Au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public.
Il était évident de retrouver un jour ou l’autre L’Indis en interview sur Down With This. Et pas seulement pour la rime. C’est chose faite. Voici quelques clés pour en comprendre l’évidence. Clé numéro 1 : son frère Lavokato. Membre actif de Down With This dans les années 1990, il constitue un de nos points communs et ce n’est pas un hasard. Mais n’y voyez pas de copinage sinon DWT vous aurez déjà servi de L’Indis à toutes les sauces : « Exclu : L’Indis revient dans le game », « Exclu : L’Indis nous dévoile en avant-première un extrait de son nouvel album », etc… Ce n’est pas notre genre, même s’il l’aurait mérité. Clé numéro 2 : des valeurs communes. L’analyse, les positions et le pragmatisme de L’Indis sont autant d’atouts qui nous garantissent une interview de qualité. Pour la clé numéro 3, on pourrait faire un parallèle entre Bobigny et Aubagne, entre les YZ et les bartavelles mais vous jugerez par vous-même.
Down With This : Racontes-nous le contexte familial et social dans lequel tu as grandi ?
L’Indis : Mon père était d’origine tunisienne, l’ainé d’une fratrie de cinq enfants. Il a quitté la Tunisie dans les années 1960 pour trouver du travail en France et pouvoir envoyer de l’argent à sa famille, notamment pour que ses sœurs puissent poursuivre leurs études. Il y est finalement resté pour fonder une famille et lui offrir un meilleur cadre de vie que celui qu’il a connu là-bas. C’est pour cela que ça me fait rire lorsque je vois des jeunes qui ont la flegme de prendre le bus ou le métro pour du travail alors que nos parents l’ont fait. Par contre, eux l’ont fait en quittant leur pays natal, leur famille, leur culture, leurs mœurs, leur tradition, leur langue d’origine… Ils ont eu beaucoup de courage. Ce n’est pas facile de tout quitter comme ça. Mon père a vécu à Paris dans une chambre de bonne et a rencontré sa femme à Belleville. Ils se sont ensuite installés à Bobigny, dans le confort illusoire des HLM et se sont fait avoir comme beaucoup de gens à l’époque. Mais il ne s’est jamais adapté au climat français et est décédé à la suite de problèmes respiratoires. J’avais treize ans. Ce genre de parcours me fait réagir… J’en avais tiré deux leçons : premièrement, ne jamais prendre une cigarette, ses problèmes respiratoires ayant été déterminants pour moi, et deuxièmement, face à la volonté qu’il avait eu pour nous offrir un cadre de vie, bosser à l’école pour honorer son courage. Cela lui faisait un souci de moins.DWT : Tu as pris la décision de rester à Bobigny et d’y installer à ton tour ta petite famille…
L’Indis : J’en parle souvent avec des balbyniens que je croise, même des anciens : quand on a grandi à Bobigny, on a une espèce d’attachement. Je ne sais pas si c’est valable pour toutes les villes, mais Bobigny colle à la peau, on a du mal à la quitter ! La dalle de Karl Marx a été détruite l’année dernière mais comme disait un rappeur, pour ne pas le citer, c’était comme un aimant : j’ai passé les deux tiers de ma vie sur cette dalle ! (rires)Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez.
DWT : Bobigny a très tôt été représenté dans le rap comme par Ménélik, Kabal, mais aussi par ton frère, toi et Nakk ou encore 3MP et Boss’Raw. Comparé à d’autres villes de Seine Saint-Denis, comment expliques-tu que cela ait pris aussi vite à Bobigny ?
L’Indis : Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez. Dès la fin des années 1980, au centre commercial, à côté d’un disquaire de l’époque, ça breakait déjà dur. A l’époque, ce mouvement était réservé à un petit cercle. Quand on allumait la télé, on ne pouvait pas tomber sur un truc pareil, ce n’était pas grand public. II y avait un petit vivier de hip hoper sur Bobigny et donc ça a créé un truc. Prends par exemple Boss’Raw ou 357, des mecs de l’Abreuvoir, ils se sont notamment mis dedans parce que certains de leurs anciens comme les BCW étaient déjà dans la danse à l’époque. Des gars comme Skade et MC Heims, qui sera connu plus tard sous le nom de Ménélik, ont fait partie de ces anciens. Ils ont été pris tôt dans le hip hop et connaissaient déjà les sapes, les codes, les références… Tous ces trucs qui leur était réservé car il n’y avait qu’eux qui les connaissaient ! Quand je les voyais revenir de Châtelet, ça a été un peu pour moi ma source d’inspiration car j’étais trop jeune pour y aller moi même. On avait des notions dans toutes les disciplines. A l’époque, quand tu entrais dans le hip hop, c’était avec un véritable état d’esprit.DWT : Comment te retrouves-tu avec ton frère à te mettre dans le rap et fonder votre groupe, Les 10’, au début des années 1990 ?
L’Indis : Vers 1987/1988, nous sommes tombé sur une cassette de Radio Nova que le grand frère de Nakk, si je ne me trompe pas, avait ramené. Le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots. On s’est donc mis à écrire dans la foulée et on l’a longtemps fait uniquement pour s’amuser. De toute façon, à l’époque, le business de cette musique n’existait pas encore. Les seuls disques qui étaient sortis étaient ceux de Johnny Go / Destroy Man mais c’était ultra confidentiel. Pour ma part, c’est Rapattitude (ndlr : 1ère compilation sortie en 1990, lire ici) auquel j’ai été confronté en premier. Même si on faisait du rap avant ça, cela ne rimait pour nous que comme un loisir. Aucune perspective de carrière à cette époque. De fil en aiguille, on a affiné notre écriture et de concert en concert, on a fini par gagner quelques auditeurs à Bobigny, puis ailleurs.Vers 1987/1988, (…) le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots.
DWT : Le fait que ton jumeau ait participé au noyau dur de l’édition papier de DWT durant ces mêmes années a t’il favorisé une certaine maturité au sein de votre groupe à ce moment ?
L’Indis : En tout cas, ça m’a transformé. Je prenais vraiment le rap comme un loisir comme je disais dans le sens où c’était vraiment un plaisir. D’être dans Down With This, de voir que cette équipe réfléchissait, bougeait, prenait des positions et s’engageait, ça m’a donné un autre regard sur le rap. J’ai essayé d’éviter de dire des conneries, j’ai essayé de défendre mes idées. Ca m’a fait murir au niveau de l’engagement et de l’angle d’attaque. Quand mon frère était dans Down With This, je voyais que j’avais affaire à de vrais activistes, qui se bougeait vraiment. Ca m’a changé dans ma façon de travailler.DWT : On observe depuis toujours que Nakk revient souvent à tes côtés. On peut même se demander si vous ne seriez pas des triplés plutôt que des jumeaux ! Parle-nous de cette proximité avec lui.
L’Indis : On était dans la même classe en primaire, donc on était tout le temps ensemble. On était super complice à plein de niveau. Le rap est arrivé dans notre vie et on a observé ensemble son évolution. On a surement le même regard là-dessus. Il nous est arrivé d’écrire ensemble vers 1995. On s’enfermait dans la chambre avec mon frère, on se mettait une instru, etc… On n’a plus du tout travaillé comme ça par la suite. Mais Nakk est avant tout un ami d’enfance. Pour beaucoup de gens, c’est un rappeur, comme moi, mais quand on se voit, on ne parle pas de rap.DWT : Pourquoi cette absence remarquée des 10’ sur le mythique « 11’30 » (sortie en 1996) alors que l’on y note la présence de Nakk ?
L’Indis : C’était une époque où on était un peu plus distant. Nakk faisait ses projets avec le groupe Soldafada. On était de notre côté. C’était peut-être l’époque où nous y étions le moins ensemble. Nakk s’était très vite fait remarqué par Le Damier (ndlr : ancien collectif balbynien dont faisait partie Ménélik) et il a rapidement été intégré à Soldafada, un groupe de ce collectif. Cela lui faisait également plaisir de rapper avec des mecs qui étaient ses anciens. Il a vite fait ses preuves et a toujours voulu se surpasser. Puis cette opportunité du « 11’30 » s’est présentée à eux.DWT : Vous signez ensuite chez Original Bombattak, puis BMG, malheureusement sans jamais rien sortir. Qu’est ce qu’évoque pour toi cette période ?
L’Indis : Inconsciemment, je me demande si l’on n’a pas tout fait pour ne rien sortir. J’ai cette impression parfois, une espèce de « volonté inconsciente » qu’on avait de ne pas mettre les pieds dedans à fond pour ne pas s’exposer ou ne pas prendre de risque. On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.
De plus, on n’a jamais eu les dents longues et on n’a jamais cherché à tout faire pour. Avec Nakk, on a été les premières options de Marc sur le lancement de son label à la fin des années 1990 (ndlr : reprenant le même nom que sa célèbre émission de radio, le label avait ainsi été dénommé « Bombattak »). Beaucoup d’artistes qui étaient mis en avant dans cette émission étaient signés chez Time Bomb (ndlr : label mythique). Marc nous a donc sélectionné pour accompagner la naissance de son label mais ça a fini par capoter : Nakk ayant signé ailleurs entre temps. Puis l’épisode BMG est arrivé. Ils nous ont financé des maquettes mais nous demandaient en parallèle d’arrondir les angles sur les instrus, sur quelques textes… Je n’aime pas trop en parler car ça fait super prétentieux… Mais en gros, en 1999/2000, il y avait deux maisons de disque qui se « battaient » pour nous : BMG et Delabel. Quand Laurence Touitou (ndlr : ancienne responsable de Delabel) nous a rencontré mon frère et moi, elle nous dit : « IAM arrive à 10 ans de contrat, il me faut un groupe pour les remplacer et je pense que vous avez le potentiel pour être les nouveaux IAM ». Elle était avec son collègue Luigi. Je pense que l’aspect commercial lié à notre image de jumeaux, de rappeurs blancs, à une époque où il n’y en avait pas énormément, avait joué en notre faveur. Delabel nous fait donc une proposition, BMG également. Ca se bagarrait un peu et Yona Azoulay (ndlr : ancienne directrice artistique de BMG) le savait. Elle ne devait pas beaucoup croire en nous mais comme elle voyait que ça bougeait du côté de Delabel, elle s’est dit qu’il y avait peut être un coup à jouer. On s’est donc retrouvé à enregistrer une vingtaine de morceaux qu’on avait de prêts au Studio Davout, Porte de Montreuil. On avait essayé de proposer quelque chose d’assez large à BMG tout en restant nous même mais ils nous ont imposé de refaire toutes nos instrus. En fait, Yona Azoulay essayait de nous glisser les instrus de son pote Cutee B. Elle nous disait qu’elle aurait beaucoup de mal à présenter nos morceaux en l’état à son boss, sans ces changements… Cette histoire s’est terminée au moment de l’écoute de nos maquettes. Yona Azoulay avait légitimé sa décision en s’appuyant sur un de nos de refrains dans lequel on rappait : « si je lâche pas l’affaire, c’est pour que nos potes applaudissent ». Elle avait stoppé l’écoute à ce moment-là en disant : « voilà, ils ont tout dit. En fait, ils rappent que pour leurs potes ! »… En gros, qu’on ne voulait pas d’un public autre que nos potes (rires). Cela lui semblait hyper réducteur mais l’histoire démontrera quelque temps après que le rap super intimiste allait représenter une valeur sûre dans ce business… Le problème qui se posait en fait est que ces gens cherchaient un groupe à développer alors qu’on avait déjà une expérience de dix ans dans le rap et des idées bien établies sur notre musique. Cela ne pouvait pas coller avec leurs attentes.
DWT : Vous commenciez à atteindre un certain âge. Vous vous attendiez tout de même à une possible professionnalisation de votre musique ?
L’Indis : Ben voilà, on était justement arrivé à un stade où on avait décidé d’arrêter. On était dans une période charnière de notre vie. Le rap était un loisir pour nous, on devenait « vieux » et on ne pouvait pas vivre de loisirs… D’un autre côté, est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.Est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.
Cela dit, je ne blâme pas les mecs qui sont en maisons de disque en disant « ouais, ils font de la merde et tout ! » car ce n’est pas moi qui irai leur donner un salaire. Mais à partir du moment où tu acceptes que la musique devienne ton métier, et non un loisir, ton but est de ramener de l’argent. Tu n’es même pas obligé d’aimer tes collègues ou ton équipe ! Tu peux même te dire « je fais de la merde et je m’en fous car c’est mon boulot ». En ce qui nous concerne, on aimait trop le rap pour accepter ça. On s’est rendu compte que ce qui était pour nous un loisir était en fait pour d’autres un commerce. Ca a cassé un truc chez nous. Dans nos années, on n’avait jamais abordé cette pratique artistique comme un commerce. Puis on a commencé à découvrir les rouages des systèmes de rotation payante à moiti déguisée, etc…
DWT : Comme au moment de la sortie de votre morceau « On se reverra là-haut », avec Nakk et Wallen, qui avait pas mal été joué sur Skyrock ?
L’Indis : Ce qui s’est passé avec ce morceau, si vous voulez vraiment entrer dans les détails, c’est qu’à l’époque, Fred Musa aimait beaucoup ce morceau et le passait dans « La Nocturne » toutes les semaines (ndlr : émission « spé » de Skyrock) et ça, pendant au moins six mois. Musa essayait de convaincre Bounneau (ndlr : directeur des programmes de Skyrock) de le faire passer en rotation (ndlr : matraquage). C’était à une époque, entre 1998 et 2000, où si tu avais un morceau qui passait en rotation 24 fois, tu signais dans la semaine, et le mois suivant, tu étais disque d’or. L’époque que les puristes appellent l’âge d’or. Un jour, Bounneau convoque Marc (ndlr : directeur du label Bombattak) car il était producteur de ce morceau, et lui dit que Fred n’avait peut-être pas tort et qu’il s’apprêtait à le rentrer en rotation. Manque de pot, Bounneau a eu Sulee B au téléphone quelques jours après pour lui annoncer qu’il allait sortir l’album de Wallen. Bounneau a finalement dit à Marc qu’il allait rentrer un morceau de Wallen mais pas celui avec Nakk et nous. Quelques temps après, le morceau « Celle qui non » de Wallen, avec l’instru de Shurik’n, était matraqué sur Skyrock. Notre morceau passait donc à la trappe. On se heurtait à une succession de malchance. Mon frère me disait « à chaque fois, on a un tronc d’arbre qui nous rentre dans la jante, c’est que l’on n’est pas fait pour ça ». Mon frère est fataliste. Au bout d’un moment, il pensait que l’on ne pouvait pas lutter contre le destin. Il y a donc eu une forme de déception, mélangée avec l’âge… Pourtant on avait charbonné et on en avait fait des concerts ! On a un « parcours bâtard » car hormis des featuring, il n’y a pas de traces discographiques des 10’.Compilation « Des mots vrais dans nos valises » (La Contrebande – 1999)
DWT : Le système de l’indépendance ne te semblait pas être une alternative à ce moment ?
L’Indis : C’est ça ! Mon regret aujourd’hui est qu’on n’a pas eu les couilles, ni même l’idée de jouer sur l’indépendance. Mais le problème qui se posait au niveau de l’indépendance, à ce moment, c’était que si tu n’es pas pote avec tel ou tel rédacteur en chef comme les Olivier Cachin, Arnaud Fraise, Antoine Garnier paix à son âme, Jean-Pierre Seck ou autre, tu ne pouvais pas présenter ton disque. Or, mon frère et moi n’étions pas pote avec ces gens-là. J’ai rien contre eux mais c’est vrai qu’ils mettaient en avant uniquement certains groupes et cela pouvait représenter un véritable handicap pour les ventes potentielles. Aujourd’hui, avec la force d’internet, tout ce petit système a été bouleversé et c’est d’ailleurs ce qui a favorisé mon retour et les ventes que j’ai pu faire.DWT : Avant d’aborder ton retour, il y a quatre ans, raconte-nous ton anecdote sur la bande-originale du film de « La vérité si je mens » à laquelle tu as failli participer…
L’Indis : Comment savez-vous cela !? En gros, ils voulaient qu’on fasse un rap-couscous-merguez pour être sur la B.O., ou qu’on fasse la musique du générique, je ne sais plus. On avait été présenté au mec de Scorpio, le label qui avait en charge le projet, via Marc de Bombattak. Mais pour nous, faire du rap-couscous, c’était hors de question (rires).DWT : On va maintenant parler de ton retour en 2010. Pour commencer, ta préférence : époque des jumeaux ou époque solo ?
L’Indis : En fait, quand mon frère a décidé d’arrêter, je ne me suis jamais dit que j’allais continuer. J’étais encore un peu plus dedans que lui car je continuais à côtoyer des artistes, de me retrouver dans des studios, etc… Je faisais donc quelques couplets, quelques featuring, mais sans plus. Je ne me voyais pas faire des morceaux sans lui. J’ai finalement repris il y a quatre ans. J’ai aujourd’hui l’impression que la période Bombattak était plus longue, car très intense, alors qu’en fait, elle n’a duré que deux ans. J’ai même fait beaucoup plus de concert en solo qu’à l’époque des 10’. Donc pour ce qui est de ma préférence entre l’époque des 10’ et celle d’aujourd’hui, c’est incomparable. Par contre, je me rends compte qu’il y a parfois beaucoup moins de compréhension que je pouvais en avoir avec mon frère. C’est dans ces moments-là que je me rends compte de la complicité ultime qu’on avait ensemble. Une complicité que je n’ai jamais retrouvé.J’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser.
De toute façon, j’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser. Il est très dur mais très pointu. Ca m’aurait embêté qu’il ne suive pas ce que je fais, même s’il nous arrive d’être en désaccord.
DWT : Tu es arrivé, cette fois, en total indépendance. Ton retour s’est-il avéré rentable ?
L’Indis : Ca s’est avéré rentable et plus vite que je ne le pensais. Les frais investis sur mon album « Le Refuge » ont d’ailleurs été remboursé au stade des pré-commandes. Pour ce qui est du studio, tout avait été enregistré chez Char du Gouffre, avec qui on a partagé les bénéfices à part égale. Mais ça n’a pas été si simple et mon passé m’a beaucoup servi. Ce n’est que du positif vu les ventes et les concerts qu’on a fait un peu partout, surtout après six ans d’absence dans la musique.DWT : Parle-nous de cette « écurie » dans laquelle tu gravites avec Le Gouffre…
L’Indis : C’est un gros collectif, avec quelques membres très actifs, de vrais charbonneurs. Un mec comme Char, un mec à l’ancienne, est capable de coller des stickers partout dans Paris, tout seul avec son sac à dos. C’est un vrai charbonneur et humainement un vrai moteur. Ce sont des mecs qui m’ont motivé et ça fait du bien d’être entouré par des gens qui te boostent. Ils essayent d’innover à chaque projet et ont déjà quelques surprises de prêtes qui vont arrivés bientôt.DWT : Certains de tes morceaux comme « Barbaq de printemps », « J’ai vu » ou encore « Marche arrière » sont très empreints d’émotion ou de misère sociale… Pourquoi cette plume ?
L’Indis : Je n’ai pas forcément envie de pleurnicher mais plutôt envie de vider mon sac, c’est plus ça en fait. Je fais beaucoup de constat, surtout sur les choses qui deviennent des banalités en me demandant s’il n’y avait que moi qui les voyait. D’où l’idée du titre « Est-ce moi ? » dans mon album. Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les télés-réalité, les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les « télés-réalité », les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.
A une époque, quand tu racontais l’histoire de la « Belle au bois dormant » aux petites filles, elles avaient juste envie d’être habillé en princesse à la kermesse. Ce n’était pas pour autant une perspective de carrière. Aujourd’hui, des émissions type « télé-réalité » où tu deviens une star en trois jours grâce à ton prénom et que tu es connu par toute la France, enfin sauf par moi, je trouve qu’elles véhiculent le message de pouvoir devenir quelqu’un sans avoir besoin de talent, en n’étant que futile, parlant mal le français et en ne gagnant rien par le mérite. C’est une forme de dérive quand un jeune tombe là-dessus en rentrant de l’école. En ayant le sentiment de devoir être le contrepoids de ce genre de truc, même si je suis d’accord que la musique doit être du divertissement, cela génère des morceaux moins festifs chez moi. J’essaye quand même de mettre dans mon écriture quelques jolies formes, quelques jolies tournures, quelques rimes travaillées pour que ça soit plaisant. Après, il y a les choses qu’il fallait que je dise au moins une fois dans mon vie. Il y a donc des morceaux très personnels où j’ai vidé des choses qu’il y avait de très lourdes dans mon sac. C’est aussi pour ça que j’ai eu du mal à rebondir après cet album. En même temps, je n’ai pas envie de tomber dans les trucs clichés de cette musique même si j’ai grandi dans un contexte très précis. Il y a des mecs qui ont eu des jeunesses super dorées, dans des écoles privées et tout ça… Moi, j’ai passé ma vie à Karl Marx, à Bobigny, dans le hall, voir des gens vendre tout ce qui est vendable, des gens faire tout ce qui est faisable dans une cité, avoir comme meilleur pote une tête de réseau dans le domaine des braquages, etc… mais j’ai jamais eu l’idée de dire dans un rap que mon pote est un braqueur ou quoi. On sait rester discret sur certains trucs car s’ils sont vrais, en parler n’est pas la meilleure idée. Un mec comme Booba, qui brise la scolarité de nos enfants, était dans des « Private School » payé par maman et te fait croire, au travers l’image qu’il donne, que la vie est facile. Quand tu fais de la musique, tu n’as pas forcément envie d’avoir le rôle d’un messager, de moralisateur, moi je suis d’accord avec ça. Sauf qu’au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public. J’ai du mal avec les trucs qui ne tirent pas vers le haut.
DWT : Crois-tu à cette notion, cette classification, de « rap d’adulte » ?
L’Indis : Je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me fait rire aujourd’hui, c’est que tu as des rappeurs de 23, 24 ou 25 ans qui racontent n’importe quoi et que tout le monde dit : « c’est pas grave, ils sont encore jeunes ». Moi, quand j’écoute ce que je faisais à 20 ou 21 ans, je parlais de truc sérieux. Quand j’ai entendu Flynt dire dans un rap qu’il ne savait pas ce qu’était le « rap conscient » et qu’il faisait juste du « rap d’adulte », je me suis qu’il avait eu le mot juste : on est des adultes !DWT : Mais Booba est également un adulte…
L’Indis : Oui, sauf qu’un adulte a un discours responsable. Le vrai Booba, comment il est ? Il a 38 ans, il se rase la tête car en vrai, il a une calvitie, en vrai il a des poils blancs à sa barbe mais il les colore et il se fait des tatouages sur tout le corps. Donc en fait, un gamin de 15 ans a l’impression de s’identifier à un mec de 24/25 ans alors qu’en réalité, il est bientôt quadragénaire…DWT : C’est le problème récurent des rappeurs de devoir se plier aux attentes d’un public d’une moyenne d’âge de 14 ans pour pouvoir vendre des disques…
L’Indis : Je crois sincèrement que Booba est un mec super intelligent. Il a de la culture. S’il voulait avoir une écriture subtile, il le pourrait. Mais il a bien compris que c’est plus vendeur de dire : « bim, bam, boom, la chatte à Mc Doom ». J’ai l’impression qu’il s’est dit que le plus con des cons doit pouvoir comprendre. Et c’est logique quand tu veux vendre un maximum de disques, tu vises les plus nombreux : les maléables, les simplets, etc… Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.
Il a adopté une attitude américaine décomplexé comme le fait comme Fifty : gros tatouages, grosses voitures, etc… Mais au final, il insulte tout le monde en disant qu’il est le meilleur et en faisant rêver des gamins avec des trucs qu’ils n’ont jamais vu comme des meufs en string qui pèsent de la cocaïne. Ces artistes-là entretiennent les clichés que les gens non-initiés au rap ont de cette musique. De plus, ils finissent par salir et dénaturer cette musique.
DWT : Penses-tu que les prochaines générations de rappeurs s’exprimeront qu’au travers d’onomatopées ?
L’Indis : On en n’est pas loin.DWT : Vu le nombre de clips que tu as sorti, tu accordes autant d’importance à l’image qu’à la production de tes morceaux…
L’Indis : C’est surtout que quand tu fais un clip, tu touches plus de monde. C’est le but premier. Après, je considère que le clip est un œuvre à part entière. C’est notamment pour cette raison que je me suis mis à la réalisation. Il faut que ce soit une œuvre qui amène un plus et pas juste un playback ou de l’habillage. Un clip est important car il a plus de portée sur You Tube qu’un écran noir avec le son et nom du morceau. Au début, c’est pour ça que tu le fais mais quitte à faire une vidéo, autant qu’il y ait une part de créativité dans la façon dont le clip sera réalisée. Depuis quelques temps, je fais des clips pour les autres et je ne fais plus rien pour moi… C’est également une création artistique et ça me plaît.DWT : Comme nous le savons, tu apportes un détail très soigné quant au choix de tes instrus. Tu arrives à satisfaire toutes tes attentes ou tu te heurtes à des frustrations ?
L’Indis : C’est une super bonne question. C’est super ambigu, c’est un combat en fait. C’est même un point de litige avec mon frère. Pour avoir travaillé dans les années 1990, avec du sample et du grain, notre oreille s’est familiarisée à un certain type de son alors qu’aujourd’hui, ça sonne très électronique. Mais je n’ai pas envie de passer pour un vieux con. L’artiste doit créer, prendre des risques et ne peut pas reproduire tout le temps la même recette. D’un autre côté, les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.Les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.
Je n’ai pas envie de revendiquer que le rap était mieux avant, ni qu’on me prenne pour le mec old school, je me demande juste comment faire évoluer mon son. D’autant qu’on réfléchit à faire un album des 10’, ou en tout cas, un projet commun. Est-ce que ce projet doit sonner moderne ou comme il y a quinze ans ? Il ne faudrait pas enterré plutôt qu’entériner. C’est ambigu. Si ça sonne old school, j’avoue que ce n’est pas volontaire. Mais je pense aujourd’hui avoir trouvé un compromis, entre ce grain old school et la modernité, grâce à Nizi du crew Kids of Crackling. Il utilise les techniques de sampling d’avant et il ajoute certains rebondis dans la rythmique qui font que ça sonne moderne. Ce compromis m’a beaucoup plu ces derniers temps et Nizi arrive ainsi à me satisfaire.
DWT : Tu es rappeur, mais tu es surtout enseignant dans une école primaire depuis quelques années. Les deux fonctions sont-elles compatibles ?
L’Indis : Au niveau de l’emploi du temps, je mettrai toujours la priorité sur mon métier. Le rôle d’un père de famille est de ramener de l’argent, donc je mettrai toujours la priorité sur mon métier. J’essaye de faire en sorte que les deux soient compatibles. Par ailleurs, je pense que la ligne de conduite que j’essaye de faire ressortir dans mes morceaux est compatible avec la fonction d’enseignant. Certains de mes élèves sont tombés sur mes clips mais je préfère qu’ils gardent l’image d’un enseignant qui met l’accent sur l’instruction plutôt que d’un chanteur.DWT : Tu as certainement un devoir de réserve par rapport à ta fonction d’enseignant mais que penses-tu des moyens déployés par l’éducation nationale dans les quartiers ?
L’Indis : C’est souvent un problème. Chaque gouvernement a mis en place des réformes comme si chaque gouvernement avait envie d’être le nouveau Jules Ferry ou envie de marquer l’histoire. Leur manière de trouver des moyens est souvent couplée par le fait de limiter les dépenses plutôt que de servir l’intérêt des enfants. Les syndicats se battent tous les ans parce qu’on embauche pas suffisamment de prof car l’idéal dans les écoles serait d’avoir un prof supplémentaire pour aider les élèves en difficultés. Or, dès le concours IUFM, ils n’ouvrent pas suffisamment de place d’admission au concours pour assurer le nombre de postes à pourvoir…DWT : Autre sujet d’actualité : tu prends souvent position sur facebook contre l’horreur des massacres perpétrés en Palestine. Penses-tu que cette thématique a sa place dans le rap ?
L’Indis : La seule chose que j’ai envie de dénoncer est que je vois des êtres humains en tuer d’autres. Au delà d’une histoire de frontière ou de religion, je pense qu’il faut dénoncer ces actes. Quelque soit le pays, quelque soit la cause, c’est déguelasse. C’est con ce que je dis mais c’est juste ça. Quand je vois le gouvernement français rendre hommage à un soldat israélien qui a disparu et ne pas prendre position alors que le même jour, quatre enfants gazaouis explosent alors qu’ils jouaient sur une plage, ce n’est pas normal. Il y a un manque d’équité. Et face à tous les messages de haine que je peux voir un peu partout, c’est un message de paix que j’ai envie de véhiculer.DWT : Tu es un observateur privilégié de ce qu’est devenu cette musique depuis la fin des années 1980 jusqu’à nos jours. Comment expliques-tu l’appauvrissement de cette dernière en France ?
L’Indis : Dans les années 1990, en tout cas avant 1996, tu ne pouvais pas te retrouver dans le hip hop si tu ne l’avais pas voulu. Dans ma cité, personne n’en écoutait, tout le monde était dans la funk. Il n’y avait que moi et il fallait être un fouineur pour continuer à être là-dedans. Tout le monde n’allait pas à Ticaret… Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…
Aujourd’hui, les mecs qui rappent dans les cités reprennent les ingrédients de Kaaris, car ils ne pensent qu’à une chose : se faire de la caillasse grâce au rap. Le gros tournant à mon sens, c’était 113 avec « Truc de fou ». C’est là que tous les mecs de cité se sont intéressés au rap, ils n’avaient pas forcément les codes, pas forcément les bases, et ne s’occupaient pas de savoir si untel ou untel rappait bien. Mais ils s’y sont intéressés et tout le monde s’est mis à rapper, à représenter sa cité. Ce tournant, c’est celui qui nous a fait passer de la culture hip hop à cette vision du rap. Et ça a ramené plus de T-max et d’YZ dans les clips pour « représenter ». Cette « nouvelle école », parfois ignare, n’a qu’un objectif : croquer. Et peu importe le message. Pour beaucoup parmi l’émergence de ces nouveaux rappeurs, être « crus » dans les textes leur suffisaient pour croire qu’ils rappaient bien. Ils n’ont pas eu tout l’apprentissage qu’on a eu sur cette culture, ce qui a fini par appauvrir cette musique. A force, on est retourné en arrière alors qu’on était arrivé à des progrès intéressants sur le plan technique, notamment grâce à des groupes comme les Sages Po’, Time Bomb, etc… Peut-être que c’était inévitable, peut être que c’est cyclique ou peut être que le rap était devenu tellement technique que ça ne parlait à plus personne…
DWT : Avec du recul, le hip hop était-il bien la culture qui devait se répandre en banlieue ?
L’Indis : …Qui « devait », du verbe devoir… (court silence) Déjà, j’avais l’impression que le rap était réservé à des mecs de rue au regard de l’image qui était véhiculée par cette musique. Je pensais que ces mecs vivaient comme nous. En gros, qu’ils vivaient ce qu’on vivait en bas de chez nous. Mais je me suis rendu compte super tardivement que ce n’était pas le cas et que ces rappeurs « engagés » et « antisystème » du jour s’empressaient de se retrouver le soir chez Castelbajac. Ils évoluaient dans des soirées mondaines alors qu’on avait l’impression qu’ils mangeaient des merguez-frites avec nous. Mais cette culture comportait beaucoup de potentiels pour les jeunes : danse, graff, etc…, et s’est répandue partout. L’esprit de compétition qui régnait à l’époque constituait aussi une forme d’attraction évidente pour les jeunes. Ca a permis à plein de mecs de pouvoir exister et de s’épanouir artistiquement. Après, quand l’argent est entré en jeu, ça a changé la donne.DWT : On va se la faire à l’ancienne : pour terminer, ton mot de la fin ?
L’Indis : Ca fait plaisir d’être interviewé par DWT, qu’on connaît depuis plus de 20 ans et avec qui on continue de partager les mêmes valeurs et les mêmes passions. Donc Big up à DWT. J’espère que tous les artistes que ce média a soutenus au cours des années 1990 lui seront toujours disponibles et qu’ils n’auront pas la mémoire courte.