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Alain Garnier : exposition de son Arsenal

Agenda
Alain Garnier, DJ Crazy B, Down With This, IAM, Jamalsky, Kéry James, raggasonic

Le photographe Alain Garnier se retrouve pris dans la mêlée d’un mouvement qui s’enracine en France et prend alors en photo les premiers concerts de rappeurs de cette scène naissante : Suprême NTM, IAM, Assassin, Little MC’s, Kery James, Soul Swing & Radical mais aussi reggae (Saï Saï, Tonton David, Raggasonic…).

Interpellé en 1987 à Paris par les couleurs du terrain vague de Stalingrad / La Chapelle, Alain Garnier y capture alors ses premiers tags et graffs, réalisés par des artistes aujourd’hui mythiques : Bando, Lokiss, les BBC, et d’autres qui se feront remarquer plus tard dans la musique comme un certain Joe (alias Joey Starr, futur co-fondateur du groupe NTM). Au fil des mois, le photographe Alain Garnier se retrouve pris dans la mêlée d’un mouvement qui s’enracine en France et prend alors en photo les premiers concerts de rappeurs de cette scène naissante : Suprême NTM, IAM, Assassin, Little MC’s, Soul Swing & Radical mais aussi reggae (dont les Saï Saï, Tonton David, Raggasonic).
Sa proximité avec certains acteurs de cette culture lui permettra de capter de manière naturelle ces instants de vie aussi bien au micro que dans l’intimité des coulisses. Et c’est de manière évidente qu’on lui proposera de signer en 1990 toutes les photos intérieures de Rapattitude (à l’exception d’Assassin par Maï Lucas), la célèbre et « sulfureuse » première compilation de rap français. Il comprend alors que l’histoire du milieu hip hop français est en train de s’écrire sous ses yeux et il décide d’y participer jusqu’à la fin des années 1990, notamment au sein du journal Get Busy puis en rejoignant l’équipe du journal Down With This à partir de 1994 jusqu’à maintenant.
Il s’envole en 1992 aux Etats-Unis pour poursuivre son travail auprès des artistes emblématiques de l’époque : Ice Cube, Public Enemy, KRS One, Gangstarr… Il suivra également la nouvelle scène française jusqu’à lors inconnue : Kéry James, La Cliqua, Sages Poètes de la Rue, Fabe, Koma, 2Bal 2Neg, MR R., Expression Direkt, L.I.M., La Caution, Lindis ou encore Psy4 de la Rime durant la période que les connaisseurs s’accordent à définir comme “l’âge d’or” du rap français. Il réussit durant ce laps de temps de plus de 10 ans (1987-2000) à constituer une abondante et inédite collection sur l’histoire de ce mouvement.
En ne répondant jamais à des volontés économiques ou de paraître, Alain Garnier poursuivra son travail sans relâche, fidèle à ses valeurs. C’est ce qui lui vaudra la prouesse de constituer un véritable « trésor argentique ». Il est certainement le seul photographe à s’être intéressé à cette culture aussi longtemps et aussi tôt.

Sa volonté de départ était donc la bonne : suivre le hip hop à ses débuts en France, ce qui lui a permis d’en conserver la mémoire. Son travail se révèle être aujourd’hui d’un intérêt manifeste. C’est maintenant de manière exceptionnelle qu’il en dévoile une précieuse partie, du 4 mai au 16 juin 2013, à l’Arsenal de Metz dans le cadre du festival de renom «East Block Party» en partenariat avec l’association Boom Bap (big up à Myriama et son équipe). A noter également que l’exposition présentera des œuvres de Maï Lucas customisées par Jonone et des portraits récents réalisés par Hélène Tilman. Nobel
Retrouvez la carte blanche à Alain Garnier ici

Exposition Alain Garnier, Maï Lucas & Hélène Tilman
Du 4 mai au 16 juin 2013 (vernissage mercredi 22 mai 2013 à partir de 18 heures 30 en présence des artistes)
Ouverture du mardi au dimanche de 14 heures à 19 heures
Arsenal – Metz en Scènes
3, avenue Ney – 57 000 Metz
Infos pratiques en ligne ici (site de l’Arsenal)

Fab Lover, Ultramagnetic DJ

Interviews
Alain Garnier, Awer, DJ Fab, DJ Kozi, Down With This, EJM, Hip Hop Resistance, Kabal, Kohndo, La Caution, Le Globo, Underground explorer

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus.

A chaque revu d’effectif, on se doit de faire l’appel. De nos jours, beaucoup ont déserté ou baissé les armes… Le soldat Fab répond inlassablement présent, encore et encore. Il en a pourtant livré des batailles aux côtés des activistes de ce milieu. Depuis le début, puis dès le terrain vague de Stalingrad ou au Globo avec la crème des pionniers, il contribue largement à assurer une visibilité qualitative du hip hop en France, sans oublier son objectif : le respect des valeurs. Très peu peuvent se targuer d’avoir exploré l’underground comme lui. Très peu sont restés fidèle à la pureté de ce milieu. Longtemps nous espérons le retrouver sur la ligne de front comme digne représentant de cette culture.

Down With This : Comment le hip hop entre dans ta vie ?
DJ Fab : Je suis à Paris, je tombe sur un clip de Gladys Night and the Pips dans lequel un type tourne sur la tête ! Et là, waouh ! J’essaye de comprendre. Ca m’attire immédiatement. Il y a des breakeurs mais le hip hop n’existe pas encore dans son ensemble. Je devenais visible, comme mes potes, même si on nous prenait pour des aliens ! (rires) On nous remarquait et c’était ce qui comptait. On commençait à mettre des vestes en jean avec des choses inscrites dans le dos, des fat laces, des superstars… Cette culture émerge un peu plus grâce à des lieux comme le Bataclan, le Trocadéro, le terrain vague de Stalingrad, le Globo où nous nous retrouvions. Le hip hop vient à moi en France au début des années 1980. Quand j’allais aux Etats-Unis, le hip hop y était évidemment en route et cela commençait à mieux me parler. Je devenais surtout le Père Noël pour mes potes en leur ramenant des choses liées à la culture : des kangols par exemple… J’avais commencé par écouter Radio 7. Ce n’est pas le premier truc que j’entends mais c’est le truc qui m’interpelle le mieux. Il n’y avait pas trop de décalage finalement avec ce que je pouvais entendre aux Etats-Unis quand j’y retournai. Mais au début, la musique était une espèce de soul, d’électro…

DWT : Cette culture s’avèrera déterminante pour ton avenir…
DJ Fab : C’est la danse, comme pour beaucoup, qui m’a pris. J’ai beaucoup dansé à partir de 1984. J’étais à fond là-dedans. J’ai dansé au sol, il fallait impressionner, faire des coupoles. J’allais en Espagne, à Ibiza, avant que ça devienne ce que c’est devenu. J’y rencontre Dan de Ticaret que je ne connaissais pas encore mais avec qui je deviens ami. Nous faisions beaucoup de représentations sur place. Les gens ne connaissaient pas cette culture donc nous devenions en quelque sorte des stars (rires). On était les premiers à danser comme ça là-bas, avec les locaux. Mais je me suis rapidement rendu compte que danser est une chose très difficile et que l’on peux également se blesser. Par la suite, j’avais fait un aller-retour à Paris pour récupérer mes vinyles afin de mixer là-bas.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers le mix ?
DJ Fab : Presque par nécessité car j’étais danseur et il me fallait de la matière pour pouvoir danser. Mais je n’avais pas encore de platines. Je n’y connaissais pas grand chose. On était dans les lecteurs cassettes à l’époque. Les cassettes me semblaient plus évidente car je pouvais écouter ma musique partout grâce aux premiers walkman. J’essayais de retrouver des matières musicales quand je retournais aux États-Unis. Je commence ainsi à glisser vers le mix.

DWT : Tu partais souvent aux Etats-Unis ?
DJ Fab : Oui à Philadelphie, Chicago. Los Angeles aussi où j’ai bourlingué. Mais je n’y suis resté que deux ou trois mois. J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir. C’était trop tendu. Je suis ensuite arrivé à New York.

J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir.
DWT : Ta connaissance du matériel à l’époque était assez rudimentaire. Avec quel équipement te lances-tu dans le mix ?
DJ Fab : Ma première platine était une platine courroie avec laquelle tu ne pouvais rien faire (rires). Mon installation se limitait donc à cette platine courroie avec une platine cassette avec laquelle j’enregistrais en faisant des pauses et une table de mixage. Je faisais mon truc comme je pouvais mais c’était laborieux ! (rires) J’ai finalement retrouvé ce principe des platines chez un pote huppé, qui avait avec deux platines MK2 Technics 1200. Obligé d’aller voir ! (rires) Et là, je vois qu’il existe une sorte de platine qui ne s’arrête pas ! Ce matériel n’était pas accessible pour moi. Mais un jour, mon pote m’informe qu’il va déménager et me propose de les acheter. Je me mets donc à tanner ma mère comme un dingue, je fais des petits boulots, j’essaie d’économiser au max et comme c’est mon pote, je peux le payer en plusieurs fois. J’arrive donc à me procurer mes premières MK2 grises. J’ai toujours les mêmes d’ailleurs.

DWT : Comment décris-tu les qualités techniques de ces MK2 qui sont vite devenues une référence mondiale ?
DJ Fab : Cette platine a une stabilité et ce qu’on appelle du charisme. Elle a aussi une beauté et une solidité certaine. Je n’ai jamais eu une seule réparation dessus, je touche du bois. C’est le top et pourtant j’en ai testé des platines. Elles ont l’avantage d’être dénuées de tout gadget. Quand il y a trop de boutons, tu te perds même si tu peux t’adapter avec le temps. Mais quand tu es DJ, tu as envie d’aller vite. Le pitch de la 1200 me correspond parfaitement. C’est une Rolls.

DWT : Sur quel mixette s’est alors porté ton choix ?
DJ Fab : Ma première table était une BST. J’ai ensuite acheté une Gemini, c’était la même que DJ Cash Money avait utilisé au championnat DMC et au Globo à l’époque.


DWT : Le Globo marquera la naissance des soirées hip hop sur Paris avec la venue d’artistes mythiques comme Public Enemy ou Cash Money. Peux-tu retracer certaines «spécificités» de l’ambiance si particulière de ce lieu ?

DJ Fab : Si tu suis cette culture sur Paris, tu te retrouvais de manière naturelle au Globo. On allait au terrain vague (Stalingrad), à Ticaret qui était à côté, géré par mon ami Dan. On y trouvait des name-plates, mes premières vestes en jean graffés par Chino. Il m’avait d’ailleurs graffé une veste et mon jean en même temps (rires). La suite logique était d’assister aux soirées du Globo pour y écouter du son. Avec le Bataclan et la Main Jaune, ces lieux représentaient nos rendez-vous. Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. Si tu avais une Fat Goose, elle partait direct ! J’avais mes entrées donc je n’avais pas ce genre de soucis mais si tu ne connaissais personne, tu te faisais dépouiller direct. Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle. Les filles étaient très rares. Elles devaient comprendre les codes et savoir se comporter. Cela a bien changé de nos jours. Tu peux aller maintenant dans les soirées hip hop pour boire un verre en paix avec ta nana. Je trouve que c’est zen aujourd’hui et c’est tant mieux. Ce n’était pas le cas à l’époque. C’était tendu, il y avait beaucoup de guéguerres, des histoires avec les taggeurs. Et pour moi, qui habitait dans le 15ème à l’époque, c’était aussi le parcours du combattant pour rentrer chez moi car il fallait éviter les skinsheads. Entre nous et en dehors, c’est assez hardcore et fatigant.
Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. (…) Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle.
DWT : Cette période marque également ton entrée dans les clubs pour y prendre les platines…
DJ Fab : J’avais commencé par quelques petits endroits comme le Diable des Lombards avec le DJ des Black Panthers, devenus Baffalos par la suite. Le Timis Club puis au Globo. Massadian m’avait proposé de mixer aux ouvertures, avant Dee Nasty. Il n’y avait pas d’argent mais c’était le summum. Le Bataclan était également un temple avec énormément de danseurs. On avait l’impression d’être dans un Roxy français (boîte new yorkaise en 1982). C’était un melting-pot de plein de choses avec beaucoup de zaïrois qui s’arrêtaient de danser car nous avions notre heure hip hop pour pouvoir danser à notre tour (rires). Il y a également le Trocadéro que l’on ne peut pas nier où il s’est passé de belles choses et de belles rencontres. Je connaissais DJ Clyde qui habitait le 15ème comme moi. Je m’entraînais chez lui, il s’entraînait chez moi et vice-versa.

DWT : Tu taggais également, tu étais sensible au graff à l’époque ?
DJ Fab : Je suis allé un peu aux palissades du Louvre et sur les quais de Seine mais surtout à Stalingrad. Avec le talent de Jay et mon pote Boxer (rest in peace) et plein d’autres graffeurs, ce n’était pas dur d’apprécier leur travail. Je taggais aussi comme beaucoup et donc je m’y retrouvais. C’était un ensemble cette culture, il y avait des fringues, le dessin, la musique… C’était un tout.

DWT : Beaucoup de DJ’s concouraient au DMC. Pourquoi n’as tu jamais participé à ce championnat ?
DJ Fab : Premièrement, je n’avais pas le temps et deuxièmement, je trouvais que les durées de six minutes pour les passages, c’était juste frustrant car c’est beaucoup de stress. J’ai fait des choses sous d’autres aspects mais je ne me voyais pas travailler que sur six minutes. Le format me paraissait trop court. Il y avait énormément de choses à faire en même temps. Je trouvais ça trop dur pour moi car si je me mettais sur ces histoires de championnat, j’aurai été contraint de mettre d’autres choses de côté alors que j’avais des factures à payer.

DWT : Tu recentres tes activités par la suite autour d’EJM que tu accompagneras sur toute la période de ses deux albums entre 1990 et 1993. Tu en gardes de bons souvenirs ?
DJ Fab : Après avoir fait mes études, comptabilité puis gestion commerciale avec comme diplôme l’équivalent d’un bac plus deux, j’ai eu la chance d’avoir un bon poste dans l’hôtellerie. Le problème est que la musique commençait à prendre beaucoup de place dans ma vie. Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique. EJM m’avait été présenté par un mec de Vitry, à l’époque de la compilation Earthquake, dans lequel il avait posé le morceau « Nous vivons tous dans une ère de violence ». Il cherchait un DJ, on accroche super bien et ça devient mon poto ad vitam aeternam. On commence a beaucoup bougé ensemble, on va à Los Angeles, on part en Suisse et dans toute l’Europe… EJM a vraiment marqué sa période en étant tranchant direct. Il n’y avait pas de demi-mesure. Le seul problème, je pense, est que c’était quelqu’un de trop avant-gardiste et qui n’avait pas été compris. On avait également souffert en nous taxant de racisme car on avait une image pro-black alors que ce n’était pas le cas. On avait une équipe avec nous qui était assez dure mais c’était l’époque, il fallait marcher avec son posse. Il ne rigolait pas trop (rires). Les maisons de disques ne comprenaient pas trop. On n’était pas arrivé au niveau du Ministère AMER mais ça n’en était pas loin ! EJM était sur écoute, j’ai dû l’être aussi. Ce truc nous a dépassé et on en a beaucoup souffert je pense.

Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique.
DWT : Il t’avait pourtant rebaptisé en ajoutant « Lover » à ton nom (rires)…
DJ Fab : J’étais beaucoup avec Ultramagnetic MC quand ils sont venus à Paris car je les connaissais un peu en amont avant leur venue en France, dont TR Love que je connaissais bien. Certains des membres de ce groupe avaient « love » dans leur nom. Ils s’étaient donc amusés à ajouter « love » au mien et ça a donné Fab Lover. EJM l’avait posé sur un morceau et c’est resté.

DWT : Pour en revenir à la carrière d’EJM, ce « revirement » très Jazz dans sa musique avait-il pour but de lui faire changer son image pour une autre moins dure ?
DJ Fab : A un moment, il a fallu calmer la dose. Je pense qu’il avait envie d’accéder à autre chose, d’autres horizons. Le jazz l’avait de toute façon toujours intéressé. Je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait. Cela m’a ouvert les yeux sur plein de choses également. C’était aussi une belle aventure humaine. Le dernier concert que nous avons fait s’est terminé en coups de feu. Je lui avait dit à l’époque que je n’avais pas envie de vivre la musique dans cette ambiance, même si ce n’était pas en lien direct avec le groupe.

DWT : La France a représenté une saturation à un moment pour toi. Sur quelles motivations t’es tu exilé en Suisse et en Allemagne ?
DJ Fab : A l’époque, EJM et moi connaissions une fille en suisse qui s’appelait Channel et qui avait beaucoup de connexions à Paris. Elle nous avait proposé des événements en Suisse et je suis resté. J’y étais à l’aise, je n’avais pas besoin de revenir à Paris. Puis après avoir rincé tout le pays en jouant partout, j’ai remarqué bizarrement que d’autres ont commencé à arriver comme DJ Cut Killer et plein d’autres. Je suis également resté en Allemagne, malgré les a priori qu’on pouvait avoir sur ce pays, c’était une place forte du hip hop. Ils étaient au top, ils le sont jusqu’à maintenant d’ailleurs.

DWT : Tu as connu quelques années après un tournée plutôt confortable aux côtés de Stomy Bugsy (ex-Ministère AMER)…
DJ Fab : J’ai vécu avec cette tournée le côté ultra-starification. C’était l’époque « Gangster d’amour » de Stomy. Lorsque nous nous sommes rendu en Afrique, il avait été accueilli comme un Dieu ! (rires) C’était dingue. Le public était hyper fan. Il y avait des choses qui me plaisaient et d’autres moins. Je suis intervenu sur cette tournée comme serait intervenu un guitariste ou un professionnel de la musique. C’était un métier mais cela ne m’empêchait pas d’être content de vivre ces moments de partage. J’ai vécu de vrais trucs sur cette tournée. J’ai aussi beaucoup rigolé avec Stomy, c’est une vraie crème et un vrai déconneur. Je suis content d’avoir vécu ces choses et les côtés « starification » de l’industrie que je ne connaissais pas.


DWT : Tu es également le DJ officiel de La Caution (que nous saluons au passage) depuis maintenant 10 ans…

DJ Fab : Il fallait qu’il y ait un groupe de coeur, de fond. Par rapport à mon parcours, la rencontre avec ce groupe collait très bien. Je n’ai pas eu besoin de m’adapter à ce qu’ils faisaient. Lorsque j’ai entendu cette technique, cette musique, je me suis dit que les mecs étaient très fort. Il se trouve qu’ils cherchaient un DJ. Ils avaient essayé avec Orgasmic du collectif dont je faisais partie avec TTC mais ça n’avait pas fonctionné. J’ai fait une première date et cela a très bien marché. Je considère aujourd’hui Ahmed (Nikkfurie) et Mohamed (Hi-Tekk) comme mes frères. Nous devrions envisager un troisième et dernier album mais je ne veux pas parler à leur place car c’est une histoire de famille. La Caution existe toujours pour le public. Ce n’est pas fini. Si cela doit être le cas, il faut envisager ce troisième album. Je pense que les fans sont en attente. Ahmed l’est aussi je pense et moi j’ai envie de remonter sur scène avec eux avec de nouveaux morceaux. Je comprends les positions de chacun, ce que dit Mohamed, qui est maintenant dans la vidéo et qui est un vrai artiste. Nikkfurie est très productif et très talentueux. La Caution a continué de tourner presque un an sans Mohamed mais c’était difficile car il a une place à part entière.

DWT : Quels souvenirs gardes-tu de la votre mini-tournée en Palestine ?
DJ Fab : Je suis très loin de la politique. Le problème de ce projet est que je n’étais pas chaud. J’essaie de ne pas mettre de la politique dans ma vie. La Palestine était un projet fort pour moi, je voyais ça comme un réel engagement. Ce n’est pas juste comme aller faire un concert à la Bastille. Je pouvais comprendre qu’Ahmed et Mohammed aient envie d’y aller comme à un pèlerinage mais cela devait se faire sans moi. C’est un sujet très sensible et je voyais mal ma place dans cette histoire. Ahmed a fini par trouver les mots justes et me convaincre. Je suis revenu plus grand car c’était une très belle expérience. J’ai connu des gens forts, humbles et qui vivent une vie incomparable avec ce que nous vivons ici.

DWT : Tu as travaillé avec Destroy Man, tu montes sur scène aujourd’hui avec Kabal, tu travailles avec Kohndo. Tu mènes des activités très variées…
DJ Fab : La tournée avec Kabal est une belle expérience. Ce sont des adultes. C’est rock, nouveau et alternatif pour moi. Je continue de travailler avec Khondo et j’aimerai qu’on travaille un disque ensemble. Je reste également attentif aux MC’s de la nouvelle génération. Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.

Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.
DWT : Penses-tu que cette nouvelle génération correspond toujours aux valeurs du hip-hop ?
DJ Fab : Je ne pense pas. Aujourd’hui, les artistes sont tous dans leur truc. Pour reparler de Némir, c’est quelqu’un dans lequel je pourrai me reconnaître. Il apporte quelque chose de frais dans le rap, avec sa bonne humeur, son flow. Ce qui est rare dans la plupart des MC’s en France. Ils sont habituellement beaucoup plus dans une vision noire des choses. J’aime le hip-hop, je suis sensible au rap. Il y a des choses qui me touchent même si évidemment, il y en a très peu. Mais le peu qui me touche me plaît beaucoup. Mais en 2013, pour moi, les valeurs se sont perdues.

DWT : Les artistes américains sont également des gens avec qui tu as collaboré. On a quand même connu pas mal de déception quant à leurs prestations en France…
DJ Fab : A Paris, dans les années 1990, il y avait une sorte de comportement de la part du public qui ne leur permettait pas de faire ce qu’ils voulaient ou ce qu’ils font maintenant. A cette époque-là, nous composions un public qui était tellement réactif qu’on leur jetait des trucs si leur show était une carotte. Il arrivait que ça se transforme en bagarre. Ils repartaient alors avec l’image d’une France assez tendue. Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus. Cela avait permis de tout remettre à plat. Le public a ensuite changé et la monnaie européenne est arrivée. Quand ces artistes sont revenus ici dans les années 2000, j’avais l’impression qu’ils étaient maintenant en vacances. Ils savaient qu’ils allaient toucher des euros et c’est devenu la fête à neuneu.

Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus.
DWT : Au travers vos activités de promoteur via Hip Hop Résistance (avec Awer rest in peace et Dj Kozi), label certifié avec le temps gage de haute qualité, doit-on y voir la démarche de proposer au public un show américain respectable grâce à votre savoir-faire et votre réseau ?
DJ Fab : Nous avions démarré le projet Hip Hop Résistance car il y avait un manque à Paris de ce que nous voulions voir sur scène. On s’est donné les moyens de faire venir des mecs que personne ne faisait venir. Les gens ont accroché et nous avons donc décidé de monter des projets qualitatifs et non quantitatif. Cela s’est toujours bien passé, malgré un raté avec Da Bush Babies qui était arrivé complètement bourré, en ayant fumé. Ils se sont mis à rapper sur du Beyoncé, des conneries comme ça. C’était blindé au niveau du public mais c’était n’importe quoi sur scène. On avait pris les devants en s’excusant auprès du public et en indiquant au groupe que ce ne sera plus par notre intermédiaire qu’ils reviendront en France. En dehors de ça, on a connu de beaux moments comme avec Masta Ace, Bahamadia, Wildchild et J-Dilla…

DWT : L’organisation d’événements à Paris n’a pas été souvent une chose facile à gérer. Quelques tensions dans ce milieu des promoteurs ont résonné, quels en étaient les causes ?

DJ Fab : Le milieu des concerts est spécial, il y a de la concurrence, de l’argent et une réputation en jeu. Il y a plein de choses. Il y a des gens avec qui on peut s’entendre comme MC5 (Mickael) ou Free Your Funk (Manu et Denis) avec qui je me suis très bien entendu et avec qui on a collaboré. On a appris beaucoup de choses avec Awer de son vivant et moi. C’est toujours un plaisir de bosser avec. Mais il y a aussi des gens avec qui cela n’a pas été aussi simple. Il faut bien comprendre que lorsque nous sommes sur ce secteur d’organisation d’événements, je suis en mode business, promoteur. Il se trouve qu’un gars, montait sa structure, en même temps que nous, avec des bouts de scotch comme nous. Nous étions bien installé dans l’underground et ça devait lui faire de l’ombre. Alors il s’est mis à mal parler et nous dénigrer. Il le faisait également à New York en disant aux gens de se méfier et de ne pas travailler avec nous. Cela devenait gênant. Cétait le genre de personne qui pensait que nous nous croiserons pas et qu’on pouvait se parler par mail uniquement, à distance. Mais il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. L’histoire a été réglé à l’ancienne, sans échange de mails, et bizarrement ça allait beaucoup mieux par la suite.

DWT : La radio occupe chez toi une grande place. Est-ce que le formatage imposé par le business te laisse suffisamment de liberté pour animer ton émission sur Génération FM ?

DJ Fab : Mon émission, Underground Explorer, a lieu tous les dimanches (de 22 heures à minuit) et je n’ai aucun problème. Il faut savoir que nous ne sommes pas payés, c’est ce qui justifie surement cette liberté. Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
DWT : Connais-tu le nombre de vinyls que tu possèdes ? Continues-tu d’agrandir ta collection ?
DJ Fab : Je ne peux pas quantifier mes vinyls. J’en ai certainement beaucoup moins que Dee Nasty. J’en ai beaucoup acheté mais j’avoue que j’en ai pas mal volé aussi. Il y aussi ce qu’on te donne mais ce ne sont pas les plus intéressants car il s’agit de disques promo. Je les garde car je suis un amoureux du vinyl. J’ai dépensé beaucoup d’argent dedans. Je possède certains de mes disques en six exemplaires, tous cellophanés, comme le mini EP de NWA «100 miles and runnin’». J’ai toute une époque du rap qui me convient parfaitement, notamment ceux des années 1990 mais je n’achète plus de disques de rap. Par contre, je suis capable de mettre 200 euros dans un vinyl de Soul qui m’intéresse.

DWT : Existe t-il un vinyl que tu recherches et qui ne figure pas dans ta collection ?

DJ Fab : En toute modestie et sans être prétentieux, j’ai tout ce que j’ai besoin. A un moment, je recherchais un vieux maxi d’Ultramagnetic MC. DJ Asko me l’avait retrouvé sur le net. C’était une réédition mais bon, je l’avais tout de même pris.

DWT : Si tu devais citer un disque dans la soul et un autre dans le rap qui t’ont le plus marqué, lesquels choisirais-tu ?
DJ Fab : Entre autres pour la soul, la B.O. du film «Death Wish» car il y a dedans beaucoup de sample possible. Pour le rap, je dirais «Niggaz 4 life» de NWA, l’époque de l’apogée des sons de Doctor Dre. Musicalement, je trouve que ça sonne encore bien maintenant même si les BPM ont un peu augmenté. Ca sonne bien au point de vue mastering, ils avaient tout compris. La pochette est bien réalisée, les silhouettes qui quittent la scène de crime, c’était bien pensé. L’album était monstrueusement bien produit. Mais je pourrais aussi dire EPMD. Ce qui me plait dans le hip hop, c’est toutes ces énergies et pas seulement un groupe en particulier.

DWT : Quel est ton point fort techniquement parlant en tant que DJ ?
DJ Fab : Je dirais que pour pouvoir durer, il faut contrôler à peu près tous les aspects. Certains Dj’s sont super forts en scratch mais sur d’autres phases, il ne sont pas bons du tout. J’ai plus voulu développer plusieurs techniques pour être complet, scratch, mix, beatjungling, passe-passe. Mais aujourd’hui, tu as beau faire un flair, un trois doigts, un combo, tout le monde s’en fout. Pour moi, il fallait arriver à tout mettre dans le tempo, c’était le plus important.

DWT : Quelle a été la technique que tu as eu du mal à assimiler ?
DJ Fab : Beatjungling.

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. (…) Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long.
DWT : Quel regard portes-tu sur la mutation du métier de DJ avec l’arrivée des platines CD pour scratcher et les logiciels de mixe ?
DJ Fab : Ce sont des contrôleurs. Je pense que la génération des DJ’s auquel j’appartiens seront les derniers à pratiquer de la sorte. Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. Beaucoup de DJ’s de ma génération sont restés à la maison pour s’entraîner, acquiert une technique et à essayer d’avoir un minimum de niveau. Aujourd’hui, juste avec un ordinateur et un contrôleur, il suffit que tu classes tes morceaux, tu appuies sur un bouton et les mixes se font tout seuls. Il n’y a plus aucun effort. Visuellement également, il n’y a plus rien. Les mecs ne s’occupent plus que de régler que les infra-basses et les basses. Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long. Ces jeunes aimeraient tous faire ce que l’on fait mais c’est trop long à apprendre. Ils préfèrent aller sur quelque chose de plus rapide et qui est rentable tout de suite.
Dédicace de DJ Fab à l’équipe de Down With This pour avoir pris le temps et avoir eu l’envie de faire cette interview. Big up à tous les résistants qui viennent à nos concerts. Big up à Awer (RIP), Dj Kozi, Kohndo, La Caution, Tonton Steph, MC5, Free Your Funk, Batsh, Fire, Dan de Ticaret, EJM (Etat de Choc), Solo, Papa Lu, Mister Hyde et pleins d’autres que j’aurai voulu aussi remercier, ils savent qui ils sont…

Propos recueillis le 1er mars 2013 par Flo, Nobel et Fati. Photos-archives par © Yoshi Omori et © Alain Garnier
DJ Fab / Hip Hop Resistance (promoter concerts, booking) & Underground Explorer radio on 88.2FM with DJ Kozi (R.I.P Awer) every Sunday to 10pm / Midnight on www.generationsfm.com (Paris, France).
A suivre…
The Doppelgangaz le 31 mars au Glazart (Paris) avec Radikal MC en 1ère partie.
Remerciements à DJ Fab de nous avoir accordé son temps pour réaliser cette interview, précieuse pour la transmission de l’histoire de notre culture. Nous le remercions par ailleurs d’être toujours en activité et au contrôle de ce hip hop vrai et sincère. Remerciements également à Nathalie et Yoshi Omori pour leur aimable contribution (photo de DJ Fab au Globo en 1986) issue du livre légendaire « Mouvement » (co-écrit par JayOne et Marc Boudet, illustré par Yoshi Omori).

Koma, scred réalité

Interviews
Alain Garnier, Aurore Vinot, Barbes, Boxer, Down With This, Fabe, Koma, Scred connexion

On a commencé à apprendre le métier. Et on a créé le rap indépendant qu’auraient dû créer les IAM, NTM, ASSASSIN. Ils avaient ouvert des portes qu’ils avaient, quelque part, refermés derrière eux.

A la première mise en ligne de Down With This version numérique, Koma est le genre d’artiste qu’on a envie de faire tout de suite. Puis on se dit qu’on a le temps… mais au bout de quelques mois, l’évidence nous rattrape. Rappeur incontournable, il est le genre d’artiste qui rend attractif notre courant culturel. La justesse de ses paroles traduit avec exactitude l’atmosphère de certaines réalités auxquels s’attaquent les grands auteurs : un quartier populaire, une famille, l’immigration, la classe ouvrière, l’abandon d’une certaine jeunesse, la politique, les rapports humains… La profondeur de ses œuvres le place parmi les artistes majeurs de la chanson française tel Ferré ou Brassens offrant ainsi la comparaison avec la poésie, la vraie, celle qui fait voyager, qui a une valeur qualitative et qui nous touche. Koma est productif et enregistre des titres depuis maintenant 20 ans. Étrangement, il n’a qu’un album à son actif, « Le Réveil« , opus certifié classique dans toutes les discographies de ceux qui s’intéressent à cette musique. Nous l’avions déjà interviewé il y a 17 ans aux côtés de Fabe, son équipier de l’époque, et l’intérêt de sa présence dans cette culture nous semblait déjà évident. La France se réveillera t-elle encore un peu tard pour admettre son talent et en faire sa promotion auprès du grand public ? Parole à un maître de cérémonie hors pair.

Down With This : Barbès, ton origine emblématique, ça remonte à loin ?
Koma : J’y suis arrivé à l’âge d’un mois. Je suis né à Chambéry. C’est pour ça que j’aime bien la Juve et Evian-Thonon (rires). Mes parents sont originaires de Mostaganem, une belle ville côtière vers Oran, en Algérie. C’était les années 1970, ils arrivaient pour le boulot, les usines. Comme beaucoup, ils ont tenté leur chance en laissant des frères et des sœurs là-bas en se disant qu’ils leur enverraient des thunes. Ils se mariaient, faisaient des gosses et le rêve de retourner en Algérie commençait à s’éloigner… Petit à petit, tu t’aperçois que tes parents sont en train de vieillir et qu’ils vont mourir ici. Il y en a qui y retournent mais quand ils arrivent là-bas, ce n’est plus aussi simple. Beaucoup ne veulent plus y retourner pour y vivre car ils ont leur vie ici. Comme ma mère, elle a ses copines, ses trucs, ses habitudes en France. Moi, je n’y suis retourné qu’au mois de mai 2012, ça faisait 10 ans que je n’y étais pas allé.

Ahmed (futur Koma) 1979 © Archive Koma – Droits réservés

DWT : La Goutte d’Or te voit donc grandir et poser ton blaze sur ses murs…
Koma : J’habitais à une rue de chez Gilles – BOXER (RIP). Pour jouer au foot, on avait dessiné sur un mur les cages à la peinture et BOXER y avait fait son fameux «Z», un géant en chrome. Toute mon enfance, j’ai eu ce «Z» devant moi. On le croisait avec son chien et il nous autorisait à le promener. Sa mère était fleuriste à côté de chez nous. Donc on a baigné dans ce truc-là et j’ai commencé à faire mes premières armes dans le graffiti. Il me disait « va chercher ton sac » et on se retrouvait dans des terrains. Je n’ai pas trop taggé avec lui. J’ai juste fais deux ou trois chantiers, un local et tout le square Léon en même temps que les architectes qui le refaisaient. On a même été payé. Nos graffs avaient été mélangé à leur travail. Il y avait toute une petite équipe : BOXER, moi, JEASK, BUTCH par la suite et DENPI… RAIDEN aussi qui était à la base venu acheter des chiens à BOXER. C’est en fréquentant Gilles qu’ils se sont mis à la boxe, dans son club, le Pitbull Posse. Redouane est venu s’entraîner là aussi. Il est mort plus tard lors de son championnat du monde à Las Vegas. Il y a même eu une enquête faite pour la télé par Karl Zéro sur le trafic dans la boxe. A cette époque, tout ce milieu, c’était le graff, le sport et la musique mélangés.

Pour jouer au foot, on avait dessiné sur un mur les cages à la peinture et BOXER y avait fait dedans son fameux «Z», un géant en chrome. Toute mon enfance, j’ai eu ce «Z» devant moi. On le croisait avec son chien et il nous autorisait à le promener.

DWT : Koma est un nom paradoxal pour quelqu’un qui voulait s’affirmer… Pourquoi ce choix ?
Koma : J’avais regardé la liste des noms des mecs du graffiti à la fin du livre Spraycan Art. Certains étaient déjà pris, d’autres pas. Moi, j’aimais « Les Guerriers De La Nuit« . J’ai vu que celui que je voulais prendre, Swan (le personnage joué par Michael Beck) était déjà pris donc il fallait que j’en cherche un autre. Comme on était obligé de péta les bombes, il fallait les économiser. Il me fallait donc un nom court mais avec un équilibre : deux consonnes et deux voyelles. Deux lettres froides et deux autres chaudes. Je cherchais un truc que j’aimais visuellement, facile à enchainer et à écrire. K et M me plaisaient. Kimo, Kamo, Kima… Comme c’était des lettres pointues, il me fallait de la chaleur. J’avais opté pour le O et le A. Et c’était parti, je suis allé direct dans la rue pour le poser. Tu as eu plusieurs époques dans le tag pour trouver des noms. Il y a eu la mode des «SW», Swatch, Switch, etc… L’année d’après, c’était les «K», Kriminel, Kool Shen… Tout le monde mettait un «K» à la place du «C». Après, j’ai regardé ce que KOMA voulait dire… Et puis comme j’avais des problèmes pour aller à l’école dès le matin ou rester éveillé en cours, ça collait bien (rires).

DWT : Tu t’es donc rapidement retrouvé dans les années bouillonnantes du tag…
Koma : Ca nous a fait bouger. J’ai taggé avec HOOVER, WOLF, SKROZY, KEAD, TECHNIKO (AMA) dans nos promenades. On avait fondé un crew en 1990, les TAM, avec des mecs de partout : OENO, ADEPT des 357MP de Bobigny, SAY.B,… On se retrouvait avec trois mecs de chaque coin tout les samedis a Vincennes. Des mecs comme OENO (DJ JR Ewing), on se connait depuis plus de quinze ans. On graffait ensemble, on faisait des métros. On se retrouvait aussi à Stalingrad avec AREM, MAM, KOE, SAB, NADIA… il y avait des meufs aussi avant. On faisait un petit tour à Ticaret et au terrain vague. On regardait des mecs qui graffaient comme EROS et ARO, que j’ai connu après, dans le rap, à l’hôpital éphémère…

A gauche : Koma (1991) – A droite : Kead, Skrozy et Koma (1990)
© Archives Koma – Droits réservés

DWT : …qui était un point de rassemblement déterminant pour vous à partir de 1992-1993 ?
Koma : C’était une deuxième époque. Ce lieu a été notre génération. On y a connu les 2Bal 2Neg, Fat, Dj Maître, La Cliqua, Rocca, Chimiste, Dj Mehdi avec Différent Teep… Notre génération se retrouvait là-bas, on se voyait tout le temps, on faisait des maquettes. On était tous les jours ensemble pendant trois ou quatre ans. On a tous sorti nos disques de là-bas.

DWT : C’est à cette période que tu te diriges vers le micro…
Koma : Je m’étais intéressé au rap plus tôt, à l’époque de radio nova, avec mon petit poste sous la couverture. C’est là que j’ai vraiment commencé à en écouter, avec les émissions de Deenasty où les mecs défilaient : Assassin, NTM, Les Little, Rico, Saxo, toute la clique des rappeurs de l’époque… Un freestyle d’Assassin et NTM où ils avaient lâché des couplets de ouf qui allait devenir les textes de leurs premiers albums m’avait d’ailleurs pas mal marqué. Alors tu apprends petit à petit. Tu reçois les infos par vagues, tu découvres les mecs qui existent, le 501 Posse, après tu entends qu’il y a des trucs à Marseille, c’est qui, c’est quoi ? La K7 «Concept» d’IAM, le Soul Swing… On regardait et on faisait tourner. C’était trop chère cette rareté. C’était ça le hip hop, avoir un truc que l’autre n’a pas. Ce n’est pas comme aujourd’hui où ils ont tous la même casquette, le même style. Chacun avait son truc, avec son propre style. Moi j’étais sur Assassin, je trouvais que c’était le seul groupe «social-politique» tout le temps mais avec toujours cette vibe «graffiti rap hip hop» mélangé avec ce fond de revendications, un peu mondialiste, ce certain regard sur la société. Et comme moi, c’était le 18ème et le graffiti. Mais en dehors de ça, le rap restait du flow, de la jonglerie verbale. C’était marrant, c’était bien cette poésie rythmique mais on était pas encore dans le cœur du sujet social. Il y avait « Le Monde De Demain » de NTM en 1990 qui avait survolé un peu mais l’ensemble du hip hop français se cherchait. On était sur du jeu de mot, du sample jazz. On sortait de Jungle Brothers, de De La Soul, de Public Enemy et l’afro centrisme avec toute cette vague de mecs en France qui se cherchaient avec des coupes de cheveux de dingue. Il y avait beaucoup cette espèce de décalquage de ce qui se passait aux États Unis.

DWT : Tu nous avais d’ailleurs expliqué lors d’une première interview en 1996 que ce côté décalcomanie n’était justement pas trop ton verre de thé (voir interview de Koma 1996 dans la rubrique archives)…
Koma : On ne s’habillait pas comme eux, ni comme les allemands ou les espagnols. Les américains aimaient les trucs larges alors que nous, c’était les 501, jeans serrés… J’étais en Stan Smith, avec un Fly Jacket ou une doudoune Chevignon, un biper… Je tenais à mon style français.

DWT : C’est d’ailleurs avec un morceau-fiction d’IAM, «L’aimant», traitant de problématiques avec cette «identité française» que tu accrocheras réellement au rap…
Koma : Avec ce morceau, je trouvais qu’on avait passé un cap dans le rap. Ca nous ressemblait vraiment. Mais le tout premier texte que j’ai rappé, c’était un couplet d’Assassin devant des copains où là, une meuf que je connaissais et qui m’avait laissé faire tout le couplet, me dis à la fin devant tout le monde : «Hey, mais c’est pas de toi, c’est Assassin, je l’ai entendu sur radio Nova !». Je croyais qu’il n’y avait que moi qui écoutais et connaissais cette radio. (rires) Première et dernière fois ! Et de là, j’ai commencé à écrire des trucs. Mon premier thème, c’était sur l’Amérique… Je voulais déjà affirmer mon identité ! (il se souvient et se met à rapper) «Super production qui te rentre dans la tête net, comme un 9mm, peut être, même si ça te rend bête. Hypnosé par toutes leurs série télé qui racontent la même chose. Pour toi et toute la compagnie, mes héros ne sont plus les mêmes…» Et je ne sais plus quoi. J’étais déjà dans une critique de la télé parce que moi, je suis un enfant de la télévision. C’était ma baby Sitter. (rires)

On a commencé à apprendre le métier. Et on a créé le rap indépendant qu’auraient dû créer les IAM, NTM, ASSASSIN. Ils avaient ouvert des portes qu’ils avaient, quelque part, refermés derrière eux.

DWT : Tu évoquais tout à l’heure L’hopital éphémère. Tu y découvres que les MC’s sont beaucoup dans le système de l’autoproduction. C’est ce qui permettra à toute une nouvelle scène d’émerger. Tu te projettes alors dans la même démarche ?
Koma : Je me disais qu’il fallait que je sorte mon premier maxi et je me renseignais sur cette méthode d’autoproduction. Le disque «Conçu Pour Durer» de La Cliqua a ouvert le bal : premier disque de rap indépendant, après le premier maxi de Daddy Lord C et La cliqua «Les Jaloux». J’apprends que ça se fait avec un distributeur, le label Night & Day de Patrick Colléony. On l’a tous appelé et ils nous a tous distribués. On a commencé à apprendre le métier. Et on a créé le rap indépendant qu’auraient dû créer les IAM, NTM, ASSASSIN. Ils avaient ouvert des portes qu’ils avaient, quelque part, refermés derrière eux. Ils n’avait pas monté de label à ce moment là. Je rêvais d’être produit par Assassin prod mais ils ne produisaient qu’eux. Ils ne sont jamais descendus de leur perchoir pour voir ce qu’il se passait en bas, à Barbès. Squat, c’est un mec que j’aime bien, que j’ai aimé artistiquement. Aujourd’hui je suis en contact avec lui de temps en temps. Assassin c’est mythique pour moi mais à un moment donné, quand tu as lancé un mouvement et que tu es à la pointe du truc, que tu as de nouveaux gars, surtout de ton quartier, il faut s’y intéresser. Moi je reste attentif aux nouveaux groupes du 18ème qui rappent, Barbès Clan, Georgio, Hugo TSR… Toujours attentif à ce qui se fait, et deux fois plus à ce qui se passe dans mon quartier ! C’est important. Pas comme ce que les gars d’avant on fait avec nous : pas calculé, pas un freestyle, pas de mise en avant. Eux, ils étaient dans leur délire, affiliés au 93 NTM machin. Je ne parle pas du 18ème d’en haut, je parle de celui d’en bas, le Mexique. Pas la Californie des Abbesses. Le vrai mouvement qu’il y avait là-bas c’était les graffiteurs, les Fist, les Yougo après ça il n’y a pas vraiment eu d’autre truc à part Assassin dans le 18. Il n’y a rien eu autour d’eux, aucuns  jeunes, sans même chercher à savoir ceux qui s’y trouvaient. Si tu demandes maintenant le groupe mythique du 18ème, les gens te diront la Scred. Demain on te dira peut être quelqu’un d’autre mais aujourd’hui c’est La Scred parce qu’on a suivi une lignée, « La Formule Secrète » ça a donné un diapason. Une note a suivre, un état d’esprit que nous, on fait perdurer.

DWT : Fabe occupera une grande place à tes côtés de rappeur. Quelle est l’origine de ce «duo» ? (voir la carte blanche au photographe Alain Garnier)
Koma : Je suis dans le graffiti à fond la caisse. Un jour, Boxer me dit : «voilà je fais un atelier rue Léon, je vais ouvrir un petit local. On va pouvoir faire des choses là-bas». Je commence à y aller tout le temps. Je squatte avec Boxer et deux, trois gars et un mec vient nous demander : «je peux venir avec vous ? Vas y t’es qui toi ? Je m’appelle Butch, je suis dans le graff ! Ah ouais, je connais, c’est répertorié à l’ATP, c’est bon, bienvenue !» Il vient toutes les semaines et je deviens pote avec lui. Il m’apprend qu’il va déménager rue Myrha avec sa mère donc là, on commence à se fréquenter encore plus. Il me dit qu’il a un pote qui rappe aussi, Fabe, qui habite a Gentilly. Fabe passait le voir de temps en temps. Moi, je tague, je graffe et je commence aussi à rapper. Je faisais mes cassettes, des maquettes avec DJ Kead et Techniko. On commençait à se lancer. C’est Butch qui a fait la transition entre moi et Fabe. Mais j’avais déjà rencontré Fabe dans une soirée avec les SLEO et les Sages Po’ un jour de l’an. On s’était incrusté dans une soirée avec mon Dj. J’avais rappé deux, trois couplets. On ne se connaissait même pas « Salut, tu t’appelles comment ? Je m’appelle Fabe, c’est mes potes, SLEO, qui m’ont incrusté et toi ? Koma, j’habite le quartier ». C’était au Lavoir Moderne vers 1991. Les Sages Po avaient rappé «La rue, la Rue», les SLEO «Histoires d’argent» avec Fabe en guest. C’était pas encore sorti. (édité par la suite sur «Cool Sessions 1» par Jimmy Jay).

DWT : L’emménagement de Fabe dans le 18ème jouera également un rôle déterminant pour la suite…
Koma : Un jour comme d’habitude, j’étais à vendre mon shit dans ma rue Léon. Et Fabe passe : «ouais salut, tu te rappelles de moi, on s’est vu chez Butch ? J’ai eu mon appart, je vis là maintenant. Faudra que tu passe un de ces quatres». Il prenait son métro à Château Rouge ou Barbès et il redescendait comme ça. Moi j’étais avec ma petite clique au café, ma jeunesse quoi. Je faisais mon pognon, avec un peu de livraison de pizza, des trucs comme ça.

Un jour comme d’habitude, j’étais à vendre mon shit dans ma rue Léon. Et Fabe passe : «ouais salut, tu te rappelles de moi, on s’est vu chez Butch ? »

Il savait que je rappais et je savais que lui aussi. Je suis passé chez lui avec mes maquettes pour lui faire écouter et j’avais écouté les siennes. Il était beaucoup plus avancé que moi. Mais on s’est retrouvés dans le rap et de là, il m’a proposé de venir avec lui dans des radios, il m’a présenté ses copains, les SLEO. Il y avait une sorte de compétition entre eux quand même. Fabe avait sorti en premier son maxi. SLEO l’avait pris sous son aile. Unik Records cherchait à signer des indés. Texaco avait envoyé leur maquette et avait glissé aussi celle de Fabe. Finalement, Unik Records avaient pris la décision de ne plus signer les SLEO mais de proposer un contrat à Fabe. C’est ainsi qu’ils sortent son premier maxi et son premier album. Fabe était productif, il écrivait vite. Donc là, déjà, tu sens que le mec commence à vouloir prendre son envol et sortir de l’ombre des SLEO. S’étant installé dans le 18ème, il voit moins les SLEO qui étaient sur Gentilly avec la Longue Posse. On commence à se voir souvent avec Butch, donc on commence à créer notre petit truc. On a cette passion commune qui nous lie. Dans le quartier, il ne connaissait personne à la base. Je lui ai fait rencontrer des mecs comme Morad, Mehdi L’Affranchi. DJ Kead venait aussi de s’installer à Barbés avec son matos, juste dans la rue à Morad. On commence donc à créer un cercle comme ça. Morad était moins régulier. Moi, je venais du mouvement hip hop, je faisais du graffiti. Eux n’avait pas cette culture, ils n’avaient pas le même lien avec ça.

DWT : Comment vivez-vous la sortie de son premier maxi ?
Koma : J’étais content. Il n’y avait pas beaucoup de maxis sortis a l’époque. Moi, je n’étais pas prêt du tout.

DWT : Ce n’est pas un peu paradoxal d’habiter vers rue Léon, rue Myrha, square Léon et d’arriver avec « Je n’aime pas la pluie » ?
Koma : Il faut faire la différence. Il y a ce que tu es, ce que tu as pu faire, ce que tu peux faire et le message que tu as envie de délivrer. On n’est pas des anges, on a tous fait des erreurs. Il faut écouter le premier album de Fabe, «Befa surprend ses frères», pour comprendre qu’il n’était dans ce rap à formule. Son premier album n’a rien de social. Il ne parle pas de président, ni de la France. Il ne parle pas d’immigration, ni de tout ces sujets là. Tout ça arrive après qu’il nous ai fréquenté. Je sors « Tout est calculé« , j’ai un discours «le beur qu’on ne met pas sur tes tartines» etc… Fabe écoutait du rap cool, jazzy, A Tribe Called Quest, De La Soul, Common Sense. Il aimait Roy Ayers, c’était une autre école. Ma mère ne sait ni lire, ni écrire donc je me suis retrouvé à manipuler les mots dans un autre contexte… Et surtout, j’avais ce côté revendicatif et politique que j’avais pris justement chez Assassin et NTM où il fallait parler d’une réalité.

DWT : Au fil de ces relations, c’est ainsi que «Le complot des bas-fonds», collectif composé par Fabe, SLEO, Lady Laistee et toi voit le jour ?
Koma : Il faut comprendre que tout ça, c’est des amis d’amis, que Ko des SLEO sortait avec Lady Laistee donc elle faisait souvent les plateaux avec nous, il y avait à cette époque les « Histoires d’Elles » aussi et le cousin a Bozy, Sérigne, Bobo des Bo Prophète.. De la ça te ramène Patrick de L.S.O. SLEO avait cette envie de crew. Moi je n’avais rien décidé, j’ai été intégré là dedans. Il n’y avait pas de stratégie, ça s’est fait naturellement. On se voyait en studio. Fabe nous avait invité sur un morceau « Passe moi le Mic« . On s’est dit «on le signe sous quel nom ? On met le nom de tout le monde ? Non, on vient de trouver un nom, Le Complot des Bas Fonds». Et c’était parti. C’était des gens qui marchaient un peu ensemble à l’époque.

DWT : Ce «Complot» s’est vite dissous pourtant…
Koma : Oui parce que c’est important d’habiter un même quartier. Moi je suis un mec du nord. Eux, c’était Paris sud, de l’autre côté de la Seine. Je n’allais pas les voir à part de temps en temps sur Gentilly mais rien que le trajet me saoulait grave. Il faut bien différencier un ami que tu vois tous les jours, avec qui tu manges des patates ou avec qui tu vas au jour de l’an et des gars que tu vois de temps en temps. On se voyait s’il y avait un rendez-vous général et ça s’arrêtait à ça. Tous les crews casting comme La Brigade, La Cliqua, avec un mec de là et puis un autre de là-bas, ça ne dure pas. Et il y a aussi le fait que SLEO arrive sur son deuxième album en commençant à mettre des tenues militaires. Donc il y a toute cette influence Boot Camp Clik, Smith & Wesson. Et moi, à un moment donné, je ne peux pas marcher dans la rue avec des mecs qui ont un treillis militaire et un chapeau que tu mets dans le désert. Surtout que je suis toujours resté dans mes vrais trucs, des trucs de grands frères, Nastase, Stan Smith et tout.

DWT : Il est vrai que les thématiques que vous alliez aborder avec Fabe étaient un peu moins légères…
Koma : Avant, c’était : « les renois faites du rap et les rebeus, c’était la funk ». Il y a eu longtemps cette vision. Si tu faisais du rap, c’est que tu te prenais pour un renoi. T’étais un Zoulou. J’aimais cette culture, ce mélange des deux mais je voulais rester un gars de quartier. Bien que c’est Ko des SLEO qui m’a appris à tenir un micro sur scène, à un moment, j’ai demandé à Fabe de dire à ses copains d’arrêter. Lui aussi était d’accord, il était sobre dans son style. On grandissait, on ne voulait pas être des caricatures. On disait des choses dans nos rap et les mecs qui marchaient avec nous faisaient le contraire ou les pantins dans leurs flows avec le peu de contenu qu’il y avait dans leur rap. Ca faisait beaucoup. J’étais déjà dans « Tout est calculé », « Une époque de fou », « La vie de quartier ». Fabe commençait à se retrouver là-dedans. Il fait l’album « Le fond la forme » et là, on rentre dans des sujets sérieux. Il parle de la France, de ses origines, de ses influences. On rentre dans le Fabe social et politisé. Le quartier, l’observation… Il commence à avoir une conscience politique avec des phases du genre : « Je ne suis pas le noir que tu mettras dans ta pub Banania ». On sentait qu’on devenait revendicatif.

On grandissait, on ne voulait pas être des caricatures. On disait des choses dans nos rap et les mecs qui marchaient avec nous faisaient le contraire.

DWT : Sans le savoir, la fin du Complot des Bas-fonds allait ouvrir la voie, cette fois, à un collectif bien plus consistant et emblématique…
Koma : Avec la Scred, qu’on le veuille ou non, on est amené à vivre ensemble. Contrairement à beaucoup de groupe, on est tous du même quartier. Haroun, Mokless, Morad, on a tous été dans le même collège, Georges Clemenceau, à Barbès. Je connais leur grands frères, leurs soeurs comme celle d’Haroun avec qui j’ai passé le BAFA. On est des familles qui se connaissent. Je me souviens en 1992, de Mokless et Driss qui avait fait une sorte de spectacle de fin d’année au collège avec un t-shirt DMBG (Driss Mokless Beaux Gosses) fait par Boxer à l’aérographe (rires). Tout ça, c’est le quartier. Au tout début, Scred vient de mon signal dans le tag pour ne pas se faire repérer : «scredi, scredi». Je l’avais raccourci par «scred» et rajouté «production» pour ne pas envoyer aux radios mon maxi avec juste écrit Koma dessus. Stofkry avait mis aussi un peu de thune. C’était à l’époque où je voyais «Arsenal Production présente». En 1998, Cut Killer nous propose de participer à sa compilation « Opération Freestyle » dont le but était que des rappeurs confirmés ramènent des rappeurs qui le sont moins et issus de leur coin. Morad était bancal, pas toujours motivé, il avait encore un pied dans la rue alors on a présenté Mokless et Haroun à qui j’avais déjà pris une prod. Il avait préparé un 16 mesures qui déchirait. Je reprends alors «Scred» du nom de notre prod et «connexion» parce que nous étions quatre rappeurs solo à se connecter sur un même morceau. On achète un fax, qu’on met chez Fabe au cas où ça téléphone pour des mixtapes, on ne sait jamais. De là, on commence à nous appeler pour nous booker sur des dates. La Scred Connexion était lancée. Au début, c’est un surtout un groupe de la Goutte d’Or. On est devenu un groupe du 18ème, puis de Paris. Maintenant, la Scred est un vrai groupe français même européen. Il y a les Suisses et les belges qui sont avec nous. Les maghrébins, Maroc, Algérie, Tunisie sont aussi avec nous. Les Doms, Pointe À Pitre, La Réunion et aussi les pays africains. On a été à Dakar, Sénégal, Abidjan, Cote d’Ivoire. On est devenus international. La Scred, c’est un message, il y a des gens qui se reconnaissent de partout. Ce n’est pas une histoire de communauté. Les gens se retrouvent autour de certaines valeurs et notre amour du hip hop. On nous a souvent comparés à La Rumeur, par exemple, qui n’est que politique alors que nous, c’est social et quartier. On est moins politique parce qu’on est plus métaphorique qu’eux, plus poétique, plus sur la formule. Mais à la fois, on a ce côté politique alors qu’eux n’ont que ça. Il y a une différence. Donc lorsqu’on faisait des concerts dans des quartiers, on sentait que ça étonnait les gens.

DWT : Vos textes sont tous empreints d’une certaine réalité, parfois très dure et certainement liée à votre environnement, mais toujours avec une sorte de retenue dans l’écriture…
Koma : Notre slogan « Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction » est là pour tirer les gars vers le haut et ne pas envoyer les petits dans le mur. J’en ai fait plus de la moitié que ceux qui se disent « gangster ». Je ne veux pas en parler dans mes textes, ce n’est pas ça le but du jeu. Ceux qui n’ont pas connu ce que c’est qu’un frère qui meurt d’une overdose avec un garrot autour du bras, l’ambiance des crises d’épilepsie dans les chiottes à quatre heures du matin avec les pompiers ou un père et un frère qui se bagarrent et les voisins qui appellent les keufs peuvent fabuler en disant  « Je vends de la coke, de la 0.9, c’est chanmé ! ». Mais si tu as vraiment connu ces choses là, tu ne peux pas en faire l’apologie.
Il faut du recul. On est dans une forme de poésie. Le rap, c’est une forme d’épreuve de rattrapage. Le but n’est pas de transmettre le venin au autres. Il faut plutôt arrêter l’hémorragie. Koma, c’est tout ce qu’il y a de bien en moi. Ahmed, c’est autre chose. C’est une schizophrénie contrôlée. Tu passes d’un wagon à l’autre. Tu ne parles pas de la même manière à ta femme qu’à tes copains… La vérité n’est pas là pour faire des heureux. Elle est juste là pour être vraie. Elle n’est pas partisane. A chacun son expérience.

La vérité n’est pas là pour faire des heureux. Elle est juste là pour être vraie. Elle n’est pas partisane. A chacun son expérience.

DWT : Malgré cette avancée en groupe, tu entreprends une démarche en solo. Arrive donc ta signature chez BMG, en 1998, sur impulsion de Fabe…
Koma : Non, non. La réalité des choses c’est que sur le tournage du clip de Fabe « Des Durs, Des Boss, Des Donbis », j’ai un bon feeling avec la maquilleuse, qui était également la meuf du réalisateur, Bandit. Elle m’indique qu’elle fait aussi du management d’artiste et me présente à une de ses relations, une fille qui travaillait à BMG. Cette personne est venue me voir en concert et de là, elle m’avait signé en édition. Puis on a sorti l’album «Le Réveil». C’était l’époque où elle a signé à la chaîne Saïan Supa Crew, Diams, moi et une tripotée d’artistes qui ont fait des concerts pendant un an.

DWT : Tu signes pour combien d’album ?
Koma : Deux.

DWT : Et ça s’arrête au bout de un…
Koma : Non. J’ai pris deux avances. La deuxième, je l’ai transféré sur « Du mal à se confier ». Je leur ai pris leur argent mais ils n’étaient pas éditeur de Scred Connexion. Je leur ai fait un petit passement de jambes.

DWT : Ta collaboration avec Fabe finit par s’arrêter nette…
Koma : Fabe s’est barré en prenant un avion pour le Canada et il les a tous laissés dans la merde sans signer les contrats : Cut Killer, BMG, etc. Ils n’ont jamais pu déposer ses derniers morceaux. Il les a appelé de l’avion : « Allo, BMG, je suis dans l’avion, je me casse au Canada« . Il a tout plié. Eux : « Mais qu’est ce qu’on fait des contrats ?« . Il a laissé tout le monde en rade, c’est un choix. Il voulait peut être les mettre dans la merde. Une sorte de vengeance.

Fabe s’est barré en prenant un avion pour le Canada et il les a tous laissés dans la merde sans signer les contrats : Cut Killer, BMG, etc. Ils n’ont jamais pu déposer ses derniers morceaux.

DWT : Tu savais qu’il avait pour projet de quitter le France ?
Koma : Il m’avait prévenu. J’ai récupéré mes parts, tous les disques et je suis devenu producteur indépendant. Je lui ai dit qu’on allait monter Scred Production et qu’on allait sortir «Scred Sélection». Il m’a dit ok pas de problème. Je suis allé chez lui et on a tout partagé en deux. Et avec ma part, j’ai tout relancé. Les autres trucs, ce n’est pas mes éditions, j’en ai rien a foutre. Aujourd’hui, quand Cut Killer dit nanani nanana, ce n’est pas mon problème. C’était lui son producteur.

DWT : Vous vous êtes retrouvés au cœur de lutte militante à plusieurs reprises, notamment aux côtés du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues). Le rap se doit de répondre présent sur ce terrain ?
Koma : J’ai toujours soutenu. Nous sommes engagés, ils sont militants. On est là pour dire des choses, pour les exposer en public. C’est complémentaire avec leur présence sur le terrain. Nous avons fait des concerts à la demande de famille, comme à Bourges à la suite d’un crime policier. On a fait un concert dans un hôpital pour des petits, un autre au Petit Bard, dans un quartier dévasté de Montpellier. Ce sont des moments qui te marquent. On a envie de toucher ce public et on fait des morceaux pour eux comme «Justice pour tous». Ce genre d’initiative est maintenant difficile à monter de nos jours.

DWT : Quel regard portes-tu sur la mutation boboïsante du 18ème ?
Koma : C’est de la stratégie. Il y a quelques années, dans un bar, l’Olympic, était affiché une interview du gérant, propriétaire également du Lavoir Moderne. Tout le monde passait devant sans la lire. Moi je l’ai lu. Il y expliquait qu’il fallait racheter les commerces du quartier pour « reblanchir » le quartier. Il estimait qu’on avait colonisé le quartier et sont dans cette logique que les secteurs de Belleville, Ménilmontant, Barbès, rue Léon, rue de la Goute D’Or sont trop colorés…  L’esprit est mauvais à la base. Le jour où j’en ai parlé, ils ont retiré cette affiche. Leur stratégie est de mettre un mec du quartier comme videur ou au bar pour ne pas se faire agresser. Derrière, ils font des teufs, des concerts et ils ramènent une population bobo qui avait peur de venir. Une fois qu’ils ont plusieurs lieux, ils te créent un tissu associatif et tout fini par leur appartenir. Ils te la font à la bonne conscience, bon enfant mais la réalité des choses, c’est du nettoyage. Ça vient de la mairie et de ses instances. C’est une réalité.

DWT : En 2005, à Cannes, tu as vécu avec Mokless un moment que vous avez qualifié d’inoubliable. Parle-nous de ce jour où vous avez interprété «La Bohème» devant le grand Aznavour sur le plateau du « Grand Journal » de Canal…
Koma : C’est un copain à moi, Karim, qui avait fait le film «Old School», il y a dix ans, à l’arrache et en indépendant. Il était parti sur un deuxième film «Ennemis publics». Aznavour est venu gratuitement sur son film pendant 6 jours. De là, on s’est rencontré, j’allais souvent sur le plateau, voir mes potes et tout. Karim me dit de l’accompagner à Cannes pour présenter son film, on descend à l’arrache et à l’arrache, il fait tomber le plan du «Grand journal» avec Aznavour… Puis on se retrouve à faire un concert avec TPS sans attaché de presse, sans maisons de disques, sans rien. C’est une aventure. Un jour tu dors sur la plage, un jour tu dors au Negresco…

On n’est pas des gratteurs. Nous, on construit une histoire. Et une histoire, elle se construit dans le feu.

DWT : Toujours ce côté «à l’arrache» bien que vous soyez entiers dans votre démarche. Pourquoi selon toi ?
Koma : Parce qu’on aime ça. Si je voulais, j’irai me caler chez une meuf qui me produirai, qui me dirai qu’elle kiffe ce qu’on fait, et machin truc; On n’est pas comme ça nous. On n’est pas des gratteurs. Nous, on construit une histoire. Et une histoire, elle se construit dans le feu. Par exemple, pour mon deuxième album, je suis parti voir des distributeurs. Il y en a un qui m’a demandé ce que je faisais, je lui ai dit : des classiques, des morceaux suicidaires ! Je ne fais pas des singles ou des tubes. C’est là qu’il me dit «c’est ce que je voulais entendre !». Aujourd’hui, il y en a qui ont compris. Et il y en a d’autres qui ne veulent pas ça et qui te diront «nan, excuse-moi, mets toi sur le técô, il est où le tube ?». Il y a plusieurs manière de travailler.
On doit être un groupe qui vend le plus de disques en indépendant, un des groupes qui fait le plus de concerts en indépendant. On a un vrai public qui nous suit. On a créé une connivence avec lui. J’ai pas besoin de considération des Olivier Cachin qui ne nous cite pas, qui écrit des livres et qui ne parle pas de la Scred ou de la considération de média comme Fred Musa ou de machin qui ne nous cite pas…

DWT : …en 2013, il serait quand même temps !
Koma : J’en ai rien à foutre, c’est eux qui n’existent pas. On parlait d’Aznavour ? Il y a des mecs qui disaient qu’il était trop petit pour un chanteur… Je ne suis ni sur une recherche de la gloire ou de l’argent. Je suis dans une démarche d’auteur. Moi j’ai jeté mes bouteilles à la mer et elles sont arrivés là où elles devaient arrivé.

DWT : Parle-nous de cette nouvelle bouteille que tu t’apprêtes à jeter, ce nouvel album…
Koma : Dans mon premier album, «Le Réveil», j’étais beaucoup sur la société, sur l’extérieur. Maintenant, j’ai envie de rentrer à l’intérieur, d’axer sur l’humain. On a grandi, on paie des factures, il y en a qui ont maintenant des enfants. Il y a eu des hauts et des bas. On a des attentes et une certaine une vision du monde. Ca parlera de ça.

DWT : En tant que producteur, crois-tu encore à des supports comme le vinyl ou le CD ?
Koma : Il y aura tout le temps du vinyl. Les CD aussi mais avec du packaging. Ce qui avait niqué le marché du vinyl français à une période, c’est que les mecs ne faisaient plus d’effort : ils pressaient, prenaient une pochette noire et mettaient un autocollant dessus. Par économie, les mecs ne faisaient plus de belles pochettes. Et de là, les DJ’s n’ont plus suivi. Une pochette noire… Quand t’en as dix, ça t’a saoulé.

DWT : L’autoproduction reste encore votre choix aujourd’hui…
Koma : Il y a assez d’un public de 300 ou 400 000 personnes qui aime le rap conscient pour faire notre chemin…

La musique correspond à des choses fortes qui restent et qui marquent des moments de ta vie.

DWT : Rencontrer son public est d’ailleurs un élément clé pour la Scred…
Koma : On a un grand public.  Il y a toute une génération, celles des grands frères ou des mecs du quartier, qui a transmis à la génération suivante.  C’est comme ça, il y a des groupes qui se transmettent et d’autres non. Et nous, nous faisons partie des groupes qui se transmettent. Il y a ce truc aujourd’hui qui fait que quand on fait un concert, il y a tous les anciens au fond et les jeunes devant de 20/25 ans qui connaissent le truc par coeur. En plus, maintenant avec les Keny Arkana, les Diam’s, tu as le public féminin qu’il n’y avait pas il y a 10/12 ans. Ces concerts permettent de faire des rencontres, avec de vrais histoires, des instants forts. La musique correspond à des choses fortes qui restent et qui marquent des moments de ta vie.

DWT : Quel est le concert qui t’as le plus marqué dans ton parcours ?
Koma : Celui où la première fois de ma vie je suis monté sur scène : le concert «t’as pas cent balles» à l’Elysée Montmartre vers le début des années 1990. Après, il y a des concerts que j’ai aimé et qui ont eu lieu un peu partout comme à Dakar où mon micro s’était cassé pendant «Loin des rêves» : j’avais continué a capella et tout le public avait repris le morceau ! C’était dans une fête l’après-midi. On pensait que les mecs ne nous connaissaient pas mais ce morceau était en fait l’hymne de leur quartier !

Mr Freeze RSC, ultime b-boy « made in France »

Interviews
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Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles…

Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Si l’on veut établir l’histoire d’une culture, autant commencer par son début. Le parcours de Mr Freeze – Rock Steady Crew – est si légendaire qu’il faudrait presque l’introduire par un : « Il était une fois… ». Lorsque nous l’avons contacté, le souvenir des prémisses de l’admiration qu’on lui porte a ressurgi. C’était bien après ses débuts, à l’aube des années 1990, au festival du Grand Zebrock dans une salle du 93, au Blanc Mesnil. Ce soir-là, après l’avoir vu se figer net après un «thomas» de toute beauté, on s’est dit : « Ce mec est un véritable tueur ! » Mais vingt ans plus tard, on était quand même bien loin de se rendre compte de l’ampleur du personnage et de la profondeur historique… Trois minutes à peine après lui avoir laissé un message, il nous rappelle en visio-phone : « Dis-moi, qu’est que je peux faire pour toi mon ami ? ». On lui réponds qu’à Down With This, on trouve incroyable que personne ne parle de lui en France et qu’on aurait un grand plaisir à s’en charger. Il nous propose directement « Ok, j’emmène ma petite à l’école alors après ça vous va ? »… C’est simple, facile d’accès, disponible, avec une mentalité décomplexée à l’américaine… Les principes de Down With This sont respectés : travail en direct, pas de contacts interposés et pas d’interviews strictement dictées par la promo… Alors attention, échange naturelle et spontanée, pur moment historique, parfaitement bilingue, un pan de l’histoire du hip hop mondiale se raconte et… en français, s’il vous plaît !

Down With This : Comment te retrouves-tu dans le Bronx alors que tu as grandi jusqu’à l’âge de huit ans à Paris, à côté de la place de la Bastille ?
Mr Freeze : Je suis né le 7 septembre 1963 à New York, à Manhattan, à l’hôpital Leroy. En 1964, ma famille et moi sommes retournés à Paris. C’est ma mère qui voulait y aller. J’ai été élevé au 17, boulevard Beaumarchais, place de la Bastille. J’allais à l’école à Place des Vosges. En 1970, mon père a dit à ma mère : « Si on allait en Amérique, toute ma famille est là-bas. On se fait de l’argent et après on retourne en France ». Voilà pour la petite histoire. Ils n’ont jamais fait d’argent et ne sont retournés en France que pour des vacances…

Mr Freeze avec son oncle Armand (devant le 17, boulevard Beaumarchais, Paris – 1968) et à droite,
la « cover » de son bulletin scolaire (1972) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Tes parents sont donc français…
Mr Freeze : Ma mère est parisienne, d’origine juive polonaise. Nous ne sommes pas religieux, d’aucune façon. Elle était venue de Pologne avec sa famille. Elle a été cachée pendant la guerre par une famille catholique de Lyon. La famille de mon père est de Pologne aussi, mais il est né en Allemagne. Il en est parti pour se retrouver à Paris où il s’est fait arrêter sans ses papiers par la police française, qui était avec les allemands à l’époque. Comment il s’en est échappé et comment il a connu ma mère ? C’est une drôle d’histoire aussi… Il a connu une dame qui l’a sauvé. Elle s’est échappée avec lui. Ils se sont mariés, ils ont eu un petit garçon qui est mort à trois ans d’un cancer. Ils ont divorcé, il est revenu à Paris et a connu ma mère. Mon père croyait ne jamais revoir sa famille qu’il croyait disparu pendant la guerre. Quand il a su qu’ils étaient en Amérique, il s’est dit « Voilà une chance pour les revoir » et il a fait un rapprochement familial.

DWT : Tu es donc né aux Etats-Unis, tu n’as pas la nationalité française ?
Mr Freeze : Si, j’ai la nationalité française, j’ai les papiers, j’ai le passeport français. J’ai tout !

DWT : Tu votes pour la France alors ?
Mr Freeze : Je ne vote même pas pour l’Amérique alors (rires). Je n’y connais rien. Je me dis que juste moi ça ne va rien changer. Mais bien sûr que ça changerait si tout le monde votait.

DWT : Plus sérieusement, par quelle image découvres-tu le hip hop ?
Mr Freeze : Comme tous ceux qui connaissent la culture du hip hop, je sais que le graff est certainement la première chose qui a commencé. Bien sûr, j’étais trop jeune pour comprendre ce que ça représentait pour moi. Les gens jouaient de la musique dans leurs appartements avec un haut parleur et un fil pour qu’ils aient de l’électricité et de la lumière dans la rue. Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles… Je dansais tous les week-ends et même pendant la semaine des fois.

A gauche : Mr Freeze et sa tante Suzanne à Châtelet – Les Halles, Fontaine des Innocents (Paris, 1978)
A droite : Mr Freeze au Rex (Paris, 1981 ou 1982) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Quand tu dis « là-bas » : c’était où ?
Mr Freeze : Dans le Bronx, 163 Street Madison Avenue à côté du stade de baseball le « Yankee Stadium ». J’étais vraiment bien dans le centre. Tout le monde dansait dans des Battles, ils faisaient le robot ou du lockin. Ce que je voyais le plus, c’était du Uprocking. Ils faisaient des mouvements contre d’autres personnes. Ils se prenaient le visage, ils se lançaient en l’air, ils mimaient des gestes de coups de feu. C’est ça les premières choses que j’ai vues. Un jour, dans ces battles, il s’est passé quelque chose de fort. Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! C’était un Freeze exécuté avec tant de vitesse, avec tant de souplesse et dans un style si formidable qu’on s’est tous dit autour « Wow, ça c’est vraiment quelque chose ! » Après quelqu’un a fait un autre Freeze, puis un autre : des petits pas. C’est de cette façon que s’est développé le break : dans le Bronx. La musique nous a fait sentir quelque chose. On l’a tellement ressenti avec les rythmes que ça nous a rendus fous. Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! ». Ça nous a fait casser la baraque !

Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! (…) Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! »

DWT : Le Bronx représente le ghetto urbain par excellence, ça devait être quelque chose dans les années 70 ce bol d’air…
Mr Freeze : Entre ce qu’on entend et la réalité, c’est deux choses complètement différentes. Oui, c’étaient des quartiers durs si tu faisais des problèmes mais sinon personne ne t’embêtait. Comme dans les quartiers en France.

DWT : Tu as huit ans en 1970, tu es peut-être le premier français à rencontrer le hip hop. En France, personne ne pouvait encore imaginer cette énergie…
Mr Freeze : Personne ne connaissait sur la planète ! Bien sûr les brésiliens vont dire qu’avec la capoeira, ils en faisaient déjà. Mais c’est aussi bête que si nous disions qu’ils nous avaient copiés en premier… On ne connaissait rien, on était uniquement cloisonné dans notre environnement, le Bronx…

DWT : Comment en arrives-tu à apprendre les techniques de base ?
Mr Freeze : Je l’ai fait pendant des mois, peut-être un an, mais ce n’était rien de sérieux ; on s’amusait. Des années après, on a déménagé dans un autre quartier du Bronx qui s’appelle National Park. Le quartier où j’habitais au début n’était que noir et portoricain. Celui-là était juif, irlandais et italien : tous blancs. En 1974, j’étais en train de faire du break ou de danser devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir. Je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». Je faisais des petites choses par terre. Sur la gauche, il y avait six ou sept gars qui portaient des chemises avec un nom de crew dessus « Eastside Boys ». Un des gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah !« . Parce que comme il m’avait vu danser, c’est que ça devait s’appeler du « break » ! « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’entendais tous mes copains dire : « Vas y Marc, vas y !« . J’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique. J’ai juste fais des petites choses pour progressivement en faire des plus dures. Leur crew avait envoyé quelqu’un qui n’était pas tellement bon mais qui avait fait les six pas de base du break dance. Après, j’ai fait quelques trucs, un autre est venu, puis j’y suis retourné. Un autre a fait les 6 step, des CC’S, il a fait des Swipes, un Neck Move, un Head Spin into the Freeze…
Comme vous en France, la première fois que vous avez vu la culture hip hop au Bataclan en 1982, on était complètement pris ! Ça m’a attrapé d’une façon… comme si dieu m’avait dit : « Voilà ton destin !». J’avais demandé à mon adversaire : « Mais où as-tu appris ça ? ». Le jeune homme m’a répondu : « Lil Lep m’a appris ! ». Je me disais : « Mais qui est Lil Lep ? Comment il a appris ça ? Est ce que je peux faire sa connaissance ? Je suis jeune !« . Lil Lep (Ray Ramos) était avec le crew des New York City Breakers. Dans ces années là, c’était un gars horrible, les gens avaient peur de lui. Les mecs que j’affrontais m’ont emmené dans leur quartier pour que je le rencontre mais je l’ai cherché pendant des mois sans le trouver… Finalement, j’ai fait sa connaissance. Il était plus âgé que moi, il avait une drôle de voix et une façon assez spéciale de parler. On s’est entendu tout de suite et c’est lui qui m’a appris les basiques fondamentaux du break. Je trouve que c’est là, dans les années 70 que tout a commencé. En 1974-1975, Lil Lep connaissait déjà des mouvements évolués. Je lui ai demandé comment il avait lui aussi appris ces mouvements. Il m’a dit qu’un homme du nom de Kool Sky les lui avait enseignés.

En 1974, devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir, je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». (…) Un gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah ! ».  « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique…

DWT : C’était maintenant à ton tour de poser les bases de cette danse…
Mr Freeze : Pendant des années, je danse sans arrêt, on commence à me voir dans tout le Bronx et je me spécialise en Freezes. J’aime bien les faire. Les gens disaient : « Ouais, c’est le mec qui fait des Freezes ! » Un jour un mec à dit : « Mais c’est Mister Freeze !» et le nom est resté.

DWT : On ne te confondait pas avec Frosty Freeze (RIP) ?
Mr Freeze : À cette époque Frosty Freeze (Wayne Frost) n’existait même pas avec nous. Je ne dis pas qu’il n’en faisait pas, mais lui c’est venu après, avec Crazy Legs (Richard Colón). Il faut comprendre que cette culture a commencé dans le Bronx, puis le break est arrivé à Manhattan, mais bien après. Je ne dis pas que Frosty Freeze ne breakait pas mais nous, on ne connaissait que ceux du Bronx. Maintenant, il y a des gens de Brooklyn qui disent que ça existait chez eux en premier… On a tous le droit de parler, OK, mais il y a la réalité et ses documents…

Mr Freeze et le Rock Steady Crew – Fresque par T.Kid (New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Comment arriviez-vous à vous entrainez ?
Mr Freeze : Je ne m’entraînais jamais. Tous les mouvements que je faisais avec mes amis, comme Jojo, étaient inventés dans le cercle. C’est une danse qui n’était pas encore développée. Les mouvements venaient de notre rage et de notre façon de sentir la musique. On breakait dans la rue. Par exemple, si je savais qu’il y avait une Jam avec Little Rob, Flash ou n’importe quel DJ, j’y allais. Pendant les années 1970, chaque quartier du Bronx a commencé à avoir son crew et ses B-Boys. TBB avait ses B-Boys, Rock Steady Crew avait ses B-Boys, Incredible Crew pareil. Il y avait des centaines de crews, dont certains plus connus que d’autres, bien sûr.
Comme si dieu l’avait fait exprès, tous les inventeurs de la danse, du graffiti, des Dj’s et des Mc étaient dans ces quartiers. Comme si Dieu les avait placés en disant : « Bambaataa est là, Kool Herc est ici, Crazy Legs là, Rock Steady commence là…« . Tous les acteurs et activités étaient à proximité.

DWT : Tu intègres le Rock Steady et c’est notamment gràce à des b-boys comme toi, Crazy Legs (Richard Colón) ou Ken Swift (Kenneth Gabbert) que la notoriété du crew se fonde bien que vous en soyez la deuxième génération…
Mr Freeze : J’étais un des premiers B-Boys bien sûr, je suis de la génération qui a construit la notoriété du nom Rock Steady Crew et qui a participé à ce qu’il est devenu aujourd’hui. La deuxième génération donc. Rock Steady était connu grâce à nous. La notoriété ne va pas forcément aux initiateurs des crews. Les gens s’intéressent davantage au nom du crew. C’est dommage, car il faut comprendre que ce n’est pas le nom qui fait le crew mais les gens et tout le travail qu’ils ont fait.

DWT : Comment es-tu amené à intégrer la tournée New York City Rap ?
Mr Freeze : On avait un manager qui s’appelait Kool Lady Blue. Elle aimait plein de choses différentes. Quand elle était manager d’Afrika Bambaataa, elle a connu Crazy Legs alors qu’il faisait un spectacle dans une boite. Blue a bien aimé ce qu’elle a vu. Elle a dit : « Voilà, j’aimerais bien faire des choses avec vous, je crois que je peux vous faire profiter de mon travail ». Crazy Legs a dit oui. On a commencé à tourner comme ça et à rencontrer des gens comme Malcolm McLaren avec son Buffalo Galls et à aller au Roxy. Avant ça, c’est elle qui a commencé à ouvrir la boîte de nuit qui s’appelait le Negril et non Mickael Oldmen, comme il le dit. Puis le Roxy, c’était notre vie tous les vendredis ! Toutes les semaines, on ne pensait qu’à ça. Il y avait le journaliste Bernard Zekri qui travaillait pour une compagnie qui s’appelait Celluloïd Records, une maison de disques qui voulait faire des productions différentes, moins commerciales. Ils ont connu Blue et un autre français Jean Georgakarakos. Ils ont tous dit : « Pourquoi pas faire une tournée ? » Ils en ont parlé en France à Alain Maneval d’Europe 1 et C.C. qui est devenue la femme de Futura 2000 et qui vit à Brooklyn maintenant. Ils ont commencé par faire une interview de Futura pour la radio. J’étais là pour faire le traducteur. Un jour, on était dans un bus, tout d’un coup C.C. a laissé son travail pour partir avec lui. C’est incroyable ça, elle était folle amoureuse (rires).

DWT : Il y a des artistes qui t’ont impressionné dans toutes ces époques ?
Mr Freeze : Non. J’étais un gamin. Futura 2000 par exemple, je ne le connaissais même pas. Je ne connaissais que le Bronx. Tout était là-bas et tout a commencé là-bas. On ne pensait jamais aux autres. Pour moi dans les années 1970, c’est Dj Charlie Rock et les Seven Dublin Sense. Un mec comme Lil Lep était connu bien avant New York City Rap. C’est un dur de dur. Il a fait partie des New York City Breakers juste comme ça, parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Alors ils l’ont pris mais, il n’était déjà plus aussi bon.

On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Quels souvenirs évoquent pour toi l’époque du Roxy ?
Mr Freeze : Il faut comprendre que le Roxy en 1981 et 1982 c’était une boite dans laquelle les gens d’Europe et de la planète allaient pour voir cette chose qu’on appelait le «hip hop», bien que personne ne le connaissait à Manhattan. On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Te souviens-tu d’avoir croisé des mecs comme Keith Haring dans ces soirées ?
Mr Freeze : Non (rires). Je ne le connaissais pas. C’est des années où il ne faisait rien ou en tout cas rien de ce qui l’a rendu célèbre par la suite. C’est dommage que je ne l’ai pas connu. Il était incroyable.

DWT : Sur une de tes photos, on le voit pourtant au premier rang assister à une de vos représentations sur scène (voir photo ci-dessous)…
Mr Freeze : J’ai vu ça des années après en me disant « Mais c’est Keith Haring qui est là en train de regarder ce qu’on faisait !». C’est incroyable (rires). On était très content de ce qu’on faisait. On s’amusait. Bien sûr, il y a d’autres gens qui en ont tiré des avantages de tout ça, bon, c’était ce que c’était…

Mr Freeze (et Keith Haring au premier rang, New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Il nous semble que tu as touché à d’autres disciplines…
Mr Freeze : Je n’ai jamais touché les platines. Mais commercialement, j’ai fait un album de rap qui est sorti chez Profile Record, en 1991. J’étais avec Run DMC, Poor Righteous Teachers, Special Ed. Mais c’était plus pour faire de l’argent et de la publicité. J’étais tellement en colère sur la merde de l’époque, que je voulais leur montrer (rires). J’ai donc eu un deal avec la maison de disque mais ça n’a rien donné. J’ai fait un rap avec la chanson « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ? ». C’est avec ça que je me suis fait remarquer (rires).

DWT : Les battles sont les moments de la danse qui semblent t’avoir le plus marqué durant toutes ces années…
Mr Freeze : Les années 1980, c’est dur à expliquer. C’était des choses qu’il fallait vivre. C’est comme si on pouvait voir Bruce Lee combattre maintenant dans un Ultimate Fighting. Il y avait une énergie qu’on sentait. Quand il y avait GrandMaster Flash qui faisait une Jam et tout d’un coup Grand Wizzard Théodore, l’inventeur du scratch, arrivait par surprise pour l’attaquer et faire un Battle devant tout le monde. Il fallait voir ça. Les choses aujourd’hui ont changé mais il y a toujours une énergie. Avant c’était comme ça toutes les semaines. C’était incroyable. Bambaataa venait lui aussi avec les Shaka Zulus pour faire des Battles. Bon, c’était différent.

On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ».

DWT : À partir du milieu des années 1980, il y a eu une véritable cassure avec un changement radical des mentalités notamment dans le rap. Tu l’as aussi ressenti dans le break ?
Mr Freeze : Oui je l’ai senti : c’est devenu de plus en plus de la vraie merde ! C’est comme si, au lieu d’évoluer, tu régresses, tu descends. Tout est devenu individuel. Les rappeurs voulaient faire de l’argent avec le rap. La partie souterraine de la culture c’était le break : on est par terre, sur le sol. Les gens s’en foutaient, ça n’existait plus. On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ». C’était devenu tellement perdu que je me suis complètement éloigné de la culture. Je n’y suis revenu que depuis quelques années parce que je trouve que maintenant les gens sont à nouveau très intéressés par la culture. Il existe même des écoles de hip hop… mais ça ne s’enseigne pas le hip hop ! C’est une culture !

DWT : Comment juges-tu le niveau du hip hop en France ?
Mr Freeze : J’ai été dans des jurys. J’ai vu des B-Boys forts, des graffeurs incroyables, j’ai vu sur You Tube des freestyles de MC’s incroyables. Dj Dee Nasty est wow ! Le niveau en France est vraiment très haut. Je ne suis pas intéressé par les chansons qui passent à la radio. Je m’intéresse aux freestylers et quand j’ai entendu en France comment un MC démontait un autre MC, j’ai trouvé ça encore plus fort que ce qu’ils font en Amérique. La langue est plus avancée, le vocabulaire est beaucoup plus riche. Je ne sais pas, mais en France ça s’est développé d’une façon incroyable. Il y a quelqu’un qui a fait beaucoup pour la culture du break en France avec une grosse réputation, c’est Benjamin de Division Alpha. Benji, il a changé le jeu pour les B-Boys, il y a peu de choses qu’il a faites que je n’ai pas aimées. Presque tout ce que les B-Boys font aujourd’hui, vient de ses mouvements. Il faut aussi que je te fasse voir une vieille photo de moi avec Aktuel Force (incluant Gabin et Karima) que j’adore (voir photo ci-dessous). La France est très forte en graff, très forte en rap, je parle du freestyle pas des trucs à la radio. Les français ont de très bons Dj’s. Alors, c’est grâce à des pays comme la France qui ont gardé la culture du hip hop à un niveau souterrain qu’on a pu conserver l’esprit. On apprend le judo de cette façon, on observe le grand maître pour que rien ne change. La seule chose qui change, c’est la force et la souplesse. Pour garder pure un art, il faut agir de cette façon. Tu sais pendant des années le niveau du break était moins bon en France, et je ne dis pas ça pour le crew Aktuel Force, dans lequel sont tous mes copains. La raison est qu’ils nous ont vus danser en Amérique à une époque où tout était déjà fini, la vague était déjà passée. Si on dansait, c’était juste parce qu’on n’avait rien d’autre à faire et qu’on ne voulait pas arrêter. Le break dans les années 70 était beaucoup plus fort que ce qu’on faisait dans les années 80. Malheureusement la France n’a pas pu voir ça sinon ils auraient commencé avec un niveau nettement supérieur. Ils nous ont juste vus à une moins bonne époque et ils ont pris des trucs pas terribles. Maintenant, ils ont un niveau très élevé.

Mr Freeze et le crew Aktuel Force (1998) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Peux-tu éclaircir cette histoire du Moonwalk que tu réalises deux ans avant Michael Jackson ?
Mr Freeze : Tu sais le Backslide, le truc en arrière que j’ai fait dans Flashdance et qu’on croit que Michael Jackson a inventé, la première fois que je l’ai vu, c’est un ami qui s’appelle Locka Tron John de Brooklyn qui l’a fait avec un parapluie. Bien sûr, ce n’est pas moi qu’il l’ait inventé. Quand j’avais vu ça, j’avais dit : « C’est super ça ! Est-ce que je peux le faire ! » ? Pendant ces années, soit tu volais les mouvements, soit tu demandais à celui qui les avait inventés. Il m’avait dit « bien sûr« . Des années après, il m’a dit : « Tu sais Freeze, je t’ai laissé utiliser le truc avec le parapluie, mais je ne savais pas que tu allais le faire dans un film ou tout le monde, sur la planète, allait croire que c’était toi qui l’avait inventé ! ». Alors, je dis à tout le monde que c’est Locka Tron John qui ma donné le mouvement avec le parapluie, comme ça on lui donne du respect.
Un jour, alors que j’étais à Hollywood Hill dans la maison de Jeffrey Daniels du groupe Shalamar, on regardait l’émission de la Motown. On savait que Michael Jackson allait passer mais on ne savait pas ce qu’il allait faire. Quand on l’a vu faire le Moonwalk, on s’est tous regardés. On se demandait ce que ça allait donner pour Michael Jackson. Tout le monde est devenu fou.
C’est rigolo parce que j’ai travaillé pour Michael pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Je lui ai donné des cours pendant quelques années. Mais quelques années plus tard, j’ai lu des interviews et aussi vu un documentaire sur lui avec des enfants à Neverland. Ce qui m’a vraiment embêté c’est qu’il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. Et, dans le documentaire quand les enfants lui demandent : « Michael fait le Moonwalk ! », lui, il répond : « Oh mais tu sais le faire, c’est de vous que j’ai appris ». Il donne le mérite à des enfants qui sont dans la rue mais la vérité c’est qu’il a payé des gens pour lui apprendre. C’est dommage de n’avoir rien dit : « Voilà, c’est cette personne là qui me l’a appris. Il faut le voir faire ». Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

J’ai travaillé pour Michael Jackson pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. C’est dommage de n’avoir rien dit. Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

DWT : Que penses-tu de sa technique d’exécution ?
Mr Freeze : Il l’a très bien faite, c’est sûr. Le Back side très bien mais le Moonwalk dans un cercle, c’était très débutant.

DWT : Le film «Flashdance» a marqué toute une génération de danseurs en France. Vous étiez pourtant réticent quant à votre participation…
Mr Freeze : Kool Lady Blue (ancien manager du Rock Steady Crew) nous a amenés dans un studio de danse et nous a dit : « Voilà, j’ai un ami qui travaille pour la Paramout Picture. Ils veulent faire un film avec des danseurs différents, qui font des choses que personne n’a jamais vues ». On avait répondu : « Non, non, non : on ne veut pas faire ça ! ». À cette époque, on pensait que si tout le monde nous voyait danser, toute la planète allait nous voler nos mouvements ! Pour nous, c’était très important ça. Tu ne pouvais pas prendre les mouvements de quelqu’un d’autre. Ça ne se faisait pas. Maintenant, c’est différent. lls nous ont donc présenté le film en nous disant qu’on allait être payé 1 000 dollars. Pour nous, c’était beaucoup d’argent à l’époque (rires). Alors, on a décidé de le faire. Avec les pourcentages et les royalties on a bien touché pendant quelques années. Ma mère était fière, mais elle se demandait si ça allait donner quelque chose. Et bien non, ça n’a rien donné ! Nous n’avons pas fait de carrière, ni d’argent (rires). Au moins, on a fait quelque chose sur la planète dont tout le monde se rappellera.

Mr Freeze effectuant le Moonwalk (Flash Dance, 1983) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Les années 1990 sont souvent présentés comme le golden age du rap. Comment as-tu vécu cette période ?
Mr Freeze : J’étais complément perdu pendant ces années. Il y avait toute une partie de la culture qui avait disparu. Je ne pensais à rien, je n’étais juste pas intéressé. C’était trop devenu un business, je n’étais pas content depuis 1988 environ. Je n’écoute plus de rap, c’est fini. Parce qu’en Amérique ils ne jouent plus que du Lil Wayne, Soulja Boy, de la vraie merde. Je me suis arrêté à KRS One, Rakim, Big Daddy Kane : les maîtres ! Je suis revenu réellement que depuis 2 ans. Je vais te dire ce que Mr Wiggles (Steffan Clemente) m’a dit : « Freeze t’es français et c’est incroyable que les français ne te connaissent pas ». Ce n’est pas par manque d’intérêt des français mais parce que je ne communiquais pas sur ce que je faisais. Ce n’est pas moi ça. Si j’avais été une personne comme Crazy Legs et Mr Wiggles, j’aurais peut-être fait du business. Ce que je faisais n’était que pour m’amuser. Je ne dis pas que faire du business n’est pas bien. Eux, ils ont continué à faire du hip hop en le gardant pur ; Sans faire de conneries.

DWT : A ce propos, sais-tu que les interviews sont payantes avec Crazy Legs, Kool Herc et parfois même KRS 1 ?
Mr Freeze : Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Qu’on veuille faire des choses, c’est bien mais quand on parle aux anciens, ils veulent être payés et c’est normal. C’est leur façon de faire de l’argent. Ils pensent que faire une interview d’eux sera, quoi qu’il arrive, une manière de faire de l’argent avec leur image. Je peux te donner un exemple : j’ai fait l’Ultimate B-Boy Championship aux U.S.A, Las Vegas. Je voulais Kool Herc et KRS1 avec qui j’ai fait plein de choses. Il s’est fait payer 10 000 dollars pour une chanson. On a envoyé le contrat et sa femme nous a dit : « Ah non, on peut le faire mais sans la vidéo, sinon il faut un pourcentage ». La même chose avec la sœur de Kool Herc si on voulait le filmer. Ils savent qu’il y a des chances que ça se vende. Si Crazy Legs envoie son avocat, il a raison parce que c’est son business. Ils ont inventé une façon de vivre pour tout le monde alors ils doivent protéger leurs intérêts. Moi, j’ai une autre approche, je ne fais pas mon argent avec la culture. Je fais du marketing, de la promotion, je donne des cours. Mais si je sais que c’est une grande entreprise qui a des millions de dollars, c’est clair que je vais leur dire : « Ok on peut faire mais il faut qu’on parle avec des avocats avant ».

DWT : Comment juges-tu l’évolution de ta discipline jusqu’à aujourd’hui ?
Mr Freeze : Tout le monde fait les choses bien. Le seul problème c’est que les gens ne veulent pas parler des inventeurs. Ils veulent faire comme si l’invention leur revenait. Ainsi, ils ne transmettent pas l’histoire. Je donne des cours de lock, je sais le faire, mais je ne suis pas un locker. J’explique tout : d’où c’est venu, pourquoi, qui sait qui l’a inventé. C’est très intéressant, il faut parler de tout.

Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !

DWT : Justement, peux-tu nous parler de l’Ultimate B-boy Championship (voir ici), ce tout nouveau championnat que tu organises…
Mr Freeze : Toute ma vie, j’ai été intéressé par le break. Je voulais vraiment voir quelque chose de formidable. Quand on faisait des défis en 3 minutes, quelqu’un se faisait complètement démonter dans le cercle. L’UBC sera exactement de la même façon pour que ça devienne un sport comme le Skate Board, le Roller qui se sont développés dans la rue. Je trouve ça formidable que les B-Boys deviennent professionnels. BC1 ou Battle Of The Year font des choses mais ce n’est pas les meilleurs de la planète. C’est des événements pour les jeunes, certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Les choses qui ne sont pas pures ne marchent jamais aussi bien. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !
Le BC1 est fait par Red Bull, c’est un bon spectacle. Alors moi, J’ai vu l’Ultimate Fighting Championship. J’ai décidé après ça et toutes ces années de faire rentrer dans un cercle les meilleurs B-Boys de la planète. Ils seront très frais et prêts à esquinter tout de suite. Ça sera excitant de voir la rage de deux B-Boys qui ne s’aiment pas, sur le sol, comme ça se faisait dans les années 1970. Si je le fais sur une scène avec un tel qui bat un tel, puis un autre, ça va prendre toute la journée. En finale, tu as toujours les deux mêmes, tu les as vu toute la journée mais Ils sont essoufflés et n’ont plus  aucun nouveau mouvement à faire.
Moi je prends un B-Boy par mois pendant un an, n’importe où sur la planète. A la fin des douze mois, on en choisit deux. Les gens pourront voter mais je ferai attention à prendre vraiment les deux meilleurs et ne pas prendre quelqu’un qui a 200 000 likes sans faire des choses bien. Il y aura la UBC Team qui validera. Je veux des gens que personne ne connait. Je suis content car j’en ai déjà repéré un. Ça sera gratuit, tout le monde sur la planète pourra suivre le championnat avec un vrai battle à la fin. Celui qui gagne le BC1 ne va pas forcément gagner l’Ultimate B-Boy Championship. Pour moi ce ne sont pas les meilleurs. Si c’est pour faire ça sur quelque chose qui glisse, ça ne marche pas. S’ils ne font pas les mouvements de base de la danse : ils ne dansent pas. Il faut le faire comme aux jeux Olympiques. Il faut qu’ils fassent des figures imposées. Même s’ils font 17 Back spins, il faut au moins qu’ils puissent se tourner sur une jambe et se balancer. Si un B-Boy de l’UBC fait un Back Spin avec un Back Top et puis il danse, ça ne compte pas. Mais s’il fait un Back spin et Back top dans un mouvement de break, ça compte.

DWT : Le déroulement de la finale de ton tournoi est assez surprenant…
Mr Freeze : 24 heures avant, une fois que j’ai donné le nom des deux finalistes de la battle sur le site internet, la finale aura lieu quelque part sur la planète. Comme c’est gratuit, il n’y aura pas de contrôle, ça peut devenir dingue. Si on le fait sous la tour Eiffel à Paris ou à Moscou, c’est plus excitant. J’essaie de devenir le Bill Gates du B-Boys world (rires). Parce que malgré les millions utilisés pour monter les événements, les B-Boys ne touchent vraiment rien. On ne leur donne que de la merde. Ça m’embête. Si je réussis à faire ce que je veux, les B-Boys et les B-Girls sur la planète auront une autre vision de la façon de faire de l’argent avec une carrière de danseurs.

Mr Freeze – UBC 2010 (Las Vegas) – Photo © Droits Réservés

DWT : Penses-tu que nous puissions associer la danse à un sport ?
Mr Freeze : Je ne dis pas que c’est du sport. Si tu fais un mouvement sur le rythme : tu danses. Si tu ne le fais pas sur le rythme : tu ne danses pas. C’est pour ça que je dis que si tu fais un saut en l’air, fais-le dans un pas de break. Parce que juste le saut, ça veut dire que tu fais du sport et c’est tout.

DWT : Le côté « Entertainment » ne semble pas te déranger…
Mr Freeze : Toutes les choses qui viennent des racines du hip hop ne me dérangent pas, pas plus que le coté commercial. Au moins ces manifestations donnent une visibilité au hip hop et une possibilité de choix. J’aime bien les grands événements breakdance. Je trouve l’organisation formidable, mais on ne sent pas l’énergie. On la sent juste avant, puis plus rien : ce n’est plus trop excitant pendant le show. Il y a un autre problème, c’est le manque de sponsors. Dans la compétition « Juste Debout », Bruce le promoteur emmène 15 000 personnes avec lui. Il change le jeu. Il l’a vraiment bien fait, tout est là ; seuls les sponsors manquent. Des sponsors qui annonceraient : le gagnant représentera notre compagnie, il gagnera 100 000 dollars ou un demi-million d’euros. C’est dommage que le business et les entreprises ne supportent pas plus, car c’est important. Quand tu remplis un Bercy avec 15 000 personnes. C’est qu’il y a des gens que ça intéresse. Certains pensent que ça enlève des choses de la culture hip hop. Moi, je ne crois pas ; c’est une chance. On donne à des danseurs, qui n’avaient rien : un événement, une grande scène, et le pouvoir de se représenter.

DWT : On sent que tu es très attaché aux valeurs originelles du mouvement hip hop…
Mr Freeze : C’est clair. Il y a toujours ces valeurs, ça dépend où tu vas, telle boîte de nuit, tel événement… C’est toujours l’interprétation que les gens font de la culture hip hop qui compte.

DWT : Il y a des grands festivals auxquels tu participes aux États-Unis ?
Mr Freeze : Je vais parfois à l’anniversaire des Rock Steady Crew. Mais aux États-Unis, c’est mort le hip hop. Le vrai hip hop qu’on connaît n’existe plus. Ce n’est plus des événements dans lesquels, les gens peuvent se dire « bonjour, comment ça va ?« . En Amérique, Il n’y a plus de substance dans les événements, contrairement à ce que l’on voit ailleurs sur la planète. Il n’y a plus rien de pur. C’est triste ! Il y a quelques années, quand je suis allé à un anniversaire de la Zulu Nation dans le Bronx, il y avait peu être 80 personnes. Quand je vais à celle de Belgique organisé par Philippe, il y a peut être 3 000 à 4 000 personnes. En Pologne, il y aussi un truc immense.

Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

DWT : Que penses-tu de la mentalité française dans le hip hop ?
Mr Freeze : J’étais le premier B-Boy à donner des cours de danse hip hop à l’opéra Bastille au début des années 90. J’avais fait une émission à la TV, pour Canal+, dans laquelle on m’avait reproché d’avoir dit que les français ne savaient pas danser. Je n’ai jamais dit ça. J’expliquais juste les techniques du Poppin et du Locking. Mais un jour, en passant à Châtelet Les Halles, des mecs m’ont abordé en me disant : «Il y a des mecs qui t’en veulent d’avoir dit que les français ne savent pas danser». J’ai demandé qui ? Ils m’ont répondu : «Ils sont en bas, dans le forum». J’étais descendu, énervé, prêt à me battre. Quand j’ai vu les mecs, je leur ai dit : «  Maintenant s’il y en a qui ont un problème avec moi et ce que j’ai dit, on peut parler ou se battre mais un par un. J’étais prêt. Je n’ai jamais tenu ces propos sur la France, pourquoi je dirai ça ? Je suis français, moi aussi. » Ils m’ont tous dit : «  Non ça va, tu es venu comme ça, on te respecte». Mais comment quelqu’un peut penser ça ?
J’ai entendu aussi qu’à Battle Of The Year, un crew américain Battle Born s’est fait huer par le public français qui lançait des bouteilles et des chaises. C’est des copains, je connais ce crew, ce sont des tueurs par terre. Idem pour la sortie d’un crew israélien où il a fallu que la sécurité intervienne. Je n’ai jamais entendu ça ailleurs qu’en France. Pourquoi font-ils ça ? Ils sont à un événement, inventé par des américains, ils écoutent du rap né au U.S.A, des Dj’s, ils s’habillent comme des américains avec des Converse et ils font des «ouh ouh» ? C’est bête mais je pourrais pourtant revenir vivre en France, je m’y sens bien. En Californie ils disent : « J. ». En France : « Ouais, je fais le hip hop français. Je représente ma façon de penser ». Et moi, je réponds : « Tu fais ce qu’on a inventé il y a des années, mais tu le fais en français ». Le hip hop est né à New York dans le Bronx alors vous nous représentez nous. Vous croyez que vous vous représentez mais vous ne représentez rien, juste nous. Je préfère que les gens me voient comme ça, plutôt qu’avec un chapeau sur le côté et des dents en or : « Je représente les quartiers et j’en ai rien à foutre, je suis de la rue ». Ça, c’est de la connerie, je ne veux pas être à coté de gens comme ça car c’est ça qui esquinte la culture. Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches que ça mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

Propos recueillis les 4 et 6 décembre 2012 par Flo.

Dédicaces de Mr Freeze à Sydney, qui représente toujours la culture, et à Solo. A tous les mimes et les cracheurs de feu du début des années 1980 sur l’esplanade du centre Pompidou (Paris)…

…avec Mr Freeze (à droite) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Notre équipe tient tout particulièrement à remercier Mr Freeze pour sa disponibilité et son enthousiasme face aux nombreux échanges que nous avons eu pour vous faire découvrir dans le détail son parcours. Nous le remercions également pour nous avoir donné accès à ses archives photos dont chaque internaute en comprendra les intérêts historiques… Nous vous invitons maintenant à suivre son actualité au travers son projet pharaonique de l’UBC, l’Ultimate B-Boy Championship dont il est le brillant investigateur (voir la présentation vidéo de l’UBC).

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Rencontre avec deux rimeurs des rues de Barbès à la philosophie de ce quartier-monde, polémiqueurs d’un Hip Hop que le fric agite, constructeurs screds dans le rap français dont le regard scrute la quotidienneté et leurs lettres transcrivent certaines vérités. Alain Garnier

Retrouvez les photos du photographe Alain Garnier autour du volume 1 de Rapattitude (1990) + quelques autres perles des années 1990 sur maquis-art.com

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