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Bboy Benji – Fight Club

Interviews
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Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant il était temps de dresser un large état des lieux de sa discipline avec lui.

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Photo © Alain Garnier

Il aurait pu rentrer dans les cercles sur la chanson du générique de San Ku Kaï. Car Benji, c’est la bataille. Mais c’est aussi un message. Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant tout le monde le connait dans le milieu du break. Les anciens notamment, qui n’ont eu de cesse de lui reprocher son excès de technique au détriment du feeling. C’est l’éternel débat entre prouesses physiques et ressenti artistique. Pourtant, les pionniers de la discipline ont eux aussi subi de telles critiques à leurs débuts. On connaît la suite dans tous les conservatoires de France et de Navarre ! Sauf que tous les gestes que Benji exécute sont parfaitement dans le rythme de la musique. Reste son attitude ponctuée d’égocentrisme et de provocation, son esprit de compétition et un dépassement de soi exacerbé. En réalité, il est en parfaite adéquation avec l’esprit originel de notre culture hip hop : briller. Car un danseur, ça danse pour briller. Benji est là, prêt comme jamais. On se défie du regard, petits footworks, passe-passe gauche droite, on tape des mains et on lui lance notre première question avec un regard de warrior.

Down With This : A quel moment tu décides de t’entraîner ?
Benji : 1994. C’est la révélation, j’aime le break. Je vais aux Halles tous les jours. J’ai la chance que le meilleur ami de mon frère soit Youval et qu’il soit intégré à la culture. Il connaissait beaucoup de choses et m’a prit sous son aile directement. Il m’a ramené aux Halles et m’a dit voilà, c’est là que ça se passe. C’est là que tu vas t’entraîner tous les jours. Je faisais partie de la génération des petits de Châtelets, les yeux écarquillés quand je voyais un mec qui tourne sur la tête. J’ai commencé comme ça. Comme je kiffais Benny B, je voulais faire la coupole. Tu commences par ça, puis le tomas, après tu tournes sur la tête et au final, tu deviens danseur. Au début, je dansais dans les soirées feuj et les dimanche après-midis dans ma communauté. Au départ, de la danse débout puis j’ai commencé à faire des compétitions. En réalité, j’étais de plus en plus en décalage de la culture de ma génération. Je n’aimais plus faire des shows ou des spectacles. Ce n’était pas excitant. Je me suis donc rapproché de la culture underground parce que j’aimais l’adrénaline de la danse, de la compétition et du contact.

Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4.

DWT : Durant tes débuts, tu choisis quel type de sol pour tes entrainements ?
Benji : Je n’avais pas beaucoup le choix, c’tait les Halles ou le couloir de mon immeuble. Par la suite, j’ai viré mon lit, mon armoire, mes placards et j’ai installé des tapis, j’ai les mêmes depuis 20 ans, increvable. Je les avais acheté à Montreuil, dans un truc de karaté. 500 francs (NDLR : 75 €) les 2 à l’époque. Le vendeur ne comprenait pas, il voulait m’en vendre quarante. Je lui ai dit que je n’avais pas de dojo mais une chambre (rires). J’avais donc ces trois endroits. Les Halles, c’était plus pour garder un pied sur le terrain. C’était une façon de s’essayer. Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4. Une chute sur le marbre, ta tête, ton coude, tes genoux dessus et à la fin, tu deviens un robot. Et comme les choses se réglaient le plus souvent aux Halles, c’était bien d’apprendre sur le terrain. C’était comme dans le football : jouer à domicile.

DWT : Retournons un peu en arrière. Peux-tu nous décrire ton environnement d’origine ?
Benji : Je suis né dans le 19ème arrondissement de Paris. J’ai grandi dans le 20ème arrondissement de Paris, boulevard Davout, entre la porte de Montreuil et la porte de Bagnolet. Je l’ai quitté il y a à peine 6 mois (NDLR : entretien réalisé le 7 juin). Ma mère était secrétaire dans une boîte, rien de particulier. Mon père avait une société de distribution automatique de sodas. Il était frigoriste à la base puis il a dévié là-dedans. C’était pas mal. On n’a pas eu une vie de clodos. On n’était pas trop mal lotis chez nous. Nos parents ont gagné leurs vies. Nous n’avons manqué de rien. Classe moyenne, on partait en vacances une fois par an comme tout le monde.

Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire.

DWT : Quels étaient tes modèles d’enfance ?
Benji : J’avais mes deux frères comme modèle. Un aujourd’hui de 43 ans et l’autre de 50. Eux, c’était à fond la génération H.I.P.H.O.P. (NDLR : ancienne émission de télé sur TF1). Il y a vraiment un écart d’âge balaise entre nous. J’en ai 34. Je n’ai pas traîné avec mes frères. Mes exemples, c’était aussi mes voisins dans l’immeuble. On a un peu grandi tous ensemble. Par chance, les grands de chez moi n’étaient pas des voyous, c’était des mecs biens, tous sportifs et pas mauvais à l’école. Il y avait un breakeur comme Davis Cola qui avait dansé dans H.I.P. L’équipe à Karl (NDLR : l’un des frères de Joey Starr) dans le 20ème, et aussi Youval, un ami à mon frangin. Les copains de mon frère venaient chez moi et parlaient de danse. Je trouvais ça marrant, sympa et je voulais les imiter. Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire. Dans le sport, j’aimais plus regarder la gymnastique ou le patinage artistique que le foot ou les sports collectifs par exemple. Ces sports se rapprochent du break car il s’agit tout le temps de prouesses techniques. Ça m’attirait. J’ai grandi avec des films comme Beat Street, Break Street et toute cette culture des classiques des années 1980. Et puis, il y a eu la révélation Benny B. Je n’ai pas de honte avec ça. C’était les 2Be3 de ma génération (NDLR : ancien boys band français). Ils étaient mal vus par la culture hip hop mais pour ma génération, c’était magnifique. Je vais même être dur pour la génération old school de France mais je suis désolé, ils étaient plus forts en break que les 3/4 des b-boys français de l’époque. C’est sûr à 500%. Que ce soit Aktuel, PCB, ils peuvent s’appeler comme ils veulent, en vérité, c’était des petits rigolos. Les mecs de Benny B étaient meilleurs que les français. Je ne sais pas si Benny B représentait le niveau belge mais ces trois-là étaient déjà meilleurs que tout ceux qu’on avait chez nous. La France a de la chance car je n’ai pas été fouiné plus loin mais ça aurait pu être plus dur (rires). C’était des bons. Et c’était des blancs. Des vrais blancs de chez blancs (NDLR : enfin Benny B était un peu bronzé quand même). J’avais 9/10 ans à cette époque. Je faisais de la hype et quand je les voyais faire ça, ben ça me parlait.

On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Tu gardes quel souvenir de ta période dans le crew Division Alpha ?
Benji : C’était compliqué. Il y avait des différences d’âges. Stiga Rock et Youval sont les anciens du groupe. Après il y a eu Laurent, JC dit Fluber puis Sid Ahmed qui est arrivé avec une idée de spectacle. Quand je suis arrivé, ils étaient déjà dans les spectacles. Il n’y avait que Youval qui voulait faire des battles, sauf que lui n’était pas dans le break. J’étais un peu sa marionnette à ce moment-là. Il m’a pris et il était content que j’aille faire la guerre un peu à tout le monde. Le souci était que les retombées sur le nom du groupe ne plaisaient pas forcément à tout le monde. Ça parlait et ceux qui étaient dans les shows disaient que ça n’avait rien à voir avec ça, que cela pouvait abimer l’image de Division Alpha. On a perdu pas mal de membres comme Sid Ahmed. C’est vrai que les spectacles avaient donné un coup de boost en 96/97. Le groupe commençait à faire des télés genre Graine de Star. Ca faisait un mini buzz sur Châtelet et dans le Game. Moi, j’ai juste fait le Hit Machine derrière. J’étais devenu la figure du groupe, on me voyait le plus parce que je faisais des battle. Le nom de Division Alpha commençait à s’imprégner des battles et les gens venaient de moins en moins voir les autres en spectacle. A ce moment, tu recrutes des mecs qui sont dans le même esprit que toi. Des mecs qui veulent te ressembler parce qu’ils voient que tu sors du lot et que tu es d’attaque. On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris. On était 6/7. On voyageait beaucoup. Ce qui était bien, c’est qu’on n’a jamais était un groupe de charclos. Je vais m’expliquer pourquoi car il faut savoir que le break, c’est une culture de clodos. Y a que des clodos. Ils sont là avec leurs sacs à dos. D’ailleurs, tu reviens quinze ans après ils sont toujours là avec leurs sacs à dos. Il n’y en a pas un qui travaille. Tu ne sais pas comment ils vivent. Ils vont de maisons en maisons, vivent chez des potes. Alors que dans notre groupe, on était tous des bosseurs. On avait tous un boulot et on voyageait grâce au fait de travailler. On m’offrait une chambre double, je demandais une triple ou quadruple et je complétais pour le reste. On partait ensemble. Ça nous a permis de faire connaître le groupe à l’étranger car il n’y avait pas internet à l’époque pour se promotionner. A l’époque, si les mecs ne te voyaient pas devant leurs yeux ou dans une vidéo étrangère, ils ne te connaissaient pas.

Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde.

DWT : Quels sont les styles que tu as pu rapidement développé pour te faire remarquer dans le cercle ?
Benji : J’avais un atout qui soi disant n’en était pas un pour la génération de danseurs d’avant la mienne. Plutôt un handicap apparemment pour eux. Je remercie toujours la génération d’avant d’ailleurs. Ils disaient que mon style était trop rapproché du cirque, que c’était moins b-boying, etc. Finalement, ils l’ont tous pris dans le cul car aujourd’hui, ils dansent tous comme moi et plus du tout comme eux. Comme quoi, ils se sont bien fait niquer la gueule. Dans la vie, il vaut mieux être un berger plutôt qu’un mouton. C’est plus comme ça que j’ai été éduqué. Je dis encore un grand merci à Youval qui est très proche de moi et qui a fait beaucoup de bonnes choses pour moi. Il m’a dit « continue de faire ce que tu fais, fais ce que tu aimes et pas trop ce qu’ils aiment. Eux, on s’en fout, danse pour toi. Je trouve que c’est un atout d’être souple. Fait le, je trouve ça bien ». Il y a tellement de références qui te disent que le Break c’est comme ci et comme ça donc si tu ne sors pas du lot comment veux-tu être original ? Donc j’ai continué mon style très souple et mes trucs dans tous les sens. Ma force, c’est ma souplesse, ma flexibilité et le fait que je créé beaucoup de mouvements originaux. J’adore la recherche et montrer toujours de nouveaux mouvements. J’ai fait beaucoup de vidéos de break sur ça et je suis d’ailleurs un des seuls à en avoir fait à l’époque en VHS avec Paul Belêtre. D’ailleurs avec lui on a fait des trucs de ouf genre on part en Allemagne faire le Battle Of The Year pour vendre des vidéos et on n’avait même pas la vidéo (rires). On faisait des copies chez les breakers. On photocopiait la couv de la VHS pour les vendre et payer nos billets de retour. J’ai eu beaucoup de problèmes au début. Les premiers à m’avoir ouvert le truc c’est les États-Unis quand j’ai fait le Pro Am. C’est une compétition énorme avec une centaine de B-Boy. Quand j’ai fait les qualifications, à tel point que j’étais un inconnu pour eux qu’ils ont m’ont oublié ! J’entends qu’ils annoncent au micro que les qualifications sont finies. Je vais voir Mr Freeze des Rock Steady Crew pour lui dire que je ne suis pas passé. Il me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire. C’était très dur pour moi. Ça m’a cassé le truc mais j’ai quand même pu faire ma démo derrière. Ils ont rappelé les gens et j’ai dû donner le maximum. J’avais prévu des trucs dans la compétition mais j’ai dû les mettre dans le condensé. Ça a bien cartonné. Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde. J’ai fini en finale à la deuxième place. J’ai vraiment eu un parcours difficile. Comme dans une coupe du monde : au début tu mets les meilleurs dans des groupes « faciles » pour retrouver que des bons en finales. C’est un peu ça. Ils m’ont mis que contre des bons en pensant que j’étais le pourri. Ils se sont bien fait niquer la gueule (rires). Ils ne comprenaient rien, petit à petit je les ai défoncé. Ça c’est donc très bien passé. Quand je suis revenu en France, bizarrement la vision avait changée. Les gens disaient à ouais finalement son style ne fonctionne pas trop mal. C’était en 2000. J’avais déjà gagné en 1999 contre les américains. Ça avait fait pas mal de bruits mais c’est à partir de là que ça a vraiment explosé et que mon style a commencé à être un peu partout. On commençait à inviter des français dans les compétitions. Les Rock Steady Crew mon demandé de danser avec eux. C’était une opportunité, un truc de gamin parce que j’avais vu Beat Street. C’est des grands, c’est l’histoire. Y avait tout le monde avec le principe de défier quelqu’un pour rentrer dans le groupe, j’ai trouvé ça bien. C’est une règle que je voulais respecter alors je l’ai fait.

DWT : Contre qui ?
Benji : J’ai dansé contre deux b-boys, Flow Rock et Little Smurf.

DWT : Et alors ?
Benji : Je les ai éclaté. Les pauvres, je les ai envoyé à l’hôpital (rires). Y avait trop d’écarts. Ils leurs ont fait un coup de crasse quand même. Ils sont un peu venus au casse-pipe. Je pense que ça ne devait pas être eux qui auraient dû y aller. Je me suis dit je m’en fous, j’y vais mais ce n’était pas trop valorisant. C’était un rêve. Je l’ai fait pour rentrer dans le truc. Je suis revenu en France avec la grosse tête mais en réalité c’est une banane. Ça ne sert à rien. C’est plus un truc bizness qu’autre chose. Aujourd’hui, le seul qui en bénéficie vraiment des Rock Steady Crew, c’est Crazy Legs. Les autres se sont fait niquer la gueule. Il est beaucoup plus bizness, alors que les autres sont plus culture. Par exemple, l’année dernière j’ai fait une interview pour Arte, cinq émissions avec cinq têtes d’affiches. Le mec me dit « on a un budget de 200 € à 300 € par tête d’affiche. Je lui ai dit franchement vous gagner combien dans cette histoire ? Il m’a dit pas grand-chose alors je lui ai dit garde l’argent et on se fait un resto tous ensemble. On kiffe et le reste vous le gardez. Il m’a dit c’est chammé mais je suis obligé de proposer de l’argent à tous les cinq car il y en a qui nous a demandé de l’argent, Crazy Legs. C’est un mec qui n’en a rien à foutre aujourd’hui de la culture. Pour lui, c’est de l’argent. Il accepte que Red Bull prenne le monopole du b-boying dans le monde parce qu’il lui donne une casquette et de l’argent. Il fait ce qu’il veut.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations. Il n’aime que son argent et les gens qui vont lui apporter quelque chose. Il n’a jamais tiré quelqu’un vers le haut. D’ailleurs ça se voit, il est tout seul, il a jeté tous les Rock Steady Crew. Il dit par exemple dans des interviews que Mr Freeze n’est plus Rock Steady Crew mais pour le monde entier, ça en restera un. Que Crazy Legs le veuille ou non. Si demain Joey Starr n’est plus NTM, pour le monde entier ça restera Joey Starr NTM.

Du point de vue humain, je pense avoir été égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quels sont tes points faibles en tant que breakeur et comment les as-tu contourné ?
Benji : J’étais moins figure dans le break, avec moins de phases. J’avais plus de mal avec ça. Je contrôlais plus mes jambes. Je concentrais plus mon break sur mes jambes. Ça se joue à l’entrainement comme pour tout. Plus tu passes de temps sur une chose, plus tu y arrives. Moi je passais moins de temps sur ça et plus sur ma créativité. Je me démarquais plus par mon style donc j’ai axé plus le truc là-dessus. C’est comme un produit phare dans un magasin, tu le boostes parce que tu sais que ça se vend. Du point de vue humain, je pense avoir était égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quelle est ta spécialité ?
Benji : L’argent (rires). Mes jambes, ma flexibilité, mon originalité. Après je suis un bosseur, que ce soit dans le travail ou dans la danse. Je danse 3/4 heures tous les jours. J’ai une pièce conçue pour ça chez moi. Je danse sur tout, pas spécialement sur du break beat parce que c’est quelque chose qui me saoule. Dans ma recherche, je danse sur des trucs très lents car ça me permet de réfléchir. Parce qu’avec une musique qui te bourre le crâne c’est un peu compliqué. Par exemple, hier j’ai dansé sur la bande originale du film Gladiator. Je m’écarte du Break et du b-boying. La musique est fatigante. On dirait que les mecs n’y arrivent plus. Ils font des remix de remix. À un moment ça va. Je suis saoulé depuis toutes c’est années de danser sur les mêmes sons. Avant, chaque DJ avait ses bandes alors ça changeait. Aujourd’hui tout le monde a les mêmes sons. Y a en moyenne une battle par semaine à Paris. À la fin, tu n’en peux plus. Et puis les DJ sont jeunes et sous-payés donc ils n’auront que les bidons.

Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec.

DWT : Tu as apporté un nouvelle vision dans le break avec ton approche de la danse. Est-ce que tu as également inventé des pas ou des phases ?
Benji : Pleins. Tout ce qui est pied derrière la tête, type Lotus, ça n’existait avant que je le fasse. Les gens ne le faisaient pas. C’était même « anti-break ». J’ai surtout un style particulier. On me parle d’un truc que faisait jeune, le cowboy ou d’autres des trucs que je faisais avec les vêtements. Les gens étaient un peu choqués. Je travaillais beaucoup sur le souffle. Quand tu fais des battles en un contre un, tu travailles beaucoup sur le cardio. Les techniques, ça prend beaucoup de souffle. J’avais compris que les phases avec les vêtements, c’est autant impressionnant pour les gens quand ils ne s’y attendent pas que des figures plus physiques. C’était une façon de gagner des points un petit peu fastoche. Je travaillais comme pour un combat de boxe en étudiant le danseur avant et après. J’allais le chercher en question réponse. J’ai eu de la chance parce que les mecs n’évoluent pas beaucoup dans cette culture. Ils font la même chose depuis pas mal d’années et c’était facile à voir. Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec. J’allais le voir, je dansais et j’avais la question réponse !

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Photo © Alain Garnier

On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé.

DWT : Tu es très critique toi aussi…
Benji : On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé. La plupart n’ont pas aidé les jeunes à avancer. De ce fait, les jeunes ne les reconnaissent pas aujourd’hui. Que ce soit les Aktuel ou d’autres, ils ont fait pas mal de choses pour la culture de leur génération mais aujourd’hui tu les vois où ? Nulle part.

DWT : Si, ils donnent des cours.
Benji : Oui ils donnent des cours mais ils font ce que des millions d’autres font.

DWT : Karima, par exemple, est beaucoup présente dans les battles aussi.
Benji : Karima va dans les Battles mais elle fait quoi ?

DWT : Elle est juge souvent…
Benji : Ben voilà elle est juge mais elle ne fait rien d’autre. Les gens lui donnent sa place parce qu’elle a un certain âge et qu’ils pensent qu’elle va être légitime parce qu’elle n’a pas d’affinité avec qui que ce soit dans le battle. Elle sera une bonne juge mais au niveau de la culture, qu’est-ce qu’elle a fait ? Les gens me font rire. Un exemple tout con, les gens reproche à Youval d’être partout « Ouais ce n’est pas ta place, nous aussi on était là à l’époque, on devrait le faire« . Certes mais il faut faire des choses pour ça. Youval fait presque 200 événements chaque année en animation. Il organise presque 100 battles gratuites par an. Faut le faire quand même. Faut y aller. Faut les faire les dates. C’est du travail. Il se prend la tête à faire des milliers de choses pour les jeunes donc forcément, les mecs reconnaissent qui après dans cette culture ? Ben ils reconnaissent Youval !

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait.

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait. C’est con mais dans cette culture de l’électro si il n’est pas là, ben les mecs ne s’entraînent plus parce qu’ils n’auront plus d’échéances, plus de dates, plus d’événements, ils ne peuvent rien faire. Ils sont contents de l’avoir. Si tu n’es pas présent à faire quelque chose les mecs t’oublient. C’est con à dire mais la génération d’aujourd’hui, qu’est ce qu’elle fait ? Elle tape sur internet b-boy 2015, 2016. Elle ne va pas taper 82, 84 ou 90 c’est évident. A moins d’éduquer les jeunes sur l’histoire de cette culture pour qu’ils s’en imprègnent, comment voulez-vous qu’ils sachent ? C’est impossible. Moi je ne le fais pas et je ne donne pas de cours, je n’aime pas ça. Je transmets par ma danse, je laisse des traces en la faisant évoluer. La seule chose que j’aime faire dans la culture, c’est la garder underground, comme elle était.

DWT : Les plus jeunes pourront te reprocher à leur tour ce que tu reproches aux anciens…
Benji : Peut-être mais je suis actif. C’est à dire que les gens me voient tout le temps. Je fais des événements, des battles tout le temps. J’ai gagné un battle avec les américains il y a à peine trois semaines à Varsovie. Je repars aussi cet été.

C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre.

DWT : Te souviens-tu de ton premier battle ?
Benji : C’est une colle. Je pense que mon premier battle « dur », c’était contre Dedson des Wanted, aux Halles. Mon premier vraiment chaud et le premier qui a réuni beaucoup de monde à Châtelet. C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre. C’était préparé, des mecs de Marne la Vallée contre des mecs de Paris. Ils sont arrivés à 200 ! Ça a remis un coup de boost à Châtelet. Tous les weekend d’après, il y avait des trucs. Les étrangers qui passaient à Châtelet disaient « il est où Benji ? Faut l’appeler, il va danser ». Ils savaient que nous, on y allait. Il y en a eu plein mais mon premier vrai gros « officiel », c’était celui-là. Il n’y en avait pas avant, ça n’existait pas. Les mecs dansaient les uns contre les autres mais il n’y avait pas de grosses têtes d’affiches qui faisaient dix passages l’un contre l’autre. J’ai marqué mon temps par ces choses-là, l’arrogance et les battles.

DWT : A l’image du rap actuel et à tes débuts, est-ce c’est toi qui a ramené les punch-line dans le break en France ? La phase forte qui fait mouche d’un seul coup…
Benji : C’est carrément ça. Au début des battles, on appelait ça des « guet-apens ». On allait chercher celui qui brillait. Voilà, tu dis que tu es fort, ben nous, on veut voir. Nous, on était malins parce qu’on s’entraînait grave pour ça. Je n’allais pas chercher des mecs qui pouvaient m’exploser. Je ne suis pas un couillon. J’y allais progressivement. À la fin, j’avais un des plus hauts niveaux, donc tu es obligé d’aller chercher les têtes d’affiches et c’est pour ça aussi que les gens respectaient notre parcours. Ils disaient « ouais, Benji va toujours au charbon en allant chercher les bons ». C’est important. Ça a marqué l’histoire et puis les mecs, ils te suivent. Il y avait quand même des gens qui trouvaient ça violent en disant « ce n’est pas cool, on ose plus venir à Châtelet parce qu’on se dit qu’on peut venir nous chercher et danser contre nous ». Et d’un autre côté, les mecs qui venaient te voir pour te demander « alors c’est qui le prochain ? ».

Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! (…) On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

DWT : Selon toi, Benji VS Junior (2002) plus belle battle de rue de l’histoire du hip hop en France ?
Benji : Je pense que c’est la plus belle de l’histoire. Dans l’underground, c’est la plus belle affiche qu’il y ait eu. Déjà, la manière dont ça s’est fait, c’était incroyable. Ça a réuni un monde phénoménal au Forum des Halles. On n’avait jamais vu ça. On n’était pas loin de mille personnes sans médias pour diffuser ça à l’époque. C’est aussi le commencement pour des centaines de breakers qui ont débuté grâce à la vidéo de ce battle. Pour eux, c’était la révélation. Ils avaient envie d’être au milieu. C’était un peu considéré comme l’arène. Les Wanted venaient de gagner le Battle Of The Year 2001. Après mon Battle contre Dedson des Wanted, on se respectait beaucoup plus que beaucoup d’autres qui parlaient mais qui n’étaient jamais au milieu. Au final, tu respectes les guerriers, les Warriors. C’était devenu des proches alors qu’à la base on était complètement ennemis. Je les ai appelés après le BOTY pour les féliciter. Je leur ai dit que j’étais content pour eux. Et d’un coup, Djaguy me dit que Junior veut me parler. Je ne le connaissais pas. C’est un mec de Rennes à la base. Il était très fort, très connu, avec un style atypique parce qu’il a un handicap des jambes qui lui permet de faire des choses incroyables. Il a eu une Polio. Il fait des pompes à la parallèle du sol sans ses jambes et sans forcer pour dire à quel point le physique, c’est autre chose ! Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! On était mardi. Il me dit « comment ça ? » Ben samedi ! « Non mais je suis à Rennes, je ne peux pas, j’ai un spectacle ». Mais on n’en a rien à foutre de ton spectacle. Rien à branler vu que tu as une grande gueule. Tu as gagné aujourd’hui alors tu fais le beau. Repasse-moi Djaguy. Tu diras à ton petit que samedi, il doit être prêt. « Pardon ? Je n’ai pas suivi ». Allez, salut Djaguy. Et je raccroche. À partir de là, Junior était persuadé dans sa tête qu’il n’allait pas venir. Il a dit à tout le monde « je ne peux pas, je suis en spectacle ». J’ai dit à Youval : « écoute on va voir si là, tu es puissant. Tu envois la purée au maximum, la pub partout, c’est sûr, c’est samedi« . Et Youval a fait une de ces com’ mon pote ! Dans toutes les salles de danse, partout ! Youval est bon, il arrive en embrouiller les cerveaux, d’ailleurs il embrouille le mien tous les jours. La veille, on a dit à Junior, c’est simple, si tu veux, tu ne viens pas mais après tu assumes. Nous, on s’en fout. Tu feras partie de ceux qui ont chié sur eux et pas voulu venir. Et il est venu. Il n’avait pas le choix. Il a tout annulé. La technique c’était quoi ? Je savais que c’était quelqu’un de très fort et qu’il avait des choses que je ne pouvais pas faire. Je ne pouvais pas le suivre dans ce qu’il faisait. Le but était de lui donner le moins de temps pour qu’il s’entraîne parce que je savais que j’étais prêt à ce moment-là. Va falloir aller au charbon et c’est tout ce qui compte. Quinze passages, c’était très long. La police était là. On m’a dit au début faut évacuer les lieux. Mais monsieur avec tout le respect que je vous dois, je ne vais pas pouvoir. C’est au-dessus de mes moyens. C’est gens-là sont venu voir un truc qui va durer une demie heure. Si vous ne les laissez pas kiffer, ça risque d’être dangereux. Je connais la moitié de la salle, c’est des danseurs. Mais les autres, je ne les connais pas. Je ne sais pas de quoi ils sont capables. Ils étaient venus avec des mecs de Marne la Vallée un peu chauds, plus venu pour gueuler et foutre la merde que pour la danse. Ben c’est parti en bagarre. Ça c’est bien passé jusqu’aux dernières minutes où c’est parti en cacahuètes. Le principal est que Junior soit venu. On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Abordons le sujet qui fâche. Pourquoi cela ne se fait pas avec Lilou ? Tu as les vraies raisons ?
NDLR : Pour des raisons qui appartiennent à Benji, ce dernier ne souhaite plus communiquer sur cette histoire. Fait rarissime dans nos publications, nous avons supprimé sa (longue) réponse. Nous respectons sa position et présentons nos excuses à nos lecteurs.

DWT : Que penses-tu de l’image du juif contre l’arabe que ça a donné toi et Lilou ? Voir même l’identification au conflit israélo-palestinien, drapeau israélien contre keffieh, qu’on a pu entendre…
Benji : Mes parents sont tunisiens… Rien à voir. Je ne suis pas trop dans ces trucs-là. Je ne rentre pas dans ces délires. Je l’ai défié parce qu’il copiait mes mouvements et surtout parce qu’il ne m’a jamais reconnu. Dans toutes ses interviews auparavant, il disait qu’il avait inventé ce style alors que tout le monde sait que c’est faux dans ma génération. Et puis c’est débile. Faire une guerre contre ça, c’est débile. On doit être trois feujs dans la culture. Si on commence à faire le truc feujs/rebeus, on est mort. On ne va pas tenir trois minutes. Je n’avais pas besoin de ça pour faire la promotion du truc, tout le monde sait qui est Lilou et qui est Benji. Ce que vous venez de faire par exemple avec cette question, lui refuse de répondre. Il demande aux gens de ne pas lui poser cette question parce qu’il ne veut pas répondre sur le sujet. Pour lui, c’est compliqué. Moi, je réponds. Je suis libre.

Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ».

DWT : Pourquoi tu attaches tant d’importance à l’aspect underground de cette culture ?
Benji : J’aime l’underground. Attention, j’aime aussi la culture actuellement mais ce qui ne me plait pas, c’est qu’ils ont oublié l’underground. Par exemple, il n’y a plus personne qui danse gratuitement. Tu défies quelqu’un dans un Battle, il te dit « mais y a quoi à gagner ? Mais qui est le DJ ? Mais c’est où ? Mais je suis logé ou ? Mais je gagne quoi ? » Mais mon garçon, calme toi ! En plus, ils te parlent comme si c’était des super stars. Je vous explique, c’est des clodos. Ils gagnent deux cent balles. Le BC One qui est une grande machine internationale, ils envoient des mecs sur la Lune à trois cent millions de dollars. Ils font des trucs ouf, 120 qualifications pour le BC One et le gagnant remportent 5 000 € dans leur battle !? C’est une misère. C’est se foutre de la gueule des gens. Ils m’ont proposé d’être BC One All Stars mais je leurs ai dit « vous êtes des comiques ». C’est le siège de Red Bull avec toute l’équipe de JP. Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ». Je leur ai dit : vous êtes des clowns. Tellement que vous êtes des clowns, vous regardez votre superstar se tordre la cheville et vous allez voir la concurrence en face pour tenter de rapatrier quelqu’un d’autre. Vous parlez d’être une équipe mais vous êtes des menteurs. Votre gars tombe vous allez en chercher un autre ? Vous avez besoin de briller alors vous avez besoin des gens qui brillent. Red Bull a compris qu’il n’y a pas dix balles à gagner dans la danse mais ils laissent un pied dedans pour dire on est dedans. Comme ils n’ont pas une grosse concurrence, ils sont tranquilles. Si toi et moi, demain, on organise un battle avec 10 000 € à gagner, on est au-dessus d’eux déjà. Il ne faut pas oublier que ce sont des vendeurs de cannettes. La plupart des mecs que j’ai tapé ces dernières années, c’était des mecs de chez Red Bull. Je le fais exprès pour montrer que leurs supers champions, c’est de la daube. Tu peux avoir 12 ou 25 ceintures, ben tu peux tomber à n’importe quel moment.

DWT : Et Mounir, tu as été le chercher ?
Benji : Non je ne vais pas chercher tous les danseurs Red Bull non plus. J’ai quand même des affinités avec certains. Mounir, c’est quelqu’un d’extraordinaire. C’est un gentil garçon, c’est un mec bien. Je n’ai jamais eu de problèmes avec lui. Mounir, c’est au-delà de la danse, je connais ses grands frères, les Vagabonds, avec qui j’ai grandi et que je respecte parce que c’était un groupe d’attaque, qui était sur le terrain. Ils sont là depuis des années et ils on fait évoluer les choses. Mais dès qu’il y en a un qui parle un peu chez Red Bull, je le tacle c’est normal.

DWT : On sait où est Red Bull mais l’underground, il est où maintenant ?
Benji : Ben je vous le demande. Le 104 par exemple, c’est le nouveau Châtelet, il y a des milliers de danseurs mais il ne se passe jamais rien. Tu peux y aller matin, midi, et soir, il ne se passe jamais rien. Ils s’entraînent. C’est une salle d’entraînement. J’étais à Varsovie, il y a quelques semaines, tu rentres dans une salle de 300m2 où il y a les seize meilleures équipes, il ne se passe rien non plus. Attention, sur le net, ça y va : « quand je croise Benji je le défonce, je le fume » et toi t’es là, et il ne se passe rien ! De ma génération, c’était impossible. Ils n’ont plus la culture de nos jours. Ce n’est plus dans les mœurs. Les mecs ne le font plus. Avec Youval on a essayé d’organiser ça. On a essayé de créer des têtes d’affiches. Tu proposes à Pierre, il te dit contre qui je danse ? Ben c’est toi qui choisis. « Non trouve moi un mec ». Déjà, t’as compris. Ben vas-y, tiens, lui par exemple. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Tu proposes à l’autre. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Les deux se trouvent pas terrible alors justement défoncez-vous si vous ne vous trouvez pas terrible. « Ah oui, mais c’est quoi mon intérêt ? » Voilà, les mecs n’ont pas envie. Il préfère remettre la faute sur un juge quand ils ont perdu dans une compétition. « Oui le juge n’était pas terrible. Le DJ était pourri, le sol était ceci cela ». L’underground s’est perdu. J’essaie de faire revenir le truc parce que je vois qu’il y a une demande quand je fais un événement. Quand je critique Red Bull, ils sont des milliers à liker et à partager. Quand j’ai été convoqué chez Red Bull, le mec me dit « bah dis donc, elle n’a pas fait beaucoup de bruit ta dernière vidéo ». Je lui ai demandé si lui l’avait vu. « Ouais ! » Ben c’est tout ce que je voulais. C’est le principal, c’est toi qu’on voulait toucher. On s’en fout de toucher Pierre, Paul, Jacques ou le mec qui fait du violon chez lui. C’est toi qu’on a envie de secouer.

Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi.

DWT : Est-ce que le fait d’être de confession juive a déservi ton image dans le milieu du break ?
Benji : Il y a eu du racisme, c’est sûr. Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi. Derrière, ils critiquent un peu, c’est le jeu. Si je m’arrête sur ça, je ne danse plus. Je fais autre chose. J’irais travailler dans une synagogue si je voulais faire dans le communautarisme. J’ai choisi le break, je savais qu’on était trois sur des millions. Il y a des gens qui disaient que Division Alpha, c’était un groupe de juifs. C’est faux il n’y a que des rebeus. C’est plus facile de dénigrer avec des trucs simples comme ouais c’est un juif. Peut-être que ça les fait chier qu’on ne soit pas nombreux et qu’on entend beaucoup parler de nous. Comme Youval et moi, on est proche on en entend beaucoup nous aussi on va faire comme vous, les feujs, pour que ça fasse parler. Ce n’est pas raciste mais ils mettent le côté communautaire en avant. Je n’aie jamais ressenti de malaise avec ça. Ça m’a toujours passé au-dessus de la tête. Je suis un mec traditionaliste mais pas pratiquant de ouf. Vous voyez bien je suis tatoué. Quand tu es un artiste, tu ne rentres pas là-dedans. En tout cas, pas aux yeux des gens. Tu le fais pour toi. C’est du cinéma. Lundi tu représentes l’Algérie, mardi la France, frérot tu sais plus où t’es. Moi, je représente la France. Je suis né là. J’ai été trois fois en Israël pour des vacances. J’ai été plus de fois aux États Unis où j’ai une maison à Miami que là-bas.

DWT : Tu évoquais tout à l’heure le Rock Steady Crew. On te sent très proche de Mr Freeze. Comment vois-tu les efforts qu’il entreprend pour les battles underground ?
Benji : Il est humble. Il n’a pas honte de s’auto-charrier. Il dit la vérité sur plein de choses et je trouve ça respectable. C’est une superstar dans les années 80 qui n’a pas laissé énormément de traces. Il n’a pas baissé pas son pantalon mais il est resté trop underground. Il est trop arriéré Freeze. C’est une bombe de mec. C’est mon super pote que j’adore mais il n’arrive à sortir sa tête de l’underground et à faire les choses plus professionnelles. Il veut trop que ça se fasse de la main à la main, à la confiance mais les choses ont évoluées, ce n’est plus comme ça, c’est devenu un bizness. Quand il aura réussi à s’associer avec de bonnes personnes, pourquoi pas. Il avait réussi à s’associer avec Vitamine Water, il a pu mettre 50 000 $ mais le problème, c’est qu’il a fait son battle à Las Vegas et que c’est le bout du monde. De nos jours c’est malheureux à dire, mais l’Europe a plus de pouvoir sur les battles.

DWT : Il voulait l’organiser sous la Tour Eiffel…
Benji : Il veut le faire à l’arrache. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Ce n’est pas possible. Il n’aura jamais l’autorisation. Nous, déjà au Forum des Halles, on s’y entraînait tous les jours donc les mecs avaient l’habitude sauf qu’à un moment on était mille. Les commerçants se plaignaient de payer des loyers alors que 400 noirs et arabes venaient devant foutre le bordel en dansant et en criant. J’allais voir les mecs dans les restos pour leur dire : on s’excuse, ça ne va pas durer longtemps. Mais faut voir comment ils nous envoyaient balader avec des « cassez-vous de là ! ».

DWT : D’où l’idée du centre hip hop des Halles ! (rires)
Benji : Ça n’a plus rien à voir. Il ne se passera jamais rien. Je trouve ça bien parce que ça va avec l’évolution pour que les jeunes puissent s’exprimer. Je pourrai danser là-bas mais de toute façon, la culture est morte. Les choses ont changées. Tout est encadré aujourd’hui. On est maintenant dans un pays où il se passe pas mal de problèmes. On ne peut plus faire un attroupement et faire un battle sauvage comme ça dans la rue. Ce n’est plus possible. Quand tu as des mecs qui posent un poste sur les Champs (Elysées) pour faire un show, au bout d’un quart d’heure les flics viennent. Mes potes se font confisqué un poste par mois. Ils ne les rendent pas. Tous les mois, ils doivent racheter un poste. Comment veux-tu organiser un truc sauvage ?

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Photo © Alain Garnier

Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours.

DWT : Parle-nous de ton expérience dans le cinéma, ça a fait aussi polémique dans le mainstream et la vulgarisation du break…
Benji : C’était cool. J’ai grandi avec la culture Beat Street, Break Street donc faire un film, c’était un rêve. Mais je me suis fait niquer la gueule. Quand on m’a présenté le script du film de Bianca Li, je le voyais comme un film hip hop pur. Après, quand tu vois le montage et les scènes qui sont tournées, comme par exemple la scène où elle fait des effets spéciaux et elle tourne sur le doigt… C’est des choses sur lesquelles j’ai essayé de me battre mais je n’ai rien pu faire. D’ailleurs, j’ai été au tournage de cette scène. Bianca Li est très maligne. Je ne travaillais pas ce jour-là. Ils m’avaient donc laissé 3 ou 4 jours off. Mais j’avais dit que je voulais venir voir quand même parce que j’avais un doute. Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours. Je vois que ça va être un truc dégueulasse où elle va tourner sur la main en sens inverse de la logique de la chose et après tourner sur le doigt, un truc qui n’existe pas, complètement débile. Sur le plateau, je lui ai dit que je ne comprenais pas ce qu’elle était en train de faire. Toi, demain, tu te casses, tu retournes dans le flamenco mais nous, on vit avec et dans cette culture. Il faut qu’on assume ce truc-là derrière nous. Elle m’a dit : « non, j’en ai rien à foutre, c’est mon film, je fais ce que je veux ». Alors directement après, j’ai sorti la première Flexible Fury. Je me suis dit que si je ne fais pas rapidement un truc dans l’underground, je ne suis plus crédible. Au final, c’était une bonne expérience de faire un film, j’ai kiffé. Je serai chaud pour en refaire un autre sauf que cette fois-ci, on ne me niquera pas la gueule.

DWT : Tu as également un projet de livre avec un grand monsieur de cette culture, JayOne, qui est sur les rails. Tu peux nous en dire plus ?
Benji : On est en train d’écrire le livre. C’est Jay qui le fait. C’est un artiste, le black Picasso. Bon, il ne sait pas dire non. Il dit oui à tout sauf qu’il faut le tenir (rires). Je le motive et il me suit sur toutes mes vidéos où il m’aide pour pleins de choses. Ce livre parle de ma vie en globalité, de ma culture juive jusqu’à maintenant. Comment un petit feuj arrive dans cette culture. On est aussi en pourparlers sur l’ouverture d’une galerie d’art en tant qu’associés pour exposer des gens.

DWT : Tu t’étais lancé dans la création d’une marque de vêtements également…
Benji : Elle s’appelait Détail. Elle a pas mal fonctionné mais j’ai revendu mes parts tout de suite. J’ai fait monté le truc et j’ai revendu parce que c’est vraiment un métier à part entière. Faut être intègre. Je n’ai pas le temps avec mon travail et la danse. J’avais beaucoup de vue pour faire monter la sauce et revendre pour gagner un peu de sous. Mais pour faire une marque, faut vraiment être à fond.

DWT : Est-ce que tu partages les valeurs de l’Universal Zulu Nation d’ Afrika Bambaataa ? Est-ce une organisation à laquelle tu es sensible ?
Benji : Pas du tout. …Enfin je vous dit une connerie car dans la Zulu Nation, il y a des vraies valeurs mais je n’en suis pas proche. Je n’ai pas grandi avec ça. J’avais du respect pour Bambaataa par rapport à Beat Street et parce que c’était le Zulu King mais sinon… Entre nous, la Zulu Nation, ça touche très peu de gens en France. Ça n’a pas un impact assez balaise sur la culture en France pour que je m’y intéresse vraiment et que je m’y mette à fond. Et puis la Zulu Nation en France vis à vis du break, qu’est-ce qu’ils ont fait ? A part des chapters éparpillés, il n’y a pas grand-chose.

Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop.

DWT : Quels sont les conseils que tu pourrais donner à des jeunes qui se lancent dans le break ?
Benji : Rester authentique. Souvent j’entends qu’il faut rester dans les critères pour les jurys mais je trouve que ce n’est pas important tout ça. Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop. Le BC One n’est pas le seul chemin. Etre bien entouré aussi, c’est important. Je trouve que les jeunes sont souvent mal entourés. Et surtout, important, ne pas espérer vivre de la danse parce que c’est un mensonge permanent. Les mecs voient Lilou ou d’autres gagner 2 000, 3 000 balles par mois, ils ont l’impression que c’est le bout du monde alors que ce sont les mieux payé de tous. C’est de la merde. Même eux qui sont les mieux chez Red Bull sont loin de s’enrichir. Les mecs sur les Champs doivent gagner autant.

DWT : Tu écoutes quel type de musique ?
Benji : J’écoute des trucs de fous. Du rap français, du rap américain, de la house. J’aime bien Booba, Lacrim, tous les clichés du moment, Kaaris. Je suis comme tout le monde. On me bourre le crane à la radio et au final j’aime bien. J’aime le rap américain parce que je vis la moitié de l’année à South Beach Miami. J’aime grave la culture hype des années 90.

DWT : Qui est le plus technique en France pour toi ?
Benji : Aucune idée. Gamin, j’étais impressionné par Ibrahim Dembélé.

DWT : Quel est selon toi le meilleur crew de l’histoire ?
Benji : Sur le nom, Rock Steady Crew. J’aimais bien Ground Zero mais pas pour les mêmes raisons. C’était un grand groupe de guerriers. J’étais plus fan des Rock Steady et de Rock Force Crew, qui était de ma génération et avec qui j’ai dansé. C’était mes idoles. C’était un rêve de danser avec eux. J’ai gagné avec eux il y a quelques semaines à Varsovie. On a refait l’équipe d’il y a dix ans. C’était une manière de dire aux petits jeunes : « hey, les papys vous ont botté le fion ! ». On était contents.

DWT : Meilleur danseur toute époque confondue ?
Benji : Ken Swift a fait partie des tueurs. Il a fait le début et il a fait la fin. Il est toujours là. Il a fait du sauvage, il n’a jamais dit non. Et il fait partie de mecs qui n’ont pas craché sur les nouvelles générations.

DWT : S’il a une collaboration que tu souhaiteras faire, laquelle aimerais-tu ?
Benji : J’aimerai rencontrer Chino. J’aimerai parler avec lui pour comparer les galères qu’il a eu avec sa religion et ses machins. J’aimerai rencontrer pleins de gens en fait.

On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse.

DWT : Au final, comment qualifier ta détermination ?
Benji : Je suis un mec déterminé. J’arrive à me mettre un objectif. Je me mets dans la tête tout le temps une barrière à atteindre qui est au-dessus de moi. Ça va être dur mais je vais l’atteindre. C’est un peu ça mon truc, il faut toujours voir au-dessus sinon tu n’avances plus. Je ne me mets pas de barrière genre j’ai 34 ans, c’est fini. J’aime ma liberté, c’est pour ça que j’aime mon métier de serrurier. Je patrouille et à tout moment, je peux aller m’entrainer. Ma liberté, c’est aussi d’aller chercher les mouvements que je veux. Il y a beaucoup d’identités différentes dans le break. Regarde dans le patinage artistique, ils ont pleins de figures imposées. On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse. Beaucoup de danseurs dansent pareils maintenant. Ils ont vu tellement de vidéos. En vérité, ils sont dans l’ombre de quelqu’un. Mais avoir son style et être reconnu grâce à lui, c’est très important.

DWT : Pour conclure, tu penses avoir marqué l’histoire de la danse hip hop ?
Benji : Si vous faites une interview de moi aujourd’hui, c’est que j’ai dû la marquer un peu (rires). J’ai marqué chaque danseur différemment. Certains d’entre eux n’aimaient pas forcément mon style mais avaient peut être du respect pour mon engagement. Ou du respect pour le fait que j’ai fait des battles sauvages et que je défende autant l’underground. Je le vois ces dernières années, il y a des mecs qui me suivent et qui disent : « je ne suis pas spécialement d’accord avec Benji mais sur certaines choses, je le suis et je le rejoins ». D’autres affirment qu’ils ne sont pas fans de mon style mais reconnaissent que je le fais bien et mieux : « c’est normal car c’est lui qui l’a inventé ».

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Photo © Alain Garnier

Interview réalisée le mardi 7 juin 2016 par Fati, FLo et Alain Garnier / Photos par © Alain Garnier.
On en place une spéciale pour l’excellent Paul Belêtre, le réalisateur fou (narvalo, branche le micro de la XL1 la prochaine fois) et à b-boy Junior des Wanted : Qui a gagné en réalité ?

Finale BOTY 2016 : Triplé historique pour Melting Force !

Actus
freeze, Wanted

Melting Force remporte le titre de Meilleur Show 2016, la finale du battle contre Fantastik Armada et obtient la 1ère place au 1VS1.

Bboy-Nasso-Battle-of-the-Year-BOTY-2016---Down-With-This-DWT-Magazine

Bboy Nasso (Melting Force) – 1VS1 – Battle of the Year 2016

A l’issue de la 16ème édition du Battle of the Year au Zenith sud de Montpellier, opposé à Fantastik Armada (Meaux), le crew Melting Force de Saint-Etienne a été déclaré vainqueur par le jury, composé cette année de Storm, Roxrite (Redbull Allstar), Jey (L.O.), Neil (Vagabond Crew) & Salim (Pockemon/Arabiq Falvour). Les stéphanois Melting Force auront donc marqué cette édition par un triplé historique : Meilleur Show, 1ère place au Battle et 1ère place au 1 vs 1, grâce à bboy Nasso au top de sa forme.

« Nous somme fiers de cette double victoire ce soir et de celle d’hier soir. C’est une revanche sur 2013 où nous avions gagné le meilleur show et la 1ère place. Fiers aussi de cette équipe intergénérationnelle et 100% stéphanoise, qui regroupe  4 générations de bboys : ceux qui m’ont appris, la mienne, ceux à qui je transmets et les kids qui arrivent en force. » confie bboy Sosso. Melting Force a rendez-vous le 26 octobre prochain à Essen (Allemagne) avec les meilleurs crews de la planète pour le Finale Internationale du Battle Of The Year 2016.

Belle rencontre hier également pour le 1VS1 bboy et le 2VS2 bgirls : les 16 meilleurs bboys et les 16 meilleures bgirls de France avaient rendez-vous hier . La finale 1VS1 a opposé bboy Khalifa (vainqueur de la qualification Région LRMP) à  bboy Nasso (Melting Force – St Etienne), et c’est bboy Nasso qui a gagné son ticket d’entrée pour la grande finale internationale en octobre prochain à Essen (Allemagne), où il affrontera ses homologues issus de plus de 25 pays. Cette victoire lui permet également de se qualifier pour le battle « Undisputed », qui regroupe les 16 meilleurs bboys mondiaux. Côté bgirls, Akness & Kami (Yeah Yellow) remportent cette année encore le titre. Elles représenteront la France lors du 2VS2 au BOTY International, en octobre prochain à Essen (Allemagne).

A propos de Melting Force
Créé en 1999, le crew Melting Force est aujourd’hui composé de 4 générations de danseurs et de danseuses, allant de 8 à 32 ans. Depuis plusieurs années, le collectif met un point d’honneur à la compétition. Melting Force s’est donc forgé une grande réputation dans le milieu des Battles en France et à l’international. C’est une équipe expérimentée qui s’est présentée cette année au Battle Of The Year France. Également une association, Melting Force Pro Dancers tend à développer la Culture Hip Hop à Saint-Etienne et dans ses alentours par le biais de la transmission, de la création artistique et de l’organisation d’évènements autours de la Danse Hip Hop. A noter que Melting Force organise le 18 juin prochain à Saint Etienne la Melting Cup : un battle 3vs3 et un battle Kids. Rendez-vous salle de l’Ancienne Ecole des Beaux-Arts dès 14 heures.

Battle of the Year France 2016

Agenda
freeze, gabin, Wanted posse
Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au Battle Of The Year International.
Organisé par l’association Attitude, le Battle Of The Year France est de retour à Montpellier ! Cette 16ème édition de la plus grande manifestation hip hop française aura lieu le samedi 21 mai 2016 au Zénith Sud de Montpellier. Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au Battle Of The Year International qui se déroulera le 29 octobre 2016 à Essen (Allemagne). Animée par les speakers Maleek (France) & Fourmi (Zulu Nation Belgique) et ambiancée par les DJ’s Taj Mahal & Keysong (France), la finale BOTY France 2016 opposera les crews 38 de Fièvre (Toulouse), Ematom (Lyon), Fantastik Armada (Meaux), KLA (Calais), Indigènes (Vauvert), Melting Force (St-Étienne), AZS Crew (Lille), Brigands Crew (Réunion), Soul Fire (Lyon), SNT (Caen), Yeah Yellow (Paris), Wolsgang (Lyon) et le Crew Mayotte. Juges : Storm, Roxrite (Redbull Allstar), Jey (L.O.), Neil (Vagabond Crew) & Salim (Pockemon/Arabiq Falvour). A noter la conférence de bboy Mounir (Vagabond Crew) sur sa vision du breakdance et la tenue de plusieurs showcase : HWE par bboy Mounir, Cie Breakin’ House (Breakin’ School – Toulouse) ainsi que le Bboy Cypherz.
Finale Battle of the Year France 2016
Samedi 21 mai 2016 – A partir de 17 h 30
Zénith Sud Montpellier
Affiche Battle of the Year - BOTY 2016 FRANCE - Down With This - DWT Magazine

Wanted Posse et West Gang (France) remportent la grande finale du Battle Cercle Underground !

Actus
freeze, gabin, Wanted posse

Le judicieux choix des équipes internationales a apporté un véritable élan de fraicheur et de nouveauté pour cette onzième édition.

Mettre en avant l’art hip hop et les cultures urbaines en valorisant la France au niveau mondial, et faire rayonner la région parisienne à travers un événement fédérateur : voici des objectifs que les organisateurs du Cercle Underground ont rempli avec succès cette année. Petits et grands, connaisseurs ou amateurs, danseurs ou encore simples curieux se sont mélangés ce 16 avril dans une ambiance cordiale où chaque danseur était libre de s’entraîner face à ses futurs adversaires dès le début de l’événement. C’est dans cet esprit de partage et d’échange artistique que le public a pris place au coeur de l’Académie Fratellini.

Les entraînements ont ensuite laissé place à l’affrontement des battles durant lesquels chaque danseur a défendu les couleurs de son équipe avec conviction et bon esprit de jeu. Le tout menant jusqu’au jugement final d’un jury de poids : Yaman (danseur break et chorégraphe), Alesya (danseuse house russe), Icee (danseur hip-hop et chorégraphe), Nelson (danseur pop).

C’est grâce à deux équipes que la France a encore une fois réussi à affirmer son niveau : WANTED POSSE (équipe break) et WEST GANG (équipe poppin’) ont remporté la onzième édition du Cercle Underground aux côtés de deux autres équipes japonaises en Hip hop et House (les JAPAN TEAM). Nous saluons les organisateurs, Hagson et Muse Artistic Agency, pour la qualité et la tenue de cet événement hors pair.

Wanted Posse, durer pour concevoir

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Il n’est pas rare que dans un battle, un juge soit amené à juger un autre danseur alors que ce juge a pu tomber contre lui dans un battle quelques mois auparavant. Humainement, il y a déjà quelque chose qui peut poser problème. On peut donc se demander si les résultats sont vraiment impartiaux…

Wanted Posse est entré dans l’histoire. La récente célébration de leur 20ème anniversaire à la Grande Halle de La villette a démontré que cette compagnie est l’une des plus novatrices du monde. Performance, partage, rigueur, respect, humilité, humour : ils ont su conquérir haut la main, deux soirs de suite, une salle bondée de plus de 1400 personnes. Deux dates mythiques aux côtés des Vagabonds, autres champions du monde et rivaux d’un temps. L’équipe originaire du 77 sait faire la différence depuis sa création. Un palmarès impressionnant : premier crew français champion international (BOTY 2001), vainqueurs à de multiples reprises du Juste Debout (2003, 2004, 2006, 2007, 2009, 2012) ou encore récemment vainqueur du World Dance Colloseum Japan (2012) et du BBoy Contest (2013). On retiendra également des battle historiques (dont Junior vs Benji – 2002). Le posse signe ainsi un parcours définitivement époustouflant, à l’image de la qualité de leurs prestations. Quoi de mieux que de finir l’année en beauté avec un crew qui fête comme nous son 20ème anniversaire ? Teneur en valeurs et transmissions garanti. Vous y découvrirez les clés de leur réussite mais également leur opinion quant au sujet ultra-polémique du moment à propos du diplôme d’Etat relatif à l’enseignement de la danse. Une rencontre à l’Atelier du cuir, situé à quelques pas du Chapiteau Annie Fratellini, à Paris qui a accueilli le 16 décembre 1989 un concert mythique durant lequel Assassin, Suprême NTM, New Génération MC’s, Timides & Sans Complexes et EJM se partageaient les micros. L’histoire continue de s’écrire.

Down With This : On va commencer par un point commun que nous avons ensemble, un 20ème anniversaire…  Alors, ça fait quoi d’avoir 20 ans ?
Yugson :
On est content d’être là, toujours ensemble. C’est fort parce que personne ne l’a fait en France. C’est rare dans la danse.
Kimson : Il y a même des mariages qui ne durent pas vingt ans. Le groupe tient et on se fait encore plaisir, comme au début.
Hagson : On est le seul groupe dans notre discipline à continuer avec le même noyau dur que celui du début. Les personnes sont là. On est une famille et c’est la particularité du groupe, la base de tout.

DWT : Pouvez-vous nous retracer dans quel contexte se crée votre compagnie ?
Yugson :
On vient pour la plupart du 77 et du 93 mais aussi de Saint-Malo, Clermont-Ferrand, Rennes, Lorient. Il s’agit au départ d’amis de quartiers, avec Badson, Jackson… C’est Amada Bahassane (Badson) qui nous a fait nous rencontrer et fait danser ensemble.
Hagson : Le noyau dur vient de Marne la Vallée, de Noisy-le-Grand.  Le groupe s’est essentiellement formé à Torcy. Amada dansait déjà entre Noisiel, Champs-sur-Marne et Torcy. Il nous a emmené à la salle pour s’entraîner, il y avait du monde et au fur et à mesure, notre groupe s’est constitué. A force de se voir et danser ensemble, on a commencé à développer des chorégraphies puis à travailler les individualités.

DWT : L’étymologie de votre nom ?
Yugson :
Dans le passé, on était un groupe qui se produisait beaucoup en soirées et qui défiait à peu près tout le monde. Quand on finissait nos battles, comme nous n’avions pas encore de nom, les gens ont commencé à nous appeler « les recherchés ». Ce nom est resté longtemps. Puis à un concours de danse, il nous fallait un nom du groupe. J’ai juste traduit « recherché » en anglais, j’ai dit « Wanted », et Amada a ajouté « Posse », un mot qu’on utilisait beaucoup au début des années 1990. La spécificité du nom des membres est qu’il se termine tous par « son ». C’est comme notre nom de famille. C’était l’argot à l’ancienne du quartier où on s’appelait tous par « son », « le fils de ».

DWT : Les influences américaines ont-elles joué un rôle dans votre danse à vos débuts ?
Kimson :
Flow Master nous a beaucoup influencé. C’était un élément spécial au sein du Rock Steady Crew, avec sa personnalité, sa folie et beaucoup de voltige. Il savait danser debout comme au sol, il avait sa signature, pourtant à l’époque, il y avait beaucoup de gens qui dansait de la même manière. Lui arrivait à se détacher, ça nous a plu. Cela a changé le break dans son histoire et amené de nouvelles tendances. Le gars connaissait ses basics mais il ne restait pas figé dessus. La musique évoluait, les mouvements et le corps aussi. Ken Swift (RSC) aussi avec sa rapidité sa précision et sa puissance. Mais nos influences ne se limitaient pas qu’au break. A l’époque de nos débuts, ce qu’on appelait la new jack swing était très présente pour les danseurs.
Hagson : Dans les Rock Steady, Prince Ken Swift et Flow Master sont les deux qui nous ont marqué. Ce sont les deux qu’on regardait. Easy Rock aussi, un peu, mais c’est tout. Crazy Legs, par exemple, ne nous touchait pas du tout.

DWT : Et parmi les danseurs français, quelques influences ?
Yugson :
On a commencé fin des années 1980, début des années 1990 donc c’était un peu plus la hype et la new jack qui dominaient. Le break, c’est venu un peu plus tard pour nous. On a commencé debout. Quand on regardait Rapline, il y avait NTM où tu pouvais y voir quelques danseurs comme Lazer, pareil avec Timide et Sans Complexe, les SRG ou Les Little MC’s.
Kimson : Nous, on avait Amada qui faisait du boucan en soirées !
Yugson : On avait notre pilier qui faisait très mal en soirée quand il rentrait ! Il y avait des groupes connus médiatiquement dans le rap mais nous, on avait Amada et déjà l’esprit de la danse.
Hagson : Il faut être très clair, à cette époque, c’était les danseurs d’Aktuel Force qui étaient les plus forts, des danseurs comme Gabin, Karim Barouche, c’est clair, c’était les numéros 1 et ont marqué l’histoire de la danse en France.
Yugson : Avant ça, il y avait les Paris City Breakers mais ce n’était pas notre époque, on était trop jeune. Il faut bien préciser aux gens que quand on a commencé, il n’y avait plus autant de breakeurs en activité.
Hagson : C’est revenu après, en 1994-1995, puis avec le Battle of the Year.
Yugson : Quand tu voyais un mec qui break, tu pouvais entendre les gens dire : « oh la la mais il break encore lui ? ».

Le challenge, c’était de gagner, comme tout le monde le voudrait, mais au delà de ça, on voulait marquer les esprits avec notre style. On vient de la danse debout, on est passé par le break par passion et parce qu’on avait l’amour du risque.

DWT : La spécificité de votre crew a été de mélanger danse debout et danse au sol. Vous avez bouleversé les codes de l’époque qui voulait qu’un crew soit spécialisé dans une danse, au sol ou debout. Vous avez ainsi créé la surprise en étant le premier crew français de l’histoire à gagner la finale internationale du BOTY en 2001. Cette diversité était-elle une stratégie pour emporter la victoire ?
Kimson :
Déjà, on se faisait plaisir, on voulait marquer une couleur,  la touche Wanted et on voulait la montrer partout ! Quand on a eu la chance d’aller à Montpellier, on a gagné la finale française. On s’était dit qu’ensuite, c’était la scène internationale qu’on allait toucher. Le challenge, c’était de gagner, comme tout le monde le voudrait, mais au delà de ça, on voulait marquer les esprits avec notre style. On vient de la danse debout, on est passé par le break par passion et parce qu’on avait l’amour du risque. On était jeunes avec tout ce qui va avec. Et on avait d’autres armes, comme l’expérience de la house. On a aussi apporté une bonne qualité de combinaison. On voulait vraiment se détacher des autres groupes et ne pas arriver qu’avec du lock ou du pop, qui était pour nous du vu et revu.
Yugson : Au début des années 1990, on essayait déjà d’être complet au niveau de la danse debout et au sol. Quand notre groupe arrivait en soirée, il pouvait défier des breakers comme des danseurs debout. Nous n’étions pas limités. A l’ancienne, les danseurs essayaient de tout faire, il n’avait pas qu’un style. Notre danse a grandi avec cet esprit, un danseur debout se devait de breaker, car au niveau des défis, tous les coups étaient permis !

DWT : D’ailleurs, Nasty (ndlr : speaker du BOTY, notamment, et membre de notre comité de rédaction) nous a expliqué que vous avez instauré un rituel, devenu maintenant un classique quasi-obligatoire dans les battle, qu’on appelle la « routine ». Pouvez-vous nous en dire plus sur cet apport novateur que vous aviez développé ?
Kimson :
Les « routines », que nous appelons des « combo » sont une spécialité de chez nous. On est les premiers. C’est né d’une entente fraternelle que nous avons, au delà de la danse. On s’est dit que notre art peut dépasser ses limites, surtout du fait qu’on bosse ensemble tout le temps. On peut faire des skills ensemble, acrobatiques ou pas.
Hagson : Je prends l’exemple du crew Style Elements (Californie) qui est arrivé en 1997 avec un style de break hors du commun. Ils ont changé la donne dans le break. Tout a changé, il n’y avait plus de règles. Il n’y avait plus forcement de base comme avec le Rock Steady, avec les six steps, etc. Ils étaient free dans leur style. Ca a inspiré beaucoup de gens pour trouver d’autres mouvements. Nous, nous avons marqué l’histoire en arrivant avec des combinaisons, de la complicité, de l’osmose et du travail d’équipe. Même au niveau des formations, on a inspiré les gens. En 2001, c’est devenu une base pour tout le monde. On a innové et tout le monde a penché dans cette direction. Le travail en groupe a fini par marquer des points dans les compétitions. On avait voulu montrer à travers ça qu’on était une équipe et pas que des individualités.
Kimson : On est fier que les gens s’en soient inspirés. On est là pour avancer et faire avancer la danse. Notre rôle n’est pas de dire « tu n’as pas le droit de faire ce que je fais ». Aujourd’hui, on peut mettre quelque chose sur la table sans pouvoir maîtriser qui va le manger. Au delà de ça, il y aura toujours des gens qui savent que cela vient de chez nous.
Yugson : Ensuite, il y avait une forme de stratégie, de la même manière qu’au foot, tu as des formations 4-4-3, etc… C’est stratégique dans l’occupation de l’espace et de la scène. C’est maintenant important pour gagner des battles. Je m’en souviens des autres crews qui dansaient contre nous, ils le faisaient en 1 contre 1 ! Alors que nous arrivions avec des combinaisons, ils  se retrouvaient bêtes ! Quand on a gagné les compétitions Battle of the Year France et international, cela a été vu au niveau mondial. Tout le monde s’est dit que pour gagner, il fallait faire comme nous. L’année d’après, tout a changé.

C’est maintenant important pour gagner des battles. Je m’en souviens des autres crews qui dansaient contre nous, ils le faisaient en 1 contre 1 ! Alors que nous arrivions avec des combinaisons, ils  se retrouvaient bêtes !

DWT : Vous avez dans votre commando un élément redoutable, individualité bien spécifique, Buanson (Junior) qui vient de Saint-Malo. Historiquement du 77, comment la famille Wanted le recueille t-il ?
Hagson : Il a apporté de la punch-line, de la force, de la puissance et de l’originalité pure. Il a choqué tout le monde.
Yugson : …Junior a aussi un cousin qui habite à Noisiel, dans notre coin, il y a donc une connexion familiale. Ces choses ont fait qu’il n’est pas venu par hasard.
Buanson (Junior) : J’ai commencé à m’entraîner avec les jeunes générations de Wanted. Je suis venu quelques années sur la région et me suis entraîné dans la même salle qu’eux. Puis on a fait un battle à Bobigny, dans un festival qu’il y avait là-bas, le festival XXL. On a vu qu’il y avait une bonne entente entre nous et on a décidé de faire ça plus sérieusement par la suite. Ca c’est fait au feeling. En côtoyant les personnes, tu t’aperçois si tu peux ou non bien te marier avec leur esprit d’équipe.
Kimson : Pour nous, les parcours solos dans la danse sont identiques aux joueurs de foot qui évoluent à l’extérieur, comme au Barça pendant l’année, mais qui reviennent en équipe de France. Ca ne fait qu’enrichir le groupe et c’est ça qui le renforce. Nous sommes une entreprise familiale. On forme des jeunes uniquement dans ce cadre là.
Yugson : Tout ce qu’on fait, sur tous les terrains, c’est au service du groupe. C’est un style de vie mais aussi une éducation. Entre nous, on s’éduque. Les grands apprennent aux plus jeunes, et pas que dans la danse, dans ce qu’il peut se passer dehors, etc… C’est une philosophie, des principes de vie qui se perdent un peu dans le hip hop.
Buanson (Junior) : On le fait naturellement. On voit des jeunes s’entraîner dans la salle avec nous, on leur donne des conseils. On ne fait pas de repérages ailleurs et on ne cherche pas à former plein de danseurs pour en faire des produits ou des clones. Chacun arrive avec sa couleur et sa force.
Kimson : Les relais sont importants comme IAM l’avait fait avec la Fonky Family. Pour ce qui est des danseurs que l’on remarque, il arrive que nous fassions une table ronde pour discuter d’un gars en se disant que « si on le prend en main, dans cinq ans… ! ».

DWT : A ce propos, et c’est un sujet très polémique, nous aimerions connaître votre point de vue sur le controversé nécessaire diplôme d’état pour prétendre à l’enseignement de la danse. Sachant qu’il y a même une pétition qui tourne contre cette initiative…
Yugson :
On ne sait pas.
Kimson : On s’en bat, franchement. Entre nous, il y a deux histoires de hip hop : celle des Etats-Unis et celle de la France. Aujourd’hui, ils veulent institutionnaliser tout ça mais quand des tables rondes sont organisées, je ne pense pas que se soit souvent les bonnes personnes qui y soient invités. Ce qui fait que les vrais sujets ne sont pas abordés : Qui va former ? Qui va délivrer ce diplôme et pourquoi ? Est-ce que l’on va y intégrer l’histoire ? Quelle place pour la musique ? Donc c’est compliqué comme question. Nous ne sommes pas pour ce diplôme dans l’immédiat car on pense qu’ils n’appellent pas les bonnes personnes pour débattre sur la question.
Hagson : On entend parler de réunions par-ci, de réunions par là, mais nous, on ne nous a jamais appelé. On connaît d’autres groupes qui ne sont même pas au courant. Le hip hop c’est quoi ? On parle de danse hip hop ? De danse debout ? De break ? On parle de quoi au juste ?
Yugson : Il faut que les gens prennent conscience qu’il y a plein de choses. Pour l’avenir, ça peut se révéler dangereux. Dangereux parce que nous n’avons pas forcément appris à danser avec un cadre. Le hip hop, c’est la vie, on danse comme on est. L’évolution, la progression et la compétition puisent leurs énergies là-dedans. Si on installe ce genre de cadre, beaucoup de monde risque de danser de la même manière. Et puis, qui peut être un bon prof ? Un diplôme ne fera pas automatiquement de bons profs. Regardez ceux qu’on a eu dans les collèges…

Aujourd’hui, ils veulent institutionnaliser tout ça mais quand des tables rondes sont organisées, je ne pense pas que se soit souvent les bonnes personnes qui y soient invités. (…) Qui va former ? Qui va délivrer ce diplôme et pourquoi ? Est-ce que l’on va y intégrer l’histoire ? Quelle place pour la musique ?

DWT : Vous qui avez de l’expérience en terme de participation télé, vous avez certainement des commentaires à faire sur le départ fracassant de Bruce Ykanji (organisateur du Juste Debout) de France O alors qu’il était jury de leur émission Dance Street. Il a d’ailleurs déclaré à ce sujet : « Je serais officiellement absent de la prochaine saison de Dance Street sur France O. STOP. NON RESPECT DU DANSEUR ET DE SON ART : (…) En gros, on se sert de nous pour faire du chiffre et appâter les téléspectateurs mais on est toujours la dernière roue du carrosse et ça c’est plus possible. Je me suis toujours battu contre ça et je ne peux pas soutenir un projet qui va dans ce sens. Je l’ai fais au début, dans l’espoir que ça allait évoluer mais… je me suis trompé… Veuillez m’excuser d’avoir échoué. »
Kimson : C’est normal que Bruce ait essayé. Nous n’avons jamais fait l’émission mais ce n’est pas qu’à la télé que notre danse n’est pas respectée. Il faut se battre partout pour la défendre et se faire respecter.
Yugson : C’est bien d’avoir une émission de danse à la télé. J’ai déjà jugé, j’ai aimé l’initiative mais on devrait pousser la chose car j’ai ressenti ça plus comme de l’animation. Il n’y a pas de truc sérieux. Au départ, on nous a très vite tué en réduisant cette danse à des mecs qui tournent sur la tête par terre sur des cartons. Des stéréotypes se sont installés dans la tête des gens. Les journalistes nous ont mis trop vite cette étiquette alors qu’il s’agit d’un art noble et puissant.
Hagson : Dans la danse en général, on est en dernier, surtout avec la danse hip hop. Contemporaine ou jazz un peu moins. Si on arrive avec des artistes, chanteurs, rappeurs, on va toujours être la dernière roue du carrosse. C’est ce qu’on a vécu pendant un moment parce qu’on dansait beaucoup avec des rappeurs. Ce n’était plus notre truc après. Quand on était dans le vrai milieu de la danse, on s’y sentait mieux respecté, car on était à la même hauteur.
Kimson : Il y a du travail. Dans le classique, ils ont institutionnalisés ces choses-là. Pour revenir à Dance Street, le gros soucis est que Bruce aurait dû dire ce qu’il avait à dire quand il avait la position de le faire et peut-être pas en partant. Qu’il le reconnaisse est une bonne chose. Ce genre d’émission va toujours pousser à l’entertainment, c’est le but d’une production. Le but de l’artiste qui est appelé pour juger ça est de recentrer le tir.
Yugson : On fait bien des émissions comme Incroyable Talents où on se fait juger par des gens qui ne sont pas danseurs… Après, quand on voit Laurent Bouneau dans cette émission, qui contrôle déjà le rap français, ce n’’est qu’un œil extérieur, comme Olivier Cachin.
Kimson : On en revient au problème du hip hop et de connaître son histoire. Qui est cette personne là ? Si je n’ai jamais vu de hip hop et que je le vois lui…
Yugson : Je dirais même plus. Qu’est ce que Bouneau pourrait faire de plus pour aider la danse hip hop à se diriger vers un autre niveau ? C’est le genre de personne qui pourrait faire quelque chose. C’est aussi à eux de nous mettre bien. Sa présence devrait faire monter le truc. Pareil pour Olivier Cachin, il n’a rien poussé dans la danse hip hop. Pour moi, ces gens n’ont jamais rien fait. Quand on regardait les Suprême NTM dans Rapline, on regardait les danseurs. Dans tous les quartiers, on était plus intéressées par les danseurs que par les rappeurs, qu’on écoutait après.
Kimson : Les rappeurs eux-même dansaient ! (rires général).

DWT : Vous parliez de manque de reconnaissance de votre danse mais vous arrivez pourtant à atteindre de gros réseaux comme Les Dix Commandements, les Folies Bergères, Bianca Li ou Madonna. Vous n’y voyez pas une forme de reconnaissance ?
Kimson :
On a été dans tous les réseaux, que ce soit télé avec la Star Académy, les Dix Commandements ou Madonna. On a ce savoir faire.
Yugson : Mais on ne voit pas les choses comme ça. Ce qui nous importe, c’est que notre danse ou que notre groupe soit présenté dans les mêmes réseaux, au même niveau et que nos spectacles deviennent à leur tour de grosses productions. Nous voulons aller plus loin que de participer. Nous voulons avoir accès à la même reconnaissance. On sait que ce n’est jamais fini et qu’on peut toujours avancer. Mais pour les danseurs hip hop, c’est très dur.
Kimson : Des portes, on en a poussé. S’il y a de la danse à la télé, c’est que certains d’entre nous se sont battus pour montrer notre savoir-faire et ont montré qu’on pouvait s’adapter facilement. On peut encaisser les chorégraphies de gens qui ont fait dix ans d’une autre danse parce qu’on connaît aussi bien notre corps. C’est notre outil, on va très loin avec, alors qu’eux ne pourraient pas forcement nous suivre.

Ce qui nous importe, c’est que nos spectacles deviennent à leur tour de grosses productions. Nous voulons aller plus loin que de participer. Nous voulons avoir accès à la même reconnaissance.

DWT : La compétition Juste Debout correspond à l’ampleur qu’un événement de danse devrait avoir selon vous ?
Hagson :
C’est bien ! (rires général). On est le crew plus titré à cet événement, il faut le dire. C’est une visibilité pour notre notre danse. Peu importe ce qu’il s’y passe à l’intérieur, c’est un événement diffèrent et il en faut pour tout le monde. Certains trouvent que c’est un battle commercial mais il faut savoir que des danseurs sont appelés à l’issue de cette compétition pour enseigner dans des stages. Il faut toute forme de battles. C’est l’événement numéro un au niveau de l’international.
Kimson : Et on est fier qu’il soit français.

DWT : Qu’est-ce que vous évoque la demi-finale 2013 franco-française du BC1 entre Lilou et Mounir ?
Wanted Posse : (tous ensemble) Pourquoi on ne parle pas de celle de 2012 ? (rires général).
Hagson : Ok on est en 2013 mais on va juste faire une touche sur 2012. Junior a participé au BC1 au Brésil et c’était déjà une demi-finale française ! Il était contre Mounir. On aurait préféré que les français se rencontrent en finale… A vrai dire, la demi-finale était plus forte que la finale. Même notre pire ennemi le dira. Deux français qui se rencontrent, on est fier car ça montre notre niveau et ça fait parler de la France. Mais ça reste le jeu. Après, pour nous, Junior passait mais bon, ça c’est une autre histoire.
Buanson (Junior) : Pour plein d’autres personnes aussi mais bon, parlons maintenant de 2013 (Mounir déclaré vainqueur contre Lilou en demi-finale BC1 2013). Ca m’a fait plaisir de voir que Mounir n’avait pas gagné l’édition précédente pour rien. Il a quand même bien représenté cette année, et sortir Lilou, ce n’est pas rien. Il l’a sorti avec 3 jurys consécutifs pour lui, ce qui fait qu’on n’a pas su ce que les 2 autres avaient décidé. Franchement respect à Mounir.
Hagson : Respect à Mounir.

Junior a participé au BC1 au Brésil et c’était déjà une demi-finale française ! Il était contre Mounir. On aurait préféré que les français se rencontrent en finale… A vrai dire, la demi-finale était plus forte que la finale. Même notre pire ennemi le dira.

DWT : Le niveau et la technique vous ont tout de même séduit dans cette édition 2013 ?
Hagson :
Il y a eu plein de choses chelou dans cette édition, plein de trucs bizarres, des votes insensés. Plein de personnes autour de nous ont constatés la même chose. Après, bon, les juges… Il y a du copinage, c’est clair et net !
Kimson : La vérité est que c’est très dur en ce qui concerne les jugements. Il n’y a pas de fédération comme au foot par exemple. C’est très subjectif. Il n’y a pas ce côté officiel.
Yugson : C’est très dur de juger dans la danse. Tu peux modifier la trajectoire d’une vie ou la vision des danseurs juste avec un jugement. D’après moi, les gens qui peuvent juger doivent faire partie de l’histoire et avoir gagné des compétitions. Ces gens doivent savoir ce qu’il s’y passe…
Buanson (Junior) : …et ne peut plus être sur le circuit en tant que danseur.
Yugson : Exactement. Le problème des gens qui jugent est qu’ils sont encore dans le circuit. Il n’est pas rare qu’un juge soit amené à juger un danseur alors qu’il a pu tomber dans un battle contre lui quelques mois auparavant. Humainement, il y a déjà quelque chose qui peut poser problème. On peut donc se demander si les résultats sont vraiment impartiaux.

Il n’est pas rare qu’un juge soit amené à juger un danseur alors qu’il a pu tomber dans un battle contre lui quelques mois auparavant. Humainement, il y a déjà quelque chose qui peut poser problème. On peut donc se demander si les résultats sont vraiment impartiaux.

DWT : Junior par exemple, penses-tu que tu as été victime de cette partialité des juges lors de ta demi-finale contre Mounir dans l’édition 2012 du BC1 ?
Yugson :
Il gagnait !
Buanson (Junior) : Il y avait une différence de danse. Après, ça dépend des personnes qui jugent. Mais comme on l’expliquait, le cinquième et dernier à juger la demi-finale 2012 entre moi et Mounir, est Neguin (Brésil). C’est lui qui a tranché car on avait 2 votes chacun. Neguin a choisi Mounir mais à mon avis, ce n’est pas trop son style. Il se trouve que j’avais fait un battle contre Neguin quelques mois avant… Qu’il vote pour Mounir, ça m’a… Par exemple, quelqu’un comme Taisuke (Japon) qui est beaucoup dans les fondations de cette danse, pas trop dans mon style de danse, a quand même voté pour moi…
Hagson : Il y a des juges qui sont évidemment neutres mais il y en a d’autres qui ne le sont pas. Ceux-là mélangent leurs goûts avec ce qu’il se passe à l’intérieur. Ce n’est pas parce que je n’aime pas le style d’un danseur que je ne voterai pas pour lui ! Ce n’est pas parce que je tombe contre un mec dont je n’aime pas le style qu’il ne peut pas me battre ! C’est ce qu’on dit tout le temps : il y a des gens qui mélangent beaucoup de choses et qui ne voteront pas pour un danseur alors qu’en vérité, il défonce l’autre. Ca a été flagrant dans cette édition du BC1. Il y en a qui se sont fait éclaté et qui sont quand même passé.

DWT : Quel regard portez-vous sur la scène coréenne ?
Hagson :
Attention, on avait accès à des vidéos de Physicx (Corée) en 2001 et le gars était déjà chaud ! Il se trouve qu’à cette époque, les coréens n’étaient pas beaucoup, c’était les derniers arrivés façon de parler. Tu as aussi maintenant pas mal de gens des pays de l’est qui se font remarquer. Il y a des tueurs de partout aujourd’hui. Mais c’est clair que quand les coréens sont arrivés, pendant un moment, ils étaient imbattables. Ils avaient une rigueur qui leur a permis d’exploser sur scène. Au niveau technique, des combis, fitness, c’était fort. En terme de break, la scène coréenne fait partie des meilleures du monde. Faut dire ce qui est. Je pense même que plein de danseurs voudraient participer à l’événement R16 en Corée. Si tu es un vrai compétiteur, ça fait partie du parcours, car là-bas, tu sais que ça rigole pas. C’est le prestige.

En terme de break, la scène coréenne fait partie des meilleures du monde. Faut dire ce qui est. Je pense même que plein de danseurs voudraient participer à l’événement R16 en Corée. Si tu es un vrai compétiteur, ça fait partie du parcours.

DWT : Que pensez-vous de la multiplication des tournois et des battle en France ces dernières années ?
Kimson :
On est plus nombreux donc c’est une bonne chose pour les jeunes. Ca leur donne les moyens de se confronter un peu plus souvent, de montrer leur niveau, d’avoir des dates butoirs. C’est comme si tu avais plusieurs examens dans l’année. Chacun peut avoir sa chance plus souvent. C’est bien car se confronter fait partie de l’évolution.
Hagson : Si je retourne des années en arrière, dans les années 1998-1999 quand il n’y avait pas beaucoup d’événements en France et qu’on regardait des VHS du BBoy Summit ou Freestyle Session, on se disait que c’est comme ça que les mecs deviennent forts. Il y a tellement de compétitions ! Du coup, maintenant qu’il y en a pas mal en France aussi, le niveau a progressé et on peut dire que la France est dans le top 3 mondial.

DWT : Le manque d’économie dans la danse a également pu poser quelques problèmes pour les danseurs. On avait fait une interview de Pokemon en 2007 qui nous expliquait qu’ils n’avaient pas de problème à danser derrière des artistes en dehors du hip hop tant qu’il y avait de l’argent à se faire. Que pensez-vous de cette philosophie ?
Kimson :
C’est leur philosophie, ils ont le droit. L’un d’entre eux était même avec Madonna donc ils ont gardé cette ligne.

DWT : C’est bien sûr leur droit, d’autant qu’il n’est pas évident de faire carrière dans la danse hip hop. Vous partagez leur point de vue ?
Kimson :
On a dansé derrière plein d’artistes. Ce sont des choix artistiques. Il faut voir plutôt dans quelles conditions se déroulent les choses. On est dans une démarche hip hop car nous sommes hip hop mais la danse est aussi notre métier.
Buanson (Junior) : A partir du moment où nous restons nous mêmes et que nous apportons quelque chose à notre manière, de positif, une plus value, pourquoi pas ? Cela ne me gène pas dans le sens où nous sommes censés être les ambassadeurs de cette culture. C’est important pour notre école, notre danse, notre discipline. Ca peut faire évoluer les choses dans le bon sens. Après, si on nous demande de se « travestir », ce n’est bien sûr pas la même chose. Quand on y va, c’est avec notre force et notre savoir-faire.
Hagson : A chaque expérience, il y a un public. Cela assure une visibilité à cette danse…
Yugson : …pour casser des barrières.
Kimson : Nos danseurs ont réalisé des prestations pour plein d’artistes : Christophe Maë, Rohff, Hélène Ségara, Bob Sinclar, Martin Solveig, etc… On est large dans nos choix mais comme dit Junior, il ne faut pas se perdre.

Nos danseurs ont réalisé des prestations pour plein d’artistes : Christophe Maë, Rohff, Hélène Ségara, Bob Sinclar, Martin Solveig, etc… On est large dans nos choix mais comme dit Junior, il ne faut pas se perdre.

DWT : Lorsque que vous êtes sur de grosses productions pour assurer les shows de ce genre d’artiste, avez-vous le sentiment d’y trouver votre place ou vous sentez des contraintes quant à vos interventions ?
Kimson : On connaît la direction artistique, il y en a chez nous dont c’est la spécialité. Quand on nous demande de se placer devant ou derrière, on n’est pas sur scène pour négocier. Quand nous prenons la décision d’intervenir, nous comprenons qu’il s’agit d’un métier. On travaille de la même manière sauf qu’il y a des caméras. Il faut connaître sa place. Il y a un chorégraphe mais on défend notre histoire. On ne peut avoir l’attitude de négocier ou dire « parce que je suis respecté dans mon quartier, je dois être devant sur la scène ! ». On est professionnel.

DWT : La défense du collectif revient souvent chez vous alors que les choses tendent à ce que les danseurs évoluent dans une démarche d’individualiste. C’est important de ramener vos projets solo à l’échelle du crew  ?
Buanson (Junior) :
C’est un truc de base pour nous. Peu importe ce qui se passe à l’extérieur, on revient toujours à la famille. On sait qu’il y a des choses qui se construisent à chaque moment.
Kimson : Quoiqu’il arrive, chaque danseur est Wanted. Dans un deuxième temps, il représente la France, et dans un troisième temps, il représente la danse hip hop.

DWT : Les projets solos de vos danseurs sont décidés en collectif ?
Kimson :
On a profondément la même vision des choses donc nous ne décidons pas forcément ensemble des volontés de chacun.
Yugson : Mais il arrive bien sûr que nous en parlions ensemble car l’avis de la famille compte toujours.

Quoiqu’il arrive, chaque danseur est Wanted. Dans un deuxième temps, il représente la France, et dans un troisième temps, il représente la danse hip hop.

DWT : La house dance est également une spécificité de votre crew. Comment avez-vous pu vous y intéresser et quelle passerelle faîtes-vous avec le hip hop ?
Yugson :
A la base, les danseurs house-dance sont des danseurs hip hop. A une période, fin 1990, il n’y avait plus trop de soirées sur Paris et les seules où l’on pouvait entrer facilement étaient les soirées dance. C’étaient les seules où l’on pouvait danser et rigoler sans se faire recaler. C’est une époque qui m’a beaucoup marqué. On dansait toute la nuit dans le même esprit qu’il pouvait y avoir à New York. On s’est lancé dedans mais on voyait ça comme du freestyle. Quand on dansait dans ces boîtes, les gens étaient vraiment free. Regarde les gens qui étaient dans les soirées hip hop, dès qu’il y en avait un qui bouge, tout le monde le regardait ! Dans les soirées house, tout le monde dansait sans aucun apriori. Ca change un peu de nos jours, les jeunes dans les soirées actuelles se remettent à danser et s’amuser.
Kimson : Il faut savoir également qu’on allait dans ces soirées house pour adapter notre style, pour y aimer la musique sur certains passages. Il y a des choses pointues partout, dans le rock, la house, le hip hop… On a d’ailleurs eu la chance d’aller dans des boîtes où il y avait des DJ’s pointus. C’était comme des terrains de jeu pour nous, on pouvait s’exprimer et expérimenter. Rythmiquement, c’était plus rapide, plus soutenu. Il y a des chanteurs qui n’ont pas le flow des rappeurs, c’est différent. Les choses plus rondes, plus organiques. Ca nous a apporté énormément.
Yugson : La house est proche de la disco car ce sont des morceaux qui durent facilement plusieurs minutes, tu as le temps de t’exprimer. Elles n’ont pas le format radio comme dans le rap.

DWT : Il est clair que le rap français n’est pas une musique dansante ou faîtes pour les breakers…
Kimson :
C’est le problème. Si tu prends ce qu’il se fait aux states, ils arrivent toujours à faire swinguer les morceaux, quoiqu’il arrive. En France, ils sont beaucoup dans le lyrique, dans le texte et le contexte.
Yugson : Les américains ont pour habitude d’entrer en studio en pensant gros tube et que leur morceau fera danser en club.
Kimson : Quant aux français, ils pensent aux bâtiments qui vont trembler quand les petits jeunes mettront play. Ils ne pensent pas aux mêmes notes.
Yugson : Je connais des beatmakers français qui ont des sons de fous mais quand les rappeurs leur demandent des sons, ils n’en veulent pas et demandent des trucs particuliers en correspondance avec le buisiness. Les rappeurs français d’aujourd’hui n’ont plus trop de technique. Ils écrivent bien mais n’ont plus de flow. Cela devient très linéaire.

DWT : On se souvient de vous lors d’un concert de Cypress Hill en 1998, à la Mutualité, durant lequel vous dansiez dans le fond de la salle. Est-ce que cela vous arrive toujours de vous retrouvez ensemble à danser comme ça en soirée juste pour le fun ?
Yugson :
Le problème est que les DJ’s sont maintenant dans des cases. Je suis moi-même DJ. J’ai mixé hier par exemple où un autre DJ n’était là que pour mixer du rap français… Ca sert à quoi ? Les DJ’s doivent jouer de tout. C’est ce qu’il se faisait avant.

DWT : Lorsque vous étiez au début, entre vous à Torcy, vous imaginiez être sur la route pour emporter autant de titres sur votre passage ?
Yugson :
Franchement, la première fois qu’on a vu le Battle of the Year, on s’était dit qu’on allait y faire quelque chose… Et c’était même 2 ou 3 ans avant qu’on le fasse.
Hagson : Ce qu’on se disait à chaque fois, et qu’on continue à dire d’ailleurs, c’est que par rapport à plein d’autres personnes qui se disent l’important, c’est de participer, nous, on se disait : « non ! L’important, c’est de tout défoncer ! ». Donc à chaque fois qu’on allait quelque part, c’était pour arracher la victoire. A partir de 2001, sur trois ans, on avait tout remporté. On avait une avance sur les autres et à partir du moment où on participait à une compétition, on se donnait les moyens de la gagner. On n’était pas du tout dans l’optique de faire de la figuration.

Par rapport à plein d’autres personnes qui se disent l’important, c’est de participer, nous, on se disait : « non ! L’important, c’est de tout défoncer ! ».

DWT : Vous avez choisi de fêter votre 20ème anniversaire aux côtés de Vagabonds Crew et Benji. Pourquoi ces choix artistiques ? (ndlr : suite à une blessure, Benji n’a pas pu être présent sur scène)
Hagson :
Ceux que nous avons invité à danser pour nos 20 ans, ce sont les gens qui nous ont marqué durant notre parcours. Par exemple, concernant les Vagabonds, certains de leurs danseurs étaient O’posse, un groupe de hyper, avec qui nous nous fightions déjà. Le battle du BOTY que nous avions fait en 2001 contre Vagabonds est entré dans l’histoire. Ca a été un des battle les plus forts, même pour nous au niveau émotion. On avait la dalle mais on se disait que s’ils passaient, on avait quand même bien charbonné. C’est notamment pour ça qu’ils sont dans le spectacle. Pour ce qui est de Benji, c’est pour des raisons underground on va dire. Le battle qu’il y a eu à Châtelet, Eddy contre Benji, il est dans l’histoire aussi ! Benji contre Junior, c’est pareil !
Kimson : Tout comme le combat de Mohammed Ali contre Joe Frazier est un classique, le combat de Junior contre Benji est un classique !
Hagson : Tous les b-boys vont s’en souvenir. C’était la guerre avant, contre Vagabonds et Benji. Mais on a grandi et ça va maintenant.

DWT : Est-ce que vous sentez un accueil favorable dans le milieu de la danse contemporaine ?
Kimson :
On a du fighter et imposer notre marque de fabrique au début. Il y a eu Black Blanc Beur qui a défendu sa troupe dans les théâtres nationaux puis plus personne. Ethadam est ensuite arrivé et est entré dans ce circuit avec une forme d’écriture contemporaine. Ce que nous voulions faire, et on est peut être les premiers à l’avoir fait, c’était d’y rentrer uniquement avec ce qu’on savait faire. Il n’était pas question pour nous de faire du hip hop sur du classique. On tenait à notre différence. Il n’était pas question de diluer ce que nous étions pour que la pilule passe mieux. On a insisté pour représenter notre musique, notre gestuel, notre savoir-faire, notre façon de s’habiller… Nous sommes des artistes à part entière et c’est pointu. Si aujourd’hui, vous pouvez voir des spectacles strictement hip hop dans les théâtres, c’est parce qu’on est passé par là et qu’on a eu l’intelligence de dire qu’on pouvait plaire à un public qui n’est pas le nôtre. C’était ça notre vrai challenge. On est capable de parler à notre communauté et d’être respecté mais faire plaisir à une grand-mère qui n’a jamais vu du hip hop ou des mecs comme nous de sa vie était le vrai challenge. Ces structures existent, pourquoi pas pour nous ? On est pro, on est arrivé, on a dit Wanted Posse et ça s’est bien passé. On tourne pas mal dans les théâtres nationaux. On représente même la France dans les consulats !
Hagson : On a un parcours dans les théâtres depuis 2003. On a tourné en Asie, au Viet-Nam, en Australie, un peu partout. On a 3 ou 4 spectacles de plus d’une heure donc on sait faire. Accéder à ce genre de structure nous a ouvert des portes et assure une autre visibilité. Ce que tu proposes aux programmateurs des théâtres ou des festivals peut fonctionner. Pour notre part, notre premier spectacle « Badmoov » nous a fait faire presque le tour du monde. On a beaucoup voyagé et à ce moment, c’était un autre ressenti, d’autres expériences, différentes de celles des battle. Nous avions pour objectif de mettre en avant notre savoir-faire.

Si aujourd’hui, vous pouvez voir des spectacles strictement hip hop dans les théâtres, c’est parce qu’on est passé par là et qu’on a eu l’intelligence de dire qu’on pouvait plaire à un public qui n’est pas le nôtre. C’était ça notre vrai challenge.

DWT : Qui occupe la place de chorégraphe au sein de votre groupe ?
Hagson :
Tous ! C’est ce qui fait aussi la richesse du groupe. Il y a plein de groupes qui sont spécialisés que break ou autre. Dans notre groupe, on fait tout. On a aussi bien des danseurs qui sont spécialisés mais aussi d’autres qui sont sur plusieurs danses. Le tout mélangé fait que cela donne une couleur différente. C’est notre originalité dans la création du mouvement. Les gens s’en rendent compte quand on est sur scène, d’autant qu’on se connaît depuis longtemps.

DWT : Pensez-vous que la destinée du jeune danseur contemporain qui a pris plus tard la direction d’un théâtre contemporain sera une destinée tout autant logique pour des danseurs de votre rang ?
Kimson :
C’est une évolution de passer derrière. Non pas pour passer décisionnaire mais pour avoir un regard artistique. Ca serait respectueux pour nous. De part notre parcours, on est un peu visionnaire. Notre place fait que nous savons ce qui pourrait plaire demain car il n’y a pas plus moderne comme danse que le hip hop. Le hip hop est en évolution permanente car il se nourrit de tout, même de ce qu’il n’aime pas. On n’écarte également pas la politique dans notre travail. Notre dernier spectacle traite d’ailleurs de l’importance qu’un peuple a à ne pas fermer sa gueule quand il est opposition avec ce qu’il vit.
Yugson : Occuper une place importante dans un théâtre ne tient pas juste à notre volonté. Ces décisions sont politiques. Le jour où l’on nous proposera un lieu, pourquoi pas ? On en rêverait mais cela ne dépend pas de nous. Ca fait 20 ans qu’on est là, qu’on fait le travail et ce n’est pas fini.

Mr Freeze RSC, ultime b-boy « made in France »

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Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles…

Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Si l’on veut établir l’histoire d’une culture, autant commencer par son début. Le parcours de Mr Freeze – Rock Steady Crew – est si légendaire qu’il faudrait presque l’introduire par un : « Il était une fois… ». Lorsque nous l’avons contacté, le souvenir des prémisses de l’admiration qu’on lui porte a ressurgi. C’était bien après ses débuts, à l’aube des années 1990, au festival du Grand Zebrock dans une salle du 93, au Blanc Mesnil. Ce soir-là, après l’avoir vu se figer net après un «thomas» de toute beauté, on s’est dit : « Ce mec est un véritable tueur ! » Mais vingt ans plus tard, on était quand même bien loin de se rendre compte de l’ampleur du personnage et de la profondeur historique… Trois minutes à peine après lui avoir laissé un message, il nous rappelle en visio-phone : « Dis-moi, qu’est que je peux faire pour toi mon ami ? ». On lui réponds qu’à Down With This, on trouve incroyable que personne ne parle de lui en France et qu’on aurait un grand plaisir à s’en charger. Il nous propose directement « Ok, j’emmène ma petite à l’école alors après ça vous va ? »… C’est simple, facile d’accès, disponible, avec une mentalité décomplexée à l’américaine… Les principes de Down With This sont respectés : travail en direct, pas de contacts interposés et pas d’interviews strictement dictées par la promo… Alors attention, échange naturelle et spontanée, pur moment historique, parfaitement bilingue, un pan de l’histoire du hip hop mondiale se raconte et… en français, s’il vous plaît !

Down With This : Comment te retrouves-tu dans le Bronx alors que tu as grandi jusqu’à l’âge de huit ans à Paris, à côté de la place de la Bastille ?
Mr Freeze : Je suis né le 7 septembre 1963 à New York, à Manhattan, à l’hôpital Leroy. En 1964, ma famille et moi sommes retournés à Paris. C’est ma mère qui voulait y aller. J’ai été élevé au 17, boulevard Beaumarchais, place de la Bastille. J’allais à l’école à Place des Vosges. En 1970, mon père a dit à ma mère : « Si on allait en Amérique, toute ma famille est là-bas. On se fait de l’argent et après on retourne en France ». Voilà pour la petite histoire. Ils n’ont jamais fait d’argent et ne sont retournés en France que pour des vacances…

Mr Freeze avec son oncle Armand (devant le 17, boulevard Beaumarchais, Paris – 1968) et à droite,
la « cover » de son bulletin scolaire (1972) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Tes parents sont donc français…
Mr Freeze : Ma mère est parisienne, d’origine juive polonaise. Nous ne sommes pas religieux, d’aucune façon. Elle était venue de Pologne avec sa famille. Elle a été cachée pendant la guerre par une famille catholique de Lyon. La famille de mon père est de Pologne aussi, mais il est né en Allemagne. Il en est parti pour se retrouver à Paris où il s’est fait arrêter sans ses papiers par la police française, qui était avec les allemands à l’époque. Comment il s’en est échappé et comment il a connu ma mère ? C’est une drôle d’histoire aussi… Il a connu une dame qui l’a sauvé. Elle s’est échappée avec lui. Ils se sont mariés, ils ont eu un petit garçon qui est mort à trois ans d’un cancer. Ils ont divorcé, il est revenu à Paris et a connu ma mère. Mon père croyait ne jamais revoir sa famille qu’il croyait disparu pendant la guerre. Quand il a su qu’ils étaient en Amérique, il s’est dit « Voilà une chance pour les revoir » et il a fait un rapprochement familial.

DWT : Tu es donc né aux Etats-Unis, tu n’as pas la nationalité française ?
Mr Freeze : Si, j’ai la nationalité française, j’ai les papiers, j’ai le passeport français. J’ai tout !

DWT : Tu votes pour la France alors ?
Mr Freeze : Je ne vote même pas pour l’Amérique alors (rires). Je n’y connais rien. Je me dis que juste moi ça ne va rien changer. Mais bien sûr que ça changerait si tout le monde votait.

DWT : Plus sérieusement, par quelle image découvres-tu le hip hop ?
Mr Freeze : Comme tous ceux qui connaissent la culture du hip hop, je sais que le graff est certainement la première chose qui a commencé. Bien sûr, j’étais trop jeune pour comprendre ce que ça représentait pour moi. Les gens jouaient de la musique dans leurs appartements avec un haut parleur et un fil pour qu’ils aient de l’électricité et de la lumière dans la rue. Un week-end de 1970, j’ai compris qu’on n’était plus à Paris. Tous les jours, les gens dansaient dans les rues, on se retrouvait, on formait un cercle, c’étaient des Battles… Je dansais tous les week-ends et même pendant la semaine des fois.

A gauche : Mr Freeze et sa tante Suzanne à Châtelet – Les Halles, Fontaine des Innocents (Paris, 1978)
A droite : Mr Freeze au Rex (Paris, 1981 ou 1982) – Photos © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Quand tu dis « là-bas » : c’était où ?
Mr Freeze : Dans le Bronx, 163 Street Madison Avenue à côté du stade de baseball le « Yankee Stadium ». J’étais vraiment bien dans le centre. Tout le monde dansait dans des Battles, ils faisaient le robot ou du lockin. Ce que je voyais le plus, c’était du Uprocking. Ils faisaient des mouvements contre d’autres personnes. Ils se prenaient le visage, ils se lançaient en l’air, ils mimaient des gestes de coups de feu. C’est ça les premières choses que j’ai vues. Un jour, dans ces battles, il s’est passé quelque chose de fort. Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! C’était un Freeze exécuté avec tant de vitesse, avec tant de souplesse et dans un style si formidable qu’on s’est tous dit autour « Wow, ça c’est vraiment quelque chose ! » Après quelqu’un a fait un autre Freeze, puis un autre : des petits pas. C’est de cette façon que s’est développé le break : dans le Bronx. La musique nous a fait sentir quelque chose. On l’a tellement ressenti avec les rythmes que ça nous a rendus fous. Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! ». Ça nous a fait casser la baraque !

Un jeune homme a sauté très haut. Tout d’un coup, il s’est mis par terre comme s’il dormait. Et pour moi, c’est la première fois que j’ai vu ça, du break comme par accident ! (…) Fallait nous entendre comment on parlait de ça dans la rue : « Wow my men is breaking ! »

DWT : Le Bronx représente le ghetto urbain par excellence, ça devait être quelque chose dans les années 70 ce bol d’air…
Mr Freeze : Entre ce qu’on entend et la réalité, c’est deux choses complètement différentes. Oui, c’étaient des quartiers durs si tu faisais des problèmes mais sinon personne ne t’embêtait. Comme dans les quartiers en France.

DWT : Tu as huit ans en 1970, tu es peut-être le premier français à rencontrer le hip hop. En France, personne ne pouvait encore imaginer cette énergie…
Mr Freeze : Personne ne connaissait sur la planète ! Bien sûr les brésiliens vont dire qu’avec la capoeira, ils en faisaient déjà. Mais c’est aussi bête que si nous disions qu’ils nous avaient copiés en premier… On ne connaissait rien, on était uniquement cloisonné dans notre environnement, le Bronx…

DWT : Comment en arrives-tu à apprendre les techniques de base ?
Mr Freeze : Je l’ai fait pendant des mois, peut-être un an, mais ce n’était rien de sérieux ; on s’amusait. Des années après, on a déménagé dans un autre quartier du Bronx qui s’appelle National Park. Le quartier où j’habitais au début n’était que noir et portoricain. Celui-là était juif, irlandais et italien : tous blancs. En 1974, j’étais en train de faire du break ou de danser devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir. Je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». Je faisais des petites choses par terre. Sur la gauche, il y avait six ou sept gars qui portaient des chemises avec un nom de crew dessus « Eastside Boys ». Un des gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah !« . Parce que comme il m’avait vu danser, c’est que ça devait s’appeler du « break » ! « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’entendais tous mes copains dire : « Vas y Marc, vas y !« . J’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique. J’ai juste fais des petites choses pour progressivement en faire des plus dures. Leur crew avait envoyé quelqu’un qui n’était pas tellement bon mais qui avait fait les six pas de base du break dance. Après, j’ai fait quelques trucs, un autre est venu, puis j’y suis retourné. Un autre a fait les 6 step, des CC’S, il a fait des Swipes, un Neck Move, un Head Spin into the Freeze…
Comme vous en France, la première fois que vous avez vu la culture hip hop au Bataclan en 1982, on était complètement pris ! Ça m’a attrapé d’une façon… comme si dieu m’avait dit : « Voilà ton destin !». J’avais demandé à mon adversaire : « Mais où as-tu appris ça ? ». Le jeune homme m’a répondu : « Lil Lep m’a appris ! ». Je me disais : « Mais qui est Lil Lep ? Comment il a appris ça ? Est ce que je peux faire sa connaissance ? Je suis jeune !« . Lil Lep (Ray Ramos) était avec le crew des New York City Breakers. Dans ces années là, c’était un gars horrible, les gens avaient peur de lui. Les mecs que j’affrontais m’ont emmené dans leur quartier pour que je le rencontre mais je l’ai cherché pendant des mois sans le trouver… Finalement, j’ai fait sa connaissance. Il était plus âgé que moi, il avait une drôle de voix et une façon assez spéciale de parler. On s’est entendu tout de suite et c’est lui qui m’a appris les basiques fondamentaux du break. Je trouve que c’est là, dans les années 70 que tout a commencé. En 1974-1975, Lil Lep connaissait déjà des mouvements évolués. Je lui ai demandé comment il avait lui aussi appris ces mouvements. Il m’a dit qu’un homme du nom de Kool Sky les lui avait enseignés.

En 1974, devant les escaliers d’un bâtiment où tu peux t’asseoir, je dansais avec la radio et mes copains blancs disaient : « Vas y Marc, vas y, vas y ! ». (…) Un gars me demande : « Tu break ? » Je ne savais pas ce que ça voulait dire : « Tu break » mais je dis : « Yeah ! ».  « Tu veux faire un battle ? » Je dis : « Yeah, je veux faire un battle ! » Moi qui n’y connaissais rien, j’’ai donc fait un battle alors que je ne comprenais même pas la technique…

DWT : C’était maintenant à ton tour de poser les bases de cette danse…
Mr Freeze : Pendant des années, je danse sans arrêt, on commence à me voir dans tout le Bronx et je me spécialise en Freezes. J’aime bien les faire. Les gens disaient : « Ouais, c’est le mec qui fait des Freezes ! » Un jour un mec à dit : « Mais c’est Mister Freeze !» et le nom est resté.

DWT : On ne te confondait pas avec Frosty Freeze (RIP) ?
Mr Freeze : À cette époque Frosty Freeze (Wayne Frost) n’existait même pas avec nous. Je ne dis pas qu’il n’en faisait pas, mais lui c’est venu après, avec Crazy Legs (Richard Colón). Il faut comprendre que cette culture a commencé dans le Bronx, puis le break est arrivé à Manhattan, mais bien après. Je ne dis pas que Frosty Freeze ne breakait pas mais nous, on ne connaissait que ceux du Bronx. Maintenant, il y a des gens de Brooklyn qui disent que ça existait chez eux en premier… On a tous le droit de parler, OK, mais il y a la réalité et ses documents…

Mr Freeze et le Rock Steady Crew – Fresque par T.Kid (New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Comment arriviez-vous à vous entrainez ?
Mr Freeze : Je ne m’entraînais jamais. Tous les mouvements que je faisais avec mes amis, comme Jojo, étaient inventés dans le cercle. C’est une danse qui n’était pas encore développée. Les mouvements venaient de notre rage et de notre façon de sentir la musique. On breakait dans la rue. Par exemple, si je savais qu’il y avait une Jam avec Little Rob, Flash ou n’importe quel DJ, j’y allais. Pendant les années 1970, chaque quartier du Bronx a commencé à avoir son crew et ses B-Boys. TBB avait ses B-Boys, Rock Steady Crew avait ses B-Boys, Incredible Crew pareil. Il y avait des centaines de crews, dont certains plus connus que d’autres, bien sûr.
Comme si dieu l’avait fait exprès, tous les inventeurs de la danse, du graffiti, des Dj’s et des Mc étaient dans ces quartiers. Comme si Dieu les avait placés en disant : « Bambaataa est là, Kool Herc est ici, Crazy Legs là, Rock Steady commence là…« . Tous les acteurs et activités étaient à proximité.

DWT : Tu intègres le Rock Steady et c’est notamment gràce à des b-boys comme toi, Crazy Legs (Richard Colón) ou Ken Swift (Kenneth Gabbert) que la notoriété du crew se fonde bien que vous en soyez la deuxième génération…
Mr Freeze : J’étais un des premiers B-Boys bien sûr, je suis de la génération qui a construit la notoriété du nom Rock Steady Crew et qui a participé à ce qu’il est devenu aujourd’hui. La deuxième génération donc. Rock Steady était connu grâce à nous. La notoriété ne va pas forcément aux initiateurs des crews. Les gens s’intéressent davantage au nom du crew. C’est dommage, car il faut comprendre que ce n’est pas le nom qui fait le crew mais les gens et tout le travail qu’ils ont fait.

DWT : Comment es-tu amené à intégrer la tournée New York City Rap ?
Mr Freeze : On avait un manager qui s’appelait Kool Lady Blue. Elle aimait plein de choses différentes. Quand elle était manager d’Afrika Bambaataa, elle a connu Crazy Legs alors qu’il faisait un spectacle dans une boite. Blue a bien aimé ce qu’elle a vu. Elle a dit : « Voilà, j’aimerais bien faire des choses avec vous, je crois que je peux vous faire profiter de mon travail ». Crazy Legs a dit oui. On a commencé à tourner comme ça et à rencontrer des gens comme Malcolm McLaren avec son Buffalo Galls et à aller au Roxy. Avant ça, c’est elle qui a commencé à ouvrir la boîte de nuit qui s’appelait le Negril et non Mickael Oldmen, comme il le dit. Puis le Roxy, c’était notre vie tous les vendredis ! Toutes les semaines, on ne pensait qu’à ça. Il y avait le journaliste Bernard Zekri qui travaillait pour une compagnie qui s’appelait Celluloïd Records, une maison de disques qui voulait faire des productions différentes, moins commerciales. Ils ont connu Blue et un autre français Jean Georgakarakos. Ils ont tous dit : « Pourquoi pas faire une tournée ? » Ils en ont parlé en France à Alain Maneval d’Europe 1 et C.C. qui est devenue la femme de Futura 2000 et qui vit à Brooklyn maintenant. Ils ont commencé par faire une interview de Futura pour la radio. J’étais là pour faire le traducteur. Un jour, on était dans un bus, tout d’un coup C.C. a laissé son travail pour partir avec lui. C’est incroyable ça, elle était folle amoureuse (rires).

DWT : Il y a des artistes qui t’ont impressionné dans toutes ces époques ?
Mr Freeze : Non. J’étais un gamin. Futura 2000 par exemple, je ne le connaissais même pas. Je ne connaissais que le Bronx. Tout était là-bas et tout a commencé là-bas. On ne pensait jamais aux autres. Pour moi dans les années 1970, c’est Dj Charlie Rock et les Seven Dublin Sense. Un mec comme Lil Lep était connu bien avant New York City Rap. C’est un dur de dur. Il a fait partie des New York City Breakers juste comme ça, parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Alors ils l’ont pris mais, il n’était déjà plus aussi bon.

On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Quels souvenirs évoquent pour toi l’époque du Roxy ?
Mr Freeze : Il faut comprendre que le Roxy en 1981 et 1982 c’était une boite dans laquelle les gens d’Europe et de la planète allaient pour voir cette chose qu’on appelait le «hip hop», bien que personne ne le connaissait à Manhattan. On n’appelait d’ailleurs pas encore cette culture par le terme «hip hop». Les gens disaient : « Mais qu’est ce que c’est cette façon de vivre là-bas ? ». Ils vivaient à New York, mais ils n’avaient jamais vu ce «hip hop» ! Pourquoi ? Parce que le hip hop n‘existait que dans le Bronx…

DWT : Te souviens-tu d’avoir croisé des mecs comme Keith Haring dans ces soirées ?
Mr Freeze : Non (rires). Je ne le connaissais pas. C’est des années où il ne faisait rien ou en tout cas rien de ce qui l’a rendu célèbre par la suite. C’est dommage que je ne l’ai pas connu. Il était incroyable.

DWT : Sur une de tes photos, on le voit pourtant au premier rang assister à une de vos représentations sur scène (voir photo ci-dessous)…
Mr Freeze : J’ai vu ça des années après en me disant « Mais c’est Keith Haring qui est là en train de regarder ce qu’on faisait !». C’est incroyable (rires). On était très content de ce qu’on faisait. On s’amusait. Bien sûr, il y a d’autres gens qui en ont tiré des avantages de tout ça, bon, c’était ce que c’était…

Mr Freeze (et Keith Haring au premier rang, New York) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Il nous semble que tu as touché à d’autres disciplines…
Mr Freeze : Je n’ai jamais touché les platines. Mais commercialement, j’ai fait un album de rap qui est sorti chez Profile Record, en 1991. J’étais avec Run DMC, Poor Righteous Teachers, Special Ed. Mais c’était plus pour faire de l’argent et de la publicité. J’étais tellement en colère sur la merde de l’époque, que je voulais leur montrer (rires). J’ai donc eu un deal avec la maison de disque mais ça n’a rien donné. J’ai fait un rap avec la chanson « Voulez-vous coucher avec moi, ce soir ? ». C’est avec ça que je me suis fait remarquer (rires).

DWT : Les battles sont les moments de la danse qui semblent t’avoir le plus marqué durant toutes ces années…
Mr Freeze : Les années 1980, c’est dur à expliquer. C’était des choses qu’il fallait vivre. C’est comme si on pouvait voir Bruce Lee combattre maintenant dans un Ultimate Fighting. Il y avait une énergie qu’on sentait. Quand il y avait GrandMaster Flash qui faisait une Jam et tout d’un coup Grand Wizzard Théodore, l’inventeur du scratch, arrivait par surprise pour l’attaquer et faire un Battle devant tout le monde. Il fallait voir ça. Les choses aujourd’hui ont changé mais il y a toujours une énergie. Avant c’était comme ça toutes les semaines. C’était incroyable. Bambaataa venait lui aussi avec les Shaka Zulus pour faire des Battles. Bon, c’était différent.

On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ».

DWT : À partir du milieu des années 1980, il y a eu une véritable cassure avec un changement radical des mentalités notamment dans le rap. Tu l’as aussi ressenti dans le break ?
Mr Freeze : Oui je l’ai senti : c’est devenu de plus en plus de la vraie merde ! C’est comme si, au lieu d’évoluer, tu régresses, tu descends. Tout est devenu individuel. Les rappeurs voulaient faire de l’argent avec le rap. La partie souterraine de la culture c’était le break : on est par terre, sur le sol. Les gens s’en foutaient, ça n’existait plus. On allait à des auditions en espérant qu’un producteur nous prenne. Or, ils nous demandaient : « Est-ce que tu peux faire ce mouvement ? ». On le faisait et ils nous disaient : « Non, non ce n’est pas comme ça que tu dois le faire ! ». Et nous, on disait : « Mais c’est nous qui l’avons inventé ! Comment ce n’est pas comme ça ?! ». C’était devenu tellement perdu que je me suis complètement éloigné de la culture. Je n’y suis revenu que depuis quelques années parce que je trouve que maintenant les gens sont à nouveau très intéressés par la culture. Il existe même des écoles de hip hop… mais ça ne s’enseigne pas le hip hop ! C’est une culture !

DWT : Comment juges-tu le niveau du hip hop en France ?
Mr Freeze : J’ai été dans des jurys. J’ai vu des B-Boys forts, des graffeurs incroyables, j’ai vu sur You Tube des freestyles de MC’s incroyables. Dj Dee Nasty est wow ! Le niveau en France est vraiment très haut. Je ne suis pas intéressé par les chansons qui passent à la radio. Je m’intéresse aux freestylers et quand j’ai entendu en France comment un MC démontait un autre MC, j’ai trouvé ça encore plus fort que ce qu’ils font en Amérique. La langue est plus avancée, le vocabulaire est beaucoup plus riche. Je ne sais pas, mais en France ça s’est développé d’une façon incroyable. Il y a quelqu’un qui a fait beaucoup pour la culture du break en France avec une grosse réputation, c’est Benjamin de Division Alpha. Benji, il a changé le jeu pour les B-Boys, il y a peu de choses qu’il a faites que je n’ai pas aimées. Presque tout ce que les B-Boys font aujourd’hui, vient de ses mouvements. Il faut aussi que je te fasse voir une vieille photo de moi avec Aktuel Force (incluant Gabin et Karima) que j’adore (voir photo ci-dessous). La France est très forte en graff, très forte en rap, je parle du freestyle pas des trucs à la radio. Les français ont de très bons Dj’s. Alors, c’est grâce à des pays comme la France qui ont gardé la culture du hip hop à un niveau souterrain qu’on a pu conserver l’esprit. On apprend le judo de cette façon, on observe le grand maître pour que rien ne change. La seule chose qui change, c’est la force et la souplesse. Pour garder pure un art, il faut agir de cette façon. Tu sais pendant des années le niveau du break était moins bon en France, et je ne dis pas ça pour le crew Aktuel Force, dans lequel sont tous mes copains. La raison est qu’ils nous ont vus danser en Amérique à une époque où tout était déjà fini, la vague était déjà passée. Si on dansait, c’était juste parce qu’on n’avait rien d’autre à faire et qu’on ne voulait pas arrêter. Le break dans les années 70 était beaucoup plus fort que ce qu’on faisait dans les années 80. Malheureusement la France n’a pas pu voir ça sinon ils auraient commencé avec un niveau nettement supérieur. Ils nous ont juste vus à une moins bonne époque et ils ont pris des trucs pas terribles. Maintenant, ils ont un niveau très élevé.

Mr Freeze et le crew Aktuel Force (1998) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Peux-tu éclaircir cette histoire du Moonwalk que tu réalises deux ans avant Michael Jackson ?
Mr Freeze : Tu sais le Backslide, le truc en arrière que j’ai fait dans Flashdance et qu’on croit que Michael Jackson a inventé, la première fois que je l’ai vu, c’est un ami qui s’appelle Locka Tron John de Brooklyn qui l’a fait avec un parapluie. Bien sûr, ce n’est pas moi qu’il l’ait inventé. Quand j’avais vu ça, j’avais dit : « C’est super ça ! Est-ce que je peux le faire ! » ? Pendant ces années, soit tu volais les mouvements, soit tu demandais à celui qui les avait inventés. Il m’avait dit « bien sûr« . Des années après, il m’a dit : « Tu sais Freeze, je t’ai laissé utiliser le truc avec le parapluie, mais je ne savais pas que tu allais le faire dans un film ou tout le monde, sur la planète, allait croire que c’était toi qui l’avait inventé ! ». Alors, je dis à tout le monde que c’est Locka Tron John qui ma donné le mouvement avec le parapluie, comme ça on lui donne du respect.
Un jour, alors que j’étais à Hollywood Hill dans la maison de Jeffrey Daniels du groupe Shalamar, on regardait l’émission de la Motown. On savait que Michael Jackson allait passer mais on ne savait pas ce qu’il allait faire. Quand on l’a vu faire le Moonwalk, on s’est tous regardés. On se demandait ce que ça allait donner pour Michael Jackson. Tout le monde est devenu fou.
C’est rigolo parce que j’ai travaillé pour Michael pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Je lui ai donné des cours pendant quelques années. Mais quelques années plus tard, j’ai lu des interviews et aussi vu un documentaire sur lui avec des enfants à Neverland. Ce qui m’a vraiment embêté c’est qu’il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. Et, dans le documentaire quand les enfants lui demandent : « Michael fait le Moonwalk ! », lui, il répond : « Oh mais tu sais le faire, c’est de vous que j’ai appris ». Il donne le mérite à des enfants qui sont dans la rue mais la vérité c’est qu’il a payé des gens pour lui apprendre. C’est dommage de n’avoir rien dit : « Voilà, c’est cette personne là qui me l’a appris. Il faut le voir faire ». Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

J’ai travaillé pour Michael Jackson pendant deux ans. J’étais son professeur personnel. Il savait que des danseurs comme Casper, Jimmy Lee, Skitta Rabbit, Poppin Taco et moi lui ont donné des cours et appris le Moonwalk. C’est dommage de n’avoir rien dit. Ça aurait fait bouger les choses pour eux.

DWT : Que penses-tu de sa technique d’exécution ?
Mr Freeze : Il l’a très bien faite, c’est sûr. Le Back side très bien mais le Moonwalk dans un cercle, c’était très débutant.

DWT : Le film «Flashdance» a marqué toute une génération de danseurs en France. Vous étiez pourtant réticent quant à votre participation…
Mr Freeze : Kool Lady Blue (ancien manager du Rock Steady Crew) nous a amenés dans un studio de danse et nous a dit : « Voilà, j’ai un ami qui travaille pour la Paramout Picture. Ils veulent faire un film avec des danseurs différents, qui font des choses que personne n’a jamais vues ». On avait répondu : « Non, non, non : on ne veut pas faire ça ! ». À cette époque, on pensait que si tout le monde nous voyait danser, toute la planète allait nous voler nos mouvements ! Pour nous, c’était très important ça. Tu ne pouvais pas prendre les mouvements de quelqu’un d’autre. Ça ne se faisait pas. Maintenant, c’est différent. lls nous ont donc présenté le film en nous disant qu’on allait être payé 1 000 dollars. Pour nous, c’était beaucoup d’argent à l’époque (rires). Alors, on a décidé de le faire. Avec les pourcentages et les royalties on a bien touché pendant quelques années. Ma mère était fière, mais elle se demandait si ça allait donner quelque chose. Et bien non, ça n’a rien donné ! Nous n’avons pas fait de carrière, ni d’argent (rires). Au moins, on a fait quelque chose sur la planète dont tout le monde se rappellera.

Mr Freeze effectuant le Moonwalk (Flash Dance, 1983) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

DWT : Les années 1990 sont souvent présentés comme le golden age du rap. Comment as-tu vécu cette période ?
Mr Freeze : J’étais complément perdu pendant ces années. Il y avait toute une partie de la culture qui avait disparu. Je ne pensais à rien, je n’étais juste pas intéressé. C’était trop devenu un business, je n’étais pas content depuis 1988 environ. Je n’écoute plus de rap, c’est fini. Parce qu’en Amérique ils ne jouent plus que du Lil Wayne, Soulja Boy, de la vraie merde. Je me suis arrêté à KRS One, Rakim, Big Daddy Kane : les maîtres ! Je suis revenu réellement que depuis 2 ans. Je vais te dire ce que Mr Wiggles (Steffan Clemente) m’a dit : « Freeze t’es français et c’est incroyable que les français ne te connaissent pas ». Ce n’est pas par manque d’intérêt des français mais parce que je ne communiquais pas sur ce que je faisais. Ce n’est pas moi ça. Si j’avais été une personne comme Crazy Legs et Mr Wiggles, j’aurais peut-être fait du business. Ce que je faisais n’était que pour m’amuser. Je ne dis pas que faire du business n’est pas bien. Eux, ils ont continué à faire du hip hop en le gardant pur ; Sans faire de conneries.

DWT : A ce propos, sais-tu que les interviews sont payantes avec Crazy Legs, Kool Herc et parfois même KRS 1 ?
Mr Freeze : Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Qu’on veuille faire des choses, c’est bien mais quand on parle aux anciens, ils veulent être payés et c’est normal. C’est leur façon de faire de l’argent. Ils pensent que faire une interview d’eux sera, quoi qu’il arrive, une manière de faire de l’argent avec leur image. Je peux te donner un exemple : j’ai fait l’Ultimate B-Boy Championship aux U.S.A, Las Vegas. Je voulais Kool Herc et KRS1 avec qui j’ai fait plein de choses. Il s’est fait payer 10 000 dollars pour une chanson. On a envoyé le contrat et sa femme nous a dit : « Ah non, on peut le faire mais sans la vidéo, sinon il faut un pourcentage ». La même chose avec la sœur de Kool Herc si on voulait le filmer. Ils savent qu’il y a des chances que ça se vende. Si Crazy Legs envoie son avocat, il a raison parce que c’est son business. Ils ont inventé une façon de vivre pour tout le monde alors ils doivent protéger leurs intérêts. Moi, j’ai une autre approche, je ne fais pas mon argent avec la culture. Je fais du marketing, de la promotion, je donne des cours. Mais si je sais que c’est une grande entreprise qui a des millions de dollars, c’est clair que je vais leur dire : « Ok on peut faire mais il faut qu’on parle avec des avocats avant ».

DWT : Comment juges-tu l’évolution de ta discipline jusqu’à aujourd’hui ?
Mr Freeze : Tout le monde fait les choses bien. Le seul problème c’est que les gens ne veulent pas parler des inventeurs. Ils veulent faire comme si l’invention leur revenait. Ainsi, ils ne transmettent pas l’histoire. Je donne des cours de lock, je sais le faire, mais je ne suis pas un locker. J’explique tout : d’où c’est venu, pourquoi, qui sait qui l’a inventé. C’est très intéressant, il faut parler de tout.

Il faut que tout le monde comprenne quelque chose, on ne vient pas toujours nous voir en nous disant : « Voilà, je fais ça uniquement pour la culture… » Alors que nous, tout ce qu’on a fait dans notre vie, c’était pour la culture. Certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !

DWT : Justement, peux-tu nous parler de l’Ultimate B-boy Championship (voir ici), ce tout nouveau championnat que tu organises…
Mr Freeze : Toute ma vie, j’ai été intéressé par le break. Je voulais vraiment voir quelque chose de formidable. Quand on faisait des défis en 3 minutes, quelqu’un se faisait complètement démonter dans le cercle. L’UBC sera exactement de la même façon pour que ça devienne un sport comme le Skate Board, le Roller qui se sont développés dans la rue. Je trouve ça formidable que les B-Boys deviennent professionnels. BC1 ou Battle Of The Year font des choses mais ce n’est pas les meilleurs de la planète. C’est des événements pour les jeunes, certains organisateurs deviennent riches et les danseurs gagnent de la merde. Les choses qui ne sont pas pures ne marchent jamais aussi bien. Dans le championnat que j’ai monté, l’UBC, les danseurs gagnent une vraie somme !
Le BC1 est fait par Red Bull, c’est un bon spectacle. Alors moi, J’ai vu l’Ultimate Fighting Championship. J’ai décidé après ça et toutes ces années de faire rentrer dans un cercle les meilleurs B-Boys de la planète. Ils seront très frais et prêts à esquinter tout de suite. Ça sera excitant de voir la rage de deux B-Boys qui ne s’aiment pas, sur le sol, comme ça se faisait dans les années 1970. Si je le fais sur une scène avec un tel qui bat un tel, puis un autre, ça va prendre toute la journée. En finale, tu as toujours les deux mêmes, tu les as vu toute la journée mais Ils sont essoufflés et n’ont plus  aucun nouveau mouvement à faire.
Moi je prends un B-Boy par mois pendant un an, n’importe où sur la planète. A la fin des douze mois, on en choisit deux. Les gens pourront voter mais je ferai attention à prendre vraiment les deux meilleurs et ne pas prendre quelqu’un qui a 200 000 likes sans faire des choses bien. Il y aura la UBC Team qui validera. Je veux des gens que personne ne connait. Je suis content car j’en ai déjà repéré un. Ça sera gratuit, tout le monde sur la planète pourra suivre le championnat avec un vrai battle à la fin. Celui qui gagne le BC1 ne va pas forcément gagner l’Ultimate B-Boy Championship. Pour moi ce ne sont pas les meilleurs. Si c’est pour faire ça sur quelque chose qui glisse, ça ne marche pas. S’ils ne font pas les mouvements de base de la danse : ils ne dansent pas. Il faut le faire comme aux jeux Olympiques. Il faut qu’ils fassent des figures imposées. Même s’ils font 17 Back spins, il faut au moins qu’ils puissent se tourner sur une jambe et se balancer. Si un B-Boy de l’UBC fait un Back Spin avec un Back Top et puis il danse, ça ne compte pas. Mais s’il fait un Back spin et Back top dans un mouvement de break, ça compte.

DWT : Le déroulement de la finale de ton tournoi est assez surprenant…
Mr Freeze : 24 heures avant, une fois que j’ai donné le nom des deux finalistes de la battle sur le site internet, la finale aura lieu quelque part sur la planète. Comme c’est gratuit, il n’y aura pas de contrôle, ça peut devenir dingue. Si on le fait sous la tour Eiffel à Paris ou à Moscou, c’est plus excitant. J’essaie de devenir le Bill Gates du B-Boys world (rires). Parce que malgré les millions utilisés pour monter les événements, les B-Boys ne touchent vraiment rien. On ne leur donne que de la merde. Ça m’embête. Si je réussis à faire ce que je veux, les B-Boys et les B-Girls sur la planète auront une autre vision de la façon de faire de l’argent avec une carrière de danseurs.

Mr Freeze – UBC 2010 (Las Vegas) – Photo © Droits Réservés

DWT : Penses-tu que nous puissions associer la danse à un sport ?
Mr Freeze : Je ne dis pas que c’est du sport. Si tu fais un mouvement sur le rythme : tu danses. Si tu ne le fais pas sur le rythme : tu ne danses pas. C’est pour ça que je dis que si tu fais un saut en l’air, fais-le dans un pas de break. Parce que juste le saut, ça veut dire que tu fais du sport et c’est tout.

DWT : Le côté « Entertainment » ne semble pas te déranger…
Mr Freeze : Toutes les choses qui viennent des racines du hip hop ne me dérangent pas, pas plus que le coté commercial. Au moins ces manifestations donnent une visibilité au hip hop et une possibilité de choix. J’aime bien les grands événements breakdance. Je trouve l’organisation formidable, mais on ne sent pas l’énergie. On la sent juste avant, puis plus rien : ce n’est plus trop excitant pendant le show. Il y a un autre problème, c’est le manque de sponsors. Dans la compétition « Juste Debout », Bruce le promoteur emmène 15 000 personnes avec lui. Il change le jeu. Il l’a vraiment bien fait, tout est là ; seuls les sponsors manquent. Des sponsors qui annonceraient : le gagnant représentera notre compagnie, il gagnera 100 000 dollars ou un demi-million d’euros. C’est dommage que le business et les entreprises ne supportent pas plus, car c’est important. Quand tu remplis un Bercy avec 15 000 personnes. C’est qu’il y a des gens que ça intéresse. Certains pensent que ça enlève des choses de la culture hip hop. Moi, je ne crois pas ; c’est une chance. On donne à des danseurs, qui n’avaient rien : un événement, une grande scène, et le pouvoir de se représenter.

DWT : On sent que tu es très attaché aux valeurs originelles du mouvement hip hop…
Mr Freeze : C’est clair. Il y a toujours ces valeurs, ça dépend où tu vas, telle boîte de nuit, tel événement… C’est toujours l’interprétation que les gens font de la culture hip hop qui compte.

DWT : Il y a des grands festivals auxquels tu participes aux États-Unis ?
Mr Freeze : Je vais parfois à l’anniversaire des Rock Steady Crew. Mais aux États-Unis, c’est mort le hip hop. Le vrai hip hop qu’on connaît n’existe plus. Ce n’est plus des événements dans lesquels, les gens peuvent se dire « bonjour, comment ça va ?« . En Amérique, Il n’y a plus de substance dans les événements, contrairement à ce que l’on voit ailleurs sur la planète. Il n’y a plus rien de pur. C’est triste ! Il y a quelques années, quand je suis allé à un anniversaire de la Zulu Nation dans le Bronx, il y avait peu être 80 personnes. Quand je vais à celle de Belgique organisé par Philippe, il y a peut être 3 000 à 4 000 personnes. En Pologne, il y aussi un truc immense.

Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

DWT : Que penses-tu de la mentalité française dans le hip hop ?
Mr Freeze : J’étais le premier B-Boy à donner des cours de danse hip hop à l’opéra Bastille au début des années 90. J’avais fait une émission à la TV, pour Canal+, dans laquelle on m’avait reproché d’avoir dit que les français ne savaient pas danser. Je n’ai jamais dit ça. J’expliquais juste les techniques du Poppin et du Locking. Mais un jour, en passant à Châtelet Les Halles, des mecs m’ont abordé en me disant : «Il y a des mecs qui t’en veulent d’avoir dit que les français ne savent pas danser». J’ai demandé qui ? Ils m’ont répondu : «Ils sont en bas, dans le forum». J’étais descendu, énervé, prêt à me battre. Quand j’ai vu les mecs, je leur ai dit : «  Maintenant s’il y en a qui ont un problème avec moi et ce que j’ai dit, on peut parler ou se battre mais un par un. J’étais prêt. Je n’ai jamais tenu ces propos sur la France, pourquoi je dirai ça ? Je suis français, moi aussi. » Ils m’ont tous dit : «  Non ça va, tu es venu comme ça, on te respecte». Mais comment quelqu’un peut penser ça ?
J’ai entendu aussi qu’à Battle Of The Year, un crew américain Battle Born s’est fait huer par le public français qui lançait des bouteilles et des chaises. C’est des copains, je connais ce crew, ce sont des tueurs par terre. Idem pour la sortie d’un crew israélien où il a fallu que la sécurité intervienne. Je n’ai jamais entendu ça ailleurs qu’en France. Pourquoi font-ils ça ? Ils sont à un événement, inventé par des américains, ils écoutent du rap né au U.S.A, des Dj’s, ils s’habillent comme des américains avec des Converse et ils font des «ouh ouh» ? C’est bête mais je pourrais pourtant revenir vivre en France, je m’y sens bien. En Californie ils disent : « J. ». En France : « Ouais, je fais le hip hop français. Je représente ma façon de penser ». Et moi, je réponds : « Tu fais ce qu’on a inventé il y a des années, mais tu le fais en français ». Le hip hop est né à New York dans le Bronx alors vous nous représentez nous. Vous croyez que vous vous représentez mais vous ne représentez rien, juste nous. Je préfère que les gens me voient comme ça, plutôt qu’avec un chapeau sur le côté et des dents en or : « Je représente les quartiers et j’en ai rien à foutre, je suis de la rue ». Ça, c’est de la connerie, je ne veux pas être à coté de gens comme ça car c’est ça qui esquinte la culture. Je viens de quartiers encore plus durs et plus moches que ça mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des réalités de la planète. Il faut bien mettre le chapeau et faire une surprise à tout le monde, comme Bruce Lee ! On ne savait pas qu’il pouvait casser la tête à tout le monde (rires).

Propos recueillis les 4 et 6 décembre 2012 par Flo.

Dédicaces de Mr Freeze à Sydney, qui représente toujours la culture, et à Solo. A tous les mimes et les cracheurs de feu du début des années 1980 sur l’esplanade du centre Pompidou (Paris)…

…avec Mr Freeze (à droite) – Photo © Archive Mr Freeze – Droits Réservés

Notre équipe tient tout particulièrement à remercier Mr Freeze pour sa disponibilité et son enthousiasme face aux nombreux échanges que nous avons eu pour vous faire découvrir dans le détail son parcours. Nous le remercions également pour nous avoir donné accès à ses archives photos dont chaque internaute en comprendra les intérêts historiques… Nous vous invitons maintenant à suivre son actualité au travers son projet pharaonique de l’UBC, l’Ultimate B-Boy Championship dont il est le brillant investigateur (voir la présentation vidéo de l’UBC).

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