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Interview Dee Nasty (1995)

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Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Zekri

Je trouve encore qu’il y a un manque de solidarité entre les groupes. Chacun est jaloux de l’autre en croyant que l’autre fait mieux.

Alors que nous venons d’interviewer à nouveau Dee Nasty, nous avons fait le choix de publier en premier l’interview que nous avions réalisé il y a 20 ans, en 1995. Pour l’interview récente, il faudra patienter jusqu’à 16 heures. Début des années 1990, nous sommes au cœur même de ce qu’était cette culture. Le travail que nous avons mené durant cette période d’effervescence, ou d’âge d’or (au choix), nous a permis de constituer les rares témoignages de l’intérieur sur cette époque. Des groupes emblématiques comme La Cliqua ou Expression Direkt donnaient chez nous leurs premières interviews. Bien que d’autres comme Dee Nasty ou Sulee B faisaient déjà figures « d’anciens », ils avaient également toute leur place dans nos colonnes. Et même en couverture puisque c’est notamment au regard de sa forte implication dans l’émergence du hip hop que nous avions consacré à Dee Nasty celle de notre numéro 5. Dans cette interview réalisée il y a 20 ans, vous y (re)découvrirez les réflexions que nous nous faisions sur la tournure musicale du rap : celle d’accepter ou non l’intrusion des musiciens… On était finalement loin de la réalité et des problématiques qui se sont emparés de cette musique en France. Avec la même volonté qui nous animait, nous accompagnerons cette parution par une interview « vingt ans après » (disponible ici). Celle-ci vous permettra de mettre en contradiction les projections de l’avenir avec ce qui s’est réellement passé…

Down With This : Qu’as tu voulu exprimer en mettant énormément le scratch en avant dans ton nouvel album ?
Dee Nasty : On n’en entendait plus assez. Je voulais montrer qu’on peut faire des morceaux hip hop sans rapper.

DWT : Ne crois-tu pas que si cette discipline se fait rare, c’est parce qu’elle coûte très chère à pratiquer et qu’il faut se battre pour pouvoir se procurer du vinyl ?
Dee Nasty : C’est le problème depuis le début, c’est d’ailleurs pour ça qu’il n’y en n’a pas assez par rapport aux rappeurs. C’est vrai qu’en France, les platines et les disques sont chers. Aux Etats-Unis, une MK2 vaut 1200 francs alors qu’ici c’est 3500. Mais quand tu veux être guitariste, tu achèteras par exemple une Gibson qui vaut 5000 francs pour pouvoir bien faire les choses. Donc, comparativement, je ne trouve pas que c’est un instrument plus cher que les autres.

DWT : Est-ce que l’on doit prendre le morceau «Le Mouvement» comme un sentiment de nostalgie de ta part ou comme un constat sur les années passées de rap en France ?
Dee Nasty : Ça a bien évolué depuis que j’ai écris ce morceau, car j’avais l’impression qu’il y avait une conspiration. Il n’y avait pas encore ce renouveau (compil de Moda et Dan, arrivée de La Cliqua, nouvel album d’IAM…). Mais tout n’est pas aussi rose que ça. Je trouve encore qu’il y a un manque de solidarité entre les groupes. Chacun est jaloux de l’autre en croyant que l’autre fait mieux. Il y a trop de gens qui sont là depuis longtemps, qui sont dégoûtés de voir d’autres personnes qui débarquent et pour qui ça va très vite. Ce n’est en fait qu’une impression. Rien que les médias créent eux-mêmes de la jalousie en présentant un groupe comme le «super-méga» groupe, ne serait-ce que pour monter le journal. C’est d’ailleurs pour ça que je disais que j’en avais marre que l’on me cite comme le «parrain», ce terme que les médias reprennent les uns aux autres. Même si c’est un rôle enviable, important ou ce qu’on veut, la manière dont c’est traité, ça devient débile. C’est comme si je voulais faire de l’ombre à d’autres, alors que ce n’est pas le cas. C’est comme s’ils me présentaient comme le seul depuis 1984, alors qu’il n’y avait pas que moi.

Il y a trop de gens qui sont là depuis longtemps, qui sont dégoûtés de voir d’autres personnes qui débarquent et pour qui ça va très vite.

DWT : Que penses-tu des groupes qui commencent à s’auto-produire alors que tu as eu une expérience similaire il y a déjà plus d’une décennie, en 1984 ?
Dee Nasty : En 1989, les majors se sont mis à signer à tout va. A l’époque, c’était un chemin de galérien que de s’auto-produire quand on savait qu’on pouvait sortir des disques en pensant qu’on toucherait des millions. Donc personne ne pensait à s’auto-produire. Depuis un certain temps, tout le monde se met à faire son business tout seul. Du coup, tu t’aperçois vraiment ce qu’il se passe et ça te remet les pieds sur terre. En ce qui me concerne, je veux créer un label qui reste à certain niveau et qui soit à une échelle humaine. Il ne faut pas que se soit la course au succès ou à l’argent. Quand tu sors en auto-production, ce qui est dommage, c’est que les gens qui écoutent ton disque vont le critiquer comme s’ils critiquaient un disque sorti sur une grosse major, avec un très gros budget. Dans mon label, il n’y aura pas que mes productions car il sera ouvert à tous. Quoiqu’il en soit, mon troisième album me permettra aussi d’inviter d’autres gens pour les faire découvrir. Même si ça ne fait pas de grosses ventes, ces disques existeront.

Quand tu sors en auto-production, ce qui est dommage, c’est que les gens qui écoutent ton disque vont le critiquer comme s’ils critiquaient un disque sorti sur une grosse major, avec un très gros budget.

DWT : La Zulu Nation tient-elle toujours une place importante dans ton travail ?
Dee Nasty : Pour moi, les principes de la Zulu Nation sont liés au hip hop lui-même. Le hip hop n’aurait pas eu une dimension autre que musical s’il n’y avait pas eu la Zulu Nation. C’est d’ailleurs par Bambataa que le hip-hop est arrivé en France, et même dans le monde entier. C’était le premier à voyager et à transmettre ça. Si tu es un vrai hip hoper, tu vis tous les préceptes de la Zulu Nation. Pour ce qui est des religions, c’était durant la période où il y avait un phénomène de mode mais toutes les religions sont acceptées. En ce qui nous concerne, nous sommes en train de faire un plan de relance et de réorganisation avec Nicky (Princes du Swing) et LBR. Nous allons aussi élire de nouveaux rois. Mais attention, être roi ce n’est pas juste avoir une couronne et des droits. D’ailleurs, la seule différence entre un Zulu et un Zulu King, c’est que tu agis pour faire évoluer les choses. Le côté officiel des choses, c’est que pour être membre, tu dois remplir un questionnaire, qui pour un fan de hip hop ne pose pas de problème. En contrepartie, on t’écris quand il se passe quelque chose, t’es donc au courant de tout. Il ne faut pas croire que la Zulu Nation c’est «papa et maman». On va apporter une nouvelle structure et informer sur les lois en les rendant moins dictatrices. Par exemple, pour les lois sur la drogue, il n’était pas précisé drogue «dur» ou «douce». A la limite, même si la nouvelle école ne connaît pas les principes de la Zulu Nation, elle en fait partie de fait, sans le savoir, car ça se rejoint.

DWT : Par ta qualité de DJ, que penses-tu des groupes de rap qui intègrent des musiciens dans leur morceau ou sur scène ?
Dee Nasty : Je trouve que le public qui aime le vrai rap, aime voir du vrai rap. Le public n’en a rien à péter qu’il y ait un bassiste ou un batteur. C’est quand même bien de faire ça, mais à ce moment-là t’en reviens à faire du funk avec quelqu’un qui rappe dessus. Tu perds donc ce truc hip hop. Et à l’inverse, quand un groupe de musiciens prend un DJ, il sera juste pris pour faire de la « percu-scratch ».

Je ne trouve pas que le futur du rap doit être comme ça. Ils trouvent comme prétexte que ça fait dix ans que c’est comme ça et qu’il faut évoluer et ne pas rester bloqué.

DWT : C’est par exemple ce qui s’est passé dans l’album des Rita Mitsouko auquel tu viens de participer ?
Dee Nasty : C’était différent car j’étais invité sur l’album. C’est d’ailleurs un truc pour lequel je ne suis pas spécialement fier. En plus, je les voyais comme des gens plus sympathiques qu’ils ne le sont réellement. J’étais donc invité sur l’album comme un percussionniste. Je pense que c’est bien qu’un DJ soit considéré comme un musicien. Cela dit, quand c’est un vrai groupe de rap qui rajoute des musiciens, ça me choque. Je ne trouve pas que le futur du rap doit être comme ça. Ils trouvent comme prétexte que ça fait dix ans que c’est comme ça et qu’il faut évoluer et ne pas rester bloqué. Le problème est qu’il y a beaucoup de gens qui font pression pour que se soit la direction que doit prendre le hip hop. Je trouve que c’est un non-respect que de faire ça, ne serait-ce que par rapport à la manière dont cette culture est née. Par exemple, dans les émissions musicales live, pour pouvoir y passer, il faut un orchestre… Ils se demandent aussi pourquoi payer des autorisations de sample alors que se serait moins cher de payer des musiciens pour qu’ils rejouent les passages. Cela dit, ça n’empêche pas que dans mon album, j’ai invité des musiciens. Mais ils sont intégrés au tout, on n’y fait pas attention car ils ne sont pas mis en avant, et ça reste dans l’esprit hip hop car ça ne devient pas du jazz-rock ou autre chose.

DWT : Mot de la fin ?
Dee Nasty : Il n’y en a pas car il n’y aura pas de fin. Donc mot de la fin : la suite ! J’espère que ça ne va froisser personne que je finisse avec un soutien inconditionnel à Get Busy dans le «mouvement» même si ce n’est pas limité à eux.

Dee Nasty, down with the King

Interviews, Non Classe
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Nova, solo, Zekri

Pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi.

Dee Nasty passe des disques comme on passe un message. Son premier LP, «Paname City Rappin», est enregistré en 1984 et c’est le premier du genre autoproduit de France. Dix ans après (voir notre interview de l’époque ici), Dee Nasty nous avait présenté son troisième album « Le Deenastyle » avec la participation du regretté East (RIP). Il est l’un des rares qui n’a eu de cesse de favoriser l’émergence du hip hop en France, d’abord avec des micros ouverts sur le terrain vague de La Chapelle en 1986 puis notamment en 1988/1989 grâce à son émission mythique « Deenastyle » qu’il animait avec Lionel D sur Radio Nova, servant ainsi de tremplin aux premiers groupes de rap français signés en major. Aujourd’hui, Dee Nasty est Grandmaster. Une dénomination qu’on pourrait qualifier de folklorique mais qui n’en demeure pas moins une distinction certaine dans le monde des Dj’s dont il est le seul dépositaire en France. Méchant aux platines, pas assez dans la vie, il n’a souvent eu pour seul retour qu’un mépris déconcertant. Dur à accepter de la part d’un mouvement dont le mot d’ordre est unité. Il n’en demeure pas le moins également le pilier d’un hip hop qui nous a permis de nous évader de notre condition sociale, tout comme il a pu en échapper…

Down With This : D’abord, pour commencer, nous sommes honorés que tu refasses une nouvelle fois la Une de DWT, 20 ans après la couverture de notre numéro 5 (disponible ici). Voilà qui est dit (rires général). Tu es originaire de quel quartier ?
Dee Nasty : Je suis né à Vincennes. J’ai apparemment vécu un an rue Clavel à Belleville, Paris. Par la suite, direction Bagneux, en HLM. Mes parents avaient eu un appartement à la « Pierre Plate », un quartier tristement connu pour être la cité du gang des barbares. L’immeuble venait de sortir de terre. Il était tout neuf.

J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone (…) et qui s’habille avec des vêtements en laine de brebis. (…) Ça ne m’aurait pas dérangé.

DWT : Dans quel contexte familial as-tu grandi, que faisaient tes parents ?
Dee Nasty : Ma mère était femme au foyer, elle faisait de la couture. Elle s’occupait d’un atelier de peinture libre dans un centre culturel, le centre Alpha. Ils avaient de bonnes idées avec un petit côté catho. C’était l’époque qui voulait ça. Avec mai 68, il y a eu beaucoup de passage chez mes parents, ils ont fait des manifs, la grève de la faim pour plusieurs trucs, etc… Activistes militants donc. Mon père travaillait à l’aéroport d’Orly. Ils écoutaient de la flûte de pan. J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone, la communauté « L’Arche », fondée par Lanza Del Vasto. Ils s’habillent avec des vêtements en laine de brebis. Pour un gamin c’était fun, ça me changeait de la cité de la « Pierre Plate ». Que mon père arrête tout pour partir là-bas, ça ne m’aurait pas dérangé. Avec mes sinusites a répétitions, je ne supportais pas la poussière de la ville. Tout allait mieux à la campagne. Ça m’aurait permis de faire autre chose que de jeter des cailloux sur les autres. Je commençais à mal tourner, de bagarre en bagarre. J’étais un peu le souffre douleur : grand, blond et des yeux bleus. Je me prenais des cailloux sans savoir d’où ils venaient. En plus, ma mère m’habillait comme un petit bourge alors que ce n’était même pas notre cas. Quand j’ai commencé à pouvoir me défendre, ça a commencé à mal tourner. Je suis parti de Bagneux à 14 ans, pile au bon moment. Deux ans en Seine-et-Marne avec mes parents, puis je suis parti vivre ma vie.

DWT : 16 ans, c’est tôt pour quitter tes parents. Tu avais déjà des modèles à l’époque ?
Dee Nasty : J’ai des origines bretonnes donc je me suis pas mal intéressé à Alan Stivell et tout ce qu’il défendait. J’ai voulu apprendre le breton mais à côté de ça, j’adorais la soul et j’étais fan des Isley Brothers. Tout ça avait du mal à se concilier dans ma tête. J’avais pleins de potes qui écoutaient du rock et j’adorais ça aussi. Mais pour répondre à votre question, je n’avais pas de super héros (rires).

En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement.

DWT : Comment en arrives-tu aux platines ?
Dee Nasty : En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement. Ça m’avait familiarisé avec ces machines. Puis j’avais acheté une cellule avant/arrière et j’avais scié le plateau pour qu’il soit plus léger. Ce qui a déréglé le régulateur de vitesse… (rires) J’ai trouvé par moi même qu’un sac en plastique FNAC découpé plus une feuille de papier permettait de faire glisser les disques. J’ai surtout eu la chance d’habiter à San Francisco et de découvrir le hip hop aux Etats-Unis. J’avais eu aussi l’exemple de Grandmaster Flash avec The Adventures Of Grandmaster Flash On The Wheels Of Steel. Ca m’avait influencé. Automne 1982, il passe au Palace avec les Furious Five et je le vois live. C’était particulièrement impressionnant. Trois semaines avant il y avait eu le « New York City Rap Tour » avec Afrika Bambaataa.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers des studios de radio…
Dee Nasty : J’ai eu une émission, « Funkabilly », sur Radio Ark en Ciel qui émettait de Barbès sur le nord de Paris et le bas de Saint-Denis. J’achète quelques disques de funk et je commence à toucher les platines sauf qu’il en avait une dans un coin et l’autre un plus loin, donc impossible de mixer ! J’avais un pote antillais, Bruno Funk, qui est remercié dans chacun de mes albums. Il me fait connaître un pote, Maurice, qui jouait au Palace (ndlr : Boris, et non pas Maurice, erreur de retranscription – mise à jour du 15/12/2015 –). C’était le DJ avec Sidney. Il me propose de venir faire des séries Jazz Funk Hip Hop du moment dans les soirées antillaises. Cela marchait bien. Je commence à découvrir les platines en passant d’un disque à l’autre en faisant des enchaînements à peu près cohérents. Ça se passe super bien et je continue.

DWT : Tu es sur quelle table de mix à cette époque ?
Dee Nasty : A l’époque, en 1982, je m’achète un petit mixeur où il n’y avait pas de pré-écoute. Je ne sais même pas s’il y avait une marque mais il y avait deux potards. C’était plus un mélangeur. Ma table d’après m’a plus marqué, c’était une BST.

DWT : A cette époque des « radios libres », tu te retrouves par la suite dans des radios assez « charismatiques »…
Dee Nasty : Il y a eu des fusions forcées entre les radios et je me suis notamment retrouvé sur différentes radios comme Fréquence Gay. J’avais mon émission mais il y avait une sorte de racisme des homos envers les hétéros, comme si on avait rien à foutre là. C’était un peu le cas. Je décrochais le téléphone pendant l’émission et c’était uniquement pour me faire draguer.

J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985.

DWT : Vient ensuite Carbone 14 avec une émission qui était apprécié par de nombreux auditeurs…
Dee Nasty : Cette émission, Planète Funk, n’a pourtant duré que six mois… Je connaissais des gens à Carbone 14, j’y suis donc allé et ça a collé. J’avais carte blanche, trois platines et une boîte à rythme. J’invitais des potes pour des sessions. Mais en 1983, Carbone 14 n’a pas sa licence et ça s’arrête. C’était dans le bas de Bagneux. J’arrive un jour et j’apprends que des CRS avaient tout emmené. Tout le monde était en larmes. C’était une époque durant laquelle il y avait des camionnettes avec de grosses antennes sur le toit qui cherchaient les émetteurs pirates. Puis il y a eu Supernana avec Radio Aligre. J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des Handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985. Ils n’ont pas eu l’autorisation de continuer non plus.

DWT : S’en suit les grandes heures à la Chapelle/Stalingrad. Comment t’es venu cette idée de passer par-dessus un mur de deux mètres de haut avec des platines et un groupe électrogène ?
Dee Nasty : Toujours pendant mes courses, à la Plaine Saint-Denis, je vois un magasin avec un groupe électrogène à louer. C’était super pas cher et il fallait juste une petite caution pour le louer. Arrivé au terrain, mon scooter servait de marche pied. Il y avait toujours des gars pour me donner un coup de main. On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter. Après, j’allais à la station service juste à côté pour récupérer de l’essence avec un jerricane. On mettait le groupe le plus loin possible car sinon c’est comme si tu avais une mobylette qui tournait dans ta tête (rires). Ça valait le coup.

On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter.

DWT : Tu embrasses très vite la Zulu Nation et rencontre également très tôt Afrika Bambaataa. Ca a été salvateur ?
Dee Nasty : Ça semblait naturel. J’étais parti dans ma vie dans quelque chose où je ne serai pas resté vivant très longtemps. Cela m’a donné une énergie suffisamment forte de voir ces gars de là-bas qui sont sains, qui défendent des valeurs simples alors qui sont plus dans la merde que nous. Paix, amour, unité. Ça m’a fait le plus grand bien. Je me suis m’y dedans avec autant beaucoup de force. Après, ça ne m’a pas lâché. J’ai rencontré Bambaataa à Radio 7, avec Sidney, il faisait des dédicaces. Je considère que grâce à ce mouvement, je suis devenu Deenasty. Sinon, je serai resté Daniel Bigeault, une espèce de loser, un mec dont on ne sait pas vraiment ce qu’il va devenir. Il y a encore plein de chose à faire. Ce n’est pas un message galvaudé même si j’ai mis beaucoup d’années à reconstruire la Nation Zulu en France.

A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie.

DWT : Tu as connu des moments durs dans la vie avec la drogue, l’alcool. Comment y as-tu fait face ?
Dee Nasty : C’est arrivé bien avant le hip hop. A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie. Ce qui est rigolo, c’est que dans les périodes les plus sobres, on disait : « oh, Deenasty est en forme, il a pris de la coke ! », « oh, Deenasty est fatigué, il a pris de l’héro ! ». On ne te lâche pas avec ces : « oh, il est retombé dedans » alors qu’en fait, rien du tout. Un jour, je vais écrire un bouquin avec le pourquoi du cheminement, la rue, les rencontres, les braquos. Tous les trucs d’un jeune qui fait qu’il n’a que sur lui qu’il peut compter, et surtout pas sur son entourage. J’ai eu une hépatite B, une hépatite C, j’ai fait une rémission. Je me suis guéri tout seul. Le truc incroyable vu ce qui m’attendais. Je m’en suis bien sorti. La musique m’a sauvé. Certains peuvent se permettent des trucs, ça fait parti de leur image Rap’n’Roll mais moi, ce n’est pas possible. Je ne comprends pas trop pourquoi d’ailleurs. L’alcool, c’est venu plus avec le temps, de soirées en soirées. Ce n’était pas mon truc principal. Très jeune oui mais je m’en étais détaché. Moi, c’était coke puis héro depuis l’âge de 17 ans. J’étais jeune. Il faut savoir qu’un produit est un outil. Il faut savoir le considérer comme tel. Ça peut servir à quelque chose. Ça peut être un outil pour renforcer une personnalité un peu perdu mais il faut vraiment avoir une sorte de grand frère pour ne pas que ça parte en couille. Je n’ai jamais été suicidaire. Je consommais parce que j’avais un travail super dur pour lequel je restais 14 heures sur un scooter dans le froid et sous la pluie. L’héro tient chaud. C’était le cas pour tous les coursiers avec qui je travaillais. Tout le monde se disait qu’on n’y touchera pas et c’est rentré dans le milieu de la course. Tu ne vois aucune autre perceptive que celle de rester coursier. Tu risques ta vie tous les jours. C’est une sorte de cercle… J’ai perdu énormément de gens pendant cette période, par des overdoses, des accidents, sans parler des handicapés a vie. Certains ont fait des braquos mal préparés et sont tombés. Beaucoup était souriant quelques années auparavant puis l’héro est passée par là. C’était vraiment des histoires à la con.

DWT : Dans ton parcours d’homme de radio, il y a surtout ton émission myhtique « Deenastyle » que tu animais avec Lionel D sur Radio Nova et qui a marqué l’histoire du rap en France. On t’a pourtant entendu dire à plusieurs reprises que Radio Nova n’avait pas tant soutenu le hip hop au moment de ton émission. Pourquoi ?
Dee Nasty : Tout à fait. Mais il y a eu plusieurs phases. D’abord, Radio Nova joue plutôt du Flamenco, du Zouk, de la world music. Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je travaillais dans le même studio à cette époque. Je participe à un morceau avec eux et Bernard Zekri suit l’histoire. Il avait entendu parler de moi via les free jams de La Chapelle. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui, ce qu’il ne savait pas. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ». On fait une émission zéro avec Martin Meissonnier comme réalisateur. Et je me retrouve avec une demie-heure par jour dans laquelle je peux faire des thématiques gogo, break beat, hip hop old school, new school avec les débuts de Public Enemy par exemple sous le nom de Spectrum City.

Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ».

C’était à la même époque que Chez Roger Boîte Funk. J’étais payé 500 francs. J’ai eu le malheur de demander une augmentation à Jacques Massadian et je me suis fait virer. On me sucre aussi mon émission radio et je passe à vingt minutes ou je dois passer des sons sans parler. Au final, on me vire encore puis on me redonne une autre émission, le dimanche soir de 22 heures à minuit. Comme ils n’aimaient pas comment j’animais, ils me mettent avec Lionel D qui faisait aussi les bons plans rappés sur Nova avant de se faire virer lui aussi. On est content de se retrouver mais on se dit « qu’est ce qu’on va faire pendant deux heures ? ». On décide de faire une heure de rap ricain puis une heure de rap français. Au départ, on ne pensait pas inviter tout le monde car on n’avait pas de carte blanche. Mais comme c’était le dimanche soir, il n’y avait plus personne dans la radio. La première émission, Lionel balance tous ses textes. On se dit « merde, ça c’est fait. Qu’est ce qu’on va faire maintenant ? » L’émission d’après, on invite Les New Génération MC’s avec EJM. Et boum, c’est une évidence ! Lionel anime et fait passer le micro. La semaine d’après, il y a vingt personnes en bas qui veulent rapper. On dit « ouais, venez ! ». On ne peut pas savoir à l’avance le niveau. On ne peut pas faire d’audition. On est des potes bienveillants. Les émissions passent et on se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. On se dit qu’une fois revenu dans leurs quartiers, ils vont se faire charrier un peu mais du coup, ils vont travaillé et revenir mieux préparé. Petit à petit, le niveau monte. Je me rappelle notamment de Coffee B, rien que son nom, c’était rigolo. Il y avait Les Little, Rico qui venaient tout le temps. Des collectifs de banlieues différentes montaient à la radio. Un jour, NTM et Assassin veulent participer à l’émission mais ils se viandent. J’étais obligé de passer les disques qu’ils voulaient et ça m’énervait car normalement, je faisais ma programmation et tout le monde s’adaptait aux disques que je jouais. Ils se rendent compte que ça se passe mal pour eux et décident de préparer un deuxième passage qui sera plus professionnel, sans pour autant voir le niveau des autres qui étaient mieux préparés. Ils étaient super arrogants mais ça à contribuer à une sorte d’émulation par des défis artistiques. Nova l’apprend et le prend mal. En même temps, ils voient qu’on gère même si nous étions que deux à tout faire. Lionel pour gérer ce qu’on va appeler le plateau et moi la régie à passer les sons, les micros et faire les mixes avec vingt gars derrière qui n’arrêtent pas de me parler. Un jour, des mecs sont montés sur un radiateur. Résultat : il se casse et tombe en provoquant une énorme fuite d’eau. Il a fallu tout éponger. Il y a eu quelques tags, des mecs qui pissent dans l’ascenseur et les premières réflexions du lundi matin quand les mecs de Nova arrivent. « Pourquoi ça sent la pisse ? ». Ils entendent des gens assez bien placés qui leur disent que leurs gamins écoutent l’émission le dimanche soir et se rendent compte de la place que ça a pris en l’espace de seulement quatre dimanche. Ça y est ! C’était du feu de Dieu avec le vrai Deenastyle. Nova laisse faire mais ce n’est pour autant qu’ils pensent à mettre quelqu’un de la radio ou de la sécurité pour nous aider. Et arrive ce jour quand des gamins d’Orly volent le standard de la radio. Invendable mais du coup, le lundi, plus de standard dans la radio. Résultat : Lionel D et Deenasty persona non grata à Radio Nova. Au final, Lucien qui revenait de New York, et qui venait tout le temps nous voir, retrouve le standard trois jours après et nous le ramène. L’émission ramenait beaucoup de monde. On arrivait à les faire partir mais il fallait tout nettoyer après, jusque dans la cour et les tags dans les chiottes ! On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé » mais des plaintes commençaient à tomber au sujet des tags de la cour. Alors on brossait, on brossait (rires).

On se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. (…) On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé »

J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. (…) Certains ont des flingues et les ont sorti.

DWT : Ton émission servait également de relais pour la promotion des soirées, notamment celles organisées par IZB…
Dee Nasty : Ils venaient toutes les semaines pour promotionner leurs concerts de rap américains. D’ailleurs, contrairement à ce qu’ils disent dans le livre « Regarde ta jeunesse dans les yeux », c’est moi qui leur présente le manager de Public Enemy alors qu’ils disent qu’ils le rencontrent par hasard. Je ne suis pas le hasard. C’est grave mais ça ne m’étonne pas. C’était d’ailleurs grâce au manager de PE que le groupe était venu Chez Roger Boîte Funk gratuitement, parce que je l’avais rencontré à New York. IZB décide six mois à l’avance de faire un gros truc à l’Elysée Montmartre. On en parle chaque semaine dans l’émission. Deux semaines avant, Lionel et moi leur disons qu’on apprécierait avoir deux invitations. Mais les invitations n’arrivent jamais bien qu’ils nous les promettent. Du coup, avec Lionel, on va sur place mais pas d’invitations pour nous à la caisse. Puis on nous dit : « toi, Dee Nasty, tu as un invit mais pas Lionel D ». Du coup, on regarde ce qu’on a dans nos poches et on paie la place. On rentre dans la salle et IZB nous regarde bizarre. On reste un peu puis on s’en va. Et ça monte, ça monte. L’émission d’après c’est moi qui sors « ouais les IZobie Mamie Nova ne vous dit pas merci ». J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. Ils sont bloqués par Jacques Massadian qui fait du sport. Ils demandent un droit de réponse et c’est Jaïd qui monte, il passe derrière le micro pour dire que des conneries. Je dis aussi ce que j’ai à dire. Résultats des courses : certains ont des flingues et les ont sorti. Certains le racontent et sont super fiers. Ils peuvent : cinquante contre deux, waouh, c’est extraordinaire !

DWT : La suite ?
Dee Nasty : Ben on s’est fait virer. Le Deenastyle, c’était bien gentil mais terminé. On a eu droit a une dernière émission et c’est là que j’ai écris « Le rap pour un con ». Ils m’ont pris pour un con. On n’était même pas payé, on faisait ça pour l’amour du truc. Les IZB s’étaient auto-proclamé les « Incredible Zulu Boys » alors qu’ils n’étaient même pas zulus. Ce qui est extraordinaire, c’est que je viens tout juste de nommer Jaïd car il ne l’était même pas. Bambaataa m’a permis de nommer des gens. J’ai donc nommés lui et Lord Salim.

Je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad.

DWT : Comment avais-tu rencontré Lionel D ?
Dee Nasty : A la sortie de mon disque Paname City Rappin’ en 1984. A la fête de la musique, avec mon pote Bad Benny de RDH. Afrika Bambaataa officie sur la place du Trocadéro, je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. Il me fait un rap, du coup on l’invite sur RDH et de là est né un truc. Pas une amitié mais un premier contact. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad, avec un batteur, moi à la boîte à rythme et une seule platine pour les scratchs. On rappait tous les deux. Surtout en français même si Lionel maîtrise bien le rap en anglais. J’ai une seule cassette qui témoigne de cette époque. Après on essayait de jouer au Bataclan mais on ne nous a jamais laissé faire. Même pas un petit show-case, rien. C’était chacun son crew à cette époque.

DWT : Historiquement, à quel groupe as-tu appartenu vraiment ?
Dee Nasty : Ben aucun à ma connaissance (rires).

DWT : C’est très rare que nous menions des interviews dans le cadre d’une promo. C’est avec plaisir que nous dérogeons à la règle pour soutenir la sortie de ton nouvel album, « Classique ». Pour commencer : tu le sors chez Celluloïd, tu t’es fait un énorme kiffe ?
Dee Nasty : Celluloïd était intéressé. Ça c’est fait avec Gilbert Casteo qui est associé avec Jean Karakos. Il connait mon éditeur qui lui en a parlé. Ce n’est pas évidement, il a 77 ans, ils sont trois dans le label mais je suis content car c’est un clin d’œil avec le passé. Je rêve maintenant de refaire un maxi avec exactement la même pochette de l’époque.

Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir.

DWT : Cet album contient également des featuring aussi différents qu’incroyables : Rachid Taha, Afrika Bambaataa par exemple ! Il n’y a que toi pour faire des choses comme ça dans le hip hop.
Dee Nasty : Avec Rachid Taha, on a toujours rêvé de faire quelque chose ensemble. C’était l’occasion, il a dit oui tout de suite. On a fait ça chez lui. Il a demandé à son fils de brancher le micro et on a fait ça d’une prise ! Je trouve que c’est le seul rocker légitime de France. C’est un gars que j’adore artistiquement. J’aimerai qu’on fasse un album ensemble. On a fait deux morceaux ensemble qui sont très réussis et personne ne l’a emmené sur le terrain de l’électro funk. Pour Bambaataa, il était à Paris, invité par LBR. On a enregistré chez lui : un morceau et deux pistes Freestyle. Sur cet album, j’avais la liste des gens avec qui je voulais travailler. Je voulais aussi faire un trio de DJ’s. Personne ne s’occupe de moi, j’ai certes un éditeur mais je voulais surtout prouver que je suis un musicien. J’en ai marre qu’on me dise que mes albums sont des compilations ou des mix-tapes. Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir. Tout cela c’est fait naturellement. J’ai commencé cet album il y a quatre ans. Le dernier était tellement passé inaperçu que j’avais une revanche à prendre et ça a donné un album dont je suis fier.

DWT : Au cours de ta carrière, tu as recroisé la route des NTM. Parle-nous de ton travail que tu avais réalisé pour la sortie de leur troisième album, disque de platine, « Paris sous les bombes » ?
Dee Nasty : J’ai fais l’instru de « Come Again » (Pour que ça sonne funk), la première version. L’album devait sortir trois mois après. On était au Studio de la Seine. Ils étaient venus chez moi écouter le morceau et choisir une instru, que j’avais fait pas spécialement pour eux d’ailleurs, pour Big Brother Hakim je crois. On l’enregistre. Je fais aussi une version remix et une version dub. Ils sont contents puis plus de nouvelles. J’apprends un jour que l’album sort et je rencontre Joey Starr qui me dit : « Oh ! En fait, on a pas gardé ton instru, c’est Clyde qui a refait la musique ». Ok, ça aurait été sympa de me le dire d’autant plus que j’avais été payé en avance pour la sortie du maxi. Donc l’avance de 10 000 francs qu’on m’avait fait, je la dois encore à Sony Epic. Tous les ans, je reçois des relevés avec moins 10 000 francs dessus. On s’est recroisé vite fait mais ils s’en battent les couilles en me disant qu’ils ne s’occupent pas de la partie business. J’avais aussi failli faire une tournée avec eux. DJ Clyde était parti. J’étais déjà en tournée avec Big Brother Hakim, faute de temps, j’ai proposé le truc à un mec du magasin LTD, ancien disquaire de Châtelet Paris. Il ne pouvait pas non plus mais en a parlé à son cousin, Dj James. Il a été auditionné puis retenu. J’espère qu’il sait que c’est grâce à moi (rires).

DWT : As tu des nouvelles de Big Brother Hakim ?
Dee Nasty : Oui, il habite mon quartier. Il est à cinquante mètres de chez moi. On est toujours fâchés mais on se croise.

Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ?

DWT : Que ressens-tu à propos de certaines « cérémonies » sur le hip hop comme il a pu en avoir il y a quelques années à l’Olympia ou à La Cigale en 2012 dans lesquelles tu n’es même pas récompensé, ni même invité ?
Dee Nasty : Cela me met dans une rage folle. Heureusement, j’ai ma femme qui arrive à me recentrer. Ça me met en colère. Je trouve ça super injuste. En même temps, je n’avais pas envie d’y être parce que d’entrée, je trouve que ça pu. Mais je me dis : « Pourquoi ils n’y ont même pas pensé ? » Et s’ils y ont pensé, « Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? ». Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ? Je pense, en fait, qu’ils n’y ont juste pas pensé… C’est un peu particulier. Cela n’a jamais été facile pour moi. Autant le respect vient avec le temps mais là, c’est un respect forcé car j’arrive encore à m’accrocher. Il y a beaucoup d’empathie du genre « Le vieux, il s’accroche, il n’a que ça dans la vie ». C’est ce que je ressens comme réaction quand je joue dans des bars : « ah ouais, toi là ? », genre, je mériterai mieux. Mais non, moi j’adore faire ça ! En tout les cas, je n’ai pas lâché, j’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

J’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

Je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur ».

DWT : Tu étais pourtant au sein d’un gros collectif de DJs lorsque le Double H de Cut Killer se monte…
Dee Nasty : Les premiers temps, je suis chez Roger Boîte Funk. Cut Killer vient me voir car c’est juste a côté de chez lui et que je suis un peu l’icône en tant que DJ. Effectivement, j’ai fait troisième au championnat du monde à ce moment-là. Sur la fin de Chez Roger, j’ai des contacts avec Cash Money. Donc je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur » et que je m’en inspire. Cut Killer, à ce moment là, il a vu les deux dans l’art du djing. Il faut savoir que Cut Killer était le DJ des IZB et le moins qu’on puisse dire, je n’étais pas très proche d’eux… Quand Cut Killer a pris ses distances avec eux, on a pu se parler. Mais c’est DJ Abdel qui m’a vraiment fait rencontrer Cut Killer. L’idée du Double H est venu après. J’y adhère. Il y avait East dedans (RIP). Je les invite sur mon troisième album, « Le Deenastyle ». Ils avaient une bonne place dedans, premier morceau de l’album, puis participation à la tournée promo que Polydor avait organisé. Tout se passe bien sauf que Cut Killer et East veulent avoir leur truc à part. Après, il y a l’histoire du « Diamant est éternel ». J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres.

J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres. Ce que je refuse, ça part en couille.

Faster Jay voulait aussi plus d’argent. J’ai dis non, que ce n’était pas possible. Je tenais à ce que tout le monde soit au même niveau, ce que la plupart avait accepté et c’était très bien comme ça. Ça devient finalement un truc super houleux, super tendu. On se réconcilie par la suite et : « ok, vas-y pour le Double H« . Au démarrage, je donne tous mes contacts et donc tout le monde appelle le Double H et je me fais voler mes soirées. Je me rends compte que c’était le même état d’esprit que sur « Diamant est éternel ». La dernière tentative, c’est quand j’ai fait Dj School. J’y invite Cut Killer pour faire une démo dedans et il fait un procès parce qu’il trouvait que son nom avait été écrit trop petit et que par contre, sa tête était trop grosse. La dernière fois qu’on c’est vu, c’est au Rex. Le mec fait un truc de double face tout le temps. C’est insupportable. Alors que j’étais en galère de thune un jour, et que je n’avais jamais rien touché sur mes collaborations avec le Double H, je lui demande de me prêter de l’argent, 500 euros. Il ne m’en propose que 200… Je n’ai même pas été récupérer l’argent, j’ai envoyé un pote. C’était de la carambouille tout le temps. Rien à voir avec DJ Abdel, je lui demandait 500€, c’était direct : « ben passe demain au bureau chercher l’enveloppe » et il me filait 1000€ sans que j’ai besoin de lui rendre, en me disant que je les méritait avec tout ce que j’avais fait pour lui.

Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

DWT : On a pu lire que tu avais été très en colère contre le Double H. Irais-tu jusqu’à dire que tu étais là au bon moment, juste pour légitimer cette formation ?
Dee Nasty : Je pense que oui. On fait une réunion chez Double H un jour, rue Saint-Hippolyte. Une réunion dont l’ordre du jour était la côte de chaque DJ… Cut 8 000 euros, Abdel, 7000 euros, moi et LBR, 2 000 euros chacun. C’est là où j’ai arrêté. J’ai dit : « C‘est une période de solde ? ». On m’a dit que j’étais trop old school. J’avais les mêmes disques mais on me faisait passer pour l’after de Cut… A l’époque, le terme « old school » était plus une insulte qu’autre chose. On était en fait tous employé à travailler pour Cut Killer et dorer son blason continuellement. Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

Cut Killer Double H - Dee Nasty - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu te plaignais d’ailleurs à cette époque de ne plus recevoir les disques des labels et qu’ils allait tous chez Cut Killer…
Dee Nasty : Ouais, c’était ça. J’en recevais un peu mais le problème à l’époque, c’est qu’il y avait des mecs qui travaillaient à la poste de Riquet et qui me prenaient tout avant que ça arrive. J’avais juste l’avis dans la boîte aux lettres. Du coup, j’allais directement voir les labels pour récupérer les disques. À ce moment-là, j’allais régulièrement à New York. Il y avait des soirées où ça passait beaucoup de rap français. J’ai fait beaucoup de promotion de rap français, qui était à mes yeux à ce moment arrivé à son âge d’or. Il était en cohérence totale. Il y avait un magasin de skeud « Liquid Sky » à Alphabet City qui voulait faire un bac de rap français. J’y jouait le week end que du rap français et ça avait commencé a fédérer tous les expatriés et des américains intéressés par ça. Les labels comme Nouvelle Donne ou Double H me disaient « mais on s’en fout de vendre dix pièces à Manhattan« . Dommage, cela les intéressait beaucoup. En considérant déjà les 80 000 jeunes haïtiens francophones qui kiffaient le rap, plus les « expats« , ça faisait du monde.

DWT : Tu as sûrement la collection de vinyles la plus importante de France en matière de hip hop et d’électro funk. C’est un héritage important pour ton enfant…
Dee Nasty : Oui, en gros 25 500 disques. Ca fait cinq tonnes. C’est un héritage un peu lourd. (rires) Le temps qu’elle fasse le tour de tout ce qu’il y a… Est-ce qu’en grandissant, elle va aimer ces disques-là ? Je pense que oui mais ce n’est pas forcément un cadeau. Elle a des goûts divers et variés comme un enfant de onze ans. Moi par exemple à cet âge, j’aimais encore Claude François. Elle sait que ça va être ses disques alors elle me dit d’en prendre bien soin. Et après, qu’est ce qu’elle va en faire ? Ça prend beaucoup de place. Elle aura de quoi se souvenir de papa, ça c’est sur (rires).

DWT : Premier vinyle ?
Dee Nasty : C’était une compilation, Dance For Ever, avec No Milk Today et Fever. J’étais en colonie de vacances. J’étais tombé amoureux d’une fille de mon âge lors d’une boum et il y avait ce disque qui passait. Je voulais absolument retrouver ce disque au Prisunic ou Monoprix de Montrouge (rires). J’ai aussi trouvé peu après un 45 Tours sur un marché, Les Poppys.

DWT : C’est notamment durant ton « époque coursier » que tu as récupéré pas mal de vinyles dans les maisons de disques…
Dee Nasty : Pas dans les maisons de disques, bien que je dépouillais les colis des postes. Mais il n’y avait que de la merde, alors j’ai arrêté de le faire. J’en prenais un ou deux et puis je refermais le colis (rires). Ils ne sont rendus compte de rien. Coursier me permettait surtout de passer chez tous les disquaires.

Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés.

DWT : Le dernier Kendrick Lamar ou Young Thug, tu l’as par exemple ?
Dee Nasty : Non parce que c’est un budget. Il faut que je ramène de l’argent à la famille. J’ai déjà claqué pour 25 000 disques tout seul. Ce n’est pas tombé du ciel. On m’en a offert très peu. Ça a été le budget numéro un pendant très longtemps. Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés. Une fois que tu as loupé plein de choses, t’es moins pressé, c’est pas grave. Je le trouverai plus tard. Je reste ouvert à ce qu’il se fait mais comme ce que j’aime ne sort pas en vinyle, du coup je vais me les faire presser. Il y a par exemple du rap australien en ce moment qui est très bon. Nous sommes aussi en plein âge d’or dans le rap latino.

DWT : Si tu devais en garder un seul pour l’emmener sur une île déserte ?
Dee Nasty : The Isley Brothers avec The Heat Is On de 1975 avec le fameux For the Love of You et Fight The Power. C’est mon groupe fétiche avec Slave.

DWT : Comment se fait-il que ta passion pour la musique ne t’ait jamais conduit à ouvrir ton propre disquaire ?
Dee Nasty : J’y pense encore. Mais il me fallait un apport. Aujourd’hui ce serait plus un bar qui fasse en même temps dépôt de disques. Pour les gens du quartier. Servir des verres et passer des sons. Avec une cave pour faire passer des gars. Un truc en gérance. Ça fait dix ans que j’y pense vraiment. J’attends l’opportunité.

Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style.

DWT : Tu as des conseils à donner aux jeunes qui se lancent dans ce délire du vinyle ?
Dee Nasty : Ça dépend si tu es collectionneur ou DJ. Le DJ est un peu attaché à la nouveauté s’il veut être parmi les premiers et se démarquer des autres par rapport au style qui est joué. Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style. Surtout qu’avec internet, les disques ont tous la même valeur partout. Même sur une brocante, les gars savent ce qu’ils vendent. C’est de plus en plus difficile de faire des bonnes affaires. J’ai personnellement quelques connections comme à Miami où on me prépare des lots. J’attends d’en avoir une cinquantaine pour me les faire envoyer.

DWT : Quel est pour toi le DJ le plus technique de France ?
Dee Nasty : Il paraît que c’est Logilo. Après c’est à Crazy B de le dire et de savoir où il se positionne. Logilo a fait plusieurs fois les championnats, Crazy B aussi. Est-ce qu’ils se connaissent ? Est-ce qu’ils s’apprécient ? Qu’ils partagent leurs techniques l’un et l’autre. Après, il y en a qui sont dans l’ombre comme DJ Hitch qui est exactement au niveau de ces deux là. En tout cas, pour finaliser le truc, c’est des Zektariens des platines, ils sont très très hauts. Après, c’est a chacun d’apprécier la musicalité de l’un ou de l’autre. C’est des gars qui ont amené le djing tellement haut…

DWT : Qu’elle est ta spécialité pour ta part ? Cut, passe passe ou plutôt scratch ?
Dee Nasty : Les trois. C’est la même chose. Moi, ma particularité, c’est le « Percu Scratch ». C’est moi qui ait inventé le nom pour que ce soit reconnu par la Spedidam et la SACEM. Il y a le mot « percu » dedans donc à partir de là, tu peux être perçu comme un vrai musicien. Je suis un DJ complet qui peut à la fois être soliste, rythmique et ambiant.

DWT : Et de tous les temps, qui est pour toi le plus gros tueur aux platines ?
Dee Nasty : J’ai beaucoup d’affection pour QBert. On est né sur la même planète, Zektar ! Il est tellement gentil. C’est un amour. Il a sauvé le scratch. Il a inventé le terme de turntablism.

DWT : Si on devait passer un titre à ton enterrement, tu aimerais lequel ?
Dee Nasty : « Fight the Power » en hommage aux Isley Brothers (1975).

Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion.

DWT : Maintenant que Bernard Zekri reprend la tête de Radio Nova via Matthieu Pigasse, penses-tu que nous ayons une chance de t’entendre à nouveau là-bas ?
Dee Nasty : J’en rêverai mais je ne sais pas. En plus, je sais ce que je ferai. Ce serait un global hip hop comme ce que je fais pour RFI. Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion. Au sein de Nova ce serait encore mieux. J’aimerai d’ailleurs qu’ils défendent vraiment mon dernier album et pas juste deux mois en playlist. Il y a plusieurs morceaux dont ceux avec Rachid Taha qui le méritent. Mon album a environ six mois de vie. J’espère qu’il ira jusqu’au printemps. Nova ne l’a pas fait sur les albums précédents, donc j’espère que ce sera le cas sur celui-ci. C’est peut être mon dernier album en tant que tel alors j’espère vraiment.

DWT : Comment qualifies-tu ton entêtement et ta détermination ?
Dee Nasty : Je dirai que c’est un contrat de vie ! Passion, partage et surtout beaucoup d’amour.

Propos recueillis le 13 novembre 2015 par FLo, Fati et Alain Garnier. Photos par © Alain Garnier. Remerciements à Jow-l et Frédérique, Les Disques Pirates. Dédicace à la Zulu Nation France. Peace, love, unity & havin’ fun.

40ème anniversaire de la Zulu Nation

Agenda
Dee Nasty, Kozi, Serpat, Zulu Nation

Co-organisée par la Zulu Nation France et le solide Serpat Crew, voici l’occasion de retrouver l’ambiance et l’esprit originel du hip hop.

L’édition française du 40ème anniversaire de la Zulu Nation (couplée avec le 39ème anniversaire du hip hop) sera dignement célébrée le 30 novembre 2013 au Havre : conférence, jam graffiti, exposition, battle de danse, concert, set DJ’s… Co-organisée par la Zulu Nation France et le solide Serpat Crew, la dimension peace, love, unity and havin’ fun donnera le ton à cet événement. Voici l’occasion de retrouver l’ambiance et l’esprit originel du hip hop.

Mardi 19 novembre 2013
Conférence sur le hip hop et ses débuts avec Kohndo

Samedi 30 novembre 2013
– Performance graffiti avec Jow. L, Hondo, K.Son, Smash, Neok, Hope, Esper + guests : Nefaze & Kero
– « Call out breakdance battle » 2 VS 2 présentée par Serpat Crew. DJ’s : Djar One, Ink’ Chapo et Moon’s.
– Zulu Party avec les DJ’s Dee Nasty & Kozi, The Beat & The Voice, Kohndo, Lorea, Raashan Ahmad live band et Archeolog’ hip hop.

A noter l’idée pertinente de proposer une exposition inédite sur les débuts du hip hop au Havre en mettant à l’honneur les pionniers du secteur.

Extrait de l’exposition : Arsen & Nefase (Le Havre, 1991) – Photo DR

A propos du Serpat Crew
Soucieux de partager une vision culturelle du mouvement, le collectif Serpat Crew existe depuis 2001 au Havre. Initialement créé par 3 danseurs hip hop et à force de rencontres locales, l’équipe s’agrandit vite autour d’une vision commune, sans se cantonner exclusivement à la danse. Des DJ’s, des graffeurs, des rappeurs et d’autres danseurs rejoignent le crew, qui aujourd’hui compte aussi des membres en basse Normandie et en Charentes. Depuis 2006, le Serpat Crew organise des battles de breakdance un peu partout au Havre comme au LHC (Le Havre Chorégraphique), haut lieu dédié à la danse. Depuis quelques années, le collectif participe également au festival d’été du Havre, « Les Z’estivales » en réunissant des danseurs régionaux mais également nationaux.

40ème anniversaire de la Zulu Nation / 39ème anniversaire du hip hop
Le Tetris – Fort de Tourneville – 55 rue de 329 RI – 76620 Le Havre
Mardi 19 novembre et samedi 30 novembre 2013
Billetterie et points de vente habituels

Le Jour J, mission suprême

Documents
93 MC, Bando, bbc, Dee Nasty, Gallizia, Jay One, Jour J, Kea, Mode 2, Shoe, Swen

Swen revient sur les raisons de cette annulation : « C’était en train de m’échapper. La mairie ne m’a jamais aidé et cette année, comme par hasard, j’ai accès à des subventions… »

Quoi de mieux que de vous proposer ce dossier prestigieux comme premier cadeau pour notre 20ème anniversaire ? Swen 93MC plante le décor : « Tu ne peux pas parler de l’histoire de France sans parler de Napoléon ou Louis XIV. Donc tu ne peux pas parler du graffiti sans citer les 93 MC » (extrait de l’interview à lire ci-dessous). Lʼaffront venait bien du nord et de nombreux faits dʼarmes allaient le démontrer. Saint-Denis en était le berceau. 1984 le point de départ. Lʼultra-vandalisme, quʼallait mettre en oeuvre ceux qui deviendront les 93MC, ouvrira la voie à toute une génération de taggeurs. Mais il nʼy avait que le quotidien de la Seine Saint-Denis qui pouvait générer en nombre des vandales si chevronnés.

Outrepassant les conflits entre les différentes cités de Saint-Denis, des taggeurs de toute la ville allaient se réunir et réussir à constituer lʼunité la plus radicale du tournant des années 1980-1990. La RATP en souffrira tellement que leurs exactions provoqueront la première offensive anti-taggeur et la suppression des 1ère classe. Plus de vingt-ans après, on a envie de dire : merci Futura 2000 ! Il avait suffit que quelques jeunes de Saint-Denis croisent son chemin à La Courneuve, en 1984, pour que des activités culturelles et populaires sʼinstallent enfin sur des territoires désertés par les pouvoirs publics. Une culture allait se répandre et un crew au tempérament bien trempé allait la représenter dignement. Le bulldozer 93MC prenait toutes les directions et éclatait tout sur son passage : entrepôts, stations, rues, avions. Rien n’était épargné. Les ravages provoqués par ces artistes serviront également à NTM, qui prit rapidement le parti de fusionner avec.
Une décision qui donnera naissance à 93NTM, l’une des plus importantes machines de guerre du graffiti, composé par la plupart des experts de l’époque : MODE2, COLT, KEA, LAZER, SWEN, KAY, TERRY, KHANE, ACIDE, JOEY, SHEN, FAME, EXEO, ARO, REAK, KAR, MAM, BOA, KEYS, JON, KAST ou encore ARYS.
Paris avait reçu une baffe magistrale par les CTK, c’était maintenant un tremblement de terre que le paysage culturel français allait connaître. 93NTM était partout : sur scène, dans les entrepôts de métro, sur les plateaux de télé, dans les radios, dans les terrains vagues, en studio d’enregistrement, dans les couloirs de maison de disques…

Aujourd’hui, j’observe une autre approche du graffiti avec des gars qui arrivent en voulant directement faire des toiles. Le Jour J est un concept pour les nouvelles générations afin qu’ils partagent avec les aînés.

Mais tout n’est pas si facile comme dit la chanson. 93NTM se sépare pour des raisons diverses, 93MC reprend son identité originelle et retourne à l’essentiel. Et c’est justement animés par l’essentiel qu’ils organiseront en collaboration avec les Chiens de la Casse, deux jams de graffiti à la Plaine Saint-Denis qui feront date dans l’histoire du hip hop. L’une en 2005, l’autre en 2009. Toutes deux proposant le haut du panier. SWEN revient sur ses motivations (propos recueillis ce mois-ci) : « Petit à petit je voyais les nouvelles générations qui ne connaissaient plus trop leur histoire. Aujourd’hui, j’observe une autre approche du graffiti avec des gars qui arrivent en voulant directement faire des toiles. Le Jour J est un concept pour les nouvelles générations afin qu’ils partagent avec les aînés. J’ai voulu essayé de recréer ce que nous vivions dans les «zulus party» comme à Stalingrad ou quand on observait toute une après-midi Mode qui peignait. C’est parti de ce truc-là, avec l’ambiance DJ pour que les jeunes comprennent comment ce truc vivait. Je n’idolâtre personne mais j’étais content que PRIDE des CHROME ANGELS vienne car quand j’étais petit, Subway Art était le seul livre qu’on avait. Je fais toujours un parallèle avec le foot : tu arrives à faire venir Maradona, t’es content, alors si tu rajoutes Pelé, elle est encore plus belle ».
Une troisième et dernière édition était en préparation en coulisse pour juin 2013, avant la destruction du terrain des Chiens de la Casse cet été. On était sur le point de vous annoncer la bonne nouvelle mais ce projet est finalement annulé. SWEN revient sur les raisons de cette annulation : « C’était en train de m’échapper. La mairie ne m’a jamais aidé et cette année, comme par hasard, j’ai accès à des subventions. L’année prochaine, en 2014, c’est les élections… Ils veulent récupérer le truc. Je ne demande rien et on me donne tout, qu’est ce que ça veux dire ? Je suis parano. J’ai l’habitude des difficultés. J’ai des potes d’enfance parmi les élus, j’ai donc une autre relation avec eux, c’est compliqué parfois. J’ai donc décidé de tout annuler ».
Les organisateurs du Jour J ont pour volonté de faire partager leur perception de la peinture, sans compromis. Nos valeurs de transmission se situant sur le même axe, nous vous dévoilons ci-dessous les entretiens inédits de BANDO, KEA, JAY1, SHOE, DARCO et SWEN que nous avons réalisés au moment de la deuxième édition en 2009. Pour la mémoire, mais aussi pour les absents (qui ont eu bien tord sur ce coup-là), voici une petite séance de rattrapage sur un event que seuls les 93MC et les Chiens de la Casse pouvaient organiser en France. Nobel

BANDO – Photo © Down With This

BANDO

« Je taggue depuis super longtemps, 1982. Apparemment, j’étais le premier, mais je pense que les BBC ont commencé en même temps que moi, ou maximum trois à quatre mois après. On dit aussi que j’étais le premier en Europe mais j’ai l’impression que des mecs à Amsterdam, comme SHOE que je ne connaissais pas du tout, ont commencé en même temps, peut-être même avant moi. Je ne peins plus mais je dessine encore presque tous les jours. Beaucoup me mette maintenant dans le vent sur mur, certes, mais si on fait un concours de graffitis sur papier, les mecs vont tous aller dormir ! (rires) Les dessins, les styles, que je sors maintenant, je les trouve mieux que tout ce que j’ai fait avant. Les gens ont un autre regard sur ce que j’ai fait. Alors que moi, je n’étais jamais satisfait de ce que je faisais. Je trouvais toujours que MODE ou COLT avaient des lettres mieux que moi. Ca me saoulait donc j’essayais d’innover et faire des machins qu’eux ne faisaient pas. Je suis aujourd’hui complètement déconnecté des graffitis. Mais par rapport à quelques expositions, j’y reviens un peu et je me rends compte que les gens considèrent comme super important ce que j’ai fait. C’est super cool, ça me fait hyper plaisir.

Mais il ne faut pas oublier que l’esprit, c’est de tagger et de défoncer dans la rue. (…) L’esprit du graffiti c’est ça et rien d’autre. (…) Avec le graffiti, j’ai vécu les meilleures années. Je ne regrette pas une seule seconde.

Quand j’étais actif, c’était la galère, on barbait des bombes mais ce n’était pas particulièrement dur. Je ne taggais pas les métros parce qu’ils ne sortaient jamais. On se faisait courser mais ce n’était pas vraiment abusé. Les mecs de maintenant, les vrais de vrais, ceux qui portent le flambeau, qui défoncent dans la rue, c’est cinquante fois plus dur pour eux. Vraiment chapeau ! Ils ont mon respect illimité. Premièrement, ils sont obligés de galérer pour barber des bombes. Puis indépendamment de ça, il y a le niveau des mecs sur les murs qui est maintenant vraiment abusé. Je n’envisageais jamais que ça atteigne un niveau pareil à l’époque. Mais il ne faut pas oublier que l’esprit, c’est de tagger et de défoncer dans la rue. Je vois pleins de choses qui déchirent avec un niveau genre mortel, des couleurs, des trucs assez simples et des coulures que j’aime bien. Mais le conseil que je donnerais aux jeunes, c’est de ne pas oublier que le graffiti, c’est dans la rue. Ce n’est pas que des grands murs en couleurs car n’importe qui peut faire ça. C’est très dur de défoncer au point que ton nom en throw Up ou en tag, puisse être à tous les coins de rue comme l’ont fait par exemple O’CLOCK, ANDRÉ, PSYKOZE, OENO ou KEA. C’est facile de faire un tag, mais d’en faire cinquante mille, c’est vraiment la galère. Donc dédicace. Mon conseil est là : défoncer. Le reste, ça viendra. Quand j’étais un petit jeune, j’étais dans l’esprit du vandalisme et je taggais plus que tout le monde, mortel ! Petit à petit, j’ai acquis une technique et ça se ressentait sur les murs que je peignais. Si ce truc, c’est pour peindre dans des terrains vagues autorisés et jamais rien d’autres, ça n’a pas de sens. Ce n’est pas du graffiti. En fait, à la base, la pureté du truc, c’est de défoncer partout, à droite, à gauche. Voilà, ça c’est du graffiti. Pour chaque mur en couleur qu’on faisait à l’époque dans un terrain, à Stalingrad par exemple, il y en avait plein qu’on faisait aussi juste en argent et noir dans le métro. On faisait aussi des centaines et des centaines de tags avec SIGN, BOXER et SQUAT. L’esprit du graffiti c’est ça et rien d’autre. Je me réveillais, j’appelais Gilles (BOXER) ou COLT pour pécho des bombes. COLT faisait semblant d’être en fauteuil roulant pour en voler plus ! (rires). Une fois que c’était fait : « OK, on va défoncer ». On a vraiment déliré, c’était mortel. Il y a plein de gens qui me disent : « tu m’as inspiré »… Mais je n’arrive même pas à leurs chevilles sur mur ! De toute façon, si c’était à refaire, je referais tout, rien à foutre. Il faut aussi s’entraîner avant de commencer à faire des trucs sur un mur.. J’avais comme règle de faire au moins deux dessins par jour. Bon, maintenant, je ne fais plus que trois par semaine mais quand tu es dedans, il faut s’entrainer tout le temps. Il faut s’entraîner techniquement aussi et au bout d’un moment, tu arrives à faire des traits superbes. Avec le graffiti, j’ai vécu les meilleures années. Je ne regrette pas une seule seconde. Ça me fait super plaisir de peindre ici avec les 93 MC. Ca a toujours été des copains avec qui on traînait. Ils ont commencé par demander des conseils et on a essayé de leur en donner le mieux qu’on pouvait. Si ce n’était pas KAY, SWEN et KEA qui m’avaient invité à peindre ici, je ne serai pas venu faire ça. Quand ils m’ont proposé le Jour J, je me suis dit mortel, j’y vais direct, même si au départ je ne voulais pas peindre. Mais à la finale, c’est mortel et je n’aurai raté ça pour rien au monde. »

SWEN

93MC

« On vient de Saint-Denis et de la mouvance reurti. J’ai commencé le graffiti en 1984 mais uniquement dans le graffiti-vandale. On écoutait de la funk, on ne s’habillait pas trop en zulu donc on était un petit peu en marge de ça. Mais je sais faire du break, passer des disques, faire du beat-box et peindre. C’était un peu un mode de vie. On s’intéressait un peu à tout. Aujourd’hui, soit t’es rappeur, soit t’es breakeur, soit t’es DJ avec un plan de carrière. Nous, on a toujours fait ça avec le cœur. On devait faire cet événement du Jour J depuis deux ans. Nous n’avons pas eu de subventions. Ils m’ont prit pour un enfant, m’ont fait écrire des dossiers. Au bout de deux ans, ça n’a jamais abouti. A la finale, cet événement, on l’a débloqué en une après-midi. Encore une fois, si ce n’est pas nous qui organisons, ça ne sert à rien.

On a la légitimité pour réunir un tel plateau et je défie n’importe qui de réunir des gens comme ça. Ce n’est pas de ta faute mais si tu es né en 1991, t’as tout loupé. C’est pour ça qu’on essaie de montrer aujourd’hui ce qu’on vivait à l’époque.

On a la légitimité pour réunir un tel plateau et je défie n’importe qui de réunir des gens comme ça. Ce n’est pas de ta faute mais si tu es né en 1991, t’as tout loupé. C’est pour ça qu’on essaie de montrer aujourd’hui ce qu’on vivait à l’époque. Prends DEENASTY qui est là aujourd’hui sur le Jour J, il fait partie de ces mecs qui font avancer les trucs. Internet, c’est très bien mais ça casse la communication humaine. Donc on donne l’opportunité aux gens aujourd’hui de voir BANDO, MODE, SHOE ou DELTA peindre ensemble. Il ne manque que COLT. Les gens se sont déplacés dans un terrain qui donne la possibilité de peindre avec cinquante personnes en même temps. Même la météo est avec nous, donc tout va bien. D’ailleurs, on remercie Les Chiens De La Casse pour nous avoir laissé leur terrain de la Plaine Saint-Denis à disposition, sans qui cela n’aurait pas été possible. C’est nous qui avons tout fait, alors on ne remercie que nous mêmes (rires). Mais bien sûr, merci à tous les artistes qui ont répondu présents spontanément. Il faut garder ça comme une passion. Tu peux faire du rap, de la danse, tout ça, mais que le soir, que le samedi ou après l’école. Des graffeurs qui veulent percer, il y en a des milliers, comme des breakeurs ou des rappeurs. Dans les clips de rap ils te font miroiter qu’après tu auras la BM cab du clip avec la salope qui va avec, la montre en or et tout ça. Le rap français ne raconte que de la merde et a une mauvaise influence sur les jeunes, avec des trucs qu’ils n’ont même pas vécu, des trucs qu’ils ont juste entendu. Ne va pas raconter ça à des jeunes. Avant, je ne faisais pas gaffe. Aujourd’hui, je me rends compte de l’impact que ça a sur les petits. Tu as une responsabilité, il ne faut pas raconter des conneries. Moi, tout ce que je leur dis aux petits, c’est que tout ça, c’est de la location. La meuf n’est pas à eux, ils vont la rendre, la voiture, c’est une location, la montre, ils ne peuvent pas l’acheter avec le rap, c’est des menteurs. Vivez votre passion. Si vous percez tant mieux, si vous ne percez pas, vous aurez vos études et votre travail. Tant que nous avons la main sur notre discipline, nous pourrons être vigilants. Si c’est des gens de l’extérieur qui, sous le prétexte d’avoir de l’argent, viennent remanier le truc à leur sauce, non. Il s’est passé des trucs, nous ne sommes pas des menteurs. Derrière chaque tag, chaque graffiti, se cache une anecdote. La preuve, au bout de vingt cinq ans, on est encore là. C’est à nous d’organiser, pas à des mairies… Le concept du graffiti, c’est d’écrire ton nom partout. On a même écrit les nôtres au Grand Palais. On nous avait contacté en 2006, la collection n’était pas terminée, même pas commencé. J’ai jugé qu’elle était composée de beaucoup d’imposteurs. Tu ne peux pas parler de l’histoire de France sans parler de Napoléon ou Louis XIV. Donc tu ne peux parler du graffiti sans citer les 93 MC. On ne voulait pas que le graffiti français soit représenté par des imposteurs. Les gens peuvent raconter ce qu’ils veulent, nous sommes inévitables. Le concept du graffiti, c’est de mettre son nom dans des endroits les plus inaccessibles. On l’a fait au Grand Palais. Ça n’a aucune autre signification particulière. Si il y a de l’argent, c’est que du bonus mais on a plus de plaisir à peindre aux Francs-Moisins ou au Clos Saint-Lazare que dans des trucs comme ça. Nous, on peint par plaisir, on n’a rien derrière la tête. Mais ces derniers temps, c’est un peu fashion de peindre avec nous. Il y en a plein qui ont essayé mais ce n’est pas ça. On reste entre nous, milieu fermé et ce n’est pas plus mal. Ils s’aperçoivent maintenant que depuis le pop art, il n’y a plus rien. C’est nous maintenant. C’est nous les nouvelles valeurs sûres dans ce qu’ils appellent le monde de l’art. On en reparlera dans deux ou trois ans pour voir comment ça évolué… »

SHOE – Photo © Down With This

SHOE

« Il y a beaucoup de talents, le mouvement du graffiti est constamment en évolution. C’est la chose que nous devons faire car c’est bon de le développer. Paris est bon, tout comme certains mecs en Allemagne mais je ne veux pas généraliser car il y a plein d’individualités. De la scène graffiti française, je peux juste voir les rues et je pense qu’autour de Saint-Denis, ce sont de vrais graffitis. C’est l’endroit où il faut être. Comme aujourd’hui au Jour J. C’est un vrai événement. Je suis déjà venu avec BANDO dans pas mal de places en France. J’étais déjà passé ici il y a plus de 20 ans. On a beaucoup peint tous les deux et le voir là, c’est toujours avec la même émotion. Il y a 20 ans, il venait à Amsterdam et moi je venais à Paris. On peignait aussi ensemble en Allemagne. C’était une sorte de pionnier en Europe. C’est génial de voir autant de monde ici. L’histoire avec les 93 MC remonte à loin. Je me souviens d’une fois avec NTM, le crew était venu avec le groupe. Ça devait être avec SOLO, il y a plus de 20 ans. Je ne m’en souviens plus vraiment mais si je regarde autour de moi, je me dis que c’est toujours bon d’être parmi eux. C’est bon d’être ici, de voir ce qui se passe et de voir qu’il y a aussi des mecs d’Amsterdam. Il faut continuer de tagger, c’est tout ce que je peux dire. Si tu ne taggues pas dans la rue, tu n’as pas ta place dans le graffiti. Rentre chez toi et va faire autre chose, sur un ordinateur par exemple. »

JAY ONE (BBC) – Photo © Down With This

JAY

ONE

BBC

« Il faut savoir que moi je viens du 19e arrondissement et à l’époque, il y avait un certain antagonisme entre le 19ème et la Seine-Saint-Denis. Je n’ai jamais aimé NTM. Musicalement, je n’aime pas trop le rap français. J’étais plutôt Destroy Man et Johnny go, plutôt à l’ancienne. C’est ce qui explique que les BBC et 93MC ne se sont pas connu tôt. Quand ils étaient sur les scènes avec les NTM, moi j’étais à Berlin. D’ailleurs, les NTM leur doivent beaucoup parce grâce au 93MC, NTM était présent dans la rue. Je ne les connais pas depuis longtemps, c’est-à-dire une quinzaine d’années (sourire). On a très peu peint ensemble. Nous sommes de deux générations différentes. On a souvent peint dans les mêmes terrains mais jamais ensemble. Je les ai rencontré par le biais de LEK, c’est lui qui nous a présenté. Ca devait être entre Saint-Denis et le 19e arrondissement, peut-être même vers Aubervilliers. BANDO, MODE et COLT, c’était des écoles différentes. On ne se parlait pas trop à l’époque. J’ai rencontré BANDO au terrain (ndlr : Stalingrad). D’être ici aujourd’hui, il y a un côté déprimant car il y a beaucoup de mélancolie. Il y en a certains qui sont partis. La nostalgie rentre en compte. Ca fait longtemps que nous n’avons pas peint ensemble. Nous ne sommes plus des ados. On est encore vivants et encore présents grâce à tous les gens qui aiment le graff et qui continuent de batailler pour le faire exister. On est là ! »

DARCO

FBI

« Il y a une évolution au niveau artistique, des styles, mais il n’y a que nous qui la comprenons. La communication s’est agrandie avec l’apparition d’Internet. On a mûri, c’est plus organisé. D’autres générations sont venues, ça s’étoffe, ça s’agrandit car c’est devenu universel. Au niveau de la professionnalisation, il y a eu une évolution assez majeure. On peut encore retrouver les états d’esprit d’il y a 25 ans. Evidemment, on peut avoir de la nostalgie par rapport à ce qu’on a vécu, mais c’est bien aussi maintenant. C’est très différent, à toi de choisir quel chemin tu as envie de prendre. Il y a des trucs impressionnants mais je n’adhère pas à tous forcément. Quand tu vois arriver des trucs, tu as pleins de références en tête donc tu assimiles les nouvelles choses par rapport à ce que tu as déjà vu avant. Je suis un puriste. Pour moi, l’important est surtout d’écrire son nom partout. »

KEA 93MC – Photo © Down With This

KEA

93MC

Il y en a beaucoup qui peignent dans les terrains et qui prennent leur temps pour faire un graffiti. A l’époque, on ne pouvait rester que vingt minutes maximum pour peindre un truc, après on se barrait. Aujourd’hui, c’est un peu moins sauvage. Mais ce que l’on ne veut surtout pas, c’est que l’argent change le truc. Il va en y avoir, c’est sur, mais on ne veut pas qu’il change la nature du truc. Dans certaines disciplines du hip hop, l’argent est rentré. Qu’il rentre, tant mieux. On peut bosser avec même, s’il n’y en avait pas au départ. Mais l’argent à tout prix dans le graffiti, ce n’est pas ce que nous recherchons. On est là, tu nous reconnais, c’est bien. Vous avez bien vu ce qui s’est passé avec le rap ? Franchement, il ne faut pas que ça évolue pareil, avec beaucoup d’argent, beaucoup de majors, à tel point que cette discipline n’est plus maîtrisé par les bonnes personnes. Il faut qu’on évite ça.

On ne veut pas d’un mec qui sort d’une école d’art, qui vienne faire des graffitis partout, qu’il prenne trois ou quatre photos dans un terrain et qui les envoie sur internet en disant : « voilà, j’ai tout niqué ». On ne veut pas de ça. Nous ne laisserons pas passer ça.

On doit pouvoir réussir à en garder le contrôle même si certains commencent à s’y intéresser. On a fait le Grand Palais par exemple mais c’était soit nous, soit quelqu’un d’autre. On a décidé que ce soit nous. On ne veut pas d’un mec qui sort d’une école d’art, qui vienne faire des graffitis partout, qu’il prenne trois ou quatre photos dans un terrain et qui les envoie sur internet en disant : « voilà, j’ai tout niqué ». On ne veut pas de ça. Nous ne laisserons pas passer ça et on espère que ça ne va pas partir en sucette. J’ai eu une histoire avec AEC, NASTY j’aurai pu le défoncer. Ils ont voulu fausser l’histoire, faire passer chronologiquement des choses avant les autres. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il y a des gens comme ça. Le problème est que des petits jeunes qui vont s’intéresser aux graffitis vont croire leur livre. Je ne vais pas sortir du bouquin pour dire : « attention erratum ! ». Je leur ai rendu la monnaie de leur pièce. Le toy fait partie du graffiti.  C’est tout. Aujourd’hui, au Jour J, il y a aussi bien des mecs qui ont de l’argent, que des mecs de cité. C’est ça qui est bien dans graffiti, tout est mélangé. Tu vois BANDO qui vit à Miami mais qui est là aujourd’hui. Il n’y aurait pas tous les gens qui sont là aujourd’hui s’ils flippaient de nous. Même à l’époque, ça n’existait pas tous ces peintres sur un même terrain. Ce n’était pas possible (rires). »

Nous terminerons ce dossier par l’aspect «économie» que représente maintenant le graffiti. Au cours du nouvel entretien de SWEN (mai 2013), vous en comprendrez quelques déroutes : « Je n’étais pas au courant de la fresque qui le concernait (voir ci-dessous – ndlr : Alain-Dominique Gallizia, collectionneur), je l’ai découvert en même temps que tout le monde. Je pense que cela lui a fait du mal, ça l’a touché. Ça a été fait pour lui donner une petite leçon. Tu ne peux pas tout acheter avec de l’argent. Mais tu trouveras toujours des tarlouzes à qui tu donneras vingt euros ou une bouteille de whisky pour peindre tout un bâtiment. Tu trouveras toujours aussi des gens qui ont le luxe de tenir tête à ces gens-là. Le graffiti est en vogue. C’est donc un nouveau créneau pour les maisons de vente. Ils ont réussi à se renouveler un peu. Mais quand tu vois les catalogues de vente d’il y a quelques années, il faisait 800 pages ! Maintenant, c’est plutôt 120… C’est comme ça. C’est comme un centre de formation de foot. Au début, on est 300. A la fin, il n’en reste qu’une poignée. Ça se resserre un petit peu. Chaque galerie a pris son artiste et ils misent sur eux, quitte à fausser l’histoire du graffiti. Il y a beaucoup d’imposteur. Des gens s’inventent une carrière alors qu’ils n’étaient pas là ou qu’ils n’ont taggué qu’une semaine. Cela fausse le marché. Maintenant, quand on parle avec ces gens-là, ça va être presque nous qui ne sommes pas légitimes ! Je m’y suis mis car c’est une autre facette du graffiti mais ça ne reste qu’un support ».

Dossier réalisé par Flo et Nobel
Propos recueillis par Flo le 13 juin 2009 et le 15 mai 2013
Photos réalisées par © Down With This – Photo 93NTM (1990) réalisée par © Alain Garnier
Ce dossier est dédié à la mémoire de :
FAME, AREM, J LEE, CESAR, SHEST, LADY V, PATOU, NAZE, RACE, ZONE, TARA B, SISTA B
(paix à leurs âmes)

Alain-Dominique Gallizia – Photo © Down With This

Assassin et son histoire vu par Solo

Interviews
assassin, Black Frog, Dee Nasty, Joey Starr, Kool Shen, la chapelle, pcb, Rockin'Squat, solo, sydney, toxic

Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté.

DWT : Quand est-ce que tu rentres dans les rangs ?
Solo : J’avais vu sur TF1 un sujet sur la tournée « New York City Rap Tour » en France dans l’émission « Mégahertz » d’Alain Maneval, qui avait diffusé des images incroyables de la venue à Paris en 1982 d’Afrika Bambaataa avec Fab 5 Freddy, DST, le Rock Steady Crew, Mister Freeze, les Double Dutch girls, Futura, Rammellzee,  etc…  C’est là que j’ai tout découvert. Je n’y étais pas allé car j’étais un reurti, banlieusard et danseur de kyfun… J’étais déjà dans Kurtis Blow, mais pour moi c’était de la funk et pas du rap. J’avais essayé de danser à la minute même après cette émission, j’avais tout poussé chez moi pour tester mais il m’avait fallu encore six mois pour que je comprenne vraiment ce que c’était. Et c’est grâce à « Flashdance » en 1982 ou 1983 que je comprends clairement ce que c’est et que je me prends LA quecla… Et c’est là que tout a démarré pour moi : les gants blancs, etc…

J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse.

DWT : Tu vivais à Anthony (92) à l’époque. Beaucoup avaient vu la lumière comme toi en 1983 dans ton quartier ?
Solo : J’étais le seul. Pour mes potes, c’était uniquement l’oseille qui comptait. En allant faire mes affaires de reurti sur Paris, moi qui était habitué à voir des skates tout pourris, je vois des mecs sur des super skates et là, je me rends compte qu’il existe d’autres choses… Et je me dis que c’est quand même plus cool que de passer son temps à se faire courser par les flics… J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse. Je m’interroge sur mon cheminement et comment ça va se finir : soit je vais être un super braqueur, soit je passerai mon temps à cambrioler les gens, soit je finirai toxico ou charclo. Il n’y avait même pas l’espoir du travail, ni en réalité, ni en rêve… Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !! Je suis interpellé par ces gens qui utilisent l’espace public pour pratiquer des activités d’une manière qui m’était jusqu’à lors inconnue. C’est surtout d’autres mecs qui dansaient à Montparnasse devant les miroirs de la tour, qui vont vraiment m’interpeller. Au début, j’y vais pour voir et comprendre un peu plus, de mes yeux, ce qui ressemblait à ce que j’avais vu à la télé. Moi qui cours partout, joue au foot et danse tout le temps, j’accroche réellement et je finis par les rencontrer.

DWT : …Tu en arrives par occuper la place de danseur officiel dans l’émission « H.I.P. H.O.P. » présenté par Sydney sur TF1 en 1984 au sein des Paris City Breakers (PCB). Comment t’es tu retrouvé à former ce crew avec les deux autres danseurs ?
Solo : Ca s’est fait au travers d’une rencontre avec Scalp au Trocadéro. Scalp est le petit frère de la fiancée de l’époque (Candy) de Sydney, il cherchait un autre danseur pour un direct dans une émission de variété (« Atout cœur » de Patrick Sabatier). Scalp et Franck le breaker fou avaient décidé, sous l’impulsion de Sydney, de fonder les PCB en référence aux New York City Breakers. J’ai été intégré au groupe et les choses se sont enchainées pour moi.

Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !!

DWT : Sur quelles bases cette émission a t-elle été montée ?
Solo : Marie-France Brière était directrice des programmes de Radio 7 (Radio France) où Sydney avait une émission de radio quotidienne ou hebdomadaire, je ne sais plus, dans laquelle il jouait de la funk, de l’électro-funk et du Rap. Brière était témoin de l’engouement des jeunes pour ces nouvelles musiques car à chaque fois que Sydney invitait un artiste américain à la radio, il y avait un envahissement du hall d’entrée de Radio France. Bien que ce hall soit immense, tu ne pouvais même plus y rentrer. Des mômes dansaient partout, un joyeux bordel sans histoires, tous étaient là juste pour participer. La radio n’avait jamais connu d’envahissement avant Sydney. Voyant cela et passant directrice des programmes variétés de  TF1, Marie-France Brière décide en 1984 d’accorder un créneau horaire à Sydney pour animer la première émission de télé du monde consacrée au hip hop. Tout d’un coup, petit renoi de banlieue que j’étais, je me retrouve à la télé alors qu’on me considérait comme un cancre notoire ou une espèce de relou de service. Les gens qui me regardaient à moitié se mettent à me regarder vraiment. et tout ce qui était du domaine du rêve, limite inconcevable, devient réalisable…

DWT : La déprogrammation de cette émission a t-elle été vécu comme un arrêt brutal vu l’effervescence qu’elle avait provoqué dans votre quotidien ?
Solo : C’était une dure réalité mais c’est ce qui a permis de tester notre détermination et de connaître réellement nos motivations : s’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée, qu’il fallait arroser, aider à se développer afin que la plante prenne de l’envergure. Le but de cette émission de télé était juste de faire découvrir ce courant culturel. Il ne faut pas prêter à des chaînes de télé ou à ce genre de médias des intentions qu’ils n’avaient pas.

S’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée.

DWT : Un nouveau chapitre de ton activisme va démarrer… Comment débute l’histoire du groupe Assassin ?
Solo : Je me rends à New York grâce aux thunes touchées par « H.I.P. H.O.P. » et j’y rencontre par hasard, dans une boîte, Vincent Cassel, le grand frère de Squat, en 1984. On se parle vite fait car il me reconnaît. Lui avait découvert le hip hop, non pas au travers d’une émission de télé, mais en se rendant à New York car sa mère y habitait. Je l’ai recroisé par la suite en France aux Bains Douches et on est devenu ami. L’année qui a suivi, je me suis fait virer de chez moi et je me suis retrouvé à traîner. L’émission « H.I.P. H.O.P. » s’étant arrêtée, je n’ai plus les mêmes moyens financiers que j’avais avant. Vincent m’a hébergé pendant un certain laps de temps et j’ai donc connu Mathias alias Squat, son petit frère. Squat n’était pas pas trop là car il était encore en sport étude tennis. Quelques temps après, on commence à être dans les balbutiements du rap. Comme on est vraiment LA bande de potes, on essaye de faire des trucs ensemble. Vers 1986/1987, Marco Prince (FFF) nous aide à faire une maquette et nous fait enregistrer dans le petit studio d’une boite de pro d’un ami commun, Olivier Brial, paix à son âme. Le morceau s’appelait « Les esprits faibles » dans lequel Vincent Cassel, Squat et moi rappions : « Les esprits faibles doivent être à la mode, mais je te dis que le mien n’est pas commode, il est froid comme le fer et dure comme la pierre…« . Un ou deux ans après, Squat et moi nous fréquentions plus assidument. Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

DWT : Le fait d’avoir côtoyé très tôt le monde du show business, de la mode et des décideurs a t-il favorisé l’existence d’Assassin ?
Solo : A cette époque là, où tu es bon et t’existes, où tu es nul et tu es rayé, point barre. Il n’y a même pas d’entre deux. La connexion se fait parce qu’il y a une qualité. Ces gens là n’étaient pas des philanthropes qui nous disaient simplement « ah ouais tu es mon pote, tu es cool » avec une petite tape dans le dos. Il fallait susciter un engouement, avoir du charisme et être incontournable pour les intéresser. Comme Rakim disait à l’époque : « l’important n’est pas d’où tu viens mais ou tu te tiens »». L’énergie que nous dégagions et notre potentiel comptait beaucoup.

Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

 

DWT : La démarche de quitter Remark Records, avec qui vous aviez sorti « Note mon nom sur ta liste », en prenant la décision de vous auto-produire dès 1993, démontre t-elle réellement que vous aviez la capacité d’être indépendants ?
Solo : Entre ce qu’on a dit et ce qu’on a fait… J’avais contacté Corida au départ, en 1992, pour que nous calions une date d’Assassin à La Cigale. Nous rencontrons Jacques Renault et il nous fait confiance. Le concert est complet et sans promo, le show était incroyable… Corida est devenu notre partenaire et nous a aidé à concrétiser ce qu’on a entamé. Nous prenions les décisions mais ils nous conseillaient, nous épaulaient financièrement et juridiquement. On était dans une démarche d’indépendance et on se comportait comme tel. Mis à part IAM, je ne suis pas certain que tout ceux qui ont signé à l’époque sortaient quelque chose qui ressemblait à leur démo. Pour NTM par exemple, ils se sont retrouvés avec des directeurs artistiques, etc… Ce n’était pas notre cas. On se prenait la tête, on gérait tout, on faisait nos maquettes et on les enregistrait dans un gros studio. On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

DWT : Comment en arrives-tu à quitter le groupe alors qu’il commence à prendre un sérieux envol ?
Solo : Je trouvais qu’il y avait un décalage entre nos actions, ce qu’on dégageait et ce qu’on était réellement. Il y avait pour moi un décalage paradoxale entre la manière dont on apparaissait et la manière de se comporter les uns avec les autres. Il y avait aussi une certaine forme d’inconsistance dans ma manière de faire face à certaines problématiques, comme le développement du groupe ou l’équilibre des rapports entre les uns et les autres. Certains pesaient plus que d’autres dans la prise de décision. Je ne m’y retrouvais pas et je n’arrivais pas à me positionner. J’ai pensé que la solution était de m’en aller. Squat a essayé de faire perdurer le groupe avec ses armes et ses moyens et il ne s’en est plutôt pas si mal tiré. Il a eu du cran et du courage car ce n’est pas évident de continuer seul une aventure qui a été commencé à plusieurs. C’était plus facile de parler que de faire. Ce qu’est devenu Assassin peut plaire ou déplaire, mais on ne pourra jamais enlever à Squat qu’il a réussi à continuer.

DWT : Peux-tu enfin nous faire partager les raisons du clash Assassin / NTM ?
Solo : Malentendu, mauvaise foi… tout ce qui représente les humains dans leurs mauvais côtés. Il y avait de la compétition mais également, et finalement, de la concurrence… Et il y a cette histoire d’Olympia… NTM y avait déjà calé une date en 1993. Nous voulions également faire une grosse date sur Paris. La seule qui restait à l’Olympia, c’était un jour avant eux… Corida pose une option dessus. Ils en ont eu vent avant qu’on ait le temps de leur expliquer ce qu’on envisageait.

Nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter une trahison, et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

On développait avec NTM l’image des représentants du « nord », donc on s’était dit qu’on allait occuper l’Olympia ensemble pendant deux jours, genre mini-festival, faire une communication commune, etc… Car de toute façon, on avait l’habitude de faire des scènes ensemble, ça restait dans cet esprit. Sauf que Joey Starr, apprenant l’info de son côté, appelle Squat et l’abreuve d’insultes sur son répondeur. Malgré ma tentative, dans la foulée, d’expliquer à Joey notre démarche et qu’il avait tort de réagir comme ça, il ne voulait rien entendre et à continuer d’être véner (ndlr : la date des NTM à l’Olympia est finalement annulée). C’est pour ça que je dis que c’est de la mauvaise foi car on était supposé être des amis, de longue date en ce qui me concerne avec Joey, sans parler des affinités affichées entre les deux groupes et la multitude de services que Crazeebo et moi même leurs avions rendu : la première maquette que Joey est jamais enregistrée, les bandes pour leurs concerts, j’avais même co-produit avec DJ S le morceau « C’est clair » de leur premier maxi sans avoir été crédité… Bref, cela ne me paraissait pas incongru qu’on puisse s’expliquer vu que nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter, une trahison et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

DWT : Qu’est ce qui t’as motivé pour la reformation d’Assassin sur la scène de l’Olympia en 2009 ? Celle-ci laisse t-elle présager des retrouvailles également en studio ?
Solo : Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté. Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

DWT : En 1994, tu en arrives à quitter Assassin, pourquoi tu ne continues pas une carrière solo ?
Solo : Manque de confiance, manque de confiance, manque de confiance et encore manque de confiance. Sur l’existence en tant qu’artiste par exemple, je voulais viser plus haut que ce que je pouvais faire. Après Assassin, et dans ce mouvement musical, je me mettais la barre beaucoup trop haute. En tout cas, plus haut que mes propres capacités. Je voulais tellement bien faire, qu’à la fin, de manière inconsciente, je ne faisais pas, pour ne pas me tromper.

Photo © Nico/SKGZ – Aiiight.fr

DWT : En 1996, un projet de trio voit le jour composé de Polo, Jojo (Joey Starr) et Solo… Que s’est-il passé ?
Solo : J’étais encore dans la naïveté de croire que les choses peuvent se passer d’une manière super simple. Dans tout ce qui est de l’ordre du partage et de ce que je mets dans mes relations, il s’agit de sincérité et de simplicité. Ce n’est pas parce que ça n’allait pas un jour qu’on ne pouvait pas évoluer. Tout le monde n’y mettait pas la même volonté. Ca a été une jolie idée mais ça n’a pas abouti. Joey a une certaine personnalité. Quand tu vois que son dernier album s’appelle « Egomaniac », il est au moins lucide sur lui même. J’ai été un personnage très naïf pendant très longtemps.

DWT : Monter ce trio avec Joey constituait-il une forme de revanche sur ton départ d’Assassin ?
Solo : C’était une démarche naturelle. A un moment, j’étais assez proche de Didier et dans une intimité qui faisait que j’en suis arrivé un jour à lui dire qu’il était le frère que je n’avais pas eu. Est-ce que ce sentiment était partagé de sa part ? Je ne peux pas répondre à sa place. C’est quelqu’un avec qui j’ai traversé pas mal d’époques, pas mal d’épreuve de la vie. Dans mon imaginaire, le vrai groupe qui aurait du exister naturellement, il aurait dû être composé de Solo et Joey Starr ! Avec du recul, vu la haine viscéral que Joey éprouvait à l’égard de Squat, c’était peut être une manière de marquer le coup pour lui. Il arrive que cela se fasse inconsciemment et que certains n’aient même pas conscience du côté vindicatif ou mesquin de leurs actes. Est-ce que c’était le cas de Joey vis à vis de moi ou de Squat, il n’y a que lui qui peut répondre.

DWT : Tu gardes des souvenirs sympas de l’époque de La Chapelle…
Solo : …sympas ?

Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout !

DWT : …il y avait quand même les block party de Dee Nasty…
Solo : Il y a eu des bastons mémorables oui !! C’était surbouillant frère. Des mecs se faisaient gravement dépouillés. Il y avait des trucs sales. Il y avait une équipe de relous composé de Monster Kaze, Rital et d’autres taggers survéners. On marchait beaucoup à la bière à l’époque. Un jour, Lady V était allé seule au terrain. Monster Kaze avait voulu la taper, je crois même qu’il l’avait giflé. C’était vers 1986 ou 1987, à l’époque où Didier Morville (ndlr : futur Joey Starr) était surnommé « Joey Valstar »… A l’époque, j’habitais rue de la Roquette, donc elle arrive chez moi en pleurs. Je fonce là bas, ça part en baston et ça se termine au couteau. Kaze essaye de me planter le couteau dans la gorge. J’arrive à lui retirer mais il m’ouvre le menton. Je l’ai acculé jusqu’en haut d’une rampe, au fond du terrain, qui montait car il devait y avoir un ancien parking. Arrivé en haut, j’essayai de le faire tomber dans le vide… Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout ! C’était un lieu incontournable. Son histoire est mémorable. Il y avait cette atmosphère genre block party à la new yorkaise retranscrit à la française. Mais sinon, dans la manière dont les choses se déroulaient, il y avait toujours un moment où ça partait en vrille.

DWT : Quelle vision as-tu de la transposition du hip hop en France ?
Solo : Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route. Le meilleur exemple est qu’en France, il s’agit beaucoup plus d’égotrip et de représentation par rapport à un truc personnel qu’une vision d’ensemble et de partage. Et je suis autant à blâmer que les autres. Le rap n’est qu’une discipline du hip hop mais il ne faut pas oublier qu’au début, c’était le DJ qui était la star et qui appelaient les MC’s pour alimenter son truc. Les MC’s se sont accaparés la vedette et les DJ’s ont été relégué en arrière plan. Le hip hop, c’était que quand tu faisais une party, tu avais obligatoirement avoir le DJ, le MC, le crew de danseurs et les graffeurs…

Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route.

DWT : Vois-tu une forme d’influence sur la création de cette musique, voir un formatage, lorsque certains directeurs de programmation de radio, à partir du milieu des années 1990, ne se gênaient pas pour mettre leur grain de sel en studio lorsque des groupes enregistraient ?
Solo : Il faut surtout s’interroger sur ce que ces artistes étaient prêts à faire. Il appartient à chacun de décider. Maintenant, je pense que ce n’est pas la place d’un directeur d’antenne ou de programmation de radio d’être dans un studio quand le groupe est en train de créer ou lui demander de remanier après coups. Des gens l’ont accepté sinon cela n’aurait pas eu lieu. Ce genre de personne ne s’invite pas tout seul dans un studio, on l’y convie. On ne peut pas diaboliser un directeur de programmation de venir participer puisque c’est les artistes eux même qui l’invitent… C’est plutôt ce genre d’artistes qu’il faut diaboliser. C’est à eux de se poser des questions et de se demander s’ils ont baissé leur pantalon et leur culotte à un moment donné. Quand on lisait « interdit aux bâtards » dans Get Busy, c’est ça que ça voulait dire. Cette musique a été formaté car certains l’ont bien voulu. Est-ce que moi, j’en fait parti ? Non !

DWT : Tu diriges maintenant ton label Black Frog et prend souvent les platines notamment au sein des soirées Toxic. Est-ce que tu retrouves une sorte d’épanouissement sincère comme au début de ce mouvement ?
Solo : C’est maintenant que j’ai l’impression vraiment d’être hip hop. Je le suis plus que je ne l’ai jamais été. L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

 

Retrouvez Solo au commande de son label Black Frog ent. pour la sortie du Maxi « Pigalle » des « MonomaniaX » (courant mai 2012) avec des remixes de Para One / Blackjoy / Kaptain Cadillac et la vidéo réalisée par Jeremy Halkin & Anto Hinh Tai ainsi que le EP du talentueux Uncle O annoncé pour courant juin 2012.

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