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Fab Lover, Ultramagnetic DJ

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus.

A chaque revu d’effectif, on se doit de faire l’appel. De nos jours, beaucoup ont déserté ou baissé les armes… Le soldat Fab répond inlassablement présent, encore et encore. Il en a pourtant livré des batailles aux côtés des activistes de ce milieu. Depuis le début, puis dès le terrain vague de Stalingrad ou au Globo avec la crème des pionniers, il contribue largement à assurer une visibilité qualitative du hip hop en France, sans oublier son objectif : le respect des valeurs. Très peu peuvent se targuer d’avoir exploré l’underground comme lui. Très peu sont restés fidèle à la pureté de ce milieu. Longtemps nous espérons le retrouver sur la ligne de front comme digne représentant de cette culture.

Down With This : Comment le hip hop entre dans ta vie ?
DJ Fab : Je suis à Paris, je tombe sur un clip de Gladys Night and the Pips dans lequel un type tourne sur la tête ! Et là, waouh ! J’essaye de comprendre. Ca m’attire immédiatement. Il y a des breakeurs mais le hip hop n’existe pas encore dans son ensemble. Je devenais visible, comme mes potes, même si on nous prenait pour des aliens ! (rires) On nous remarquait et c’était ce qui comptait. On commençait à mettre des vestes en jean avec des choses inscrites dans le dos, des fat laces, des superstars… Cette culture émerge un peu plus grâce à des lieux comme le Bataclan, le Trocadéro, le terrain vague de Stalingrad, le Globo où nous nous retrouvions. Le hip hop vient à moi en France au début des années 1980. Quand j’allais aux Etats-Unis, le hip hop y était évidemment en route et cela commençait à mieux me parler. Je devenais surtout le Père Noël pour mes potes en leur ramenant des choses liées à la culture : des kangols par exemple… J’avais commencé par écouter Radio 7. Ce n’est pas le premier truc que j’entends mais c’est le truc qui m’interpelle le mieux. Il n’y avait pas trop de décalage finalement avec ce que je pouvais entendre aux Etats-Unis quand j’y retournai. Mais au début, la musique était une espèce de soul, d’électro…

DWT : Cette culture s’avèrera déterminante pour ton avenir…
DJ Fab : C’est la danse, comme pour beaucoup, qui m’a pris. J’ai beaucoup dansé à partir de 1984. J’étais à fond là-dedans. J’ai dansé au sol, il fallait impressionner, faire des coupoles. J’allais en Espagne, à Ibiza, avant que ça devienne ce que c’est devenu. J’y rencontre Dan de Ticaret que je ne connaissais pas encore mais avec qui je deviens ami. Nous faisions beaucoup de représentations sur place. Les gens ne connaissaient pas cette culture donc nous devenions en quelque sorte des stars (rires). On était les premiers à danser comme ça là-bas, avec les locaux. Mais je me suis rapidement rendu compte que danser est une chose très difficile et que l’on peux également se blesser. Par la suite, j’avais fait un aller-retour à Paris pour récupérer mes vinyles afin de mixer là-bas.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers le mix ?
DJ Fab : Presque par nécessité car j’étais danseur et il me fallait de la matière pour pouvoir danser. Mais je n’avais pas encore de platines. Je n’y connaissais pas grand chose. On était dans les lecteurs cassettes à l’époque. Les cassettes me semblaient plus évidente car je pouvais écouter ma musique partout grâce aux premiers walkman. J’essayais de retrouver des matières musicales quand je retournais aux États-Unis. Je commence ainsi à glisser vers le mix.

DWT : Tu partais souvent aux Etats-Unis ?
DJ Fab : Oui à Philadelphie, Chicago. Los Angeles aussi où j’ai bourlingué. Mais je n’y suis resté que deux ou trois mois. J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir. C’était trop tendu. Je suis ensuite arrivé à New York.

J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir.
DWT : Ta connaissance du matériel à l’époque était assez rudimentaire. Avec quel équipement te lances-tu dans le mix ?
DJ Fab : Ma première platine était une platine courroie avec laquelle tu ne pouvais rien faire (rires). Mon installation se limitait donc à cette platine courroie avec une platine cassette avec laquelle j’enregistrais en faisant des pauses et une table de mixage. Je faisais mon truc comme je pouvais mais c’était laborieux ! (rires) J’ai finalement retrouvé ce principe des platines chez un pote huppé, qui avait avec deux platines MK2 Technics 1200. Obligé d’aller voir ! (rires) Et là, je vois qu’il existe une sorte de platine qui ne s’arrête pas ! Ce matériel n’était pas accessible pour moi. Mais un jour, mon pote m’informe qu’il va déménager et me propose de les acheter. Je me mets donc à tanner ma mère comme un dingue, je fais des petits boulots, j’essaie d’économiser au max et comme c’est mon pote, je peux le payer en plusieurs fois. J’arrive donc à me procurer mes premières MK2 grises. J’ai toujours les mêmes d’ailleurs.

DWT : Comment décris-tu les qualités techniques de ces MK2 qui sont vite devenues une référence mondiale ?
DJ Fab : Cette platine a une stabilité et ce qu’on appelle du charisme. Elle a aussi une beauté et une solidité certaine. Je n’ai jamais eu une seule réparation dessus, je touche du bois. C’est le top et pourtant j’en ai testé des platines. Elles ont l’avantage d’être dénuées de tout gadget. Quand il y a trop de boutons, tu te perds même si tu peux t’adapter avec le temps. Mais quand tu es DJ, tu as envie d’aller vite. Le pitch de la 1200 me correspond parfaitement. C’est une Rolls.

DWT : Sur quel mixette s’est alors porté ton choix ?
DJ Fab : Ma première table était une BST. J’ai ensuite acheté une Gemini, c’était la même que DJ Cash Money avait utilisé au championnat DMC et au Globo à l’époque.


DWT : Le Globo marquera la naissance des soirées hip hop sur Paris avec la venue d’artistes mythiques comme Public Enemy ou Cash Money. Peux-tu retracer certaines «spécificités» de l’ambiance si particulière de ce lieu ?

DJ Fab : Si tu suis cette culture sur Paris, tu te retrouvais de manière naturelle au Globo. On allait au terrain vague (Stalingrad), à Ticaret qui était à côté, géré par mon ami Dan. On y trouvait des name-plates, mes premières vestes en jean graffés par Chino. Il m’avait d’ailleurs graffé une veste et mon jean en même temps (rires). La suite logique était d’assister aux soirées du Globo pour y écouter du son. Avec le Bataclan et la Main Jaune, ces lieux représentaient nos rendez-vous. Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. Si tu avais une Fat Goose, elle partait direct ! J’avais mes entrées donc je n’avais pas ce genre de soucis mais si tu ne connaissais personne, tu te faisais dépouiller direct. Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle. Les filles étaient très rares. Elles devaient comprendre les codes et savoir se comporter. Cela a bien changé de nos jours. Tu peux aller maintenant dans les soirées hip hop pour boire un verre en paix avec ta nana. Je trouve que c’est zen aujourd’hui et c’est tant mieux. Ce n’était pas le cas à l’époque. C’était tendu, il y avait beaucoup de guéguerres, des histoires avec les taggeurs. Et pour moi, qui habitait dans le 15ème à l’époque, c’était aussi le parcours du combattant pour rentrer chez moi car il fallait éviter les skinsheads. Entre nous et en dehors, c’est assez hardcore et fatigant.
Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. (…) Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle.
DWT : Cette période marque également ton entrée dans les clubs pour y prendre les platines…
DJ Fab : J’avais commencé par quelques petits endroits comme le Diable des Lombards avec le DJ des Black Panthers, devenus Baffalos par la suite. Le Timis Club puis au Globo. Massadian m’avait proposé de mixer aux ouvertures, avant Dee Nasty. Il n’y avait pas d’argent mais c’était le summum. Le Bataclan était également un temple avec énormément de danseurs. On avait l’impression d’être dans un Roxy français (boîte new yorkaise en 1982). C’était un melting-pot de plein de choses avec beaucoup de zaïrois qui s’arrêtaient de danser car nous avions notre heure hip hop pour pouvoir danser à notre tour (rires). Il y a également le Trocadéro que l’on ne peut pas nier où il s’est passé de belles choses et de belles rencontres. Je connaissais DJ Clyde qui habitait le 15ème comme moi. Je m’entraînais chez lui, il s’entraînait chez moi et vice-versa.

DWT : Tu taggais également, tu étais sensible au graff à l’époque ?
DJ Fab : Je suis allé un peu aux palissades du Louvre et sur les quais de Seine mais surtout à Stalingrad. Avec le talent de Jay et mon pote Boxer (rest in peace) et plein d’autres graffeurs, ce n’était pas dur d’apprécier leur travail. Je taggais aussi comme beaucoup et donc je m’y retrouvais. C’était un ensemble cette culture, il y avait des fringues, le dessin, la musique… C’était un tout.

DWT : Beaucoup de DJ’s concouraient au DMC. Pourquoi n’as tu jamais participé à ce championnat ?
DJ Fab : Premièrement, je n’avais pas le temps et deuxièmement, je trouvais que les durées de six minutes pour les passages, c’était juste frustrant car c’est beaucoup de stress. J’ai fait des choses sous d’autres aspects mais je ne me voyais pas travailler que sur six minutes. Le format me paraissait trop court. Il y avait énormément de choses à faire en même temps. Je trouvais ça trop dur pour moi car si je me mettais sur ces histoires de championnat, j’aurai été contraint de mettre d’autres choses de côté alors que j’avais des factures à payer.

DWT : Tu recentres tes activités par la suite autour d’EJM que tu accompagneras sur toute la période de ses deux albums entre 1990 et 1993. Tu en gardes de bons souvenirs ?
DJ Fab : Après avoir fait mes études, comptabilité puis gestion commerciale avec comme diplôme l’équivalent d’un bac plus deux, j’ai eu la chance d’avoir un bon poste dans l’hôtellerie. Le problème est que la musique commençait à prendre beaucoup de place dans ma vie. Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique. EJM m’avait été présenté par un mec de Vitry, à l’époque de la compilation Earthquake, dans lequel il avait posé le morceau « Nous vivons tous dans une ère de violence ». Il cherchait un DJ, on accroche super bien et ça devient mon poto ad vitam aeternam. On commence a beaucoup bougé ensemble, on va à Los Angeles, on part en Suisse et dans toute l’Europe… EJM a vraiment marqué sa période en étant tranchant direct. Il n’y avait pas de demi-mesure. Le seul problème, je pense, est que c’était quelqu’un de trop avant-gardiste et qui n’avait pas été compris. On avait également souffert en nous taxant de racisme car on avait une image pro-black alors que ce n’était pas le cas. On avait une équipe avec nous qui était assez dure mais c’était l’époque, il fallait marcher avec son posse. Il ne rigolait pas trop (rires). Les maisons de disques ne comprenaient pas trop. On n’était pas arrivé au niveau du Ministère AMER mais ça n’en était pas loin ! EJM était sur écoute, j’ai dû l’être aussi. Ce truc nous a dépassé et on en a beaucoup souffert je pense.

Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique.
DWT : Il t’avait pourtant rebaptisé en ajoutant « Lover » à ton nom (rires)…
DJ Fab : J’étais beaucoup avec Ultramagnetic MC quand ils sont venus à Paris car je les connaissais un peu en amont avant leur venue en France, dont TR Love que je connaissais bien. Certains des membres de ce groupe avaient « love » dans leur nom. Ils s’étaient donc amusés à ajouter « love » au mien et ça a donné Fab Lover. EJM l’avait posé sur un morceau et c’est resté.

DWT : Pour en revenir à la carrière d’EJM, ce « revirement » très Jazz dans sa musique avait-il pour but de lui faire changer son image pour une autre moins dure ?
DJ Fab : A un moment, il a fallu calmer la dose. Je pense qu’il avait envie d’accéder à autre chose, d’autres horizons. Le jazz l’avait de toute façon toujours intéressé. Je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait. Cela m’a ouvert les yeux sur plein de choses également. C’était aussi une belle aventure humaine. Le dernier concert que nous avons fait s’est terminé en coups de feu. Je lui avait dit à l’époque que je n’avais pas envie de vivre la musique dans cette ambiance, même si ce n’était pas en lien direct avec le groupe.

DWT : La France a représenté une saturation à un moment pour toi. Sur quelles motivations t’es tu exilé en Suisse et en Allemagne ?
DJ Fab : A l’époque, EJM et moi connaissions une fille en suisse qui s’appelait Channel et qui avait beaucoup de connexions à Paris. Elle nous avait proposé des événements en Suisse et je suis resté. J’y étais à l’aise, je n’avais pas besoin de revenir à Paris. Puis après avoir rincé tout le pays en jouant partout, j’ai remarqué bizarrement que d’autres ont commencé à arriver comme DJ Cut Killer et plein d’autres. Je suis également resté en Allemagne, malgré les a priori qu’on pouvait avoir sur ce pays, c’était une place forte du hip hop. Ils étaient au top, ils le sont jusqu’à maintenant d’ailleurs.

DWT : Tu as connu quelques années après un tournée plutôt confortable aux côtés de Stomy Bugsy (ex-Ministère AMER)…
DJ Fab : J’ai vécu avec cette tournée le côté ultra-starification. C’était l’époque « Gangster d’amour » de Stomy. Lorsque nous nous sommes rendu en Afrique, il avait été accueilli comme un Dieu ! (rires) C’était dingue. Le public était hyper fan. Il y avait des choses qui me plaisaient et d’autres moins. Je suis intervenu sur cette tournée comme serait intervenu un guitariste ou un professionnel de la musique. C’était un métier mais cela ne m’empêchait pas d’être content de vivre ces moments de partage. J’ai vécu de vrais trucs sur cette tournée. J’ai aussi beaucoup rigolé avec Stomy, c’est une vraie crème et un vrai déconneur. Je suis content d’avoir vécu ces choses et les côtés « starification » de l’industrie que je ne connaissais pas.


DWT : Tu es également le DJ officiel de La Caution (que nous saluons au passage) depuis maintenant 10 ans…

DJ Fab : Il fallait qu’il y ait un groupe de coeur, de fond. Par rapport à mon parcours, la rencontre avec ce groupe collait très bien. Je n’ai pas eu besoin de m’adapter à ce qu’ils faisaient. Lorsque j’ai entendu cette technique, cette musique, je me suis dit que les mecs étaient très fort. Il se trouve qu’ils cherchaient un DJ. Ils avaient essayé avec Orgasmic du collectif dont je faisais partie avec TTC mais ça n’avait pas fonctionné. J’ai fait une première date et cela a très bien marché. Je considère aujourd’hui Ahmed (Nikkfurie) et Mohamed (Hi-Tekk) comme mes frères. Nous devrions envisager un troisième et dernier album mais je ne veux pas parler à leur place car c’est une histoire de famille. La Caution existe toujours pour le public. Ce n’est pas fini. Si cela doit être le cas, il faut envisager ce troisième album. Je pense que les fans sont en attente. Ahmed l’est aussi je pense et moi j’ai envie de remonter sur scène avec eux avec de nouveaux morceaux. Je comprends les positions de chacun, ce que dit Mohamed, qui est maintenant dans la vidéo et qui est un vrai artiste. Nikkfurie est très productif et très talentueux. La Caution a continué de tourner presque un an sans Mohamed mais c’était difficile car il a une place à part entière.

DWT : Quels souvenirs gardes-tu de la votre mini-tournée en Palestine ?
DJ Fab : Je suis très loin de la politique. Le problème de ce projet est que je n’étais pas chaud. J’essaie de ne pas mettre de la politique dans ma vie. La Palestine était un projet fort pour moi, je voyais ça comme un réel engagement. Ce n’est pas juste comme aller faire un concert à la Bastille. Je pouvais comprendre qu’Ahmed et Mohammed aient envie d’y aller comme à un pèlerinage mais cela devait se faire sans moi. C’est un sujet très sensible et je voyais mal ma place dans cette histoire. Ahmed a fini par trouver les mots justes et me convaincre. Je suis revenu plus grand car c’était une très belle expérience. J’ai connu des gens forts, humbles et qui vivent une vie incomparable avec ce que nous vivons ici.

DWT : Tu as travaillé avec Destroy Man, tu montes sur scène aujourd’hui avec Kabal, tu travailles avec Kohndo. Tu mènes des activités très variées…
DJ Fab : La tournée avec Kabal est une belle expérience. Ce sont des adultes. C’est rock, nouveau et alternatif pour moi. Je continue de travailler avec Khondo et j’aimerai qu’on travaille un disque ensemble. Je reste également attentif aux MC’s de la nouvelle génération. Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.

Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.
DWT : Penses-tu que cette nouvelle génération correspond toujours aux valeurs du hip-hop ?
DJ Fab : Je ne pense pas. Aujourd’hui, les artistes sont tous dans leur truc. Pour reparler de Némir, c’est quelqu’un dans lequel je pourrai me reconnaître. Il apporte quelque chose de frais dans le rap, avec sa bonne humeur, son flow. Ce qui est rare dans la plupart des MC’s en France. Ils sont habituellement beaucoup plus dans une vision noire des choses. J’aime le hip-hop, je suis sensible au rap. Il y a des choses qui me touchent même si évidemment, il y en a très peu. Mais le peu qui me touche me plaît beaucoup. Mais en 2013, pour moi, les valeurs se sont perdues.

DWT : Les artistes américains sont également des gens avec qui tu as collaboré. On a quand même connu pas mal de déception quant à leurs prestations en France…
DJ Fab : A Paris, dans les années 1990, il y avait une sorte de comportement de la part du public qui ne leur permettait pas de faire ce qu’ils voulaient ou ce qu’ils font maintenant. A cette époque-là, nous composions un public qui était tellement réactif qu’on leur jetait des trucs si leur show était une carotte. Il arrivait que ça se transforme en bagarre. Ils repartaient alors avec l’image d’une France assez tendue. Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus. Cela avait permis de tout remettre à plat. Le public a ensuite changé et la monnaie européenne est arrivée. Quand ces artistes sont revenus ici dans les années 2000, j’avais l’impression qu’ils étaient maintenant en vacances. Ils savaient qu’ils allaient toucher des euros et c’est devenu la fête à neuneu.

Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus.
DWT : Au travers vos activités de promoteur via Hip Hop Résistance (avec Awer rest in peace et Dj Kozi), label certifié avec le temps gage de haute qualité, doit-on y voir la démarche de proposer au public un show américain respectable grâce à votre savoir-faire et votre réseau ?
DJ Fab : Nous avions démarré le projet Hip Hop Résistance car il y avait un manque à Paris de ce que nous voulions voir sur scène. On s’est donné les moyens de faire venir des mecs que personne ne faisait venir. Les gens ont accroché et nous avons donc décidé de monter des projets qualitatifs et non quantitatif. Cela s’est toujours bien passé, malgré un raté avec Da Bush Babies qui était arrivé complètement bourré, en ayant fumé. Ils se sont mis à rapper sur du Beyoncé, des conneries comme ça. C’était blindé au niveau du public mais c’était n’importe quoi sur scène. On avait pris les devants en s’excusant auprès du public et en indiquant au groupe que ce ne sera plus par notre intermédiaire qu’ils reviendront en France. En dehors de ça, on a connu de beaux moments comme avec Masta Ace, Bahamadia, Wildchild et J-Dilla…

DWT : L’organisation d’événements à Paris n’a pas été souvent une chose facile à gérer. Quelques tensions dans ce milieu des promoteurs ont résonné, quels en étaient les causes ?

DJ Fab : Le milieu des concerts est spécial, il y a de la concurrence, de l’argent et une réputation en jeu. Il y a plein de choses. Il y a des gens avec qui on peut s’entendre comme MC5 (Mickael) ou Free Your Funk (Manu et Denis) avec qui je me suis très bien entendu et avec qui on a collaboré. On a appris beaucoup de choses avec Awer de son vivant et moi. C’est toujours un plaisir de bosser avec. Mais il y a aussi des gens avec qui cela n’a pas été aussi simple. Il faut bien comprendre que lorsque nous sommes sur ce secteur d’organisation d’événements, je suis en mode business, promoteur. Il se trouve qu’un gars, montait sa structure, en même temps que nous, avec des bouts de scotch comme nous. Nous étions bien installé dans l’underground et ça devait lui faire de l’ombre. Alors il s’est mis à mal parler et nous dénigrer. Il le faisait également à New York en disant aux gens de se méfier et de ne pas travailler avec nous. Cela devenait gênant. Cétait le genre de personne qui pensait que nous nous croiserons pas et qu’on pouvait se parler par mail uniquement, à distance. Mais il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. L’histoire a été réglé à l’ancienne, sans échange de mails, et bizarrement ça allait beaucoup mieux par la suite.

DWT : La radio occupe chez toi une grande place. Est-ce que le formatage imposé par le business te laisse suffisamment de liberté pour animer ton émission sur Génération FM ?

DJ Fab : Mon émission, Underground Explorer, a lieu tous les dimanches (de 22 heures à minuit) et je n’ai aucun problème. Il faut savoir que nous ne sommes pas payés, c’est ce qui justifie surement cette liberté. Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
DWT : Connais-tu le nombre de vinyls que tu possèdes ? Continues-tu d’agrandir ta collection ?
DJ Fab : Je ne peux pas quantifier mes vinyls. J’en ai certainement beaucoup moins que Dee Nasty. J’en ai beaucoup acheté mais j’avoue que j’en ai pas mal volé aussi. Il y aussi ce qu’on te donne mais ce ne sont pas les plus intéressants car il s’agit de disques promo. Je les garde car je suis un amoureux du vinyl. J’ai dépensé beaucoup d’argent dedans. Je possède certains de mes disques en six exemplaires, tous cellophanés, comme le mini EP de NWA «100 miles and runnin’». J’ai toute une époque du rap qui me convient parfaitement, notamment ceux des années 1990 mais je n’achète plus de disques de rap. Par contre, je suis capable de mettre 200 euros dans un vinyl de Soul qui m’intéresse.

DWT : Existe t-il un vinyl que tu recherches et qui ne figure pas dans ta collection ?

DJ Fab : En toute modestie et sans être prétentieux, j’ai tout ce que j’ai besoin. A un moment, je recherchais un vieux maxi d’Ultramagnetic MC. DJ Asko me l’avait retrouvé sur le net. C’était une réédition mais bon, je l’avais tout de même pris.

DWT : Si tu devais citer un disque dans la soul et un autre dans le rap qui t’ont le plus marqué, lesquels choisirais-tu ?
DJ Fab : Entre autres pour la soul, la B.O. du film «Death Wish» car il y a dedans beaucoup de sample possible. Pour le rap, je dirais «Niggaz 4 life» de NWA, l’époque de l’apogée des sons de Doctor Dre. Musicalement, je trouve que ça sonne encore bien maintenant même si les BPM ont un peu augmenté. Ca sonne bien au point de vue mastering, ils avaient tout compris. La pochette est bien réalisée, les silhouettes qui quittent la scène de crime, c’était bien pensé. L’album était monstrueusement bien produit. Mais je pourrais aussi dire EPMD. Ce qui me plait dans le hip hop, c’est toutes ces énergies et pas seulement un groupe en particulier.

DWT : Quel est ton point fort techniquement parlant en tant que DJ ?
DJ Fab : Je dirais que pour pouvoir durer, il faut contrôler à peu près tous les aspects. Certains Dj’s sont super forts en scratch mais sur d’autres phases, il ne sont pas bons du tout. J’ai plus voulu développer plusieurs techniques pour être complet, scratch, mix, beatjungling, passe-passe. Mais aujourd’hui, tu as beau faire un flair, un trois doigts, un combo, tout le monde s’en fout. Pour moi, il fallait arriver à tout mettre dans le tempo, c’était le plus important.

DWT : Quelle a été la technique que tu as eu du mal à assimiler ?
DJ Fab : Beatjungling.

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. (…) Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long.
DWT : Quel regard portes-tu sur la mutation du métier de DJ avec l’arrivée des platines CD pour scratcher et les logiciels de mixe ?
DJ Fab : Ce sont des contrôleurs. Je pense que la génération des DJ’s auquel j’appartiens seront les derniers à pratiquer de la sorte. Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. Beaucoup de DJ’s de ma génération sont restés à la maison pour s’entraîner, acquiert une technique et à essayer d’avoir un minimum de niveau. Aujourd’hui, juste avec un ordinateur et un contrôleur, il suffit que tu classes tes morceaux, tu appuies sur un bouton et les mixes se font tout seuls. Il n’y a plus aucun effort. Visuellement également, il n’y a plus rien. Les mecs ne s’occupent plus que de régler que les infra-basses et les basses. Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long. Ces jeunes aimeraient tous faire ce que l’on fait mais c’est trop long à apprendre. Ils préfèrent aller sur quelque chose de plus rapide et qui est rentable tout de suite.
Dédicace de DJ Fab à l’équipe de Down With This pour avoir pris le temps et avoir eu l’envie de faire cette interview. Big up à tous les résistants qui viennent à nos concerts. Big up à Awer (RIP), Dj Kozi, Kohndo, La Caution, Tonton Steph, MC5, Free Your Funk, Batsh, Fire, Dan de Ticaret, EJM (Etat de Choc), Solo, Papa Lu, Mister Hyde et pleins d’autres que j’aurai voulu aussi remercier, ils savent qui ils sont…

Propos recueillis le 1er mars 2013 par Flo, Nobel et Fati. Photos-archives par © Yoshi Omori et © Alain Garnier
DJ Fab / Hip Hop Resistance (promoter concerts, booking) & Underground Explorer radio on 88.2FM with DJ Kozi (R.I.P Awer) every Sunday to 10pm / Midnight on www.generationsfm.com (Paris, France).
A suivre…
The Doppelgangaz le 31 mars au Glazart (Paris) avec Radikal MC en 1ère partie.
Remerciements à DJ Fab de nous avoir accordé son temps pour réaliser cette interview, précieuse pour la transmission de l’histoire de notre culture. Nous le remercions par ailleurs d’être toujours en activité et au contrôle de ce hip hop vrai et sincère. Remerciements également à Nathalie et Yoshi Omori pour leur aimable contribution (photo de DJ Fab au Globo en 1986) issue du livre légendaire « Mouvement » (co-écrit par JayOne et Marc Boudet, illustré par Yoshi Omori).

LandersSarrazin

Salut à tous les fans de hip-hop ! Je suis Landers Sarazzin, votre référence pour tout ce qui concerne le hip-hop. En tant qu'auteur et passionné fervent de ce genre électrisant, j'ai consacré ma vie à démêler les complexités, explorer les profondeurs et vibrer au rythme des beats qui définissent la culture hip-hop. J'ai découvert que ma véritable passion ne réside pas dans le fait de rapper mais d'écrire sur la musique qui nous émeut. E-mail / Instagram

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