Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement.
« Je ne te répondais pas parce que je ne voulais pas te dire non ». C’est connu, Mathieu Kassovitz n’est pas un grand fan des interviews. Il les distille avec parcimonie mais a accepté de nous recevoir chez lui, sur place, sur son territoire… « Rentrez, je suis pressé et je sais que ça va durer des plombes. Vous voulez qu’on parle hip hop ? Alors allez-y, on enchaîne ». Vingt ans après la sortie du film La Haine qu’il a réalisé, on en avait accumulé des questions. Suffisamment pour que ça dure des plombes. En plein festival de Cannes, vous monterez les marches du hip hop accompagné de Mathieu Kassovitz. Le réalisateur n’a pas accepté de prendre la pose, seul un paparazzi connu dans le milieu du hip hop, Alain Garnier, a réussi un cliché volé. La première partie de l’interview qui suit sera en compétition avec la suivante et sera diffusée le 22 mai. Tous deux seront certainement nominées pour la Palme hip hop de l’interview !
Première
partie
Down With This : Dans quel environnement familial et social grandis-tu ?
Mathieu Kassovitz : Mon père est arrivé en France en 1956 de Hongrie. Il est juif hongrois. Ma mère fait partie des prolétaires français de la région de Reims. Ils se sont rencontrés à Paris à l’époque où Jean Paul Sartre était au café Flore, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. Cela remplissait le côté intellectuel dont ils avaient besoin pour différentes raisons. C’était des parisiens atypiques qui n’avaient pas envie de vivre dans un appartement normal, ni supporter de vivre dans une cage en banlieue, ni assez d’argent pour s’acheter un truc dans le 16ème. Petit, j’ai donc vécu dans un énorme atelier d’artiste dans le 11ème ou le 20ème. Cela faisait 150m2 d’un seul tenant avec 7m de hauteur sous plafond, c’était hyper impressionnant mais il n’y avait pas de chauffage, des souris, c’était l’horreur. Ils ont découvert la France à une époque où elle était un lieu privilégié et multiculturel.DWT : Quel est ton premier contact avec la culture hip hop ?
Mathieu Kassovitz : A 10 ans, mes parents m’ont fait écouter Bobby La Pointe, puis Brel. Mais ce n’était pas trop mon truc, trop adulte. Bobby La Pointe, c’était mortel, ça m’a amené aux textes.Mes parents (ndlr : père réalisateur et mère monteuse vidéo) ont découvert le jazz des années 1960. Mon père a rencontré, et a eu comme meilleur ami, Melvin Van Peebles par exemple. En parallèle, il y avait le rockabilly avec Billy Aley et les Comets. Mon film préféré, c’était American Graffiti avec sa bande son. Tout cela m’a amené au punk super rapidement. J’étais allé dans la foulée à un concert des Sex Pistols avec un ami dont le frère a joué dans Guernica, un groupe pas mal connu de l’époque Béruriers Noirs. J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls. Mais déjà avant, The Clash m’avait emmené au ska, le reggae, le toast qui t’emmène au hip hop. C’était en fait assez proche tout ça. Même The Clash avait fait appel à Futura 2000…J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls.
DWT : Gardes-tu en tête les souvenirs déterminants qui t’ont fait accrocher au hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Les mecs, j’ai LE souvenir hip hop ! Mon père m’avait emmené à New York. Quand on est arrivé, c’était dramatique. Le pote que mon père était venu voir était sous héroïne. On s’est donc retrouvé le soir, à la rue puis dans des hôtels de merde car mes parents n’avaient pas assez d’argent. Un jour, je suis tombé sur une petite affichette pour la sortie du film Wild Style et je me suis dit : « qu’est ce que c’est que ce truc ?! ». Je suis allé direct sur la 42ème rue, dans la seule salle qui le passait. J’avais 16 ans, j’étais le seul blanc et il y avait tous les mecs du film dans la salle ! Fab Five Freddy, les Rock Steady Crew… ! A chaque fois qu’ils apparaissaient à l’écran, ils se levaient devant tout le monde ! Je connaissais déjà un peu le hip hop mais à ce moment, je me suis dit « ok, c’est bon, c’est quoi ce délire ?! ».DWT : Cette « découverte » a t-elle suscité chez toi des références artistiques dans chaque discipline ?
Mathieu Kassovitz : Ma référence, c’est le hip hop en général. Il y en a tellement dans chaque domaine. Des mecs qui représentent le hip hop pour moi sont des potes dont les noms ne vous diront rien. Je ne vais pas vous dire Tupac, Biggie Small ou Eminem, je ne les connais pas. Je ne sais pas comment ils sont. Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement. Le graffiti a révolutionné l’illustration, les beat-makers ont révolutionné de A à Z la façon de faire du son. Plus que le Jazz a changé les choses.DWT : Que représente pour toi la notion de hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Je me suis encore engueulé très fort l’autre jour presque jusqu’à me battre avec un mec pour lui dire que le hip hop a tellement apporté culturellement dans la conscience des gens que cette culture, quoiqu’il en pense, est présente à tous les niveaux dans le monde. J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun. C’était notre façon de fonctionner. On sortait en boîte, on ne fumait pas, on ne buvait pas, on ne draguait même pas. On sortait en boîte uniquement pour danser. Quand on vit comme ça, c’est une vraie culture qui nous dépasse. J’adorais dire que quand tu rentres sur une piste de danse, tu en sors moins con que quand tu y es rentré. C’est ça le hip hop pour moi. Danser sur des beat c’est « facile » mais arriver à faire prendre conscience d’un truc par une chanson tout en sautant en l’air, c’est ça qui est mortel. C’est comme aller voir un Chaplin, tu rigoles et en même temps, tu vas prendre une claque dans la gueule. Comme avec un bon Chuck D ou un bon EPMD, un bon flow et un mec qui a des bons lyrics. Même un Little Jon, il t’arrache la tête. Depuis le début du hip hop, sans parler des Last Poets, mais plutôt des Eric B and Rakim, Mc Shan, BDP, j’ai toujours halluciné. J’ai appris l’anglais pour ça. Pas pour comprendre Shakespeare mais Criminal Minded ou du Public Enemy ! Et à cette époque, quand tu commences à écouter et à comprendre, tu te dis non seulement les mecs sont bons en quatrain mais en plus, ils te sortent des choses que tu n’entends nulle part ailleurs ! Ça pour moi, c’était gagnant. Mes parents étaient des gens socialement actifs donc forcément c’est l’ensemble qui m’intéresse. Après le truc de dire qui est meilleur danseur que l’autre, je m’en bats les couilles. Maintenant tout ça ne veut plus rien dire. Il y a des jeunes de vingt ans qui font des écoles de hip hop. Je me souviens, un jour on se regardait et on se disait peut être qu’un jour il y aura des écoles de hip hop. C’est l’horreur. Je viens du Punk, le jour où on a vu des pantalons avec des épingles à nourrice en vente dans les magasins Prisunic, on s’est dit c’est fini. Pareil pour le hip hop, le jour où j’ai vu des baskets Troop arrivé en France. Ce qui était intéressant à l’époque, c’est qu’on allait chercher nos baskets dans les coins les plus improbables. J’avais des exclusivités qui venaient de Hongrie, les usines étaient en Europe de l’Est, il y avait des modèles qui n’arrivaient jamais ici. Il n’y avait pas de chaussures faites pour le hip hop, on fabriquait nos looks. C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun.(…) C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…
DWT : Fais-tu un rapprochement entre le développement du hip hop en France et la manière dont il s’est développé aux Etats-Unis avec ce côté « peace, unity, love »…
Mathieu Kassovitz : « Peace, unity, love and havin’ fun », c’est la Zulu Nation, pas le hip hop. Je pense que c’est le rattrapage positif d’un truc qui pouvait déjà se barrer en couilles. C’est des mecs de gang de New York qui ont lancé ce truc, le terme hip hop n’existait même pas. C’est eux qui l’ont inventé et qui le lancent avec un truc qui me rappelle ce qu’on a vécu en France. On a eu aussi eu cette période charnière avec NTM quand ils se sont créés et qu’on s’est posé la question 15 secondes de ce que voulait dire NTM : Nique Ta Mère ou le Nord Transmet le Message ? Rappelez-vous que la Zulu Nation s’est opposé au fait que ce groupe s’appelle Nique Ta Mère. Les NTM ont dit nique ta mère, on le fait quand même. Le moment charnière est de dire ok, on en a assez, nique ta mère. C’est ce qu’a fait N.W.A. aux États Unis. Moi je m’en fous, le mec peut être dealer du moment qu’il ne dit pas aux enfants de se droguer ou de dealer. J’espère qu’il dit de l’autre côté aux enfants de ne pas dealer. Il ne faut pas oublier non plus les paroles de Grand MasterFlash dans The Message, qui sont ultra violentes. C’est pour moi un grand morceau. Il y avait un truc positif dans le hip hop. Après tout ce qu’on avait vécu en 1986, avec l’affaire Malik Oussékine (ndlr : étudiant frappé à mort par plusieurs policiers), on n’avait plus envie de faire la fête. Il y avait ce besoin de justice pour moi et mes frères, un truc de base du hip hop : « no justice, no peace ». Il n’y avait pas de minorité à cette époque. On ne parlait pas en ces termes. C’était un mélange de plein de gens qui ont fait bien bouger les choses. Ça a changé de philosophie à partir de ces événements-là, à partir de 1988 et la déception du deuxième tour de Mitterrand, la répression de Pasqua et la ghettoïsation des gens. Les mecs ne pouvaient plus sortir sans que ça fasse une embrouille. C’est ce qui a fait que le hip hop est devenu plus agressif.DWT : Tu signes ton introduction de réalisateur dans le milieu hip hop / reggae parisien avec notamment le clip de Tonton David « Peuples du monde » tourné en 1990. Pourquoi ce choix ?
Mathieu Kassovitz : Je faisais des courts-métrages, j’étais stagiaire chez Mondino, pour des clips. Depuis l’âge de 17 ans, j’étais là-dedans. J’avais réalisé un court-métrage en noir et blanc que je n’avais pas fini. Il était monté mais il manquait le son. Je cherchais 3000 francs pour le finir. Je suis allé voir tous les gens avec qui je travaillais, dans les boîtes de production, etc… On n’était pas beaucoup dans le hip hop à travailler dans la réalisation. Et puis je traînais avec Assassin, donc Assassin – Delabel, Delabel – IAM et IAM – Benny (ndlr : Benny Malapa, producteur du premier album d’IAM). Et de Benny, j’arrive sur Tonton David. Nous n’étions pas 50 à l’époque. C’était un tout petit monde. Dans le clip, il y a Chino, André, B. Love, Nuttea et tous les anciens du High Fight International. C’était un petit groupe. Après, si tu pars sur le ragga en France, c’était encore plus petit. Je connaissais Rockin’ Squat à travers le quartier, Ticaret, le terrain vague de La Chapelle, etc… J’allais au terrain au tout début. Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvé là-bas, c’était en rentrant de New York. J’y avais vu des tags de Boxer et Bando. J’ai suivi la trace et après j’ai vu les graffs. J’y suis allé quelques fois mais j’ai arrêté parce que j’ai eu une embrouille avec des mecs qui n’avaient rien à foutre là. Je ne me suis pas fait agressé mais j’ai flippé parce que j’étais tout seul. J’ai eu du mal à y retourner. J’y suis un peu retourné après quand il y avait les fêtes et puis j’étais à Ticaret tout le temps.DWT : Te souviens-tu de la captation de concert d’Assassin que tu avais « réalisé » en 1993 à l’Olympia ?
Mathieu Kassovitz : Ouais. Je me souviens mais je fais du cinéma, je ne suis pas reporter. Je préfère danser. Je me suis rendu compte que c’était une galère de faire ça. C’est un vrai boulot. Filmer des concerts, j’en rien à foutre. Et en plus les mecs ne payaient pas.DWT : Quelques temps après, le projet de film La Haine se met en route. Quel est l’état d’esprit et l’idée de départ ?
Mathieu Kassovitz : Ce qui a inspiré La Haine, c’est la mort d’un jeune homme de 17 ans qui s’appelait Makomé, tué dans un commissariat en 1993. J’étais présent aux manifestations comme une fois où les policiers ont viré les mères. Ca chauffait. A un moment, les flics ont dit ça suffit. 30 condés en civils sont sortis de derrière les cordons de CRS avec des bâtons, des manches de pioches et ont commencé à taper sur tout ce qu’ils trouvaient. Ca cavalait dans tous les sens. Le seul qui est resté devant tout le monde, c’était Lucien (rires). Ces années étaient violentes. Il ne faut pas oublier qu’à notre époque, on avait la brigade des voltigeurs, les skinheads, Serge Ayoub dans les rues… Qu’un flic pète un câble parce qu’il a un problème dans sa vie ou qu’il est sous l’emprise de la drogue, qu’il tire sur un môme et qu’il le tue… Problème… Problème parce qu’il est deux fois plus responsable. Il est policier, il est armé. Il devrait prendre une peine deux fois plus grande. Si c’était ça la justice, je dirais ok, très bien. Mais il y a une forme d’impunité. Quand tu vois ça et que ça se passe 3, 4 fois et que c’était maintenant la 6ème fois… Je me suis posé des questions lors de cette manifestation. Les flics auraient dû laisser les mamans, dont la maman de Makomé, mais aussi le frère de Makomé, ses cousins, faire ce sitting sans violence. Au lieu de ça, ils ont dégagé tout le monde. Et il s’est passé un truc grave. Ils n’ont pas hésité à viré la mère de Makomé. Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic ! J’ai vu que le mec ne l’a pas fait. Je me suis alors posé deux questions : comment un flic peut commencer et finir sa journée en tirant dans la tête d’un jeune ? Qu’est ce qui s’est passé dans sa vie pour que ça aille aussi loin ? Et comment un môme peut se réveiller le matin et recevoir une balle dans la tête le soir ? Dans La Haine, les trente dernières secondes sont les plus importantes. Ma problématique, c’est les bavures policières. J’aurai pu faire de la bavure policière en campagne. J’aurai pu faire la vie d’un gendarme qui boit trop et qui bat sa femme. J’ai fait une histoire dans une banlieue qui n’était pas définie, imaginaire, avec trois mecs, représentants d’une génération dans un ensemble. Makomé n’est pas cité. Je n’ai pas dit que c’était son histoire. Quand je l’ai fait, je me suis plutôt demandé « qu’est ce qu’il se passe dans ma tête si mon meilleur ami se fait buter par un flic ? Comment je vais réagir ? » Moi, tout de suite, je te dis que j’ai envie de tuer. Mais avec du recul, tu ne le fais pas. Pourquoi les mecs à qui ça arrive ne le font pas ?Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic !
DWT : Tu es fier de ce film et de ce qu’il a véhiculé comme message ?
Mathieu Kassovitz : Bien sur que j’en suis fier. Il faut être violent face à la violence institutionnalisée, Il faut être violent face aux gens qui n’ont pas le droit d’être violent contre toi. L’Etat n’a pas le droit d’être violent contre toi, la police n’a pas le droit d’être violente contre toi. Si un policier met la main sur toi et qu’il n’a pas le droit, tu n’es pas seulement dans le droit mais dans le devoir de lui dire qu’il a tord. Quand tu es témoin de ça, tu ne peux pas laisser faire. Les politiciens et les policiers sont beaucoup plus responsables car ils acceptent de prendre la responsabilité de protéger les citoyens. Protéger son prochain, est le métier d’un policier. Il a une arme, il connait la loi, c’est un métier. Quand quelqu’un outrepasse ses droits pour imposer sa loi personnelle aux autres, il faut pouvoir se battre contre ça. Le moyen que j’ai eu de me battre contre ça, c’est de faire un film.DWT : La même année marque également la sortie du premier film de Jean-François Richet, État des lieux, mais aussi Raï… Une sorte de vague de films de banlieue… Quelles avaient été tes réactions ?
Mathieu Kassovitz : État des Lieux (1995), c’était marrant parce que c’était indépendant, mais c’est beaucoup plus fantasmé que n’importe quel autre film. L’autre Tabata Cash dans Raï(1995) avec son tatouage néo-nazi caché sur le sein et qui faisait une rebeu de cité, ça, j’ai pas compris. Quand La Haine est sorti, les mecs me parlaient d’éthique ! Je leur disait les gars, allez voir les films ! Et je ne parle même pas de mise en scène ou d’art cinématographique, juste du contenu ! Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite. Moi, j’ai un sujet et tout le monde s’en souvient parce qu’il était inspiré et qu’il était juste. Et tout simplement universel.Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite.
DWT : En fonction de notre vécu de banlieusards de Seine Saint-Denis, limitrophe de Paris, on a pour notre part découvert un film limite caricatural, avec des clichés et pas mal de choses qui clochent, comme la scène de la galerie ou encore le personnage de Vince, qui rentre par effraction à 27 ans dans une voiture pour essayer de la voler, accompagné de ses amis de toujours, alors que personne ne sait comment faire et qu’aucun d’entre eux n’est capable de l’anticiper… Dans nos coins, les « voleurs de voiture » avaient 14 ans et c’était des pilotes hors pair avant l’âge du permis !
Mathieu Kassovitz : Je ne pense pas que dans le film, tu penses à un instant que Vincent a 27 ans. Personne ne m’a fait cette remarque avant. C’est la première fois de ma vie que j’entends cette critique. Le soir où tu es bourré et que tu veux voler une voiture avec des copains, qu’est-ce qu’il va se passer ? J’ai déjà essayé de voler une voiture, je n’ai pas réussi alors je suis reparti. Le mec bourré qui arrive à la porte, je l’ai vécu. Le but n’est pas là et puis je trouve que Vincent a fait un bon boulot en ne passant pas pour un mec de 27 ans. On l’a tourné en plus quand il avait plutôt 24/25 ans. Et puis excusez-moi mais des mecs de 32 ans sans chico et qui ne savent rien faire dans les quartiers, j’en connais pas mal. J’aurai pu mettre un vieux, un jeune, un grand, peu importe. Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. Les rappeurs, les danseurs et les trous du cul qui se disent être les plus hardcore pendant des années mais qui ne le sont pas ne m’intéressent pas. Cela n’a jamais existé dans le hip hop. Ce film a une légitimité sociale, artistique et cinématographique mais les gens qui me disent : « ce n’est pas ma banlieue », je leur dit que je le sais bien. J’aurai fait mon film comme les autres, personne ne serait allé le voir. Quand j’ai pris Vincent Cassel dans le film, c’est parce que j’avais besoin d’un petit bourgeois pour que les journalistes se disent « putain le fils de Jean-Pierre Cassel qui fait des trucs comme ça ! » et qu’il me fasse rentrer en salle des gens qui n’auraient pas été voir le film sans lui. Si j’aurai fait le film comme il fallait le faire, personne ne serait allé le voir. Si tu racontes réellement comment cela se passe dans un quartier, les gens vont être dégoutés et personne n’ira le voir. Les mecs de quartiers aux États-Unis font la une des journaux et gagnent 400 millions de dollars par an. Les mecs de quartiers d’ici, si tu ne vas pas chez eux, tu ne les connaîtras pas. Si tu veux introduire la vie des gens de quartier sous le nez de ceux qui n’ont rien à voir avec ça, il faut leur faciliter le chemin. Le choix du noir et blanc facilite, le côté intellectuel modéré facilite, Vincent Cassel facilite, un arabe, un noir et un blanc, ça facilite… (grand sourire). C’est un film intelligent (rires). Il n’était pas marqueté mais bien inspiré. Il a été fait intelligemment parce que j’avais une conviction politique et que je connaissais le message du film.Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. (…) Assassin(s) est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.
DWT : Pour la présentation de La Haine au festival de Cannes, tu refuses de monter les marches en smoking. Pourquoi cette prise de position ?
Mathieu Kassovitz : Je suis monté en sweat-shirt Champion parce qu’on représentait La Haine et qu’on n’allait pas commencer à faire comme tout le monde. On ne pouvait pas aller chercher le prix autrement. Dans ma tête, ça ne fonctionnait pas comme ça. Je leur ai dit que c’était un film sur les quartiers, alors on monte comme on est.DWT : Es-tu également allé en banlieue pour y reverser de l’argent ou aider financièrement des familles en lutte sur ces problématiques de bavures policières ?
Mathieu Kassovitz : Ouais bien sûr. Déjà, avec mon argent personnel. On beaucoup travaillé avec Chanteloup-les-Vignes (ndlr : lieu principal de tournage du film La Haine), pendant presque 10 ans. J’ai arrêté parce que c’est loin et trop compliqué. C’est vraiment un endroit spécial. Tous les ans, on achetait du matériel scolaire pour la rentrée.DWT : Il y a d’ailleurs eu des incidents là-bas cette semaine, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Mathieu Kassovitz : J’ai vu ça. J’ai reçu le message. J’ai juste refermé mon téléphone et j’ai continué à regarder la télé. De toute façon, c’est l’horreur. Ca va prendre une telle dimension !DWT : Si La Haine était à refaire que changerais-tu dans le contexte de l’époque et celui d’aujourd’hui ? Pourquoi n’y a t-il pas eu de suite ?
Mathieu Kassovitz : Car elle serait cent fois plus violente. Comme je sais exactement ce que je veux faire, je sais que la suite ne passerait nulle part.DWT : Vous aviez produit une bande-originale très réussie en parallèle du film. Quel est ton titre préféré dessus ?
Mathieu Kassovitz : Le morceau La 25ème image d’IAM est super beau. Je ne suis pas IAM mais c’est vrai que j’aime bien ce morceau. Assassin avec L’Etat Assassine aussi. Et puis Mon Esprit part en Couilles d’Expression Direkt, ça c’est mortel, c’est un classique. On a bien fait notre boulot non ? Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça. Je vous le dis, ce film a été fait d’une manière très éthique. C’est pour ça qui est reconnu aujourd’hui. Partout où je vais dans le monde, c’est du délire.Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça.
DWT : Tu n’as pas eu dans l’idée de célébrer le 20ème anniversaire du film avec une soirée événement par exemple, avec tous les acteurs ?
Mathieu Kassovitz : Je n’aime pas ce genre de truc. Le seul truc, s’il y a une célébration, c’est de faire la suite. Qu’est ce que j’en ai à foutre ? Les gens ne vont pas payer 15 euros pour voir ça, ils l’ont déjà vu en DVD ou à la télé. En plus, je vous garanti que personne ne viendrait. On laisse ça à Trois Hommes et un Couffin. Je ne vais pas surfer sur un succès et gagner de l’argent sur les banlieues sans raison. Le film que j’ai fait ensuite, Assassin(s), reste une réaction de ce que j’ai subi avec les journalistes sur La Haine. C’est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.DWT : Selon toi, pourquoi n’avons nous pas de filmographie digne de ce nom sur l’histoire du hip hop en France ?Où sont nos Wild Style ou nos Beat Street ?
Mathieu Kassovitz : Parce qu’il n’y a pas de créateurs en France. Il y a des mecs qui veulent faire des trucs, j’entends parler de projets tout le temps, je vois, même quand je suis branché sur facebook. Ce sont des jeunes qui n’ont pas vécu les choses à l’époque. Et dans les mecs qui ont vécu des choses à l’époque, aujourd’hui, il n’y a que moi. J’ai vraiment envie de faire un truc, je me pose la question. Il y a très peu de témoins de la première génération. J’ai vu les premiers mecs faire du break devant l’entrée des Bains-Douches et des gens qui se demandaient qu’est-ce que c’était quand on dansait dans Les Halles.Bonus :La question surprise posée ce mois-ci par Sear :Quand reconnaîtras-tu ton pompage des films de Spike Lee ?
Mathieu Kassovitz : Ok (rires) je ne l’ai jamais croisé Sear. Déjà parce que Sear est un idiot, vous lui direz de ma part (rires) et qu’il n’a pas lu les bonnes interviews. Ou il les a lu mais il fait semblant pour avoir son avis. J’ai dit tout de suite dans mes premières interviews que je m’étais inspiré de Spike Lee et que j’étais fan de Spike Lee, de Nola Darling et Do The Right Thing. Après, je trouve que Spike Lee a fait de la merde. Malheureusement, ce que je reproche à Sear et à des mecs comme ça, c’est d’avoir une idée très monolithique du hip hop. Il y a des mecs qui ont cassé les codes du hip hop, même en peura. Il y a eu une époque où on était à fond avec des « qu’est ce que c’est d’être le plus hardcore ? ». C’était mortel parce que j’étais super énervé et que je suis encore comme ça aujourd’hui. Mais heureusement qu’il y a eu des mecs qui sont sorti de là et qui ont élevé le débat. On en avait vraiment besoin. Pas assez finalement et c’est dommage car à part quelques talentueuses personnes qui sortent des lyrics fun, ce n’est pas d’Assassin dont je vais prendre des leçons, ni de Mathias Crochon. A l’époque du groupe Assassin, ils ont fait un des plus beaux albums du rap français avec Le Futur Que Nous Réserve t-il ? (Volume 1 et 2). J’ai participé à toute la fabrication avec eux. On allait coller des affiches de concert comme en Belgique où c’est moi qui conduisait parce que j’étais le seul à avoir le permis. J’ai collé avec eux mais ça m’a très vite saoulé et surtout, je travaillais le matin. C’était une époque mortelle. Malheureusement, il s’est pris au sérieux Joe. Quand c’était la fin d’Assassin, il fallait arrêter Assassin. Je n’ai pas compris qu’il continue à s’appeler Assassin. Il faut évoluer avec son époque. Ce n’était pas son fond de commerce à l’époque parce qu’il y avait une créativité énorme. C’était plutôt assez juste, assez fort, ils tenaient le coup. Après, quand Squat est rentré dans le truc des pourcentages… Il faut le connaître un minimum, tu ne peux pas dire n’importe quoi parce que tu as lu trois bouquins. J’adore les bourgeois qui se révoltent. Il devrait s’abstenir de dire « 82% des femmes ne pourront pas manger de riz ce soir », « 23% de la population… ». Tu dis des conneries mec et puis surtout tu n’y connais rien. A posteriori, j’ai grandi avec beaucoup de vrais mecs dans le hip hop comme Solo qui ne sont pas forcément les mecs qui ont eu le plus de succès mais qui sont des vrais, purs et durs, à tous les niveaux, même humainement. J’ai rencontré plein des mecs bien dans le hip hop, c’est eux qui m’ont construit. Et je suis tombé sur des petites salopes aussi. Des gens qui disent quelque chose qu’ils ne sont pas ou qu’ils sont mais pour de mauvaises raisons…