour mettre leur grain de sel en studio lorsque des groupes enregistraient ?
Solo : Il faut surtout s’interroger sur ce que ces artistes étaient prêts à faire. Il appartient à chacun de décider. Maintenant, je pense que ce n’est pas la place d’un directeur d’antenne ou de programmation de radio d’être dans un studio quand le groupe est en train de créer ou lui demander de remanier après coups. Des gens l’ont accepté sinon cela n’aurait pas eu lieu. Ce genre de personne ne s’invite pas tout seul dans un studio, on l’y convie. On ne peut pas diaboliser un directeur de programmation de venir participer puisque c’est les artistes eux même qui l’invitent… C’est plutôt ce genre d’artistes qu’il faut diaboliser. C’est à eux de se poser des questions et de se demander s’ils ont baissé leur pantalon et leur culotte à un moment donné. Quand on lisait « interdit aux bâtards » dans Get Busy, c’est ça que ça voulait dire. Cette musique a été formaté car certains l’ont bien voulu. Est-ce que moi, j’en fait parti ? Non !

DWT : Tu diriges maintenant ton label Black Frog et prend souvent les platines notamment au sein des soirées Toxic. Est-ce que tu retrouves une sorte d’épanouissement sincère comme au début de ce mouvement ?
Solo : C’est maintenant que j’ai l’impression vraiment d’être hip hop. Je le suis plus que je ne l’ai jamais été. L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

 

Retrouvez Solo au commande de son label Black Frog ent. pour la sortie du Maxi « Pigalle » des « MonomaniaX » (courant mai 2012) avec des remixes de Para One / Blackjoy / Kaptain Cadillac et la vidéo réalisée par Jeremy Halkin & Anto Hinh Tai ainsi que le EP du talentueux Uncle O annoncé pour courant juin 2012.

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