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Phil Barney est certainement le premier rappeur !

Dee Nasty venait acheter des disques chez moi. Toujours du respect pour lui parce que c’est un DJ interplanétaire. Dans les choix musicaux, il savait qu’il pouvait trouver ce qu’il faut chez moi.

Au début, il y eut le big bang, l’univers puis la formation de la Terre. L’apparition des dinosaures, l’ère glacière, les premiers hommes et puis rien de spécial avant l’avènement du hip hop notre royaume. Bon… Nous ne sommes pas véritablement sûr que tout se soit réellement passé comme ça mais une chose est sûre : le chanteur de variétés française, Phil Barney, rappait déjà à la radio fin 1981. C’était l’époque des radios libres, des prises d’antenne folkloriques, des lancements improbables car en ce temps là : « chacun fait c’qui lui plaît« , même le groupe Chagrin d’Amour avec ses phases de rap, aussi en 1981, sous influences de Debbie Harry et du morceau Rapture (sortie en novembre 1980). Vous nous direz et alors ? Qu’après tout, tout le monde s’était mis au rap en France : Dorothée, des musclés, Bézu, Lagaf, un saucisson sec, Philippe Manœuvre, des premiers sur le rock puis sur le rap, un Gynéco et même un Pro-Prié-Taire… Chers lecteurs : c’est vous dire ! Mais Phil a ce gros truc en plus que les autres n’ont pas : il est une encyclopédie de la black music à lui tout seul et en a favorisé l’émergence en France ! « Là où tu arrives, ça fait des années qu’il y midort » dit la punchline. Pour lui, pas besoin de pseudo street credibility pour t’expliquer la grosse fonk à papa ou que Marvin Gaye ait décidé de produire son premier album. Comme au temps des radios libres, bienvenue sur l’antenne indépendante DWT, label rouge 100% AOC, élevé au béton de la Seine Saint-Denis. C’est dans un matériau similaire mais d’un département limitrophe que Phil a grandi… Le 9-4, qui deviendra quelques décennies plus tard le berceau d’une mafia africaine… Est-ce un signe ? Laissez-vous conter la merveilleuse histoire de celui qui semble être le premier MC français…

Down With This : Dans quel contexte familiale es-tu né à Annaba en Algérie ?
Phil Barney : Absolument, je suis né à Annaba en Algérie à l’époque où c’était un département français. J’ai grandi dans une famille simple, mon père était tailleur, ma mère institutrice. Comme tout bon « feuj » qui se respecte, on était dans les fringues (rires). J’ai grandi dans une famille avec une double culture très orientale. Je parle arabe couramment. Ca se ressent chez moi avec mes influences musicales, dans l’utilisation des groove, des rythmiques, ca a été vraiment un atout. Cette double culture est enrichissante, pour les parfums, la cuisine, la musique ou juste le fait de ne pas avoir peur des gens, des coutumes, d’être ouvert sur les choses, les gens, tu flippes moins. Tu sais que c’est une culture qui vient de très loin et que les gens ont grandi avec ça. Ce qui ne veut pas dire que c’est un truc barbare ou quoi. Ma grand mère m’a un peu élevée aussi et elle utilisait beaucoup la langue arabe surtout quand elle était en colère après moi (rires). La savate et les gros mots partaient très vite !

Comme tout bon « feuj » qui se respecte, on était dans les fringues (rires). J’ai grandi dans une famille avec une double culture très orientale.

Phil Barney - Interview - Fleming Bonneuil 94 - DWT Magazine - Down With This

Quartier Fleming, Bonneuil-sur-Marne (94) – D.R.

DWT : C’est en arrivant d’Afrique que tu t’installes dans le Val de Marne ?
Phil Barney : Je suis arrivé le 18 juillet 1967, j’avais dix ans. Je suis né en 1957. Je n’avais jamais vu la neige, ni d’instruments de musique à part le violon que mes parents m’avaient obligé à apprendre avec un certain Monsieur Samut qui avait beaucoup de patience. Il a du mourir depuis le pauvre. C’était quelqu’un de super. Je ne savais pas du tout vers quoi je me destinais en rentrant en France. J’ai appris la batterie et la guitare. On habitait Bonneuil-sur-Marne (94, dans le quartier Fleming) mais il n’y avait pas de lycée, ni de collège. J’ai donc suivi mes études à Créteil avec un cursus normal jusqu’à la terminale. Ensuite, j’ai fait un BTS de chimie à Saint-Maur parce qu’il fallait bien faire quelque chose après le BAC. J’avais déjà des velléités de faire de la musique. Je ne voulais faire que ça et ne pensais qu’à ça avec le football qui me mangeait le cerveau. Je ne connais d’ailleurs qu’un seul club digne de ce nom, c’est l’Olympique de Marseille. Quand je suis arrivé d’Algérie, il y a eu un passage obligé par Marseille, dans une partie de ma famille en attendant que mes parents trouvent quelque chose et travaillent. J’ai joué plus tard au Samba Football Club, un club d’artistes avec Ginola, Olmeta, Francescoli, Daniel Bravo, des mecs super. Môme, je voulais aussi faire vétérinaire… J’ai commencé par la batterie mais pour jouer, c’était compliqué dans un HLM. Au niveau nuisance sonore, c’était moyen. A la MJC de Charles Vildrac, il y avait « Au Bonheur des dames » qui cartonnait. Il y avait une pièce avec une batterie à l’intérieur qu’on me prêtait. C’est les premières fois où mes parents m’ont laissé sortir pour les répètes. Pour moi, cette batterie orange était un trésor. Je faisais super gaffe, je la rangeais super bien. C’est à ce moment là que j’ai appris à faire gaffe à ce que j’avais. La première guitare que j’ai acheté, c’était une Épiphone, une sous-marque de Guitson. Je l’avais acheté mille balles avec mon père chez Paul Beuscher. Je l’ai depuis 47 ans, c’est un collector nickel et elle sonne vraiment bien. Je la vendrai pour rien au monde.

Sugarhill Gang 1980 - DWT Magazine - Down With This

Sugarhill Gang (1980) – D.R.

DWT : C’est bien le hit Rapper’s Delight qui te fait découvrir le rap ? Tu ne connaissais pas The Last Poets par exemple ou Blowfly avant ?
Phil Barney : J’ai toujours voulu faire de la musique mais je n’avais pas de thune. Je me suis donc mis à bosser dans un magasin de disques qui s’appelait Mini Club de Nuit au 42 boulevard du Montparnasse à Paris. On fournissait 650 clubs en France. Les trucs genre Imagination et toutes ces daubes-là, je n’ai jamais voulu passer ça. On m’avait dit qu’Imagination, c’était de la funk mais ça ne l’a jamais été pour moi. Toute la disco italienne, avec les Comanchero ou autres, ça me sortais par les yeux. J’étais une sorte d’OVNI dans le truc parce que je m’occupais que la musique black et funk. J’étais en communication avec Stratford et c’est moi qui commandait les disques par téléphone. Mon truc, c’était le grand funk et les premiers trucs qui sont arrivés sous le label Tommy Boy. Rapper’s Delight mais aussi Kurtis Blow, Grandmaster Melle Mel, toute cette mouvance là. Ca peut paraître présomptueux mais j’ai toujours imagé que de parler rythmiquement, c’était un style musical. Cela ne concernait personne, que moi dans ma tête… Mais quand j’ai été mis devant le truc, je me suis dit : « mais voilà, c’est ça ! ». Et le Rapper’s Delight avec le Sugarhill Gang, c’était ça ! Après, ce qui m’a marqué comme titre balaise, c’est « The Message » de Grandmaster Flash and the Furious Five. Je me suis dit : « c’est facile à faire », c’était des ricains un peu ghetto. Il y avait l’association du son de Stevie Wonder avec une fusion de vrais musiciens.

Les rappeurs que j’ai rencontré par la suite, c’était par l’intermédiaire de Sidney parce qu’il avait un groupe : Black White and Co.

Phil Barney - Sidney Black White and Co - DWT Magazine - Down With This

Sidney et son groupe Black White and Co avec Stevie Wonder – D.R.

DWT : Connaissais-tu d’autres rappeurs autour de toi ?
Phil Barney : Pas du tout. En France, il n’y en avait pas. Les rappeurs que j’ai rencontré par la suite, c’était par l’intermédiaire de Sidney parce qu’il avait un groupe, Black White and Co, qui était un peu le Caméo français avec des super musiciens comme Fred Montabord. C’était vachement important d’avoir quelque chose de crédible et à la hauteur de ce qu’il se passait chez les ricains. A part Black White and Co, il n’y en avait pas d’autres. Ils étaient invités permanent. On a fait l’Opéra Night. Ils étaient de tous les spectacles que je faisais. Soit à La Scala, le mercredi soir, soit l’Opéra Night et dans toutes les boîtes où j’œuvrais sur Paris. Il y avait des super DJ’s comme Marco Polo. J’étais dans cette mouvance-là, bien avant Radio 7 et que Sidney ait son émission. Donc je peux dire que je suis le précurseur de cette mouvance musicale. J’étais dans le funk à fond de 1979 à 1982, j’étais dans le vrai sens de la black music. Pour moi le précurseur, c’est James Brown. C’est lui qui a tout inventé, en découvrant des rythmiques qui sont encore aujourd’hui utilisées par les mômes du hip hop et du r’n’b. Le godfather porte bien son nom. Tous les blacks sont arrivés après : Larry Blackmon, Parliament Funkadelic avec Georges Clinton. Pour moi, c’est ça la base. Le rap, c’est la continuité de ce mouvement. C’était pour moi les punks du funk. J’ai été DJ en club et j’ai ramé comme un mort parce que dès que je mettais cette musique tout le monde se barrait de la piste. Je me suis obstiné parce que je pensais que c’était bon. J’étais très élitiste. J’ai toujours passé de la qualité, On ne pouvait pas dire que ce n’était pas bien. Je n’ai jamais souscrit à la soupe de tout ce qu’on voulait entendre dans les clubs et pourtant j’étais DJ. Aujourd’hui, c’est n’importe quoi.

J’avais besoin d’écrire, je n’étais pas un improvisateur comme Lionel D ou des mecs comme ça. Les mecs faisaient des battles avec un talent fou.

DWT : Tu t’entraînais à cette discipline du MCing ?
Phil Barney : Je retrouve parfois des cassettes trente ans après en faisant des galas. Le MC, je ne savais même pas ce que cela voulait dire. Le rap, j’en faisais toute la journée sans le savoir ! J’avais besoin d’écrire, je n’étais pas un improvisateur comme Lionel D ou des mecs comme ça. Les mecs faisaient des battles avec un talent fou. J’étais déjà passé à autre chose à cette époque. Je voulais aller plus loin en créant des chansons. J’avais eu le filon des skeuds à New York, donc je les jouais. Je n’ai été qu’une goutte d’eau dans l’océan. De toute façon, la vague serait arrivée, plus tard peut-être, mais elle serait arrivé quand même.

Phil Barney - DWT Magazine - Down With This

DWT : Raconte-nous l’année que tu as passé dans la radio associative Carbone 14 à Paris…
Phil Barney : C’est ce qui m’a servi de fusil à pompe. J’étais dans cette radio pour passer de la black music et quand le rap est arrivé je me suis dit c’est un mouvement black music énorme et j’ai vraiment voulu lâcher les chiens là-dessus. J’étais responsable d’une tranche assez importante et dans cette émission je voulais absolument passer des nouveautés. J’étais imbattable avec Stratforf, j’avais les news. C’était tous les jours, une radio 24 heures sur 24, rare pour l’époque. Tout le monde pouvait intervenir sur les émissions de tout le monde. C’était un bordel énorme mais organisé. Mon émission au début s’appelait « Get up, Stand up » le matin très tôt de 6 heure à 9 heure. Après je faisais la technique sur une émission de variété française. Je vais dire une connerie mais on a vraiment tout inventé à Carbone 14. C’était une radio proche des gens avec des émissions comme « 50 millions de voleurs ». C’était des anarchistes fous furieux. On vendait du shit à l’antenne, on invitait des meufs. Un soir, je faisais la technique avec Jean-Yves Lafesse et il demande à des filles de venir en chemise de nuit à la radio. Quatre meufs arrivent en taxi et dans le lot, il y avait une rebeu qui me parle d’Annaba. Elle me dit qu’elle est de là-bas, moi aussi. Elle me parle d’une institutrice de qui elle se souvient et me dit le nom de ma mère… Je lui ai dit « mais je suis son fils ! » et elle s’est mise a pleurer. Elle n’osait plus me parler. Elle s’est dit : « je viens à Paris pour me lâcher en chemise de nuit et il y a le fils de mon institutrice ! ». Elle était de toutes les couleurs de honte. C’est un beau souvenir. Le propriétaire de la radio, c’était une sorte de mafieux corse qui tenait le truc, Dominique Fenu. Une sorte de tyran monstrueux qui avait l’intelligence de nous laisser faire ce qu’on voulait à la radio. Michel Fiszbin, un fils de député communiste dissident, avait été en charge de monter cette équipe avec des gens qui avaient tous un certain talent. Moi, c’est un copain d’enfance avec qui je rodais dans la cité qui m’a fait rentrer, Philippe Merlin, que tout le monde appelait « Perluche ». Il était imitateur avec des trucs hyper marrant. Il m’a dit : « j’ai vu une annonce dans Libé, je dois amener une cassette pour être pris à Carbone, est-ce que tu veux me faire les sons ? ». Bien sûr, j’ai envoyé le Funk ! Entre les trucs, il faisait des imitations en racontant des conneries. C’était Rires et Chansons avant tout le monde. C’était la libération de la FM, on s’est dit on va être précurseurs sur énormément de style de musique, notamment le Funk. Après mon passage, j’ai continué la musique mais quand on m’a proposé de jouer avec Marvin Gaye, je suis parti de Carbone 14, j’ai dit : « bon allez les gars, je vous écrirai, je vous raconterai ! ».

J’ai continué la musique mais quand on m’a proposé de jouer avec Marvin Gaye, je suis parti de Carbone 14, j’ai dit : « bon allez les gars, je vous écrirai, je vous raconterai ! ».

DWT : Le Slogan de Carbone 14 était « La radio qui vous encule par les oreilles » et ton émission « Salut les salauds » étaient assez vulgaires en fait…
Phil Barney : Un des slogans était « Radio Carbone 14, la radio des tronchés ». Le morceau existait, je le trouvais sympa et en rapport avec l’esprit de la radio. Je faisais tout un rap en disant : « Salut, c’est salut les salauds, bienvenue à tous ». Je trouvais ça super drôle de rester là-dessus. Je n’ai jamais étais grossier à l’antenne. Ma démarche était musicale avant tout. Ca n’a jamais été de parler de cul. J’étais content d’être là et ça me faisait marrer. Des fois, je rentrais chez moi à 5 heures du mat, je mettais la radio dans mon lit et je me rhabillais pour y retourner. C’était no limit. On était avec Fréquence Gay et Ici et Maintenant, toutes c’est radios de dingos. On a annoncé la mort de Mick Jagger à l’antenne, on s’est fâchés avec l’AFP. On n’avait pas le droit aux pubs. Il y avait aussi Nova mais c’était trop la déglingue pour nous, c’était compliqué. Si t’as pas d’aspirine, tu as mal à la tête avec Nova.

Les français ne voulaient pas produire ce genre de musique et se disaient : « de toute façon la vague américaine arrive, on ne pourra pas les concurrencer ». On n’avait pas les mêmes moyens pour le faire.

DWT : Tu connaissais Wallis Franken, le top model germano américaine qui rappe « Salut les salauds » avec le groupe Interview ?
Phil Barney : Je les ai croisé dans une soirée parisienne. Il y avait une fille et deux mecs je crois. C’est eux qui ont fait ce titre. C’était un mec qui s’occupait de la nuit qui a produit ce morceau à l’époque du Palace et des Bains. Je trouvais que le morceau en lui même était terrible. On n’avait pas suffisamment de productions françaises. Les français ne voulaient pas produire ce genre de musique et se disaient : « de toute façon la vague américaine arrive, on ne pourra pas les concurrencer ». On n’avait pas les mêmes moyens pour le faire. On n’avait pas suffisamment d’influence américaine pour avoir un vrai style en France. Le seul truc, c’était d’en passer et c’est ce que je faisais.

DWT : Parlons de ton éphéméride rappé quotidiennement sur la télévision RTL TV…
Phil Barney : J’étais présentateur télé. Je devais faire un truc sur le Saint du jour et je le faisais en rap. J’avais composé cinq titres : du lundi au vendredi. Je faisais l’éphéméride en rap ! Si tu disais « vachement », t’avais le téléphone qui sonnait pour te demander de châtier ton langage. C’était à La Villa Louvigny au Luxembourg. J’ai bossé dans une unité de production dans le 15ème arrondissement de paris avec la fille de Monsieur Grass, la fille du big boss de l’époque. Il y avait aussi deux heures d’émission à fournir en hebdo tout les dimanches. C’était un gros travail. J’avais même fait une rubrique qui s’appelait « t’as le look coco » dans laquelle je faisais un parallèle avec les fringues, où tu allais manger et ce que tu écoutais comme musique. Je suis même allé dans des cités pour le rap…

DWT : Lesquelles ?
Phil Barney : Chez moi, à Fleming, Bonneuil-sur-Marne. Ce qui a tout ruiné, c’est la dope. Les bastons, c’était encore à la main. Les vols de mobylettes, c’était juste pour changer les pièces et encore… On avait surtout peur de se faire défoncer par nos parents. Quand on rentrait à la maison, on rentrait dans le rang. A chaque fois que j’ai pu parler du rap et de cette culture, je l’ai fait. Je trouvais que c’était intéressant. Et d’ailleurs RTL ne m’a jamais fait chier pour ça. Ils étaient d’accord. Je faisais des raps sur des prénoms improbables, va faire du rap sur Cunégonde ou Eusèbe. Il faut que sa rime en plus.

A chaque fois que j’ai pu parler du rap et de cette culture, je l’ai fait. Je trouvais que c’était intéressant. Et d’ailleurs RTL ne m’a jamais fait chier pour ça.

DWT : Que pense tu des autres émissions de l’époque sur Radio 7 avec Sidney et Gangsterbeat et du Benny Show sur RDH avec Speedy Dan One et Ben ?
Phil Barney : Je trouvais ça vachement bien. Je n’étais plus dedans donc je n’étais pas en concurrence avec eux. Je suis allé le voir à L’Émeraude et au Rayon Vert, rue de la Contre Escarpe. Il fallait connaître ces deux boîtes. Et Marco Polo qui bossait au Rose Bonbon, qui était aussi une super boîte. Je connaissais aussi DJ Chabin, lui c’était du sérieux. A la limite, j’étais fier que cette idée soit semée et en même temps, pour moi, Sidney c’est la plus grande référence musicale de la black music que je connaisse. De Minnie Riperton à Rihanna, il connaît tout !

DWT : Meilleur qu’Olivier Cachin ?
Phil Barney : Olivier Cachin, il court derrière (rires). Sidney c’est le roots, le mec dans la rue avec les disques sous le manteau et qui allait chercher les trucs. Cachin, c’est juste lui qu’on invite pour parler de ça dans des endroits bien pensants. C’est le plus voyou des bien pensants on va dire… Donc il y a eu toute cette mouvance de précurseurs dont j’ai fait parti humblement sans savoir ni pourquoi, ni comment. Après toutes les émissions sur Radio 7, c’était Radio France, donc on est rentré dans les institutions… Sidney a beaucoup apporté au niveau de la programmation, de ses invités et au niveau de l’improvisation du rap, des battles. Tout ça c’était vachement bien. C’est ce qui l’a lancé pour animé ensuite l’émission H.I.P. H.O.P.

Les gens ne l’avaient pas pris comme un mouvement musical mais comme une mode où il fallait avoir les lacets, marcher comme ça avec le survêtement et se rouler par terre alors que ce n’était pas du tout ça.

DWT : Tu as juste accroché au rap ou plus globalement à ce qu’on a appelé le hip hop avec toutes ses disciplines ?
Phil Barney : J’ai accroché au rap surtout au départ. Après l’émission de Sidney, malheureusement pour moi, les gens ne l’avaient pas pris comme un mouvement musical mais comme une mode où il fallait avoir les lacets, marcher comme ça avec le survêtement et se rouler par terre alors que ce n’était pas du tout ça. C’était juste un petit satellite de la musique hip hop. Sidney s’est laissé manger par ça malheureusement. Je peux lui dire en face. Je le respecte grave, c’est mon maître, je l’aime. C’est mon poto mais il aurait du être beaucoup plus haut que ça. Malheureusement, c’était l’après-midi au même titre que le Club Dorothée alors que ça méritait une place beaucoup plus importante. Il a fait venir Afrika Bambaataa sur l’esplanade du Trocadéro, des trucs que les français ne pouvaient pas comprendre parce que ça ne correspondait à rien dans nos racines. Nous n’avons pas un problème de blacks en France. On a quoi dans l’histoire de la musique française ? Un tambour et un accordéon ? Pas de country, pas de blues, on a pas eu toute la souffrance des champs de coton qui nous ont amené jusqu’à toute cette mouvance musicale. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, on te dit : « tu veux combien pour faire un album ? ». On te donne les moyens de le faire, après à toi de prouver que tu le mérites. En France, on te donne trois francs six sous et tu dois concurrencer des gens qui sont au top niveau. Comment peux-tu avoir le niveau d’un Bruno Mars ? C’est impossible.

Stars 80 Phil Barney - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu as assisté à la tournée New York City Rap ?
Phil Barney : Pas du tout. Moi j’ai tourné un bouton. C’est tout ce que j’ai fait. J’ai allumé au début une chandelle dans le tunnel et puis tout les autres après sont parti. Ca a ouvert la porte. Ca a donné la parole a travers le rap et le hip hop. Certains écrivaient très bien, les Solaar, les IAM mais les NTM aussi qui avaient un vrai discours. Au début on les a pris pour des barbares mais quand on a gratté un peu le vernis en interviews, on vu qu’il y avait un vrai truc. Ils font du cinéma, ils ont de vrais gueules. Qu’ils soient allumés, ce ne sont pas les premiers, qu’ils prennent des produits, on s’en fout, ce n’est pas ça qui compte.

DWT : Tu allais au Bataclan avec Sidney ?
Phil Barney : Oui j’y suis allé. J’y ait même fais des soirées. Je n’étais plus vraiment dans le truc mais je savais que Sidney l’était. J’étais entre les deux. Honnêtement, s’il y a un mec dans ce pays qui est un phare de ça et qui brille, c’est lui. Je suis arrivé avant lui parce qu’il avait un groupe. Je suis arrivé à Carbone 14 par hasard pour faire du funk et le rap est arrivé à moi donc j’ai ouvert les robinets mais Sidney, il avait la vraie culture. Il savait déjà des choses. Il l’a popularisé de manière plus scientifique, plus intelligente. Moi j’envoyais tout ce que j’avais avec des : « ça c’est bien ! ». C’était important parce qu’il fallait y aller mais lui il a fait le truc en plantant vraiment les bases. Le Bataclan, c’était noir de monde si on veut faire des blagues racistes (rires). Le truc était là. Je faisais des soirées blacks à La Scala le mercredi soir alors qu’ils ne pouvaient pas rentrer. C’était Monsieur Molina le patron. On était obligé de demander aux blacks de venir habillé façon milord pour les laisser rentrer et ne pas avoir peur de je ne sais quoi. C’était vraiment le miroir de ma programmation radio sur un dance floor. On s’en foutait des mixes, le plus important, c’était la programmation. Après, Deenasty est arrivé !

Dee Nasty était venu au Byblos, une boîte à Mantes-la-Jolie où j’avais fait le son. Il mettait des sacs en plastiques à la place des feutrine pour que sa glisse mieux. Il a scratché avec tout ce qu’il pouvait.

DWT : Quelles étaient tes relations avec DJ Dee Nasty ?
Phil Barney : Dee Nasty venait acheter des disques chez moi. Toujours du respect parce que c’est un DJ interplanétaire. Dans les choix musicaux, il savait qu’il pouvait trouver ce qu’il faut chez moi.  Il a même fait le championnat du monde des DJ’s. Dee Nasty était venu au Byblos, une boîte à Mantes-la-Jolie où j’avais fait le son. Il mettait des sacs en plastiques à la place des feutrine pour que sa glisse mieux. Il a scratché avec tout ce qu’il pouvait. Il était livreur et je lui disais : « putain mais il ne faut pas que tu soit livreur, prend un manager et devient ce pourquoi tu es fait ! ». C’est toujours les problèmes de thune en France mais le mec a su s’imposer dans une discipline.

DWT : Et ton flow vient d’où ?
Phil Barney : J’en sais rien c’était caché derrière en fait. C’est arrivé quand c’est arrivé. J’ai de la tchatche. Je suis speed. T’es tight sur le tempo et ça vient !

J’ai rappé en studio et le medley disco a été nominé aux Discos d’Or présenté par Yves Mourousi au Casino de Paris. Premier rap, c’était tout neuf, ça n’existait pas.

DWT : Parlons de ton premier enregistrement rap avec le titre des New Paradise en 1983.
Phil Barney : C’est le mariage de la carpe et du lapin. Les New Paradise c’était un groupe de disco avec trois jolies filles, je ne suis même pas sur que c’était elles qui chantaient sur les disques. C’est un producteur qui avait signé chez Vogue, mon premier producteur avec premières chansons. Un rock west coast et en face B un reggae. Il m’avait entendu à la radio, il m’avait dit : « comme tu rappes, est-ce que tu ne voudrais pas faire une intro rap pour un medley disco qu’on va faire ? ». Je l’ai fait parce que ça me permettait de chanter sur scène et que les meufs étaient jolies. J’ai rappé en studio et le medley disco a été nominé aux Discos d’Or présenté par Yves Mourousi au Casino de Paris. Premier rap, c’était tout neuf, ça n’existait pas.

DWT : Ca va peut-être t’énervé mais il y avait eu le groupe Chagrin d’Amour avant toi (composé de Jean-Pierre Trochu aka Grégory Ken, décédé, et de Valli Timbert américaine né à New York).
Phil Barney : Ca ne m’énerve pas. Ca a été effectivement diffusé. Le morceau est bien, on le chante encore aujourd’hui mais ça n’a rien à voir. C’est du rap sans être du rap. C’est le premier qui a marché. Le mouvement rap a mis combien de temps à arriver entre Carbone 14 et les premiers titres de Solaar ? Moi j’ai amené le rap en 1981 donc neuf, dix ans avant que ça existe vraiment et qu’on considère que c’est un vrai mouvement musical. Je l’ai fait parce que c’était dans mon ventre. Moi aussi je regardais les ricains, je n’ai rien inventé. Quand j’écoute le flow de « Salut les salauds » et celui des mômes d’aujourd’hui, ça n’a rien à voir. Ce n’est plus de l’Alexandrin, ils coupent au milieu, ils font des relances sur une rime de la phrase d’avant. Je trouve ça super. C’est pour ça que j’aime bien Youssoupha, Sinik, Rohff au delà du discours qui est parfois trop hargneux. Soprano j’adore, je respecte.

DWT : Dans le même genre, que penses-tu du titre rappé « Wally Boule Noire » de François Feldman ?
Phil Barney : Je connais bien François, je suis avec lui sur tournée Stars 80. C’est une vielle histoire. On a été signé ensemble chez Mercury pendant de nombreuses années. On s’est pas mal tiré la bourre sur les trucs genre Top 50. C’est un gars qui a beaucoup de talent. C’est un vrai grooveur. Il m’a ressorti des vieux dossiers que j’ai réécouté. Il a le sens du groove. J’ai toujours était fan de François, dès le départ. Sa musique était dans l’esprit de ce que je voulais. Il faut plus d’artiste comme ça en France. Lui il faisait vraiment parti de ceux qui assuraient.

DWT : Son rap, tu en penses quoi ?
Phil Barney : Heu… Joker. Je ne veux pas dire du mal. Il toujours été un bon compositeur et un groove.

DWT : Quel rapport entretiens-tu avec le vinyle depuis l’époque de la boutique Mini Club de Nuit au 42 boulevard du Montparnasse ?
Phil Barney : C’était un tout petit bouclard. On était aussi sur les Champs-Élysées au 34, dans la galerie. On continuait de faire de l’import-export de disques américains, new yorkais avec Stratford. On fournissait les clubs par correspondance comme à l’Élysée Matignon et tous les clubs branchouilles classieux de Paris. Les mecs sortaient des liasses de billets pour avoir des cassettes de ces DJ’s. Il y avait aussi Champs Disques. Nous, on était plus pointu. J’ai environ 4 500 vinyles.

DWT : Que penses-tu des DJ’s issus du hip hop et de leurs techniques à base de mix, cut et passe passe ?
Phil Barney : Pour dire la vérité, je suis dépassé. Je les regarde faire, je suis super impressionné. Ce n’est plus du tout la même technologie. Je suis très admiratif mais je n’utilisais pas les mêmes trucs. On avait des consoles normales avec des pré-écoutes. Je mixais avec trois platines au Byblos. Mon show été surtout dans le chant avec mon rap sur les disques. Ca m’arrivait de faire du scratch. Je poussais les tirettes. Jai lâché l’affaire, aujourd’hui je suis dans un monde de musiciens. Je joue beaucoup et j’ai un studio chez moi. J’ai une structure à la maison qui me permet de faire énormément de choses. Je produis avec un anglophone, le fils de Gordon Henderson. J’ai même produit un groupe de ragga « Roots Intention Crew » et des musiques urbaines. Le mouvement hip hop a amené cette utilisation de samples.

On avait fait venir les premiers breakdancers : Rock Steady Crew avec Mister Freeze et son moonwalk. Il est venu à La Scala un mercredi soir mais tous ces gens-là sont passés totalement inaperçus car ce n’était pas l‘endroit pour ça.

DWT : On va parler de l’ambiance de la boîte de nuit ou tu mixais, « La Scala »…
Phil Barney : Il y avait un DJ, Bernie N’Guyen, à qui j’ai écris un rap qui est sorti avant Chagrin d’Amour mais comme leur titre a cartonné, c’est celui là qui est passé. Il s’appelait Bernard Givan, une histoire sordide de la nuit. Il a un imper et un chapeau, un métis black asiatique. Il était amoureux de Mathilda May à l’époque. Il mixait à l’avant soirée et moi j’amenais toute la programmation de Carbonne 14 pendant deux heures et lui reprenait après. Le but était de faire danser les gens. C’était blindé sur trois étages. On avait fait venir les premiers breakdancers : Rock Steady Crew avec Mister Freeze et son moonwalk. Il est venu à La Scala un mercredi soir mais tous ces gens-là sont passés totalement inaperçus car ce n’était pas l‘endroit pour ça. C’était des profanes, les gens n’en avaient rien à carrer. Ils voyaient des types danser hyper bien sur de la musique Funk. Ca faisait un show. C’était une vraie culture, il n’y avait pas seulement la musique. Il faut bien que des gens ouvrent les fenêtres. C’était avant le break. Ils n’étaient pas encore par terre. Ils faisaient des trucs de robots, des waves. Ca surprenait tout le monde parce que c’était neuf !

DWT : Ton fils écoute du rap ?
Phil Barney : Il a treize ans et il n’écoute que ça. Aujourd’hui, son oreille est pervertie par la radio. Il est branché Black M comme tous les gosses. Mais Black M, je suis désolé, je n’y arrive pas. C’est quinze fautes de français à la seconde, c’est des images les pieds dans le gazole. Il y a une vraie incidence sur les mômes. Je respecte ça mais je dit on peut mieux faire quand même.

Youssoupha par exemple, c’est du lourd. Il y a des formules un peu faciles mais en gros, il y a une vraie démarche d’écriture. (…) Soprano, lui, je trouve qu’il a amené de la fraîcheur.

DWT : Quels conseils pourrais-tu donner aux rappeurs actuels ?
Phil Barney : Maître Gims avec Sexion d’Assaut, je trouve ça proche du P-Funk mais tout seul, il fait du Frédéric François avec sa voix de black. Il chante super bien mais il fait le championnat du monde du plus gros portefeuille. Il est plus du tout dans la black music et encore moins dans la musique urbaine. Il fait de la variétoche de chez variétoche. Il crache sur les chanteurs de variété mais il fait exactement la même chose. J’ai beaucoup bossé avec Kore et Scalp. J’ai essayé d’écrire des punchlines avec élégance. Kore est un génie qui travaille super vite. Scalp produit sa femme Indila. C’est un killer. Ce qu’il manque à cette musique, c’est la consistance dans l’écriture. On nivelle vers le bas. Youssoupha par exemple, c’est du lourd. Il y a des formules un peu faciles mais en gros, il y a une vraie démarche d’écriture. C’est un regard lucide sur la vie de la banlieue. Ca tourne toujours un peu en rond à ce niveau là. Soprano, lui, je trouve qu’il a amené de la fraîcheur. Il y a des mecs qui ne sortent pas de leurs banlieues alors qu’avoir plusieurs cultures est d’une richesse folle.

DWT : Si tu devais partir dans une tournée Stars 80 spécial rappeur, tu choisis qui pour t’accompagner ?
Phil Barney : Sidney en rap mais aussi Solaar comme MC présentateur. NTM si on pouvait, IAM parce que c’est les plus grands mais aussi Rohff, Youssoupha, Sinik, Soprano. Mais Stars 80, c’est un OVNI au milieu de tout ça. On fait le Stade de France, toutes les dates sont complètes. Après t’es prisonnier des succès… Avec « Un enfant de toi », même mes potes d’écoles m’ont dit : « mais qu’est ce qu’il t’es arrivé ? ». Ils pensaient que c’était une histoire vraie et que j’en avais fait une chanson alors qu’ils m’ont connu dans le groove (rires).

LandersSarrazin

Salut à tous les fans de hip-hop ! Je suis Landers Sarazzin, votre référence pour tout ce qui concerne le hip-hop. En tant qu'auteur et passionné fervent de ce genre électrisant, j'ai consacré ma vie à démêler les complexités, explorer les profondeurs et vibrer au rythme des beats qui définissent la culture hip-hop. J'ai découvert que ma véritable passion ne réside pas dans le fait de rapper mais d'écrire sur la musique qui nous émeut. E-mail / Instagram
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