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Interviews

Lokiss – Prédateur isolé

Interviews
gabin, lava

Avec LOKISS on sait tout de suite qu’on ne va pas distribuer des bisous. Tant mieux le hip hop c’est d’abord une démarche personnelle pour s’y intéresser réellement puis arrive l’envie du dépassement de soi afin de s’élever intellectuellement. Par la suite, il y a d’éventuels partages et confrontations avec d’autres aficionados de notre mouvement alors conversons tous ensemble. Au passage, sur Down With This on libère la parole de ceux qui ont des choses intéressantes à dire, peu importe les opinions ou les clans, même ceux du Clan Campbell. Cela peut donner à réfléchir, à débattre voir même s’engueuler mais rappelons tout de même que notre belle culture vit d’amour et d’eau fraîche comme tout le monde le sait. Les propos tenus ne regardent bien sûr que leurs auteurs, à vrai dire « le buzz » on s’en bat, le hip hop ce n’est pas un business pour Down With This qui est, et restera on le rappelle gratuit sans obligation d’achat. Ici, Il n’y a rien à perdre, tout à gagner avec zéro publicité. C’est du plaisir, du temps passé et de la passion. On n’a jamais voulu remplir nos assiettes avec ça et c’est mieux comme ça. Certains pour s’occuper comme hobby vont au café PMU, jouent au foot le dimanche, ou même ne font rien du tout, nous c’est DWT. On n’a pas à se justifier sur le contenu de notre site car on contrôle le mic comme Fidel Castro (vu déjà tout ce qu’on coupe par sympathie, Rires). L’intérêt n’est pas de faire des milliers de MC’s, DJ’s, Breakers, Writers en promotion. On l’a déjà fait et bien fait à d’autres époques. L’intérêt ces dernières années, c’est plutôt de susciter la réflexion, pas de servir une sempiternelle soupe promotionnelle imbuvable. Le hip hop est mûr pour avancer encore et faire son auto critique semble-t-il. Cela ne se fait pas avec des « Alors ce nouveau projet ? Ce featuring ? Vous vous êtes rencontrés par hasard ? Tout ce que vous faites est génial, on s’aime tous, faisons une ronde autour de la terre. Ici oubliez tout ça, haussons le niveau, La Place Forte est faite à l’exigeant LOKISS pionnier de la culture « graffiti » européen et surtout bonne année au hip hop français !

DWT : Bonjour Vincent. Question pointue : comment vas-tu ?
Lokiss : C’est drôle, j’avais une meuf que vous avez peut-être déjà vue à la grande époque du graffiti, qui s’appelle Myriam, qui vivait Porte de La Villette, dans la cité de Scalp et toute la bande et je la revois ce soir. C’était ma première vraie histoire d’amour, donc c’est drôle. Je ne l’ai jamais revue depuis 30 ans. Ça me fait plaisir. J’espère qu’elle n’est pas restée sur cette époque-là genre traditionaliste et nostalgique d’un « âge d’or » du hip hop… Evidemment P.E., c’est mieux que PNL. Mais écouter du hip hop en 2017… Ça me rappelle ceux qui avaient une banane et un drapeau sudiste sur le perfecto en écoutant Gene Vincent en 1985.
Sinon oui ça va. Je vais toujours bien. Car je vais toujours mieux que le syrien d’Alep. Ne pas recevoir de bombes sur la tête, ça te relativise le spleen…

DWT : On va donc essayer de ne pas trop t’ennuyer avec nos questions sur le hip hop qui peuvent te paraître depuis longtemps désuètes…
Lokiss : Mais si, vous pouvez, c’est intéressant tout ça. Enfin 5 minutes. Le futur sonne à ma porte et je ne peux pas le faire attendre.

DWT : Tu es né où et dans quelle condition sociale ?
Lokiss : Je suis originaire d’une communauté plutôt arménienne de Marseille. J’ai des origines bretonnes et arméniennes. C’était des marins les grands parents alors comment ils se sont rencontrés… Tous mes frères et sœurs sont nés à Marseille. A un moment tout le monde est venu à Argenteuil et je suis né là-bas. En 68 dans une bonne grosse cité, la ZUP d’Argenteuil.
Une fois, j’y suis retourné et j’ai compris qu’il fallait que j’en reparte. C’est vraiment la zone avec un Auchan fermé, impossible à ouvrir avec trop de vols et de violence. Si j’avais dit je suis né là, ça ne changeait rien, il fallait que j’en reparte (rires). Regards pesants…
Ma mère était dans l’éducation nationale dans une école maternelle et mon père journaliste à La Marseillaise après à L’Humanité.

Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge. Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage.

Je suis arrivé sur Paris vers l’âge de 5/6 ans dans une cité du 20ème arrondissement et puis ascenseur social avec mon père qui a une maison d’édition qui s’appelle Champ libre puis le Sagittaire. Voilà. Mon père devient romancier et ma mère change de truc. Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge.

Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage. Un côté un peu sanguin. On me conseille souvent « d’arrêter de faire peur ». Quel décalage… Cette soi-disante « violence » est essentiellement fondée sur un délit d’opinion. Dans un milieu qui ne prend pas le risque d’en avoir une, et encore moins une pensée contraire à une logique de vendeur de tapis.
Hey la foule, je suis un ange !
Ces gens n’ont aucune idée de ce qu’est la violence, de ce qu’est un vrai dur. Toujours des crèmes ces mecs d’ailleurs, jusqu’au moment où ça dérape… ça parle plus et ça saigne beaucoup.
Moi je parle avant tout, et j’essaie d’agir selon les idées exprimées. Si violence, la voilà !
Tu la sens cette société servile et policée ? Cette culture qui ne s’engage nulle part, au-delà de la bonne vieille morale consensuelle de mamie molle : peace, love, mon chèque ?
Tu parles… non. Pour eux. Tu hurles.

DWT : Tu étais quel genre d’adolescent ?
Lokiss : Quand j’ai découvert le graffiti, j’étais en 6ème dans un collège à la station Anvers, dans le 18ème. Il y avait 5 petits français de souche dans ma classe. J’y ressemblais même si je ne le suis pas vraiment.
Dans la classe, y a que des rebeus bien bastons. Donc là, ça me prépare bien pour le graffiti avec la violence, bizutage et tentatives de racket. Je résiste donc je me fais défoncer tout le temps et on m’appelle « poil de carottes ». Quelle époque. J’aurai du choisir ça comme premier nom dans le graffiti : « Poil de carotte One » (rires).
J’étais dans un lycée où tu avais deux choix ou tu déconnais avec eux, ou c’était l’allumage permanent. J’ai choisi la solution entre deux, j’ai commencé le karaté …
J’étais un bon élève mais super déconneur, passionné par le skate et les rollers. Quand j’arrive vers la culture graffiti vers 13/14 ans je passe mes journées à faire du roller tendance dingue. Je m’accroche derrière les bus, les motos, tout ce qui peut être proche de la grosse connerie et je me balade avec des gars qui vont s’appeler plus tard les Karaï Starz. Une grosse équipe du graffiti du terrain vague de La Chapelle. C’est un peu les U.V. de l’époque.
Des petits démons de 12/13 ans ultra protégés par les grands frères de Belleville.
On s’est appelés Kamikaze Commando en patins à roulettes et puis après les Karaï Starz. C’est une expression que j’ai inventée.
C’est vrai que d’être le seul petit blanc au milieu d’un terrain vague, c’était tendu mais j’étais habitué à ça, ça ne m’a pas déstabilisé plus que ça…

DWT : Tu rêvais à quel avenir dans ta vie ?
Lokiss : Absolument rien d’artistique. Ça c’est sûr. Étrangement, j’avais un truc vis-à-vis de la diplomatie chose dont je suis un peu dénué mais j’étais assez genre « je veux travailler dans des ambassades » quand j’étais petit. Je ne sais pas pourquoi et ça fait beaucoup rigoler les gens souvent quand je le raconte. « Toi diplomate !? » mais sinon rien.
Je lisais très peu de BD, plutôt mon frère. Il m’a initié. Il était très punk. Un jour il revient du service militaire qu’il a passé en compagnie d’un DJ qui écoutait du funk et aussi du rap. Il ramène, en 1979, le premier album de Kurtis Blow et de Sugar Hill Gang. Je m’en souviens très bien. Je l’ai réécouté la dernière fois et je trouve ça toujours très bien. C’est comme ça. Je découvre le rap avant de découvrir le graffiti.

DWT : On parle jamais de cette communauté arménienne dans le hip hop, il y a bien le photographe Armen Djerrahian, mais ça reste anecdotique. Quelques mots là-dessus ?
Lokiss : Je ne le revendique pas parce que j’ai un nom breton et quand un breton vient me voir en disant « oh vous avez un nom breton », je dis non, je suis africain, je dis n’importe quoi en fait. Je suis du genre à dire à un palestinien qui le revendique « moi je suis juif ». Je suis un fouteur de merde. Après vis-à-vis de la Turquie, j’ai un regard différent. Je le dis souvent « vous l’avez bien mérité votre Erdogan » mais en même temps, ils sont contents les gens. Ils disent « vaut mieux un tyran que l’explosion dans tous les sens façon Syrie ». « Vaut mieux un mec qui tienne le pays ». Avec Erdogan, la question du génocide arménien est encore problématique. Déjà car si reconnaissance des massacres, alors implicitement on reconnait les spoliations et on admet l’idée de gigantesques compensations financières… Au fond du fond, ce n’est qu’une histoire de pognon, plus que de fierté nationaliste turque.
Le métissage c’est intéressant parce qu’à un moment tu ne te reconnais dans rien et c’est bien parce que c’est la nouvelle hybridation. Les arabes par exemple me disaient : « les arméniens, ça pue le fromage ». Et les bretons, ça pue le cochon ? Je ne voyais pas d’où ça venait mais ça me faisait accepter. Vaut mieux qu’on se moque de toi que de se bastonner tous les jours.
« Sale blanc », « sale nègre », c’est vrai que moi quand je suis avec des copains noirs et qu’on se nargue en riant, que je leur balance du slogan néo-fasciste dans la face… les gens qui arrivent là-dedans, se disent : « mais vous êtes dingues les mecs de vous parler comme ça !! ».
Aujourd’hui ce n’est plus du tout la mode. Ce gros défouloir délirant.. ça vaut mieux ça que le petit racisme larvé classique, non ?
Je connais plein de personnes prétendant n’être pas racistes, à qui je demande « mais vous avez un noir ou un arabe dans vos amis ? ». Et ils n’en ont pas un seul ou alors c’est un noir qui s’est tellement intégré que c’est un blanc avec la peau noire. Avec une culture définitivement ethno centrée « blanche », « bourgeoise », « Apple ».
Chuck D. Non. Stromae. Oui.
Ensuite entre « blanc », et « petit blanc », c’est un autre fossé culturel, un autre polissage social. Une autre interview quoi !

Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets.

DWT : Quel est le premier aspect qui t’a plu dans le graffiti ?
Lokiss : Souvent, c’est une question que je me pose. Je ne sais pas quelle est la première image. Je pense que ça peut être un clip de The Clash avec Futura. Je copie un peu mon frère. A un moment, il est Mods donc je suis Mods. Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets. Au début, les clips je ne les vois pas. Mais ici, dans ces souvenirs, le vrai déclic, je ne le vois toujours pas. Je suis seul dans ma piaule avec un Onyx marqueur à faire des trucs abominables …
La découverte de Bando, c’est bien après. D’ailleurs, je découvre, avant lui, des graffiti qui sont faits sur mon lycée. Le mec peint plutôt pas mal en plus pour le niveau de l’époque et dans ce collège je rencontre Irus, aujourd’hui réalisateur de clips pour la variété française, et Scipion, urbaniste en Indonésie depuis 10 ans, qui sont dans une classe en dessous et c’est vrai que l’émulation se fait parce qu’on est trois.
Tout d’un coup, je ne suis plus dans le patin à roulettes et les ados juteuses, mais obsédé par ça.
On voit un clip où des breakers portent des lunettes de ski sous la visière de leur Kangol, alors on va voler des lunettes de ski à la FNAC Sports (à la place du Go Sport Châtelet).

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique.

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique. Là, c’est par dizaines, centaines dans les entrepôts, le BHV, les graphigro. La razzia… Même sur ce point, il y a une battle entre les crews.
La mythologie se construit avec celui du hip hop et cet univers un peu mystique dont on voit que des bribes, cela construit du coup un truc encore plus mystique. Plus c’est opaque et plus c’est mystérieux. De là on est complément parti. J’essaie de commencer à danser un peu avant aussi mais c’est très complexe.
C’est une époque un peu folle où chaque jour contient son lot de prise de risques, de vol, de violence, d’énormes fous rires et de grosses peurs. Réellement définir le déclic. C’est mettre une date sur un ensemble complexe d’influx simultanés et de ressentis disparates. Parfois tu aimes une femme sur un accident, je crois que le moment où je deviens un writer, réellement, pas seulement le dimanche façon « hobby », c’est proche de l’accident. Cela aurait pu être la pratique d’un sport extrême.
En même temps niveau « extrémités » le writing n’a pas à avoir honte d’un gars qui dévale une vague de 30 mètres, un hélicoptère Red Bull au-dessus de l’écume. La comparaison est perverse, on y reviendra plus tard…
Je me souviens aussi très bien de Radio 7 avec Laurent Garnier, y’a Deenasty qui mixe le week-end. Laurent Garnier met des trucs super pointus en électro funk et là je découvre pleins de trucs. Les disques Electro Sounds ou le hip hop est encore très électronique, très instrumental avec toutes les compilations que j’achetais au disquaire des Champs Élysées.
C’est la rencontre avec deux personnes qui sont prêtes à faire la même chose que moi. C’est des instants très simples, des choses très bêtes, on est sur un même banc de métro et on se rencontre. Il y a une électricité qui se fait et on commence à peindre à cause de ça.
On peut aussi arrêter juste parce qu’on s’est pris la mauvaise claque au mauvais moment. Et là, c’est trop et on arrête. J’en ai connu pleins comme ça. Des beaucoup plus talentueux que moi, mais qui perdaient leurs moyens dès qu’il fallait défendre physiquement son mur, sa zone, son tag. Personnellement, si j’ai commencé la pratique des arts martiaux, ce n’est pas un hasard. Juste de la survie en milieu potentiellement hostile ! Je pense que c’est un ensemble de petites choses mais je ne peux pas vous dire il y a un instant T qui dit : ok, on y va.

DWT : Qui étaient les premiers arrivés sur le terrain vague de La Chapelle ?
Lokiss : 85 ou 86. C’est évidemment Saho (Ash BBC).
Après, je suis avec Scipion, gros hasard on passe en métro aérien et on voit des mecs dans un terrain vague. Il y a une seule pièce, le terrain est quasi vierge et on voit dans le fond des mecs un peu b-boys : Jay, Skki et Saho. On descend et on va les rencontrer. On est tellement peu que bon… Rencontrer des gens d’une culture similaire fait que l’on sympathise direct.
Ensuite, c’est devenu violent malheureusement avec toutes les histoires IZB, NTM and co.
Je l’ai quitté quand je suis parti peindre des gros murs dans le 15ème. Je me faisais embrouiller comme si je n’avais rien peint et que j’étais un petit nouveau. Une fois, j’ai dit à un mec « je n’ai rien à voir avec vos embrouilles », il me sort une batte et là, 25 tombent contre moi.
Aussi injuste, qu’un flic qui se croit dans Starsky et Hutch et te braque un flingue sur la tempe.
C’est vrai que c’est bizarre d’avoir connu le terrain de la Chapelle à 6 quand on pense à la manière dont cela s’est développé en l’espace de quelques années.

J’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.

DWT : Tu peux nous parler du rapport entre les français et les américains ?
Lokiss : Cette filiation contrariée, cette paternité finalement dépassée, c’est une problématique dans laquelle je m’enfonce en ce moment. Je rédige le second ouvrage qui fait suite à Graffiti (writing) – expressions manifestes, je suis au cœur du sujet… Personnellement, quand j’ai découvert l’univers du writing, donc en 1984, dans cette chose venant de l’« au-delà new yorkais », j’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.
Difficile de rester totalement insensible aux qualités de Dondi ou Seen, mais viscéralement ça ne me touche pas. C’est trop doux et je le ressens comme cartoon, pubeux… pas mon monde. A-One est extraordinaire aussi. Lee Quinones est impressionnant sur toile. Mais, d’abord la religion des engins spatiaux, des manifestes schizophrènes de Rammellzee, des missiles et des conflits spatio temporels. Souvenez-vous des Soul Sonic Force, Jonzun Crew, les premiers singles de DST… le futur en visionnage ghetto low tech et ultra glam. J’accroche immédiatement. Un vieux fond résiduel de culture punk flotte en moi. Et puis “World Destruction” hein ? Styles Wars, hein ? Pas « Styles and flowers »… Reste que je suis un compétiteur et que je ne vis que pour le duel au laser !
Ces cosmonautes sont déjà dans la sculpture et moi je commence à peine à savoir tirer un trait droit sans me chier dessus. Donc instinctivement, je m’impose l’obligation de renouveler le vocabulaire… ce que je fais un peu.
Restons les pieds sur terre sans les freestyles de Futura 2000 ou Ramm (encore lui !), je ne serai pas allé où je suis allé. J’ai européanisé le vocabulaire. Je l’ai confronté à ma propre culture de l’abstraction soviétique aussi, du futurisme italien. Tout ça avec une technique de toy +4. J’ai dû beaucoup travailler et supporter les moqueries quand j’ai pris un rouleau à la place d’une bombe. Quand j’ai laissé de côté les « argent et noir » et la virtuosité mes couilles du joli S…
Lybian Killaz. Skki et moi. Des portraits de Khomeini, des tanks aux abords de la porte de la Villette. Une ville n’est jamais aussi belle que quand elle est en ébullition et que les barricades font feu. Non ?

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…
Puis il y a les retraités yankees de Paris, je dois vraiment en parler ? Est-ce vraiment utile ? Les légendes qui détruisent à qui mieux mieux le mythe sur lequel ces prétendues légendes se sont fondées. Le yankee veut du vert… peindre avec du vert pour gagner plus de vert encore. Qu’importe s’il se ridiculise pour un dollar, s’il humilie une culture de 50 ans pour ça, tant qu’une légion d’honneur tombe…
Donc, please, revenons, au mythe, pardon aux artistes. Oublions les saltimbanques, les vampires, les clowns, les décorateurs du système, et autres ex-rebelles devenus meilleurs kapos du mois. La mythologie !
J’ai une profonde admiration, une vraie humilité devant l’apport des artistes que j’ai nommés au début de cette réponse. Sans eux, rien ou pas grand-chose d’une culture sociale qui, ici seulement, peut s’apparenter à une vraie culture artistique. Un vrai langage bricolé de toutes pièces, se modulant selon le contexte, fabriquant des outils en conséquence. A la manière du DJ qui décide de remplacer l’instrument de musique par les platines. La frustration pragmatique, quelque chose comme ça. L’absence créative, on pourrait s’amuser à créer une liste de mots… exprimant le profond respect que j’ai pour des gens qui ont peu, savent peu, et par génie, enrichissent tout le champ de la calligraphie, de la linguistique, de la sémiotique, et en deviennent les savants les plus révolutionnaires du moment. Mais leur langage accidentel, survient dans un continuum bien lisse de l’art contemporain, et l’histoire de l’art étant écrite par les membres émérites d’une civilisation qui les a envoyés vivre dans ces ghettos,
A part « vouloir faire un coup », Gallizia ou Vitrani en tête, pardon Monsieur Urbain 2017…, et inviter ces indigènes à nous exhiber leurs maquillages rituels, leur place n’est pas dans le musée. Au fond, tant mieux. On dira sans doute plus tard pourquoi.

Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas.

Après cet aveu plein de louanges, oui, je me mets parfois en colère, oui, je prends un temps qui m’est rare pour écrire ces livres. Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas. Tu prends le langage. Tu le vides de son sens. Tu gardes l’apparence. La forme pure et tu l’utilises comme un motif quelconque.
Ce que l’on nomme « abstract graffiti », et dont je serai, je mets ça au conditionnel car je n’ai pas choisi cette vision, un pionnier, en est un exemple frappant… Ces longues improvisations patchwork à 25 sur des escaliers du Palais de Tokyo ou les vitres de Radio France. Tout ça ne veut rien dire… juste une esthétique vidée de son sens.
Et comme c’est abstrait, c’est pratique… Pas de violence, pas de sexe, pas de regard artistique sur l’actualité. Du néant sur du néant ?
La Tour 13 avait pour seul mérite d’être finalement détruite après que les ados quadra se soient amusés. Quand détruisons-nous la Maison de la Radio puis le Palais ? C’est la logique première du writing… dent pour dent. Contre-attaque de la pollution visuelle, de l’hégémonie culturelle. Lis Gramsci.
Mais non, tu veux qu’il t’aime le musée, quitte à abandonner ta langue et ton âpreté : tu veux servir en jouant de ta posture de « rebelle ». Rebelle vraiment ? Tu en es tout l’inverse. Tu es celui que le rebelle, le vrai, ça ne signifie pas que je pense en être un, doit éliminer sans aucun remord.
Bon, ça va, on se calme ! Les « joulies » fresques c’est toujours mieux que des placards publicitaires. Mais si tu prends 5 minutes pour y réfléchir. Au fond les motifs sont-ils si différents au final ? Papiers peints contre papiers peints ? Qui endort le mieux la lutte sociale ? Qui inhibe le mieux toute contestation ?
Graphisme « Tron » et petites resucées constructivistes au scotch pour les nuls… Cool, ça évolue bien… rappelles moi… tu peignais quoi entre 1985 et 1990 ? Tu n’étais pas né, ok…  Alors pourquoi tu n’as pas inventé « ta chose » rien qu’à toi ? Tu es un nostalgique ou un vampire, ou les deux ?
« Regarde Rammellzee, ce qu’ils ont fait de toi … Regarde… C’est joli et sympa hein ? Oui on sait, toi tu disais quelque chose au travers de toutes ces formes. Tu les écrivais. Tu les chantais. Tu les sculptais. Tu les performais… Quoi ? Contrer les mass media ? Oui ça va ! Arrête de râler, c’est mieux que rien, et puis t’es mort, ta gueule ».

On va parler plus loin, des affres du « méta-graffiti », et des gens évidemment plus « intelligents », enfin plus acceptables pour le musée, blancs – éduqués – non revendicatifs, aux discours formatés au mieux dans des écoles des beaux-arts, et de ce « langage alien » des bas-fonds de la galaxie, qui, donc, à force de lissage et de compromission, se dilue au milieu.
Les méta-graffitistes, qui faute de savoir tracer un trait, se disent, allez jouons la free style au cap d’origine, ça aussi, c’est neuf, bravo…, conceptualisons le geste même du writer. Théorisons sur ma nullité.
Le musée blanc adore. Une époque cynique… condescendante et profondément lâche.

DWT : Parle-nous justement d’un de tes graff, le Sons of a gun.
Lokiss : J’avais peint la nuit. C’est marrant que cela aie marqué des générations. Je le trouve horrible, clairement banal. Je préfère les murs en spirales avec les losanges qui partent. Après, avec ce qui se fait aujourd’hui, je peux valider un peu le terme précurseur mais vu le niveau ce n’était pas difficile de l’être. Je préfère les murs à gauche de celui-là, le Duel ou le Bombs. Celui-là, c’est pur graffiti sauf que je mets des trucs un peu losanges mais bon… Et là, tout d’un coup, Bando est mon copain parce que je fais des lettres. Des vraies lettres. Bando vient peindre sur le mur la nuit. On est vraiment copains à ce moment-là. Je pense que je recouvre un truc à lui qui doit être détruit mais il n’est pas resté super longtemps ce mur. C’était le mur extérieur de l’avenue.

DWT : Que t’a apporté la parution de tes œuvres dans Spray Can Art d’Henry Chalfant en 1989 ?
Lokiss : De la fierté au départ puis … de l’indifférence. Aujourd’hui je sais qu’on me connait worldwide à cause de ça. Avec mes baskets roses et les Fat laces roses ! J’aurai préféré qu’il y ait des pièces à moi. Y’avait matière à l’époque…

DWT : Quand je regardais tes graffs enfants, je ne les aimais pas. Ils me gênaient. J’y comprenais rien, et toi ?
Lokiss : Je ne les comprenais pas tout à fait moi même !
C’est la rencontre avec un mec qui s’appelle Deub qui a été hyper importante. Lui, c’est typique de pas mal de gens dans ce milieu. Il a des esquisses et un travail mental d’enfer mais il est incapable de le peindre sur mur. Je le rencontre au terrain vague de La Chapelle et il arrive avec des esquisses faites à la gouache, c’est pour vous dire que le mec est dans un autre univers. Et il pète les contours. Quand tu es dans une ignorance totale de la peinture et de l’art, et bien quelqu’un qui pète un contour, c’est comme la découverte des demoiselles d’Avignon de Picasso : waouh ! On peut faire ça ? Niveau histoire de l’art c’est du zéro complet mais pour nous c’est énorme.

J’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages.

Un peu comme lorsque j’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages. A force, je vais travailler les yeux, les fossettes de la même manière qu’une lettre. J’ai destructuré pour camoufler mon incapacité totale à dessiner de manière réaliste.
Parfois, c’est des ruses de guerre qui peuvent amener quelque chose. C’est la même chose quand on n’a pas d’instruments et bien on prend des platines. La frustration au niveau du maniement de l’outil et de les obtenir, parfois, fabrique de nouveaux modes d’expression beaucoup plus intéressants. Là, c’était le cas.

DWT : Tu n’as jamais fait de descente vandale ?
Lokiss : Pas vraiment mais j’en ai fait. Je me suis fait arrêter dans le métro. Un soir, en descendant de chez Bando avec Colt, Sign et un autre mec qui avait les clés du métro, on a un peu vandalisé. Une autre fois, je suis descendu avec Jon one à NYC. Quand j’ai commencé à tagguer sur le wagon, il m’a dit « les tags, c’est pour les toys »… Ce qui est intéressant par rapport à ce qu’il fait aujourd’hui.

DWT : C’est assez paradoxal puisque c’est l’un des seuls aspects qui trouve grâce à tes yeux…
Lokiss : Ben quand c’est fait par Azyle je trouve ça vraiment intéressant mais bon, la même chose sur toile ça n’a aucun intérêt. C’est encore un phénomène du graffiti. Pour le coût, c’est vraiment un art contextuel. Le contexte est hyper important. C’est d’abord un art in situ. Tout est un influx, la possibilité de se faire arrêter et le truc qui est en train de se détruire, le toit qui se casse la gueule alors si c’est une friche, c’est encore pire.
Dans mon livre (Graffiti [writing] – expressions manifestes / Ed. Hazan), je photographie que du « work in progress » et, également, les éléments architecturaux comme parties intégrantes de la production qui sera documentée dans cet environnement.
Sur le vandalisme, je pense que le contenu du graffiti n’est pas très politique. C’est l’acte lui-même qui l’est. On a réduit notre seuil de tolérance à presque rien … maintenant on choque tellement rapidement.
Par exemple, il y a trois jours, je dessine des enfants et je les mets dans un contexte très déstructuré, mais rien de gênant, il n’y avait pas d’ambivalence. Une symbolique basique liée à l’innocence, la curiosité infantile. Je ne joue même pas avec aucun tabou (je me permettrai pas) et quelqu’un m’a dit « ouais mais tu mets des enfants quand même ». Et ?
J’ai vraiment eu un questionnement quand j’étais à Bologne en Italie. Maintenant, je peins 1 ou 2 murs gros murs par an. C’est toujours les mêmes qui te disent avec des prix qui n’ont pas bougé depuis 30 ans : « Oui mais nous on se bat pour que vous soyez payez au juste prix un jour ». Ben voyons…
J’y vais parce que Daim l’avait fait l’année d’avant et Phase 2 deux ans avant alors je me dis c’est un truc honorifique donc je vais accepter. 1500€ pour 150m2 de peinture. J’arrive et c’est peint en noir. Je l’avais demandé. Je peins le mur.
Plus tard, je vais sur Google Maps pour voir si c’est updaté, ça ne l’est pas et là je vois que le mur était sur-massacré de tags avant mon intervention.
Le plus choquant pour moi et qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est d’avoir recouvert une partie de ma culture et donc d’avoir jouer le kärcher. Donc là, y’a un vrai problème et là je peux comprendre que les vandales nous détestent, nous les fresquistes, les gentrificateurs…
Je me suis dit que c’était un acte politique que de les recouvrir. C’est un acte suicidaire. Ils ont réussi leur coup. Le mur y est toujours. Je n’ai pas été toyé. J’aurai bien voulu car je voulais le repeindre ce mur dans le sens de cette prise de conscience.
J’ai écrit un truc pour l’expo tags qui s’appelait « Graffiti culture suicidaire », c’est un texte qui a été beaucoup partagé, je disais que la vraie anarchie c’est d’être complètement déconnecté du réel, d’être « hors monde ».
C’est une vision aussi poétique qu’elle est profondément naïve. Et j’en suis bien revenu…

DWT : Tu sembles mal à l’aise avec le style de New York, au final, tu es plus perso ou lettrage ?
Lokiss : Je suis un peu le mec qui a tout mélangé. Il n’y avait pas de fond. C’est la fameuse histoire du « qu’est- ce qu’on met dans le fond ? ». J’ai résolu le problème, le graff c’est le fond (rires).
C’est vrai que c’était des lettrages quand j’exposais les trucs et les visages, à un moment, ont tout remplacés. Après, j’ai fait deux murs avec Skki qui ont marqué tellement de gens !
Il a lourdement aspiré Rammellzee et Phase2, proche du plagiat pour moi. Faut pas l’accuser, on a les modèles qu’on veut. En plus, j’aime bien le personnage donc je ne vais pas dire du mal de lui.
Deux murs donc un qui s’appelle Orgasma Penetratorz où on a fait deux pièces l’une au-dessus de l’autre. Toute l’Europe a été marquée. « On peut faire des graffiti l’un au-dessus de l’autre mais pas l’un à côté de l’autre ? ». Ça les a tous marqué. C’est surréaliste…
On utilise du rouleau. On le mélange à la bombe alors là c’est.. révolutionnaire ! On est en 1988…
Et l’autre très grand mur avec deux visages après Lokiss et au-dessus tout son truc rouge Skki. Ça aussi ça les a marqué. Là, je suis encore en association après ça, la lettre je la quitte complètement et je fais que des visages.
Je refais après des lettres quand je reviens en 1996 et que je collabore avec Mist.

DWT : Est-ce qu’on peut dire que les boss du lettrage en France sont Bando, Skki et maintenant Lek…
Lokiss : Ouais, je ne sais pas. Bando, oui je suis d’accord. Je trouve que Skki n’est pas sur le lettrage, ce n’était plus vraiment des lettres. Mais ouais, en France, on va dire ça.
Après je trouve que ce fait Lek, ce sont juste des recettes des années 80/90. A la limite Dem 189 me semble plus intéressant, même si les deux n’apportent rien de neuf.
Et puis sans régler mes comptes ici qui sont par ailleurs définitivement réglés et enterrés…
De quel Lek parles-tu ? Lek et Hof ? Lek et Yko ? Lek et Lokiss ? Lek et Iznogoud ? Lek et Jon One ?
Vivement qu’« il tue le père » comme on dit en psychanalyse.
Car c’est quoi le style de Lek ? Celui qui n’appartiendrait qu’à lui tout seul. Dites, on serait plein à en être curieux…

DWT : Que penses-tu justement du travail de Lek et Sowat ? Il y a eu Le Mausolée mais aussi Le Palais de Tokyo, Les Bains Douches, La Villa Médicis…
Lokiss : Bon je vois que vous avez envie que l’on s’amuse… Ok.
Quand on n’appartient pas à l’Histoire, on s’en fabrique une. Quand on n’appartient pas au mythe, on s’en construit un et surtout, ensuite, on soigne sa communication : livres, films, interviews et autres fellations chez le premier Ministre Ayrault par exemple. Tu veux la photo ?
Ce n’est vraiment pas de l’art, même pas du writing désintéressé et « sauvage ». Non, c’est un plan marketing. Une saloperie de plan marketing. Tout marketing n’est pas nuisible, celui de la Place forte que j’ai dirigé me semblait sain. Tellement sain que Keag et Sore pouvaient me retourner la galerie et la rue de la galerie ! Non, ici, c’est un marketing sale et bête, entièrement co-opté et dirigé vers l’ascension de quelques personnes au sein du bon vieux « système » dont la culture graffiti ne m’était jamais apparue comme la possible putain.
Jusque là.
Au niveau de cette prostitution, j’avoue que la corruption s’est généralisée. C’est pas leur invention… Si au moins, c’était assumé. Non, les protagonistes te défendent que c’est justement le meilleur moyen de défendre cette culture.

40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.

Verbiage de requins… 40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.
Donc le trio gagnant Lek-Sowat-Vitrani, ah il y a beaucoup à dire… Est-ce l’endroit et le moment ? Tu veux vraiment ? Ca va prendre des plombes… Chaque époque a eu ses courtisans et ses benêts oui-oui tu sais ?
100 ans plus tard, qui s’en souvient ? Qui ? Moi je me souviens de Gustave Courbet, pas des 100 seconds couteaux présentés dans le salon officiel qui lui était refusé.
On va zapper Lek par respect pour une vraie amitié lointaine. Le gars que tout le monde appelle « Rain Man » dans son dos. C’est cruel. « Lekiss ». Stop. Ça va. On n’a plus l’âge des chifonnages façon Booba et le reste de l’univers sur twitter.
Passons aux newbies. A ces gens dont on ignorait encore le nom il y a 5 ans. Ces gens qui te disent qu’ils sont donc si différents de Gallizia ou tous les vautours attirés par le rôle de meneur culturel « urbain ».
Qu’ils en sont le rempart auprès des institutions. Le rempart à la récup’ facile… Puisque toi, le vieux, tu n’as pas fait le boulot !
Et ça me donne encore des leçons, et même, sans aucun malaise, questionnent ma street credibility… Ca tombe bien, j’en ai aucune. J’emmerde tout ce qui me « localise ». Je suis né dans la pire banlieue et j’en vomis les prisons verticales. 10 ans, ça m’a suffi. Ça te va ?
Le trottoir, le cher trottoir, je n’en ai jamais voulu, je vous le laisse, heureuse les copines ? Par contre, remonte ton slip, on voit la merde.
Je ne vais pas tomber dans l’insulte. Je respire… Je vais juste refermer par où j’ai commencé.
Donc… le livre « Mausolée, on enterre qui ? Ah ce dingue de Kaze2 et qui on met à la place ? Ah toi… ok. T’es sûr ? Non, parce que tu es un putain de toy, donc je ne pige pas… Tu sais, il y a une hiérarchie… Il faut monter les échelons. Par le nombre ou la qualité, cette chose appelée l’originalité. La créativité. Sampler de l’ancien… heu non ce n’est pas renouveler le genre. C’est juste saigner le cadavre et profiter de l’ignorance. De la peur à traverser le périphérique. A rentrer dans des friches tenus par des gitans….
Pardon. Mais toi tu es qui ? Non, un zéro, c’est trop. Ah ? Ok, j’ai rien compris !
La légitimité, elle se fait plus là ! C’est le premier qui montrera ses dents blanches dans le musée. Qui recevra sa médaille en chocolat au ministère. Okaaaay… Je suis con, j’avais pas compris. C’est vrai qu’en grands gourous de la « street » machine vous avez décrété que l’underground n’existe plus. Mais existez-vous vous-mêmes ? On peut le décréter aussi, dans le journal officiel…
Votre rue à vous n’est qu’un concept store entièrement dévolu à votre succès. Là aussi, ce n’est pas votre invention. Je ne suis pas aveugle. Tout le monde veut en croquer.

Le musée n’aura jamais osé rentrer dans le « hors musée », le « hors cadre », le « en dehors des frontières »… alors construisons un « terrain de la chapelle » en 6 mois. Créons une fiction historique et vendons là comme une épopée de 100 ans aux commissaires du grand Art, évidemment ignorants du subterfuge, et surtout de l’histoire réelle.
Le musée ne viendra pas à nous alors venons au musée.
Attention j’ai rien contre le musée en soi. J’y suis rentré maintes fois. Sous d’autres noms, en faisant autre chose. Juste ce langage n’y a pas sa place. Point. Son contexte n’est ni celui d’une vitrine de Prisunic, ni celui d’une fausse punition de « cube blanc » ou de sous-sol technique … bien loin de la zone ‘grand art’ des étages supérieurs.
C’est une opinion. Et elle ne bougera pas. On m’a inscrit « art nègre » sur une fresque dans le temps. Un skin head a failli nous clouer sur un mur, moi et Skki, avec la même revendication. Mais ouf, on ressemblait plus à des petits gaulois égarés dans le gothic futurism, on est parti en riant. Au fond, est ce que ça a vraiment changé ?
Faisons Lasco. En restant bien dans la piste cyclable du 3ème sous-sol. Et si on monte plus haut, restons sobres, nous les « y’a bon banania » bien polis de la sous culture urbaine.
J’ai peint une grosse quinzaine de grands murs pour le film Vandal. Mais ce film était moins une fiction que le projet Lasco ou le livre « Mausolée ». Cela résume assez bien mon point de vue, non ?
Hall of fame actuel ? La villa Médicis ! Mets-toi à la page, « has been » !!.
Si je fais ces livres aujourd’hui, c’est en grande partie, à cause des dégâts causés aussi par ces perversions, ces opportunismes, ces carriérismes d’épiciers obsédés par l’idée de « faire un coup ». Et de rentrer dans une histoire qui peut facilement se réécrire. Entendre d’ailleurs Magda Danys à ce sujet sans pisser de rire, sans pulsion de mort.
Allez… Les gars, arrêtez tous, non ça sert plus à rien. Les lettrages, c’est dead. Cartonner un train, c’est démodé. Envoyez vos CV aux nouveaux chefs. Ils ont sauté 20 classes d’un coup !

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner.

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner. Comme un jean que l’on préfère faussement usé. Comme un perfecto acheté chez The Kooples, où le Vitrani aurait dû finir vendeur. Rive gauche. Mèche bien mise et souliers cirés.
Le Musée n’ira pas contrôler. Le Musée n’emploie juste que ce qui lui ressemble, fusse t’il un escroc… et ce n’est pas Kaze2.

DWT : Tu as un sens de l’esthétique graphique très poussé. Qualité ou contrainte dans ton travail ?
Lokiss : C’est un acquis. Ça ne m’a jamais bloqué mais peut être éparpillé. Ça m’amène à des choses pas très gaies au niveau de ma solitude d’artiste parce que je ne connais pas un artiste qui peut faire de la peinture et de la vidéo. Je n’en connais pas un seul. Et moi, j’en fais beaucoup plus que deux. Ce qui m’intéresse, c’est de tout mélanger. C’est fini l’art avec des chapelles fermées entre elles.
Quand j’étais dans l’art numérique sous le nom de Vincent Elka et que je suis arrivé en Autriche pour recevoir un prix. Ils ont retrouvé que je m’appelais Lokiss. Ils étaient super contents de mettre sur la feuille d’entrée : Vincent Elka – venant de la culture graffiti – fait maintenant de l’art numérique. C’était un peu rock’n’roll pour eux. Dans un milieu profondément geek et autiste…

DWT : Tu parles souvent de ton inspiration de l’artiste Kupka mais ton style semble plus proche de l’artiste Raymond Moretti finalement…
Lokiss : Moretti, j’ai fini par le rencontrer. Il avait fait une fresque dans l’ancien forum des Halles. D’ailleurs, elle est où maintenant ? J’avais déjà commencé à peindre comme ça mais ça peut être aussi Sonia Delaunay.
Sur les visages, c’est sûr que l’on peut y sentir une influence Moretti.
Bon, c’est toujours pareil là, on parle à un gamin qui ne sait rien. Tu prends les influx comme ils sont. Je parle toujours de 2001 l’Odyssée de l’espace quand il arrive sur Jupiter et le cosmonaute se prend tous les losanges de lumière. Ça c’est nettement plus vrai.
D’ailleurs Moretti, j’ai fini par le rencontrer 2/3 fois avant qu’il meure.
Il était à La Défense. C’était un mec aussi gentil qu’il était très seul.
Il avait produit un truc qui s’appelait « Le Monstre ». Une immense installation assez datée visuellement mais intéressante et complexe. Toujours visible je pense… bien longtemps que je ne suis pas retourné à la Défense donc je n’en sais pas plus.

DWT : Il y a aussi Hervé Mathieu Bachelot exemple au métro Grands Boulevards « Cascades de temps », en 1985, ou son travail à Châtelet « Obliques enrubannées » avec André Ropion, en 85 également.
Lokiss : C’est des mosaïques dans le métro ? Non, le nom ne me dit rien. Déçu ?

DWT : Tu as dis que « se contenter de montrer une multitude de tags sur toile, c’est une imposture », c’est cash comme propos. Tu en places une pour JonOne ?
Lokiss : J’ai dit ça ? « Imposture » ? JonOne n’est pas un imposteur. Il parait qu’il se vante presque d’être un vendu. Reste que c’est un ami et que je l’évite autant que possible car malgré tout, la discussion me semble impossible. Totalement impossible. Et on devine pourquoi …
Il s’est créé un personnage. Millionnaire ou presque, couvert de peintures avec un accent qui donne des frissons aux foules. Ses toiles ressemblent aux punitions d’Azyle sur des wagons entiers. Je suis naturellement plus impressionné par les saturations d’Azyle que ces toiles… Et aussi beaucoup plus respectueux de la personne même d’Azyle. Artistiquement et surtout moralement.

DWT : Alors justement, que te suscite son parcours ? Sa légion d’honneur, sa toile sur « la liberté guidant le peuple » à l’assemblée Nationale, son avion Air France customisé…
Lokiss : Je pense que chaque époque, chaque culture, chaque mouvement artistique engendrent ce genre d’aberrations. Le fait est que je ne me sens appartenir à aucun mouvement… J’étais surtout triste pour lui. Dans une France politique encore profondément marquée par le colonialisme, voir l’incident Guerlain pour lequel il a aussi travaillé non ?, faire sa Joséphine Baker sous les lustres de l’Assemblée… triste, vraiment triste.

La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes.

DWT : Mais ce n’est pas une façon de niquer le système que tu dénonces tant ?
Lokiss : Certains appelleraient ça de l’entrisme. Moi j’appelle ça du cynisme. Et c’est le cynisme qui finit par tout salir. Par effacer toute innocence. On est alors de manière permanente dans l’opportunisme, dans l’intéressement.
La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes. Car alors, on te juge, et sur ta propre pratique, et sur celles des artistes que tu es susceptible d’inviter. Tu n’en sors plus !
Rien n’est blanc ou noir, même si j’ai décrit essentiellement du noir il y a 5 minutes. Du noir sale et visqueux. Niquer le système tout en le servant… tu devrais poser la même question à Chuck D (ndlr : c’est déjà fait !). Sa vision de l’industrie musicale et du rap pourrait être riche d’enseignement à ce sujet.
Et au fond la problématique et ses conséquences sont identiques. Niquer le système tout en le servant, c’est la crapule qui se donne bonne conscience. Qui pressens sa culpabilité, et qui ose prétendre que c’est une revanche sur une éventuelle pauvreté.
Le statut de « misérable » moral est plus enviable… c’est vrai ?

DWT : Avec du recul que penses-tu du documentaire Writers auquel tu as participé ?
Lokiss : Oui, il est pas mal du tout. On peut toujours faire mieux et faire aussi plein de critiques. Il n’a pas couvert tout. Par rapport à ce qu’il a fait sur les skinheads, c’est beaucoup plus intéressant. Il aurait dû intégrer les skinheads fascistes, ce que tout le monde lui a dit de toute façon. Sur Writers, c’est pas mal.
Sur le « Writers tour’ », je n’ai pas que de bons souvenirs. J’ai largement préféré mon travail sur les murs que les minuscules panneaux de bois pour certaines performances. La bombe se libère à une certaine échelle, au niveau d’une certaine résolution.

DWT : Tu passes une bonne partie de ton temps à la campagne, que penses-tu du niveau en province ?
Lokiss : Je connais assez mal ce qui se fait en province donc difficile de le juger. Je ne vois de grandes différences entre celle-ci et Paris. Les identités par ville, c’est une caractéristique de pays plus décentralisés comme l’Italie ou l’Allemagne. Paris reste central en France pour toutes sortes de choses, dont la culture graffiti. C’est le modèle, même dans l’attitude. C’est dommage. Par exemple, entre Hambourg et Berlin, c’est un peu deux pays avec deux mentalités, deux approches qui se confrontent.

DWT : Est-ce que la musique rap t’a déjà inspiré dans ta démarche artistique ?
Lokiss : Les premières compilations electro sounds. Très électro, opaques, étranges, j’appréciais vraiment. Tyrone Brunson « The Smurf » c’est hyper connu mais c’est une époque importante. « Looking for a Perfect Beat » ou « Planet Rock », les productions Robin and Baker, c’est de grands moments. C’est encore très agressif, ça bastonne, c’est très novateur.
Aujourd’hui, je suis sur des musiques très dures : Drum and Bass, Dark Step ou de l’expérimental genre Noise, rock Stoner, voire du Doom, et il m’arrive d’écouter de la musique classique. Des phases…. En ce moment c’est le silence !
J’essaie toujours d’être déstabilisé par ce que j’écoute. C’est vrai que je suis toujours dans une ambiance assez lourde, austère. Les musiques religieuses aussi, ça peut me plaire. Ce qui m’inspire, c’est plutôt un univers pas très gai pour l’auditeur lambda.
Je suis complément désinhibé par rapport à ça parce que je n’y vois pas la tristesse ou quelque chose d’inquiétant.
Je me force à en réécouter du rap parfois avec LP ou Killer Mike. Je trouve ça pas mal mais comme je ne comprends pas toujours ce qu’ils disent évidemment ça retire de l’intérêt…
Au niveau de la production je trouve ça hyper pauvre. Qu’il y ait encore des mecs avec ces beats là derrière putain ça n’évolue pas… on dirait le Reggae, une musique stagnante, on dirait un folklore. Ça me gêne.

DWT : Quelle place donnes-tu au sexe dans ton travail d’artiste ?
Lokiss : C’est quasiment une partie de ma sexualité mais c’est un stéréotype de dire ça. D’ailleurs, je me rends compte qu’au moment où je suis dans une période de célibat ou d’abstinence je ne suis jamais autant créatif… donc il y a vraiment un vase communicant.
Et oui, est-ce que c’est par provocation ? Le personnage d’Ana Vocera, l’alter ego que je me suis fait, c’est une militante de l’agit porn. C’est un avatar. Que la violence arrive par une femme, ça m’intéresse. Pour une fois, ça change un peu.
Je ne suis pas non plus un obsédé sexuel. Enfin un peu, quand même.
Pendant que l’on parle de ça, tu choques un mec du hip hop facilement. C’est quand même un milieu ultra prude, bien coincé du cul et c’est pour ça aussi que perdure encore la poupée Barbie autour de la piscine avec son maillot de bain et la grosse bagnole. On est dans l’univers phallique très peu créatif. Et super réactionnaire.
Mais ça semble changer… Sociologiquement oui. Musicalement non.

Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…

DWT : Est-ce que la plus grande catastrophe qui soit arrivée au graffiti français est l’apparition d’un personnage comme Alain-Dominique Gallizia dans le milieu ?
Lokiss : Je vous renvois au texte que j’ai rédigé pour justifier mon refus de participer à l’évènement « TAG ». « Graffiti culture suicidaire ». Depuis, on s’est rencontrés et l’entrevue fût bien, même drôle. Reste que j’ai continué à refuser alors que la rencontre s’est faite dans son atelier de Boulogne où j’ai pu réaliser que tout le monde avait accepté, sauf Mode 2 évidemment. Non, c’est non.
C’est d’autant plus étonnant de la part d’artistes qui m’ont dit partager sinon comprendre mon point de vue exprimé dans le texte. Et ils avaient pourtant participé au projet attaqué.
Qu’est-ce que je peux dire ou faire alors ? Autant que je souris bêtement si c’est un ami, et le mépriser totalement si c’est un petit courtisan, tout content de parler à Lokiss. C’est de l’auto dérision… mais c’est un fait que ça se passe comme ça.
Je suis de plus en plus fatigué de voir parfois cette victimisation de la part des artistes. On peut toujours dire non. On peut toujours rester intègre. Ou discuter avec le soi-disant diable pour le faire évoluer vers un projet plus sain, si ça existe en dehors du contexte naturel de « l’interzone » ou des dépôts. Ça va… Tu n’es victime que de toi-même. De ta vénalité ou de ta mollesse morale. Ou les deux à la fois.
Oui je sais. Tu as des enfants à nourrir et moi je suis un mercenaire… Blahblah de collaborateurs au moment de l’épuration d’après-guerre.
La chose principale, c’est la toute-puissance de l’égo, l’essence du writer.
Et le carriérisme à tout prix peut prendre l’apparence d’une forme de compétition. Le succès commercial vaut une mise à l’amende.
Un king c’est maintenant un mec qui a 250 000 followers. Même s’il peint du sur-vu, ben non, il gagne. Car il a 1500 likes par prout photographié sur instagram. Un monde tragique… J’ai aucune envie d’y vivre.
En oubliant toute la dimension morale, en perdant conscience que l’on est qu’un élément au sein d’une culture qui nous dépasse. Que nous sommes responsables de l’image que l’on en donne. JonOne a désintégré cette conscience.
Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…
Mais je parle justement dans le… vide. Don Quichotte ce n’est pas mon truc. Se battre contre/pour des moulins à vent…
En gros, fais ta merde, juste dis-toi que l’on sait. Et encore ‘on’ c’est trop. Plus personne ne sait rien. Ou ne veut savoir.
Moi je suis parti ailleurs pour m’éviter l’ulcère… Donc, je ne ressens aucune amertume. J’aime me déplacer trop vite pour ça.

DWT : Tu as déjà réalisé en 1996 une fresque pour la « sympathique » série de TF1, Julie Lescaut, tu as une anecdote avec la police à nous donner ?
Lokiss : (Rires) vous avez retrouvé les archives ? Je me souviens plus très bien comment c’est arrivé. Un peu comme le film Vandal, plus lourd et plus sérieux avec des tonnes et des tonnes de fresques. C’est un peu pareil, c’est une production qui m’appelle. Je n’ai même pas vu les acteurs. Je n’ai vu personne. Ça ne pose pas de problème.
Dans Vandal, la scène a été retirée mais j’y jouais un flic !
Pourquoi c’est le personnage de Julie Lescaut qui vous gêne ? Bon, c’est vrai que Véronique Genest est une vraie connasse. C’est un hasard du genre « tu ne connais pas un graffiteur ? ». Elle n’exprimait pas ses opinions politiques, à l’époque, Twitter n’existait pas. Pour le coup, ça me semble beaucoup moins grave que de faire les fonds de vitrines du Printemps Haussmann que j’ai faîtes.
J’ai été le premier gros plan. Le premier gros plan puant, c’est moi qui l’ai fait en France quand même (rires).
Et puis surtout, t’es un gamin, on te propose 8 000 francs pour sept vitrines, normalement c’est 80 000 francs, ils se sont dit « oh la bonne affaire ». Aujourd’hui, les artistes, ou presque, issus de cette culture dite urbaine ont un recul énorme par rapport à ce genre de malversations , ils peuvent faire autrement. Non. Ils font pire ! Bien bien pire…

J’ai dû faire entre 80 et 100 murs max (…) dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.

DWT : Si on réalise des fouilles archéologiques sur Paris, lequel de tes graffs aimerais-tu qu’on remette à jour ?
Lokiss : Orgasma Penetratorz et La chute de 1989. C’est les deux seuls. C’est un axe de critique récurrent, Lokiss n’a pas fait autant de vandale et il a peint 25 murs ce qui est -presque- vrai parce que j’ai dû faire entre 80 et 100 murs max, j’ai pas toujours photographié…, dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.
Après au niveau de l’adrénaline, c’est monstrueux ce qu’ils se sont pris. Parce que pour le peu que j’ai fait, ça fait partie de l’histoire du truc. C’est vrai qu’il faut du courage mais il faut aussi du courage pour faire 100 mètres de mur devant un public qui derrière fume des pétards et regarde le moindre de tes gestes. Ça prend du temps. Au niveau des nerfs, c’est aussi intéressant. Mais peindre en 10 minutes, je peux le faire aussi, y’a pas de soucis.

Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien. Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là.

DWT : Est-ce que le graffiti fait réellement parti du second marché dans la marchandisation de l’art ?
Lokiss : Le mot graffiti me gêne. Son utilisation me gêne. C’est très contradictoire quand je dis je ne veux pas de graffiti dans les musées, car en même temps, l’expo que j’ai organisé, c’est ça dans une certaine mesure. Même s’il est hors de question de peindre façon rue dans un intérieur de galerie. J’essaie de soutenir des artistes qui font évoluer leur travail urbain sur d’autres supports et via d’autres médias.
Soyons bien clairs, je ne peux pas travailler avec seulement 3 artistes sur ces critères de sélection. Donc je suis finalement plus souple. Oui je sais…
C’est juste 2017. Puis 2018, je retourne totalement ailleurs, et en plus ce seront les 50 ans de Mai 1968. Je pense que l’on peut faire deux trois plus ou moins déstabilisantes. Et cela fait longtemps que la déstabilisation à moins de faire dans le Kidult, que j’aime bien, n’est plus dans cette culture-ci.
Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien.
Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là. Ce n’est pas de faire mon mur autorisé à Bologne, ni celui du Pavillon Beaudoin qui est recouvert six mois plus tard.
D’ailleurs au sujet de ce dernier mur, je ne vais pas mentir, je me suis vraiment posé la question. J’aime bien ceux qui m’ont recouvert mais je me dis que ça aurait été fort que je les laisse recouvrir le mur et que je vienne après détruire tout.
Juste pour qu’il y ait un questionnement. Revenir à ce qui a une des règles qui ont fondé cette culture. Et on parle de culture hein, pas de cirque ?
Je me serai fait allumer par la mairie mais ça aurait au moins amené une réflexion. Du type, vous payez le travail mais vous ne régulerez jamais, vous nous déposséderez jamais de cette culture.
A une autre époque, ça aurait été « de quel droit tu me recouvres ? ». Ça amène toute une tension et donc une sélection naturelle basée aussi sur la violence et ta capacité à y résister ou à la répandre. On dit bien ‘style wars’ non ? Pas « style peace »…
Vu que je ne suis pas parti dans les meilleurs termes avec cette association, pour de simples raisons de promesses non tenues et de compétences, je me suis dit, on va s’arrêter là, il y a de meilleures batailles… mais c’est vrai que j’étais prêt à le faire.

DWT : D’où vient ton côté autodestructeur/grognon ?
Lokiss : (Rires) Peut être que si j’étais prétentieux et plein de vanités, je dirai : parce que je suis plus proche de la vérité et que la vérité est mensongère et qu’il faut la dénoncer.
Il y a un fond de violence pas toujours très maîtrisé en moi. Elle peut devenir de la colère ou de la pure énergie mais naturellement je suis un gamin un peu hyperactif. C’est ce qui me permet de vieillir sereinement mais aussi de garder la même énergie.
Quand je me retire dans cette baraque à la campagne, c’est aussi vital pour moi. Je me sens beaucoup moins seul des semaines entières là-bas que parfois dans des discussions entre artistes où je me dis « mais de quoi on parle là ? ».
Mes intérêts sont différents. Moi, c’est plutôt les nouvelles technologies.
Qu’on me ramène sur des trucs genre « Lokiss mythique » . C’est bon, j’étais là, toi t’étais pas là, tu n’avais qu’à être là. On ne va pas te le raconter 105 fois. Boring !!!
Ma marginalité est déjà technique. Je peux vous faire un livre de A à Z, je peux vous faire un site internet de A à Z, un film ou une campagne cross media.
Ce n’est pas parce que je suis un génie, c’est juste que des fois, c’est plus simple de le faire soit même. Tu apprends la technique, ce n’est pas sorcier comme dans la construction où j’ai fait des chantiers pendant des années pour survivre. Je suis un peu un couteau Suisse. Survivaliste total. Je vous parle des armes ?.
Parler à quelqu’un qui peut se rendre compte qu’un sujet amène une écriture, une écriture amène un médium et bien c’est déjà pas mal. Des fois, on me reproche d’être vachement dur à vendre parce que je peux changer à l’instinct.
Maintenant, c’est moins fréquent, moins violent. Mais oui, entre les prints, les soudures, la vidéo, etc etc … ça va assez vite. Et parfois en même temps. D’abord une peur de l’ennui et plus loin, un rejet des recettes, mais j’en ai, aussi, évidemment, dramatiquement…
Cette multiplicité technique est un aspect de l’art actuel plutôt fréquent mais le problème c’est que dans l’art contemporain les artistes font faire. Quasiment plus personne ne fait soi-même. Alors que moi je fais moi-même.
Enfin… je ne suis pas spécialement « grognon » comme un hobbit mal luné ! On va dire que je suis sanguin.
Je ne suis pas quelqu’un de très fidèle en amitié. Je me suis rendu compte qu’on peut vraiment perdre un ami avec la fameuse phrase un de perdu dix de retrouvés. Ça peut aller très vite. Des amis de dix ans, je ne leurs parle plus jamais même sans leur en vouloir. C’est aussi parce qu’il y a un manque d’évolution et que j’ai envie que nos discussions soient intéressantes. Et me parler des couches du petit et des vacances en Thaïlande…
Dans la culture graffiti, je ne vais pas donner de noms, mais il y a des mecs qui ont plus de quarante ans et qui continuent de se comporter comme des adolescents. Je ne peux pas. En plus, ils se concentrent sur des références culturelles de leur adolescence pour se sentir encore jeune. Ça ne m’intéresse vraiment pas. Donc je peux souvent apparaitre comme un rabat joie…
Je n’aurai pas fait le livre de Jay sur le terrain vague de la Chapelle. Un site internet détaillé à la limite mais plus… non.
Par exemple, niveau changement de société, un jour, je suis en Suisse dans une voiture et le mec met Daft Punk. Il se retourne et me dit « t’aime bien ça ? ».
Je réponds : « je vais te le dire, c’est au-delà de la merde ».
Il me dit en anglais « okay t’es un hater ! ». T’as tout compris. Pour lui, je suis un gros haineux parce que je n’aime pas Daft Punk… heureusement qu’il ne me demande pas d’aimer Adolf Hitler pour lui prouver que je suis trop sympa…

DWT : Pour finir, j’ai une belle toile de toi, un autoportrait sur inox, tu crois quelle vaudra combien dans 50 ans ?
Lokiss : Le prix du métal (rires général). Ou de mes provocations…

Bboy Benji – Fight Club

Interviews
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Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant il était temps de dresser un large état des lieux de sa discipline avec lui.

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Photo © Alain Garnier

Il aurait pu rentrer dans les cercles sur la chanson du générique de San Ku Kaï. Car Benji, c’est la bataille. Mais c’est aussi un message. Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant tout le monde le connait dans le milieu du break. Les anciens notamment, qui n’ont eu de cesse de lui reprocher son excès de technique au détriment du feeling. C’est l’éternel débat entre prouesses physiques et ressenti artistique. Pourtant, les pionniers de la discipline ont eux aussi subi de telles critiques à leurs débuts. On connaît la suite dans tous les conservatoires de France et de Navarre ! Sauf que tous les gestes que Benji exécute sont parfaitement dans le rythme de la musique. Reste son attitude ponctuée d’égocentrisme et de provocation, son esprit de compétition et un dépassement de soi exacerbé. En réalité, il est en parfaite adéquation avec l’esprit originel de notre culture hip hop : briller. Car un danseur, ça danse pour briller. Benji est là, prêt comme jamais. On se défie du regard, petits footworks, passe-passe gauche droite, on tape des mains et on lui lance notre première question avec un regard de warrior.

Down With This : A quel moment tu décides de t’entraîner ?
Benji : 1994. C’est la révélation, j’aime le break. Je vais aux Halles tous les jours. J’ai la chance que le meilleur ami de mon frère soit Youval et qu’il soit intégré à la culture. Il connaissait beaucoup de choses et m’a prit sous son aile directement. Il m’a ramené aux Halles et m’a dit voilà, c’est là que ça se passe. C’est là que tu vas t’entraîner tous les jours. Je faisais partie de la génération des petits de Châtelets, les yeux écarquillés quand je voyais un mec qui tourne sur la tête. J’ai commencé comme ça. Comme je kiffais Benny B, je voulais faire la coupole. Tu commences par ça, puis le tomas, après tu tournes sur la tête et au final, tu deviens danseur. Au début, je dansais dans les soirées feuj et les dimanche après-midis dans ma communauté. Au départ, de la danse débout puis j’ai commencé à faire des compétitions. En réalité, j’étais de plus en plus en décalage de la culture de ma génération. Je n’aimais plus faire des shows ou des spectacles. Ce n’était pas excitant. Je me suis donc rapproché de la culture underground parce que j’aimais l’adrénaline de la danse, de la compétition et du contact.

Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4.

DWT : Durant tes débuts, tu choisis quel type de sol pour tes entrainements ?
Benji : Je n’avais pas beaucoup le choix, c’tait les Halles ou le couloir de mon immeuble. Par la suite, j’ai viré mon lit, mon armoire, mes placards et j’ai installé des tapis, j’ai les mêmes depuis 20 ans, increvable. Je les avais acheté à Montreuil, dans un truc de karaté. 500 francs (NDLR : 75 €) les 2 à l’époque. Le vendeur ne comprenait pas, il voulait m’en vendre quarante. Je lui ai dit que je n’avais pas de dojo mais une chambre (rires). J’avais donc ces trois endroits. Les Halles, c’était plus pour garder un pied sur le terrain. C’était une façon de s’essayer. Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4. Une chute sur le marbre, ta tête, ton coude, tes genoux dessus et à la fin, tu deviens un robot. Et comme les choses se réglaient le plus souvent aux Halles, c’était bien d’apprendre sur le terrain. C’était comme dans le football : jouer à domicile.

DWT : Retournons un peu en arrière. Peux-tu nous décrire ton environnement d’origine ?
Benji : Je suis né dans le 19ème arrondissement de Paris. J’ai grandi dans le 20ème arrondissement de Paris, boulevard Davout, entre la porte de Montreuil et la porte de Bagnolet. Je l’ai quitté il y a à peine 6 mois (NDLR : entretien réalisé le 7 juin). Ma mère était secrétaire dans une boîte, rien de particulier. Mon père avait une société de distribution automatique de sodas. Il était frigoriste à la base puis il a dévié là-dedans. C’était pas mal. On n’a pas eu une vie de clodos. On n’était pas trop mal lotis chez nous. Nos parents ont gagné leurs vies. Nous n’avons manqué de rien. Classe moyenne, on partait en vacances une fois par an comme tout le monde.

Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire.

DWT : Quels étaient tes modèles d’enfance ?
Benji : J’avais mes deux frères comme modèle. Un aujourd’hui de 43 ans et l’autre de 50. Eux, c’était à fond la génération H.I.P.H.O.P. (NDLR : ancienne émission de télé sur TF1). Il y a vraiment un écart d’âge balaise entre nous. J’en ai 34. Je n’ai pas traîné avec mes frères. Mes exemples, c’était aussi mes voisins dans l’immeuble. On a un peu grandi tous ensemble. Par chance, les grands de chez moi n’étaient pas des voyous, c’était des mecs biens, tous sportifs et pas mauvais à l’école. Il y avait un breakeur comme Davis Cola qui avait dansé dans H.I.P. L’équipe à Karl (NDLR : l’un des frères de Joey Starr) dans le 20ème, et aussi Youval, un ami à mon frangin. Les copains de mon frère venaient chez moi et parlaient de danse. Je trouvais ça marrant, sympa et je voulais les imiter. Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire. Dans le sport, j’aimais plus regarder la gymnastique ou le patinage artistique que le foot ou les sports collectifs par exemple. Ces sports se rapprochent du break car il s’agit tout le temps de prouesses techniques. Ça m’attirait. J’ai grandi avec des films comme Beat Street, Break Street et toute cette culture des classiques des années 1980. Et puis, il y a eu la révélation Benny B. Je n’ai pas de honte avec ça. C’était les 2Be3 de ma génération (NDLR : ancien boys band français). Ils étaient mal vus par la culture hip hop mais pour ma génération, c’était magnifique. Je vais même être dur pour la génération old school de France mais je suis désolé, ils étaient plus forts en break que les 3/4 des b-boys français de l’époque. C’est sûr à 500%. Que ce soit Aktuel, PCB, ils peuvent s’appeler comme ils veulent, en vérité, c’était des petits rigolos. Les mecs de Benny B étaient meilleurs que les français. Je ne sais pas si Benny B représentait le niveau belge mais ces trois-là étaient déjà meilleurs que tout ceux qu’on avait chez nous. La France a de la chance car je n’ai pas été fouiné plus loin mais ça aurait pu être plus dur (rires). C’était des bons. Et c’était des blancs. Des vrais blancs de chez blancs (NDLR : enfin Benny B était un peu bronzé quand même). J’avais 9/10 ans à cette époque. Je faisais de la hype et quand je les voyais faire ça, ben ça me parlait.

On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Tu gardes quel souvenir de ta période dans le crew Division Alpha ?
Benji : C’était compliqué. Il y avait des différences d’âges. Stiga Rock et Youval sont les anciens du groupe. Après il y a eu Laurent, JC dit Fluber puis Sid Ahmed qui est arrivé avec une idée de spectacle. Quand je suis arrivé, ils étaient déjà dans les spectacles. Il n’y avait que Youval qui voulait faire des battles, sauf que lui n’était pas dans le break. J’étais un peu sa marionnette à ce moment-là. Il m’a pris et il était content que j’aille faire la guerre un peu à tout le monde. Le souci était que les retombées sur le nom du groupe ne plaisaient pas forcément à tout le monde. Ça parlait et ceux qui étaient dans les shows disaient que ça n’avait rien à voir avec ça, que cela pouvait abimer l’image de Division Alpha. On a perdu pas mal de membres comme Sid Ahmed. C’est vrai que les spectacles avaient donné un coup de boost en 96/97. Le groupe commençait à faire des télés genre Graine de Star. Ca faisait un mini buzz sur Châtelet et dans le Game. Moi, j’ai juste fait le Hit Machine derrière. J’étais devenu la figure du groupe, on me voyait le plus parce que je faisais des battle. Le nom de Division Alpha commençait à s’imprégner des battles et les gens venaient de moins en moins voir les autres en spectacle. A ce moment, tu recrutes des mecs qui sont dans le même esprit que toi. Des mecs qui veulent te ressembler parce qu’ils voient que tu sors du lot et que tu es d’attaque. On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris. On était 6/7. On voyageait beaucoup. Ce qui était bien, c’est qu’on n’a jamais était un groupe de charclos. Je vais m’expliquer pourquoi car il faut savoir que le break, c’est une culture de clodos. Y a que des clodos. Ils sont là avec leurs sacs à dos. D’ailleurs, tu reviens quinze ans après ils sont toujours là avec leurs sacs à dos. Il n’y en a pas un qui travaille. Tu ne sais pas comment ils vivent. Ils vont de maisons en maisons, vivent chez des potes. Alors que dans notre groupe, on était tous des bosseurs. On avait tous un boulot et on voyageait grâce au fait de travailler. On m’offrait une chambre double, je demandais une triple ou quadruple et je complétais pour le reste. On partait ensemble. Ça nous a permis de faire connaître le groupe à l’étranger car il n’y avait pas internet à l’époque pour se promotionner. A l’époque, si les mecs ne te voyaient pas devant leurs yeux ou dans une vidéo étrangère, ils ne te connaissaient pas.

Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde.

DWT : Quels sont les styles que tu as pu rapidement développé pour te faire remarquer dans le cercle ?
Benji : J’avais un atout qui soi disant n’en était pas un pour la génération de danseurs d’avant la mienne. Plutôt un handicap apparemment pour eux. Je remercie toujours la génération d’avant d’ailleurs. Ils disaient que mon style était trop rapproché du cirque, que c’était moins b-boying, etc. Finalement, ils l’ont tous pris dans le cul car aujourd’hui, ils dansent tous comme moi et plus du tout comme eux. Comme quoi, ils se sont bien fait niquer la gueule. Dans la vie, il vaut mieux être un berger plutôt qu’un mouton. C’est plus comme ça que j’ai été éduqué. Je dis encore un grand merci à Youval qui est très proche de moi et qui a fait beaucoup de bonnes choses pour moi. Il m’a dit « continue de faire ce que tu fais, fais ce que tu aimes et pas trop ce qu’ils aiment. Eux, on s’en fout, danse pour toi. Je trouve que c’est un atout d’être souple. Fait le, je trouve ça bien ». Il y a tellement de références qui te disent que le Break c’est comme ci et comme ça donc si tu ne sors pas du lot comment veux-tu être original ? Donc j’ai continué mon style très souple et mes trucs dans tous les sens. Ma force, c’est ma souplesse, ma flexibilité et le fait que je créé beaucoup de mouvements originaux. J’adore la recherche et montrer toujours de nouveaux mouvements. J’ai fait beaucoup de vidéos de break sur ça et je suis d’ailleurs un des seuls à en avoir fait à l’époque en VHS avec Paul Belêtre. D’ailleurs avec lui on a fait des trucs de ouf genre on part en Allemagne faire le Battle Of The Year pour vendre des vidéos et on n’avait même pas la vidéo (rires). On faisait des copies chez les breakers. On photocopiait la couv de la VHS pour les vendre et payer nos billets de retour. J’ai eu beaucoup de problèmes au début. Les premiers à m’avoir ouvert le truc c’est les États-Unis quand j’ai fait le Pro Am. C’est une compétition énorme avec une centaine de B-Boy. Quand j’ai fait les qualifications, à tel point que j’étais un inconnu pour eux qu’ils ont m’ont oublié ! J’entends qu’ils annoncent au micro que les qualifications sont finies. Je vais voir Mr Freeze des Rock Steady Crew pour lui dire que je ne suis pas passé. Il me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire. C’était très dur pour moi. Ça m’a cassé le truc mais j’ai quand même pu faire ma démo derrière. Ils ont rappelé les gens et j’ai dû donner le maximum. J’avais prévu des trucs dans la compétition mais j’ai dû les mettre dans le condensé. Ça a bien cartonné. Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde. J’ai fini en finale à la deuxième place. J’ai vraiment eu un parcours difficile. Comme dans une coupe du monde : au début tu mets les meilleurs dans des groupes « faciles » pour retrouver que des bons en finales. C’est un peu ça. Ils m’ont mis que contre des bons en pensant que j’étais le pourri. Ils se sont bien fait niquer la gueule (rires). Ils ne comprenaient rien, petit à petit je les ai défoncé. Ça c’est donc très bien passé. Quand je suis revenu en France, bizarrement la vision avait changée. Les gens disaient à ouais finalement son style ne fonctionne pas trop mal. C’était en 2000. J’avais déjà gagné en 1999 contre les américains. Ça avait fait pas mal de bruits mais c’est à partir de là que ça a vraiment explosé et que mon style a commencé à être un peu partout. On commençait à inviter des français dans les compétitions. Les Rock Steady Crew mon demandé de danser avec eux. C’était une opportunité, un truc de gamin parce que j’avais vu Beat Street. C’est des grands, c’est l’histoire. Y avait tout le monde avec le principe de défier quelqu’un pour rentrer dans le groupe, j’ai trouvé ça bien. C’est une règle que je voulais respecter alors je l’ai fait.

DWT : Contre qui ?
Benji : J’ai dansé contre deux b-boys, Flow Rock et Little Smurf.

DWT : Et alors ?
Benji : Je les ai éclaté. Les pauvres, je les ai envoyé à l’hôpital (rires). Y avait trop d’écarts. Ils leurs ont fait un coup de crasse quand même. Ils sont un peu venus au casse-pipe. Je pense que ça ne devait pas être eux qui auraient dû y aller. Je me suis dit je m’en fous, j’y vais mais ce n’était pas trop valorisant. C’était un rêve. Je l’ai fait pour rentrer dans le truc. Je suis revenu en France avec la grosse tête mais en réalité c’est une banane. Ça ne sert à rien. C’est plus un truc bizness qu’autre chose. Aujourd’hui, le seul qui en bénéficie vraiment des Rock Steady Crew, c’est Crazy Legs. Les autres se sont fait niquer la gueule. Il est beaucoup plus bizness, alors que les autres sont plus culture. Par exemple, l’année dernière j’ai fait une interview pour Arte, cinq émissions avec cinq têtes d’affiches. Le mec me dit « on a un budget de 200 € à 300 € par tête d’affiche. Je lui ai dit franchement vous gagner combien dans cette histoire ? Il m’a dit pas grand-chose alors je lui ai dit garde l’argent et on se fait un resto tous ensemble. On kiffe et le reste vous le gardez. Il m’a dit c’est chammé mais je suis obligé de proposer de l’argent à tous les cinq car il y en a qui nous a demandé de l’argent, Crazy Legs. C’est un mec qui n’en a rien à foutre aujourd’hui de la culture. Pour lui, c’est de l’argent. Il accepte que Red Bull prenne le monopole du b-boying dans le monde parce qu’il lui donne une casquette et de l’argent. Il fait ce qu’il veut.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations. Il n’aime que son argent et les gens qui vont lui apporter quelque chose. Il n’a jamais tiré quelqu’un vers le haut. D’ailleurs ça se voit, il est tout seul, il a jeté tous les Rock Steady Crew. Il dit par exemple dans des interviews que Mr Freeze n’est plus Rock Steady Crew mais pour le monde entier, ça en restera un. Que Crazy Legs le veuille ou non. Si demain Joey Starr n’est plus NTM, pour le monde entier ça restera Joey Starr NTM.

Du point de vue humain, je pense avoir été égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quels sont tes points faibles en tant que breakeur et comment les as-tu contourné ?
Benji : J’étais moins figure dans le break, avec moins de phases. J’avais plus de mal avec ça. Je contrôlais plus mes jambes. Je concentrais plus mon break sur mes jambes. Ça se joue à l’entrainement comme pour tout. Plus tu passes de temps sur une chose, plus tu y arrives. Moi je passais moins de temps sur ça et plus sur ma créativité. Je me démarquais plus par mon style donc j’ai axé plus le truc là-dessus. C’est comme un produit phare dans un magasin, tu le boostes parce que tu sais que ça se vend. Du point de vue humain, je pense avoir était égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quelle est ta spécialité ?
Benji : L’argent (rires). Mes jambes, ma flexibilité, mon originalité. Après je suis un bosseur, que ce soit dans le travail ou dans la danse. Je danse 3/4 heures tous les jours. J’ai une pièce conçue pour ça chez moi. Je danse sur tout, pas spécialement sur du break beat parce que c’est quelque chose qui me saoule. Dans ma recherche, je danse sur des trucs très lents car ça me permet de réfléchir. Parce qu’avec une musique qui te bourre le crâne c’est un peu compliqué. Par exemple, hier j’ai dansé sur la bande originale du film Gladiator. Je m’écarte du Break et du b-boying. La musique est fatigante. On dirait que les mecs n’y arrivent plus. Ils font des remix de remix. À un moment ça va. Je suis saoulé depuis toutes c’est années de danser sur les mêmes sons. Avant, chaque DJ avait ses bandes alors ça changeait. Aujourd’hui tout le monde a les mêmes sons. Y a en moyenne une battle par semaine à Paris. À la fin, tu n’en peux plus. Et puis les DJ sont jeunes et sous-payés donc ils n’auront que les bidons.

Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec.

DWT : Tu as apporté un nouvelle vision dans le break avec ton approche de la danse. Est-ce que tu as également inventé des pas ou des phases ?
Benji : Pleins. Tout ce qui est pied derrière la tête, type Lotus, ça n’existait avant que je le fasse. Les gens ne le faisaient pas. C’était même « anti-break ». J’ai surtout un style particulier. On me parle d’un truc que faisait jeune, le cowboy ou d’autres des trucs que je faisais avec les vêtements. Les gens étaient un peu choqués. Je travaillais beaucoup sur le souffle. Quand tu fais des battles en un contre un, tu travailles beaucoup sur le cardio. Les techniques, ça prend beaucoup de souffle. J’avais compris que les phases avec les vêtements, c’est autant impressionnant pour les gens quand ils ne s’y attendent pas que des figures plus physiques. C’était une façon de gagner des points un petit peu fastoche. Je travaillais comme pour un combat de boxe en étudiant le danseur avant et après. J’allais le chercher en question réponse. J’ai eu de la chance parce que les mecs n’évoluent pas beaucoup dans cette culture. Ils font la même chose depuis pas mal d’années et c’était facile à voir. Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec. J’allais le voir, je dansais et j’avais la question réponse !

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Photo © Alain Garnier

On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé.

DWT : Tu es très critique toi aussi…
Benji : On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé. La plupart n’ont pas aidé les jeunes à avancer. De ce fait, les jeunes ne les reconnaissent pas aujourd’hui. Que ce soit les Aktuel ou d’autres, ils ont fait pas mal de choses pour la culture de leur génération mais aujourd’hui tu les vois où ? Nulle part.

DWT : Si, ils donnent des cours.
Benji : Oui ils donnent des cours mais ils font ce que des millions d’autres font.

DWT : Karima, par exemple, est beaucoup présente dans les battles aussi.
Benji : Karima va dans les Battles mais elle fait quoi ?

DWT : Elle est juge souvent…
Benji : Ben voilà elle est juge mais elle ne fait rien d’autre. Les gens lui donnent sa place parce qu’elle a un certain âge et qu’ils pensent qu’elle va être légitime parce qu’elle n’a pas d’affinité avec qui que ce soit dans le battle. Elle sera une bonne juge mais au niveau de la culture, qu’est-ce qu’elle a fait ? Les gens me font rire. Un exemple tout con, les gens reproche à Youval d’être partout « Ouais ce n’est pas ta place, nous aussi on était là à l’époque, on devrait le faire« . Certes mais il faut faire des choses pour ça. Youval fait presque 200 événements chaque année en animation. Il organise presque 100 battles gratuites par an. Faut le faire quand même. Faut y aller. Faut les faire les dates. C’est du travail. Il se prend la tête à faire des milliers de choses pour les jeunes donc forcément, les mecs reconnaissent qui après dans cette culture ? Ben ils reconnaissent Youval !

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait.

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait. C’est con mais dans cette culture de l’électro si il n’est pas là, ben les mecs ne s’entraînent plus parce qu’ils n’auront plus d’échéances, plus de dates, plus d’événements, ils ne peuvent rien faire. Ils sont contents de l’avoir. Si tu n’es pas présent à faire quelque chose les mecs t’oublient. C’est con à dire mais la génération d’aujourd’hui, qu’est ce qu’elle fait ? Elle tape sur internet b-boy 2015, 2016. Elle ne va pas taper 82, 84 ou 90 c’est évident. A moins d’éduquer les jeunes sur l’histoire de cette culture pour qu’ils s’en imprègnent, comment voulez-vous qu’ils sachent ? C’est impossible. Moi je ne le fais pas et je ne donne pas de cours, je n’aime pas ça. Je transmets par ma danse, je laisse des traces en la faisant évoluer. La seule chose que j’aime faire dans la culture, c’est la garder underground, comme elle était.

DWT : Les plus jeunes pourront te reprocher à leur tour ce que tu reproches aux anciens…
Benji : Peut-être mais je suis actif. C’est à dire que les gens me voient tout le temps. Je fais des événements, des battles tout le temps. J’ai gagné un battle avec les américains il y a à peine trois semaines à Varsovie. Je repars aussi cet été.

C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre.

DWT : Te souviens-tu de ton premier battle ?
Benji : C’est une colle. Je pense que mon premier battle « dur », c’était contre Dedson des Wanted, aux Halles. Mon premier vraiment chaud et le premier qui a réuni beaucoup de monde à Châtelet. C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre. C’était préparé, des mecs de Marne la Vallée contre des mecs de Paris. Ils sont arrivés à 200 ! Ça a remis un coup de boost à Châtelet. Tous les weekend d’après, il y avait des trucs. Les étrangers qui passaient à Châtelet disaient « il est où Benji ? Faut l’appeler, il va danser ». Ils savaient que nous, on y allait. Il y en a eu plein mais mon premier vrai gros « officiel », c’était celui-là. Il n’y en avait pas avant, ça n’existait pas. Les mecs dansaient les uns contre les autres mais il n’y avait pas de grosses têtes d’affiches qui faisaient dix passages l’un contre l’autre. J’ai marqué mon temps par ces choses-là, l’arrogance et les battles.

DWT : A l’image du rap actuel et à tes débuts, est-ce c’est toi qui a ramené les punch-line dans le break en France ? La phase forte qui fait mouche d’un seul coup…
Benji : C’est carrément ça. Au début des battles, on appelait ça des « guet-apens ». On allait chercher celui qui brillait. Voilà, tu dis que tu es fort, ben nous, on veut voir. Nous, on était malins parce qu’on s’entraînait grave pour ça. Je n’allais pas chercher des mecs qui pouvaient m’exploser. Je ne suis pas un couillon. J’y allais progressivement. À la fin, j’avais un des plus hauts niveaux, donc tu es obligé d’aller chercher les têtes d’affiches et c’est pour ça aussi que les gens respectaient notre parcours. Ils disaient « ouais, Benji va toujours au charbon en allant chercher les bons ». C’est important. Ça a marqué l’histoire et puis les mecs, ils te suivent. Il y avait quand même des gens qui trouvaient ça violent en disant « ce n’est pas cool, on ose plus venir à Châtelet parce qu’on se dit qu’on peut venir nous chercher et danser contre nous ». Et d’un autre côté, les mecs qui venaient te voir pour te demander « alors c’est qui le prochain ? ».

Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! (…) On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

DWT : Selon toi, Benji VS Junior (2002) plus belle battle de rue de l’histoire du hip hop en France ?
Benji : Je pense que c’est la plus belle de l’histoire. Dans l’underground, c’est la plus belle affiche qu’il y ait eu. Déjà, la manière dont ça s’est fait, c’était incroyable. Ça a réuni un monde phénoménal au Forum des Halles. On n’avait jamais vu ça. On n’était pas loin de mille personnes sans médias pour diffuser ça à l’époque. C’est aussi le commencement pour des centaines de breakers qui ont débuté grâce à la vidéo de ce battle. Pour eux, c’était la révélation. Ils avaient envie d’être au milieu. C’était un peu considéré comme l’arène. Les Wanted venaient de gagner le Battle Of The Year 2001. Après mon Battle contre Dedson des Wanted, on se respectait beaucoup plus que beaucoup d’autres qui parlaient mais qui n’étaient jamais au milieu. Au final, tu respectes les guerriers, les Warriors. C’était devenu des proches alors qu’à la base on était complètement ennemis. Je les ai appelés après le BOTY pour les féliciter. Je leur ai dit que j’étais content pour eux. Et d’un coup, Djaguy me dit que Junior veut me parler. Je ne le connaissais pas. C’est un mec de Rennes à la base. Il était très fort, très connu, avec un style atypique parce qu’il a un handicap des jambes qui lui permet de faire des choses incroyables. Il a eu une Polio. Il fait des pompes à la parallèle du sol sans ses jambes et sans forcer pour dire à quel point le physique, c’est autre chose ! Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! On était mardi. Il me dit « comment ça ? » Ben samedi ! « Non mais je suis à Rennes, je ne peux pas, j’ai un spectacle ». Mais on n’en a rien à foutre de ton spectacle. Rien à branler vu que tu as une grande gueule. Tu as gagné aujourd’hui alors tu fais le beau. Repasse-moi Djaguy. Tu diras à ton petit que samedi, il doit être prêt. « Pardon ? Je n’ai pas suivi ». Allez, salut Djaguy. Et je raccroche. À partir de là, Junior était persuadé dans sa tête qu’il n’allait pas venir. Il a dit à tout le monde « je ne peux pas, je suis en spectacle ». J’ai dit à Youval : « écoute on va voir si là, tu es puissant. Tu envois la purée au maximum, la pub partout, c’est sûr, c’est samedi« . Et Youval a fait une de ces com’ mon pote ! Dans toutes les salles de danse, partout ! Youval est bon, il arrive en embrouiller les cerveaux, d’ailleurs il embrouille le mien tous les jours. La veille, on a dit à Junior, c’est simple, si tu veux, tu ne viens pas mais après tu assumes. Nous, on s’en fout. Tu feras partie de ceux qui ont chié sur eux et pas voulu venir. Et il est venu. Il n’avait pas le choix. Il a tout annulé. La technique c’était quoi ? Je savais que c’était quelqu’un de très fort et qu’il avait des choses que je ne pouvais pas faire. Je ne pouvais pas le suivre dans ce qu’il faisait. Le but était de lui donner le moins de temps pour qu’il s’entraîne parce que je savais que j’étais prêt à ce moment-là. Va falloir aller au charbon et c’est tout ce qui compte. Quinze passages, c’était très long. La police était là. On m’a dit au début faut évacuer les lieux. Mais monsieur avec tout le respect que je vous dois, je ne vais pas pouvoir. C’est au-dessus de mes moyens. C’est gens-là sont venu voir un truc qui va durer une demie heure. Si vous ne les laissez pas kiffer, ça risque d’être dangereux. Je connais la moitié de la salle, c’est des danseurs. Mais les autres, je ne les connais pas. Je ne sais pas de quoi ils sont capables. Ils étaient venus avec des mecs de Marne la Vallée un peu chauds, plus venu pour gueuler et foutre la merde que pour la danse. Ben c’est parti en bagarre. Ça c’est bien passé jusqu’aux dernières minutes où c’est parti en cacahuètes. Le principal est que Junior soit venu. On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Abordons le sujet qui fâche. Pourquoi cela ne se fait pas avec Lilou ? Tu as les vraies raisons ?
NDLR : Pour des raisons qui appartiennent à Benji, ce dernier ne souhaite plus communiquer sur cette histoire. Fait rarissime dans nos publications, nous avons supprimé sa (longue) réponse. Nous respectons sa position et présentons nos excuses à nos lecteurs.

DWT : Que penses-tu de l’image du juif contre l’arabe que ça a donné toi et Lilou ? Voir même l’identification au conflit israélo-palestinien, drapeau israélien contre keffieh, qu’on a pu entendre…
Benji : Mes parents sont tunisiens… Rien à voir. Je ne suis pas trop dans ces trucs-là. Je ne rentre pas dans ces délires. Je l’ai défié parce qu’il copiait mes mouvements et surtout parce qu’il ne m’a jamais reconnu. Dans toutes ses interviews auparavant, il disait qu’il avait inventé ce style alors que tout le monde sait que c’est faux dans ma génération. Et puis c’est débile. Faire une guerre contre ça, c’est débile. On doit être trois feujs dans la culture. Si on commence à faire le truc feujs/rebeus, on est mort. On ne va pas tenir trois minutes. Je n’avais pas besoin de ça pour faire la promotion du truc, tout le monde sait qui est Lilou et qui est Benji. Ce que vous venez de faire par exemple avec cette question, lui refuse de répondre. Il demande aux gens de ne pas lui poser cette question parce qu’il ne veut pas répondre sur le sujet. Pour lui, c’est compliqué. Moi, je réponds. Je suis libre.

Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ».

DWT : Pourquoi tu attaches tant d’importance à l’aspect underground de cette culture ?
Benji : J’aime l’underground. Attention, j’aime aussi la culture actuellement mais ce qui ne me plait pas, c’est qu’ils ont oublié l’underground. Par exemple, il n’y a plus personne qui danse gratuitement. Tu défies quelqu’un dans un Battle, il te dit « mais y a quoi à gagner ? Mais qui est le DJ ? Mais c’est où ? Mais je suis logé ou ? Mais je gagne quoi ? » Mais mon garçon, calme toi ! En plus, ils te parlent comme si c’était des super stars. Je vous explique, c’est des clodos. Ils gagnent deux cent balles. Le BC One qui est une grande machine internationale, ils envoient des mecs sur la Lune à trois cent millions de dollars. Ils font des trucs ouf, 120 qualifications pour le BC One et le gagnant remportent 5 000 € dans leur battle !? C’est une misère. C’est se foutre de la gueule des gens. Ils m’ont proposé d’être BC One All Stars mais je leurs ai dit « vous êtes des comiques ». C’est le siège de Red Bull avec toute l’équipe de JP. Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ». Je leur ai dit : vous êtes des clowns. Tellement que vous êtes des clowns, vous regardez votre superstar se tordre la cheville et vous allez voir la concurrence en face pour tenter de rapatrier quelqu’un d’autre. Vous parlez d’être une équipe mais vous êtes des menteurs. Votre gars tombe vous allez en chercher un autre ? Vous avez besoin de briller alors vous avez besoin des gens qui brillent. Red Bull a compris qu’il n’y a pas dix balles à gagner dans la danse mais ils laissent un pied dedans pour dire on est dedans. Comme ils n’ont pas une grosse concurrence, ils sont tranquilles. Si toi et moi, demain, on organise un battle avec 10 000 € à gagner, on est au-dessus d’eux déjà. Il ne faut pas oublier que ce sont des vendeurs de cannettes. La plupart des mecs que j’ai tapé ces dernières années, c’était des mecs de chez Red Bull. Je le fais exprès pour montrer que leurs supers champions, c’est de la daube. Tu peux avoir 12 ou 25 ceintures, ben tu peux tomber à n’importe quel moment.

DWT : Et Mounir, tu as été le chercher ?
Benji : Non je ne vais pas chercher tous les danseurs Red Bull non plus. J’ai quand même des affinités avec certains. Mounir, c’est quelqu’un d’extraordinaire. C’est un gentil garçon, c’est un mec bien. Je n’ai jamais eu de problèmes avec lui. Mounir, c’est au-delà de la danse, je connais ses grands frères, les Vagabonds, avec qui j’ai grandi et que je respecte parce que c’était un groupe d’attaque, qui était sur le terrain. Ils sont là depuis des années et ils on fait évoluer les choses. Mais dès qu’il y en a un qui parle un peu chez Red Bull, je le tacle c’est normal.

DWT : On sait où est Red Bull mais l’underground, il est où maintenant ?
Benji : Ben je vous le demande. Le 104 par exemple, c’est le nouveau Châtelet, il y a des milliers de danseurs mais il ne se passe jamais rien. Tu peux y aller matin, midi, et soir, il ne se passe jamais rien. Ils s’entraînent. C’est une salle d’entraînement. J’étais à Varsovie, il y a quelques semaines, tu rentres dans une salle de 300m2 où il y a les seize meilleures équipes, il ne se passe rien non plus. Attention, sur le net, ça y va : « quand je croise Benji je le défonce, je le fume » et toi t’es là, et il ne se passe rien ! De ma génération, c’était impossible. Ils n’ont plus la culture de nos jours. Ce n’est plus dans les mœurs. Les mecs ne le font plus. Avec Youval on a essayé d’organiser ça. On a essayé de créer des têtes d’affiches. Tu proposes à Pierre, il te dit contre qui je danse ? Ben c’est toi qui choisis. « Non trouve moi un mec ». Déjà, t’as compris. Ben vas-y, tiens, lui par exemple. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Tu proposes à l’autre. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Les deux se trouvent pas terrible alors justement défoncez-vous si vous ne vous trouvez pas terrible. « Ah oui, mais c’est quoi mon intérêt ? » Voilà, les mecs n’ont pas envie. Il préfère remettre la faute sur un juge quand ils ont perdu dans une compétition. « Oui le juge n’était pas terrible. Le DJ était pourri, le sol était ceci cela ». L’underground s’est perdu. J’essaie de faire revenir le truc parce que je vois qu’il y a une demande quand je fais un événement. Quand je critique Red Bull, ils sont des milliers à liker et à partager. Quand j’ai été convoqué chez Red Bull, le mec me dit « bah dis donc, elle n’a pas fait beaucoup de bruit ta dernière vidéo ». Je lui ai demandé si lui l’avait vu. « Ouais ! » Ben c’est tout ce que je voulais. C’est le principal, c’est toi qu’on voulait toucher. On s’en fout de toucher Pierre, Paul, Jacques ou le mec qui fait du violon chez lui. C’est toi qu’on a envie de secouer.

Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi.

DWT : Est-ce que le fait d’être de confession juive a déservi ton image dans le milieu du break ?
Benji : Il y a eu du racisme, c’est sûr. Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi. Derrière, ils critiquent un peu, c’est le jeu. Si je m’arrête sur ça, je ne danse plus. Je fais autre chose. J’irais travailler dans une synagogue si je voulais faire dans le communautarisme. J’ai choisi le break, je savais qu’on était trois sur des millions. Il y a des gens qui disaient que Division Alpha, c’était un groupe de juifs. C’est faux il n’y a que des rebeus. C’est plus facile de dénigrer avec des trucs simples comme ouais c’est un juif. Peut-être que ça les fait chier qu’on ne soit pas nombreux et qu’on entend beaucoup parler de nous. Comme Youval et moi, on est proche on en entend beaucoup nous aussi on va faire comme vous, les feujs, pour que ça fasse parler. Ce n’est pas raciste mais ils mettent le côté communautaire en avant. Je n’aie jamais ressenti de malaise avec ça. Ça m’a toujours passé au-dessus de la tête. Je suis un mec traditionaliste mais pas pratiquant de ouf. Vous voyez bien je suis tatoué. Quand tu es un artiste, tu ne rentres pas là-dedans. En tout cas, pas aux yeux des gens. Tu le fais pour toi. C’est du cinéma. Lundi tu représentes l’Algérie, mardi la France, frérot tu sais plus où t’es. Moi, je représente la France. Je suis né là. J’ai été trois fois en Israël pour des vacances. J’ai été plus de fois aux États Unis où j’ai une maison à Miami que là-bas.

DWT : Tu évoquais tout à l’heure le Rock Steady Crew. On te sent très proche de Mr Freeze. Comment vois-tu les efforts qu’il entreprend pour les battles underground ?
Benji : Il est humble. Il n’a pas honte de s’auto-charrier. Il dit la vérité sur plein de choses et je trouve ça respectable. C’est une superstar dans les années 80 qui n’a pas laissé énormément de traces. Il n’a pas baissé pas son pantalon mais il est resté trop underground. Il est trop arriéré Freeze. C’est une bombe de mec. C’est mon super pote que j’adore mais il n’arrive à sortir sa tête de l’underground et à faire les choses plus professionnelles. Il veut trop que ça se fasse de la main à la main, à la confiance mais les choses ont évoluées, ce n’est plus comme ça, c’est devenu un bizness. Quand il aura réussi à s’associer avec de bonnes personnes, pourquoi pas. Il avait réussi à s’associer avec Vitamine Water, il a pu mettre 50 000 $ mais le problème, c’est qu’il a fait son battle à Las Vegas et que c’est le bout du monde. De nos jours c’est malheureux à dire, mais l’Europe a plus de pouvoir sur les battles.

DWT : Il voulait l’organiser sous la Tour Eiffel…
Benji : Il veut le faire à l’arrache. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Ce n’est pas possible. Il n’aura jamais l’autorisation. Nous, déjà au Forum des Halles, on s’y entraînait tous les jours donc les mecs avaient l’habitude sauf qu’à un moment on était mille. Les commerçants se plaignaient de payer des loyers alors que 400 noirs et arabes venaient devant foutre le bordel en dansant et en criant. J’allais voir les mecs dans les restos pour leur dire : on s’excuse, ça ne va pas durer longtemps. Mais faut voir comment ils nous envoyaient balader avec des « cassez-vous de là ! ».

DWT : D’où l’idée du centre hip hop des Halles ! (rires)
Benji : Ça n’a plus rien à voir. Il ne se passera jamais rien. Je trouve ça bien parce que ça va avec l’évolution pour que les jeunes puissent s’exprimer. Je pourrai danser là-bas mais de toute façon, la culture est morte. Les choses ont changées. Tout est encadré aujourd’hui. On est maintenant dans un pays où il se passe pas mal de problèmes. On ne peut plus faire un attroupement et faire un battle sauvage comme ça dans la rue. Ce n’est plus possible. Quand tu as des mecs qui posent un poste sur les Champs (Elysées) pour faire un show, au bout d’un quart d’heure les flics viennent. Mes potes se font confisqué un poste par mois. Ils ne les rendent pas. Tous les mois, ils doivent racheter un poste. Comment veux-tu organiser un truc sauvage ?

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Photo © Alain Garnier

Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours.

DWT : Parle-nous de ton expérience dans le cinéma, ça a fait aussi polémique dans le mainstream et la vulgarisation du break…
Benji : C’était cool. J’ai grandi avec la culture Beat Street, Break Street donc faire un film, c’était un rêve. Mais je me suis fait niquer la gueule. Quand on m’a présenté le script du film de Bianca Li, je le voyais comme un film hip hop pur. Après, quand tu vois le montage et les scènes qui sont tournées, comme par exemple la scène où elle fait des effets spéciaux et elle tourne sur le doigt… C’est des choses sur lesquelles j’ai essayé de me battre mais je n’ai rien pu faire. D’ailleurs, j’ai été au tournage de cette scène. Bianca Li est très maligne. Je ne travaillais pas ce jour-là. Ils m’avaient donc laissé 3 ou 4 jours off. Mais j’avais dit que je voulais venir voir quand même parce que j’avais un doute. Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours. Je vois que ça va être un truc dégueulasse où elle va tourner sur la main en sens inverse de la logique de la chose et après tourner sur le doigt, un truc qui n’existe pas, complètement débile. Sur le plateau, je lui ai dit que je ne comprenais pas ce qu’elle était en train de faire. Toi, demain, tu te casses, tu retournes dans le flamenco mais nous, on vit avec et dans cette culture. Il faut qu’on assume ce truc-là derrière nous. Elle m’a dit : « non, j’en ai rien à foutre, c’est mon film, je fais ce que je veux ». Alors directement après, j’ai sorti la première Flexible Fury. Je me suis dit que si je ne fais pas rapidement un truc dans l’underground, je ne suis plus crédible. Au final, c’était une bonne expérience de faire un film, j’ai kiffé. Je serai chaud pour en refaire un autre sauf que cette fois-ci, on ne me niquera pas la gueule.

DWT : Tu as également un projet de livre avec un grand monsieur de cette culture, JayOne, qui est sur les rails. Tu peux nous en dire plus ?
Benji : On est en train d’écrire le livre. C’est Jay qui le fait. C’est un artiste, le black Picasso. Bon, il ne sait pas dire non. Il dit oui à tout sauf qu’il faut le tenir (rires). Je le motive et il me suit sur toutes mes vidéos où il m’aide pour pleins de choses. Ce livre parle de ma vie en globalité, de ma culture juive jusqu’à maintenant. Comment un petit feuj arrive dans cette culture. On est aussi en pourparlers sur l’ouverture d’une galerie d’art en tant qu’associés pour exposer des gens.

DWT : Tu t’étais lancé dans la création d’une marque de vêtements également…
Benji : Elle s’appelait Détail. Elle a pas mal fonctionné mais j’ai revendu mes parts tout de suite. J’ai fait monté le truc et j’ai revendu parce que c’est vraiment un métier à part entière. Faut être intègre. Je n’ai pas le temps avec mon travail et la danse. J’avais beaucoup de vue pour faire monter la sauce et revendre pour gagner un peu de sous. Mais pour faire une marque, faut vraiment être à fond.

DWT : Est-ce que tu partages les valeurs de l’Universal Zulu Nation d’ Afrika Bambaataa ? Est-ce une organisation à laquelle tu es sensible ?
Benji : Pas du tout. …Enfin je vous dit une connerie car dans la Zulu Nation, il y a des vraies valeurs mais je n’en suis pas proche. Je n’ai pas grandi avec ça. J’avais du respect pour Bambaataa par rapport à Beat Street et parce que c’était le Zulu King mais sinon… Entre nous, la Zulu Nation, ça touche très peu de gens en France. Ça n’a pas un impact assez balaise sur la culture en France pour que je m’y intéresse vraiment et que je m’y mette à fond. Et puis la Zulu Nation en France vis à vis du break, qu’est-ce qu’ils ont fait ? A part des chapters éparpillés, il n’y a pas grand-chose.

Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop.

DWT : Quels sont les conseils que tu pourrais donner à des jeunes qui se lancent dans le break ?
Benji : Rester authentique. Souvent j’entends qu’il faut rester dans les critères pour les jurys mais je trouve que ce n’est pas important tout ça. Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop. Le BC One n’est pas le seul chemin. Etre bien entouré aussi, c’est important. Je trouve que les jeunes sont souvent mal entourés. Et surtout, important, ne pas espérer vivre de la danse parce que c’est un mensonge permanent. Les mecs voient Lilou ou d’autres gagner 2 000, 3 000 balles par mois, ils ont l’impression que c’est le bout du monde alors que ce sont les mieux payé de tous. C’est de la merde. Même eux qui sont les mieux chez Red Bull sont loin de s’enrichir. Les mecs sur les Champs doivent gagner autant.

DWT : Tu écoutes quel type de musique ?
Benji : J’écoute des trucs de fous. Du rap français, du rap américain, de la house. J’aime bien Booba, Lacrim, tous les clichés du moment, Kaaris. Je suis comme tout le monde. On me bourre le crane à la radio et au final j’aime bien. J’aime le rap américain parce que je vis la moitié de l’année à South Beach Miami. J’aime grave la culture hype des années 90.

DWT : Qui est le plus technique en France pour toi ?
Benji : Aucune idée. Gamin, j’étais impressionné par Ibrahim Dembélé.

DWT : Quel est selon toi le meilleur crew de l’histoire ?
Benji : Sur le nom, Rock Steady Crew. J’aimais bien Ground Zero mais pas pour les mêmes raisons. C’était un grand groupe de guerriers. J’étais plus fan des Rock Steady et de Rock Force Crew, qui était de ma génération et avec qui j’ai dansé. C’était mes idoles. C’était un rêve de danser avec eux. J’ai gagné avec eux il y a quelques semaines à Varsovie. On a refait l’équipe d’il y a dix ans. C’était une manière de dire aux petits jeunes : « hey, les papys vous ont botté le fion ! ». On était contents.

DWT : Meilleur danseur toute époque confondue ?
Benji : Ken Swift a fait partie des tueurs. Il a fait le début et il a fait la fin. Il est toujours là. Il a fait du sauvage, il n’a jamais dit non. Et il fait partie de mecs qui n’ont pas craché sur les nouvelles générations.

DWT : S’il a une collaboration que tu souhaiteras faire, laquelle aimerais-tu ?
Benji : J’aimerai rencontrer Chino. J’aimerai parler avec lui pour comparer les galères qu’il a eu avec sa religion et ses machins. J’aimerai rencontrer pleins de gens en fait.

On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse.

DWT : Au final, comment qualifier ta détermination ?
Benji : Je suis un mec déterminé. J’arrive à me mettre un objectif. Je me mets dans la tête tout le temps une barrière à atteindre qui est au-dessus de moi. Ça va être dur mais je vais l’atteindre. C’est un peu ça mon truc, il faut toujours voir au-dessus sinon tu n’avances plus. Je ne me mets pas de barrière genre j’ai 34 ans, c’est fini. J’aime ma liberté, c’est pour ça que j’aime mon métier de serrurier. Je patrouille et à tout moment, je peux aller m’entrainer. Ma liberté, c’est aussi d’aller chercher les mouvements que je veux. Il y a beaucoup d’identités différentes dans le break. Regarde dans le patinage artistique, ils ont pleins de figures imposées. On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse. Beaucoup de danseurs dansent pareils maintenant. Ils ont vu tellement de vidéos. En vérité, ils sont dans l’ombre de quelqu’un. Mais avoir son style et être reconnu grâce à lui, c’est très important.

DWT : Pour conclure, tu penses avoir marqué l’histoire de la danse hip hop ?
Benji : Si vous faites une interview de moi aujourd’hui, c’est que j’ai dû la marquer un peu (rires). J’ai marqué chaque danseur différemment. Certains d’entre eux n’aimaient pas forcément mon style mais avaient peut être du respect pour mon engagement. Ou du respect pour le fait que j’ai fait des battles sauvages et que je défende autant l’underground. Je le vois ces dernières années, il y a des mecs qui me suivent et qui disent : « je ne suis pas spécialement d’accord avec Benji mais sur certaines choses, je le suis et je le rejoins ». D’autres affirment qu’ils ne sont pas fans de mon style mais reconnaissent que je le fais bien et mieux : « c’est normal car c’est lui qui l’a inventé ».

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Photo © Alain Garnier

Interview réalisée le mardi 7 juin 2016 par Fati, FLo et Alain Garnier / Photos par © Alain Garnier.
On en place une spéciale pour l’excellent Paul Belêtre, le réalisateur fou (narvalo, branche le micro de la XL1 la prochaine fois) et à b-boy Junior des Wanted : Qui a gagné en réalité ?

Dee Nasty, down with the King

Interviews, Non Classe
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Nova, solo, Zekri

Pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi.

Dee Nasty passe des disques comme on passe un message. Son premier LP, «Paname City Rappin», est enregistré en 1984 et c’est le premier du genre autoproduit de France. Dix ans après (voir notre interview de l’époque ici), Dee Nasty nous avait présenté son troisième album « Le Deenastyle » avec la participation du regretté East (RIP). Il est l’un des rares qui n’a eu de cesse de favoriser l’émergence du hip hop en France, d’abord avec des micros ouverts sur le terrain vague de La Chapelle en 1986 puis notamment en 1988/1989 grâce à son émission mythique « Deenastyle » qu’il animait avec Lionel D sur Radio Nova, servant ainsi de tremplin aux premiers groupes de rap français signés en major. Aujourd’hui, Dee Nasty est Grandmaster. Une dénomination qu’on pourrait qualifier de folklorique mais qui n’en demeure pas moins une distinction certaine dans le monde des Dj’s dont il est le seul dépositaire en France. Méchant aux platines, pas assez dans la vie, il n’a souvent eu pour seul retour qu’un mépris déconcertant. Dur à accepter de la part d’un mouvement dont le mot d’ordre est unité. Il n’en demeure pas le moins également le pilier d’un hip hop qui nous a permis de nous évader de notre condition sociale, tout comme il a pu en échapper…

Down With This : D’abord, pour commencer, nous sommes honorés que tu refasses une nouvelle fois la Une de DWT, 20 ans après la couverture de notre numéro 5 (disponible ici). Voilà qui est dit (rires général). Tu es originaire de quel quartier ?
Dee Nasty : Je suis né à Vincennes. J’ai apparemment vécu un an rue Clavel à Belleville, Paris. Par la suite, direction Bagneux, en HLM. Mes parents avaient eu un appartement à la « Pierre Plate », un quartier tristement connu pour être la cité du gang des barbares. L’immeuble venait de sortir de terre. Il était tout neuf.

J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone (…) et qui s’habille avec des vêtements en laine de brebis. (…) Ça ne m’aurait pas dérangé.

DWT : Dans quel contexte familial as-tu grandi, que faisaient tes parents ?
Dee Nasty : Ma mère était femme au foyer, elle faisait de la couture. Elle s’occupait d’un atelier de peinture libre dans un centre culturel, le centre Alpha. Ils avaient de bonnes idées avec un petit côté catho. C’était l’époque qui voulait ça. Avec mai 68, il y a eu beaucoup de passage chez mes parents, ils ont fait des manifs, la grève de la faim pour plusieurs trucs, etc… Activistes militants donc. Mon père travaillait à l’aéroport d’Orly. Ils écoutaient de la flûte de pan. J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone, la communauté « L’Arche », fondée par Lanza Del Vasto. Ils s’habillent avec des vêtements en laine de brebis. Pour un gamin c’était fun, ça me changeait de la cité de la « Pierre Plate ». Que mon père arrête tout pour partir là-bas, ça ne m’aurait pas dérangé. Avec mes sinusites a répétitions, je ne supportais pas la poussière de la ville. Tout allait mieux à la campagne. Ça m’aurait permis de faire autre chose que de jeter des cailloux sur les autres. Je commençais à mal tourner, de bagarre en bagarre. J’étais un peu le souffre douleur : grand, blond et des yeux bleus. Je me prenais des cailloux sans savoir d’où ils venaient. En plus, ma mère m’habillait comme un petit bourge alors que ce n’était même pas notre cas. Quand j’ai commencé à pouvoir me défendre, ça a commencé à mal tourner. Je suis parti de Bagneux à 14 ans, pile au bon moment. Deux ans en Seine-et-Marne avec mes parents, puis je suis parti vivre ma vie.

DWT : 16 ans, c’est tôt pour quitter tes parents. Tu avais déjà des modèles à l’époque ?
Dee Nasty : J’ai des origines bretonnes donc je me suis pas mal intéressé à Alan Stivell et tout ce qu’il défendait. J’ai voulu apprendre le breton mais à côté de ça, j’adorais la soul et j’étais fan des Isley Brothers. Tout ça avait du mal à se concilier dans ma tête. J’avais pleins de potes qui écoutaient du rock et j’adorais ça aussi. Mais pour répondre à votre question, je n’avais pas de super héros (rires).

En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement.

DWT : Comment en arrives-tu aux platines ?
Dee Nasty : En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement. Ça m’avait familiarisé avec ces machines. Puis j’avais acheté une cellule avant/arrière et j’avais scié le plateau pour qu’il soit plus léger. Ce qui a déréglé le régulateur de vitesse… (rires) J’ai trouvé par moi même qu’un sac en plastique FNAC découpé plus une feuille de papier permettait de faire glisser les disques. J’ai surtout eu la chance d’habiter à San Francisco et de découvrir le hip hop aux Etats-Unis. J’avais eu aussi l’exemple de Grandmaster Flash avec The Adventures Of Grandmaster Flash On The Wheels Of Steel. Ca m’avait influencé. Automne 1982, il passe au Palace avec les Furious Five et je le vois live. C’était particulièrement impressionnant. Trois semaines avant il y avait eu le « New York City Rap Tour » avec Afrika Bambaataa.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers des studios de radio…
Dee Nasty : J’ai eu une émission, « Funkabilly », sur Radio Ark en Ciel qui émettait de Barbès sur le nord de Paris et le bas de Saint-Denis. J’achète quelques disques de funk et je commence à toucher les platines sauf qu’il en avait une dans un coin et l’autre un plus loin, donc impossible de mixer ! J’avais un pote antillais, Bruno Funk, qui est remercié dans chacun de mes albums. Il me fait connaître un pote, Maurice, qui jouait au Palace (ndlr : Boris, et non pas Maurice, erreur de retranscription – mise à jour du 15/12/2015 –). C’était le DJ avec Sidney. Il me propose de venir faire des séries Jazz Funk Hip Hop du moment dans les soirées antillaises. Cela marchait bien. Je commence à découvrir les platines en passant d’un disque à l’autre en faisant des enchaînements à peu près cohérents. Ça se passe super bien et je continue.

DWT : Tu es sur quelle table de mix à cette époque ?
Dee Nasty : A l’époque, en 1982, je m’achète un petit mixeur où il n’y avait pas de pré-écoute. Je ne sais même pas s’il y avait une marque mais il y avait deux potards. C’était plus un mélangeur. Ma table d’après m’a plus marqué, c’était une BST.

DWT : A cette époque des « radios libres », tu te retrouves par la suite dans des radios assez « charismatiques »…
Dee Nasty : Il y a eu des fusions forcées entre les radios et je me suis notamment retrouvé sur différentes radios comme Fréquence Gay. J’avais mon émission mais il y avait une sorte de racisme des homos envers les hétéros, comme si on avait rien à foutre là. C’était un peu le cas. Je décrochais le téléphone pendant l’émission et c’était uniquement pour me faire draguer.

J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985.

DWT : Vient ensuite Carbone 14 avec une émission qui était apprécié par de nombreux auditeurs…
Dee Nasty : Cette émission, Planète Funk, n’a pourtant duré que six mois… Je connaissais des gens à Carbone 14, j’y suis donc allé et ça a collé. J’avais carte blanche, trois platines et une boîte à rythme. J’invitais des potes pour des sessions. Mais en 1983, Carbone 14 n’a pas sa licence et ça s’arrête. C’était dans le bas de Bagneux. J’arrive un jour et j’apprends que des CRS avaient tout emmené. Tout le monde était en larmes. C’était une époque durant laquelle il y avait des camionnettes avec de grosses antennes sur le toit qui cherchaient les émetteurs pirates. Puis il y a eu Supernana avec Radio Aligre. J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des Handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985. Ils n’ont pas eu l’autorisation de continuer non plus.

DWT : S’en suit les grandes heures à la Chapelle/Stalingrad. Comment t’es venu cette idée de passer par-dessus un mur de deux mètres de haut avec des platines et un groupe électrogène ?
Dee Nasty : Toujours pendant mes courses, à la Plaine Saint-Denis, je vois un magasin avec un groupe électrogène à louer. C’était super pas cher et il fallait juste une petite caution pour le louer. Arrivé au terrain, mon scooter servait de marche pied. Il y avait toujours des gars pour me donner un coup de main. On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter. Après, j’allais à la station service juste à côté pour récupérer de l’essence avec un jerricane. On mettait le groupe le plus loin possible car sinon c’est comme si tu avais une mobylette qui tournait dans ta tête (rires). Ça valait le coup.

On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter.

DWT : Tu embrasses très vite la Zulu Nation et rencontre également très tôt Afrika Bambaataa. Ca a été salvateur ?
Dee Nasty : Ça semblait naturel. J’étais parti dans ma vie dans quelque chose où je ne serai pas resté vivant très longtemps. Cela m’a donné une énergie suffisamment forte de voir ces gars de là-bas qui sont sains, qui défendent des valeurs simples alors qui sont plus dans la merde que nous. Paix, amour, unité. Ça m’a fait le plus grand bien. Je me suis m’y dedans avec autant beaucoup de force. Après, ça ne m’a pas lâché. J’ai rencontré Bambaataa à Radio 7, avec Sidney, il faisait des dédicaces. Je considère que grâce à ce mouvement, je suis devenu Deenasty. Sinon, je serai resté Daniel Bigeault, une espèce de loser, un mec dont on ne sait pas vraiment ce qu’il va devenir. Il y a encore plein de chose à faire. Ce n’est pas un message galvaudé même si j’ai mis beaucoup d’années à reconstruire la Nation Zulu en France.

A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie.

DWT : Tu as connu des moments durs dans la vie avec la drogue, l’alcool. Comment y as-tu fait face ?
Dee Nasty : C’est arrivé bien avant le hip hop. A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie. Ce qui est rigolo, c’est que dans les périodes les plus sobres, on disait : « oh, Deenasty est en forme, il a pris de la coke ! », « oh, Deenasty est fatigué, il a pris de l’héro ! ». On ne te lâche pas avec ces : « oh, il est retombé dedans » alors qu’en fait, rien du tout. Un jour, je vais écrire un bouquin avec le pourquoi du cheminement, la rue, les rencontres, les braquos. Tous les trucs d’un jeune qui fait qu’il n’a que sur lui qu’il peut compter, et surtout pas sur son entourage. J’ai eu une hépatite B, une hépatite C, j’ai fait une rémission. Je me suis guéri tout seul. Le truc incroyable vu ce qui m’attendais. Je m’en suis bien sorti. La musique m’a sauvé. Certains peuvent se permettent des trucs, ça fait parti de leur image Rap’n’Roll mais moi, ce n’est pas possible. Je ne comprends pas trop pourquoi d’ailleurs. L’alcool, c’est venu plus avec le temps, de soirées en soirées. Ce n’était pas mon truc principal. Très jeune oui mais je m’en étais détaché. Moi, c’était coke puis héro depuis l’âge de 17 ans. J’étais jeune. Il faut savoir qu’un produit est un outil. Il faut savoir le considérer comme tel. Ça peut servir à quelque chose. Ça peut être un outil pour renforcer une personnalité un peu perdu mais il faut vraiment avoir une sorte de grand frère pour ne pas que ça parte en couille. Je n’ai jamais été suicidaire. Je consommais parce que j’avais un travail super dur pour lequel je restais 14 heures sur un scooter dans le froid et sous la pluie. L’héro tient chaud. C’était le cas pour tous les coursiers avec qui je travaillais. Tout le monde se disait qu’on n’y touchera pas et c’est rentré dans le milieu de la course. Tu ne vois aucune autre perceptive que celle de rester coursier. Tu risques ta vie tous les jours. C’est une sorte de cercle… J’ai perdu énormément de gens pendant cette période, par des overdoses, des accidents, sans parler des handicapés a vie. Certains ont fait des braquos mal préparés et sont tombés. Beaucoup était souriant quelques années auparavant puis l’héro est passée par là. C’était vraiment des histoires à la con.

DWT : Dans ton parcours d’homme de radio, il y a surtout ton émission myhtique « Deenastyle » que tu animais avec Lionel D sur Radio Nova et qui a marqué l’histoire du rap en France. On t’a pourtant entendu dire à plusieurs reprises que Radio Nova n’avait pas tant soutenu le hip hop au moment de ton émission. Pourquoi ?
Dee Nasty : Tout à fait. Mais il y a eu plusieurs phases. D’abord, Radio Nova joue plutôt du Flamenco, du Zouk, de la world music. Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je travaillais dans le même studio à cette époque. Je participe à un morceau avec eux et Bernard Zekri suit l’histoire. Il avait entendu parler de moi via les free jams de La Chapelle. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui, ce qu’il ne savait pas. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ». On fait une émission zéro avec Martin Meissonnier comme réalisateur. Et je me retrouve avec une demie-heure par jour dans laquelle je peux faire des thématiques gogo, break beat, hip hop old school, new school avec les débuts de Public Enemy par exemple sous le nom de Spectrum City.

Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ».

C’était à la même époque que Chez Roger Boîte Funk. J’étais payé 500 francs. J’ai eu le malheur de demander une augmentation à Jacques Massadian et je me suis fait virer. On me sucre aussi mon émission radio et je passe à vingt minutes ou je dois passer des sons sans parler. Au final, on me vire encore puis on me redonne une autre émission, le dimanche soir de 22 heures à minuit. Comme ils n’aimaient pas comment j’animais, ils me mettent avec Lionel D qui faisait aussi les bons plans rappés sur Nova avant de se faire virer lui aussi. On est content de se retrouver mais on se dit « qu’est ce qu’on va faire pendant deux heures ? ». On décide de faire une heure de rap ricain puis une heure de rap français. Au départ, on ne pensait pas inviter tout le monde car on n’avait pas de carte blanche. Mais comme c’était le dimanche soir, il n’y avait plus personne dans la radio. La première émission, Lionel balance tous ses textes. On se dit « merde, ça c’est fait. Qu’est ce qu’on va faire maintenant ? » L’émission d’après, on invite Les New Génération MC’s avec EJM. Et boum, c’est une évidence ! Lionel anime et fait passer le micro. La semaine d’après, il y a vingt personnes en bas qui veulent rapper. On dit « ouais, venez ! ». On ne peut pas savoir à l’avance le niveau. On ne peut pas faire d’audition. On est des potes bienveillants. Les émissions passent et on se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. On se dit qu’une fois revenu dans leurs quartiers, ils vont se faire charrier un peu mais du coup, ils vont travaillé et revenir mieux préparé. Petit à petit, le niveau monte. Je me rappelle notamment de Coffee B, rien que son nom, c’était rigolo. Il y avait Les Little, Rico qui venaient tout le temps. Des collectifs de banlieues différentes montaient à la radio. Un jour, NTM et Assassin veulent participer à l’émission mais ils se viandent. J’étais obligé de passer les disques qu’ils voulaient et ça m’énervait car normalement, je faisais ma programmation et tout le monde s’adaptait aux disques que je jouais. Ils se rendent compte que ça se passe mal pour eux et décident de préparer un deuxième passage qui sera plus professionnel, sans pour autant voir le niveau des autres qui étaient mieux préparés. Ils étaient super arrogants mais ça à contribuer à une sorte d’émulation par des défis artistiques. Nova l’apprend et le prend mal. En même temps, ils voient qu’on gère même si nous étions que deux à tout faire. Lionel pour gérer ce qu’on va appeler le plateau et moi la régie à passer les sons, les micros et faire les mixes avec vingt gars derrière qui n’arrêtent pas de me parler. Un jour, des mecs sont montés sur un radiateur. Résultat : il se casse et tombe en provoquant une énorme fuite d’eau. Il a fallu tout éponger. Il y a eu quelques tags, des mecs qui pissent dans l’ascenseur et les premières réflexions du lundi matin quand les mecs de Nova arrivent. « Pourquoi ça sent la pisse ? ». Ils entendent des gens assez bien placés qui leur disent que leurs gamins écoutent l’émission le dimanche soir et se rendent compte de la place que ça a pris en l’espace de seulement quatre dimanche. Ça y est ! C’était du feu de Dieu avec le vrai Deenastyle. Nova laisse faire mais ce n’est pour autant qu’ils pensent à mettre quelqu’un de la radio ou de la sécurité pour nous aider. Et arrive ce jour quand des gamins d’Orly volent le standard de la radio. Invendable mais du coup, le lundi, plus de standard dans la radio. Résultat : Lionel D et Deenasty persona non grata à Radio Nova. Au final, Lucien qui revenait de New York, et qui venait tout le temps nous voir, retrouve le standard trois jours après et nous le ramène. L’émission ramenait beaucoup de monde. On arrivait à les faire partir mais il fallait tout nettoyer après, jusque dans la cour et les tags dans les chiottes ! On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé » mais des plaintes commençaient à tomber au sujet des tags de la cour. Alors on brossait, on brossait (rires).

On se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. (…) On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé »

J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. (…) Certains ont des flingues et les ont sorti.

DWT : Ton émission servait également de relais pour la promotion des soirées, notamment celles organisées par IZB…
Dee Nasty : Ils venaient toutes les semaines pour promotionner leurs concerts de rap américains. D’ailleurs, contrairement à ce qu’ils disent dans le livre « Regarde ta jeunesse dans les yeux », c’est moi qui leur présente le manager de Public Enemy alors qu’ils disent qu’ils le rencontrent par hasard. Je ne suis pas le hasard. C’est grave mais ça ne m’étonne pas. C’était d’ailleurs grâce au manager de PE que le groupe était venu Chez Roger Boîte Funk gratuitement, parce que je l’avais rencontré à New York. IZB décide six mois à l’avance de faire un gros truc à l’Elysée Montmartre. On en parle chaque semaine dans l’émission. Deux semaines avant, Lionel et moi leur disons qu’on apprécierait avoir deux invitations. Mais les invitations n’arrivent jamais bien qu’ils nous les promettent. Du coup, avec Lionel, on va sur place mais pas d’invitations pour nous à la caisse. Puis on nous dit : « toi, Dee Nasty, tu as un invit mais pas Lionel D ». Du coup, on regarde ce qu’on a dans nos poches et on paie la place. On rentre dans la salle et IZB nous regarde bizarre. On reste un peu puis on s’en va. Et ça monte, ça monte. L’émission d’après c’est moi qui sors « ouais les IZobie Mamie Nova ne vous dit pas merci ». J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. Ils sont bloqués par Jacques Massadian qui fait du sport. Ils demandent un droit de réponse et c’est Jaïd qui monte, il passe derrière le micro pour dire que des conneries. Je dis aussi ce que j’ai à dire. Résultats des courses : certains ont des flingues et les ont sorti. Certains le racontent et sont super fiers. Ils peuvent : cinquante contre deux, waouh, c’est extraordinaire !

DWT : La suite ?
Dee Nasty : Ben on s’est fait virer. Le Deenastyle, c’était bien gentil mais terminé. On a eu droit a une dernière émission et c’est là que j’ai écris « Le rap pour un con ». Ils m’ont pris pour un con. On n’était même pas payé, on faisait ça pour l’amour du truc. Les IZB s’étaient auto-proclamé les « Incredible Zulu Boys » alors qu’ils n’étaient même pas zulus. Ce qui est extraordinaire, c’est que je viens tout juste de nommer Jaïd car il ne l’était même pas. Bambaataa m’a permis de nommer des gens. J’ai donc nommés lui et Lord Salim.

Je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad.

DWT : Comment avais-tu rencontré Lionel D ?
Dee Nasty : A la sortie de mon disque Paname City Rappin’ en 1984. A la fête de la musique, avec mon pote Bad Benny de RDH. Afrika Bambaataa officie sur la place du Trocadéro, je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. Il me fait un rap, du coup on l’invite sur RDH et de là est né un truc. Pas une amitié mais un premier contact. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad, avec un batteur, moi à la boîte à rythme et une seule platine pour les scratchs. On rappait tous les deux. Surtout en français même si Lionel maîtrise bien le rap en anglais. J’ai une seule cassette qui témoigne de cette époque. Après on essayait de jouer au Bataclan mais on ne nous a jamais laissé faire. Même pas un petit show-case, rien. C’était chacun son crew à cette époque.

DWT : Historiquement, à quel groupe as-tu appartenu vraiment ?
Dee Nasty : Ben aucun à ma connaissance (rires).

DWT : C’est très rare que nous menions des interviews dans le cadre d’une promo. C’est avec plaisir que nous dérogeons à la règle pour soutenir la sortie de ton nouvel album, « Classique ». Pour commencer : tu le sors chez Celluloïd, tu t’es fait un énorme kiffe ?
Dee Nasty : Celluloïd était intéressé. Ça c’est fait avec Gilbert Casteo qui est associé avec Jean Karakos. Il connait mon éditeur qui lui en a parlé. Ce n’est pas évidement, il a 77 ans, ils sont trois dans le label mais je suis content car c’est un clin d’œil avec le passé. Je rêve maintenant de refaire un maxi avec exactement la même pochette de l’époque.

Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir.

DWT : Cet album contient également des featuring aussi différents qu’incroyables : Rachid Taha, Afrika Bambaataa par exemple ! Il n’y a que toi pour faire des choses comme ça dans le hip hop.
Dee Nasty : Avec Rachid Taha, on a toujours rêvé de faire quelque chose ensemble. C’était l’occasion, il a dit oui tout de suite. On a fait ça chez lui. Il a demandé à son fils de brancher le micro et on a fait ça d’une prise ! Je trouve que c’est le seul rocker légitime de France. C’est un gars que j’adore artistiquement. J’aimerai qu’on fasse un album ensemble. On a fait deux morceaux ensemble qui sont très réussis et personne ne l’a emmené sur le terrain de l’électro funk. Pour Bambaataa, il était à Paris, invité par LBR. On a enregistré chez lui : un morceau et deux pistes Freestyle. Sur cet album, j’avais la liste des gens avec qui je voulais travailler. Je voulais aussi faire un trio de DJ’s. Personne ne s’occupe de moi, j’ai certes un éditeur mais je voulais surtout prouver que je suis un musicien. J’en ai marre qu’on me dise que mes albums sont des compilations ou des mix-tapes. Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir. Tout cela c’est fait naturellement. J’ai commencé cet album il y a quatre ans. Le dernier était tellement passé inaperçu que j’avais une revanche à prendre et ça a donné un album dont je suis fier.

DWT : Au cours de ta carrière, tu as recroisé la route des NTM. Parle-nous de ton travail que tu avais réalisé pour la sortie de leur troisième album, disque de platine, « Paris sous les bombes » ?
Dee Nasty : J’ai fais l’instru de « Come Again » (Pour que ça sonne funk), la première version. L’album devait sortir trois mois après. On était au Studio de la Seine. Ils étaient venus chez moi écouter le morceau et choisir une instru, que j’avais fait pas spécialement pour eux d’ailleurs, pour Big Brother Hakim je crois. On l’enregistre. Je fais aussi une version remix et une version dub. Ils sont contents puis plus de nouvelles. J’apprends un jour que l’album sort et je rencontre Joey Starr qui me dit : « Oh ! En fait, on a pas gardé ton instru, c’est Clyde qui a refait la musique ». Ok, ça aurait été sympa de me le dire d’autant plus que j’avais été payé en avance pour la sortie du maxi. Donc l’avance de 10 000 francs qu’on m’avait fait, je la dois encore à Sony Epic. Tous les ans, je reçois des relevés avec moins 10 000 francs dessus. On s’est recroisé vite fait mais ils s’en battent les couilles en me disant qu’ils ne s’occupent pas de la partie business. J’avais aussi failli faire une tournée avec eux. DJ Clyde était parti. J’étais déjà en tournée avec Big Brother Hakim, faute de temps, j’ai proposé le truc à un mec du magasin LTD, ancien disquaire de Châtelet Paris. Il ne pouvait pas non plus mais en a parlé à son cousin, Dj James. Il a été auditionné puis retenu. J’espère qu’il sait que c’est grâce à moi (rires).

DWT : As tu des nouvelles de Big Brother Hakim ?
Dee Nasty : Oui, il habite mon quartier. Il est à cinquante mètres de chez moi. On est toujours fâchés mais on se croise.

Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ?

DWT : Que ressens-tu à propos de certaines « cérémonies » sur le hip hop comme il a pu en avoir il y a quelques années à l’Olympia ou à La Cigale en 2012 dans lesquelles tu n’es même pas récompensé, ni même invité ?
Dee Nasty : Cela me met dans une rage folle. Heureusement, j’ai ma femme qui arrive à me recentrer. Ça me met en colère. Je trouve ça super injuste. En même temps, je n’avais pas envie d’y être parce que d’entrée, je trouve que ça pu. Mais je me dis : « Pourquoi ils n’y ont même pas pensé ? » Et s’ils y ont pensé, « Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? ». Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ? Je pense, en fait, qu’ils n’y ont juste pas pensé… C’est un peu particulier. Cela n’a jamais été facile pour moi. Autant le respect vient avec le temps mais là, c’est un respect forcé car j’arrive encore à m’accrocher. Il y a beaucoup d’empathie du genre « Le vieux, il s’accroche, il n’a que ça dans la vie ». C’est ce que je ressens comme réaction quand je joue dans des bars : « ah ouais, toi là ? », genre, je mériterai mieux. Mais non, moi j’adore faire ça ! En tout les cas, je n’ai pas lâché, j’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

J’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

Je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur ».

DWT : Tu étais pourtant au sein d’un gros collectif de DJs lorsque le Double H de Cut Killer se monte…
Dee Nasty : Les premiers temps, je suis chez Roger Boîte Funk. Cut Killer vient me voir car c’est juste a côté de chez lui et que je suis un peu l’icône en tant que DJ. Effectivement, j’ai fait troisième au championnat du monde à ce moment-là. Sur la fin de Chez Roger, j’ai des contacts avec Cash Money. Donc je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur » et que je m’en inspire. Cut Killer, à ce moment là, il a vu les deux dans l’art du djing. Il faut savoir que Cut Killer était le DJ des IZB et le moins qu’on puisse dire, je n’étais pas très proche d’eux… Quand Cut Killer a pris ses distances avec eux, on a pu se parler. Mais c’est DJ Abdel qui m’a vraiment fait rencontrer Cut Killer. L’idée du Double H est venu après. J’y adhère. Il y avait East dedans (RIP). Je les invite sur mon troisième album, « Le Deenastyle ». Ils avaient une bonne place dedans, premier morceau de l’album, puis participation à la tournée promo que Polydor avait organisé. Tout se passe bien sauf que Cut Killer et East veulent avoir leur truc à part. Après, il y a l’histoire du « Diamant est éternel ». J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres.

J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres. Ce que je refuse, ça part en couille.

Faster Jay voulait aussi plus d’argent. J’ai dis non, que ce n’était pas possible. Je tenais à ce que tout le monde soit au même niveau, ce que la plupart avait accepté et c’était très bien comme ça. Ça devient finalement un truc super houleux, super tendu. On se réconcilie par la suite et : « ok, vas-y pour le Double H« . Au démarrage, je donne tous mes contacts et donc tout le monde appelle le Double H et je me fais voler mes soirées. Je me rends compte que c’était le même état d’esprit que sur « Diamant est éternel ». La dernière tentative, c’est quand j’ai fait Dj School. J’y invite Cut Killer pour faire une démo dedans et il fait un procès parce qu’il trouvait que son nom avait été écrit trop petit et que par contre, sa tête était trop grosse. La dernière fois qu’on c’est vu, c’est au Rex. Le mec fait un truc de double face tout le temps. C’est insupportable. Alors que j’étais en galère de thune un jour, et que je n’avais jamais rien touché sur mes collaborations avec le Double H, je lui demande de me prêter de l’argent, 500 euros. Il ne m’en propose que 200… Je n’ai même pas été récupérer l’argent, j’ai envoyé un pote. C’était de la carambouille tout le temps. Rien à voir avec DJ Abdel, je lui demandait 500€, c’était direct : « ben passe demain au bureau chercher l’enveloppe » et il me filait 1000€ sans que j’ai besoin de lui rendre, en me disant que je les méritait avec tout ce que j’avais fait pour lui.

Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

DWT : On a pu lire que tu avais été très en colère contre le Double H. Irais-tu jusqu’à dire que tu étais là au bon moment, juste pour légitimer cette formation ?
Dee Nasty : Je pense que oui. On fait une réunion chez Double H un jour, rue Saint-Hippolyte. Une réunion dont l’ordre du jour était la côte de chaque DJ… Cut 8 000 euros, Abdel, 7000 euros, moi et LBR, 2 000 euros chacun. C’est là où j’ai arrêté. J’ai dit : « C‘est une période de solde ? ». On m’a dit que j’étais trop old school. J’avais les mêmes disques mais on me faisait passer pour l’after de Cut… A l’époque, le terme « old school » était plus une insulte qu’autre chose. On était en fait tous employé à travailler pour Cut Killer et dorer son blason continuellement. Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

Cut Killer Double H - Dee Nasty - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu te plaignais d’ailleurs à cette époque de ne plus recevoir les disques des labels et qu’ils allait tous chez Cut Killer…
Dee Nasty : Ouais, c’était ça. J’en recevais un peu mais le problème à l’époque, c’est qu’il y avait des mecs qui travaillaient à la poste de Riquet et qui me prenaient tout avant que ça arrive. J’avais juste l’avis dans la boîte aux lettres. Du coup, j’allais directement voir les labels pour récupérer les disques. À ce moment-là, j’allais régulièrement à New York. Il y avait des soirées où ça passait beaucoup de rap français. J’ai fait beaucoup de promotion de rap français, qui était à mes yeux à ce moment arrivé à son âge d’or. Il était en cohérence totale. Il y avait un magasin de skeud « Liquid Sky » à Alphabet City qui voulait faire un bac de rap français. J’y jouait le week end que du rap français et ça avait commencé a fédérer tous les expatriés et des américains intéressés par ça. Les labels comme Nouvelle Donne ou Double H me disaient « mais on s’en fout de vendre dix pièces à Manhattan« . Dommage, cela les intéressait beaucoup. En considérant déjà les 80 000 jeunes haïtiens francophones qui kiffaient le rap, plus les « expats« , ça faisait du monde.

DWT : Tu as sûrement la collection de vinyles la plus importante de France en matière de hip hop et d’électro funk. C’est un héritage important pour ton enfant…
Dee Nasty : Oui, en gros 25 500 disques. Ca fait cinq tonnes. C’est un héritage un peu lourd. (rires) Le temps qu’elle fasse le tour de tout ce qu’il y a… Est-ce qu’en grandissant, elle va aimer ces disques-là ? Je pense que oui mais ce n’est pas forcément un cadeau. Elle a des goûts divers et variés comme un enfant de onze ans. Moi par exemple à cet âge, j’aimais encore Claude François. Elle sait que ça va être ses disques alors elle me dit d’en prendre bien soin. Et après, qu’est ce qu’elle va en faire ? Ça prend beaucoup de place. Elle aura de quoi se souvenir de papa, ça c’est sur (rires).

DWT : Premier vinyle ?
Dee Nasty : C’était une compilation, Dance For Ever, avec No Milk Today et Fever. J’étais en colonie de vacances. J’étais tombé amoureux d’une fille de mon âge lors d’une boum et il y avait ce disque qui passait. Je voulais absolument retrouver ce disque au Prisunic ou Monoprix de Montrouge (rires). J’ai aussi trouvé peu après un 45 Tours sur un marché, Les Poppys.

DWT : C’est notamment durant ton « époque coursier » que tu as récupéré pas mal de vinyles dans les maisons de disques…
Dee Nasty : Pas dans les maisons de disques, bien que je dépouillais les colis des postes. Mais il n’y avait que de la merde, alors j’ai arrêté de le faire. J’en prenais un ou deux et puis je refermais le colis (rires). Ils ne sont rendus compte de rien. Coursier me permettait surtout de passer chez tous les disquaires.

Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés.

DWT : Le dernier Kendrick Lamar ou Young Thug, tu l’as par exemple ?
Dee Nasty : Non parce que c’est un budget. Il faut que je ramène de l’argent à la famille. J’ai déjà claqué pour 25 000 disques tout seul. Ce n’est pas tombé du ciel. On m’en a offert très peu. Ça a été le budget numéro un pendant très longtemps. Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés. Une fois que tu as loupé plein de choses, t’es moins pressé, c’est pas grave. Je le trouverai plus tard. Je reste ouvert à ce qu’il se fait mais comme ce que j’aime ne sort pas en vinyle, du coup je vais me les faire presser. Il y a par exemple du rap australien en ce moment qui est très bon. Nous sommes aussi en plein âge d’or dans le rap latino.

DWT : Si tu devais en garder un seul pour l’emmener sur une île déserte ?
Dee Nasty : The Isley Brothers avec The Heat Is On de 1975 avec le fameux For the Love of You et Fight The Power. C’est mon groupe fétiche avec Slave.

DWT : Comment se fait-il que ta passion pour la musique ne t’ait jamais conduit à ouvrir ton propre disquaire ?
Dee Nasty : J’y pense encore. Mais il me fallait un apport. Aujourd’hui ce serait plus un bar qui fasse en même temps dépôt de disques. Pour les gens du quartier. Servir des verres et passer des sons. Avec une cave pour faire passer des gars. Un truc en gérance. Ça fait dix ans que j’y pense vraiment. J’attends l’opportunité.

Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style.

DWT : Tu as des conseils à donner aux jeunes qui se lancent dans ce délire du vinyle ?
Dee Nasty : Ça dépend si tu es collectionneur ou DJ. Le DJ est un peu attaché à la nouveauté s’il veut être parmi les premiers et se démarquer des autres par rapport au style qui est joué. Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style. Surtout qu’avec internet, les disques ont tous la même valeur partout. Même sur une brocante, les gars savent ce qu’ils vendent. C’est de plus en plus difficile de faire des bonnes affaires. J’ai personnellement quelques connections comme à Miami où on me prépare des lots. J’attends d’en avoir une cinquantaine pour me les faire envoyer.

DWT : Quel est pour toi le DJ le plus technique de France ?
Dee Nasty : Il paraît que c’est Logilo. Après c’est à Crazy B de le dire et de savoir où il se positionne. Logilo a fait plusieurs fois les championnats, Crazy B aussi. Est-ce qu’ils se connaissent ? Est-ce qu’ils s’apprécient ? Qu’ils partagent leurs techniques l’un et l’autre. Après, il y en a qui sont dans l’ombre comme DJ Hitch qui est exactement au niveau de ces deux là. En tout cas, pour finaliser le truc, c’est des Zektariens des platines, ils sont très très hauts. Après, c’est a chacun d’apprécier la musicalité de l’un ou de l’autre. C’est des gars qui ont amené le djing tellement haut…

DWT : Qu’elle est ta spécialité pour ta part ? Cut, passe passe ou plutôt scratch ?
Dee Nasty : Les trois. C’est la même chose. Moi, ma particularité, c’est le « Percu Scratch ». C’est moi qui ait inventé le nom pour que ce soit reconnu par la Spedidam et la SACEM. Il y a le mot « percu » dedans donc à partir de là, tu peux être perçu comme un vrai musicien. Je suis un DJ complet qui peut à la fois être soliste, rythmique et ambiant.

DWT : Et de tous les temps, qui est pour toi le plus gros tueur aux platines ?
Dee Nasty : J’ai beaucoup d’affection pour QBert. On est né sur la même planète, Zektar ! Il est tellement gentil. C’est un amour. Il a sauvé le scratch. Il a inventé le terme de turntablism.

DWT : Si on devait passer un titre à ton enterrement, tu aimerais lequel ?
Dee Nasty : « Fight the Power » en hommage aux Isley Brothers (1975).

Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion.

DWT : Maintenant que Bernard Zekri reprend la tête de Radio Nova via Matthieu Pigasse, penses-tu que nous ayons une chance de t’entendre à nouveau là-bas ?
Dee Nasty : J’en rêverai mais je ne sais pas. En plus, je sais ce que je ferai. Ce serait un global hip hop comme ce que je fais pour RFI. Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion. Au sein de Nova ce serait encore mieux. J’aimerai d’ailleurs qu’ils défendent vraiment mon dernier album et pas juste deux mois en playlist. Il y a plusieurs morceaux dont ceux avec Rachid Taha qui le méritent. Mon album a environ six mois de vie. J’espère qu’il ira jusqu’au printemps. Nova ne l’a pas fait sur les albums précédents, donc j’espère que ce sera le cas sur celui-ci. C’est peut être mon dernier album en tant que tel alors j’espère vraiment.

DWT : Comment qualifies-tu ton entêtement et ta détermination ?
Dee Nasty : Je dirai que c’est un contrat de vie ! Passion, partage et surtout beaucoup d’amour.

Propos recueillis le 13 novembre 2015 par FLo, Fati et Alain Garnier. Photos par © Alain Garnier. Remerciements à Jow-l et Frédérique, Les Disques Pirates. Dédicace à la Zulu Nation France. Peace, love, unity & havin’ fun.

Fab Five Freddy les bons tuyaux

Interviews
Bramly, Fab Five Freddy, Lionel D, solo, Zekri

L’histoire intéressante qui est liée à « comment le hip hop a commencé en France », je crois que c’est quand j’ai rencontré François Bizot à Paris en 1980…

Fab Five Freddy - Exclu Down With This - DWT Magazine

Fab Five Freddy – Photo D.R.

On y est : l’un des plus anciens activistes du hip hop a accepté de répondre en exclusivité aux questions du plus ancien média hip hop de France ! Quoi de plus étonnant finalement puisque DWT, c’est définitivement le média le plus funky de France, qui continue de glisser sur la tête des « journalistes du hip hop » en place ! Véritable touche à tout artistique, original de chez original, old timer de chez old timer, ami du tout New York puis de l’ensemble du mouvement hip hop mondial qu’il a vu naître et exploser, notre hôte du mois est aussi « le journaliste » qui a rencontré la totalité des plus grands représentants de notre culture lors de ses célèbres interviews. Un peu comme nous en somme (rires). A la différence près que ce dernier est nettement plus intéressant que les 3/4 des rappeurs français réunis ! Voici donc le bien nommé, l’inégalable, l’ineffable, le fabuleux, Fab5 Freddy himself ! Qui n’a pas attendu son épopée journalistique chaque semaine sur « Yo ! MTV Raps » ?! Ses interviews improbables dans le vrai « terter » du hip hop, entre le Bronx et Compton mais aussi de part le monde : Japon, Allemagne ou même la France qu’il connait très bien. Nous aurions pu échanger toute la nuit sur les anecdotes qui ont jalonnées sa vie. L’homme qui a côtoyé et signé les interviews de toutes les vraies légendes du hip hop, voir même leurs clips, nous répond enfin. C’est définitivement pour vous et avec honneur sur DWT MAG.

Down With This : Tu es né à Brooklyn en 1959, quel genre de quartier était Brooklyn à l’époque ?
Fab Five Freddy : Brooklyn a toujours été un quartier ouvrier, de classe moyenne.

J’ai commencé à peindre dans la rue, à faire des graffs et puis je me suis rendu compte que je voulais devenir un artiste « sérieux ». Tu sais, petit, j’étais toujours fourré dans les musées, je séchais les cours pour aller au musée et puis j’ai tilté.

DWT : De là, tu fais tes premiers pas dans l’art via la peinture ?
Fab Five Freddy : Oui, j’ai été l’un des premiers à venir du graffiti pour arriver dans le monde de l’art et à faire des expos dans des galeries et dans plein d’autres endroits. J’ai commencé à peindre dans la rue, à faire des graffs et puis je me suis rendu compte que je voulais devenir un artiste « sérieux ». Tu sais, petit, j’étais toujours fourré dans les musées, je séchais les cours pour aller au musée et puis j’ai tilté. Les artistes pop étaient inspirés par les mêmes choses que les graffeurs : les cartoons, la pub, et j’ai réalisé qu’il existait un lien et que je voulais développer ce lien en tant qu’artiste.

DWT : Parles nous de ton arrivée dans le crew mythique The Fabulous 5, au coté du légendaire Lee Quiñones ?
Fab Five Freddy : En fait, je n’ai pas participé à ce que The Fabulous 5 avait réalisé sur les trains, je suis arrivé vers la fin mais j’avais dans l’idée d’amener tout ça à un autre niveau : dans le monde de l’art. J’ai rencontré Lee qui a parlé de moi à certains des membres d’origine, et c’est eux qui m’ont proposé d’en faire partie. Au début, c’était surtout Lee et moi qui avons aidé à développer tout ça dans le monde de l’art.

DWT : Tu côtoies par la suite des artistes comme Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Futura 2000, Rammellzee, Keith Haring, Kenny Scharf ! N’est-ce pas incroyable pour un petit gars venu de Brooklyn ?
Fab Five Freddy : Bien sûr, oui c’était cool. J’ai rencontré Jean-Michel à ses débuts, on essayait tous les deux de faire des choses similaires, on est devenu très proches et on partageait les mêmes idées sur la pop culture et sur une certaine manière d’intégrer ce mouvement. Puis, plus tard, nous avons rencontré Warhol, il était une véritable source d’inspiration pour plein d’artistes, et le fait qu’il aime beaucoup notre travail, ça nous a encouragé dans l’idée qu’on avait raison, qu’on était dans le vrai. On commençait à se faire un nom dans le New York underground alors le fait que des gens comme lui, qu’on admirait, apprécie notre travail, c’était encourageant, ça prouvait qu’on avait raison. Il savait que j’avais peint un train de boîte de soupes, que c’était un hommage envers lui et son travail. C’était aussi un message adressé aux autres graffeurs pour leur dire qu’on pouvait peindre sur autre chose que sur des trains, qu’on pouvait y mettre autre chose que son nom. L’idée c’était d’inspirer d’autres graffeurs et de montrer aux gens du milieu de l’art, qu’on connaissait l’art moderne, ou du moins certains d’entre nous comme moi ! (rires)

C’était aussi un message adressé aux autres graffeurs pour leur dire qu’on pouvait peindre sur autre chose que sur des trains, qu’on pouvait y mettre autre chose que son nom.

DWT : Qui est le premier français que tu rencontres dans le milieu hip hop ?
Fab Five Freddy : En fait, je n’ai pas rencontré de français dans le hip hop ! L’histoire intéressante qui est liée à « comment le hip hop a commencé en France », je crois que c’est quand j’ai rencontré François Bizot à Paris en 1980… Je venais de Milan avec Lee où avaient lieu les premières expositions sérieuses de nos peintures, à Rome puis à Milan en Italie, et je suis allé pour la première fois à Paris et j’ai rencontré Bizot. L’un des membres d’un nouveau groupe de new wave les Talking Heads, David Byrne, m’a présenté Bizot et lui a dit que j’étais en train d’initier cette nouvelle culture à New York. Bizot a voulu me rencontrer, je suis allé dans les bureaux du magazine Actuel et il m’a dit « je vais envoyer un groupe de journalistes à New York pour écrire un grand article sur tout ce qui se passe et je t’envoie quelqu’un pour écrire spécialement sur toi ». Et cette fille Elisabeth D est venue et je l’ai emmené dans le Bronx, dans mon art, dans mon studio, et chez mon autre ami Keith Haring. Elle a écrit un grand article, et cet article a permis aux gens en France de connaître cette culture. Le mec qui écrivait pour Actuel à New York, s’appelait donc Bernard Zekri, il a aidé à coordonner tout ça. Nous sommes devenus de bons amis. Il pensait que je devais faire un disque en français… Tu sais j’avais pas d’argent à l’époque et je n’étais pas un rappeur. Je pouvais rapper mais je n’essayais pas d’en être un. Il m’a dit « mec, on pourrait faire un disque, je connais un label qui pourrait produire, je pourrai t’apprendre à rapper en français ». Je trouvais cette idée folle mais je me suis dis « ok essayons« . J’avais besoin de me faire quelques dollars pour payer mon loyer, je ne me faisais pas d’argent encore, et j’ai fait ce disque qui est devenu « Change the Beat ». Le mec du label était super excité car il voyait que des choses commençaient à se passer à New York, que la presse commençait à s’intéresser à ce qu’on faisait, et il a voulu sortir plusieurs disques. Il a appelé Futura, DST, Phase 2 et un autre mec (ndlr : The Smurfs), il y a eu 5 autres disques avec le mien. Mon disque a fait démarrer le projet et la maison de disque a décidé de sortir une série de ces disques. Puis Bernard Zekri a rassemblé tous les disques des autres artistes et a organisé une tournée en 1982 et nous avons parcouru la France.

Mon disque a fait démarrer le projet et la maison de disque a décidé de sortir une série de ces disques. Puis Bernard Zekri a rassemblé tous les disques des autres artistes et a organisé une tournée en 1982 et nous avons parcouru la France.

Au début, il y avait moi, Bambaataa, le Rock Steady Crew, plus de trente personne qui voyage en France pour faire ce qui est devenu le premier show hip hop en Europe, DJ, Scratching, du graffiti sur scène, du breakdance et tout ça en même temps. Les français venaient partout où on allait et ils regardaient, ils apprenaient et juste après ça a commencé à se développer en France. On n’a jamais pensé que ça allait prendre cette tournure, lorsqu’on regarde en arrière, c’est une très belle chose d’avoir développé cette culture et de l’avoir montré aux français qui ont dit « ok, on va plonger là-dedans et en faire notre propre version ». Et puis, Bernard est devenu quelqu’un d’important dans les médias en France, à Canal + et tous ces gros trucs.

Fab 5 Freddy - Change the beat - Celluloid - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu les as inspiré mais as-tu conscience d’avoir évangélisé la jeunesse française au hip hop lors de la tournée New York City Rap en 1982 ?
Fab Five Freddy : Je ne me rendais compte de rien, c’est bien plus tard, lorsque j’ai vu qu’ils étaient à fond ! Au début, je me suis dit on va aller en France, on va s’amuser, les gens ne comprenaient pas notre anglais mais ils aimaient l’attitude, l’énergie, voir des noirs, des portoricains, des gens de couleurs sur scène avec une attitude de la rue qu’ils n’avaient jamais vu avant. Ils comprenaient bien plus que ce que l’on pensait et c’est là qu’on a compris. Puis ça s’est développé très vite et on savait qu’ils s’étaient inspirés de tout ça car la culture a vraiment émergé.

Les gens en France étaient très ouverts, réceptifs, intéressés par ce que l’on faisait.  C’était très excitant car ça n’avait même pas encore commencé à devenir important en Amérique !

DWT : Quel regard as-tu sur la France et sur Paris plus particulièrement ?
Fab Five Freddy : C’était cool, c’était Paris : marrant, génial ! Les gens étaient très ouverts, réceptifs, intéressés par ce que l’on faisait.  C’était très excitant car ça n’avait même pas encore commencé à devenir important en Amérique ! Les gens en France et dans d’autres endroits en Europe comme l’Angleterre, Amsterdam étaient très très excités, bien plus que l’Amérique l’était je dois dire. Le hip hop à l’époque était juste un phénomène à New York : cette culture ne s’était pas encore développé dans tout le pays. La France s’y est intéressée plus sérieusement parce qu’il y avait moins de racisme, ou un type de racisme différent qu’en Amérique. C’était très bien.

DWT : Quelle image gardes-tu de cette tournée ?
Fab Five Freddy : Je ne sais pas s’il y a un souvenir marquant. Le fait de le faire, que les gens aient aimé… On savait qu’ils ne comprenaient pas ce qu’on racontait mais ils captaient quand même le rythme, la force, l’attitude. C’était juste marrant d’être à Paris, j’étais le seul à y être déjà venu (ndlr : on corrige car Mr Freeze RSC y avait déjà mis plus que les pieds…) et tu sais, il y avait un bel accueil, on a rencontré des gens très cools, les gens étaient très gentils avec nous. On a été aux Bains Douches, qui était un club très en vogue à cette époque, ou dans une autre grosse boîte, Le Palace. Il y avait des gens formidables partout, c’est ce dont je me souviens. C’était cool, on nous traitait bien.

DWT : Parle-nous également de Sophie Bramly et du travail de photos qu’elle avait si bien mené à vos côtés…
Fab Five Freddy : Et bien Sophie trainait à New York, elle était amie avec Bernard, donc je la voyais pas mal dans différentes fêtes, et comme nous démarrions l’aventure à New York, elle était là tout le temps. Elle était super, pleine d’énergie, prenant des photos, tout le monde aimait bien Sophie donc elle a vraiment traîné avec nous. Je crois qu’aucun journaliste américain n’a fait partie de la culture comme elle. Elle observait tout cela très sérieusement et ses photos montrent qu’elle comprenait que c’était spécial, intéressant. Elle était brillante, elle était vraiment en avance par rapport à plein de gens en Amérique. Elle savait capturer ces moments et elle était aussi l’exemple incarné de la manière dont les français nous traitaient, ils étaient ouverts et intéressés par cette nouvelle culture. Les américains n’avaient pas encore compris que quelque chose de puissant était en train de se produire.

Beaucoup d’artistes de cette époque, qui sont devenus énormes comme Tupac, Snoop, ont fait leur première grande interview avec moi sur MTV.

DWT : Beaucoup de monde aurait voulu être à ta place à l’époque de « Yo ! MTV Raps », tu connais tout le monde dans le hip hop et tu as parcouru la terre entière grâce à lui. Quel est ton meilleur et ton pire souvenir de cette époque ?
Fab Five Freddy : Oh man ! Le meilleur c’était de rencontrer des artistes différents dans différents endroits où je n’avais jamais été. Je pouvais rencontrer ces nouvelles personnes et leur poser des questions, un peu comme ce que tu fais avec moi. Savoir comment tu es arrivé là-dedans, qu’est-ce qui t’inspire, tout le monde a une méthode différente et une histoire différente. Le grand souvenir est que c’était cool de rencontrer ces nouvelles personnes partout où j’allais ! Beaucoup d’artistes de cette époque, qui sont devenus énormes comme Tupac, Snoop, ont fait leur première grande interview avec moi sur MTV parce que c’était la seule émission qui les montrait à travers le pays et le monde, donc c’était un truc très spécial tu sais. Le pire souvenir ? Je ne peux pas penser à un pire souvenir, je ne les garde pas en tête, j’avance.

DWT : Vous aviez reçu notamment le groupe IAM et MC SOLAAR et son DJ Jimmy Jay. Que pensais-tu à l’époque de « Yo ! MTV Raps » du niveau de la scène rap en France ?
Fab Five Freddy : J’ai interviewé MC Solaar et j’ai réalisé le clip du titre de Guru avec MC Solaar « Le Bien, le Mal » à Paris. Je pensais que c’était génial qu’ils en soient là, de voir les français s’impliquer dans la culture, faire leur propre truc, c’était parfait.

Ils m’ont emmené dans un magasin qui s’appelait Ticaret, les mecs de la boutique étaient venus voir le premier « New York City Rap Tour » ! Ils m’avaient expliqué comment ils sont sortis du show, comment ils avaient été inspiré et développé la culture hip hop en France.

DWT : Parle-nous plus particulièrement de l’ambiance du tournage de ce clip ?
Fab Five Freddy : Bien, marrant. Je faisais mon truc. C’était super. Tout était super. En gros me voilà de retour à Paris 10 ou 12 ans plus tard et en préparant ce clip et je pouvais voir à quel point le hip hop avait grandi. Ils m’ont emmené dans un magasin qui s’appelait Ticaret, les mecs de la boutique (ndlr : Dan notamment) étaient venus voir le premier « New York City Rap Tour » ! Ils ont été influencés à ce moment-là et ont développé ce qu’ils faisaient. Ils m’avaient expliqué comment ils sont sortis du show, comment ils avaient été inspiré et développé la culture hip hop en France. J’étais halluciné d’écouter cette histoire et de rencontrer tous ces gens différents !

DWT : Es-tu toujours proche de la Zulu Nation et de ses valeurs ?
Fab Five Freddy : Je ne dirais pas proche, je veux dire que j’adore ce qu’ils font, Bambaataa est un bon ami mais je suis juste content que ça continue, que ça donne aux gens une identité, que ça aide les gens à regarder l’Afrique d’une manière forte et progressive. A cause du racisme en Amérique, beaucoup de gens ont appris à mépriser l’Afrique, car l’Afrique avait été abusée par de nombreux pays européens. Ce pays est construit sur le travail des esclaves et les esclaves venaient d’Afrique donc c’est intéressant de connaître toute cette histoire et que des gens aident les jeunes à voir l’Afrique d’une nouvelle manière avec le Zulu Nation. Tout le concept qui a inspiré tout cela est une bonne chose, une très bonne chose.

DWT : Avec du recul, penses-tu que d’importer la culture hip hop du Bronx dans les night clubs de downtown New York via le Negril et le Roxy a été bénéfique pour l’évolution de la culture et de ses activistes ?
Fab Five Freddy : Qu’est ce que tu en penses ?

DWT : Je pense que ça l’était !
Fab Five Freddy : C’est clair, tu as raison ! C’est évident !

DWT : En étais-tu conscient à l’époque ?
Fab Five Freddy : Je l’étais ! J’étais très conscient de ce que j’essayais de faire, d’amener, et en dehors des gens qui y participaient, personne ne considérait cela sérieusement. Pour moi, c’était très sérieux et il fallait le médiatiser, le présenter à d’autres gens pour trouver plus de soutiens. C’est une des choses que j’ai faite aussi pour aider les gens à comprendre mon propre travail et qui j’étais. En Amérique, on véhiculait une image très négative et aussi très raciste de New York, et je voulais créer une perception plus forte, une image claire, précise. C’est aussi ce qui m’a motivé à faire ce qui a conduit au premier film hip hop Wild Style, montrer ce que nous faisions vraiment afin que les gens puissent mieux comprendre ce que c’était.

Beat Street n’est pas considéré comme le film classique de cette période, Wild Style l’est. Beat Street a servi de vitrine à plein de gens auprès d’un large public, il arrive après que tout ait été dit et fait, si tu veux voir la réalité : tu regardes Wild Style.

DWT : Tu viens d’évoquer Wild Style, quelle différence fondamentale fais-tu entre un film comme Beat Street et Wild Style dans lequel tu as joué ?
Fab Five Freddy : On ne pas comparer. Wild Style a été fait par de vraies personnes de la scène. Beat Street a essayé de faire une version hollywoodienne à gros budget de ce que nous avions déjà fait. Tu sais Beat Street n’est pas considéré comme le film classique de cette période, Wild Style l’est. Beat Street a servi de vitrine à plein de gens auprès d’un large public, il arrive après que tout ait été dit et fait, si tu veux voir la réalité : tu regardes Wild Style. Dans ce film, tu peux facilement sentir à quel point c’est vrai. Et c’est-ce que nous voulions faire depuis le début : nous voulions faire quelque chose qui était aussi réel que nous.

DWT : En France, tu es perçu comme étant le mec le plus « cool » de New York, tu en as conscience ?
Fab Five Freddy : Non pas vraiment. Pas dans ce sens. C’est gentil, je suis flatté mais il y a plein de gens qui sont cools…S’ils comprennent les choses que j’ai faites pour que les gens connaissent la culture, si c’est considéré comme étant cool alors je le prends bien parce que je voulais que les gens nous voient avec une lumière différente. Il faut comprendre que toute la communication qui était faite autour des graffeurs était très négative, parce que c’était des noirs et des portoricains en majorité qui graffaient, il y avait des blancs aussi mais ils nous voyaient comme l’une des pires choses qui arrivait sans comprendre qu’il y avait de la créativité. J’ai aidé à montrer cela et c’est ce dont je suis le plus fier, dons si ça c’est être cool, alors je prends !

DWT : La peinture, le rap, la photo, l’écriture, le journalisme, le réalisation… finalement, tu sais presque tout faire. Où pouvons nous voir ton travail, notamment tes toiles ?
Fab Five Freddy : Je ne suis pas un rappeur, mais j’ai rappé parfois, il y a des années. Comprends bien, je ne suis pas un rappeur bien que je sois un grand fan. Je suis un artiste, un réalisateur et j’ai aussi fait des trucs face caméra mais les choses principales que je fais : ce sont des peintures. Mais comme je te dis, j’ai participé aussi à de grands projets cinématographiques et télévisuels. Je n’ai pas de galerie à Paris qui me représente pour le moment mais j’espère que ça sera bientôt le cas pour qu’on puisse voir mon travail.

Il faut comprendre que toute la communication qui était faite autour des graffeurs était très négative, parce que c’était des noirs et des portoricains en majorité qui graffaient, il y avait des blancs aussi mais ils nous voyaient comme l’une des pires choses qui arrivait sans comprendre qu’il y avait de la créativité.

DWT : Un petit mot pour la scène hip hop française ?
Fab Five Freddy : Oui je peux dire plein de trucs. Je pense que la chose la plus importante sur le hip hop en France, c’est que ça a donné une voix aux noirs, aux maghrébins, aux gens pauvres. Une voix que les jeunes n’avaient pas aussi. Ils n’avaient pas de moyen d’exprimer ce qui se passait réellement. Tu sais, j’étais à paris il y a quelques semaines, j’ai dîné avec Lucien et Matthieu Kassovitz, le réalisateur de la Haine chez Sophie et on a parlé de l’histoire du hip hop en France, on a parlé de ce qui se passe en Amérique en ce moment avec les noirs. C’était une super conversation qui m’a montré que plein de gens du hip hop en France, à Paris, sont très conscients des luttes que nous avons encore ici en Amérique et je suis conscient comme beaucoup d’autres des luttes que les gens de couleurs doivent affronter ici. La combat continue et j’ai été content de parler avec des gens qui connaissent bien cette histoire depuis ses débuts, des problèmes qui persistent dans les banlieues. Avec tout ce qui se passe, le hip hop est encore la voix des jeunes.

DWT : As-tu vu la Haine de Mathieu Kassovitz ? Qu’en as tu pensé ?
Fab Five Freddy : Oui bien sur je l’ai vu ! J’ai été impressionné, c’est un film génial, ça m’a montré ce qu’il se passait vraiment dans les banlieues. Ça m’a aidé à comprendre d’où venait la vraie énergie rap / hip hop de France, de ces gens qui vivent en dehors de la ville de la culture, c’est très fascinant. Tu sais en Amérique, quand tu dis banlieue, c’est une chose différente, ça veut dire que tu as une jolie maison, que tu as réussi. En France, quand tu vas en banlieue tu te dis que c’est ici le ghetto, c’est ce que ce film nous a appris pour nous. En général, quand je venais à Paris, je n’allais pas dans les banlieues pour voir où les vrais gens habitaient. On m’en parlait mais je ne comprenais pas vraiment. Puis j’ai appris ce que la banlieue voulait vraiment dire et le film de Matthieu a été très important pour cela.

DWT : Et pour finir en 2015, « Fab 5 Freddy told me everybody’s fly » ?
Fab Five Freddy : Ok. Tu veux parler du disque de Blondie ? Ca a été la manière de Blondie de s’imprégner de plein de choses que je lui apprenais sur la culture, je lui disais qu’il y avait des mecs fly, des filles fly, flash est le DJ le plus rapide et ça a été sa manière d’intégrer plusieurs choses que je lui enseignais, et d’en faire un disque. Oui, je pense que je lui ai vraiment dit ça, dans le monde du hip hop, c’était le genre d’argot qu’on utilisait. Etre fly, ça voulait dire que tu avais le bon style, que tu comprenais ce qu’il se passait dans la culture hip hop à cette époque.

J’ai grandi en sachant, que les gens en France et dans d’autres pays en Europe, traitaient les musiciens de jazz bien mieux qu’en Amérique. J’étais conscient de cela et j’ai été très heureux de faire partie du mouvement qui a étendu cette culture en France.

DWT : Merci beaucoup pour l’interview, c’était très cool…
Fab Five Freddy : De rien ! Comme je te l’ai dit j’ai toujours eu un lien très fort avec les gens en France, j’ai tant appris. Une partie de mes racines vient du jazz, mon père était un ami intime de Max Roach qui était un batteur de jazz très important dans les années 1950. J’ai grandi en sachant, que les gens en France et dans d’autres pays en Europe, traitaient les musiciens de jazz bien mieux qu’en Amérique. J’étais conscient de cela et j’ai été très heureux de faire partie du mouvement qui a étendu cette culture en France. Les gens nous traitaient de la même manière que les musiciens de jazz, avec plein d’amour, de compréhension, et ça dès les débuts, il n’y avait pas le racisme et l’ignorance que les gens de cette culture ont dû gérer en Amérique. Même si j’ai remarqué des problèmes en France, les français ou beaucoup d’entre eux comprennent très bien la créativité, et c’est génial. Le meilleur reste à venir, j’en suis sûr. Les gens sont inspirés et vont vers de nouveaux moyens d’expression avec cette culture.

Viens faire un tour avec Demi Portion

Interviews
Demi Portion, Fabe, Koma

On m’appelle « l’ancien », « les anciens »… Eux sont dans le futur.
Nous, on est dans le passé…

 Demi Portion - Down With This DWT Magazine - Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

On a souvent eu écho de Demi Portion ces dernières années. On entendait toujours de bonnes critiques. Mais pour nous, les bonnes choses, c’est sur la durée qu’elles se vérifient : bien après le « buzz ». On ne s’emballe jamais d’une manière générale, à tort ou à raison d’ailleurs. C’était à tort cette fois. Le pédigrée du bonhomme jouait pourtant à son avantage : parrainé par Adil Al Kabir, puis par la Scred : on n’aurait pas pris beaucoup de risque en l’interviewant. Puis des morceaux nous parviennent, tous aussi intéressants les uns que les autres. On prend le temps de réécouter et de s’apercevoir qu’il y a une bonne énergie, du sens… De quoi consolider fièrement nos attaches avec le rap français. Et quand on va à sa rencontre pour son interview : c’est le frère Mokless qui nous accueille… Alors on s’assoit volontiers à la table des gens respectables pour une discussion informelle autour d’un café canadaire. Pour la petite histoire, c’est non loin du lieu de tournage de « Demi Parrain », à Casablanca, qu’on a retranscrit et mis en ligne cette interview. Histoire d’être en phase, comme toujours.

Down With This : Quand est-ce que tu rentres-tu dans les rangs ?
Demi Portion : Je découvre la culture hip hop il y a plus de 20 ans grâce à Adil Al Kabir, un rappeur de Sète du groupe Les Disciples.

DWT : …Disciples du Mouv’…
Demi Portion : Exactement, Disciples du Mouv’. C’est grâce à Adil que j’ai appris le hip hop. En 1996, je fais mes premières scènes, des première-partie, grâce à lui et les Disciples du Mouv’. J’écris donc ma première musique à ce moment. Je garde cet unique couplet pendant à peu près un an et demi. Adil faisait les premières parties de tous les gros groupes de l’époque et m’invitait dans son show. Je faisais les deux premières minutes. Je n’ai pas commencé par des enregistrements mais par la scène.

DWT : …qui est une bonne école.
Demi Portion : Exactement.

C’est grâce à Adil que j’ai appris le hip hop. En 1996, je fais mes premières scènes, des première-partie, grâce à lui et les Disciples du Mouv’. J’écris donc ma première musique à ce moment.

DWT : Avais-tu une approche globale de cette culture à ce moment ?
Demi Portion : C’est plus par la danse que j’ai appris le hip hop, le breakdance, les fameuses boums quand on était petit. J’ai commencé en 1995, quand j’avais 11/12 ans. C’était un jeu, comme le football. Ce n’était pas sérieux au départ.

DWT : Tu parlais d’Adil tout à l’heure, on se souvient aussi de groupes comme Boss Phobie, Design de Montpellier, Oxford Université de La Paillade, Montpellier également… Qu’est ce que ça représentait toute cette scène dans votre région à l’époque ? Vous avanciez de manière collective ?
Demi Portion : Exactement, c’est des gens qui venaient à Sète, qui connaissait Adil… Je dirai même que tout s’est formé autour d’Adil à l’époque : le hip hop, les festivals, la venue des artistes. Le break aussi venait à Sète, des mecs venaient pour s’entraîner car il y avait Storm, Käfig… Aktuel Force venait aussi s’entraîner à Sète… J’avais connu Nasty, Némir à cette époque. C’est Adil qui a tout fait chez nous. La source, c’était Adil Al Kabir. Tout est passé par lui, et Fabe par la suite…

DWT : Avant de parler de Fabe, restons un moment sur cette période si tu veux bien. Il y avait également une grosse effervescence à Paris, comme à Marseille finalement. Pourquoi ces affinités avec le nord alors que vous auriez pu vous diriger plus naturellement vers Marseille, où il y avait pas mal de choses qui bougeaient ?
Demi Portion : J’ai connu Marseille. J’y allais beaucoup pour ma part, avant d’aller à Paris, vu que c’était près de chez moi. Je faisais des ateliers avec Namor, à la Friche / Belle de mai, en 1998/1999. J’ai connu Kenny Arkana à cette époque. J’étais un peu rattaché à Marseille. Il y avait aussi 45 Niggaz, l’Algérino, également des DJ’s comme DJ Rebel. J’y ai des souvenirs car j’étais attaché à Marseille. J’écoutais beaucoup IAM, Fonky Family plus que NTM. Puis il y a eu l’arrivée de la Scred Connexion… Rocca, 2Bal 2Neg, Sléo… Je me suis dit qu’il y avait Paris aussi.

Je faisais des ateliers avec Namor, à la Friche / Belle de mai, en 1998/1999. J’ai connu Kenny Arkana à cette époque. J’étais un peu rattaché à Marseille. Il y avait aussi 45 Niggaz, l’Algérino, également des DJ’s comme DJ Rebel. J’y ai des souvenirs car j’étais attaché à Marseille.

DWT : Par rapport à tout ce que tu as pu connaître à l’époque d’Adil, penses-tu que le sud a manqué de structures pour que le hip hop puisse s’y développer sans avoir à passer par la capitale ?
Demi Portion : Dans le sud, quand tu fais du rap, tu n’espères pas trop percer, ce n’est pas trop le but. Tu es isolé, un peu loin et tu te dis que tu fais ça pour le plaisir, pour les soirées, les potes… comme tout rappeur au début finalement. Puis tu as envie de rapper ton couplet ailleurs, le faire partager, l’exporter…

DWT : Coup dur lorsqu’Adil a pris la décision d’arrêter…
Demi Portion : Exactement. Adil était mon exemple. Il l’est encore aujourd’hui. Il a arrêté en 2003, au bon moment. C’était un choix que j’ai accepté car Adil est un grand frère pour moi. Il a arrêté pour une bonne cause. C’est humain. Puis il y a DJ Saxe qui est parti à Dijon, pour voir s’il pouvait avancer. Je ne sais pas si on a besoin de partir pour avancer. J’ai repris depuis 2003 les ateliers d’Adil à la Passerelle. J’y travaille depuis 12 ans mais j’assiste aux ateliers depuis 1996 : 19 ans d’ateliers…

DWT : Tu évoquais Fabe tout à l’heure. On sait qu’il a eu une influence majeure sur toi et qu’il t’hébergeait quand tu étais sur Paris. Il t’a pris sous son aile en quelque sorte…
Demi Portion : Fabe était venu à Sète, grâce à Adil encore une fois. Il avait posé sur « A force de tourner en rond », sur le EP d’Al et Adil. A cette époque, j’avais fait un « tremplin » pour pouvoir gagner un enregistrement : trois jours de studio. C’était sur le port, au phare de Sète plus précisément. Mais c’était une soirée chaotique, tout s’est un peu saccagé, le bordel, la scène est partie en couille, etc… Et Fabe était dans le jury. Je me souviens que j’avais mal fait mon truc, vu les conditions, vu le stress, etc… J’ai perdu mais je devais gagner. Il m’a repéré et m’a invité à Paris, chez lui, pour que je puisse enregistrer, sans avoir à gagner de concours. Du coup, j’ai enregistré sur « Bonjour la France », la cassette. C’était mon premier enregistrement. Ensuite, on a fait « Extra large », la cassette de Less du Neuf, en 1999/2000.

Demi Portion Fabe DWT Magazine - Archive - Down With This

Demi Portion et Fabe – Photo © Archives personnelles Demi Portion

C’était une soirée chaotique, tout s’est un peu saccagé, le bordel, la scène est partie en couille, etc… Et Fabe était dans le jury. (…) Il m’a repéré et m’a invité à Paris. (…) Il me demandait d’aller au Musée du Louvre, il me posait des tickets de métro, un plan…

DWT : Quels ont été les contours de ton premier séjour à Paris ?
Demi Portion : (il jette un œil sur Mokless) J’ai connu Mokless en même temps. Je le voyais quand il venait enregistrer chez Fabe au moment de la préparation de l’album « La rage de dire ». A l’époque, il y avait China, la chanteuse, copine à Fabe, qui est sur tous ses albums. J’étais là, posé, le petit jeune, le petit frère de Fabe…

DWT : C’était formateur ?
Demi Portion : Ben, je ne faisais pas trop de rap. C’était le début, Paris… Fabe me demandait d’aller au Musée du Louvre, il me posait des tickets de métro, un plan… Ce n’était pas rap. C’était plus « petit frère à qui on essayait de montrer autre chose ».

DWT : C’est bien, c’est respectable de sa part. Comment il va ?
Demi Portion : Super bien.

DWT : Tu n’entretenais pas de liens avec la Scred au niveau du rap ?
Demi Portion : Avec la Scred, c’était toujours en mode « salam, ça va, la famille, tu vas bien, ça fait plaisir de te voir sur Paris » mais jamais un son, jamais « ouais le hip hop ça va ? ». Jamais on parlait de rap, on était dans des relations de tous les jours. J’ai grandi aussi un peu chez Koma, au rez-de-chaussée… Je ne savais même pas que j’allais faire du rap. Je rappais comme ça. Je n’avais jamais enregistré. J’étais un auditeur, j’écoutais des mix-tapes, j’écoutais La Contrebande (rires)

DWT : Qu’est ce que tu retiens de ton fameux freestyle à TMaxx en 2007 ?
Demi Portion : Avant ça, j’étais monté sur Paris pour promouvoir un maxi, Les Grandes Gueules, mon premier groupe, mon premier projet. Je m’en souviens, arrivé sur Paris, c’était un peu dur. J’étais monté avec 300 disques. Ca snobait un peu le rap du sud tu vois. Ca prenait en dépôt-vente des 5 disques par-là, 5 disques par-ci. On est rentré chez nous avec peu de dégoût. On a vendu de main à main, avec Saxe. On était distribué par 2Good à l’époque. C’était mon premier truc. J’ai acheté mon premier micro, je me suis dit « tiens pourquoi pas » et j’ai acheté ma première caméra, un truc à disque dur. Et on a commencé à faire des vidéos : mon premier clip solo, « Mon dico », qu’on a mis sur You Tube, on utilisait My Space aussi. On essayait de faire tourner des trucs de Sète. On se faisait un nom. On croisait Sheryo, Casey, La Mixture, les connaissances d’Adil et de Saxe. Et quand on est revenu une autre fois, on commençait à se faire un nom. C’était pour la sortie de ma première mix-tape « On ne peut pas plaire à tout le monde ». C’était à charge de revanche de revenir à Paris. On était monté avec tous mes petits jeunes des ateliers de Sète, je m’en souviens. Je sentais un engouement. On était arrivé pour la promo à TMaxx, faire un freestyle, et rappeler qu’on n’oubliait pas la fois quand on est venu et qu’on ne nous connaissait pas. Ca peut démotiver mais on s’est dit « non, on continue ». A l’époque, tu ne voyais pas Kéry James ou Akhenaton faire un freestyle vidéo. Ca n’existait pas, c’était le truc le plus pourri qu’il fallait faire. On a fait le freestyle à TMaxx comme Koma qui avait fait le sien avec « Je parle ». Je dirai que les freestyles nous ont aidé. A partir de ce moment-là, j’ai vu une arrivée You Tube.

Je m’en souviens, arrivé sur Paris, c’était un peu dur. J’étais monté avec 300 disques. Ca snobait un peu le rap du sud tu vois. Ca prenait en dépôt-vente des 5 disques par-là, 5 disques par-ci. On est rentré chez nous avec peu de dégoût.

Demi Portion - Down With This - DWT Magazine - Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

DWT : Tu es d’une génération qui a connu les cassettes, ce qui a certainement motivé ton choix pour l’édition limitée de ton nouvel album en cassette. Peux-tu nous en dire plus sur le principe ?
Demi Portion : On m’appelle « l’ancien », « les anciens »… Eux sont dans le futur. Nous, on est dans le passé… J’ai fait un site pour la vente de l’édition cassette de l’album. Il sera fermé juste après. Vente express. C’est un délire, j’aurai jamais pensé faire une cassette. Il se trouve que ce n’est pas trop cher pour fabriquer.

Tout le monde a besoin de Planète Rap, Vevo, la télévision, pub, argent : ce que je n’ai pas eu. J’ai un distributeur et on a vendu très bien juste grâce au public. (…) C’est cool car ça montre à d’autres qu’il y a moyen de vendre des disques.

DWT : On a senti l’engouement sur toi, l’arrivée de l’album, la bienveillance de tout un ensemble de gens à ton propos. Il a un truc qui a fonctionné autour de la sortie. Comment l’as-tu ressenti ?
Demi Portion : On va vendu plus de 6 000 disques la première semaine, plus je ne sais plus combien en numérique. Il y avait la sortie de Lino en même temps. Tout le monde a besoin de Planète Rap, Vevo, la télévision, pub, argent : ce que je n’ai pas eu. J’ai un distributeur et on a vendu très bien juste grâce au public. C’est un album que j’ai travaillé pareil que les autres sauf que dans celui-ci, il y a des featurings (notamment Oxmo Puccino et Jeff le Nerf). C’est cool car ça montre à d’autres qu’il y a moyen de vendre des disques. On fait tourner des vidéos. C’est moi qui m’occupe du montage. Parfois Morphine fait des clips. Tout se fait à Sète. Un clip a été fait au Maroc et un autre au Canada, c’est tout. C’est plus par manque de budget qu’on se retrouve à descendre en bas pour faire un clip. Cela dit, je préfère faire un clip que de balancer un audio.

DWT : Tu parlais du morceau clipé à Casablanca, « Demi Parrain », tourné avec Saïd. Tu as un attachement fort avec le Maroc ?
Demi Portion : Je suis marocain, de Rhmiset, à côté de Mekness, et de Mohammedia. J’y vais depuis tout petit. J’ai mon père qui est enterré là-bas, à Mohammedia. C’est mes racines. Mes sœurs sont à fond sur le pays. C’est important, pour ma mère aussi. C’est un beau pays.

DWT : Le choix de Saïd pour participer au tournage est donc volontaire ou c’est un hasard ?
Demi Portion : C’est un hasard, exact. Je parlais avec lui depuis 2/3 ans sur internet. Il me paraissait être à Los Angeles. Un jour, il me dit je suis en tournage au Maroc, à Casablanca pour Scrilex de Damien Marley. Il me dit « viens chez moi, tranquille, je suis pas marié, j’ai pas d’enfants et tout, je viens d’acheter un truc, je suis en train de l’équiper ». Je lui ai dit « j’arrive direct ! ». Je suis allé, j’ai dormi chez lui, magnifique. Il a l’habitude de tourner avec des « red », des grosses machines et tout… Quand il a vu notre petit 5D, il m’a dit « mais t’es fou, viens on prends le temps et tout ! » et moi je lui disais « mais j’ai pas le temps et j’ai rien d’autre ! ». Il est dans le clip comme une forme de soutien. J’étais content de l’avoir à mes côtés, un rêve ou un truc de gamin. Après, j’avoue, il n’y a pas de scénar, rien n’est écrit.

DWT : Pourquoi ne passes-tu pas à cette étape dans la réalisation ?
Demi Portion : J’aimerai beaucoup pour le morceau avec Oxmo Puccino ou les prochains clips que j’ai à faire. Evoluer un peu au niveau des clips vu qu’on a touché un peu de ronds, autant investir. Du coup, on va mettre un peu de sous sur les prochaines vidéos.

Doivent-ils jouer un rôle ? Ont-ils peur ou non ? Pourront-ils se promener normalement avec leurs enfants ?

DWT : On a aujourd’hui une scène composé de rappeurs qui revendique haut et fort qu’ils ne feront cette musique que pour prendre du blé. On ne te demandera pas de réagir sur ce point précis puisqu’on le sait, tu es dans la musique pour des raisons plus sincères. On a plutôt envie de te demander si tu penses qu’à terme, ce genre de motivation puisse porter préjudice à la qualité des compositions, voir au rap dans son ensemble ?
Demi Portion : C’est une réponse que seuls ces rappeurs pourront vous donner. Quand ils se couchent le soir, ont-ils une forme de pression ? Quand ils sortent, n’y a t’il pas une pression dans la rue ? Doivent-ils jouer un rôle ? Ont-ils peur ou non ? Pourront-ils se promener normalement avec leurs enfants ? Il y a des artistes qui sont directement arrivés avec cet état d’esprit. Il y a des artistes qui étaient doux et qui sont devenus hardcore. Il y en a d’autres qui étaient hardcore et qui sont devenus un peu plus doux. Un peu comme moi (rires). Il n’y a pas de règle dans le rap. Tu peux être petit avec une grosse touffe, tout blanc et tout niquer. Un renoi peut puer la merde, un reubeu peut chier, il n’y a pas de règle. Tu peux mettre du rock, du ragga, du classique, tu peux tout faire, même aujourd’hui de la techno, de l’électro. Tu n’es pas limité. Mais il faut faire ce que tu aimes pour ne pas te retrouver dans la pression de ce que les gens recherchent.

Tu peux être petit avec une grosse touffe, tout blanc et tout niquer. Un renoi peut puer la merde, un reubeu peut chier, il n’y a pas de règle.

DWT : Est-ce que tu penses qu’il serait bénéfique pour un ado de 15 ans d’être hébergé chez Kaaris comme toi tu l’as été chez Fabe au même âge ?
Demi Portion : C’est pas mal ce que tu viens de dire… (après réflexion) Je pense que ça serait le rêve de certains jeunes… A mon époque, quand j’étais petit, le rap hardcore se résumait à B.James, Anfalsh, Sheryo. Aujourd’hui, pour un petit, Niro et autres, c’est son rap hardcore. Si j’avais 16 ans, je ne sais pas ce que j’aurai dit. A notre âge, on ne ressent plus ce rap là de la manière que quand on est ado. Mais si un jeune serait hébergé par Kaaris, je ne pense pas qu’il aurait une mauvaise vie suite à ça. On a joué il y a quelques temps avec Kaaris et ça s’est super bien passé. On avait peur que ça ne fonctionne pas au niveau du public, mais on a accepté après réflexion. On avait même proposé Joke et Set&Match à la place en pensant que le public aurait été content, surtout qu’on venait de faire un concert deux mois avant avec Unglorious Bastard et Scred Connexion. Mais les organisateurs ont préféré Demi Portion. C’était cool, deux choses différentes mais ça a très bien fonctionné. Super bon concert.

DWT : D’un point de vue purement technique, comment as-tu surmonté ton « cheveu sur la langue », très prononcé à tes débuts. As-tu des conseils à faire partager ?
Demi Portion : Il y a des entraînements possibles, comme un stylo au fond de la bouche. Tu articules à fond, tu rappes ton couplet plein de fois, tu as l’air d’un mongol mais dès que tu retires le stylo, c’est plus simple. J’ai les dents du bonheur aussi, la langue passe au travers, du coup, ça marque les « s ». Et j’ai l’accent du sud ! Mais je ne bloque pas sur ça. Il ne faut pas que les rappeurs bloquent là-dessus si ça leur arrive, personne d’ailleurs. Il ne faut pas s’arrêter à ça, il faut savoir l’utiliser, ça peut donner un style.

Quand j’ai commencé à écrire, j’insultais, on disait n’importe quoi. (…) On était direct dans la provoc, à vouloir toucher, dire ce qui ne nous va pas.

DWT : Quand on écoute ton dernier album, on remarque que tu es garant de certaines valeurs comme l’humilité, le respect. Tu as certainement cultivé ces qualités en côtoyant Mokless ou Fabe. Est-ce que tu tiens à mettre en avant ces valeurs pour contrebalancer avec d’autres trucs très « dark » que l’on trouve maintenant dans la musique ?
Demi Portion : Non, vraiment pas. Quand j’ai commencé à écrire, j’insultais, on disait n’importe quoi. J’étais beaucoup dans la provoc, comme beaucoup de rappeurs. On ne peut pas dire que dans nos premiers textes, on était directement cool. On était direct dans la provoc, à vouloir toucher, dire ce qui ne nous va pas. Après, il faut dire qu’on habite Sète, 47 000 habitants, 3 patrouilles de police dans le quartier, donc dire que c’est la merde, que c’est chaud, ça serait mentir… Parler en verlan, ça serait mentir, du coup on se retrouve plutôt à s’appliquer. On ne vît pas les mêmes choses tout simplement. Au niveau du respect on va dire. J’ai grandi dans un quartier tranquille, avec la peur de la mère, du papa, de ramener la police à la maison. On a fait des dingueries mais il y a toujours eu un truc qui m’a dit reste tranquille, tout simplement, que se soit pour la clope ou traîner avec un pétard dans le quartier. Chose que je n’ai jamais faite. On se cachait même pour une clope, derrière, à l’étang. Toujours par respect. En 2015, dans mon quartier, c’est pas pareil. C’est différent. Ils montrent tout, vraiment tout.

DWT : Pourquoi cette évolution ? Le contexte social n’a pourtant pas dû changer énormément…
Demi Portion : La musique a joué un rôle. C’est clair.

DWT : C’est terrible ce que tu dis…
Demi Portion : La musique a joué un rôle, comme les films, la télévision, les médias, le quotidien, bien sûr. Ca fait parti de l’éducation. C’est différent. Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus mâtures, beaucoup plus intelligents, beaucoup plus vicieux même. A la pointe de la technologie, du progrès… Mais va savoir si c’est un réel progrès de tout connaître vite. On a besoin de faire des erreurs pour avancer. Il faut pouvoir les corriger. C’est pour ça qu’on essaye d’évoluer, travailler toujours pour pouvoir mieux faire.

Rachid Demi Portion - Down With This Photo Aurore Vinot

Photo © Aurore Vinot

Propos recueillis le 12 mars 2015 par Nobel et Alain Garnier. Entretien préparé avec le renfort de Nasty. Remerciements à Rachid Demi Portion et Mehdi pour leur disponibilité. Photos par © Aurore Vinot et © Alain Garnier + Archives personnelles © Demi Portion

Phil Barney est certainement le premier rappeur !

Interviews
Benny B, Koma

Dee Nasty venait acheter des disques chez moi. Toujours du respect pour lui parce que c’est un DJ interplanétaire. Dans les choix musicaux, il savait qu’il pouvait trouver ce qu’il faut chez moi.

Au début, il y eut le big bang, l’univers puis la formation de la Terre. L’apparition des dinosaures, l’ère glacière, les premiers hommes et puis rien de spécial avant l’avènement du hip hop notre royaume. Bon… Nous ne sommes pas véritablement sûr que tout se soit réellement passé comme ça mais une chose est sûre : le chanteur de variétés française, Phil Barney, rappait déjà à la radio fin 1981. C’était l’époque des radios libres, des prises d’antenne folkloriques, des lancements improbables car en ce temps là : « chacun fait c’qui lui plaît« , même le groupe Chagrin d’Amour avec ses phases de rap, aussi en 1981, sous influences de Debbie Harry et du morceau Rapture (sortie en novembre 1980). Vous nous direz et alors ? Qu’après tout, tout le monde s’était mis au rap en France : Dorothée, des musclés, Bézu, Lagaf, un saucisson sec, Philippe Manœuvre, des premiers sur le rock puis sur le rap, un Gynéco et même un Pro-Prié-Taire… Chers lecteurs : c’est vous dire ! Mais Phil a ce gros truc en plus que les autres n’ont pas : il est une encyclopédie de la black music à lui tout seul et en a favorisé l’émergence en France ! « Là où tu arrives, ça fait des années qu’il y midort » dit la punchline. Pour lui, pas besoin de pseudo street credibility pour t’expliquer la grosse fonk à papa ou que Marvin Gaye ait décidé de produire son premier album. Comme au temps des radios libres, bienvenue sur l’antenne indépendante DWT, label rouge 100% AOC, élevé au béton de la Seine Saint-Denis. C’est dans un matériau similaire mais d’un département limitrophe que Phil a grandi… Le 9-4, qui deviendra quelques décennies plus tard le berceau d’une mafia africaine… Est-ce un signe ? Laissez-vous conter la merveilleuse histoire de celui qui semble être le premier MC français…

Down With This : Dans quel contexte familiale es-tu né à Annaba en Algérie ?
Phil Barney : Absolument, je suis né à Annaba en Algérie à l’époque où c’était un département français. J’ai grandi dans une famille simple, mon père était tailleur, ma mère institutrice. Comme tout bon « feuj » qui se respecte, on était dans les fringues (rires). J’ai grandi dans une famille avec une double culture très orientale. Je parle arabe couramment. Ca se ressent chez moi avec mes influences musicales, dans l’utilisation des groove, des rythmiques, ca a été vraiment un atout. Cette double culture est enrichissante, pour les parfums, la cuisine, la musique ou juste le fait de ne pas avoir peur des gens, des coutumes, d’être ouvert sur les choses, les gens, tu flippes moins. Tu sais que c’est une culture qui vient de très loin et que les gens ont grandi avec ça. Ce qui ne veut pas dire que c’est un truc barbare ou quoi. Ma grand mère m’a un peu élevée aussi et elle utilisait beaucoup la langue arabe surtout quand elle était en colère après moi (rires). La savate et les gros mots partaient très vite !

Comme tout bon « feuj » qui se respecte, on était dans les fringues (rires). J’ai grandi dans une famille avec une double culture très orientale.

Phil Barney - Interview - Fleming Bonneuil 94 - DWT Magazine - Down With This

Quartier Fleming, Bonneuil-sur-Marne (94) – D.R.

DWT : C’est en arrivant d’Afrique que tu t’installes dans le Val de Marne ?
Phil Barney : Je suis arrivé le 18 juillet 1967, j’avais dix ans. Je suis né en 1957. Je n’avais jamais vu la neige, ni d’instruments de musique à part le violon que mes parents m’avaient obligé à apprendre avec un certain Monsieur Samut qui avait beaucoup de patience. Il a du mourir depuis le pauvre. C’était quelqu’un de super. Je ne savais pas du tout vers quoi je me destinais en rentrant en France. J’ai appris la batterie et la guitare. On habitait Bonneuil-sur-Marne (94, dans le quartier Fleming) mais il n’y avait pas de lycée, ni de collège. J’ai donc suivi mes études à Créteil avec un cursus normal jusqu’à la terminale. Ensuite, j’ai fait un BTS de chimie à Saint-Maur parce qu’il fallait bien faire quelque chose après le BAC. J’avais déjà des velléités de faire de la musique. Je ne voulais faire que ça et ne pensais qu’à ça avec le football qui me mangeait le cerveau. Je ne connais d’ailleurs qu’un seul club digne de ce nom, c’est l’Olympique de Marseille. Quand je suis arrivé d’Algérie, il y a eu un passage obligé par Marseille, dans une partie de ma famille en attendant que mes parents trouvent quelque chose et travaillent. J’ai joué plus tard au Samba Football Club, un club d’artistes avec Ginola, Olmeta, Francescoli, Daniel Bravo, des mecs super. Môme, je voulais aussi faire vétérinaire… J’ai commencé par la batterie mais pour jouer, c’était compliqué dans un HLM. Au niveau nuisance sonore, c’était moyen. A la MJC de Charles Vildrac, il y avait « Au Bonheur des dames » qui cartonnait. Il y avait une pièce avec une batterie à l’intérieur qu’on me prêtait. C’est les premières fois où mes parents m’ont laissé sortir pour les répètes. Pour moi, cette batterie orange était un trésor. Je faisais super gaffe, je la rangeais super bien. C’est à ce moment là que j’ai appris à faire gaffe à ce que j’avais. La première guitare que j’ai acheté, c’était une Épiphone, une sous-marque de Guitson. Je l’avais acheté mille balles avec mon père chez Paul Beuscher. Je l’ai depuis 47 ans, c’est un collector nickel et elle sonne vraiment bien. Je la vendrai pour rien au monde.

Sugarhill Gang 1980 - DWT Magazine - Down With This

Sugarhill Gang (1980) – D.R.

DWT : C’est bien le hit Rapper’s Delight qui te fait découvrir le rap ? Tu ne connaissais pas The Last Poets par exemple ou Blowfly avant ?
Phil Barney : J’ai toujours voulu faire de la musique mais je n’avais pas de thune. Je me suis donc mis à bosser dans un magasin de disques qui s’appelait Mini Club de Nuit au 42 boulevard du Montparnasse à Paris. On fournissait 650 clubs en France. Les trucs genre Imagination et toutes ces daubes-là, je n’ai jamais voulu passer ça. On m’avait dit qu’Imagination, c’était de la funk mais ça ne l’a jamais été pour moi. Toute la disco italienne, avec les Comanchero ou autres, ça me sortais par les yeux. J’étais une sorte d’OVNI dans le truc parce que je m’occupais que la musique black et funk. J’étais en communication avec Stratford et c’est moi qui commandait les disques par téléphone. Mon truc, c’était le grand funk et les premiers trucs qui sont arrivés sous le label Tommy Boy. Rapper’s Delight mais aussi Kurtis Blow, Grandmaster Melle Mel, toute cette mouvance là. Ca peut paraître présomptueux mais j’ai toujours imagé que de parler rythmiquement, c’était un style musical. Cela ne concernait personne, que moi dans ma tête… Mais quand j’ai été mis devant le truc, je me suis dit : « mais voilà, c’est ça ! ». Et le Rapper’s Delight avec le Sugarhill Gang, c’était ça ! Après, ce qui m’a marqué comme titre balaise, c’est « The Message » de Grandmaster Flash and the Furious Five. Je me suis dit : « c’est facile à faire », c’était des ricains un peu ghetto. Il y avait l’association du son de Stevie Wonder avec une fusion de vrais musiciens.

Les rappeurs que j’ai rencontré par la suite, c’était par l’intermédiaire de Sidney parce qu’il avait un groupe : Black White and Co.

Phil Barney - Sidney Black White and Co - DWT Magazine - Down With This

Sidney et son groupe Black White and Co avec Stevie Wonder – D.R.

DWT : Connaissais-tu d’autres rappeurs autour de toi ?
Phil Barney : Pas du tout. En France, il n’y en avait pas. Les rappeurs que j’ai rencontré par la suite, c’était par l’intermédiaire de Sidney parce qu’il avait un groupe, Black White and Co, qui était un peu le Caméo français avec des super musiciens comme Fred Montabord. C’était vachement important d’avoir quelque chose de crédible et à la hauteur de ce qu’il se passait chez les ricains. A part Black White and Co, il n’y en avait pas d’autres. Ils étaient invités permanent. On a fait l’Opéra Night. Ils étaient de tous les spectacles que je faisais. Soit à La Scala, le mercredi soir, soit l’Opéra Night et dans toutes les boîtes où j’œuvrais sur Paris. Il y avait des super DJ’s comme Marco Polo. J’étais dans cette mouvance-là, bien avant Radio 7 et que Sidney ait son émission. Donc je peux dire que je suis le précurseur de cette mouvance musicale. J’étais dans le funk à fond de 1979 à 1982, j’étais dans le vrai sens de la black music. Pour moi le précurseur, c’est James Brown. C’est lui qui a tout inventé, en découvrant des rythmiques qui sont encore aujourd’hui utilisées par les mômes du hip hop et du r’n’b. Le godfather porte bien son nom. Tous les blacks sont arrivés après : Larry Blackmon, Parliament Funkadelic avec Georges Clinton. Pour moi, c’est ça la base. Le rap, c’est la continuité de ce mouvement. C’était pour moi les punks du funk. J’ai été DJ en club et j’ai ramé comme un mort parce que dès que je mettais cette musique tout le monde se barrait de la piste. Je me suis obstiné parce que je pensais que c’était bon. J’étais très élitiste. J’ai toujours passé de la qualité, On ne pouvait pas dire que ce n’était pas bien. Je n’ai jamais souscrit à la soupe de tout ce qu’on voulait entendre dans les clubs et pourtant j’étais DJ. Aujourd’hui, c’est n’importe quoi.

J’avais besoin d’écrire, je n’étais pas un improvisateur comme Lionel D ou des mecs comme ça. Les mecs faisaient des battles avec un talent fou.

DWT : Tu t’entraînais à cette discipline du MCing ?
Phil Barney : Je retrouve parfois des cassettes trente ans après en faisant des galas. Le MC, je ne savais même pas ce que cela voulait dire. Le rap, j’en faisais toute la journée sans le savoir ! J’avais besoin d’écrire, je n’étais pas un improvisateur comme Lionel D ou des mecs comme ça. Les mecs faisaient des battles avec un talent fou. J’étais déjà passé à autre chose à cette époque. Je voulais aller plus loin en créant des chansons. J’avais eu le filon des skeuds à New York, donc je les jouais. Je n’ai été qu’une goutte d’eau dans l’océan. De toute façon, la vague serait arrivée, plus tard peut-être, mais elle serait arrivé quand même.

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DWT : Raconte-nous l’année que tu as passé dans la radio associative Carbone 14 à Paris…
Phil Barney : C’est ce qui m’a servi de fusil à pompe. J’étais dans cette radio pour passer de la black music et quand le rap est arrivé je me suis dit c’est un mouvement black music énorme et j’ai vraiment voulu lâcher les chiens là-dessus. J’étais responsable d’une tranche assez importante et dans cette émission je voulais absolument passer des nouveautés. J’étais imbattable avec Stratforf, j’avais les news. C’était tous les jours, une radio 24 heures sur 24, rare pour l’époque. Tout le monde pouvait intervenir sur les émissions de tout le monde. C’était un bordel énorme mais organisé. Mon émission au début s’appelait « Get up, Stand up » le matin très tôt de 6 heure à 9 heure. Après je faisais la technique sur une émission de variété française. Je vais dire une connerie mais on a vraiment tout inventé à Carbone 14. C’était une radio proche des gens avec des émissions comme « 50 millions de voleurs ». C’était des anarchistes fous furieux. On vendait du shit à l’antenne, on invitait des meufs. Un soir, je faisais la technique avec Jean-Yves Lafesse et il demande à des filles de venir en chemise de nuit à la radio. Quatre meufs arrivent en taxi et dans le lot, il y avait une rebeu qui me parle d’Annaba. Elle me dit qu’elle est de là-bas, moi aussi. Elle me parle d’une institutrice de qui elle se souvient et me dit le nom de ma mère… Je lui ai dit « mais je suis son fils ! » et elle s’est mise a pleurer. Elle n’osait plus me parler. Elle s’est dit : « je viens à Paris pour me lâcher en chemise de nuit et il y a le fils de mon institutrice ! ». Elle était de toutes les couleurs de honte. C’est un beau souvenir. Le propriétaire de la radio, c’était une sorte de mafieux corse qui tenait le truc, Dominique Fenu. Une sorte de tyran monstrueux qui avait l’intelligence de nous laisser faire ce qu’on voulait à la radio. Michel Fiszbin, un fils de député communiste dissident, avait été en charge de monter cette équipe avec des gens qui avaient tous un certain talent. Moi, c’est un copain d’enfance avec qui je rodais dans la cité qui m’a fait rentrer, Philippe Merlin, que tout le monde appelait « Perluche ». Il était imitateur avec des trucs hyper marrant. Il m’a dit : « j’ai vu une annonce dans Libé, je dois amener une cassette pour être pris à Carbone, est-ce que tu veux me faire les sons ? ». Bien sûr, j’ai envoyé le Funk ! Entre les trucs, il faisait des imitations en racontant des conneries. C’était Rires et Chansons avant tout le monde. C’était la libération de la FM, on s’est dit on va être précurseurs sur énormément de style de musique, notamment le Funk. Après mon passage, j’ai continué la musique mais quand on m’a proposé de jouer avec Marvin Gaye, je suis parti de Carbone 14, j’ai dit : « bon allez les gars, je vous écrirai, je vous raconterai ! ».

J’ai continué la musique mais quand on m’a proposé de jouer avec Marvin Gaye, je suis parti de Carbone 14, j’ai dit : « bon allez les gars, je vous écrirai, je vous raconterai ! ».

DWT : Le Slogan de Carbone 14 était « La radio qui vous encule par les oreilles » et ton émission « Salut les salauds » étaient assez vulgaires en fait…
Phil Barney : Un des slogans était « Radio Carbone 14, la radio des tronchés ». Le morceau existait, je le trouvais sympa et en rapport avec l’esprit de la radio. Je faisais tout un rap en disant : « Salut, c’est salut les salauds, bienvenue à tous ». Je trouvais ça super drôle de rester là-dessus. Je n’ai jamais étais grossier à l’antenne. Ma démarche était musicale avant tout. Ca n’a jamais été de parler de cul. J’étais content d’être là et ça me faisait marrer. Des fois, je rentrais chez moi à 5 heures du mat, je mettais la radio dans mon lit et je me rhabillais pour y retourner. C’était no limit. On était avec Fréquence Gay et Ici et Maintenant, toutes c’est radios de dingos. On a annoncé la mort de Mick Jagger à l’antenne, on s’est fâchés avec l’AFP. On n’avait pas le droit aux pubs. Il y avait aussi Nova mais c’était trop la déglingue pour nous, c’était compliqué. Si t’as pas d’aspirine, tu as mal à la tête avec Nova.

Les français ne voulaient pas produire ce genre de musique et se disaient : « de toute façon la vague américaine arrive, on ne pourra pas les concurrencer ». On n’avait pas les mêmes moyens pour le faire.

DWT : Tu connaissais Wallis Franken, le top model germano américaine qui rappe « Salut les salauds » avec le groupe Interview ?
Phil Barney : Je les ai croisé dans une soirée parisienne. Il y avait une fille et deux mecs je crois. C’est eux qui ont fait ce titre. C’était un mec qui s’occupait de la nuit qui a produit ce morceau à l’époque du Palace et des Bains. Je trouvais que le morceau en lui même était terrible. On n’avait pas suffisamment de productions françaises. Les français ne voulaient pas produire ce genre de musique et se disaient : « de toute façon la vague américaine arrive, on ne pourra pas les concurrencer ». On n’avait pas les mêmes moyens pour le faire. On n’avait pas suffisamment d’influence américaine pour avoir un vrai style en France. Le seul truc, c’était d’en passer et c’est ce que je faisais.

DWT : Parlons de ton éphéméride rappé quotidiennement sur la télévision RTL TV…
Phil Barney : J’étais présentateur télé. Je devais faire un truc sur le Saint du jour et je le faisais en rap. J’avais composé cinq titres : du lundi au vendredi. Je faisais l’éphéméride en rap ! Si tu disais « vachement », t’avais le téléphone qui sonnait pour te demander de châtier ton langage. C’était à La Villa Louvigny au Luxembourg. J’ai bossé dans une unité de production dans le 15ème arrondissement de paris avec la fille de Monsieur Grass, la fille du big boss de l’époque. Il y avait aussi deux heures d’émission à fournir en hebdo tout les dimanches. C’était un gros travail. J’avais même fait une rubrique qui s’appelait « t’as le look coco » dans laquelle je faisais un parallèle avec les fringues, où tu allais manger et ce que tu écoutais comme musique. Je suis même allé dans des cités pour le rap…

DWT : Lesquelles ?
Phil Barney : Chez moi, à Fleming, Bonneuil-sur-Marne. Ce qui a tout ruiné, c’est la dope. Les bastons, c’était encore à la main. Les vols de mobylettes, c’était juste pour changer les pièces et encore… On avait surtout peur de se faire défoncer par nos parents. Quand on rentrait à la maison, on rentrait dans le rang. A chaque fois que j’ai pu parler du rap et de cette culture, je l’ai fait. Je trouvais que c’était intéressant. Et d’ailleurs RTL ne m’a jamais fait chier pour ça. Ils étaient d’accord. Je faisais des raps sur des prénoms improbables, va faire du rap sur Cunégonde ou Eusèbe. Il faut que sa rime en plus.

A chaque fois que j’ai pu parler du rap et de cette culture, je l’ai fait. Je trouvais que c’était intéressant. Et d’ailleurs RTL ne m’a jamais fait chier pour ça.

DWT : Que pense tu des autres émissions de l’époque sur Radio 7 avec Sidney et Gangsterbeat et du Benny Show sur RDH avec Speedy Dan One et Ben ?
Phil Barney : Je trouvais ça vachement bien. Je n’étais plus dedans donc je n’étais pas en concurrence avec eux. Je suis allé le voir à L’Émeraude et au Rayon Vert, rue de la Contre Escarpe. Il fallait connaître ces deux boîtes. Et Marco Polo qui bossait au Rose Bonbon, qui était aussi une super boîte. Je connaissais aussi DJ Chabin, lui c’était du sérieux. A la limite, j’étais fier que cette idée soit semée et en même temps, pour moi, Sidney c’est la plus grande référence musicale de la black music que je connaisse. De Minnie Riperton à Rihanna, il connaît tout !

DWT : Meilleur qu’Olivier Cachin ?
Phil Barney : Olivier Cachin, il court derrière (rires). Sidney c’est le roots, le mec dans la rue avec les disques sous le manteau et qui allait chercher les trucs. Cachin, c’est juste lui qu’on invite pour parler de ça dans des endroits bien pensants. C’est le plus voyou des bien pensants on va dire… Donc il y a eu toute cette mouvance de précurseurs dont j’ai fait parti humblement sans savoir ni pourquoi, ni comment. Après toutes les émissions sur Radio 7, c’était Radio France, donc on est rentré dans les institutions… Sidney a beaucoup apporté au niveau de la programmation, de ses invités et au niveau de l’improvisation du rap, des battles. Tout ça c’était vachement bien. C’est ce qui l’a lancé pour animé ensuite l’émission H.I.P. H.O.P.

Les gens ne l’avaient pas pris comme un mouvement musical mais comme une mode où il fallait avoir les lacets, marcher comme ça avec le survêtement et se rouler par terre alors que ce n’était pas du tout ça.

DWT : Tu as juste accroché au rap ou plus globalement à ce qu’on a appelé le hip hop avec toutes ses disciplines ?
Phil Barney : J’ai accroché au rap surtout au départ. Après l’émission de Sidney, malheureusement pour moi, les gens ne l’avaient pas pris comme un mouvement musical mais comme une mode où il fallait avoir les lacets, marcher comme ça avec le survêtement et se rouler par terre alors que ce n’était pas du tout ça. C’était juste un petit satellite de la musique hip hop. Sidney s’est laissé manger par ça malheureusement. Je peux lui dire en face. Je le respecte grave, c’est mon maître, je l’aime. C’est mon poto mais il aurait du être beaucoup plus haut que ça. Malheureusement, c’était l’après-midi au même titre que le Club Dorothée alors que ça méritait une place beaucoup plus importante. Il a fait venir Afrika Bambaataa sur l’esplanade du Trocadéro, des trucs que les français ne pouvaient pas comprendre parce que ça ne correspondait à rien dans nos racines. Nous n’avons pas un problème de blacks en France. On a quoi dans l’histoire de la musique française ? Un tambour et un accordéon ? Pas de country, pas de blues, on a pas eu toute la souffrance des champs de coton qui nous ont amené jusqu’à toute cette mouvance musicale. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on te dit : « tu veux combien pour faire un album ? ». On te donne les moyens de le faire, après à toi de prouver que tu le mérites. En France, on te donne trois francs six sous et tu dois concurrencer des gens qui sont au top niveau. Comment peux-tu avoir le niveau d’un Bruno Mars ? C’est impossible.

Stars 80 Phil Barney - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu as assisté à la tournée New York City Rap ?
Phil Barney : Pas du tout. Moi j’ai tourné un bouton. C’est tout ce que j’ai fait. J’ai allumé au début une chandelle dans le tunnel et puis tout les autres après sont parti. Ca a ouvert la porte. Ca a donné la parole a travers le rap et le hip hop. Certains écrivaient très bien, les Solaar, les IAM mais les NTM aussi qui avaient un vrai discours. Au début on les a pris pour des barbares mais quand on a gratté un peu le vernis en interviews, on vu qu’il y avait un vrai truc. Ils font du cinéma, ils ont de vrais gueules. Qu’ils soient allumés, ce ne sont pas les premiers, qu’ils prennent des produits, on s’en fout, ce n’est pas ça qui compte.

DWT : Tu allais au Bataclan avec Sidney ?
Phil Barney : Oui j’y suis allé. J’y ait même fais des soirées. Je n’étais plus vraiment dans le truc mais je savais que Sidney l’était. J’étais entre les deux. Honnêtement, s’il y a un mec dans ce pays qui est un phare de ça et qui brille, c’est lui. Je suis arrivé avant lui parce qu’il avait un groupe. Je suis arrivé à Carbone 14 par hasard pour faire du funk et le rap est arrivé à moi donc j’ai ouvert les robinets mais Sidney, il avait la vraie culture. Il savait déjà des choses. Il l’a popularisé de manière plus scientifique, plus intelligente. Moi j’envoyais tout ce que j’avais avec des : « ça c’est bien ! ». C’était important parce qu’il fallait y aller mais lui il a fait le truc en plantant vraiment les bases. Le Bataclan, c’était noir de monde si on veut faire des blagues racistes (rires). Le truc était là. Je faisais des soirées blacks à La Scala le mercredi soir alors qu’ils ne pouvaient pas rentrer. C’était Monsieur Molina le patron. On était obligé de demander aux blacks de venir habillé façon milord pour les laisser rentrer et ne pas avoir peur de je ne sais quoi. C’était vraiment le miroir de ma programmation radio sur un dance floor. On s’en foutait des mixes, le plus important, c’était la programmation. Après, Deenasty est arrivé !

Dee Nasty était venu au Byblos, une boîte à Mantes-la-Jolie où j’avais fait le son. Il mettait des sacs en plastiques à la place des feutrine pour que sa glisse mieux. Il a scratché avec tout ce qu’il pouvait.

DWT : Quelles étaient tes relations avec DJ Dee Nasty ?
Phil Barney : Dee Nasty venait acheter des disques chez moi. Toujours du respect parce que c’est un DJ interplanétaire. Dans les choix musicaux, il savait qu’il pouvait trouver ce qu’il faut chez moi.  Il a même fait le championnat du monde des DJ’s. Dee Nasty était venu au Byblos, une boîte à Mantes-la-Jolie où j’avais fait le son. Il mettait des sacs en plastiques à la place des feutrine pour que sa glisse mieux. Il a scratché avec tout ce qu’il pouvait. Il était livreur et je lui disais : « putain mais il ne faut pas que tu soit livreur, prend un manager et devient ce pourquoi tu es fait ! ». C’est toujours les problèmes de thune en France mais le mec a su s’imposer dans une discipline.

DWT : Et ton flow vient d’où ?
Phil Barney : J’en sais rien c’était caché derrière en fait. C’est arrivé quand c’est arrivé. J’ai de la tchatche. Je suis speed. T’es tight sur le tempo et ça vient !

J’ai rappé en studio et le medley disco a été nominé aux Discos d’Or présenté par Yves Mourousi au Casino de Paris. Premier rap, c’était tout neuf, ça n’existait pas.

DWT : Parlons de ton premier enregistrement rap avec le titre des New Paradise en 1983.
Phil Barney : C’est le mariage de la carpe et du lapin. Les New Paradise c’était un groupe de disco avec trois jolies filles, je ne suis même pas sur que c’était elles qui chantaient sur les disques. C’est un producteur qui avait signé chez Vogue, mon premier producteur avec premières chansons. Un rock west coast et en face B un reggae. Il m’avait entendu à la radio, il m’avait dit : « comme tu rappes, est-ce que tu ne voudrais pas faire une intro rap pour un medley disco qu’on va faire ? ». Je l’ai fait parce que ça me permettait de chanter sur scène et que les meufs étaient jolies. J’ai rappé en studio et le medley disco a été nominé aux Discos d’Or présenté par Yves Mourousi au Casino de Paris. Premier rap, c’était tout neuf, ça n’existait pas.

DWT : Ca va peut-être t’énervé mais il y avait eu le groupe Chagrin d’Amour avant toi (composé de Jean-Pierre Trochu aka Grégory Ken, décédé, et de Valli Timbert américaine né à New York).
Phil Barney : Ca ne m’énerve pas. Ca a été effectivement diffusé. Le morceau est bien, on le chante encore aujourd’hui mais ça n’a rien à voir. C’est du rap sans être du rap. C’est le premier qui a marché. Le mouvement rap a mis combien de temps à arriver entre Carbone 14 et les premiers titres de Solaar ? Moi j’ai amené le rap en 1981 donc neuf, dix ans avant que ça existe vraiment et qu’on considère que c’est un vrai mouvement musical. Je l’ai fait parce que c’était dans mon ventre. Moi aussi je regardais les ricains, je n’ai rien inventé. Quand j’écoute le flow de « Salut les salauds » et celui des mômes d’aujourd’hui, ça n’a rien à voir. Ce n’est plus de l’Alexandrin, ils coupent au milieu, ils font des relances sur une rime de la phrase d’avant. Je trouve ça super. C’est pour ça que j’aime bien Youssoupha, Sinik, Rohff au delà du discours qui est parfois trop hargneux. Soprano j’adore, je respecte.

DWT : Dans le même genre, que penses-tu du titre rappé « Wally Boule Noire » de François Feldman ?
Phil Barney : Je connais bien François, je suis avec lui sur tournée Stars 80. C’est une vielle histoire. On a été signé ensemble chez Mercury pendant de nombreuses années. On s’est pas mal tiré la bourre sur les trucs genre Top 50. C’est un gars qui a beaucoup de talent. C’est un vrai grooveur. Il m’a ressorti des vieux dossiers que j’ai réécouté. Il a le sens du groove. J’ai toujours était fan de François, dès le départ. Sa musique était dans l’esprit de ce que je voulais. Il faut plus d’artiste comme ça en France. Lui il faisait vraiment parti de ceux qui assuraient.

DWT : Son rap, tu en penses quoi ?
Phil Barney : Heu… Joker. Je ne veux pas dire du mal. Il toujours été un bon compositeur et un groove.

DWT : Quel rapport entretiens-tu avec le vinyle depuis l’époque de la boutique Mini Club de Nuit au 42 boulevard du Montparnasse ?
Phil Barney : C’était un tout petit bouclard. On était aussi sur les Champs-Élysées au 34, dans la galerie. On continuait de faire de l’import-export de disques américains, new yorkais avec Stratford. On fournissait les clubs par correspondance comme à l’Élysée Matignon et tous les clubs branchouilles classieux de Paris. Les mecs sortaient des liasses de billets pour avoir des cassettes de ces DJ’s. Il y avait aussi Champs Disques. Nous, on était plus pointu. J’ai environ 4 500 vinyles.

DWT : Que penses-tu des DJ’s issus du hip hop et de leurs techniques à base de mix, cut et passe passe ?
Phil Barney : Pour dire la vérité, je suis dépassé. Je les regarde faire, je suis super impressionné. Ce n’est plus du tout la même technologie. Je suis très admiratif mais je n’utilisais pas les mêmes trucs. On avait des consoles normales avec des pré-écoutes. Je mixais avec trois platines au Byblos. Mon show été surtout dans le chant avec mon rap sur les disques. Ca m’arrivait de faire du scratch. Je poussais les tirettes. Jai lâché l’affaire, aujourd’hui je suis dans un monde de musiciens. Je joue beaucoup et j’ai un studio chez moi. J’ai une structure à la maison qui me permet de faire énormément de choses. Je produis avec un anglophone, le fils de Gordon Henderson. J’ai même produit un groupe de ragga « Roots Intention Crew » et des musiques urbaines. Le mouvement hip hop a amené cette utilisation de samples.

On avait fait venir les premiers breakdancers : Rock Steady Crew avec Mister Freeze et son moonwalk. Il est venu à La Scala un mercredi soir mais tous ces gens-là sont passés totalement inaperçus car ce n’était pas l‘endroit pour ça.

DWT : On va parler de l’ambiance de la boîte de nuit ou tu mixais, « La Scala »…
Phil Barney : Il y avait un DJ, Bernie N’Guyen, à qui j’ai écris un rap qui est sorti avant Chagrin d’Amour mais comme leur titre a cartonné, c’est celui là qui est passé. Il s’appelait Bernard Givan, une histoire sordide de la nuit. Il a un imper et un chapeau, un métis black asiatique. Il était amoureux de Mathilda May à l’époque. Il mixait à l’avant soirée et moi j’amenais toute la programmation de Carbonne 14 pendant deux heures et lui reprenait après. Le but était de faire danser les gens. C’était blindé sur trois étages. On avait fait venir les premiers breakdancers : Rock Steady Crew avec Mister Freeze et son moonwalk. Il est venu à La Scala un mercredi soir mais tous ces gens-là sont passés totalement inaperçus car ce n’était pas l‘endroit pour ça. C’était des profanes, les gens n’en avaient rien à carrer. Ils voyaient des types danser hyper bien sur de la musique Funk. Ca faisait un show. C’était une vraie culture, il n’y avait pas seulement la musique. Il faut bien que des gens ouvrent les fenêtres. C’était avant le break. Ils n’étaient pas encore par terre. Ils faisaient des trucs de robots, des waves. Ca surprenait tout le monde parce que c’était neuf !

DWT : Ton fils écoute du rap ?
Phil Barney : Il a treize ans et il n’écoute que ça. Aujourd’hui, son oreille est pervertie par la radio. Il est branché Black M comme tous les gosses. Mais Black M, je suis désolé, je n’y arrive pas. C’est quinze fautes de français à la seconde, c’est des images les pieds dans le gazole. Il y a une vraie incidence sur les mômes. Je respecte ça mais je dit on peut mieux faire quand même.

Youssoupha par exemple, c’est du lourd. Il y a des formules un peu faciles mais en gros, il y a une vraie démarche d’écriture. (…) Soprano, lui, je trouve qu’il a amené de la fraîcheur.

DWT : Quels conseils pourrais-tu donner aux rappeurs actuels ?
Phil Barney : Maître Gims avec Sexion d’Assaut, je trouve ça proche du P-Funk mais tout seul, il fait du Frédéric François avec sa voix de black. Il chante super bien mais il fait le championnat du monde du plus gros portefeuille. Il est plus du tout dans la black music et encore moins dans la musique urbaine. Il fait de la variétoche de chez variétoche. Il crache sur les chanteurs de variété mais il fait exactement la même chose. J’ai beaucoup bossé avec Kore et Scalp. J’ai essayé d’écrire des punchlines avec élégance. Kore est un génie qui travaille super vite. Scalp produit sa femme Indila. C’est un killer. Ce qu’il manque à cette musique, c’est la consistance dans l’écriture. On nivelle vers le bas. Youssoupha par exemple, c’est du lourd. Il y a des formules un peu faciles mais en gros, il y a une vraie démarche d’écriture. C’est un regard lucide sur la vie de la banlieue. Ca tourne toujours un peu en rond à ce niveau là. Soprano, lui, je trouve qu’il a amené de la fraîcheur. Il y a des mecs qui ne sortent pas de leurs banlieues alors qu’avoir plusieurs cultures est d’une richesse folle.

DWT : Si tu devais partir dans une tournée Stars 80 spécial rappeur, tu choisis qui pour t’accompagner ?
Phil Barney : Sidney en rap mais aussi Solaar comme MC présentateur. NTM si on pouvait, IAM parce que c’est les plus grands mais aussi Rohff, Youssoupha, Sinik, Soprano. Mais Stars 80, c’est un OVNI au milieu de tout ça. On fait le Stade de France, toutes les dates sont complètes. Après t’es prisonnier des succès… Avec « Un enfant de toi », même mes potes d’écoles m’ont dit : « mais qu’est ce qu’il t’es arrivé ? ». Ils pensaient que c’était une histoire vraie et que j’en avais fait une chanson alors qu’ils m’ont connu dans le groove (rires).

L’Indis, recherche du sens

Interviews
Flynt, Kohndo, L'Indis

Au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public.

Il était évident de retrouver un jour ou l’autre L’Indis en interview sur Down With This. Et pas seulement pour la rime. C’est chose faite. Voici quelques clés pour en comprendre l’évidence. Clé numéro 1 : son frère Lavokato. Membre actif de Down With This dans les années 1990, il constitue un de nos points communs et ce n’est pas un hasard. Mais n’y voyez pas de copinage sinon DWT vous aurez déjà servi de L’Indis à toutes les sauces : « Exclu : L’Indis revient dans le game », « Exclu : L’Indis nous dévoile en avant-première un extrait de son nouvel album », etc… Ce n’est pas notre genre, même s’il l’aurait mérité. Clé numéro 2 : des valeurs communes. L’analyse, les positions et le pragmatisme de L’Indis sont autant d’atouts qui nous garantissent une interview de qualité. Pour la clé numéro 3, on pourrait faire un parallèle entre Bobigny et Aubagne, entre les YZ et les bartavelles mais vous jugerez par vous-même.

Down With This : Racontes-nous le contexte familial et social dans lequel tu as grandi ?
L’Indis : Mon père était d’origine tunisienne, l’ainé d’une fratrie de cinq enfants. Il a quitté la Tunisie dans les années 1960 pour trouver du travail en France et pouvoir envoyer de l’argent à sa famille, notamment pour que ses sœurs puissent poursuivre leurs études. Il y est finalement resté pour fonder une famille et lui offrir un meilleur cadre de vie que celui qu’il a connu là-bas. C’est pour cela que ça me fait rire lorsque je vois des jeunes qui ont la flegme de prendre le bus ou le métro pour du travail alors que nos parents l’ont fait. Par contre, eux l’ont fait en quittant leur pays natal, leur famille, leur culture, leurs mœurs, leur tradition, leur langue d’origine… Ils ont eu beaucoup de courage. Ce n’est pas facile de tout quitter comme ça. Mon père a vécu à Paris dans une chambre de bonne et a rencontré sa femme à Belleville. Ils se sont ensuite installés à Bobigny, dans le confort illusoire des HLM et se sont fait avoir comme beaucoup de gens à l’époque. Mais il ne s’est jamais adapté au climat français et est décédé à la suite de problèmes respiratoires. J’avais treize ans. Ce genre de parcours me fait réagir… J’en avais tiré deux leçons : premièrement, ne jamais prendre une cigarette, ses problèmes respiratoires ayant été déterminants pour moi, et deuxièmement, face à la volonté qu’il avait eu pour nous offrir un cadre de vie, bosser à l’école pour honorer son courage. Cela lui faisait un souci de moins.

DWT : Tu as pris la décision de rester à Bobigny et d’y installer à ton tour ta petite famille…
L’Indis : J’en parle souvent avec des balbyniens que je croise, même des anciens : quand on a grandi à Bobigny, on a une espèce d’attachement. Je ne sais pas si c’est valable pour toutes les villes, mais Bobigny colle à la peau, on a du mal à la quitter ! La dalle de Karl Marx a été détruite l’année dernière mais comme disait un rappeur, pour ne pas le citer, c’était comme un aimant : j’ai passé les deux tiers de ma vie sur cette dalle ! (rires)

Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez.

DWT : Bobigny a très tôt été représenté dans le rap comme par Ménélik, Kabal, mais aussi par ton frère, toi et Nakk ou encore 3MP et Boss’Raw. Comparé à d’autres villes de Seine Saint-Denis, comment expliques-tu que cela ait pris aussi vite à Bobigny ?
L’Indis : Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez. Dès la fin des années 1980, au centre commercial, à côté d’un disquaire de l’époque, ça breakait déjà dur. A l’époque, ce mouvement était réservé à un petit cercle. Quand on allumait la télé, on ne pouvait pas tomber sur un truc pareil, ce n’était pas grand public. II y avait un petit vivier de hip hoper sur Bobigny et donc ça a créé un truc. Prends par exemple Boss’Raw ou 357, des mecs de l’Abreuvoir, ils se sont notamment mis dedans parce que certains de leurs anciens comme les BCW étaient déjà dans la danse à l’époque. Des gars comme Skade et MC Heims, qui sera connu plus tard sous le nom de Ménélik, ont fait partie de ces anciens. Ils ont été pris tôt dans le hip hop et connaissaient déjà les sapes, les codes, les références… Tous ces trucs qui leur était réservé car il n’y avait qu’eux qui les connaissaient ! Quand je les voyais revenir de Châtelet, ça a été un peu pour moi ma source d’inspiration car j’étais trop jeune pour y aller moi même. On avait des notions dans toutes les disciplines. A l’époque, quand tu entrais dans le hip hop, c’était avec un véritable état d’esprit.

DWT : Comment te retrouves-tu avec ton frère à te mettre dans le rap et fonder votre groupe, Les 10’, au début des années 1990 ?
L’Indis : Vers 1987/1988, nous sommes tombé sur une cassette de Radio Nova que le grand frère de Nakk, si je ne me trompe pas, avait ramené. Le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots. On s’est donc mis à écrire dans la foulée et on l’a longtemps fait uniquement pour s’amuser. De toute façon, à l’époque, le business de cette musique n’existait pas encore. Les seuls disques qui étaient sortis étaient ceux de Johnny Go / Destroy Man mais c’était ultra confidentiel. Pour ma part, c’est Rapattitude (ndlr : 1ère compilation sortie en 1990, lire ici) auquel j’ai été confronté en premier. Même si on faisait du rap avant ça, cela ne rimait pour nous que comme un loisir. Aucune perspective de carrière à cette époque. De fil en aiguille, on a affiné notre écriture et de concert en concert, on a fini par gagner quelques auditeurs à Bobigny, puis ailleurs.

Vers 1987/1988, (…) le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots.

DWT : Le fait que ton jumeau ait participé au noyau dur de l’édition papier de DWT durant ces mêmes années a t’il favorisé une certaine maturité au sein de votre groupe à ce moment ?
L’Indis : En tout cas, ça m’a transformé. Je prenais vraiment le rap comme un loisir comme je disais dans le sens où c’était vraiment un plaisir. D’être dans Down With This, de voir que cette équipe réfléchissait, bougeait, prenait des positions et s’engageait, ça m’a donné un autre regard sur le rap. J’ai essayé d’éviter de dire des conneries, j’ai essayé de défendre mes idées. Ca m’a fait murir au niveau de l’engagement et de l’angle d’attaque. Quand mon frère était dans Down With This, je voyais que j’avais affaire à de vrais activistes, qui se bougeait vraiment. Ca m’a changé dans ma façon de travailler.

DWT : On observe depuis toujours que Nakk revient souvent à tes côtés. On peut même se demander si vous ne seriez pas des triplés plutôt que des jumeaux ! Parle-nous de cette proximité avec lui.
L’Indis : On était dans la même classe en primaire, donc on était tout le temps ensemble. On était super complice à plein de niveau. Le rap est arrivé dans notre vie et on a observé ensemble son évolution. On a surement le même regard là-dessus. Il nous est arrivé d’écrire ensemble vers 1995. On s’enfermait dans la chambre avec mon frère, on se mettait une instru, etc… On n’a plus du tout travaillé comme ça par la suite. Mais Nakk est avant tout un ami d’enfance. Pour beaucoup de gens, c’est un rappeur, comme moi, mais quand on se voit, on ne parle pas de rap.

DWT : Pourquoi cette absence remarquée des 10’ sur le mythique « 11’30 » (sortie en 1996) alors que l’on y note la présence de Nakk ?
L’Indis : C’était une époque où on était un peu plus distant. Nakk faisait ses projets avec le groupe Soldafada. On était de notre côté. C’était peut-être l’époque où nous y étions le moins ensemble. Nakk s’était très vite fait remarqué par Le Damier (ndlr : ancien collectif balbynien dont faisait partie Ménélik) et il a rapidement été intégré à Soldafada, un groupe de ce collectif. Cela lui faisait également plaisir de rapper avec des mecs qui étaient ses anciens. Il a vite fait ses preuves et a toujours voulu se surpasser. Puis cette opportunité du « 11’30 » s’est présentée à eux.

DWT : Vous signez ensuite chez Original Bombattak, puis BMG, malheureusement sans jamais rien sortir. Qu’est ce qu’évoque pour toi cette période ?
L’Indis : Inconsciemment, je me demande si l’on n’a pas tout fait pour ne rien sortir. J’ai cette impression parfois, une espèce de « volonté inconsciente » qu’on avait de ne pas mettre les pieds dedans à fond pour ne pas s’exposer ou ne pas prendre de risque. On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.

On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.

De plus, on n’a jamais eu les dents longues et on n’a jamais cherché à tout faire pour. Avec Nakk, on a été les premières options de Marc sur le lancement de son label à la fin des années 1990 (ndlr : reprenant le même nom que sa célèbre émission de radio, le label avait ainsi été dénommé « Bombattak »). Beaucoup d’artistes qui étaient mis en avant dans cette émission étaient signés chez Time Bomb (ndlr : label mythique). Marc nous a donc sélectionné pour accompagner la naissance de son label mais ça a fini par capoter : Nakk ayant signé ailleurs entre temps. Puis l’épisode BMG est arrivé. Ils nous ont financé des maquettes mais nous demandaient en parallèle d’arrondir les angles sur les instrus, sur quelques textes… Je n’aime pas trop en parler car ça fait super prétentieux… Mais en gros, en 1999/2000, il y avait deux maisons de disque qui se « battaient » pour nous : BMG et Delabel. Quand Laurence Touitou (ndlr : ancienne responsable de Delabel) nous a rencontré mon frère et moi, elle nous dit : « IAM arrive à 10 ans de contrat, il me faut un groupe pour les remplacer et je pense que vous avez le potentiel pour être les nouveaux IAM ». Elle était avec son collègue Luigi. Je pense que l’aspect commercial lié à notre image de jumeaux, de rappeurs blancs, à une époque où il n’y en avait pas énormément, avait joué en notre faveur. Delabel nous fait donc une proposition, BMG également. Ca se bagarrait un peu et Yona Azoulay (ndlr : ancienne directrice artistique de BMG) le savait. Elle ne devait pas beaucoup croire en nous mais comme elle voyait que ça bougeait du côté de Delabel, elle s’est dit qu’il y avait peut être un coup à jouer. On s’est donc retrouvé à enregistrer une vingtaine de morceaux qu’on avait de prêts au Studio Davout, Porte de Montreuil. On avait essayé de proposer quelque chose d’assez large à BMG tout en restant nous même mais ils nous ont imposé de refaire toutes nos instrus. En fait, Yona Azoulay essayait de nous glisser les instrus de son pote Cutee B. Elle nous disait qu’elle aurait beaucoup de mal à présenter nos morceaux en l’état à son boss, sans ces changements… Cette histoire s’est terminée au moment de l’écoute de nos maquettes. Yona Azoulay avait légitimé sa décision en s’appuyant sur un de nos de refrains dans lequel on rappait : « si je lâche pas l’affaire, c’est pour que nos potes applaudissent ». Elle avait stoppé l’écoute à ce moment-là en disant : « voilà, ils ont tout dit. En fait, ils rappent que pour leurs potes ! »… En gros, qu’on ne voulait pas d’un public autre que nos potes (rires). Cela lui semblait hyper réducteur mais l’histoire démontrera quelque temps après que le rap super intimiste allait représenter une valeur sûre dans ce business… Le problème qui se posait en fait est que ces gens cherchaient un groupe à développer alors qu’on avait déjà une expérience de dix ans dans le rap et des idées bien établies sur notre musique. Cela ne pouvait pas coller avec leurs attentes.

DWT : Vous commenciez à atteindre un certain âge. Vous vous attendiez tout de même à une possible professionnalisation de votre musique ?
L’Indis : Ben voilà, on était justement arrivé à un stade où on avait décidé d’arrêter. On était dans une période charnière de notre vie. Le rap était un loisir pour nous, on devenait « vieux » et on ne pouvait pas vivre de loisirs… D’un autre côté, est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.

Est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.

Cela dit, je ne blâme pas les mecs qui sont en maisons de disque en disant « ouais, ils font de la merde et tout ! » car ce n’est pas moi qui irai leur donner un salaire. Mais à partir du moment où tu acceptes que la musique devienne ton métier, et non un loisir, ton but est de ramener de l’argent. Tu n’es même pas obligé d’aimer tes collègues ou ton équipe ! Tu peux même te dire « je fais de la merde et je m’en fous car c’est mon boulot ». En ce qui nous concerne, on aimait trop le rap pour accepter ça. On s’est rendu compte que ce qui était pour nous un loisir était en fait pour d’autres un commerce. Ca a cassé un truc chez nous. Dans nos années, on n’avait jamais abordé cette pratique artistique comme un commerce. Puis on a commencé à découvrir les rouages des systèmes de rotation payante à moiti déguisée, etc…

DWT : Comme au moment de la sortie de votre morceau « On se reverra là-haut », avec Nakk et Wallen, qui avait pas mal été joué sur Skyrock ?
L’Indis : Ce qui s’est passé avec ce morceau, si vous voulez vraiment entrer dans les détails, c’est qu’à l’époque, Fred Musa aimait beaucoup ce morceau et le passait dans « La Nocturne » toutes les semaines (ndlr : émission « spé » de Skyrock) et ça, pendant au moins six mois. Musa essayait de convaincre Bounneau (ndlr : directeur des programmes de Skyrock) de le faire passer en rotation (ndlr : matraquage). C’était à une époque, entre 1998 et 2000, où si tu avais un morceau qui passait en rotation 24 fois, tu signais dans la semaine, et le mois suivant, tu étais disque d’or. L’époque que les puristes appellent l’âge d’or. Un jour, Bounneau convoque Marc (ndlr : directeur du label Bombattak) car il était producteur de ce morceau, et lui dit que Fred n’avait peut-être pas tort et qu’il s’apprêtait à le rentrer en rotation. Manque de pot, Bounneau a eu Sulee B au téléphone quelques jours après pour lui annoncer qu’il allait sortir l’album de Wallen. Bounneau a finalement dit à Marc qu’il allait rentrer un morceau de Wallen mais pas celui avec Nakk et nous. Quelques temps après, le morceau « Celle qui non » de Wallen, avec l’instru de Shurik’n, était matraqué sur Skyrock. Notre morceau passait donc à la trappe. On se heurtait à une succession de malchance. Mon frère me disait « à chaque fois, on a un tronc d’arbre qui nous rentre dans la jante, c’est que l’on n’est pas fait pour ça ». Mon frère est fataliste. Au bout d’un moment, il pensait que l’on ne pouvait pas lutter contre le destin. Il y a donc eu une forme de déception, mélangée avec l’âge… Pourtant on avait charbonné et on en avait fait des concerts ! On a un « parcours bâtard » car hormis des featuring, il n’y a pas de traces discographiques des 10’.

La Contrebande - Les 10 - Lindis - Zebda - La Caution - Casey - Scred Connexion - Nakk - Assassin

Compilation « Des mots vrais dans nos valises » (La Contrebande – 1999)

DWT : Le système de l’indépendance ne te semblait pas être une alternative à ce moment ?
L’Indis : C’est ça ! Mon regret aujourd’hui est qu’on n’a pas eu les couilles, ni même l’idée de jouer sur l’indépendance. Mais le problème qui se posait au niveau de l’indépendance, à ce moment, c’était que si tu n’es pas pote avec tel ou tel rédacteur en chef comme les Olivier Cachin, Arnaud Fraise, Antoine Garnier paix à son âme, Jean-Pierre Seck ou autre, tu ne pouvais pas présenter ton disque. Or, mon frère et moi n’étions pas pote avec ces gens-là. J’ai rien contre eux mais c’est vrai qu’ils mettaient en avant uniquement certains groupes et cela pouvait représenter un véritable handicap pour les ventes potentielles. Aujourd’hui, avec la force d’internet, tout ce petit système a été bouleversé et c’est d’ailleurs ce qui a favorisé mon retour et les ventes que j’ai pu faire.

DWT : Avant d’aborder ton retour, il y a quatre ans, raconte-nous ton anecdote sur la bande-originale du film de « La vérité si je mens » à laquelle tu as failli participer…
L’Indis : Comment savez-vous cela !? En gros, ils voulaient qu’on fasse un rap-couscous-merguez pour être sur la B.O., ou qu’on fasse la musique du générique, je ne sais plus. On avait été présenté au mec de Scorpio, le label qui avait en charge le projet, via Marc de Bombattak. Mais pour nous, faire du rap-couscous, c’était hors de question (rires).

DWT : On va maintenant parler de ton retour en 2010. Pour commencer, ta préférence : époque des jumeaux ou époque solo ?
L’Indis : En fait, quand mon frère a décidé d’arrêter, je ne me suis jamais dit que j’allais continuer. J’étais encore un peu plus dedans que lui car je continuais à côtoyer des artistes, de me retrouver dans des studios, etc… Je faisais donc quelques couplets, quelques featuring, mais sans plus. Je ne me voyais pas faire des morceaux sans lui. J’ai finalement repris il y a quatre ans. J’ai aujourd’hui l’impression que la période Bombattak était plus longue, car très intense, alors qu’en fait, elle n’a duré que deux ans. J’ai même fait beaucoup plus de concert en solo qu’à l’époque des 10’. Donc pour ce qui est de ma préférence entre l’époque des 10’ et celle d’aujourd’hui, c’est incomparable. Par contre, je me rends compte qu’il y a parfois beaucoup moins de compréhension que je pouvais en avoir avec mon frère. C’est dans ces moments-là que je me rends compte de la complicité ultime qu’on avait ensemble. Une complicité que je n’ai jamais retrouvé.

J’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser.

De toute façon, j’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser. Il est très dur mais très pointu. Ca m’aurait embêté qu’il ne suive pas ce que je fais, même s’il nous arrive d’être en désaccord.

DWT : Tu es arrivé, cette fois, en total indépendance. Ton retour s’est-il avéré rentable ?
L’Indis : Ca s’est avéré rentable et plus vite que je ne le pensais. Les frais investis sur mon album « Le Refuge » ont d’ailleurs été remboursé au stade des pré-commandes. Pour ce qui est du studio, tout avait été enregistré chez Char du Gouffre, avec qui on a partagé les bénéfices à part égale. Mais ça n’a pas été si simple et mon passé m’a beaucoup servi. Ce n’est que du positif vu les ventes et les concerts qu’on a fait un peu partout, surtout après six ans d’absence dans la musique.

DWT : Parle-nous de cette « écurie » dans laquelle tu gravites avec Le Gouffre…
L’Indis : C’est un gros collectif, avec quelques membres très actifs, de vrais charbonneurs. Un mec comme Char, un mec à l’ancienne, est capable de coller des stickers partout dans Paris, tout seul avec son sac à dos. C’est un vrai charbonneur et humainement un vrai moteur. Ce sont des mecs qui m’ont motivé et ça fait du bien d’être entouré par des gens qui te boostent. Ils essayent d’innover à chaque projet et ont déjà quelques surprises de prêtes qui vont arrivés bientôt.

DWT : Certains de tes morceaux comme « Barbaq de printemps », « J’ai vu » ou encore « Marche arrière » sont très empreints d’émotion ou de misère sociale… Pourquoi cette plume ?
L’Indis : Je n’ai pas forcément envie de pleurnicher mais plutôt envie de vider mon sac, c’est plus ça en fait. Je fais beaucoup de constat, surtout sur les choses qui deviennent des banalités en me demandant s’il n’y avait que moi qui les voyait. D’où l’idée du titre « Est-ce moi ? » dans mon album. Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les télés-réalité, les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.

Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les « télés-réalité », les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.

A une époque, quand tu racontais l’histoire de la « Belle au bois dormant » aux petites filles, elles avaient juste envie d’être habillé en princesse à la kermesse. Ce n’était pas pour autant une perspective de carrière. Aujourd’hui, des émissions type « télé-réalité » où tu deviens une star en trois jours grâce à ton prénom et que tu es connu par toute la France, enfin sauf par moi, je trouve qu’elles véhiculent le message de pouvoir devenir quelqu’un sans avoir besoin de talent, en n’étant que futile, parlant mal le français et en ne gagnant rien par le mérite. C’est une forme de dérive quand un jeune tombe là-dessus en rentrant de l’école. En ayant le sentiment de devoir être le contrepoids de ce genre de truc, même si je suis d’accord que la musique doit être du divertissement, cela génère des morceaux moins festifs chez moi. J’essaye quand même de mettre dans mon écriture quelques jolies formes, quelques jolies tournures, quelques rimes travaillées pour que ça soit plaisant. Après, il y a les choses qu’il fallait que je dise au moins une fois dans mon vie. Il y a donc des morceaux très personnels où j’ai vidé des choses qu’il y avait de très lourdes dans mon sac. C’est aussi pour ça que j’ai eu du mal à rebondir après cet album. En même temps, je n’ai pas envie de tomber dans les trucs clichés de cette musique même si j’ai grandi dans un contexte très précis. Il y a des mecs qui ont eu des jeunesses super dorées, dans des écoles privées et tout ça… Moi, j’ai passé ma vie à Karl Marx, à Bobigny, dans le hall, voir des gens vendre tout ce qui est vendable, des gens faire tout ce qui est faisable dans une cité, avoir comme meilleur pote une tête de réseau dans le domaine des braquages, etc… mais j’ai jamais eu l’idée de dire dans un rap que mon pote est un braqueur ou quoi. On sait rester discret sur certains trucs car s’ils sont vrais, en parler n’est pas la meilleure idée. Un mec comme Booba, qui brise la scolarité de nos enfants, était dans des « Private School » payé par maman et te fait croire, au travers l’image qu’il donne, que la vie est facile. Quand tu fais de la musique, tu n’as pas forcément envie d’avoir le rôle d’un messager, de moralisateur, moi je suis d’accord avec ça. Sauf qu’au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public. J’ai du mal avec les trucs qui ne tirent pas vers le haut.

DWT : Crois-tu à cette notion, cette classification, de « rap d’adulte » ?
L’Indis : Je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me fait rire aujourd’hui, c’est que tu as des rappeurs de 23, 24 ou 25 ans qui racontent n’importe quoi et que tout le monde dit : « c’est pas grave, ils sont encore jeunes ». Moi, quand j’écoute ce que je faisais à 20 ou 21 ans, je parlais de truc sérieux. Quand j’ai entendu Flynt dire dans un rap qu’il ne savait pas ce qu’était le « rap conscient » et qu’il faisait juste du « rap d’adulte », je me suis qu’il avait eu le mot juste : on est des adultes !

DWT : Mais Booba est également un adulte…
L’Indis : Oui, sauf qu’un adulte a un discours responsable. Le vrai Booba, comment il est ? Il a 38 ans, il se rase la tête car en vrai, il a une calvitie, en vrai il a des poils blancs à sa barbe mais il les colore et il se fait des tatouages sur tout le corps. Donc en fait, un gamin de 15 ans a l’impression de s’identifier à un mec de 24/25 ans alors qu’en réalité, il est bientôt quadragénaire…

DWT : C’est le problème récurent des rappeurs de devoir se plier aux attentes d’un public d’une moyenne d’âge de 14 ans pour pouvoir vendre des disques…
L’Indis : Je crois sincèrement que Booba est un mec super intelligent. Il a de la culture. S’il voulait avoir une écriture subtile, il le pourrait. Mais il a bien compris que c’est plus vendeur de dire : « bim, bam, boom, la chatte à Mc Doom ». J’ai l’impression qu’il s’est dit que le plus con des cons doit pouvoir comprendre. Et c’est logique quand tu veux vendre un maximum de disques, tu vises les plus nombreux : les maléables, les simplets, etc… Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.

Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.

Il a adopté une attitude américaine décomplexé comme le fait comme Fifty : gros tatouages, grosses voitures, etc… Mais au final, il insulte tout le monde en disant qu’il est le meilleur et en faisant rêver des gamins avec des trucs qu’ils n’ont jamais vu comme des meufs en string qui pèsent de la cocaïne. Ces artistes-là entretiennent les clichés que les gens non-initiés au rap ont de cette musique. De plus, ils finissent par salir et dénaturer cette musique.

DWT : Penses-tu que les prochaines générations de rappeurs s’exprimeront qu’au travers d’onomatopées ?
L’Indis : On en n’est pas loin.

DWT : Vu le nombre de clips que tu as sorti, tu accordes autant d’importance à l’image qu’à la production de tes morceaux…
L’Indis : C’est surtout que quand tu fais un clip, tu touches plus de monde. C’est le but premier. Après, je considère que le clip est un œuvre à part entière. C’est notamment pour cette raison que je me suis mis à la réalisation. Il faut que ce soit une œuvre qui amène un plus et pas juste un playback ou de l’habillage. Un clip est important car il a plus de portée sur You Tube qu’un écran noir avec le son et nom du morceau. Au début, c’est pour ça que tu le fais mais quitte à faire une vidéo, autant qu’il y ait une part de créativité dans la façon dont le clip sera réalisée. Depuis quelques temps, je fais des clips pour les autres et je ne fais plus rien pour moi… C’est également une création artistique et ça me plaît.

DWT : Comme nous le savons, tu apportes un détail très soigné quant au choix de tes instrus. Tu arrives à satisfaire toutes tes attentes ou tu te heurtes à des frustrations ?
L’Indis : C’est une super bonne question. C’est super ambigu, c’est un combat en fait. C’est même un point de litige avec mon frère. Pour avoir travaillé dans les années 1990, avec du sample et du grain, notre oreille s’est familiarisée à un certain type de son alors qu’aujourd’hui, ça sonne très électronique. Mais je n’ai pas envie de passer pour un vieux con. L’artiste doit créer, prendre des risques et ne peut pas reproduire tout le temps la même recette. D’un autre côté, les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.

Les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.

Je n’ai pas envie de revendiquer que le rap était mieux avant, ni qu’on me prenne pour le mec old school, je me demande juste comment faire évoluer mon son. D’autant qu’on réfléchit à faire un album des 10’, ou en tout cas, un projet commun. Est-ce que ce projet doit sonner moderne ou comme il y a quinze ans ? Il ne faudrait pas enterré plutôt qu’entériner. C’est ambigu. Si ça sonne old school, j’avoue que ce n’est pas volontaire. Mais je pense aujourd’hui avoir trouvé un compromis, entre ce grain old school et la modernité, grâce à Nizi du crew Kids of Crackling. Il utilise les techniques de sampling d’avant et il ajoute certains rebondis dans la rythmique qui font que ça sonne moderne. Ce compromis m’a beaucoup plu ces derniers temps et Nizi arrive ainsi à me satisfaire.

DWT : Tu es rappeur, mais tu es surtout enseignant dans une école primaire depuis quelques années. Les deux fonctions sont-elles compatibles ?
L’Indis : Au niveau de l’emploi du temps, je mettrai toujours la priorité sur mon métier. Le rôle d’un père de famille est de ramener de l’argent, donc je mettrai toujours la priorité sur mon métier. J’essaye de faire en sorte que les deux soient compatibles. Par ailleurs, je pense que la ligne de conduite que j’essaye de faire ressortir dans mes morceaux est compatible avec la fonction d’enseignant. Certains de mes élèves sont tombés sur mes clips mais je préfère qu’ils gardent l’image d’un enseignant qui met l’accent sur l’instruction plutôt que d’un chanteur.

DWT : Tu as certainement un devoir de réserve par rapport à ta fonction d’enseignant mais que penses-tu des moyens déployés par l’éducation nationale dans les quartiers ?
L’Indis : C’est souvent un problème. Chaque gouvernement a mis en place des réformes comme si chaque gouvernement avait envie d’être le nouveau Jules Ferry ou envie de marquer l’histoire. Leur manière de trouver des moyens est souvent couplée par le fait de limiter les dépenses plutôt que de servir l’intérêt des enfants. Les syndicats se battent tous les ans parce qu’on embauche pas suffisamment de prof car l’idéal dans les écoles serait d’avoir un prof supplémentaire pour aider les élèves en difficultés. Or, dès le concours IUFM, ils n’ouvrent pas suffisamment de place d’admission au concours pour assurer le nombre de postes à pourvoir…

DWT : Autre sujet d’actualité : tu prends souvent position sur facebook contre l’horreur des massacres perpétrés en Palestine. Penses-tu que cette thématique a sa place dans le rap ?
L’Indis : La seule chose que j’ai envie de dénoncer est que je vois des êtres humains en tuer d’autres. Au delà d’une histoire de frontière ou de religion, je pense qu’il faut dénoncer ces actes. Quelque soit le pays, quelque soit la cause, c’est déguelasse. C’est con ce que je dis mais c’est juste ça. Quand je vois le gouvernement français rendre hommage à un soldat israélien qui a disparu et ne pas prendre position alors que le même jour, quatre enfants gazaouis explosent alors qu’ils jouaient sur une plage, ce n’est pas normal. Il y a un manque d’équité. Et face à tous les messages de haine que je peux voir un peu partout, c’est un message de paix que j’ai envie de véhiculer.

DWT : Tu es un observateur privilégié de ce qu’est devenu cette musique depuis la fin des années 1980 jusqu’à nos jours. Comment expliques-tu l’appauvrissement de cette dernière en France ?
L’Indis : Dans les années 1990, en tout cas avant 1996, tu ne pouvais pas te retrouver dans le hip hop si tu ne l’avais pas voulu. Dans ma cité, personne n’en écoutait, tout le monde était dans la funk. Il n’y avait que moi et il fallait être un fouineur pour continuer à être là-dedans. Tout le monde n’allait pas à Ticaret… Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…

Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…

Aujourd’hui, les mecs qui rappent dans les cités reprennent les ingrédients de Kaaris, car ils ne pensent qu’à une chose : se faire de la caillasse grâce au rap. Le gros tournant à mon sens, c’était 113 avec « Truc de fou ». C’est là que tous les mecs de cité se sont intéressés au rap, ils n’avaient pas forcément les codes, pas forcément les bases, et ne s’occupaient pas de savoir si untel ou untel rappait bien. Mais ils s’y sont intéressés et tout le monde s’est mis à rapper, à représenter sa cité. Ce tournant, c’est celui qui nous a fait passer de la culture hip hop à cette vision du rap. Et ça a ramené plus de T-max et d’YZ dans les clips pour « représenter ». Cette « nouvelle école », parfois ignare, n’a qu’un objectif : croquer. Et peu importe le message. Pour beaucoup parmi l’émergence de ces nouveaux rappeurs, être « crus » dans les textes leur suffisaient pour croire qu’ils rappaient bien. Ils n’ont pas eu tout l’apprentissage qu’on a eu sur cette culture, ce qui a fini par appauvrir cette musique. A force, on est retourné en arrière alors qu’on était arrivé à des progrès intéressants sur le plan technique, notamment grâce à des groupes comme les Sages Po’, Time Bomb, etc… Peut-être que c’était inévitable, peut être que c’est cyclique ou peut être que le rap était devenu tellement technique que ça ne parlait à plus personne…

DWT : Avec du recul, le hip hop était-il bien la culture qui devait se répandre en banlieue ?
L’Indis : …Qui « devait », du verbe devoir… (court silence) Déjà, j’avais l’impression que le rap était réservé à des mecs de rue au regard de l’image qui était véhiculée par cette musique. Je pensais que ces mecs vivaient comme nous. En gros, qu’ils vivaient ce qu’on vivait en bas de chez nous. Mais je me suis rendu compte super tardivement que ce n’était pas le cas et que ces rappeurs « engagés » et « antisystème » du jour s’empressaient de se retrouver le soir chez Castelbajac. Ils évoluaient dans des soirées mondaines alors qu’on avait l’impression qu’ils mangeaient des merguez-frites avec nous. Mais cette culture comportait beaucoup de potentiels pour les jeunes : danse, graff, etc…, et s’est répandue partout. L’esprit de compétition qui régnait à l’époque constituait aussi une forme d’attraction évidente pour les jeunes. Ca a permis à plein de mecs de pouvoir exister et de s’épanouir artistiquement. Après, quand l’argent est entré en jeu, ça a changé la donne.

DWT : On va se la faire à l’ancienne : pour terminer, ton mot de la fin ?
L’Indis : Ca fait plaisir d’être interviewé par DWT, qu’on connaît depuis plus de 20 ans et avec qui on continue de partager les mêmes valeurs et les mêmes passions. Donc Big up à DWT. J’espère que tous les artistes que ce média a soutenus au cours des années 1990 lui seront toujours disponibles et qu’ils n’auront pas la mémoire courte.

Mathieu Kassovitz, do the right film (2/2)

Interviews
assassin, Kassovitz, Sear

Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. (…) Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.

 

Suite et fin de l’interview de Mathieu Kassovitz, réalisée sur la principale thématique du hip hop. Le personnage étant ce qu’il est, c’est un avis tranché qui se présente sous vos yeux… Et qui ne concerne pas que le hip hop… (retrouvez ici la première partie)

Deuxième
partie

Down With This : Aujourd’hui, pour reprendre une de tes déclarations en 2012 sur le cinéma français, irais-tu jusqu’à dire que le rap français, comme pour les films français, c’est de la « merde » ?
Mathieu Kassovitz : Non, je pense que c’est mortel le rap. Il y a des mecs mortels qui sortent, que se soit Oxmo, Booba, Rohff…  Les plus jeunes ne sont pas forcément à mon goût. Il y a des trucs durs et des trucs mortels. En entraînement, à la boxe, quand tu mets des morceaux qui partent en guerre, avec les lyrics, le flow, tu sautes en l’air, c’est mortel ! Pareil quand tu les mets dans la voiture. J’étais un des premiers à avoir un boomin’ system à Paris. J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui et ce n’est pas lui qui va faire du mal à la jeunesse mais TF1, le gouvernement, Sarkozy, l’injustice et les rêves brisés des gosses ! Ce qui fait du mal à la jeunesse, c’est les bavures policières. Booba libère la jeunesse. Je ne suis pas hors la loi lorsque je chante « nique ta mère, je vais tuer tout le monde ». Je ne suis pas un voyou, je chante. Les mecs qui chantent des chansons d’amour ne sont pas amoureux. Booba a compris exactement ce qu’est le hip hop et il a de la chance d’être dans ce qu’il aime. Comme Luc Besson qui a un cinéma particulier, qui correspond exactement au public. Il va plus loin car il sait que le public en veut plus. Tu veux plus de bras ? J’ai plus de bras ! Tu veux des tatouages ? J’ai plus de tatouages ! Tu veux que je sois plus violent ? Je suis plus violent ! Erick Sermon n’est pas une flèche. Éric B & Rakim non plus. Écoutez bien les lyrics de Booba. Dans la société d’aujourd’hui, dire à des enfants qu’elle est « une chienne donc je lui nique sa mère », ça ne me pose pas de problème. Je préfère ça que de dire que le Père Noël existe ou que 82% des femmes ne mangeront pas de riz.

J’adore Booba, je suis fan. C’est le plus fort. Il a du talent, c’est indéniable. Pour moi, c’est un punk. Peut-être que j’idéalise le truc mais Booba, c’est le hip hop d’aujourd’hui.

DWT : Les événements du 11 septembre 2001 on suscité chez toi pas mal d’interrogations. Dans le même genre, as-tu déjà entendu parler de la théorie du complot concernant le hip hop ?
Mathieu Kassovitz : (Rires) Que le hip hop est tenu par les juifs de maisons de disques ? Je ne crois vraiment pas en des trucs comme ça. Si il n’y a pas de preuves, ce n’est que de la merde. Les conneries qu’on sort sur ce complot concernant le hip hop et sur les illuminatis, tant qu’il n’y a pas de preuve, ce n’est que de la connerie. Il y a des livres sur tout, même sur « comment guérir le cancer en mangeant des œufs ». Je suis un cartésien-scientifique-ingénieur dans l’âme. Je veux bien croire à tous les trucs mais je sais, et je suis sur, que les gens qui peuvent ouvrir leur gueule aujourd’hui comme Mathias Cassel ou moi sont des gens qui ne peuvent pas faire de mal. S’ils nous laissent tranquille, c’est qu’on sert à canaliser certains énervements, à droite comme à gauche. Les gens qui font vraiment du mal sont condamnés à mort. Les rigolos comme nous, qui lèvent le bras sur facebook pour gueuler, personne n’en a rien à foutre. Ils en sont même très contents car il y a un besoin de contestation, comme ils sont très contents d’avoir des manifestations. Si le FBI a créé le hip hop, j’espère qu’ils ont pris 10% ! (rires). Ils ont soutenu Puff Daddy ? Alors ils sont plus riches que nous ! Ils n’ont rien fait du tout, ils ne sont pas assez intelligents pour créer quoi que ce soit. Qu’on me montre des preuves et après on en reparlera. Ça me parait ridicule. Je pense plutôt que la conspiration est sur Britney Spears. Je pense qu’il y a une conspiration mondiale sur l’ensemble de l’industrie qui dit par exemple : « il faut que Britney Spears vende des disques » car cela rend suffisamment les gens idiots. Si Britney Spears ne fonctionne pas, internet ne fonctionne pas, iTunes ne fonctionne pas et Apple ne vend plus rien.

DWT : Pour quelles raisons as-tu récemment pris position contre Dieudonné et Alain Soral ?
Mathieu Kassovitz : Soral est un XXX (ndlr : insulte dure à entendre en 7 lettres). C’est comme les rebeus qui vendaient de la drogue et qui maintenant sont les plus musulmans des musulmans. Ce sont des mecs qui ont été extrême gauche et qui sont maintenant d’extrême droite. Je ne sais pas, il était d’extrême gauche et il a du se faire taper par trois arabes et il a pété un câble. Je ne sais pas quel est leur problème à ces gens-là. Il ne m’intéresse pas et il ne représente que 200 personnes en France. Il ne faut pas leur donner de voix. Je me suis énervé sur facebook et j’ai immédiatement enlevé mes trucs. Je me suis dit ça ne sert à rien car ils ne servent à rien. Ils sont là exactement comme Nabila est là, parce que nous leur permettons d’être là. Pourquoi croyez-vous qu’ils laissent passer des conneries comme ça ? Ils se rendent compte qu’il y a du bizness derrière. Au début, ils font ça pour choquer. On a l’impression qu’ils sont 20 000 dans leur petite cour parce qu’il y a 450 000 personnes qui les like sur facebook alors qu’ils sont 200. Ils se prennent pour des dieux alors que cela concerne 200 fanatiques. Quand je balançais des trucs sur twitter j’avais 50 000 commentaires qui disaient « c’est super ». Quand j’y ai regardé de plus près, je me suis aperçu que c’était les 50 mêmes personnes à chaque fois. J’ai fermé mon compte, tu ne fais pas prendre conscience aux gens avec ça. Tu te rassures juste toi même que tu as raison parce que tu aura toujours les mêmes 50 connards qui vont dire que tu as raison. Donc, ces gens-là sont dans ce truc. Laissons-les juste dans leur vie. Il y a des groupes de néo-nazi partout. Ils sont 5, 10, laissons les faire. Ils ont le droit de penser ce qu’ils veulent.

DWT : Comment perçois-tu toi l’image de la culture hip hop dans les films du collectif Kourtrajmé avec notamment Kim Chapiron et Romain Gavras à la réalisation ?
Mathieu Kassovitz : Eux, ce n’est pas le hip hop. Ils ont transcendé le truc encore. Kim était mon voisin du dessous. Je le connais depuis qu’il a 5 ou 6 ans. C’était un artiste depuis le début. Kim n’est pas dans le hip hop du tout. Romain Gavras n’est pas hip hop du tout. Excusez moi mais ce sont des enfants de La Haine ! Il le revendique et j’en suis super fier. Quand Kim fait des clips pour Oxmo, c’est la vision du rap et l’image d’Oxmo.

DWT : Quelles ont été tes motivations pour accepter le tournage du  clip XY de Kery James en 2008, qui sera d’ailleurs interdit au moins de 18 ans ?
Mathieu Kassovitz : Pour moi, dans le clip de Kery, je me suis dit qu’il y avait un challenge cinématographique à faire. Quand tu as un mec qui dit une phrase à l’endroit mais qui raconte l’histoire à l’envers, tu dois raconter l’histoire à l’envers en faisant que tout se synchronise parfaitement, en respectant avec quatre moments forts. C’est un exercice de style dont je suis super fier. Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel ! Pour en revenir à Kourtrajmé, je ne pense pas que Kim et Romain aient envie de s’encanailler. Ils ont vu que les canailles sont des mecs cool. Ils ont repéré les cools chez les canailles et ils ont mis le fun là-dedans. Je trouve ça mortel. Je préfère le clip de Bagel City Gang parce que je me dis « quoi ? mais vous devriez être tous être en prison là » (rires). Parce que c’est hardcore et que ça représente plus ma culture. Mais quand je vois leurs trucs et l’ambiance, je trouve ça mortel. Je suis moins d’accord avec les trucs de Justice. Le premier avec les mômes était pas mal. Quand ça se répète avec Jay Z, à vouloir lancer de cocktails Molotov sans savoir pourquoi… Il faut avoir une raison pour balancer des cocktails Molotov. Est ce que le jour où il faudra en balancer pour de vrai, est-ce que vous serez dans la rue ? C’est ça le hip hop, c’est que tu ouvres ta gueule et que tu ne balnav’ pas par derrière. Pas parce que tu parles mal d’un mec ou que tu veux te venger de quelqu’un mais quand il y a un problème social, tu représentes les tiens.

Pour la suite, Kery James fait ses trucs. S’il vient me voir en disant « Mathieu, j’ai le nouveau morceau, j’ai trouvé un budget, est-ce que tu as une idée ? » Je lui dirais ouais, mortel !

DWT : Tu pourrais réaliser des clips pour Booba ?
Mathieu Kassovitz : Ah ouais, j’adorerais mais il a Chris Macari (ndlr : réalisateur) derrière. C’est mortel. Ils ont tout compris. Ils font des clips pour des clopinettes qui défoncent tout le monde. Ils sont dans tous les styles. Les mecs sont de gros bosseurs. Tu ne peux rien dire sur cette équipe. Ils sont tous bons dans leur domaine.

DWT : Tu ne postes pas énormément de choses sur les réseaux sociaux mais on peut y voir des images d’un ticket de spectacle pour Big Daddy Kane ou un visuel de Rick Ross, comme quoi cela t’intéresse toujours…
Mathieu Kassovitz : Un gars comme Big Daddy Kane, je l’ai vu à Los Angeles avec Franck Chevalier, l’ancien manager de NTM, qui avait fait les soirées Zoopsie à Bobino. Rick Ross, c’est pour Black Bar Mitzvah, c’est mortel. Tu sors la même chose en France, c’est un scandale partout. Là-bas, c’est passé inaperçu. Ils rigolent, tout le monde s’en fout. Rick Ross sur ce truc là, il va loin. C’est un ancien gardien de prison et il le dit d’ailleurs « mais pourquoi vous êtes fâchés contre moi ? Il faut bien que je me fasse du blé ». J’ai rencontré le patron de la prison Rickers Island avec JR le photographe. Il s’occupe de tous les juvéniles. Le mec est un ancien tagueur de 1978, il fait partie des anciens tagueurs du Bronx. Tous ses surveillants sont aussi d’anciens tagueurs. On était ensemble dans la rue, il y avait un vieux frigo et le mec sort un marker ! On va dans sa voiture de police et le mec met à fond du son hip hop old School, la sirène et on trace ! (rires). C’était il y a 6 mois.

DWT : Les « personnalités » issues de la communauté juive dans le hip hop en France sont toujours très prudentes dans leurs déclarations au sujet du mouvement. Comment expliques-tu ce positionnement ?
Mathieu Kassovitz : Je suis juif pour les blagues. L’histoire de juifs, musulmans, machin, j’en entends parler depuis 5 ans. J’ai toujours traîné avec des musulmans, d’ailleurs ce n’était pas des musulmans mais des arabes. Je ne me posais pas la question. Il y avait les Chinois, les arabes, les portugais, y avait deux sortes de renois et on s’en foutait. On ne s’est jamais posé la question. C’est ça qui était intéressant dans le hip hop. Tu rencontrais des gens qui n’avait rien à foutre là et qui sont devenus des gens connus. Au début, c’était une bande de petits jeunes qui étaient curieux.

DWT : Tu ne regrettes pas de ne pas avoir joué le rôle de Vince dans La Haine ? Ta carrière aurait peut-être pris une toute autre dimension…
Mathieu Kassovitz : C’est le réalisateur qui m’a attribué le rôle (rires). Je vais vous dire un truc, c’est moi qui aurait du faire le rôle de Vincent Cassel. C’est logique, c’est moi qui avait joué dans mon premier film, Métisse. Vincent me l’a dit lui même pendant la prépa du film « mais pourquoi tu ne fais pas le rôle ? ». Parce que je vais avoir assez de choses à faire de mon côté ! C’est des films controverses donc j’aime bien que les gens se posent des questions. Ce n’est pas que je veux faire chier le monde mais j’aime bien que les gens ne soient pas « confortables ». C’est pour ça qu’après, je n’ai pas fait La Haine 2. J’ai fait Assassin(s) parce qu’ils m’avaient tous embrassé comme étant le nouveau génie du cinéma français. Quand Assassin(s) est sorti ma première critique était « le plus mauvais film de l’histoire du cinéma ». Pourtant j’en étais très fier. Assassin avec un S à la fin, ce qui fait la différence (rires). Dans Métisse, j’avais une idée de l’influence pour le personnage que Vincent Cassel allait interpréter : Chino ! (ndlr : et là encore, pour certains, vous vous dîtes : mais qui est Chino !). Vincent a le 4×4 de Chino, le tatouage de Chino, il avait pris 10 kilos pour faire comme Chino. Et je lui avais dit de faire comme Chino. Mais c’était avant que Chino soit Chino. C’était encore un français. (rires) Pour moi, Chino était un héros. Quand on était au Diable des Lombards, il arrivait avec une copine dans un Jeep Cherokee avec les pneus qui ressortaient, des reposes pieds ! Je ne sais pas comment il arrivait à rentrer dans Les Halles pour se garer à côté du Diable des Lombards ! J’ai toujours voulu refaire cette image de lui au moment de sortir de sa voiture avec sa copine et son pit tout carré. Les quatre, avec la voiture parce que je la considère comme une personne, au ralenti, c’était dingue !

DWT : Comment regardes-tu ton parcours après toutes ces expériences ?
Mathieu Kassovitz : Je suis hip hop, je n’écoute que ça depuis bientôt 30 ans. Je suis très content d’avoir été là où j’ai été et au moment où j’y étais. Je suis très content, je suis super heureux. Quand je vois les mômes aujourd’hui, je suis super content d’avoir vécu ça. Ça m’a construit de A à Z. Je me demande avec quoi les mômes d’aujourd’hui se construisent, car à part avec de la MD ou l’alcool à 12 ans avant d’aller en cours… Ils sont stressés et savent que ça va être la merde partout. Aujourd’hui, j’ai 46 ans, je vois que de l’époque, on est plein et que Sear est encore là (rires). J’ai même vu une photo où il est en train de signer 4 bouquins, aux puces je crois (rires). Notre génération a été attrapé par le hip hop, un truc où tout à coup, on a eu de l’espoir. Ce n’est pas qu’on y a cru, c’est qu’on l’a fait.

Mathieu Kassovitz, do the right film (1/2)

Interviews
assassin, Kassovitz, Sear

Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement.

« Je ne te répondais pas parce que je ne voulais pas te dire non ». C’est connu, Mathieu Kassovitz n’est pas un grand fan des interviews. Il les distille avec parcimonie mais a accepté de nous recevoir chez lui, sur place, sur son territoire… « Rentrez, je suis pressé et je sais que ça va durer des plombes. Vous voulez qu’on parle hip hop ? Alors allez-y, on enchaîne ». Vingt ans après la sortie du film La Haine qu’il a réalisé, on en avait accumulé des questions. Suffisamment pour que ça dure des plombes. En plein festival de Cannes, vous monterez les marches du hip hop accompagné de Mathieu Kassovitz. Le réalisateur n’a pas accepté de prendre la pose, seul un paparazzi connu dans le milieu du hip hop, Alain Garnier, a réussi un cliché volé. La première partie de l’interview qui suit sera en compétition avec la suivante et sera diffusée le 22 mai. Tous deux seront certainement nominées pour la Palme hip hop de l’interview !
Première
partie

Down With This : Dans quel environnement familial et social grandis-tu ?
Mathieu Kassovitz : Mon père est arrivé en France en 1956 de Hongrie. Il est juif hongrois. Ma mère fait partie des prolétaires français de la région de Reims. Ils se sont rencontrés à Paris à l’époque où Jean Paul Sartre était au café Flore, dans le quartier Saint-Germain-des-Prés. Cela remplissait le côté intellectuel dont ils avaient besoin pour différentes raisons. C’était des parisiens atypiques qui n’avaient pas envie de vivre dans un appartement normal, ni supporter de vivre dans une cage en banlieue, ni assez d’argent pour s’acheter un truc dans le 16ème. Petit, j’ai donc vécu dans un énorme atelier d’artiste dans le 11ème ou le 20ème. Cela faisait 150m2 d’un seul tenant avec 7m de hauteur sous plafond, c’était hyper impressionnant mais il n’y avait pas de chauffage, des souris, c’était l’horreur. Ils ont découvert la France à une époque où elle était un lieu privilégié et multiculturel.

DWT : Quel est ton premier contact avec la culture hip hop ?
Mathieu Kassovitz : A 10 ans, mes parents m’ont fait écouter Bobby La Pointe, puis Brel. Mais ce n’était pas trop mon truc, trop adulte. Bobby La Pointe, c’était mortel, ça m’a amené aux textes.Mes parents (ndlr : père réalisateur et mère monteuse vidéo) ont découvert le jazz des années 1960. Mon père a rencontré, et a eu comme meilleur ami, Melvin Van Peebles par exemple. En parallèle, il y avait le rockabilly avec Billy Aley et les Comets. Mon film préféré, c’était American Graffiti avec sa bande son. Tout cela m’a amené au punk super rapidement. J’étais allé dans la foulée à un concert des Sex Pistols avec un ami dont le frère a joué dans Guernica, un groupe pas mal connu de l’époque Béruriers Noirs. J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls. Mais déjà avant, The Clash m’avait emmené au ska, le reggae, le toast qui t’emmène au hip hop. C’était en fait assez proche tout ça. Même The Clash avait fait appel à Futura 2000…

J’étais à fond dans le punk pendant trois ans. Puis punk is dead, et surtout, il y a eu l’arrivée en 1982 de Malcom Mac Laren avec Buffalo Galls.

DWT : Gardes-tu en tête les souvenirs déterminants qui t’ont fait accrocher au hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Les mecs, j’ai LE souvenir hip hop ! Mon père m’avait emmené à New York. Quand on est arrivé, c’était dramatique. Le pote que mon père était venu voir était sous héroïne. On s’est donc retrouvé le soir, à la rue puis dans des hôtels de merde car mes parents n’avaient pas assez d’argent. Un jour, je suis tombé sur une petite affichette pour la sortie du film Wild Style et je me suis dit : « qu’est ce que c’est que ce truc ?! ». Je suis allé direct sur la 42ème rue, dans la seule salle qui le passait. J’avais 16 ans, j’étais le seul blanc et il y avait tous les mecs du film dans la salle ! Fab Five Freddy, les Rock Steady Crew… ! A chaque fois qu’ils apparaissaient à l’écran, ils se levaient devant tout le monde ! Je connaissais déjà un peu le hip hop mais à ce moment, je me suis dit « ok, c’est bon, c’est quoi ce délire ?! ».

DWT : Cette « découverte » a t-elle suscité chez toi des références artistiques dans chaque discipline ?
Mathieu Kassovitz : Ma référence, c’est le hip hop en général. Il y en a tellement dans chaque domaine. Des mecs qui représentent le hip hop pour moi sont des potes dont les noms ne vous diront rien. Je ne vais pas vous dire Tupac, Biggie Small ou Eminem, je ne les connais pas. Je ne sais pas comment ils sont. Ce qui m’intéresse, c’est la culture hip hop, une « culture multiculturelle ». Je trouve que sa musique est la plus intéressante, que ses lyrics sont les plus intéressants, que sa danse est la plus intéressante. A chaque niveau, c’est la culture la plus créative de ce qu’on peut faire artistiquement. Le graffiti a révolutionné l’illustration, les beat-makers ont révolutionné de A à Z la façon de faire du son. Plus que le Jazz a changé les choses.

DWT : Que représente pour toi la notion de hip hop ?
Mathieu Kassovitz : Je me suis encore engueulé très fort l’autre jour presque jusqu’à me battre avec un mec pour lui dire que le hip hop a tellement apporté culturellement dans la conscience des gens que cette culture, quoiqu’il en pense, est présente à tous les niveaux dans le monde. J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun. C’était notre façon de fonctionner. On sortait en boîte, on ne fumait pas, on ne buvait pas, on ne draguait même pas. On sortait en boîte uniquement pour danser. Quand on vit comme ça, c’est une vraie culture qui nous dépasse. J’adorais dire que quand tu rentres sur une piste de danse, tu en sors moins con que quand tu y es rentré. C’est ça le hip hop pour moi. Danser sur des beat c’est « facile » mais arriver à faire prendre conscience d’un truc par une chanson tout en sautant en l’air, c’est ça qui est mortel. C’est comme aller voir un Chaplin, tu rigoles et en même temps, tu vas prendre une claque dans la gueule. Comme avec un bon Chuck D ou un bon EPMD, un bon flow et un mec qui a des bons lyrics. Même un Little Jon, il t’arrache la tête. Depuis le début du hip hop, sans parler des Last Poets, mais plutôt des Eric B and Rakim, Mc Shan, BDP, j’ai toujours halluciné. J’ai appris l’anglais pour ça. Pas pour comprendre Shakespeare mais Criminal Minded ou du Public Enemy ! Et à cette époque, quand tu commences à écouter et à comprendre, tu te dis non seulement les mecs sont bons en quatrain mais en plus, ils te sortent des choses que tu n’entends nulle part ailleurs ! Ça pour moi, c’était gagnant. Mes parents étaient des gens socialement actifs donc forcément c’est l’ensemble qui m’intéresse. Après le truc de dire qui est meilleur danseur que l’autre, je m’en bats les couilles. Maintenant tout ça ne veut plus rien dire. Il y a des jeunes de vingt ans qui font des écoles de hip hop. Je me souviens, un jour on se regardait et on se disait peut être qu’un jour il y aura des écoles de hip hop. C’est l’horreur. Je viens du Punk, le jour où on a vu des pantalons avec des épingles à nourrice en vente dans les magasins Prisunic, on s’est dit c’est fini. Pareil pour le hip hop, le jour où j’ai vu des baskets Troop arrivé en France. Ce qui était intéressant à l’époque, c’est qu’on allait chercher nos baskets dans les coins les plus improbables. J’avais des exclusivités qui venaient de Hongrie, les usines étaient en Europe de l’Est, il y avait des modèles qui n’arrivaient jamais ici. Il n’y avait pas de chaussures faites pour le hip hop, on fabriquait nos looks. C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…

J’ai vécu pendant des années sur le peace, unity, love and havin’ fun.(…) C’était une façon d’être qui regroupait une philosophie. Ça testait, t’es hip hop ou t’es pas hip hop ? Ben on va voir…

DWT : Fais-tu un rapprochement entre le développement du hip hop en France et la manière dont il s’est développé aux Etats-Unis avec ce côté « peace, unity, love »…
Mathieu Kassovitz : « Peace, unity, love and havin’ fun », c’est la Zulu Nation, pas le hip hop. Je pense que c’est le rattrapage positif d’un truc qui pouvait déjà se barrer en couilles. C’est des mecs de gang de New York qui ont lancé ce truc, le terme hip hop n’existait même pas. C’est eux qui l’ont inventé et qui le lancent avec un truc qui me rappelle ce qu’on a vécu en France. On a eu aussi eu cette période charnière avec NTM quand ils se sont créés et qu’on s’est posé la question 15 secondes de ce que voulait dire NTM : Nique Ta Mère ou le Nord Transmet le Message ? Rappelez-vous que la Zulu Nation s’est opposé au fait que ce groupe s’appelle Nique Ta Mère. Les NTM ont dit nique ta mère, on le fait quand même. Le moment charnière est de dire ok, on en a assez, nique ta mère. C’est ce qu’a fait N.W.A. aux États Unis. Moi je m’en fous, le mec peut être dealer du moment qu’il ne dit pas aux enfants de se droguer ou de dealer. J’espère qu’il dit de l’autre côté aux enfants de ne pas dealer. Il ne faut pas oublier non plus les paroles de Grand MasterFlash dans The Message, qui sont ultra violentes. C’est pour moi un grand morceau. Il y avait un truc positif dans le hip hop. Après tout ce qu’on avait vécu en 1986, avec l’affaire Malik Oussékine (ndlr : étudiant frappé à mort par plusieurs policiers), on n’avait plus envie de faire la fête. Il y avait ce besoin de justice pour moi et mes frères, un truc de base du hip hop : « no justice, no peace ». Il n’y avait pas de minorité à cette époque. On ne parlait pas en ces termes. C’était un mélange de plein de gens qui ont fait bien bouger les choses. Ça a changé de philosophie à partir de ces événements-là, à partir de 1988 et la déception du deuxième tour de Mitterrand, la répression de Pasqua et la ghettoïsation des gens. Les mecs ne pouvaient plus sortir sans que ça fasse une embrouille. C’est ce qui a fait que le hip hop est devenu plus agressif.

DWT : Tu signes ton introduction de réalisateur dans le milieu hip hop / reggae parisien avec notamment le clip de Tonton David « Peuples du monde » tourné en 1990. Pourquoi ce choix ?
Mathieu Kassovitz : Je faisais des courts-métrages, j’étais stagiaire chez Mondino, pour des clips. Depuis l’âge de 17 ans, j’étais là-dedans. J’avais réalisé un court-métrage en noir et blanc que je n’avais pas fini. Il était monté mais il manquait le son. Je cherchais 3000 francs pour le finir. Je suis allé voir tous les gens avec qui je travaillais, dans les boîtes de production, etc… On n’était pas beaucoup dans le hip hop à travailler dans la réalisation. Et puis je traînais avec Assassin, donc Assassin – Delabel, Delabel – IAM et IAM – Benny (ndlr : Benny Malapa, producteur du premier album d’IAM). Et de Benny, j’arrive sur Tonton David. Nous n’étions pas 50 à l’époque. C’était un tout petit monde. Dans le clip, il y a Chino, André, B. Love, Nuttea et tous les anciens du High Fight International. C’était un petit groupe. Après, si tu pars sur le ragga en France, c’était encore plus petit. Je connaissais Rockin’ Squat à travers le quartier, Ticaret, le terrain vague de La Chapelle, etc… J’allais au terrain au tout début. Je ne sais plus trop comment je me suis retrouvé là-bas, c’était en rentrant de New York. J’y avais vu des tags de Boxer et Bando. J’ai suivi la trace et après j’ai vu les graffs. J’y suis allé quelques fois mais j’ai arrêté parce que j’ai eu une embrouille avec des mecs qui n’avaient rien à foutre là. Je ne me suis pas fait agressé mais j’ai flippé parce que j’étais tout seul. J’ai eu du mal à y retourner. J’y suis un peu retourné après quand il y avait les fêtes et puis j’étais à Ticaret tout le temps.

DWT : Te souviens-tu de la captation de concert d’Assassin que tu avais « réalisé » en 1993 à l’Olympia ?
Mathieu Kassovitz : Ouais. Je me souviens mais je fais du cinéma, je ne suis pas reporter. Je préfère danser. Je me suis rendu compte que c’était une galère de faire ça. C’est un vrai boulot. Filmer des concerts, j’en rien à foutre. Et en plus les mecs ne payaient pas.

DWT : Quelques temps après, le projet de film La Haine se met en route. Quel est l’état d’esprit et l’idée de départ ?
Mathieu Kassovitz : Ce qui a inspiré La Haine, c’est la mort d’un jeune homme de 17 ans qui s’appelait Makomé, tué dans un commissariat en 1993. J’étais présent aux manifestations comme une fois où les policiers ont viré les mères. Ca chauffait. A un moment, les flics ont dit ça suffit. 30 condés en civils sont sortis de derrière les cordons de CRS avec des bâtons, des manches de pioches et ont commencé à taper sur tout ce qu’ils trouvaient. Ca cavalait dans tous les sens. Le seul qui est resté devant tout le monde, c’était Lucien (rires). Ces années étaient violentes. Il ne faut pas oublier qu’à notre époque, on avait la brigade des voltigeurs, les skinheads, Serge Ayoub dans les rues… Qu’un flic pète un câble parce qu’il a un problème dans sa vie ou qu’il est sous l’emprise de la drogue, qu’il tire sur un môme et qu’il le tue… Problème… Problème parce qu’il est deux fois plus responsable. Il est policier, il est armé. Il devrait prendre une peine deux fois plus grande. Si c’était ça la justice, je dirais ok, très bien. Mais il y a une forme d’impunité. Quand tu vois ça et que ça se passe 3, 4 fois et que c’était maintenant la 6ème fois… Je me suis posé des questions lors de cette manifestation. Les flics auraient dû laisser les mamans, dont la maman de Makomé, mais aussi le frère de Makomé, ses cousins, faire ce sitting sans violence. Au lieu de ça, ils ont dégagé tout le monde. Et il s’est passé un truc grave. Ils n’ont pas hésité à viré la mère de Makomé. Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic ! J’ai vu que le mec ne l’a pas fait. Je me suis alors posé deux questions : comment un flic peut commencer et finir sa journée en tirant dans la tête d’un jeune ? Qu’est ce qui s’est passé dans sa vie pour que ça aille aussi loin ? Et comment un môme peut se réveiller le matin et recevoir une balle dans la tête le soir ? Dans La Haine, les trente dernières secondes sont les plus importantes. Ma problématique, c’est les bavures policières. J’aurai pu faire de la bavure policière en campagne. J’aurai pu faire la vie d’un gendarme qui boit trop et qui bat sa femme. J’ai fait une histoire dans une banlieue qui n’était pas définie, imaginaire, avec trois mecs, représentants d’une génération dans un ensemble. Makomé n’est pas cité. Je n’ai pas dit que c’était son histoire. Quand je l’ai fait, je me suis plutôt demandé « qu’est ce qu’il se passe dans ma tête si mon meilleur ami se fait buter par un flic ? Comment je vais réagir ? » Moi, tout de suite, je te dis que j’ai envie de tuer. Mais avec du recul, tu ne le fais pas. Pourquoi les mecs à qui ça arrive ne le font pas ?

Quand j’ai vu le frère de Makomé dire devant les flics « je vais prendre un flingue, je vais vous tuer », on s’est dit qu’il allait le faire. J’aurai été son frère, j’aurai pris un pompe, je serai revenu et j’aurai tiré dans le tas. On vient de tuer mon frère ? Je tue un flic !

DWT : Tu es fier de ce film et de ce qu’il a véhiculé comme message ?
Mathieu Kassovitz : Bien sur que j’en suis fier. Il faut être violent face à la violence institutionnalisée, Il faut être violent face aux gens qui n’ont pas le droit d’être violent contre toi. L’Etat n’a pas le droit d’être violent contre toi, la police n’a pas le droit d’être violente contre toi. Si un policier met la main sur toi et qu’il n’a pas le droit, tu n’es pas seulement dans le droit mais dans le devoir de lui dire qu’il a tord. Quand tu es témoin de ça, tu ne peux pas laisser faire. Les politiciens et les policiers sont beaucoup plus responsables car ils acceptent de prendre la responsabilité de protéger les citoyens. Protéger son prochain, est le métier d’un policier. Il a une arme, il connait la loi, c’est un métier. Quand quelqu’un outrepasse ses droits pour imposer sa loi personnelle aux autres, il faut pouvoir se battre contre ça. Le moyen que j’ai eu de me battre contre ça, c’est de faire un film.

DWT : La même année marque également la sortie du premier film de Jean-François Richet, État des lieux, mais aussi Raï… Une sorte de vague de films de banlieue… Quelles avaient été tes réactions ?
Mathieu Kassovitz : État des Lieux (1995), c’était marrant parce que c’était indépendant, mais c’est beaucoup plus fantasmé que n’importe quel autre film. L’autre Tabata Cash dans Raï(1995) avec son tatouage néo-nazi caché sur le sein et qui faisait une rebeu de cité, ça, j’ai pas compris. Quand La Haine est sorti, les mecs me parlaient d’éthique ! Je leur disait les gars, allez voir les films ! Et je ne parle même pas de mise en scène ou d’art cinématographique, juste du contenu ! Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite. Moi, j’ai un sujet et tout le monde s’en souvient parce qu’il était inspiré et qu’il était juste. Et tout simplement universel.

Dans La Haine, j’avais un sujet très précis que j’ai tenu de A à Z. Si tu peux me dire le sujet de Raï, je te félicite. Si tu peux me dire le sujet de M6T Va Cracker, je te félicite.

DWT : En fonction de notre vécu de banlieusards de Seine Saint-Denis, limitrophe de Paris, on a pour notre part découvert un film limite caricatural, avec des clichés et pas mal de choses qui clochent, comme la scène de la galerie ou encore le personnage de Vince, qui rentre par effraction à 27 ans dans une voiture pour essayer de la voler, accompagné de ses amis de toujours, alors que personne ne sait comment faire et qu’aucun d’entre eux n’est capable de l’anticiper… Dans nos coins, les « voleurs de voiture » avaient 14 ans et c’était des pilotes hors pair avant l’âge du permis !
Mathieu Kassovitz : Je ne pense pas que dans le film, tu penses à un instant que Vincent a 27 ans. Personne ne m’a fait cette remarque avant. C’est la première fois de ma vie que j’entends cette critique. Le soir où tu es bourré et que tu veux voler une voiture avec des copains, qu’est-ce qu’il va se passer ? J’ai déjà essayé de voler une voiture, je n’ai pas réussi alors je suis reparti. Le mec bourré qui arrive à la porte, je l’ai vécu. Le but n’est pas là et puis je trouve que Vincent a fait un bon boulot en ne passant pas pour un mec de 27 ans. On l’a tourné en plus quand il avait plutôt 24/25 ans. Et puis excusez-moi mais des mecs de 32 ans sans chico et qui ne savent rien faire dans les quartiers, j’en connais pas mal. J’aurai pu mettre un vieux, un jeune, un grand, peu importe. Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. Les rappeurs, les danseurs et les trous du cul qui se disent être les plus hardcore pendant des années mais qui ne le sont pas ne m’intéressent pas. Cela n’a jamais existé dans le hip hop. Ce film a une légitimité sociale, artistique et cinématographique mais les gens qui me disent : « ce n’est pas ma banlieue », je leur dit que je le sais bien. J’aurai fait mon film comme les autres, personne ne serait allé le voir. Quand j’ai pris Vincent Cassel dans le film, c’est parce que j’avais besoin d’un petit bourgeois pour que les journalistes se disent « putain le fils de Jean-Pierre Cassel qui fait des trucs comme ça ! » et qu’il me fasse rentrer en salle des gens qui n’auraient pas été voir le film sans lui. Si j’aurai fait le film comme il fallait le faire, personne ne serait allé le voir. Si tu racontes réellement comment cela se passe dans un quartier, les gens vont être dégoutés et personne n’ira le voir. Les mecs de quartiers aux États-Unis font la une des journaux et gagnent 400 millions de dollars par an. Les mecs de quartiers d’ici, si tu ne vas pas chez eux, tu ne les connaîtras pas. Si tu veux introduire la vie des gens de quartier sous le nez de ceux qui n’ont rien à voir avec ça, il faut leur faciliter le chemin. Le choix du noir et blanc facilite, le côté intellectuel modéré facilite, Vincent Cassel facilite, un arabe, un noir et un blanc, ça facilite… (grand sourire).  C’est un film intelligent (rires). Il n’était pas marqueté mais bien inspiré. Il a été fait intelligemment parce que j’avais une conviction politique et que je connaissais le message du film.

Le film n’a aucune crédibilité et il n’en a aucune à avoir. La street credibility ne concerne que le mec qui tient son coin de rue et qui vend sa drogue. Si un autre vient, il lui tire dessus parce que c’est sa crédibilité et son travail. (…) Assassin(s) est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.

DWT : Pour la présentation de La Haine au festival de Cannes, tu refuses de monter les marches en smoking. Pourquoi cette prise de position ?
Mathieu Kassovitz : Je suis monté en sweat-shirt Champion parce qu’on représentait La Haine et qu’on n’allait pas commencer à faire comme tout le monde. On ne pouvait pas aller chercher le prix autrement. Dans ma tête, ça ne fonctionnait pas comme ça. Je leur ai dit que c’était un film sur les quartiers, alors on monte comme on est.

DWT : Es-tu également allé en banlieue pour y reverser de l’argent ou aider financièrement des familles en lutte sur ces problématiques de bavures policières ?
Mathieu Kassovitz : Ouais bien sûr. Déjà, avec mon argent personnel. On beaucoup travaillé avec Chanteloup-les-Vignes (ndlr : lieu principal de tournage du film La Haine), pendant presque 10 ans. J’ai arrêté parce que c’est loin et trop compliqué. C’est vraiment un endroit spécial. Tous les ans, on achetait du matériel scolaire pour la rentrée.

DWT : Il y a d’ailleurs eu des incidents là-bas cette semaine, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Mathieu Kassovitz : J’ai vu ça. J’ai reçu le message. J’ai juste refermé mon téléphone et j’ai continué à regarder la télé. De toute façon, c’est l’horreur. Ca va prendre une telle dimension !

DWT : Si La Haine était à refaire que changerais-tu dans le contexte de l’époque et celui d’aujourd’hui ? Pourquoi n’y a t-il pas eu de suite ?
Mathieu Kassovitz : Car elle serait cent fois plus violente. Comme je sais exactement ce que je veux faire, je sais que la suite ne passerait nulle part.

DWT : Vous aviez produit une bande-originale très réussie en parallèle du film. Quel est ton titre préféré dessus ?
Mathieu Kassovitz : Le morceau La 25ème image d’IAM est super beau. Je ne suis pas IAM mais c’est vrai que j’aime bien ce morceau. Assassin avec L’Etat Assassine aussi. Et puis Mon Esprit part en Couilles d’Expression Direkt, ça c’est mortel, c’est un classique. On a bien fait notre boulot non ? Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça. Je vous le dis, ce film a été fait d’une manière très éthique. C’est pour ça qui est reconnu aujourd’hui. Partout où je vais dans le monde, c’est du délire.

Je vais vous dire, on a bien fait notre boulot et on l’a fait éthiquement. Très important. Il y a très peu de gens qui peuvent se vanter de dire ça.

DWT : Tu n’as pas eu dans l’idée de célébrer le 20ème anniversaire du film avec une soirée événement par exemple, avec tous les acteurs ?
Mathieu Kassovitz : Je n’aime pas ce genre de truc. Le seul truc, s’il y a une célébration, c’est de faire la suite. Qu’est ce que j’en ai à foutre ? Les gens ne vont pas payer 15 euros pour voir ça, ils l’ont déjà vu en DVD ou à la télé. En plus, je vous garanti que personne ne viendrait. On laisse ça à Trois Hommes et un Couffin. Je ne vais pas surfer sur un succès et gagner de l’argent sur les banlieues sans raison. Le film que j’ai fait ensuite, Assassin(s), reste une réaction de ce que j’ai subi avec les journalistes sur La Haine. C’est d’ailleurs un film beaucoup plus hip hop que La Haine.

DWT : Selon toi, pourquoi n’avons nous pas de filmographie digne de ce nom sur l’histoire du hip hop en France ?Où sont nos Wild Style ou nos Beat Street ?
Mathieu Kassovitz : Parce qu’il n’y a pas de créateurs en France. Il y a des mecs qui veulent faire des trucs, j’entends parler de projets tout le temps, je vois, même quand je suis branché sur facebook. Ce sont des jeunes qui n’ont pas vécu les choses à l’époque. Et dans les mecs qui ont vécu des choses à l’époque, aujourd’hui, il n’y a que moi. J’ai vraiment envie de faire un truc, je me pose la question. Il y a très peu de témoins de la première génération. J’ai vu les premiers mecs faire du break devant l’entrée des Bains-Douches et des gens qui se demandaient qu’est-ce que c’était quand on dansait dans Les Halles.

Bonus :La question surprise posée ce mois-ci par Sear :Quand reconnaîtras-tu ton pompage des films de Spike Lee ?
Mathieu Kassovitz : Ok (rires) je ne l’ai jamais croisé Sear. Déjà parce que Sear est un idiot, vous lui direz de ma part (rires) et qu’il n’a pas lu les bonnes interviews. Ou il les a lu mais il fait semblant pour avoir son avis. J’ai dit tout de suite dans mes premières interviews que je m’étais inspiré de Spike Lee et que j’étais fan de Spike Lee, de Nola Darling et Do The Right Thing. Après, je trouve que Spike Lee a fait de la merde. Malheureusement, ce que je reproche à Sear et à des mecs comme ça, c’est d’avoir une idée très monolithique du hip hop. Il y a des mecs qui ont cassé les codes du hip hop, même en peura. Il y a eu une époque où on était à fond avec des « qu’est ce que c’est d’être le plus hardcore ? ». C’était mortel parce que j’étais super énervé et que je suis encore comme ça aujourd’hui. Mais heureusement qu’il y a eu des mecs qui sont sorti de là et qui ont élevé le débat. On en avait vraiment besoin. Pas assez finalement et c’est dommage car à part quelques talentueuses personnes qui sortent des lyrics fun, ce n’est pas d’Assassin dont je vais prendre des leçons, ni de Mathias Crochon. A l’époque du groupe Assassin, ils ont fait un des plus beaux albums du rap français avec Le Futur Que Nous Réserve t-il ? (Volume 1 et 2). J’ai participé à toute la fabrication avec eux. On allait coller des affiches de concert comme en Belgique où c’est moi qui conduisait parce que j’étais le seul à avoir le permis. J’ai collé avec eux mais ça m’a très vite saoulé et surtout, je travaillais le matin. C’était une époque mortelle. Malheureusement, il s’est pris au sérieux Joe. Quand c’était la fin d’Assassin, il fallait arrêter Assassin. Je n’ai pas compris qu’il continue à s’appeler Assassin. Il faut évoluer avec son époque. Ce n’était pas son fond de commerce à l’époque parce qu’il y avait une créativité énorme. C’était plutôt assez juste, assez fort, ils tenaient le coup. Après, quand Squat est rentré dans le truc des pourcentages… Il faut le connaître un minimum, tu ne peux pas dire n’importe quoi parce que tu as lu trois bouquins. J’adore les bourgeois qui se révoltent. Il devrait s’abstenir de dire « 82% des femmes ne pourront pas manger de riz ce soir », « 23% de la population… ». Tu dis des conneries mec et puis surtout tu n’y connais rien. A posteriori, j’ai grandi avec beaucoup de vrais mecs dans le hip hop comme Solo qui ne sont pas forcément les mecs qui ont eu le plus de succès mais qui sont des vrais, purs et durs, à tous les niveaux, même humainement. J’ai rencontré plein des mecs bien dans le hip hop, c’est eux qui m’ont construit. Et je suis tombé sur des petites salopes aussi. Des gens qui disent quelque chose qu’ils ne sont pas ou qu’ils sont mais pour de mauvaises raisons…

Sear Get Busy, signataire radical

Interviews
assassin, ntm, Sear

On parlera de musique mais ça ne représentera que 10 % du contenu. Les gens restent focalisé sur l’époque du fanzine parce que c’est mythique et que c’est leur jeunesse. Mais on a fait des trucs vachement plus intéressants après et c’est de cette manière qu’on veut revenir.

Personne ne voulait y croire malgré nos différentes annonces. Il est vrai que le 1er avril comme date de lancement, ça pouvait prêter à confusion ! Mais c’est maintenant plus clair : bienvenue sur l’entité Get Busy, le meilleur magazine du monde… et de ses alentours ! Branchez-vous sans plus attendre avec celui qui va par le nom de Sear, co-fondateur de Get Busy, premier journal entièrement dédié au hip hop créé en juin 1990. Pour le retour en ligne de Get Busy, l’ancien dionysien figé en Fila revient sur ses motivations et nous livre une analyse tranchée de cette culture mais aussi un regard percutant sur ceux qui en ont forgé les premières heures. Les dizaines et les dizaines de lignes qui suivent planteront le décor de la ligne éditoriale qui vous attend : ça disperse, ça ventile… même si l’ordonnance aurait pu être bien plus sévère !

Down With This : Comment as-tu découvert la culture hip hop à ses débuts en France ? Cela n’a pas du être facile à attraper du fin fond de Saint-Denis…
Sear : J’étais un spectateur vraiment passionné. J’avais toutes les infos car j’écoutais énormément de radio mais je ne connaissais personne. Sur RDH, il y avait Dee Nasty qui s’appelait à cette époque Speedy Dan 1 avec le frère de Salim Beat Box et Ben, qui était le premier à rapper façon Grand Master Flash. J’écoutais aussi Radio 7, un mec qui s’appelait RLP, Robert Levy Provençale. Il mixait de la soul. Un jour, il a invité Dee Nasty qui avait ramené des nouveaux sons d’enculés, c’était l’époque Duke Booty avec les tous premiers Fat Boys, les premier Ice T qui sonnaient hyper east coast, super vénére. Dee Nasty a eu tellement de succès qu’il a commencé à l’inviter une fois par mois. Tout ça, ça s’est passé dans un mouchoir de poche temporel. Deenasty faisait aussi un fanzine avec mec de Saint-Denis, « Street kids News » et pour en avoir eu un dans les mains, je peux dire que c’était vraiment mortel à l’époque. J’ai entendu parler du terrain en 1986 mais j’ai du y mettre les pieds 4 fois maximum. J’ai même une photo de moi là-bas (ndlr : voir ci-dessous) avec mes Tobacco, un Tacchini et une touf de frisés (rires). J’étais habillé en reurti, je n’avais pas de Puma en daim ou des trucs comme ça. C’était pour ceux qui pouvaient aller à New York ou qui avaient des potes qui ramenaient des trucs de là-bas. J’étais passé en métro, on voyait les graffs mais je ne savais pas par où  rentrer. En fait, c’était derrière. J’avais eu l’info par Joyce, un mec de Saint-Denis qui était à fond dedans. Il trainait avec Majesty, un TCG, une figure du terrain. C’était comme ça qu’on fonctionnait à l’époque pour obtenir des infos, sans les portables ou facebook. J’ai atterri là-bas le jour où Solo s’était embrouillé avec Joël de Timide et Sans Complexe. Solo se faisait chambrer par Joël parce qu’il avait une minerve. C’est là que j’ai vu qui était qui parce qu’avant, je ne connaissais personne. Après, j’ai surtout bougé avec Reso et Crazy JM puis par extension les IZB et un peu les 93MC. Il faut démystifier le truc comme quoi tout le monde allait au terrain. Il y avait des mecs en banlieue qui étaient de vrais passionnés, avec une vraie culture musicale mais qui n’ont jamais mis les pieds dans ces trucs-là.

Il faut démystifier le truc comme quoi tout le monde allait au terrain. Il y avait des mecs en banlieue qui étaient de vrais passionnés, avec une vraie culture musicale mais qui n’ont jamais mis les pieds dans ces trucs-là.

Queen Candy le dit elle même. Elle était de La Courneuve et elle en avait rien à foutre ! Le Globo, c’est pareil, j’ai du y aller que 3 ou 4 fois mais je suis toujours bien tombé comme la fois avec Public Enemy ou une autre fois avec Afrika Bambaataa. Il y avait déjà à l’époque une sorte de petite bourgeoisie de parisiens ou de gens connectés avec ces parisiens qui voulaient se constituer en élite. L’émission d’Alain Maneval qui était passé sur TF1 a été déterminante également. J’avais rien compris, les trucs de Bambaataa, c’était chelou pour moi parce que les seuls trucs qu’on connaissait à l’époque dans le délire, c’était Kurtis Blow. Par contre, les Rock Steady Crew et le la phase de Mr Freeze m’avaient interpellé. On ne parlait que de ça le lendemain. Autre truc marquant, c’était les événements « Fêtes et Fort » à Aubervilliers. Il y en a eu une aussi aux Francs-Moisins et une autre au Fort de l’Est. Solo était venu avec les nouveaux PCB avec Nicolas dedans. C’est là que j’ai vu que ce truc de hip hop continuait après la fin de l’émission H.I.P. H.O.P. de Sydney.

Sear, terrain vague de La Chapelle / Stalingrad, vers 1986 – Archive personnelle © Sear

DWT : Vu l’effervescence dans ta ville à la fin des années 1980, Saint-Denis a t-il été le berceau du hip hop en France selon toi ?
Sear : Saint-Denis est bien évidement une ville historique du hip hop en France mais bizarrement, il n’y a pas eu tant de rappeurs que ça. Si tu regardes Vitry, il y en a eu beaucoup plus que chez nous en vérité. Mais à Saint-Denis, il y avait une espèce de dream team avec NTM, les Aktuel et après Get Busy. C’est un concours de circonstances comme les rencontres sur le hip hop organisées à l’Université Paris VIII par George Lapassade, Desdemone Bardin, Jackie Lafortune… Bon Jackie disait que Mode2 c’était de la merde et que André ça tuait mais ce n’est pas grave (rires). Mais c’était à Saint-Denis que ça se passait et que c’était médiatisé. J’en parlais une fois avec Dj Mehdi (RIP) qui était persuadé que les NTM, les Assassin et nous, traînions tout le temps ensemble et que tout se passait à Saint-Denis. Mais concrètement, cela ne s’est jamais passé comme ça. Je n’ai pas grandi avec Shen, ni avec NTM. Ils ne nous calculaient pas et on ne leur courrait pas après non plus. Après, il y a eu les 93MC qui étaient dans un autre délire. On peut dire que Reso a joué un rôle de transmission. Il venait de Sarcelles à la base. Il traînait avec Dark le graffeur et était déjà dans la culture du tag. Reso s’est ensuite retrouvé à l’école avec Kea et Swen (93MC) et leur a montré tout ça. Pour ma part, j’ai eu une vie, une avant, quand j’ai connu le hip hop et une après, avec Get Busy.

A Saint-Denis, il y avait une espèce de dream team avec NTM, les Aktuel et après Get Busy. C’est un concours de circonstances.

DWT : Peux-tu nous décrire le contexte environnemental et social dans lequel tu as grandi ?
Sear : Mes plus belles années ont commencé par une vie normale (rires). C’était chez une nourrice dans le 78. Mes parents m’ont ensuite récupéré, on s’est retrouvés à la Plaine Saint-Denis et c’est devenu une toute autre histoire ! Un logement insalubre, sans salle de bain, avec les toilettes sur le palier. C’était la friche Gaz de France où il y a le Stade de France maintenant. Mes parents ont beaucoup bougé à un moment. En 1970-1972, ils ont même tenu un bar en Normandie. Mais moins de 10 ans après la guerre d’Algérie, l’ambiance n’était pas terrible. Quand j’allais chercher du lait, on me disait non car mon père était un « sale bougnoule ». On ressentait vraiment le racisme. On s’est carrément fait chassé et on a été obligé de partir. Donc la Plaine Saint-Denis puis arrrivé aux Francs Moisins à Saint-Denis, c’était un autre délire, un truc de ouf : un F4 tout neuf alors qu’on était 3 ! Un ascenseur, un vide ordures, une baignoire, des espaces verts, des toboggans, c’était mortel ! Il y avait encore des constructions tout autour du quartier avec des grues. Le bâtiment où j’ai grandi, bâtiment 7, escalier 12, aux Francs-Moisins était majoritairement composé de kabyles. C’était un village, Tout le monde se connaissait. On a par la suite eu des noms de rues pour que les gens puissent mettre des adresses  « non pénalisantes » dans leurs CV. Dans les années 70-80, c’était un autre environnement qu’aujourd’hui. Ça grouillait dans tous les sens avec pleins de gosses partout. Il y avait beaucoup de rebeus. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de renois, juste des antillais et quelques africains. Il y avait surtout des portugais, des italiens et des prolos français. Côté ambiance, ça allait encore car il y avait du boulot. C’est parti en vrille quand les ouvriers se sont mis à faire des gosses ou demander le regroupement familial. On s’est vite rendu compte que ces cités n’avaient pas été conçues pour être des lieux de vies.

C’est parti en vrille quand les ouvriers se sont mis à faire des gosses ou demander le regroupement familial. On s’est vite rendu compte que ces cités n’avaient pas été conçues pour être des lieux de vies.

De toute façon, c’étaient des constructions destinées uniquement à y faire dormir les gens après le boulot. Ce n’était pas fait non plus pour que les enfants y grandissent, même avec des toboggans (rires). On n’avait que des tours autour de nous. La conception en elle même n’était pas saine. La vue de ma chambre a longtemps été l’usine de Charcuterie et des caravanes de gitans sur le parking. Au loin, je voyais la Tour Eiffel et le Sacré Cœur avec la maison à Rockin’ Squat (rires). Il y avait une autre ambiance à Saint-Denis. Quand on était petit, on prenait le 170 pour aller à Basilique, c’était un trip. On se disait « on va à Saint-Denis ! » alors qu’on y habitait (rires). Les gens venaient de loin pour y faire leurs courses, il y avait des magasins qui vendaient des costards Saint-Laurent ou Pierre Cardin, des traiteurs français, des putains de pâtisseries, etc… On a de bons souvenirs. Ca a bien changé, c’est très « ghetto » maintenant, et tout tire vers le bas.

DWT : Parle-nous de tes origines atypiques de kabylo-yougoslave…
Sear : Bizarrement, j’ai toujours eu un lien avec l’Algérie car j’ai plutôt côtoyé la famille du côté de mon père que de ma mère, qui était d’ex-Yougoslavie. Mon père était de la région de Tizi Ouzou, vers Beni Aïssi, les villages d’Ighil Bouzerou et Tighzert. J’y suis retourné il y a quelques mois pour lui faire plaisir mais ça faisait 40 ans que je n’y avais pas mis les pieds, avec un sentiment partagé, en m’y sentant à la fois étranger et pourtant bien chez moi aussi. Je ne connais pas la famille du côté de ma mère à part mon grand-père que j’ai connu vers la fin. Je ne suis donc pas très « famille ». Plus jeune, je ne connaissais que les oncles du côté de mon père. Quand tu es jeune, tu t’attaches plus d’un coté qu’un à autre et t’es forgé par ton environ. J’avais donc des préjugés, je n’avais pas de potes français. J’ai rencontré mon premier vrai pote français, Reso, grâce au hip hop. Dans une cité, tu vis souvent en vase clos.

DWT : Au sortir des années noires de l’héroïne qui avaient ravagé la Seine Saint-Denis dans les années 1980, penses-tu que ce truc de hip hop naissant apportait un bol d’air pour la nouvelle génération comme il avait réussi à l’apporter dans le Bronx ?
Sear : Je ne rentre pas dans les comparaisons comme ça. Le hip hop est né là-bas, il n’est pas né en Seine Saint-Denis. Il y avait des trucs aussi dans le 94. Après, c’est vrai que forcément dans les années 1980, il n’y avait pas grand chose pour nous, mais ce n’était pas valable pour tout le monde. Pour des mecs comme moi, oui ça été salvateur, parce que dans le milieu des années 1980, la vie en cité, c’était déjà pas terrible. Je n’aimais déjà pas l’ambiance qui commençait à s’y installer. Donc le hip hop m’a fait sortit de la cage d’escalier. Mais à l’époque, beaucoup de mecs de cité se foutaient de la gueule de ceux qui étaient dans le hip hop. Ce n’est donc pas non plus toute la banlieue qui s’était jeté dedans à cette époque.

TWK (fin des années 1980) – Archive personnelle © Sear

Interview Ice Cube (début des années 1990) – Photo © Alain « MasterFlash » Garnier

DWT : Tu glisses quelques temps après dans une forme d’activisme assez prononcée en lançant un fanzine hip hop devenu mythique, Get Busy. Comment s’est organisé le lancement ?
Sear : Je ne sais même plus ! (rires)… On était des B-Boyistes. On l’a fait par réactions aux conneries de la presse de l’époque. On avait un crew sur Saint-Denis, les TWK avec Reso et Eros dedans. A ce moment, il y avait deux groupes là-bas : 93 MC qui étaient pleins, et nous, TWK, qui étions un peu plus âgés. Ce sont des concours de circonstance même si ça parait évident. J’ai rencontré un jour Crazy JM (ndlr : membre des IZB, organisateurs des premiers concerts de rappeurs US) dans le métro, sur la ligne 13 où tu pouvais y voir des tags de son crew. Il parlait à tout le monde avec 40 conversations à la fois. Il faisait des grands discours hyper chiants et tractait des messages sur le mouvement (rires). Il était IZB, de Saint-Ouen, à côté de chez nous donc on se croisait souvent. On se donnait rendez-vous à la Gare du Nord, en haut où il y avait les trains gris, et on se retrouvait à une trentaine de tagueurs. Après ça, je me retrouve à faire plein de trucs avec les IZB. Un jour, JM me parle de Texaco qui était vendeur à Virgin et me le ramène. C’est là que l’idée de faire un magazine arrive. Le projet voit le jour avec Texaco, JM, Angelo et moi. JM brassait tellement de monde que la moitié des IZB, je ne les connaissais même pas ! Je ne voulais pas les connaître d’ailleurs. Autant les NTM avaient leur coté élitiste que JM, c’était tout l’inverse, il ne méprisait personne et il engrenait tout le monde. C’est un mec qui a joué un rôle important malgré qu’il soit sous-estimé par rapport à l’influence qu’il a eu. Après, pour Get Busy, tout le monde a commencé a ramener ses potes. C’est ainsi que Reso est entré. Le nom avait été trouvé par Mehdi, un pote à JM. Ce mec ne payait pas de mine avec ses chaussures bateau et son attaché caisse mais c’était en réalité un des plus gros connaisseurs de son sur la place de Paris. On a donc sorti le numéro 0, que je n’ai même plus d’ailleurs (ndlr : nous si !), il n’y avait que 8 pages. On en avait photocopié 150 exemplaires à l’œil grâce à une copine et on était parti les agrafer au Free Time de Châtelet. On les avait tous distribué gratuitement à Bobino pendant une des soirées Zoopsy. Rien n’était vraiment calculé. N’importe qui pouvait être plus ou moins Get Busy et d’ailleurs il y a bien eu n’importe qui (rires).

DWT : Comme dans tout organe de presse, les anciens membres de l’équipe avaient-ils un droit de réponse sur les « mots doux » qui étaient publiés sur eux ?
Sear : Personne ne nous a jamais rien demandé.

DWT : Es-tu prêt à t’excuser auprès d’eux sur ce que tu as pu écrire à leur sujet ?
Sear : Pas du tout, aucune excuse ! (rires). Franchement, il n’y en a aucun qu’on a regretté. Ils ne nous ont jamais manqué après qu’on les ait virés. Alain Garnier, le photographe, c’est autre chose, c’est une victime co-latérale (rires). Pour les photos, on a eu Xavier De Nauw après parce qu’on avait pas trop le choix. J’avais du mal avec lui au début mais il nous a bien aidé. Après, on a eu Armen qui est devenu un ami et avec qui j’ai pu faire beaucoup d’interview. Avec du recul, c’est facile à dire mais il y aurait un milliard de trucs qu’on aurait du faire autrement.

DWT : Quels étaient les chiffres de vente de Get Busy ?
Sear : On tournait à 2 000 exemplaires environ. Avec un fanzine, tu ne peux pas aller beaucoup plus haut. Tu en mets à Ticaret, à Ekirok, tu essaies d’en envoyer en province, à tes abonnés et puis voilà, t’as fait le tour.

Les limites du fanzinat m’avaient usé. (…) Le problème général, c’est que l’on n’a pas su créer d’alternatives face aux gros médias qui arrivaient. (…) Il faut dire aussi que dans le hip hop, à tous les niveaux, ce sont des égos, des rivalités et des embrouilles puériles.

DWT : Pourquoi l’arrêt de la « version fanzine » du titre en 1995 ?
Sear : Apres 10 numéros, ce fanzine et les embrouilles internes m’avaient usé. Les limites du fanzinat m’avaient usé aussi. C’était les débuts de la presse rap avec qui on ne pouvait pas lutter. Il y a eu aussi un renouveau du rap français que je n’ai pas capté tout de suite. Le problème général, c’est que l’on n’a pas su créer d’alternatives face aux gros médias qui arrivaient. Nos fanzines auraient pu subsister si les rappeurs avaient été plus solidaires plutôt que de fonctionner à court terme. Après, il faut dire aussi que dans le hip hop, à tous les niveaux, ce sont des égos, des rivalités et des embrouilles puériles. Le truc aussi, c’est que l’amitié entre artistes et journalistes, cela ne donne jamais des trucs bien. Ca part toujours en couille. Tu peux être le meilleur journaliste de la terre quand tu es d’accord avec mais tu seras toujours un enculé ou un traitre le jour où tu ne seras plus d’accord avec, comme ça a été le cas avec vous et Squat ou moi et Kool Shen. Bon, on était tous jeunes aussi.

Kast, Fame, Kool Shen et Joey Starr (NTM), Reso, Sear (vers 1990) – Archive personnelle © Sear

DWT : Justement, à propos de NTM, tu as pas mal gravité autour de ce groupe. Est-ce pour cela que Kool Shen estime que sans leur intervention auprès d’EPIC / SONY tu n’aurais jamais pu monter le magazine Authentik ?
Sear : On va rectifier ça tout de suite. C’est le management du groupe qui m’a appelé pour faire Authentik. Bruno (Kool Shen) n’est jamais venu pour me donner un travail. J’ai arrêté Get Busy (version fanzine) en 1995. Authentik est apparu en 1998. Durant ces trois années pas faciles, Kool Shen n’est jamais venu me proposer quoi que ce soit. Il y avait déjà une espèce de froid entre lui et moi du fait que l’on n’avait pas été élogieux sur leur troisième album. L’idée d’Authentik, c’est le manager de NTM qui l’a eu. Il voulait quelqu’un qui avait le profil et la crédibilité. Il n’allait pas demander ça à Cachin. Dans leur délire d’image, il fallait quelqu’un avec un crédit mais cela n’a jamais été du style « tiens on va donner du boulot à notre pote Sear ». Get Busy avait déjà sa réputation. On venait de Saint Denis, il y avait une connexion. De ce côté la, je ne lui dois rien. Ils avaient d’ailleurs d’autres potes plus proches d’eux. Ils sont venus me chercher pour mes compétences et faire ce travail. Et il a été plus que bien fait. Pour être encore plus précis, il ne devait y avoir qu’un numéro mais l’accueil qu’a reçu le mag a été si bon qu’on en fait trois numéros au final. Le magazine était auto-financé par la pub. Un numéro a même dégagé un petit bénéfice et un autre a perdu un peu d’argent, donc au frais de Sony et pour un montant qui n’a rien de grave au regard du coup de pub que ça a fait. Après, Epic a eu un nouveau patron, Thierry Chassagne et il n’a pas voulu continuer Authentik. Le management de NTM voulait eux le continuer et s’allier à un groupe de presse. Moi, j’ai dit que j’arrêterai après le troisième. Je ne voulais pas rester lié à un groupe. Pourtant c’était financièrement bien plus confortable que Get Busy,  comme quoi.

NTM n’a pas fait d’aide sociale avec moi. Ils l’ont peut être fait avec d’autres potes à eux avec qui ils ont voulu s’encanailler mais pas avec moi.

DWT : Le magazine Authentik faisait donc dans le publi-rédactionnel ?
Sear : C’était une commande (rires). On a fait trois numéros. C’était le magazine des NTM. Le seul impératif qu’on avait, c’était une interview d’eux, ce que d’ailleurs tous les autres magazines de l’époque faisaient aussi ! Le fait est que NTM intervenait dans le sommaire. C’est tout. Mais j’y ai fait à 90% tout ce que je voulais comme je le voulais et on a fait de bons sujets. Joey s’était vraiment pris au truc et il avait kiffé le faire. J’ai tapé des bons délires et des bons moments avec lui à ce moment là. Je l’ai apprécié humainement, c’est pour ça que je ne peux pas vraiment le haïr. Je pourrai lui reprocher pleins de choses. Il a un côté plus humain que l’autre même si c’est un grand manipulateur aussi. Mais lui contrairement à ce qu’on pourrait croire, Joey a toujours mieux accepté les critiques que Shen. Mais, ils n’ont pas fait d’aide sociale avec moi. Ils l’ont peut être fait avec d’autres potes à eux avec qui ils ont voulu s’encanailler mais pas avec moi. Encore une fois, j’ai été payé pour un travail que j’ai bien fait, j’ai donné un ton et une âme ce magazine et ça a dépassé les objectifs de départ. Les NTM y ont largement trouvé leur compte. Et au delà de ça, ça reste un très bon magazine. Indirectement c’est le magazine qui a amené Alain Chabat à co-produire leur documentaire. Il les a reçu à « La Grosse Emission » sur Comédie. Chabat a fait l’éloge du magazine et leur a dit qu’il aimerait en faire une adaptation télé. En voyant ça, j’ai appelé Nardone. Eux cherchaient une boite de prod, car on avait plus de 100 heures de rushs vidéo que j’avais filmé lors de la dernière tournée et à leurs cotés. Au final l’adaptation télé du magazine est tombée aux oubliettes mais Chabat a produit Authentiques, le docu.

DWT : Pour l’avoir vécu de l’intérieur, comment as-tu perçu l’émergence du groupe NTM à leurs débuts ?
Sear : Quand les 93MC ont fait alliance avec NTM, je leur ai dit qu’ils se faisaient carotter car ils avaient déjà tout déchirer. L’histoire, c’est qu’un jour Shen a taggué 93MC. Kea était allé le voir pour lui demander pourquoi et ils se sont fait embobiner pour fusionner. Nous, On se retrouvait tous au Carrefour de Saint-Denis. Shen, on le voyait passer mais il ne disait bonjour à personne. On ne le connaissait pas. Il habitait à la Montjoie, une co-propriété de Saint-Denis. Ses parents n’étaient pas de gros bourgeois, ce sont des gens qui ont travaillé, mais à l’échelle de Saint-Denis, ça allait, comparé à nous qui vivions presque tous en cité. Ce n’était pas la même chose. Petite anecdote à ce sujet, Bruno (Kool Shen) me disait « cet enculé de Squat joue au tennis au Country Club et moi je joue dans tel club (moins huppé) ! ». Ce qui était vrai d’ailleurs pour Squat mais je lui avais quand même répondu « ouais, ok Bruno, mais nous, tu sais, on joue au tennis contre un mur ! » (rires). Je n’avais pas une très bonne image des NTM à la base. Ils côtoyaient des gens comme Paco Rabanne. Des mecs comme Joey, Squat & co… étaient les premiers à mettre les pieds aux Bains Douches. Aucun de nous n’aurait pu imaginer y rentrer. D’ailleurs, on ne savait même pas que ça existait. Il faut dire aussi que c’était les premiers à s’en foutre dans le zen. C’est le cliché que j’avais d’eux. Après, il faut relativiser, les mecs avaient 16 ans, ils passaient à la télé, ils faisaient de la pub pour Beneton. Quand tu regardes l’histoire des Rock Steady Crew, c’est la même. Des gars super célèbres à 17 ans qui se retrouvent à côtoyer les milieux de la nuit pour que tout se casse la gueule par la suite. Ils y ont tous laissé des plumes. Joey traînait dans ces milieux là alors qu’en même temps, il n’avait pas où dormir. Bref, l’image qu’ils véhiculaient était un peu celle de vedettes du hip hop parisien. Quand Colt et Mode ont fait la fameuse couv’ de Get Busy, c’était chez Colt. Il en est le vrai concepteur. Mode, c’était le bras de Colt là dessus. En discutant avec Colt, on s’est rendu compte qu’on avait rien à voir avec eux en réalité. Ils avaient une image « hardcore » à l’époque mais aujourd’hui NTM ça serait plutôt De La Soul comparé à ce qui se fait aujourd’hui. Ce n’était pas non plus des grosses cailleras de cités comme les médias nous les ont présenté. Je n’ai pas grandi avec eux. J’avais déjà la vingtaine quand je les ai vraiment rencontré. Joey vivait déjà sur Paris, à Bastille. Avant, Shen restait uniquement dans son coin à jouer à la Belote. C’est ce que j’ai apprécié chez Kool Shen au début : je trouvais qu’il n’avait pas ce côté mondain hip hop. Je l’ai trouvé assez terre a terre, un peu prolo à rester chez lui à jouer au foot et aux cartes. Il se vantait même de n’avoir jamais acheté un disque ! Il venait nous parler de Biggie alors que ça faisait deux ans qu’on l’écoutait (rires).

C’est ce que j’ai apprécié chez Kool Shen au début : je trouvais qu’il n’avait pas ce côté mondain hip hop. Je l’ai trouvé assez terre a terre, un peu prolo à rester chez lui à jouer au foot et aux cartes. Il se vantait même de n’avoir jamais acheté un disque ! Il venait nous parler de Biggie alors que ça faisait deux ans qu’on l’écoutait (rires).

Il a toujours eu un temps de retard sur l’actualité du rap, mais c’est un bosseur, c’est un compétiteur. Il ne faut pas lui enlever ça. Au foot, dans le rap ou au poker, Il joue vraiment pour gagner. C’est un besogneux perfectionniste. A l’époque, il ne traînait pas spécialement avec des rebeus. C’est seulement quand il y a eu une alliance avec les 93 et qu’il a commencé à trainer au Vert Galant (ndlr : cité de Saint-Denis). Et là, c’est devenu un peu un autre Kool Shen, qui m’intéressait beaucoup moins. Pour moi, il y a eu deux Shen, celui de la Montjoie, puis celui du Vert Galant. Et ça aussi, ça a mis de la distance entre nous. Mais à cette époque faut comprendre que les liens se font aussi par d’autres personnes du groupe, comme Kast (choriste) et Reak (danseur) qui étaient des potes. 25 ans après, Reak est resté un de mes meilleurs potes. Il y avait aussi Patou, la mère de Lady V qui était devenu un peu la marraine de Get Busy mais aussi quelqu’un d’important dans ma vie. Donc il y avait de l’affectif et de l’émulation. On venait tous de Saint-Denis, donc il y a aussi une grosse part de chauvinisme. On avait envie que NTM cartonne. Peut-être qu’ils n’ont pas été à la hauteur de ce qu’on attendait d’eux. Ou peut-être avons-nous été trop naïfs et leur en avons-nous trop demandé. Aujourd’hui, même si on se parle plus, et qu’il y a des déceptions profondes, j’ai aussi des souvenirs de bons moments de barre de rires. Je n’ai même pas de haine envers eux aujourd’hui. Je les chambre parce que c’est des « vedettes », donc des cibles, mais ça a toujours été comme ça entre nous en vrai. Sauf que comme on se calcule plus ça donne une impression de petite guerre. Mais en fait je m’en fous. Et eux aussi surement. Je ne leur manque pas et ils ne me manquent pas non plus. Le truc amusant, c’est que Get Busy, les 93 MC, Psykopat, etc… et plein d’autres gens qui ont croisé leur chemin, on est tous resté plus ou moins potes. On a du plaisir à se voir quand on se voit et on a tous à peu près les même conclusions à leur sujet. Mais je dirais que c’est partout comme ça, en bas de la montagne on est toujours plein et au sommet, il n’y a de la place que pour une poignée d’individus… voir deux… ou même qu’une seule personne ! Avec l’âge, tu comprends que la vie, c’est aussi ça. Encore une fois, on était jeunes, eux comme nous.

DWT : Penses-tu que le débat authenticité / talent est un facteur qui a joué dans cette histoire ?
Sear : Les gens, par exemple, peuvent dire ce qu’ils veulent sur Booba mais il a du talent. Il a un truc. Joe Dalton peu dire qu’il est plus vrai que Booba, mais à chaque fois qu’il a essayé de rapper, ben ce n’était pas terrible. Alors ouais à la bagarre, dans la rue, il est le plus fort, mais ce n’est pas forcément vrai avec un micro et un stylo à la main. Difficile d’être bon dans les deux. La polémique NTM / Booba m’a beaucoup amusé à ce titre. Surtout quand Kool Shen a dit à propos de Booba que « quand tu te la joues caillera de cité alors que t’as pas grandi en cité, je trouve ça louche ». Inconsciemment, il avait fait son propre autoportrait.

DWT : Des bruits circulent quand à l’écriture de certains morceaux des NTM. Peut-on parler de ghost writing au sein du groupe, avec Yazid notamment ?
Sear : Je sais qu’à un moment, Yazid a aidé Joey à « finir ses devoirs » sur le premier album. Tout comme on peut dire que les Psykopat les ont aidé sur le troisième album. Je ne dirais pas du ghost writing mais c’était plus sur un nouveau flow, sur les placements… Tu ne peux pas dire qu’untel a volé untel. C’était une émulation de groupes dont certains éléments savaient très bien tirer parti et d’autres non ou moins. Mais c’est la règle du jeu aussi.

Yazid a aidé Joey à « finir ses devoirs » sur le premier album. Tout comme on peut dire que les Psykopat les ont aidé sur le troisième album. Je ne dirais pas du ghost writing mais c’était plus sur un nouveau flow, sur les placements…

DWT : Comment vois-tu le rôle qu’a joué Sébastien Farran sur la carrière NTM et l’image du groupe ?
Sear : Seb Farran est né dedans. Son grand-père, ses parents étaient déjà dans les médias, la musique… A la base, c’est aussi, je pense, un vrai fan de NTM. C’est devenu un élément clé pour leur carrière. Je pense qu’il a été efficace. A titre personnel, je sais que beaucoup de gens ayant eu affaire à lui via NTM ne l’aime pas. Mais il est là pour faire du bizness, pas du social. Ni pour se faire des copains. Pour moi, il n’a été ni un pote, ni un ennemi. Entre nous, les choses ont toujours été plus ou moins correctes. Mais il faut dire que j’avais plus Nicolas Nardone comme interlocuteur que Seb Farran. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il n’a jamais caché son extraction sociale. Il assume son milieu social et les avantages que cela lui a donné dès le départ. Mais il a aussi son mérite personnel. Plus que le manager, c’est quasiment la nourrice de Joey depuis toujours et ce n’est pas rien comme sacerdoce ! Dans le docu « Authentiques », Joey disait qu’entre lui et Kool Shen, « c’est comme dans un couple mais qu’on sait pas encore qui est l’homme et qui est la femme ». C’est encore plus vrai entre Joey et Farran, sauf que là, on sait vraiment qui est la femme ! (rires)

DWT : Pour en revenir à Get Busy, à en croire les éditos du début, sa vocation première était d’accompagner les auditeurs du rap avec une presse qui maîtrisait son sujet. Avec l’arrivée fourmillante du rap français en 1993, pourquoi n’as-tu pas accompagné tous ces groupes ?
Sear : On n’était pas vraiment dedans. Il y a un milliard de groupes qui sont arrivés. Ils ne se valaient pas tous réellement et j’avais un temps de retard par rapport à ça, comme avec La Cliqua ou Time Bomb. J’ai commencé à trouver ça pas mal avec le temps mais sur le coup, cela ne me parlait pas vraiment. A cette époque, j’en avais marre de Get Busy et du hip hop. J’étais en décalage, même au début avec NTM ou Assassin qu’on a quand même soutenu parce qu’on avait des potes dedans et par chauvinisme. Mais on citait les autres fanzines parce qu’on était quand même polis.

DWT : Pour notre part, on a créé notre journal en 1993 face au vide journalistique sur le rap français, tout comme Get Busy l’avait fait sur le rap américain auparavant. Comment avais-tu perçu l’arrivée de notre titre sur ce « créneau » ?
Sear : Tu es forcément dans un truc de compétition au début. Entre votre arrivée en 1993 et 1995, qui marque la fin de Get Busy, on a du sortir qu’un seul numéro. En plus c’est une époque de ma vie ou j’étais saoulé du hip hop comme je disais. J’arrivais à saturation du fanzine, j’étais un peu blasé. Tout le contexte de l’époque, avec La Cliqua puis Time Bomb par exemple, je n’étais pas dedans. Vous suiviez ces trucs-là mais cela m’intéressait moins. Après, tu regardes toujours forcément ce que les autres font.

Quand on a vu nos gueules à la télé dans « Mon Zénith à Moi » ou à « Ciel Mon Mardi », ça a marqué les gens. Si on le referait aujourd’hui, tout neuf, en arrivant de nulle part, tout le monde en aurait rien à foutre !

DWT : Question quizz : les sorties aléatoires de Get Busy ont-elles contribué : 1- A sa légende ? 2- A sa perte ?
Sear : Franchement, les deux ! A la fois tu n’es pas stable et à la fois, c’est la rareté qui crée la demande. Cela appartient à toute une époque. Pour certain, c’est l’âge d’or du rap avec le Deenastyle (ndlr : émission de radio historique de la fin des années 1980), Rapline (ndlr : ancienne webtélé du début des années 1990) qui apparaît, Get Busy, Down With This, etc… Cela reste des trucs marquants parce que c’était plus rare et qu’on était moins nombreux. Cela fait parti des fondations. Aujourd’hui, c’est tellement partout, avec tellement de trucs que c’est difficile de se faire remarquer. Quand on a vu nos gueules à la télé dans « Mon Zénith à Moi » ou à « Ciel Mon Mardi » (ndlr : anciennes émissions de télé du début des années 1990, respectivement sur Canal+ et TF1), ça a marqué les gens. Si on le referait aujourd’hui, tout neuf, en arrivant de nulle part, tout le monde en aurait rien à foutre !

DWT : Comment expliques-tu l’éradication de la presse hip hop en kiosque ?
Sear : Internet forcément. C’est aussi le mode de fonctionnement qui a tué toute forme d’alternative possible dans cette presse-là avec les Cachin, Arnaud Fraise et tout ce qu’ils veulent. C’est un système que les rappeurs ont bien voulu accepter aussi. Prends la radio par exemple. Un mec comme Booba a bien décidé de ne plus aller à Skyrock ! Et pourtant, il est toujours l’un des plus gros vendeur de disque ! Qui t’oblige à écouter cette radio ? Les rappeurs auraient du imposer leurs conditions en y allant. Maintenant avec ton iPhone, tu peux écouter 700 000 radios. Il y a toujours un moment où tu passes à autre chose. Il y a bien des mecs qui ont découvert le rap avec Benny B ! Beaucoup ont découvert le hip hop avec Sydney alors que très tôt on a trouvé ça ringard. La conséquence, c’est que ça nous avait poussé à faire autre chose, en mieux.

DWT : Tu as cité Cachin. Justement, il y a quelques semaines, dans une émission de radio, tu lui as rappelé qu’il était à l’initiative de l’instauration du publi-rédactionnel dans la presse musicale. Suivant la définition du « bâtard » que vous donniez à l’époque dans Get Busy, il en incarne pour nous le parfait icône. Paradoxalement, c’est à ce moment que tu te mets à le côtoyer…
Sear : J’ai toujours parlé à Cachin. Lui et moi, c’est le ying et le yang. Il est l’antithèse de moi et je suis l’antithèse de lui. Il faut qu’il y ait un Cachin pour qu’il y ait un Sear. J’ai toujours eu le même discours avec lui. Il y a deux choses avec Cachin : Rapline et L’Affiche. Dans L’Affiche (ndlr : plaquette commerciale aujourd’hui disparue), Cachin n’était que la vitrine de Franck Fatalot (ndlr : directeur d’édition de presse), qui n’était là que pour faire de l’oseille. Fatalot avait trouvé le bon personnage pour faire ça. Cachin avait même déclaré qu’un magazine était fait pour ramener de la pub et voyager. Moi, je pense que c’est fait pour les lecteurs. C’est donc deux conceptions différentes. Pourtant, je ne sais pas comment il a fait, il a écrit 90% des biographies du rap français et il continue ! C’est un commercial dans sa pratique malgré qu’il ait une vraie culture musicale. Humainement, Il reste un mystère pour moi. Après, c’est quoi Cachin en 2014 ? Je veux bien en 1990 mais aujourd’hui, tout le monde s’en fout. Aujourd’hui, c’est Tonton Marcel, c’est Fred Musa, etc… Cachin représente un danger pour qui aujourd’hui ? Prends l’émission qu’on a fait sur le site de Jean-Pierre Seck, si on aurait mis que des gens avec la même opinion, cela n’aurait pas marché. Tu es obligé d’avoir des antithèses. On projette de refaire ce genre d’émission. Pour Jean-Pierre Seck, son binôme de rêve, c’est moi et Cachin. Il y a aussi des gens d’avant qui ne comprennent pas pourquoi je suis parfois critique avec Squat ou NTM. Il y a des choses auxquelles tu crois à un moment et à un autre moment, tu vois que la réalité n’est pas celle-là. Aujourd’hui, je ne vais plus faire la guerre à Cachin. Ca serait dérisoire. Quand tu connais l’histoire, tu sais que Cachin a centralisé la couverture médiatique et qu’on a identifié le hip hop à travers lui. Mais ce n’est pas spécialement de son fait à lui. Ce n’est peut être pas l’entrée la plus reluisante dans cette culture mais ce n’est pas la seule. Et d’une certaine manière, c’est un mal nécessaire.

Cachin avait déclaré qu’un magazine était fait pour ramener de la pub et voyager. Moi, je pense que c’est fait pour les lecteurs.

DWT : Aurais-tu accepté la récente nomination de Pierre-Yves Bocquet, journaliste spécialisé dans la presse rap US, auprès de François Hollande (ndlr : yaourt présidentiel) comme rédacteur de ses discours officiels ?
Sear : Je ne pense pas parce que je ne me serai pas vu avec les socialos (rires). C’est les pires en fait, ni de gauche, ni de droite, bien au contraire. Il vaut toujours mieux avoir de vrais ennemis que de faux amis. Nous sommes la génération des années 1980/1990 et c’est quand même à nous qu’ils l’ont mis profond ! Aujourd’hui, il n’y a pas de gauche ou de droite. Ce qui domine maintenant, c’est l’économie de marché. Et par quasi définition, c’est un système de droite.

DWT : Comment expliques-tu le fait que nous n’ayons toujours pas sur le devant de la scène un journaliste issu de notre mouvement ?
Sear : Les médias façonnent les individualités à leur image et aucun d’entre nous a voulu jouer ce rôle là. Les gens aiment bien avoir quelqu’un qui leur ressemble. Ca les rassure. On est tous comme ça et c’est la facilité. Les journalistes allaient à Paris VIII et faisaient un dossier complet sur le hip hop parce que c’était le professeur Lapassade qui en parlait. Plus besoin de se faire chier à suivre un graffeur sur les rails. A un moment, Jean-Éric Perrin (ndlr : journaliste musical) s’occupait aussi du hip hop, c’était pas mieux que Cachin. Voire pire car Perrin se cachait derrière un pseudo pour écrire. Comme on est encore avec des soixante huitards rockeurs au contrôle, ils vont encore chercher des Rock & Folk, des Cachin et tout ça.

DWT : Trève de plaisanterie, on a mis exceptionnellement aujourd’hui, ce 1er avril, le logo Get Busy à la place du notre après avoir évoqué ces derniers jours un pseudo rachat de Down With This par Get Busy. Au delà de ça, un groupe de presse indépendant issu du hip hop aurait-il un sens d’après toi ?
Sear : Je pense que non, c’est trop tard pour ça. Et puis quelque part, Booska P, Tonton Marcel… ce sont des indépendants. Même R.A.P. est devenu un magazine indépendant. A titre personnel, j’aime bien fonctionner en petit comité avec des gens que je connais et que j’apprécie humainement aussi. Donc les alliances, les unions… c’est toujours mieux sur le papier que en vrai. En fait, c’est comme avec tes voisins, on est toujours mieux chez soi qu’à vivre sous le même toit. Il est préférable de se voir que de temps en temps pour faire un barbecue quand il fait beau.

DWT : Par contre, tu annonces le vrai retour de Get Busy pour septembre 2014, peux-tu nous en dévoiler les contours ?
Sear : Le projet n’est pas de refaire un magazine purement rap. Ça sera plutôt un mag culturel avec une vibe hip hop. Si tu es hip hop, tu peux traiter tous les sujets avec un certain angle. Un angle qui prend en compte notre vécu et notre façon de voir la société. Ce que tout le monde ne peut pas faire à la finale. Il ne sera pas simplement question de suivre l’actualité. Prends l’exemple de Kaaris, le mec est partout sur le net, les gens n’ont pas besoin de Get Busy pour trouver cette actualité. Par contre, on pourrait le rencontrer sur d’autres angles que son studio, son embrouille avec Booba ou son dernier featuring à la mode. On parlera de musique mais ça ne représentera que 10 % du contenu. Les gens restent focalisé sur l’époque du fanzine parce que c’est mythique et que c’est leur jeunesse. Mais on a fait des trucs vachement plus intéressants après et c’est de cette manière qu’on veut revenir. Les anciens articles, époque fanzine, sont marrants mais ils sont light. Quand les gens ne te parlent que de ça, tu es touché mais au bout d’un moment ça te saoule aussi. Ce qui est plus flatteur pour moi, c’est ce qui a forgé certains de nos lecteurs, comme les pages qu’on avait faîtes sur Jacques Vergès ou l’article sur Charlie Bauer. On est plus sur cette ligne éditoriale. C’est plus intéressant qu’une chronique de deux lignes sur Solaar qu’on a fait il y a vingt ans.

DWT : Tu évoquais ton attitude critique sur NTM et Assassin. A ce propos, qu’est ce qui fait que tu en remettes une couche régulièrement sur ton mur facebook au sujet d’Assassin ?
Sear : Pour moi, à part le tout début, et surtout le premier maxi, Assassin a toujours était une source de rigolade. J’ai regardé une vidéo où Madj (ex-Assassin Productions) réglait ses comptes avec Squat. C’est marrant parce que Madj le savait quand il était dedans. Nous le savions avant qu’il y aille mais bon, il y ait allé quand même. Je pense qu’il y croyait au début. Après, il a serré les fesses et mangé la gamelle. Donc ça fait un peu vieille maîtresse délaissée qui balance aujourd’hui sur son ex-amant en oubliant qu’elle a quand même couché avec pendant plus de 10 piges ! Je veux bien croire que Madj a une culture politique, un discours même si chez lui, il y a un décalage entre les grands discours et les actes parfois très petits, mais Squat, c’est un clown. Après je reconnais que quand tu es dedans, ce n’est pas facile, tu as des affinités alors tu es toujours plus indulgent avec ton pote. Il y a des choses que tu ne vois pas ou que tu ne veux pas voir. Mais il n’a pas mis 10 ans à savoir qui était Squat.

Fondamentalement, la rébellion chez les bourgeois est facile car il y a toujours un moment où ils rentrent dans le rang. Il y a toujours leur place qui les attend au chaud. Ils peuvent y aller. C’est la différence.

Aujourd’hui, il y a une sorte de retour en grâce comme quoi Squat serait le dernier des Mohicans ! Fondamentalement, c’est un mec qui a raté sa vocation. Dans ses textes, il veut être Ché Guevara mais en vérité, tout ce qu’il aurait du faire, c’est de l’égo trip et parler sur le cul des renois. Sa vraie nature est là. C’est un putain de mégalo. Il n’est pas humble, c’est un mec qui insulte la misère. Le mec est en décalage, il n’a même pas réalisé qu’il a grandi dans un hôtel particulier. Il devrait la fermer de temps en temps. Joey me disait que chez lui, rien qu’en mobilier, tu te prenais une gifle. Après, il a grandi là-dedans, il n’a rien demandé comme moi je n’ai rien demandé en grandissant à Saint-Denis. Mais s’il te plaît, ne nie pas ce que tu es en te la racontant dans une favéla ! Il fabule sur la misère alors qu’il y a des mecs qui naissent, qui vivent et qui crèvent dans des favélas en rêvant d’hôtels particuliers. Lui, il trippe à faire le chemin inverse. Etre riche n’empêche pourtant pas d’être un rappeur, un danseur ou super tagueur ! Solo avait gentiment évoqué sa rencontre avec Squat comme étant la rencontre improbable d’un gamin d’Antony avec un gosse de riche. Il l’avait super mal pris. Quand ta mère a un 200 mètre carré à NYC avec vue sur Central Park, que tu as une résidence secondaire à Thoiry et que tu as grandi sur les hauteurs de Montmartre, ne t’invente pas une misère dont tu n’as jamais été victime. Si ce n’est pas être gosse de riche, c’est quoi alors ? Mais encore une fois, on peut être riche et aimer le hip hop ou en être un acteur majeur, ce n’est pas ça qu’on lui reproche. Donc ce n’est pas de ça dont il aurait du avoir honte pendant toutes ces années. Quand j’ai vu son clip sur l’Afrique, c’est la plus grosse barre de rire que je me suis tapé de ma vie. C’est dégueulasse ce clip fait par Kim Chapiron. Tout le clip, c’est la quintessence du « bwananisme ». Il ne manque que l’image de la femme a seins nus en train de piler du mil, et tu as tous les clichés de la terre sur l’Afrique en un clip. Quand je lui parlais encore, il m’avait raconté ses fausses embrouilles avec sa belle mère. Bah putain, vient faire un tour chez nous et tu vas en voir des vrais problèmes familiaux ! J’ai une anecdote qui résume tout Squat pour moi : des mecs partent au Brésil avec lui, fasciné par lui, le KRS2. Ils le voient partir avec deux putes. Face aux mecs qui étaient un peu dépités de voir ça, Squat leur dit « attention man, moi les putes, je ne les paie pas, je leur apprend à parler anglais pour qu’elles puissent s’en sortir dans la vie ! ».  Voilà, c’est tout Squat à mes yeux ! Ce qu’il aime dans le ghetto, c’est le cul des renois. Par contre, une chose à son crédit : je pense qu’il croit vraiment à ses conneries. Il ne sait même plus où il habite, ils sont 36 dans sa tête. Il va dénoncer le « rap caillera » et il part faire des morceaux avec LIM ! Mais il se fout de la gueule de qui ? Sois cohérent ! Après, il veut se mettre avec des Mac Tyer, des mecs de rue. Mais il cherche à acheter quoi ? Il vient y chercher un fantasme. Bref, et puis surtout, il est devenu mauvais depuis des années et ça se voit. De toute façon, j’aurai toujours plus d’indulgence pour le mec qui vient d’en bas. Fondamentalement, la rébellion chez les bourgeois est facile car il y a toujours un moment où ils rentrent dans le rang. Il y a toujours leur place qui les attend au chaud. Ils peuvent y aller. C’est la différence. J’ai toujours eu plus d’indulgence pour le « Rastignac » prêt à tout pour y arriver et grimper. C’est pour ça que je préfèrerais toujours un Joey Starr à un Squat.

DWT : Deuxième chose sur ta présence sur facebook, on est en mesure de se demander si tu n’aurais pas un problème psychologique avec le sexe ? Tu en parles beaucoup de manière crue sur ce réseau. Cela n’est pas nouveau puisque tu publiais déjà des photos spéciales dans Get Busy…
Sear : Les gens retiennent souvent ce qui est à leur niveau de compréhension… Il ne faut pas tout prendre au premier degré. Après, c’est un jeu. J’étais quand même un bon pornophile. J’assume tout ce que je dis. Après, tu en ries ou tu n’en ries pas… Pour ce qui est des photos montages, c’était l’influence de Hara Kiri (ndlr : journal satirique disparu créé par le Professeur Choron). Leurs couvs m’avaient marqué quand j’étais gosse Le professeur Choron par exemple, je kiffais bien mais pas au point de m’identifier à lui même si je suis chauve ! Mais vaut mieux s’inspirer de Choron que de Philippe Vall.

Je n’ai jamais été Zulu King mais j’allais à tous les anniversaires de la Zulu Nation. (…) Je n’ai jamais critiqué mais pour moi, c’est un truc qui est mort.

DWT : Tu es retourné l’année dernière à un anniversaire de la Zulu Nation à New York. Tu avais connu ce genre d’événement à une toute autre époque, dans une autre ambiance, il y a maintenant 25 ans. Qu’est-ce que cela t’a inspiré ?
Sear : Je n’ai jamais été Zulu King mais j’allais à tous les anniversaires de la Zulu Nation. J’étais peut-être même plus Zulu King que les autres finalement. Pendant des années, Deenasty n’avait pas le droit de l’être alors qu’il l’était beaucoup plus que tout le monde. On a reçu le hip hop comme un tout. Si tu étais dans le hip hop, t’étais Zulu. Après, je n’ai jamais été dans le truc religieux du style : tu ne dois pas frauder dans le métro, tu ne dois pas tagger, etc… Si tu connais les mecs de New York, tu vois qu’en vérité, ça a toujours été des grosses cailleras. Ils n’ont jamais été des enfants de cœurs. La fondation, on l’a reçu comme ça. Je n’ai jamais critiqué mais pour moi, c’est un truc qui est mort. Les gens qui essayent de revivre ça, big up à eux, tout ce qu’ils veulent, mais bon… Je suis allé au dernier, à Harlem. Il y avait un plateau de ouf mais tu sens que c’est un truc moribond. Il n’y avait pas la vibe. Le premier anniversaire que j’ai fait, c’était en 1989. Aujourd’hui, ça ressemble à une réunion d’alter-mondialistes venus du monde entier. Ca sent le patchouli et ils vendent de l’encens. Ce n’est plus les trucs comme on a connu avant. Après, peut-être qu’on a vieilli aussi. On a plus 20 ans, ni les yeux de notre jeunesse et on est peut être blasé. Red Alert fait vraiment vieux. C’est le troisième âge mais j’ai toujours un attachement pour ça. En France, on est ailleurs. Vouloir faire revivre ça, c’est vouloir faire du bouche à bouche à un cadavre. C’était un beau truc mais maintenant, c’est comme essayer de faire courir un tétraplégique.

DWT : Pour finir, ton analyse sur le paysage musical du rap et la mouvance hip hop d’aujourd’hui se traduirait-elle par une satisfaction ?
Sear : Le rap a gagné malgré tout. Il est partout. Aujourd’hui, des mecs de 40 ans ont grandi avec ça. Je connais même des mecs qui lisaient Get Busy et qui sont devenus avocats (rires) ! Ce courant a influencé la mode, la pub, etc… Même si les gens ne veulent pas le reconnaître, on a gagné. Après, c’est une victoire amère parce qu’en vérité, on ne contrôle pas grand chose. C’est dans l’ordre des choses. En 1983, on est 100. En 1986, on est 500. En 1990, 10 000. Aujourd’hui, on est 10 millions avec tous les inconvénients et tous les avantages que cela comporte. Cette culture a eu sa jeunesse, tout était neuf, tout était à construire. Pourquoi on était si motivé ? Parce qu’on pensait que notre culture était mieux que les autres. On a toujours eu cette contradiction de vouloir être reconnu et de vouloir rester underground. Aujourd’hui, je peux être super critique sur le rap mais à ceux de l’extérieur qui le sont, je leur dit de regarder leur variété française ! Arrêtez de nous casser les couilles. Ils sont capables d’emmerder un groupe comme Ärsenik alors qu’ils vendaient 300 000 albums mais ils préféraient recevoir Patrick Fiori sur tous les plateaux de télé alors qu’il ne vend rien. Le rap reste la musique la plus stigmatisée alors que c’est la musique la plus populaire dans la jeunesse. Tu as toujours malgré tout cette condescendance sociale et ethnique, un racisme latent. Les mecs qui tiennent le truc sont encore des soixante-huitards et des ex-rockeurs. Pourquoi ? Parce que et ce dans n’importe quel domaine, pas que le rap, plus tu vas grimper dans l’échelle sociale et plus tu ne vas trouver que des hommes blancs d’un certain âge avec une certaine idée de tout ça.

Propos recueillis le 12 mars 2014 par FLo et Nobel avec le renfort d’Alain « Masterflash » Garnier.
Remerciements particuliers pour leur accueil et leur amabilité à Emmanuel, Muriel et toute l’équipe de la respectable imprimerie coopérative Expressions 2 (Paris 20ème).
Photos par © Aurore Vinot – Archives © Sear, © Xavier 2 Nauw et © Alain « Masterflash » Garnier.

Livre « Interdit aux bâtards » par Sear Get Busy (Edition Le Gri Gri – 10 euros) disponible par correspondance ici.

Le rap a gagné malgré tout. Il est partout. Aujourd’hui, des mecs de 40 ans ont grandi avec ça. Je connais même des mecs qui lisaient Get Busy et qui sont devenus avocats (rires) !

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