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Lokiss – Prédateur isolé

Interviews
gabin, lava

Avec LOKISS on sait tout de suite qu’on ne va pas distribuer des bisous. Tant mieux le hip hop c’est d’abord une démarche personnelle pour s’y intéresser réellement puis arrive l’envie du dépassement de soi afin de s’élever intellectuellement. Par la suite, il y a d’éventuels partages et confrontations avec d’autres aficionados de notre mouvement alors conversons tous ensemble. Au passage, sur Down With This on libère la parole de ceux qui ont des choses intéressantes à dire, peu importe les opinions ou les clans, même ceux du Clan Campbell. Cela peut donner à réfléchir, à débattre voir même s’engueuler mais rappelons tout de même que notre belle culture vit d’amour et d’eau fraîche comme tout le monde le sait. Les propos tenus ne regardent bien sûr que leurs auteurs, à vrai dire « le buzz » on s’en bat, le hip hop ce n’est pas un business pour Down With This qui est, et restera on le rappelle gratuit sans obligation d’achat. Ici, Il n’y a rien à perdre, tout à gagner avec zéro publicité. C’est du plaisir, du temps passé et de la passion. On n’a jamais voulu remplir nos assiettes avec ça et c’est mieux comme ça. Certains pour s’occuper comme hobby vont au café PMU, jouent au foot le dimanche, ou même ne font rien du tout, nous c’est DWT. On n’a pas à se justifier sur le contenu de notre site car on contrôle le mic comme Fidel Castro (vu déjà tout ce qu’on coupe par sympathie, Rires). L’intérêt n’est pas de faire des milliers de MC’s, DJ’s, Breakers, Writers en promotion. On l’a déjà fait et bien fait à d’autres époques. L’intérêt ces dernières années, c’est plutôt de susciter la réflexion, pas de servir une sempiternelle soupe promotionnelle imbuvable. Le hip hop est mûr pour avancer encore et faire son auto critique semble-t-il. Cela ne se fait pas avec des « Alors ce nouveau projet ? Ce featuring ? Vous vous êtes rencontrés par hasard ? Tout ce que vous faites est génial, on s’aime tous, faisons une ronde autour de la terre. Ici oubliez tout ça, haussons le niveau, La Place Forte est faite à l’exigeant LOKISS pionnier de la culture « graffiti » européen et surtout bonne année au hip hop français !

DWT : Bonjour Vincent. Question pointue : comment vas-tu ?
Lokiss : C’est drôle, j’avais une meuf que vous avez peut-être déjà vue à la grande époque du graffiti, qui s’appelle Myriam, qui vivait Porte de La Villette, dans la cité de Scalp et toute la bande et je la revois ce soir. C’était ma première vraie histoire d’amour, donc c’est drôle. Je ne l’ai jamais revue depuis 30 ans. Ça me fait plaisir. J’espère qu’elle n’est pas restée sur cette époque-là genre traditionaliste et nostalgique d’un « âge d’or » du hip hop… Evidemment P.E., c’est mieux que PNL. Mais écouter du hip hop en 2017… Ça me rappelle ceux qui avaient une banane et un drapeau sudiste sur le perfecto en écoutant Gene Vincent en 1985.
Sinon oui ça va. Je vais toujours bien. Car je vais toujours mieux que le syrien d’Alep. Ne pas recevoir de bombes sur la tête, ça te relativise le spleen…

DWT : On va donc essayer de ne pas trop t’ennuyer avec nos questions sur le hip hop qui peuvent te paraître depuis longtemps désuètes…
Lokiss : Mais si, vous pouvez, c’est intéressant tout ça. Enfin 5 minutes. Le futur sonne à ma porte et je ne peux pas le faire attendre.

DWT : Tu es né où et dans quelle condition sociale ?
Lokiss : Je suis originaire d’une communauté plutôt arménienne de Marseille. J’ai des origines bretonnes et arméniennes. C’était des marins les grands parents alors comment ils se sont rencontrés… Tous mes frères et sœurs sont nés à Marseille. A un moment tout le monde est venu à Argenteuil et je suis né là-bas. En 68 dans une bonne grosse cité, la ZUP d’Argenteuil.
Une fois, j’y suis retourné et j’ai compris qu’il fallait que j’en reparte. C’est vraiment la zone avec un Auchan fermé, impossible à ouvrir avec trop de vols et de violence. Si j’avais dit je suis né là, ça ne changeait rien, il fallait que j’en reparte (rires). Regards pesants…
Ma mère était dans l’éducation nationale dans une école maternelle et mon père journaliste à La Marseillaise après à L’Humanité.

Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge. Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage.

Je suis arrivé sur Paris vers l’âge de 5/6 ans dans une cité du 20ème arrondissement et puis ascenseur social avec mon père qui a une maison d’édition qui s’appelle Champ libre puis le Sagittaire. Voilà. Mon père devient romancier et ma mère change de truc. Quand j’aborde le hip hop, on ne peut pas dire que je suis un fils du ghetto, loin de là. Je suis plutôt un petit bourge et d’ailleurs on me le fait bien ressentir que je suis blanc bourge.

Reste que mes racines sont dans la « banlieue grise » et j’en ai gardé une certaine âpreté dans le langage. Un côté un peu sanguin. On me conseille souvent « d’arrêter de faire peur ». Quel décalage… Cette soi-disante « violence » est essentiellement fondée sur un délit d’opinion. Dans un milieu qui ne prend pas le risque d’en avoir une, et encore moins une pensée contraire à une logique de vendeur de tapis.
Hey la foule, je suis un ange !
Ces gens n’ont aucune idée de ce qu’est la violence, de ce qu’est un vrai dur. Toujours des crèmes ces mecs d’ailleurs, jusqu’au moment où ça dérape… ça parle plus et ça saigne beaucoup.
Moi je parle avant tout, et j’essaie d’agir selon les idées exprimées. Si violence, la voilà !
Tu la sens cette société servile et policée ? Cette culture qui ne s’engage nulle part, au-delà de la bonne vieille morale consensuelle de mamie molle : peace, love, mon chèque ?
Tu parles… non. Pour eux. Tu hurles.

DWT : Tu étais quel genre d’adolescent ?
Lokiss : Quand j’ai découvert le graffiti, j’étais en 6ème dans un collège à la station Anvers, dans le 18ème. Il y avait 5 petits français de souche dans ma classe. J’y ressemblais même si je ne le suis pas vraiment.
Dans la classe, y a que des rebeus bien bastons. Donc là, ça me prépare bien pour le graffiti avec la violence, bizutage et tentatives de racket. Je résiste donc je me fais défoncer tout le temps et on m’appelle « poil de carottes ». Quelle époque. J’aurai du choisir ça comme premier nom dans le graffiti : « Poil de carotte One » (rires).
J’étais dans un lycée où tu avais deux choix ou tu déconnais avec eux, ou c’était l’allumage permanent. J’ai choisi la solution entre deux, j’ai commencé le karaté …
J’étais un bon élève mais super déconneur, passionné par le skate et les rollers. Quand j’arrive vers la culture graffiti vers 13/14 ans je passe mes journées à faire du roller tendance dingue. Je m’accroche derrière les bus, les motos, tout ce qui peut être proche de la grosse connerie et je me balade avec des gars qui vont s’appeler plus tard les Karaï Starz. Une grosse équipe du graffiti du terrain vague de La Chapelle. C’est un peu les U.V. de l’époque.
Des petits démons de 12/13 ans ultra protégés par les grands frères de Belleville.
On s’est appelés Kamikaze Commando en patins à roulettes et puis après les Karaï Starz. C’est une expression que j’ai inventée.
C’est vrai que d’être le seul petit blanc au milieu d’un terrain vague, c’était tendu mais j’étais habitué à ça, ça ne m’a pas déstabilisé plus que ça…

DWT : Tu rêvais à quel avenir dans ta vie ?
Lokiss : Absolument rien d’artistique. Ça c’est sûr. Étrangement, j’avais un truc vis-à-vis de la diplomatie chose dont je suis un peu dénué mais j’étais assez genre « je veux travailler dans des ambassades » quand j’étais petit. Je ne sais pas pourquoi et ça fait beaucoup rigoler les gens souvent quand je le raconte. « Toi diplomate !? » mais sinon rien.
Je lisais très peu de BD, plutôt mon frère. Il m’a initié. Il était très punk. Un jour il revient du service militaire qu’il a passé en compagnie d’un DJ qui écoutait du funk et aussi du rap. Il ramène, en 1979, le premier album de Kurtis Blow et de Sugar Hill Gang. Je m’en souviens très bien. Je l’ai réécouté la dernière fois et je trouve ça toujours très bien. C’est comme ça. Je découvre le rap avant de découvrir le graffiti.

DWT : On parle jamais de cette communauté arménienne dans le hip hop, il y a bien le photographe Armen Djerrahian, mais ça reste anecdotique. Quelques mots là-dessus ?
Lokiss : Je ne le revendique pas parce que j’ai un nom breton et quand un breton vient me voir en disant « oh vous avez un nom breton », je dis non, je suis africain, je dis n’importe quoi en fait. Je suis du genre à dire à un palestinien qui le revendique « moi je suis juif ». Je suis un fouteur de merde. Après vis-à-vis de la Turquie, j’ai un regard différent. Je le dis souvent « vous l’avez bien mérité votre Erdogan » mais en même temps, ils sont contents les gens. Ils disent « vaut mieux un tyran que l’explosion dans tous les sens façon Syrie ». « Vaut mieux un mec qui tienne le pays ». Avec Erdogan, la question du génocide arménien est encore problématique. Déjà car si reconnaissance des massacres, alors implicitement on reconnait les spoliations et on admet l’idée de gigantesques compensations financières… Au fond du fond, ce n’est qu’une histoire de pognon, plus que de fierté nationaliste turque.
Le métissage c’est intéressant parce qu’à un moment tu ne te reconnais dans rien et c’est bien parce que c’est la nouvelle hybridation. Les arabes par exemple me disaient : « les arméniens, ça pue le fromage ». Et les bretons, ça pue le cochon ? Je ne voyais pas d’où ça venait mais ça me faisait accepter. Vaut mieux qu’on se moque de toi que de se bastonner tous les jours.
« Sale blanc », « sale nègre », c’est vrai que moi quand je suis avec des copains noirs et qu’on se nargue en riant, que je leur balance du slogan néo-fasciste dans la face… les gens qui arrivent là-dedans, se disent : « mais vous êtes dingues les mecs de vous parler comme ça !! ».
Aujourd’hui ce n’est plus du tout la mode. Ce gros défouloir délirant.. ça vaut mieux ça que le petit racisme larvé classique, non ?
Je connais plein de personnes prétendant n’être pas racistes, à qui je demande « mais vous avez un noir ou un arabe dans vos amis ? ». Et ils n’en ont pas un seul ou alors c’est un noir qui s’est tellement intégré que c’est un blanc avec la peau noire. Avec une culture définitivement ethno centrée « blanche », « bourgeoise », « Apple ».
Chuck D. Non. Stromae. Oui.
Ensuite entre « blanc », et « petit blanc », c’est un autre fossé culturel, un autre polissage social. Une autre interview quoi !

Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets.

DWT : Quel est le premier aspect qui t’a plu dans le graffiti ?
Lokiss : Souvent, c’est une question que je me pose. Je ne sais pas quelle est la première image. Je pense que ça peut être un clip de The Clash avec Futura. Je copie un peu mon frère. A un moment, il est Mods donc je suis Mods. Je commence vraiment à m’y intéresser en 1984. J’ai retrouvé plein de feuilles ou je fais des lettrages horribles avec des b-boys avec des grosses baskets. Au début, les clips je ne les vois pas. Mais ici, dans ces souvenirs, le vrai déclic, je ne le vois toujours pas. Je suis seul dans ma piaule avec un Onyx marqueur à faire des trucs abominables …
La découverte de Bando, c’est bien après. D’ailleurs, je découvre, avant lui, des graffiti qui sont faits sur mon lycée. Le mec peint plutôt pas mal en plus pour le niveau de l’époque et dans ce collège je rencontre Irus, aujourd’hui réalisateur de clips pour la variété française, et Scipion, urbaniste en Indonésie depuis 10 ans, qui sont dans une classe en dessous et c’est vrai que l’émulation se fait parce qu’on est trois.
Tout d’un coup, je ne suis plus dans le patin à roulettes et les ados juteuses, mais obsédé par ça.
On voit un clip où des breakers portent des lunettes de ski sous la visière de leur Kangol, alors on va voler des lunettes de ski à la FNAC Sports (à la place du Go Sport Châtelet).

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique.

Au début, on va aux Puces pour acheter des bombes pour voitures et quand on découvre qu’on peut voler dans les magasins de bricolage… là ça devient LE sport. Ça fait partie de la pratique. Là, c’est par dizaines, centaines dans les entrepôts, le BHV, les graphigro. La razzia… Même sur ce point, il y a une battle entre les crews.
La mythologie se construit avec celui du hip hop et cet univers un peu mystique dont on voit que des bribes, cela construit du coup un truc encore plus mystique. Plus c’est opaque et plus c’est mystérieux. De là on est complément parti. J’essaie de commencer à danser un peu avant aussi mais c’est très complexe.
C’est une époque un peu folle où chaque jour contient son lot de prise de risques, de vol, de violence, d’énormes fous rires et de grosses peurs. Réellement définir le déclic. C’est mettre une date sur un ensemble complexe d’influx simultanés et de ressentis disparates. Parfois tu aimes une femme sur un accident, je crois que le moment où je deviens un writer, réellement, pas seulement le dimanche façon « hobby », c’est proche de l’accident. Cela aurait pu être la pratique d’un sport extrême.
En même temps niveau « extrémités » le writing n’a pas à avoir honte d’un gars qui dévale une vague de 30 mètres, un hélicoptère Red Bull au-dessus de l’écume. La comparaison est perverse, on y reviendra plus tard…
Je me souviens aussi très bien de Radio 7 avec Laurent Garnier, y’a Deenasty qui mixe le week-end. Laurent Garnier met des trucs super pointus en électro funk et là je découvre pleins de trucs. Les disques Electro Sounds ou le hip hop est encore très électronique, très instrumental avec toutes les compilations que j’achetais au disquaire des Champs Élysées.
C’est la rencontre avec deux personnes qui sont prêtes à faire la même chose que moi. C’est des instants très simples, des choses très bêtes, on est sur un même banc de métro et on se rencontre. Il y a une électricité qui se fait et on commence à peindre à cause de ça.
On peut aussi arrêter juste parce qu’on s’est pris la mauvaise claque au mauvais moment. Et là, c’est trop et on arrête. J’en ai connu pleins comme ça. Des beaucoup plus talentueux que moi, mais qui perdaient leurs moyens dès qu’il fallait défendre physiquement son mur, sa zone, son tag. Personnellement, si j’ai commencé la pratique des arts martiaux, ce n’est pas un hasard. Juste de la survie en milieu potentiellement hostile ! Je pense que c’est un ensemble de petites choses mais je ne peux pas vous dire il y a un instant T qui dit : ok, on y va.

DWT : Qui étaient les premiers arrivés sur le terrain vague de La Chapelle ?
Lokiss : 85 ou 86. C’est évidemment Saho (Ash BBC).
Après, je suis avec Scipion, gros hasard on passe en métro aérien et on voit des mecs dans un terrain vague. Il y a une seule pièce, le terrain est quasi vierge et on voit dans le fond des mecs un peu b-boys : Jay, Skki et Saho. On descend et on va les rencontrer. On est tellement peu que bon… Rencontrer des gens d’une culture similaire fait que l’on sympathise direct.
Ensuite, c’est devenu violent malheureusement avec toutes les histoires IZB, NTM and co.
Je l’ai quitté quand je suis parti peindre des gros murs dans le 15ème. Je me faisais embrouiller comme si je n’avais rien peint et que j’étais un petit nouveau. Une fois, j’ai dit à un mec « je n’ai rien à voir avec vos embrouilles », il me sort une batte et là, 25 tombent contre moi.
Aussi injuste, qu’un flic qui se croit dans Starsky et Hutch et te braque un flingue sur la tempe.
C’est vrai que c’est bizarre d’avoir connu le terrain de la Chapelle à 6 quand on pense à la manière dont cela s’est développé en l’espace de quelques années.

J’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.

DWT : Tu peux nous parler du rapport entre les français et les américains ?
Lokiss : Cette filiation contrariée, cette paternité finalement dépassée, c’est une problématique dans laquelle je m’enfonce en ce moment. Je rédige le second ouvrage qui fait suite à Graffiti (writing) – expressions manifestes, je suis au cœur du sujet… Personnellement, quand j’ai découvert l’univers du writing, donc en 1984, dans cette chose venant de l’« au-delà new yorkais », j’accroche principalement à l’univers robotique de Kaze2, au wild style ultime de Phase2 ou au néo panzerisme de Rammellzee.
Difficile de rester totalement insensible aux qualités de Dondi ou Seen, mais viscéralement ça ne me touche pas. C’est trop doux et je le ressens comme cartoon, pubeux… pas mon monde. A-One est extraordinaire aussi. Lee Quinones est impressionnant sur toile. Mais, d’abord la religion des engins spatiaux, des manifestes schizophrènes de Rammellzee, des missiles et des conflits spatio temporels. Souvenez-vous des Soul Sonic Force, Jonzun Crew, les premiers singles de DST… le futur en visionnage ghetto low tech et ultra glam. J’accroche immédiatement. Un vieux fond résiduel de culture punk flotte en moi. Et puis “World Destruction” hein ? Styles Wars, hein ? Pas « Styles and flowers »… Reste que je suis un compétiteur et que je ne vis que pour le duel au laser !
Ces cosmonautes sont déjà dans la sculpture et moi je commence à peine à savoir tirer un trait droit sans me chier dessus. Donc instinctivement, je m’impose l’obligation de renouveler le vocabulaire… ce que je fais un peu.
Restons les pieds sur terre sans les freestyles de Futura 2000 ou Ramm (encore lui !), je ne serai pas allé où je suis allé. J’ai européanisé le vocabulaire. Je l’ai confronté à ma propre culture de l’abstraction soviétique aussi, du futurisme italien. Tout ça avec une technique de toy +4. J’ai dû beaucoup travailler et supporter les moqueries quand j’ai pris un rouleau à la place d’une bombe. Quand j’ai laissé de côté les « argent et noir » et la virtuosité mes couilles du joli S…
Lybian Killaz. Skki et moi. Des portraits de Khomeini, des tanks aux abords de la porte de la Villette. Une ville n’est jamais aussi belle que quand elle est en ébullition et que les barricades font feu. Non ?

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…

Si tu préfères l’horreur, C215 te peindra des chats. Si tu préfères l’escroquerie et la nullité, Sowat te peindra des torchons à 10k avec des métatags pour analphabètes… et si tu veux promouvoir un lien social dans une banlieue dévastée, laisse JR t’enseigner les bonnes manières de la civilisation blanche…
Puis il y a les retraités yankees de Paris, je dois vraiment en parler ? Est-ce vraiment utile ? Les légendes qui détruisent à qui mieux mieux le mythe sur lequel ces prétendues légendes se sont fondées. Le yankee veut du vert… peindre avec du vert pour gagner plus de vert encore. Qu’importe s’il se ridiculise pour un dollar, s’il humilie une culture de 50 ans pour ça, tant qu’une légion d’honneur tombe…
Donc, please, revenons, au mythe, pardon aux artistes. Oublions les saltimbanques, les vampires, les clowns, les décorateurs du système, et autres ex-rebelles devenus meilleurs kapos du mois. La mythologie !
J’ai une profonde admiration, une vraie humilité devant l’apport des artistes que j’ai nommés au début de cette réponse. Sans eux, rien ou pas grand-chose d’une culture sociale qui, ici seulement, peut s’apparenter à une vraie culture artistique. Un vrai langage bricolé de toutes pièces, se modulant selon le contexte, fabriquant des outils en conséquence. A la manière du DJ qui décide de remplacer l’instrument de musique par les platines. La frustration pragmatique, quelque chose comme ça. L’absence créative, on pourrait s’amuser à créer une liste de mots… exprimant le profond respect que j’ai pour des gens qui ont peu, savent peu, et par génie, enrichissent tout le champ de la calligraphie, de la linguistique, de la sémiotique, et en deviennent les savants les plus révolutionnaires du moment. Mais leur langage accidentel, survient dans un continuum bien lisse de l’art contemporain, et l’histoire de l’art étant écrite par les membres émérites d’une civilisation qui les a envoyés vivre dans ces ghettos,
A part « vouloir faire un coup », Gallizia ou Vitrani en tête, pardon Monsieur Urbain 2017…, et inviter ces indigènes à nous exhiber leurs maquillages rituels, leur place n’est pas dans le musée. Au fond, tant mieux. On dira sans doute plus tard pourquoi.

Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas.

Après cet aveu plein de louanges, oui, je me mets parfois en colère, oui, je prends un temps qui m’est rare pour écrire ces livres. Je défends un héritage avant tout. Un héritage à la limite de la langue morte. A force d’assimilation par le bas. Tu prends le langage. Tu le vides de son sens. Tu gardes l’apparence. La forme pure et tu l’utilises comme un motif quelconque.
Ce que l’on nomme « abstract graffiti », et dont je serai, je mets ça au conditionnel car je n’ai pas choisi cette vision, un pionnier, en est un exemple frappant… Ces longues improvisations patchwork à 25 sur des escaliers du Palais de Tokyo ou les vitres de Radio France. Tout ça ne veut rien dire… juste une esthétique vidée de son sens.
Et comme c’est abstrait, c’est pratique… Pas de violence, pas de sexe, pas de regard artistique sur l’actualité. Du néant sur du néant ?
La Tour 13 avait pour seul mérite d’être finalement détruite après que les ados quadra se soient amusés. Quand détruisons-nous la Maison de la Radio puis le Palais ? C’est la logique première du writing… dent pour dent. Contre-attaque de la pollution visuelle, de l’hégémonie culturelle. Lis Gramsci.
Mais non, tu veux qu’il t’aime le musée, quitte à abandonner ta langue et ton âpreté : tu veux servir en jouant de ta posture de « rebelle ». Rebelle vraiment ? Tu en es tout l’inverse. Tu es celui que le rebelle, le vrai, ça ne signifie pas que je pense en être un, doit éliminer sans aucun remord.
Bon, ça va, on se calme ! Les « joulies » fresques c’est toujours mieux que des placards publicitaires. Mais si tu prends 5 minutes pour y réfléchir. Au fond les motifs sont-ils si différents au final ? Papiers peints contre papiers peints ? Qui endort le mieux la lutte sociale ? Qui inhibe le mieux toute contestation ?
Graphisme « Tron » et petites resucées constructivistes au scotch pour les nuls… Cool, ça évolue bien… rappelles moi… tu peignais quoi entre 1985 et 1990 ? Tu n’étais pas né, ok…  Alors pourquoi tu n’as pas inventé « ta chose » rien qu’à toi ? Tu es un nostalgique ou un vampire, ou les deux ?
« Regarde Rammellzee, ce qu’ils ont fait de toi … Regarde… C’est joli et sympa hein ? Oui on sait, toi tu disais quelque chose au travers de toutes ces formes. Tu les écrivais. Tu les chantais. Tu les sculptais. Tu les performais… Quoi ? Contrer les mass media ? Oui ça va ! Arrête de râler, c’est mieux que rien, et puis t’es mort, ta gueule ».

On va parler plus loin, des affres du « méta-graffiti », et des gens évidemment plus « intelligents », enfin plus acceptables pour le musée, blancs – éduqués – non revendicatifs, aux discours formatés au mieux dans des écoles des beaux-arts, et de ce « langage alien » des bas-fonds de la galaxie, qui, donc, à force de lissage et de compromission, se dilue au milieu.
Les méta-graffitistes, qui faute de savoir tracer un trait, se disent, allez jouons la free style au cap d’origine, ça aussi, c’est neuf, bravo…, conceptualisons le geste même du writer. Théorisons sur ma nullité.
Le musée blanc adore. Une époque cynique… condescendante et profondément lâche.

DWT : Parle-nous justement d’un de tes graff, le Sons of a gun.
Lokiss : J’avais peint la nuit. C’est marrant que cela aie marqué des générations. Je le trouve horrible, clairement banal. Je préfère les murs en spirales avec les losanges qui partent. Après, avec ce qui se fait aujourd’hui, je peux valider un peu le terme précurseur mais vu le niveau ce n’était pas difficile de l’être. Je préfère les murs à gauche de celui-là, le Duel ou le Bombs. Celui-là, c’est pur graffiti sauf que je mets des trucs un peu losanges mais bon… Et là, tout d’un coup, Bando est mon copain parce que je fais des lettres. Des vraies lettres. Bando vient peindre sur le mur la nuit. On est vraiment copains à ce moment-là. Je pense que je recouvre un truc à lui qui doit être détruit mais il n’est pas resté super longtemps ce mur. C’était le mur extérieur de l’avenue.

DWT : Que t’a apporté la parution de tes œuvres dans Spray Can Art d’Henry Chalfant en 1989 ?
Lokiss : De la fierté au départ puis … de l’indifférence. Aujourd’hui je sais qu’on me connait worldwide à cause de ça. Avec mes baskets roses et les Fat laces roses ! J’aurai préféré qu’il y ait des pièces à moi. Y’avait matière à l’époque…

DWT : Quand je regardais tes graffs enfants, je ne les aimais pas. Ils me gênaient. J’y comprenais rien, et toi ?
Lokiss : Je ne les comprenais pas tout à fait moi même !
C’est la rencontre avec un mec qui s’appelle Deub qui a été hyper importante. Lui, c’est typique de pas mal de gens dans ce milieu. Il a des esquisses et un travail mental d’enfer mais il est incapable de le peindre sur mur. Je le rencontre au terrain vague de La Chapelle et il arrive avec des esquisses faites à la gouache, c’est pour vous dire que le mec est dans un autre univers. Et il pète les contours. Quand tu es dans une ignorance totale de la peinture et de l’art, et bien quelqu’un qui pète un contour, c’est comme la découverte des demoiselles d’Avignon de Picasso : waouh ! On peut faire ça ? Niveau histoire de l’art c’est du zéro complet mais pour nous c’est énorme.

J’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages.

Un peu comme lorsque j’ai commencé à dessiner en destructurant les visages, je le dis tout le temps, ce n’est pas parce que j’ai découvert un truc génial mais parce que je ne sais pas dessiner. Je me suis dit on va faire des lettres avec des visages. A force, je vais travailler les yeux, les fossettes de la même manière qu’une lettre. J’ai destructuré pour camoufler mon incapacité totale à dessiner de manière réaliste.
Parfois, c’est des ruses de guerre qui peuvent amener quelque chose. C’est la même chose quand on n’a pas d’instruments et bien on prend des platines. La frustration au niveau du maniement de l’outil et de les obtenir, parfois, fabrique de nouveaux modes d’expression beaucoup plus intéressants. Là, c’était le cas.

DWT : Tu n’as jamais fait de descente vandale ?
Lokiss : Pas vraiment mais j’en ai fait. Je me suis fait arrêter dans le métro. Un soir, en descendant de chez Bando avec Colt, Sign et un autre mec qui avait les clés du métro, on a un peu vandalisé. Une autre fois, je suis descendu avec Jon one à NYC. Quand j’ai commencé à tagguer sur le wagon, il m’a dit « les tags, c’est pour les toys »… Ce qui est intéressant par rapport à ce qu’il fait aujourd’hui.

DWT : C’est assez paradoxal puisque c’est l’un des seuls aspects qui trouve grâce à tes yeux…
Lokiss : Ben quand c’est fait par Azyle je trouve ça vraiment intéressant mais bon, la même chose sur toile ça n’a aucun intérêt. C’est encore un phénomène du graffiti. Pour le coût, c’est vraiment un art contextuel. Le contexte est hyper important. C’est d’abord un art in situ. Tout est un influx, la possibilité de se faire arrêter et le truc qui est en train de se détruire, le toit qui se casse la gueule alors si c’est une friche, c’est encore pire.
Dans mon livre (Graffiti [writing] – expressions manifestes / Ed. Hazan), je photographie que du « work in progress » et, également, les éléments architecturaux comme parties intégrantes de la production qui sera documentée dans cet environnement.
Sur le vandalisme, je pense que le contenu du graffiti n’est pas très politique. C’est l’acte lui-même qui l’est. On a réduit notre seuil de tolérance à presque rien … maintenant on choque tellement rapidement.
Par exemple, il y a trois jours, je dessine des enfants et je les mets dans un contexte très déstructuré, mais rien de gênant, il n’y avait pas d’ambivalence. Une symbolique basique liée à l’innocence, la curiosité infantile. Je ne joue même pas avec aucun tabou (je me permettrai pas) et quelqu’un m’a dit « ouais mais tu mets des enfants quand même ». Et ?
J’ai vraiment eu un questionnement quand j’étais à Bologne en Italie. Maintenant, je peins 1 ou 2 murs gros murs par an. C’est toujours les mêmes qui te disent avec des prix qui n’ont pas bougé depuis 30 ans : « Oui mais nous on se bat pour que vous soyez payez au juste prix un jour ». Ben voyons…
J’y vais parce que Daim l’avait fait l’année d’avant et Phase 2 deux ans avant alors je me dis c’est un truc honorifique donc je vais accepter. 1500€ pour 150m2 de peinture. J’arrive et c’est peint en noir. Je l’avais demandé. Je peins le mur.
Plus tard, je vais sur Google Maps pour voir si c’est updaté, ça ne l’est pas et là je vois que le mur était sur-massacré de tags avant mon intervention.
Le plus choquant pour moi et qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est d’avoir recouvert une partie de ma culture et donc d’avoir jouer le kärcher. Donc là, y’a un vrai problème et là je peux comprendre que les vandales nous détestent, nous les fresquistes, les gentrificateurs…
Je me suis dit que c’était un acte politique que de les recouvrir. C’est un acte suicidaire. Ils ont réussi leur coup. Le mur y est toujours. Je n’ai pas été toyé. J’aurai bien voulu car je voulais le repeindre ce mur dans le sens de cette prise de conscience.
J’ai écrit un truc pour l’expo tags qui s’appelait « Graffiti culture suicidaire », c’est un texte qui a été beaucoup partagé, je disais que la vraie anarchie c’est d’être complètement déconnecté du réel, d’être « hors monde ».
C’est une vision aussi poétique qu’elle est profondément naïve. Et j’en suis bien revenu…

DWT : Tu sembles mal à l’aise avec le style de New York, au final, tu es plus perso ou lettrage ?
Lokiss : Je suis un peu le mec qui a tout mélangé. Il n’y avait pas de fond. C’est la fameuse histoire du « qu’est- ce qu’on met dans le fond ? ». J’ai résolu le problème, le graff c’est le fond (rires).
C’est vrai que c’était des lettrages quand j’exposais les trucs et les visages, à un moment, ont tout remplacés. Après, j’ai fait deux murs avec Skki qui ont marqué tellement de gens !
Il a lourdement aspiré Rammellzee et Phase2, proche du plagiat pour moi. Faut pas l’accuser, on a les modèles qu’on veut. En plus, j’aime bien le personnage donc je ne vais pas dire du mal de lui.
Deux murs donc un qui s’appelle Orgasma Penetratorz où on a fait deux pièces l’une au-dessus de l’autre. Toute l’Europe a été marquée. « On peut faire des graffiti l’un au-dessus de l’autre mais pas l’un à côté de l’autre ? ». Ça les a tous marqué. C’est surréaliste…
On utilise du rouleau. On le mélange à la bombe alors là c’est.. révolutionnaire ! On est en 1988…
Et l’autre très grand mur avec deux visages après Lokiss et au-dessus tout son truc rouge Skki. Ça aussi ça les a marqué. Là, je suis encore en association après ça, la lettre je la quitte complètement et je fais que des visages.
Je refais après des lettres quand je reviens en 1996 et que je collabore avec Mist.

DWT : Est-ce qu’on peut dire que les boss du lettrage en France sont Bando, Skki et maintenant Lek…
Lokiss : Ouais, je ne sais pas. Bando, oui je suis d’accord. Je trouve que Skki n’est pas sur le lettrage, ce n’était plus vraiment des lettres. Mais ouais, en France, on va dire ça.
Après je trouve que ce fait Lek, ce sont juste des recettes des années 80/90. A la limite Dem 189 me semble plus intéressant, même si les deux n’apportent rien de neuf.
Et puis sans régler mes comptes ici qui sont par ailleurs définitivement réglés et enterrés…
De quel Lek parles-tu ? Lek et Hof ? Lek et Yko ? Lek et Lokiss ? Lek et Iznogoud ? Lek et Jon One ?
Vivement qu’« il tue le père » comme on dit en psychanalyse.
Car c’est quoi le style de Lek ? Celui qui n’appartiendrait qu’à lui tout seul. Dites, on serait plein à en être curieux…

DWT : Que penses-tu justement du travail de Lek et Sowat ? Il y a eu Le Mausolée mais aussi Le Palais de Tokyo, Les Bains Douches, La Villa Médicis…
Lokiss : Bon je vois que vous avez envie que l’on s’amuse… Ok.
Quand on n’appartient pas à l’Histoire, on s’en fabrique une. Quand on n’appartient pas au mythe, on s’en construit un et surtout, ensuite, on soigne sa communication : livres, films, interviews et autres fellations chez le premier Ministre Ayrault par exemple. Tu veux la photo ?
Ce n’est vraiment pas de l’art, même pas du writing désintéressé et « sauvage ». Non, c’est un plan marketing. Une saloperie de plan marketing. Tout marketing n’est pas nuisible, celui de la Place forte que j’ai dirigé me semblait sain. Tellement sain que Keag et Sore pouvaient me retourner la galerie et la rue de la galerie ! Non, ici, c’est un marketing sale et bête, entièrement co-opté et dirigé vers l’ascension de quelques personnes au sein du bon vieux « système » dont la culture graffiti ne m’était jamais apparue comme la possible putain.
Jusque là.
Au niveau de cette prostitution, j’avoue que la corruption s’est généralisée. C’est pas leur invention… Si au moins, c’était assumé. Non, les protagonistes te défendent que c’est justement le meilleur moyen de défendre cette culture.

40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.

Verbiage de requins… 40 performances plus tard. Qui se retrouvent à la villa Médicis ? Qui finit encarté au Palais de Tokyo ? 37 autres restent sur le carreau. Faites pas de comptabilité, c’est un chiffre donné au hasard, mais les cadavres restent les cadavres.
Donc le trio gagnant Lek-Sowat-Vitrani, ah il y a beaucoup à dire… Est-ce l’endroit et le moment ? Tu veux vraiment ? Ca va prendre des plombes… Chaque époque a eu ses courtisans et ses benêts oui-oui tu sais ?
100 ans plus tard, qui s’en souvient ? Qui ? Moi je me souviens de Gustave Courbet, pas des 100 seconds couteaux présentés dans le salon officiel qui lui était refusé.
On va zapper Lek par respect pour une vraie amitié lointaine. Le gars que tout le monde appelle « Rain Man » dans son dos. C’est cruel. « Lekiss ». Stop. Ça va. On n’a plus l’âge des chifonnages façon Booba et le reste de l’univers sur twitter.
Passons aux newbies. A ces gens dont on ignorait encore le nom il y a 5 ans. Ces gens qui te disent qu’ils sont donc si différents de Gallizia ou tous les vautours attirés par le rôle de meneur culturel « urbain ».
Qu’ils en sont le rempart auprès des institutions. Le rempart à la récup’ facile… Puisque toi, le vieux, tu n’as pas fait le boulot !
Et ça me donne encore des leçons, et même, sans aucun malaise, questionnent ma street credibility… Ca tombe bien, j’en ai aucune. J’emmerde tout ce qui me « localise ». Je suis né dans la pire banlieue et j’en vomis les prisons verticales. 10 ans, ça m’a suffi. Ça te va ?
Le trottoir, le cher trottoir, je n’en ai jamais voulu, je vous le laisse, heureuse les copines ? Par contre, remonte ton slip, on voit la merde.
Je ne vais pas tomber dans l’insulte. Je respire… Je vais juste refermer par où j’ai commencé.
Donc… le livre « Mausolée, on enterre qui ? Ah ce dingue de Kaze2 et qui on met à la place ? Ah toi… ok. T’es sûr ? Non, parce que tu es un putain de toy, donc je ne pige pas… Tu sais, il y a une hiérarchie… Il faut monter les échelons. Par le nombre ou la qualité, cette chose appelée l’originalité. La créativité. Sampler de l’ancien… heu non ce n’est pas renouveler le genre. C’est juste saigner le cadavre et profiter de l’ignorance. De la peur à traverser le périphérique. A rentrer dans des friches tenus par des gitans….
Pardon. Mais toi tu es qui ? Non, un zéro, c’est trop. Ah ? Ok, j’ai rien compris !
La légitimité, elle se fait plus là ! C’est le premier qui montrera ses dents blanches dans le musée. Qui recevra sa médaille en chocolat au ministère. Okaaaay… Je suis con, j’avais pas compris. C’est vrai qu’en grands gourous de la « street » machine vous avez décrété que l’underground n’existe plus. Mais existez-vous vous-mêmes ? On peut le décréter aussi, dans le journal officiel…
Votre rue à vous n’est qu’un concept store entièrement dévolu à votre succès. Là aussi, ce n’est pas votre invention. Je ne suis pas aveugle. Tout le monde veut en croquer.

Le musée n’aura jamais osé rentrer dans le « hors musée », le « hors cadre », le « en dehors des frontières »… alors construisons un « terrain de la chapelle » en 6 mois. Créons une fiction historique et vendons là comme une épopée de 100 ans aux commissaires du grand Art, évidemment ignorants du subterfuge, et surtout de l’histoire réelle.
Le musée ne viendra pas à nous alors venons au musée.
Attention j’ai rien contre le musée en soi. J’y suis rentré maintes fois. Sous d’autres noms, en faisant autre chose. Juste ce langage n’y a pas sa place. Point. Son contexte n’est ni celui d’une vitrine de Prisunic, ni celui d’une fausse punition de « cube blanc » ou de sous-sol technique … bien loin de la zone ‘grand art’ des étages supérieurs.
C’est une opinion. Et elle ne bougera pas. On m’a inscrit « art nègre » sur une fresque dans le temps. Un skin head a failli nous clouer sur un mur, moi et Skki, avec la même revendication. Mais ouf, on ressemblait plus à des petits gaulois égarés dans le gothic futurism, on est parti en riant. Au fond, est ce que ça a vraiment changé ?
Faisons Lasco. En restant bien dans la piste cyclable du 3ème sous-sol. Et si on monte plus haut, restons sobres, nous les « y’a bon banania » bien polis de la sous culture urbaine.
J’ai peint une grosse quinzaine de grands murs pour le film Vandal. Mais ce film était moins une fiction que le projet Lasco ou le livre « Mausolée ». Cela résume assez bien mon point de vue, non ?
Hall of fame actuel ? La villa Médicis ! Mets-toi à la page, « has been » !!.
Si je fais ces livres aujourd’hui, c’est en grande partie, à cause des dégâts causés aussi par ces perversions, ces opportunismes, ces carriérismes d’épiciers obsédés par l’idée de « faire un coup ». Et de rentrer dans une histoire qui peut facilement se réécrire. Entendre d’ailleurs Magda Danys à ce sujet sans pisser de rire, sans pulsion de mort.
Allez… Les gars, arrêtez tous, non ça sert plus à rien. Les lettrages, c’est dead. Cartonner un train, c’est démodé. Envoyez vos CV aux nouveaux chefs. Ils ont sauté 20 classes d’un coup !

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner.

Plus rien n’est dans le talent réel. Plus rien n’est dans la prise de risque. Tout est dans la capacité à ingérer du cirage. A faire croire que. A incarner. Comme un jean que l’on préfère faussement usé. Comme un perfecto acheté chez The Kooples, où le Vitrani aurait dû finir vendeur. Rive gauche. Mèche bien mise et souliers cirés.
Le Musée n’ira pas contrôler. Le Musée n’emploie juste que ce qui lui ressemble, fusse t’il un escroc… et ce n’est pas Kaze2.

DWT : Tu as un sens de l’esthétique graphique très poussé. Qualité ou contrainte dans ton travail ?
Lokiss : C’est un acquis. Ça ne m’a jamais bloqué mais peut être éparpillé. Ça m’amène à des choses pas très gaies au niveau de ma solitude d’artiste parce que je ne connais pas un artiste qui peut faire de la peinture et de la vidéo. Je n’en connais pas un seul. Et moi, j’en fais beaucoup plus que deux. Ce qui m’intéresse, c’est de tout mélanger. C’est fini l’art avec des chapelles fermées entre elles.
Quand j’étais dans l’art numérique sous le nom de Vincent Elka et que je suis arrivé en Autriche pour recevoir un prix. Ils ont retrouvé que je m’appelais Lokiss. Ils étaient super contents de mettre sur la feuille d’entrée : Vincent Elka – venant de la culture graffiti – fait maintenant de l’art numérique. C’était un peu rock’n’roll pour eux. Dans un milieu profondément geek et autiste…

DWT : Tu parles souvent de ton inspiration de l’artiste Kupka mais ton style semble plus proche de l’artiste Raymond Moretti finalement…
Lokiss : Moretti, j’ai fini par le rencontrer. Il avait fait une fresque dans l’ancien forum des Halles. D’ailleurs, elle est où maintenant ? J’avais déjà commencé à peindre comme ça mais ça peut être aussi Sonia Delaunay.
Sur les visages, c’est sûr que l’on peut y sentir une influence Moretti.
Bon, c’est toujours pareil là, on parle à un gamin qui ne sait rien. Tu prends les influx comme ils sont. Je parle toujours de 2001 l’Odyssée de l’espace quand il arrive sur Jupiter et le cosmonaute se prend tous les losanges de lumière. Ça c’est nettement plus vrai.
D’ailleurs Moretti, j’ai fini par le rencontrer 2/3 fois avant qu’il meure.
Il était à La Défense. C’était un mec aussi gentil qu’il était très seul.
Il avait produit un truc qui s’appelait « Le Monstre ». Une immense installation assez datée visuellement mais intéressante et complexe. Toujours visible je pense… bien longtemps que je ne suis pas retourné à la Défense donc je n’en sais pas plus.

DWT : Il y a aussi Hervé Mathieu Bachelot exemple au métro Grands Boulevards « Cascades de temps », en 1985, ou son travail à Châtelet « Obliques enrubannées » avec André Ropion, en 85 également.
Lokiss : C’est des mosaïques dans le métro ? Non, le nom ne me dit rien. Déçu ?

DWT : Tu as dis que « se contenter de montrer une multitude de tags sur toile, c’est une imposture », c’est cash comme propos. Tu en places une pour JonOne ?
Lokiss : J’ai dit ça ? « Imposture » ? JonOne n’est pas un imposteur. Il parait qu’il se vante presque d’être un vendu. Reste que c’est un ami et que je l’évite autant que possible car malgré tout, la discussion me semble impossible. Totalement impossible. Et on devine pourquoi …
Il s’est créé un personnage. Millionnaire ou presque, couvert de peintures avec un accent qui donne des frissons aux foules. Ses toiles ressemblent aux punitions d’Azyle sur des wagons entiers. Je suis naturellement plus impressionné par les saturations d’Azyle que ces toiles… Et aussi beaucoup plus respectueux de la personne même d’Azyle. Artistiquement et surtout moralement.

DWT : Alors justement, que te suscite son parcours ? Sa légion d’honneur, sa toile sur « la liberté guidant le peuple » à l’assemblée Nationale, son avion Air France customisé…
Lokiss : Je pense que chaque époque, chaque culture, chaque mouvement artistique engendrent ce genre d’aberrations. Le fait est que je ne me sens appartenir à aucun mouvement… J’étais surtout triste pour lui. Dans une France politique encore profondément marquée par le colonialisme, voir l’incident Guerlain pour lequel il a aussi travaillé non ?, faire sa Joséphine Baker sous les lustres de l’Assemblée… triste, vraiment triste.

La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes.

DWT : Mais ce n’est pas une façon de niquer le système que tu dénonces tant ?
Lokiss : Certains appelleraient ça de l’entrisme. Moi j’appelle ça du cynisme. Et c’est le cynisme qui finit par tout salir. Par effacer toute innocence. On est alors de manière permanente dans l’opportunisme, dans l’intéressement.
La vie d’artiste est une vie d’acrobate et il est parfois très complexe de garder une parfaite intégrité. D’agir en saint. Surtout, quand tu veux soutenir d’autres artistes. Car alors, on te juge, et sur ta propre pratique, et sur celles des artistes que tu es susceptible d’inviter. Tu n’en sors plus !
Rien n’est blanc ou noir, même si j’ai décrit essentiellement du noir il y a 5 minutes. Du noir sale et visqueux. Niquer le système tout en le servant… tu devrais poser la même question à Chuck D (ndlr : c’est déjà fait !). Sa vision de l’industrie musicale et du rap pourrait être riche d’enseignement à ce sujet.
Et au fond la problématique et ses conséquences sont identiques. Niquer le système tout en le servant, c’est la crapule qui se donne bonne conscience. Qui pressens sa culpabilité, et qui ose prétendre que c’est une revanche sur une éventuelle pauvreté.
Le statut de « misérable » moral est plus enviable… c’est vrai ?

DWT : Avec du recul que penses-tu du documentaire Writers auquel tu as participé ?
Lokiss : Oui, il est pas mal du tout. On peut toujours faire mieux et faire aussi plein de critiques. Il n’a pas couvert tout. Par rapport à ce qu’il a fait sur les skinheads, c’est beaucoup plus intéressant. Il aurait dû intégrer les skinheads fascistes, ce que tout le monde lui a dit de toute façon. Sur Writers, c’est pas mal.
Sur le « Writers tour’ », je n’ai pas que de bons souvenirs. J’ai largement préféré mon travail sur les murs que les minuscules panneaux de bois pour certaines performances. La bombe se libère à une certaine échelle, au niveau d’une certaine résolution.

DWT : Tu passes une bonne partie de ton temps à la campagne, que penses-tu du niveau en province ?
Lokiss : Je connais assez mal ce qui se fait en province donc difficile de le juger. Je ne vois de grandes différences entre celle-ci et Paris. Les identités par ville, c’est une caractéristique de pays plus décentralisés comme l’Italie ou l’Allemagne. Paris reste central en France pour toutes sortes de choses, dont la culture graffiti. C’est le modèle, même dans l’attitude. C’est dommage. Par exemple, entre Hambourg et Berlin, c’est un peu deux pays avec deux mentalités, deux approches qui se confrontent.

DWT : Est-ce que la musique rap t’a déjà inspiré dans ta démarche artistique ?
Lokiss : Les premières compilations electro sounds. Très électro, opaques, étranges, j’appréciais vraiment. Tyrone Brunson « The Smurf » c’est hyper connu mais c’est une époque importante. « Looking for a Perfect Beat » ou « Planet Rock », les productions Robin and Baker, c’est de grands moments. C’est encore très agressif, ça bastonne, c’est très novateur.
Aujourd’hui, je suis sur des musiques très dures : Drum and Bass, Dark Step ou de l’expérimental genre Noise, rock Stoner, voire du Doom, et il m’arrive d’écouter de la musique classique. Des phases…. En ce moment c’est le silence !
J’essaie toujours d’être déstabilisé par ce que j’écoute. C’est vrai que je suis toujours dans une ambiance assez lourde, austère. Les musiques religieuses aussi, ça peut me plaire. Ce qui m’inspire, c’est plutôt un univers pas très gai pour l’auditeur lambda.
Je suis complément désinhibé par rapport à ça parce que je n’y vois pas la tristesse ou quelque chose d’inquiétant.
Je me force à en réécouter du rap parfois avec LP ou Killer Mike. Je trouve ça pas mal mais comme je ne comprends pas toujours ce qu’ils disent évidemment ça retire de l’intérêt…
Au niveau de la production je trouve ça hyper pauvre. Qu’il y ait encore des mecs avec ces beats là derrière putain ça n’évolue pas… on dirait le Reggae, une musique stagnante, on dirait un folklore. Ça me gêne.

DWT : Quelle place donnes-tu au sexe dans ton travail d’artiste ?
Lokiss : C’est quasiment une partie de ma sexualité mais c’est un stéréotype de dire ça. D’ailleurs, je me rends compte qu’au moment où je suis dans une période de célibat ou d’abstinence je ne suis jamais autant créatif… donc il y a vraiment un vase communicant.
Et oui, est-ce que c’est par provocation ? Le personnage d’Ana Vocera, l’alter ego que je me suis fait, c’est une militante de l’agit porn. C’est un avatar. Que la violence arrive par une femme, ça m’intéresse. Pour une fois, ça change un peu.
Je ne suis pas non plus un obsédé sexuel. Enfin un peu, quand même.
Pendant que l’on parle de ça, tu choques un mec du hip hop facilement. C’est quand même un milieu ultra prude, bien coincé du cul et c’est pour ça aussi que perdure encore la poupée Barbie autour de la piscine avec son maillot de bain et la grosse bagnole. On est dans l’univers phallique très peu créatif. Et super réactionnaire.
Mais ça semble changer… Sociologiquement oui. Musicalement non.

Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…

DWT : Est-ce que la plus grande catastrophe qui soit arrivée au graffiti français est l’apparition d’un personnage comme Alain-Dominique Gallizia dans le milieu ?
Lokiss : Je vous renvois au texte que j’ai rédigé pour justifier mon refus de participer à l’évènement « TAG ». « Graffiti culture suicidaire ». Depuis, on s’est rencontrés et l’entrevue fût bien, même drôle. Reste que j’ai continué à refuser alors que la rencontre s’est faite dans son atelier de Boulogne où j’ai pu réaliser que tout le monde avait accepté, sauf Mode 2 évidemment. Non, c’est non.
C’est d’autant plus étonnant de la part d’artistes qui m’ont dit partager sinon comprendre mon point de vue exprimé dans le texte. Et ils avaient pourtant participé au projet attaqué.
Qu’est-ce que je peux dire ou faire alors ? Autant que je souris bêtement si c’est un ami, et le mépriser totalement si c’est un petit courtisan, tout content de parler à Lokiss. C’est de l’auto dérision… mais c’est un fait que ça se passe comme ça.
Je suis de plus en plus fatigué de voir parfois cette victimisation de la part des artistes. On peut toujours dire non. On peut toujours rester intègre. Ou discuter avec le soi-disant diable pour le faire évoluer vers un projet plus sain, si ça existe en dehors du contexte naturel de « l’interzone » ou des dépôts. Ça va… Tu n’es victime que de toi-même. De ta vénalité ou de ta mollesse morale. Ou les deux à la fois.
Oui je sais. Tu as des enfants à nourrir et moi je suis un mercenaire… Blahblah de collaborateurs au moment de l’épuration d’après-guerre.
La chose principale, c’est la toute-puissance de l’égo, l’essence du writer.
Et le carriérisme à tout prix peut prendre l’apparence d’une forme de compétition. Le succès commercial vaut une mise à l’amende.
Un king c’est maintenant un mec qui a 250 000 followers. Même s’il peint du sur-vu, ben non, il gagne. Car il a 1500 likes par prout photographié sur instagram. Un monde tragique… J’ai aucune envie d’y vivre.
En oubliant toute la dimension morale, en perdant conscience que l’on est qu’un élément au sein d’une culture qui nous dépasse. Que nous sommes responsables de l’image que l’on en donne. JonOne a désintégré cette conscience.
Dans une société plus ou moins totalement ignorante de cette culture, ces codes de « bonne conduite » sont primordiaux, à l’heure où l’on te confond avec un street artist, maitre de l’ornement et du vide politique et esthétique, c’est capital…
Mais je parle justement dans le… vide. Don Quichotte ce n’est pas mon truc. Se battre contre/pour des moulins à vent…
En gros, fais ta merde, juste dis-toi que l’on sait. Et encore ‘on’ c’est trop. Plus personne ne sait rien. Ou ne veut savoir.
Moi je suis parti ailleurs pour m’éviter l’ulcère… Donc, je ne ressens aucune amertume. J’aime me déplacer trop vite pour ça.

DWT : Tu as déjà réalisé en 1996 une fresque pour la « sympathique » série de TF1, Julie Lescaut, tu as une anecdote avec la police à nous donner ?
Lokiss : (Rires) vous avez retrouvé les archives ? Je me souviens plus très bien comment c’est arrivé. Un peu comme le film Vandal, plus lourd et plus sérieux avec des tonnes et des tonnes de fresques. C’est un peu pareil, c’est une production qui m’appelle. Je n’ai même pas vu les acteurs. Je n’ai vu personne. Ça ne pose pas de problème.
Dans Vandal, la scène a été retirée mais j’y jouais un flic !
Pourquoi c’est le personnage de Julie Lescaut qui vous gêne ? Bon, c’est vrai que Véronique Genest est une vraie connasse. C’est un hasard du genre « tu ne connais pas un graffiteur ? ». Elle n’exprimait pas ses opinions politiques, à l’époque, Twitter n’existait pas. Pour le coup, ça me semble beaucoup moins grave que de faire les fonds de vitrines du Printemps Haussmann que j’ai faîtes.
J’ai été le premier gros plan. Le premier gros plan puant, c’est moi qui l’ai fait en France quand même (rires).
Et puis surtout, t’es un gamin, on te propose 8 000 francs pour sept vitrines, normalement c’est 80 000 francs, ils se sont dit « oh la bonne affaire ». Aujourd’hui, les artistes, ou presque, issus de cette culture dite urbaine ont un recul énorme par rapport à ce genre de malversations , ils peuvent faire autrement. Non. Ils font pire ! Bien bien pire…

J’ai dû faire entre 80 et 100 murs max (…) dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.

DWT : Si on réalise des fouilles archéologiques sur Paris, lequel de tes graffs aimerais-tu qu’on remette à jour ?
Lokiss : Orgasma Penetratorz et La chute de 1989. C’est les deux seuls. C’est un axe de critique récurrent, Lokiss n’a pas fait autant de vandale et il a peint 25 murs ce qui est -presque- vrai parce que j’ai dû faire entre 80 et 100 murs max, j’ai pas toujours photographié…, dans ma vie mais des murs mythiques donc ça les a tous énervés (rires). Il y en a, ils ont fait 6000 trains et le public les oublie en 15 jours sitôt qu’ils raccrochent.
Après au niveau de l’adrénaline, c’est monstrueux ce qu’ils se sont pris. Parce que pour le peu que j’ai fait, ça fait partie de l’histoire du truc. C’est vrai qu’il faut du courage mais il faut aussi du courage pour faire 100 mètres de mur devant un public qui derrière fume des pétards et regarde le moindre de tes gestes. Ça prend du temps. Au niveau des nerfs, c’est aussi intéressant. Mais peindre en 10 minutes, je peux le faire aussi, y’a pas de soucis.

Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien. Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là.

DWT : Est-ce que le graffiti fait réellement parti du second marché dans la marchandisation de l’art ?
Lokiss : Le mot graffiti me gêne. Son utilisation me gêne. C’est très contradictoire quand je dis je ne veux pas de graffiti dans les musées, car en même temps, l’expo que j’ai organisé, c’est ça dans une certaine mesure. Même s’il est hors de question de peindre façon rue dans un intérieur de galerie. J’essaie de soutenir des artistes qui font évoluer leur travail urbain sur d’autres supports et via d’autres médias.
Soyons bien clairs, je ne peux pas travailler avec seulement 3 artistes sur ces critères de sélection. Donc je suis finalement plus souple. Oui je sais…
C’est juste 2017. Puis 2018, je retourne totalement ailleurs, et en plus ce seront les 50 ans de Mai 1968. Je pense que l’on peut faire deux trois plus ou moins déstabilisantes. Et cela fait longtemps que la déstabilisation à moins de faire dans le Kidult, que j’aime bien, n’est plus dans cette culture-ci.
Moi, je ne suis que pour avancer. Créons un nouveau projet ou un nouveau terrain, je n’en sais rien.
Avec le livre, en photographiant les graffiti dans les terrains, je me dis que le vrai contexte naturel, c’est ces lieux-là. Ce n’est pas de faire mon mur autorisé à Bologne, ni celui du Pavillon Beaudoin qui est recouvert six mois plus tard.
D’ailleurs au sujet de ce dernier mur, je ne vais pas mentir, je me suis vraiment posé la question. J’aime bien ceux qui m’ont recouvert mais je me dis que ça aurait été fort que je les laisse recouvrir le mur et que je vienne après détruire tout.
Juste pour qu’il y ait un questionnement. Revenir à ce qui a une des règles qui ont fondé cette culture. Et on parle de culture hein, pas de cirque ?
Je me serai fait allumer par la mairie mais ça aurait au moins amené une réflexion. Du type, vous payez le travail mais vous ne régulerez jamais, vous nous déposséderez jamais de cette culture.
A une autre époque, ça aurait été « de quel droit tu me recouvres ? ». Ça amène toute une tension et donc une sélection naturelle basée aussi sur la violence et ta capacité à y résister ou à la répandre. On dit bien ‘style wars’ non ? Pas « style peace »…
Vu que je ne suis pas parti dans les meilleurs termes avec cette association, pour de simples raisons de promesses non tenues et de compétences, je me suis dit, on va s’arrêter là, il y a de meilleures batailles… mais c’est vrai que j’étais prêt à le faire.

DWT : D’où vient ton côté autodestructeur/grognon ?
Lokiss : (Rires) Peut être que si j’étais prétentieux et plein de vanités, je dirai : parce que je suis plus proche de la vérité et que la vérité est mensongère et qu’il faut la dénoncer.
Il y a un fond de violence pas toujours très maîtrisé en moi. Elle peut devenir de la colère ou de la pure énergie mais naturellement je suis un gamin un peu hyperactif. C’est ce qui me permet de vieillir sereinement mais aussi de garder la même énergie.
Quand je me retire dans cette baraque à la campagne, c’est aussi vital pour moi. Je me sens beaucoup moins seul des semaines entières là-bas que parfois dans des discussions entre artistes où je me dis « mais de quoi on parle là ? ».
Mes intérêts sont différents. Moi, c’est plutôt les nouvelles technologies.
Qu’on me ramène sur des trucs genre « Lokiss mythique » . C’est bon, j’étais là, toi t’étais pas là, tu n’avais qu’à être là. On ne va pas te le raconter 105 fois. Boring !!!
Ma marginalité est déjà technique. Je peux vous faire un livre de A à Z, je peux vous faire un site internet de A à Z, un film ou une campagne cross media.
Ce n’est pas parce que je suis un génie, c’est juste que des fois, c’est plus simple de le faire soit même. Tu apprends la technique, ce n’est pas sorcier comme dans la construction où j’ai fait des chantiers pendant des années pour survivre. Je suis un peu un couteau Suisse. Survivaliste total. Je vous parle des armes ?.
Parler à quelqu’un qui peut se rendre compte qu’un sujet amène une écriture, une écriture amène un médium et bien c’est déjà pas mal. Des fois, on me reproche d’être vachement dur à vendre parce que je peux changer à l’instinct.
Maintenant, c’est moins fréquent, moins violent. Mais oui, entre les prints, les soudures, la vidéo, etc etc … ça va assez vite. Et parfois en même temps. D’abord une peur de l’ennui et plus loin, un rejet des recettes, mais j’en ai, aussi, évidemment, dramatiquement…
Cette multiplicité technique est un aspect de l’art actuel plutôt fréquent mais le problème c’est que dans l’art contemporain les artistes font faire. Quasiment plus personne ne fait soi-même. Alors que moi je fais moi-même.
Enfin… je ne suis pas spécialement « grognon » comme un hobbit mal luné ! On va dire que je suis sanguin.
Je ne suis pas quelqu’un de très fidèle en amitié. Je me suis rendu compte qu’on peut vraiment perdre un ami avec la fameuse phrase un de perdu dix de retrouvés. Ça peut aller très vite. Des amis de dix ans, je ne leurs parle plus jamais même sans leur en vouloir. C’est aussi parce qu’il y a un manque d’évolution et que j’ai envie que nos discussions soient intéressantes. Et me parler des couches du petit et des vacances en Thaïlande…
Dans la culture graffiti, je ne vais pas donner de noms, mais il y a des mecs qui ont plus de quarante ans et qui continuent de se comporter comme des adolescents. Je ne peux pas. En plus, ils se concentrent sur des références culturelles de leur adolescence pour se sentir encore jeune. Ça ne m’intéresse vraiment pas. Donc je peux souvent apparaitre comme un rabat joie…
Je n’aurai pas fait le livre de Jay sur le terrain vague de la Chapelle. Un site internet détaillé à la limite mais plus… non.
Par exemple, niveau changement de société, un jour, je suis en Suisse dans une voiture et le mec met Daft Punk. Il se retourne et me dit « t’aime bien ça ? ».
Je réponds : « je vais te le dire, c’est au-delà de la merde ».
Il me dit en anglais « okay t’es un hater ! ». T’as tout compris. Pour lui, je suis un gros haineux parce que je n’aime pas Daft Punk… heureusement qu’il ne me demande pas d’aimer Adolf Hitler pour lui prouver que je suis trop sympa…

DWT : Pour finir, j’ai une belle toile de toi, un autoportrait sur inox, tu crois quelle vaudra combien dans 50 ans ?
Lokiss : Le prix du métal (rires général). Ou de mes provocations…

Bboy Benji – Fight Club

Interviews
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Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant il était temps de dresser un large état des lieux de sa discipline avec lui.

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Photo © Alain Garnier

Il aurait pu rentrer dans les cercles sur la chanson du générique de San Ku Kaï. Car Benji, c’est la bataille. Mais c’est aussi un message. Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant tout le monde le connait dans le milieu du break. Les anciens notamment, qui n’ont eu de cesse de lui reprocher son excès de technique au détriment du feeling. C’est l’éternel débat entre prouesses physiques et ressenti artistique. Pourtant, les pionniers de la discipline ont eux aussi subi de telles critiques à leurs débuts. On connaît la suite dans tous les conservatoires de France et de Navarre ! Sauf que tous les gestes que Benji exécute sont parfaitement dans le rythme de la musique. Reste son attitude ponctuée d’égocentrisme et de provocation, son esprit de compétition et un dépassement de soi exacerbé. En réalité, il est en parfaite adéquation avec l’esprit originel de notre culture hip hop : briller. Car un danseur, ça danse pour briller. Benji est là, prêt comme jamais. On se défie du regard, petits footworks, passe-passe gauche droite, on tape des mains et on lui lance notre première question avec un regard de warrior.

Down With This : A quel moment tu décides de t’entraîner ?
Benji : 1994. C’est la révélation, j’aime le break. Je vais aux Halles tous les jours. J’ai la chance que le meilleur ami de mon frère soit Youval et qu’il soit intégré à la culture. Il connaissait beaucoup de choses et m’a prit sous son aile directement. Il m’a ramené aux Halles et m’a dit voilà, c’est là que ça se passe. C’est là que tu vas t’entraîner tous les jours. Je faisais partie de la génération des petits de Châtelets, les yeux écarquillés quand je voyais un mec qui tourne sur la tête. J’ai commencé comme ça. Comme je kiffais Benny B, je voulais faire la coupole. Tu commences par ça, puis le tomas, après tu tournes sur la tête et au final, tu deviens danseur. Au début, je dansais dans les soirées feuj et les dimanche après-midis dans ma communauté. Au départ, de la danse débout puis j’ai commencé à faire des compétitions. En réalité, j’étais de plus en plus en décalage de la culture de ma génération. Je n’aimais plus faire des shows ou des spectacles. Ce n’était pas excitant. Je me suis donc rapproché de la culture underground parce que j’aimais l’adrénaline de la danse, de la compétition et du contact.

Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4.

DWT : Durant tes débuts, tu choisis quel type de sol pour tes entrainements ?
Benji : Je n’avais pas beaucoup le choix, c’tait les Halles ou le couloir de mon immeuble. Par la suite, j’ai viré mon lit, mon armoire, mes placards et j’ai installé des tapis, j’ai les mêmes depuis 20 ans, increvable. Je les avais acheté à Montreuil, dans un truc de karaté. 500 francs (NDLR : 75 €) les 2 à l’époque. Le vendeur ne comprenait pas, il voulait m’en vendre quarante. Je lui ai dit que je n’avais pas de dojo mais une chambre (rires). J’avais donc ces trois endroits. Les Halles, c’était plus pour garder un pied sur le terrain. C’était une façon de s’essayer. Quand tu sais que tu arrives à faire quelque chose sur du marbre, avec les chocs que tu prends, tu sais que tu peux aller partout. T’es un 4×4. Une chute sur le marbre, ta tête, ton coude, tes genoux dessus et à la fin, tu deviens un robot. Et comme les choses se réglaient le plus souvent aux Halles, c’était bien d’apprendre sur le terrain. C’était comme dans le football : jouer à domicile.

DWT : Retournons un peu en arrière. Peux-tu nous décrire ton environnement d’origine ?
Benji : Je suis né dans le 19ème arrondissement de Paris. J’ai grandi dans le 20ème arrondissement de Paris, boulevard Davout, entre la porte de Montreuil et la porte de Bagnolet. Je l’ai quitté il y a à peine 6 mois (NDLR : entretien réalisé le 7 juin). Ma mère était secrétaire dans une boîte, rien de particulier. Mon père avait une société de distribution automatique de sodas. Il était frigoriste à la base puis il a dévié là-dedans. C’était pas mal. On n’a pas eu une vie de clodos. On n’était pas trop mal lotis chez nous. Nos parents ont gagné leurs vies. Nous n’avons manqué de rien. Classe moyenne, on partait en vacances une fois par an comme tout le monde.

Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire.

DWT : Quels étaient tes modèles d’enfance ?
Benji : J’avais mes deux frères comme modèle. Un aujourd’hui de 43 ans et l’autre de 50. Eux, c’était à fond la génération H.I.P.H.O.P. (NDLR : ancienne émission de télé sur TF1). Il y a vraiment un écart d’âge balaise entre nous. J’en ai 34. Je n’ai pas traîné avec mes frères. Mes exemples, c’était aussi mes voisins dans l’immeuble. On a un peu grandi tous ensemble. Par chance, les grands de chez moi n’étaient pas des voyous, c’était des mecs biens, tous sportifs et pas mauvais à l’école. Il y avait un breakeur comme Davis Cola qui avait dansé dans H.I.P. L’équipe à Karl (NDLR : l’un des frères de Joey Starr) dans le 20ème, et aussi Youval, un ami à mon frangin. Les copains de mon frère venaient chez moi et parlaient de danse. Je trouvais ça marrant, sympa et je voulais les imiter. Tout petit très vite je me suis dirigé vers le sport. J’étais bien encadré dans l’ensemble. À 8/10 ans, j’aimais le graffiti parce que je voyais mes frères en faire. Dans le sport, j’aimais plus regarder la gymnastique ou le patinage artistique que le foot ou les sports collectifs par exemple. Ces sports se rapprochent du break car il s’agit tout le temps de prouesses techniques. Ça m’attirait. J’ai grandi avec des films comme Beat Street, Break Street et toute cette culture des classiques des années 1980. Et puis, il y a eu la révélation Benny B. Je n’ai pas de honte avec ça. C’était les 2Be3 de ma génération (NDLR : ancien boys band français). Ils étaient mal vus par la culture hip hop mais pour ma génération, c’était magnifique. Je vais même être dur pour la génération old school de France mais je suis désolé, ils étaient plus forts en break que les 3/4 des b-boys français de l’époque. C’est sûr à 500%. Que ce soit Aktuel, PCB, ils peuvent s’appeler comme ils veulent, en vérité, c’était des petits rigolos. Les mecs de Benny B étaient meilleurs que les français. Je ne sais pas si Benny B représentait le niveau belge mais ces trois-là étaient déjà meilleurs que tout ceux qu’on avait chez nous. La France a de la chance car je n’ai pas été fouiné plus loin mais ça aurait pu être plus dur (rires). C’était des bons. Et c’était des blancs. Des vrais blancs de chez blancs (NDLR : enfin Benny B était un peu bronzé quand même). J’avais 9/10 ans à cette époque. Je faisais de la hype et quand je les voyais faire ça, ben ça me parlait.

On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Tu gardes quel souvenir de ta période dans le crew Division Alpha ?
Benji : C’était compliqué. Il y avait des différences d’âges. Stiga Rock et Youval sont les anciens du groupe. Après il y a eu Laurent, JC dit Fluber puis Sid Ahmed qui est arrivé avec une idée de spectacle. Quand je suis arrivé, ils étaient déjà dans les spectacles. Il n’y avait que Youval qui voulait faire des battles, sauf que lui n’était pas dans le break. J’étais un peu sa marionnette à ce moment-là. Il m’a pris et il était content que j’aille faire la guerre un peu à tout le monde. Le souci était que les retombées sur le nom du groupe ne plaisaient pas forcément à tout le monde. Ça parlait et ceux qui étaient dans les shows disaient que ça n’avait rien à voir avec ça, que cela pouvait abimer l’image de Division Alpha. On a perdu pas mal de membres comme Sid Ahmed. C’est vrai que les spectacles avaient donné un coup de boost en 96/97. Le groupe commençait à faire des télés genre Graine de Star. Ca faisait un mini buzz sur Châtelet et dans le Game. Moi, j’ai juste fait le Hit Machine derrière. J’étais devenu la figure du groupe, on me voyait le plus parce que je faisais des battle. Le nom de Division Alpha commençait à s’imprégner des battles et les gens venaient de moins en moins voir les autres en spectacle. A ce moment, tu recrutes des mecs qui sont dans le même esprit que toi. Des mecs qui veulent te ressembler parce qu’ils voient que tu sors du lot et que tu es d’attaque. On reconstruit Division Alpha et on est devenu un groupe de guerriers : le groupe à problèmes de Paris. On était 6/7. On voyageait beaucoup. Ce qui était bien, c’est qu’on n’a jamais était un groupe de charclos. Je vais m’expliquer pourquoi car il faut savoir que le break, c’est une culture de clodos. Y a que des clodos. Ils sont là avec leurs sacs à dos. D’ailleurs, tu reviens quinze ans après ils sont toujours là avec leurs sacs à dos. Il n’y en a pas un qui travaille. Tu ne sais pas comment ils vivent. Ils vont de maisons en maisons, vivent chez des potes. Alors que dans notre groupe, on était tous des bosseurs. On avait tous un boulot et on voyageait grâce au fait de travailler. On m’offrait une chambre double, je demandais une triple ou quadruple et je complétais pour le reste. On partait ensemble. Ça nous a permis de faire connaître le groupe à l’étranger car il n’y avait pas internet à l’époque pour se promotionner. A l’époque, si les mecs ne te voyaient pas devant leurs yeux ou dans une vidéo étrangère, ils ne te connaissaient pas.

Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde.

DWT : Quels sont les styles que tu as pu rapidement développé pour te faire remarquer dans le cercle ?
Benji : J’avais un atout qui soi disant n’en était pas un pour la génération de danseurs d’avant la mienne. Plutôt un handicap apparemment pour eux. Je remercie toujours la génération d’avant d’ailleurs. Ils disaient que mon style était trop rapproché du cirque, que c’était moins b-boying, etc. Finalement, ils l’ont tous pris dans le cul car aujourd’hui, ils dansent tous comme moi et plus du tout comme eux. Comme quoi, ils se sont bien fait niquer la gueule. Dans la vie, il vaut mieux être un berger plutôt qu’un mouton. C’est plus comme ça que j’ai été éduqué. Je dis encore un grand merci à Youval qui est très proche de moi et qui a fait beaucoup de bonnes choses pour moi. Il m’a dit « continue de faire ce que tu fais, fais ce que tu aimes et pas trop ce qu’ils aiment. Eux, on s’en fout, danse pour toi. Je trouve que c’est un atout d’être souple. Fait le, je trouve ça bien ». Il y a tellement de références qui te disent que le Break c’est comme ci et comme ça donc si tu ne sors pas du lot comment veux-tu être original ? Donc j’ai continué mon style très souple et mes trucs dans tous les sens. Ma force, c’est ma souplesse, ma flexibilité et le fait que je créé beaucoup de mouvements originaux. J’adore la recherche et montrer toujours de nouveaux mouvements. J’ai fait beaucoup de vidéos de break sur ça et je suis d’ailleurs un des seuls à en avoir fait à l’époque en VHS avec Paul Belêtre. D’ailleurs avec lui on a fait des trucs de ouf genre on part en Allemagne faire le Battle Of The Year pour vendre des vidéos et on n’avait même pas la vidéo (rires). On faisait des copies chez les breakers. On photocopiait la couv de la VHS pour les vendre et payer nos billets de retour. J’ai eu beaucoup de problèmes au début. Les premiers à m’avoir ouvert le truc c’est les États-Unis quand j’ai fait le Pro Am. C’est une compétition énorme avec une centaine de B-Boy. Quand j’ai fait les qualifications, à tel point que j’étais un inconnu pour eux qu’ils ont m’ont oublié ! J’entends qu’ils annoncent au micro que les qualifications sont finies. Je vais voir Mr Freeze des Rock Steady Crew pour lui dire que je ne suis pas passé. Il me dit qu’il va voir ce qu’il peut faire. C’était très dur pour moi. Ça m’a cassé le truc mais j’ai quand même pu faire ma démo derrière. Ils ont rappelé les gens et j’ai dû donner le maximum. J’avais prévu des trucs dans la compétition mais j’ai dû les mettre dans le condensé. Ça a bien cartonné. Dès le lendemain ils m’ont carrément mis les vingt têtes d’affiches contre moi. Sur deux jours, j’ai éclaté les vingt meilleurs b-boys au monde. J’ai fini en finale à la deuxième place. J’ai vraiment eu un parcours difficile. Comme dans une coupe du monde : au début tu mets les meilleurs dans des groupes « faciles » pour retrouver que des bons en finales. C’est un peu ça. Ils m’ont mis que contre des bons en pensant que j’étais le pourri. Ils se sont bien fait niquer la gueule (rires). Ils ne comprenaient rien, petit à petit je les ai défoncé. Ça c’est donc très bien passé. Quand je suis revenu en France, bizarrement la vision avait changée. Les gens disaient à ouais finalement son style ne fonctionne pas trop mal. C’était en 2000. J’avais déjà gagné en 1999 contre les américains. Ça avait fait pas mal de bruits mais c’est à partir de là que ça a vraiment explosé et que mon style a commencé à être un peu partout. On commençait à inviter des français dans les compétitions. Les Rock Steady Crew mon demandé de danser avec eux. C’était une opportunité, un truc de gamin parce que j’avais vu Beat Street. C’est des grands, c’est l’histoire. Y avait tout le monde avec le principe de défier quelqu’un pour rentrer dans le groupe, j’ai trouvé ça bien. C’est une règle que je voulais respecter alors je l’ai fait.

DWT : Contre qui ?
Benji : J’ai dansé contre deux b-boys, Flow Rock et Little Smurf.

DWT : Et alors ?
Benji : Je les ai éclaté. Les pauvres, je les ai envoyé à l’hôpital (rires). Y avait trop d’écarts. Ils leurs ont fait un coup de crasse quand même. Ils sont un peu venus au casse-pipe. Je pense que ça ne devait pas être eux qui auraient dû y aller. Je me suis dit je m’en fous, j’y vais mais ce n’était pas trop valorisant. C’était un rêve. Je l’ai fait pour rentrer dans le truc. Je suis revenu en France avec la grosse tête mais en réalité c’est une banane. Ça ne sert à rien. C’est plus un truc bizness qu’autre chose. Aujourd’hui, le seul qui en bénéficie vraiment des Rock Steady Crew, c’est Crazy Legs. Les autres se sont fait niquer la gueule. Il est beaucoup plus bizness, alors que les autres sont plus culture. Par exemple, l’année dernière j’ai fait une interview pour Arte, cinq émissions avec cinq têtes d’affiches. Le mec me dit « on a un budget de 200 € à 300 € par tête d’affiche. Je lui ai dit franchement vous gagner combien dans cette histoire ? Il m’a dit pas grand-chose alors je lui ai dit garde l’argent et on se fait un resto tous ensemble. On kiffe et le reste vous le gardez. Il m’a dit c’est chammé mais je suis obligé de proposer de l’argent à tous les cinq car il y en a qui nous a demandé de l’argent, Crazy Legs. C’est un mec qui n’en a rien à foutre aujourd’hui de la culture. Pour lui, c’est de l’argent. Il accepte que Red Bull prenne le monopole du b-boying dans le monde parce qu’il lui donne une casquette et de l’argent. Il fait ce qu’il veut.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations.

Je respecte Crazy Legs parce que c’est un danseur et qu’il fait partie de la culture mais après le type en lui-même, c’est une banane. Il ne sert strictement à rien. Il est anti nouvelles générations. Il n’aime que son argent et les gens qui vont lui apporter quelque chose. Il n’a jamais tiré quelqu’un vers le haut. D’ailleurs ça se voit, il est tout seul, il a jeté tous les Rock Steady Crew. Il dit par exemple dans des interviews que Mr Freeze n’est plus Rock Steady Crew mais pour le monde entier, ça en restera un. Que Crazy Legs le veuille ou non. Si demain Joey Starr n’est plus NTM, pour le monde entier ça restera Joey Starr NTM.

Du point de vue humain, je pense avoir été égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quels sont tes points faibles en tant que breakeur et comment les as-tu contourné ?
Benji : J’étais moins figure dans le break, avec moins de phases. J’avais plus de mal avec ça. Je contrôlais plus mes jambes. Je concentrais plus mon break sur mes jambes. Ça se joue à l’entrainement comme pour tout. Plus tu passes de temps sur une chose, plus tu y arrives. Moi je passais moins de temps sur ça et plus sur ma créativité. Je me démarquais plus par mon style donc j’ai axé plus le truc là-dessus. C’est comme un produit phare dans un magasin, tu le boostes parce que tu sais que ça se vend. Du point de vue humain, je pense avoir était égoïste. J’aurai peut-être du partager plus avec mon groupe et les tirer plus vers le haut.

DWT : Quelle est ta spécialité ?
Benji : L’argent (rires). Mes jambes, ma flexibilité, mon originalité. Après je suis un bosseur, que ce soit dans le travail ou dans la danse. Je danse 3/4 heures tous les jours. J’ai une pièce conçue pour ça chez moi. Je danse sur tout, pas spécialement sur du break beat parce que c’est quelque chose qui me saoule. Dans ma recherche, je danse sur des trucs très lents car ça me permet de réfléchir. Parce qu’avec une musique qui te bourre le crâne c’est un peu compliqué. Par exemple, hier j’ai dansé sur la bande originale du film Gladiator. Je m’écarte du Break et du b-boying. La musique est fatigante. On dirait que les mecs n’y arrivent plus. Ils font des remix de remix. À un moment ça va. Je suis saoulé depuis toutes c’est années de danser sur les mêmes sons. Avant, chaque DJ avait ses bandes alors ça changeait. Aujourd’hui tout le monde a les mêmes sons. Y a en moyenne une battle par semaine à Paris. À la fin, tu n’en peux plus. Et puis les DJ sont jeunes et sous-payés donc ils n’auront que les bidons.

Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec.

DWT : Tu as apporté un nouvelle vision dans le break avec ton approche de la danse. Est-ce que tu as également inventé des pas ou des phases ?
Benji : Pleins. Tout ce qui est pied derrière la tête, type Lotus, ça n’existait avant que je le fasse. Les gens ne le faisaient pas. C’était même « anti-break ». J’ai surtout un style particulier. On me parle d’un truc que faisait jeune, le cowboy ou d’autres des trucs que je faisais avec les vêtements. Les gens étaient un peu choqués. Je travaillais beaucoup sur le souffle. Quand tu fais des battles en un contre un, tu travailles beaucoup sur le cardio. Les techniques, ça prend beaucoup de souffle. J’avais compris que les phases avec les vêtements, c’est autant impressionnant pour les gens quand ils ne s’y attendent pas que des figures plus physiques. C’était une façon de gagner des points un petit peu fastoche. Je travaillais comme pour un combat de boxe en étudiant le danseur avant et après. J’allais le chercher en question réponse. J’ai eu de la chance parce que les mecs n’évoluent pas beaucoup dans cette culture. Ils font la même chose depuis pas mal d’années et c’était facile à voir. Quand je dansais contre quelqu’un, je récupérais toutes les vidéos possibles sur lui et je les compilais. C’était galère parce qu’il fallait faire des montages. Je me faisais chier mais je faisais une vidéo pour chaque mec. J’allais le voir, je dansais et j’avais la question réponse !

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Photo © Alain Garnier

On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé.

DWT : Tu es très critique toi aussi…
Benji : On est une génération difficile parce que la génération d’avant était contre nous en permanence. D’ailleurs, c’est pour ça aussi qu’elle a coulé. La plupart n’ont pas aidé les jeunes à avancer. De ce fait, les jeunes ne les reconnaissent pas aujourd’hui. Que ce soit les Aktuel ou d’autres, ils ont fait pas mal de choses pour la culture de leur génération mais aujourd’hui tu les vois où ? Nulle part.

DWT : Si, ils donnent des cours.
Benji : Oui ils donnent des cours mais ils font ce que des millions d’autres font.

DWT : Karima, par exemple, est beaucoup présente dans les battles aussi.
Benji : Karima va dans les Battles mais elle fait quoi ?

DWT : Elle est juge souvent…
Benji : Ben voilà elle est juge mais elle ne fait rien d’autre. Les gens lui donnent sa place parce qu’elle a un certain âge et qu’ils pensent qu’elle va être légitime parce qu’elle n’a pas d’affinité avec qui que ce soit dans le battle. Elle sera une bonne juge mais au niveau de la culture, qu’est-ce qu’elle a fait ? Les gens me font rire. Un exemple tout con, les gens reproche à Youval d’être partout « Ouais ce n’est pas ta place, nous aussi on était là à l’époque, on devrait le faire« . Certes mais il faut faire des choses pour ça. Youval fait presque 200 événements chaque année en animation. Il organise presque 100 battles gratuites par an. Faut le faire quand même. Faut y aller. Faut les faire les dates. C’est du travail. Il se prend la tête à faire des milliers de choses pour les jeunes donc forcément, les mecs reconnaissent qui après dans cette culture ? Ben ils reconnaissent Youval !

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait.

La culture électro, ils ont un battle par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat de France par an. C’est Youval qui le fait. Un championnat du monde par an. C’est Youval qui le fait. C’est con mais dans cette culture de l’électro si il n’est pas là, ben les mecs ne s’entraînent plus parce qu’ils n’auront plus d’échéances, plus de dates, plus d’événements, ils ne peuvent rien faire. Ils sont contents de l’avoir. Si tu n’es pas présent à faire quelque chose les mecs t’oublient. C’est con à dire mais la génération d’aujourd’hui, qu’est ce qu’elle fait ? Elle tape sur internet b-boy 2015, 2016. Elle ne va pas taper 82, 84 ou 90 c’est évident. A moins d’éduquer les jeunes sur l’histoire de cette culture pour qu’ils s’en imprègnent, comment voulez-vous qu’ils sachent ? C’est impossible. Moi je ne le fais pas et je ne donne pas de cours, je n’aime pas ça. Je transmets par ma danse, je laisse des traces en la faisant évoluer. La seule chose que j’aime faire dans la culture, c’est la garder underground, comme elle était.

DWT : Les plus jeunes pourront te reprocher à leur tour ce que tu reproches aux anciens…
Benji : Peut-être mais je suis actif. C’est à dire que les gens me voient tout le temps. Je fais des événements, des battles tout le temps. J’ai gagné un battle avec les américains il y a à peine trois semaines à Varsovie. Je repars aussi cet été.

C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre.

DWT : Te souviens-tu de ton premier battle ?
Benji : C’est une colle. Je pense que mon premier battle « dur », c’était contre Dedson des Wanted, aux Halles. Mon premier vraiment chaud et le premier qui a réuni beaucoup de monde à Châtelet. C’était en 97/98. Ce battle était annoncé par le bouche à oreille. On a rempli Châtelet, c’était la guerre. C’était préparé, des mecs de Marne la Vallée contre des mecs de Paris. Ils sont arrivés à 200 ! Ça a remis un coup de boost à Châtelet. Tous les weekend d’après, il y avait des trucs. Les étrangers qui passaient à Châtelet disaient « il est où Benji ? Faut l’appeler, il va danser ». Ils savaient que nous, on y allait. Il y en a eu plein mais mon premier vrai gros « officiel », c’était celui-là. Il n’y en avait pas avant, ça n’existait pas. Les mecs dansaient les uns contre les autres mais il n’y avait pas de grosses têtes d’affiches qui faisaient dix passages l’un contre l’autre. J’ai marqué mon temps par ces choses-là, l’arrogance et les battles.

DWT : A l’image du rap actuel et à tes débuts, est-ce c’est toi qui a ramené les punch-line dans le break en France ? La phase forte qui fait mouche d’un seul coup…
Benji : C’est carrément ça. Au début des battles, on appelait ça des « guet-apens ». On allait chercher celui qui brillait. Voilà, tu dis que tu es fort, ben nous, on veut voir. Nous, on était malins parce qu’on s’entraînait grave pour ça. Je n’allais pas chercher des mecs qui pouvaient m’exploser. Je ne suis pas un couillon. J’y allais progressivement. À la fin, j’avais un des plus hauts niveaux, donc tu es obligé d’aller chercher les têtes d’affiches et c’est pour ça aussi que les gens respectaient notre parcours. Ils disaient « ouais, Benji va toujours au charbon en allant chercher les bons ». C’est important. Ça a marqué l’histoire et puis les mecs, ils te suivent. Il y avait quand même des gens qui trouvaient ça violent en disant « ce n’est pas cool, on ose plus venir à Châtelet parce qu’on se dit qu’on peut venir nous chercher et danser contre nous ». Et d’un autre côté, les mecs qui venaient te voir pour te demander « alors c’est qui le prochain ? ».

Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! (…) On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

DWT : Selon toi, Benji VS Junior (2002) plus belle battle de rue de l’histoire du hip hop en France ?
Benji : Je pense que c’est la plus belle de l’histoire. Dans l’underground, c’est la plus belle affiche qu’il y ait eu. Déjà, la manière dont ça s’est fait, c’était incroyable. Ça a réuni un monde phénoménal au Forum des Halles. On n’avait jamais vu ça. On n’était pas loin de mille personnes sans médias pour diffuser ça à l’époque. C’est aussi le commencement pour des centaines de breakers qui ont débuté grâce à la vidéo de ce battle. Pour eux, c’était la révélation. Ils avaient envie d’être au milieu. C’était un peu considéré comme l’arène. Les Wanted venaient de gagner le Battle Of The Year 2001. Après mon Battle contre Dedson des Wanted, on se respectait beaucoup plus que beaucoup d’autres qui parlaient mais qui n’étaient jamais au milieu. Au final, tu respectes les guerriers, les Warriors. C’était devenu des proches alors qu’à la base on était complètement ennemis. Je les ai appelés après le BOTY pour les féliciter. Je leur ai dit que j’étais content pour eux. Et d’un coup, Djaguy me dit que Junior veut me parler. Je ne le connaissais pas. C’est un mec de Rennes à la base. Il était très fort, très connu, avec un style atypique parce qu’il a un handicap des jambes qui lui permet de faire des choses incroyables. Il a eu une Polio. Il fait des pompes à la parallèle du sol sans ses jambes et sans forcer pour dire à quel point le physique, c’est autre chose ! Donc Junior des Wanted me demande au téléphone « quand est-ce qu’on fera un « un contre un », toi et moi ? ». Je lui ai dit : c’est simple, comme tu as une grande gueule, et bien c’est samedi ! On était mardi. Il me dit « comment ça ? » Ben samedi ! « Non mais je suis à Rennes, je ne peux pas, j’ai un spectacle ». Mais on n’en a rien à foutre de ton spectacle. Rien à branler vu que tu as une grande gueule. Tu as gagné aujourd’hui alors tu fais le beau. Repasse-moi Djaguy. Tu diras à ton petit que samedi, il doit être prêt. « Pardon ? Je n’ai pas suivi ». Allez, salut Djaguy. Et je raccroche. À partir de là, Junior était persuadé dans sa tête qu’il n’allait pas venir. Il a dit à tout le monde « je ne peux pas, je suis en spectacle ». J’ai dit à Youval : « écoute on va voir si là, tu es puissant. Tu envois la purée au maximum, la pub partout, c’est sûr, c’est samedi« . Et Youval a fait une de ces com’ mon pote ! Dans toutes les salles de danse, partout ! Youval est bon, il arrive en embrouiller les cerveaux, d’ailleurs il embrouille le mien tous les jours. La veille, on a dit à Junior, c’est simple, si tu veux, tu ne viens pas mais après tu assumes. Nous, on s’en fout. Tu feras partie de ceux qui ont chié sur eux et pas voulu venir. Et il est venu. Il n’avait pas le choix. Il a tout annulé. La technique c’était quoi ? Je savais que c’était quelqu’un de très fort et qu’il avait des choses que je ne pouvais pas faire. Je ne pouvais pas le suivre dans ce qu’il faisait. Le but était de lui donner le moins de temps pour qu’il s’entraîne parce que je savais que j’étais prêt à ce moment-là. Va falloir aller au charbon et c’est tout ce qui compte. Quinze passages, c’était très long. La police était là. On m’a dit au début faut évacuer les lieux. Mais monsieur avec tout le respect que je vous dois, je ne vais pas pouvoir. C’est au-dessus de mes moyens. C’est gens-là sont venu voir un truc qui va durer une demie heure. Si vous ne les laissez pas kiffer, ça risque d’être dangereux. Je connais la moitié de la salle, c’est des danseurs. Mais les autres, je ne les connais pas. Je ne sais pas de quoi ils sont capables. Ils étaient venus avec des mecs de Marne la Vallée un peu chauds, plus venu pour gueuler et foutre la merde que pour la danse. Ben c’est parti en bagarre. Ça c’est bien passé jusqu’aux dernières minutes où c’est parti en cacahuètes. Le principal est que Junior soit venu. On a fait le battle le plus mythique de l’histoire.

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Photo © Alain Garnier

DWT : Abordons le sujet qui fâche. Pourquoi cela ne se fait pas avec Lilou ? Tu as les vraies raisons ?
NDLR : Pour des raisons qui appartiennent à Benji, ce dernier ne souhaite plus communiquer sur cette histoire. Fait rarissime dans nos publications, nous avons supprimé sa (longue) réponse. Nous respectons sa position et présentons nos excuses à nos lecteurs.

DWT : Que penses-tu de l’image du juif contre l’arabe que ça a donné toi et Lilou ? Voir même l’identification au conflit israélo-palestinien, drapeau israélien contre keffieh, qu’on a pu entendre…
Benji : Mes parents sont tunisiens… Rien à voir. Je ne suis pas trop dans ces trucs-là. Je ne rentre pas dans ces délires. Je l’ai défié parce qu’il copiait mes mouvements et surtout parce qu’il ne m’a jamais reconnu. Dans toutes ses interviews auparavant, il disait qu’il avait inventé ce style alors que tout le monde sait que c’est faux dans ma génération. Et puis c’est débile. Faire une guerre contre ça, c’est débile. On doit être trois feujs dans la culture. Si on commence à faire le truc feujs/rebeus, on est mort. On ne va pas tenir trois minutes. Je n’avais pas besoin de ça pour faire la promotion du truc, tout le monde sait qui est Lilou et qui est Benji. Ce que vous venez de faire par exemple avec cette question, lui refuse de répondre. Il demande aux gens de ne pas lui poser cette question parce qu’il ne veut pas répondre sur le sujet. Pour lui, c’est compliqué. Moi, je réponds. Je suis libre.

Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ».

DWT : Pourquoi tu attaches tant d’importance à l’aspect underground de cette culture ?
Benji : J’aime l’underground. Attention, j’aime aussi la culture actuellement mais ce qui ne me plait pas, c’est qu’ils ont oublié l’underground. Par exemple, il n’y a plus personne qui danse gratuitement. Tu défies quelqu’un dans un Battle, il te dit « mais y a quoi à gagner ? Mais qui est le DJ ? Mais c’est où ? Mais je suis logé ou ? Mais je gagne quoi ? » Mais mon garçon, calme toi ! En plus, ils te parlent comme si c’était des super stars. Je vous explique, c’est des clodos. Ils gagnent deux cent balles. Le BC One qui est une grande machine internationale, ils envoient des mecs sur la Lune à trois cent millions de dollars. Ils font des trucs ouf, 120 qualifications pour le BC One et le gagnant remportent 5 000 € dans leur battle !? C’est une misère. C’est se foutre de la gueule des gens. Ils m’ont proposé d’être BC One All Stars mais je leurs ai dit « vous êtes des comiques ». C’est le siège de Red Bull avec toute l’équipe de JP. Quand j’ai défié Lilou ils m’ont proposé de rentrer dans le BC One All Stars en me disant « tu devrais danser avec nous plutôt que de faire la guerre ». Je leur ai dit : vous êtes des clowns. Tellement que vous êtes des clowns, vous regardez votre superstar se tordre la cheville et vous allez voir la concurrence en face pour tenter de rapatrier quelqu’un d’autre. Vous parlez d’être une équipe mais vous êtes des menteurs. Votre gars tombe vous allez en chercher un autre ? Vous avez besoin de briller alors vous avez besoin des gens qui brillent. Red Bull a compris qu’il n’y a pas dix balles à gagner dans la danse mais ils laissent un pied dedans pour dire on est dedans. Comme ils n’ont pas une grosse concurrence, ils sont tranquilles. Si toi et moi, demain, on organise un battle avec 10 000 € à gagner, on est au-dessus d’eux déjà. Il ne faut pas oublier que ce sont des vendeurs de cannettes. La plupart des mecs que j’ai tapé ces dernières années, c’était des mecs de chez Red Bull. Je le fais exprès pour montrer que leurs supers champions, c’est de la daube. Tu peux avoir 12 ou 25 ceintures, ben tu peux tomber à n’importe quel moment.

DWT : Et Mounir, tu as été le chercher ?
Benji : Non je ne vais pas chercher tous les danseurs Red Bull non plus. J’ai quand même des affinités avec certains. Mounir, c’est quelqu’un d’extraordinaire. C’est un gentil garçon, c’est un mec bien. Je n’ai jamais eu de problèmes avec lui. Mounir, c’est au-delà de la danse, je connais ses grands frères, les Vagabonds, avec qui j’ai grandi et que je respecte parce que c’était un groupe d’attaque, qui était sur le terrain. Ils sont là depuis des années et ils on fait évoluer les choses. Mais dès qu’il y en a un qui parle un peu chez Red Bull, je le tacle c’est normal.

DWT : On sait où est Red Bull mais l’underground, il est où maintenant ?
Benji : Ben je vous le demande. Le 104 par exemple, c’est le nouveau Châtelet, il y a des milliers de danseurs mais il ne se passe jamais rien. Tu peux y aller matin, midi, et soir, il ne se passe jamais rien. Ils s’entraînent. C’est une salle d’entraînement. J’étais à Varsovie, il y a quelques semaines, tu rentres dans une salle de 300m2 où il y a les seize meilleures équipes, il ne se passe rien non plus. Attention, sur le net, ça y va : « quand je croise Benji je le défonce, je le fume » et toi t’es là, et il ne se passe rien ! De ma génération, c’était impossible. Ils n’ont plus la culture de nos jours. Ce n’est plus dans les mœurs. Les mecs ne le font plus. Avec Youval on a essayé d’organiser ça. On a essayé de créer des têtes d’affiches. Tu proposes à Pierre, il te dit contre qui je danse ? Ben c’est toi qui choisis. « Non trouve moi un mec ». Déjà, t’as compris. Ben vas-y, tiens, lui par exemple. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Tu proposes à l’autre. « Oh ben non, il n’est pas terrible ». Les deux se trouvent pas terrible alors justement défoncez-vous si vous ne vous trouvez pas terrible. « Ah oui, mais c’est quoi mon intérêt ? » Voilà, les mecs n’ont pas envie. Il préfère remettre la faute sur un juge quand ils ont perdu dans une compétition. « Oui le juge n’était pas terrible. Le DJ était pourri, le sol était ceci cela ». L’underground s’est perdu. J’essaie de faire revenir le truc parce que je vois qu’il y a une demande quand je fais un événement. Quand je critique Red Bull, ils sont des milliers à liker et à partager. Quand j’ai été convoqué chez Red Bull, le mec me dit « bah dis donc, elle n’a pas fait beaucoup de bruit ta dernière vidéo ». Je lui ai demandé si lui l’avait vu. « Ouais ! » Ben c’est tout ce que je voulais. C’est le principal, c’est toi qu’on voulait toucher. On s’en fout de toucher Pierre, Paul, Jacques ou le mec qui fait du violon chez lui. C’est toi qu’on a envie de secouer.

Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi.

DWT : Est-ce que le fait d’être de confession juive a déservi ton image dans le milieu du break ?
Benji : Il y a eu du racisme, c’est sûr. Certains m’appelaient Benjuif à une époque. Je le vois aussi sur les réseaux sociaux. Mais je vais vous dire un truc, quand tu es en face d’eux, ils sont avec toi et crient pour toi. Derrière, ils critiquent un peu, c’est le jeu. Si je m’arrête sur ça, je ne danse plus. Je fais autre chose. J’irais travailler dans une synagogue si je voulais faire dans le communautarisme. J’ai choisi le break, je savais qu’on était trois sur des millions. Il y a des gens qui disaient que Division Alpha, c’était un groupe de juifs. C’est faux il n’y a que des rebeus. C’est plus facile de dénigrer avec des trucs simples comme ouais c’est un juif. Peut-être que ça les fait chier qu’on ne soit pas nombreux et qu’on entend beaucoup parler de nous. Comme Youval et moi, on est proche on en entend beaucoup nous aussi on va faire comme vous, les feujs, pour que ça fasse parler. Ce n’est pas raciste mais ils mettent le côté communautaire en avant. Je n’aie jamais ressenti de malaise avec ça. Ça m’a toujours passé au-dessus de la tête. Je suis un mec traditionaliste mais pas pratiquant de ouf. Vous voyez bien je suis tatoué. Quand tu es un artiste, tu ne rentres pas là-dedans. En tout cas, pas aux yeux des gens. Tu le fais pour toi. C’est du cinéma. Lundi tu représentes l’Algérie, mardi la France, frérot tu sais plus où t’es. Moi, je représente la France. Je suis né là. J’ai été trois fois en Israël pour des vacances. J’ai été plus de fois aux États Unis où j’ai une maison à Miami que là-bas.

DWT : Tu évoquais tout à l’heure le Rock Steady Crew. On te sent très proche de Mr Freeze. Comment vois-tu les efforts qu’il entreprend pour les battles underground ?
Benji : Il est humble. Il n’a pas honte de s’auto-charrier. Il dit la vérité sur plein de choses et je trouve ça respectable. C’est une superstar dans les années 80 qui n’a pas laissé énormément de traces. Il n’a pas baissé pas son pantalon mais il est resté trop underground. Il est trop arriéré Freeze. C’est une bombe de mec. C’est mon super pote que j’adore mais il n’arrive à sortir sa tête de l’underground et à faire les choses plus professionnelles. Il veut trop que ça se fasse de la main à la main, à la confiance mais les choses ont évoluées, ce n’est plus comme ça, c’est devenu un bizness. Quand il aura réussi à s’associer avec de bonnes personnes, pourquoi pas. Il avait réussi à s’associer avec Vitamine Water, il a pu mettre 50 000 $ mais le problème, c’est qu’il a fait son battle à Las Vegas et que c’est le bout du monde. De nos jours c’est malheureux à dire, mais l’Europe a plus de pouvoir sur les battles.

DWT : Il voulait l’organiser sous la Tour Eiffel…
Benji : Il veut le faire à l’arrache. Mais qu’est-ce qu’il raconte ? Ce n’est pas possible. Il n’aura jamais l’autorisation. Nous, déjà au Forum des Halles, on s’y entraînait tous les jours donc les mecs avaient l’habitude sauf qu’à un moment on était mille. Les commerçants se plaignaient de payer des loyers alors que 400 noirs et arabes venaient devant foutre le bordel en dansant et en criant. J’allais voir les mecs dans les restos pour leur dire : on s’excuse, ça ne va pas durer longtemps. Mais faut voir comment ils nous envoyaient balader avec des « cassez-vous de là ! ».

DWT : D’où l’idée du centre hip hop des Halles ! (rires)
Benji : Ça n’a plus rien à voir. Il ne se passera jamais rien. Je trouve ça bien parce que ça va avec l’évolution pour que les jeunes puissent s’exprimer. Je pourrai danser là-bas mais de toute façon, la culture est morte. Les choses ont changées. Tout est encadré aujourd’hui. On est maintenant dans un pays où il se passe pas mal de problèmes. On ne peut plus faire un attroupement et faire un battle sauvage comme ça dans la rue. Ce n’est plus possible. Quand tu as des mecs qui posent un poste sur les Champs (Elysées) pour faire un show, au bout d’un quart d’heure les flics viennent. Mes potes se font confisqué un poste par mois. Ils ne les rendent pas. Tous les mois, ils doivent racheter un poste. Comment veux-tu organiser un truc sauvage ?

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Photo © Alain Garnier

Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours.

DWT : Parle-nous de ton expérience dans le cinéma, ça a fait aussi polémique dans le mainstream et la vulgarisation du break…
Benji : C’était cool. J’ai grandi avec la culture Beat Street, Break Street donc faire un film, c’était un rêve. Mais je me suis fait niquer la gueule. Quand on m’a présenté le script du film de Bianca Li, je le voyais comme un film hip hop pur. Après, quand tu vois le montage et les scènes qui sont tournées, comme par exemple la scène où elle fait des effets spéciaux et elle tourne sur le doigt… C’est des choses sur lesquelles j’ai essayé de me battre mais je n’ai rien pu faire. D’ailleurs, j’ai été au tournage de cette scène. Bianca Li est très maligne. Je ne travaillais pas ce jour-là. Ils m’avaient donc laissé 3 ou 4 jours off. Mais j’avais dit que je voulais venir voir quand même parce que j’avais un doute. Vu la tournure que le film prenait sur le tournage, j’ai vite compris que ça ne serait pas underground et que donc ça pouvait me jouer des tours. Je vois que ça va être un truc dégueulasse où elle va tourner sur la main en sens inverse de la logique de la chose et après tourner sur le doigt, un truc qui n’existe pas, complètement débile. Sur le plateau, je lui ai dit que je ne comprenais pas ce qu’elle était en train de faire. Toi, demain, tu te casses, tu retournes dans le flamenco mais nous, on vit avec et dans cette culture. Il faut qu’on assume ce truc-là derrière nous. Elle m’a dit : « non, j’en ai rien à foutre, c’est mon film, je fais ce que je veux ». Alors directement après, j’ai sorti la première Flexible Fury. Je me suis dit que si je ne fais pas rapidement un truc dans l’underground, je ne suis plus crédible. Au final, c’était une bonne expérience de faire un film, j’ai kiffé. Je serai chaud pour en refaire un autre sauf que cette fois-ci, on ne me niquera pas la gueule.

DWT : Tu as également un projet de livre avec un grand monsieur de cette culture, JayOne, qui est sur les rails. Tu peux nous en dire plus ?
Benji : On est en train d’écrire le livre. C’est Jay qui le fait. C’est un artiste, le black Picasso. Bon, il ne sait pas dire non. Il dit oui à tout sauf qu’il faut le tenir (rires). Je le motive et il me suit sur toutes mes vidéos où il m’aide pour pleins de choses. Ce livre parle de ma vie en globalité, de ma culture juive jusqu’à maintenant. Comment un petit feuj arrive dans cette culture. On est aussi en pourparlers sur l’ouverture d’une galerie d’art en tant qu’associés pour exposer des gens.

DWT : Tu t’étais lancé dans la création d’une marque de vêtements également…
Benji : Elle s’appelait Détail. Elle a pas mal fonctionné mais j’ai revendu mes parts tout de suite. J’ai fait monté le truc et j’ai revendu parce que c’est vraiment un métier à part entière. Faut être intègre. Je n’ai pas le temps avec mon travail et la danse. J’avais beaucoup de vue pour faire monter la sauce et revendre pour gagner un peu de sous. Mais pour faire une marque, faut vraiment être à fond.

DWT : Est-ce que tu partages les valeurs de l’Universal Zulu Nation d’ Afrika Bambaataa ? Est-ce une organisation à laquelle tu es sensible ?
Benji : Pas du tout. …Enfin je vous dit une connerie car dans la Zulu Nation, il y a des vraies valeurs mais je n’en suis pas proche. Je n’ai pas grandi avec ça. J’avais du respect pour Bambaataa par rapport à Beat Street et parce que c’était le Zulu King mais sinon… Entre nous, la Zulu Nation, ça touche très peu de gens en France. Ça n’a pas un impact assez balaise sur la culture en France pour que je m’y intéresse vraiment et que je m’y mette à fond. Et puis la Zulu Nation en France vis à vis du break, qu’est-ce qu’ils ont fait ? A part des chapters éparpillés, il n’y a pas grand-chose.

Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop.

DWT : Quels sont les conseils que tu pourrais donner à des jeunes qui se lancent dans le break ?
Benji : Rester authentique. Souvent j’entends qu’il faut rester dans les critères pour les jurys mais je trouve que ce n’est pas important tout ça. Faut faire de la danse comme on a envie et essayer de se cultiver sur ce qui s’est passé auparavant. S’occuper uniquement de ce qu’il se passe aujourd’hui te conditionne trop. Le BC One n’est pas le seul chemin. Etre bien entouré aussi, c’est important. Je trouve que les jeunes sont souvent mal entourés. Et surtout, important, ne pas espérer vivre de la danse parce que c’est un mensonge permanent. Les mecs voient Lilou ou d’autres gagner 2 000, 3 000 balles par mois, ils ont l’impression que c’est le bout du monde alors que ce sont les mieux payé de tous. C’est de la merde. Même eux qui sont les mieux chez Red Bull sont loin de s’enrichir. Les mecs sur les Champs doivent gagner autant.

DWT : Tu écoutes quel type de musique ?
Benji : J’écoute des trucs de fous. Du rap français, du rap américain, de la house. J’aime bien Booba, Lacrim, tous les clichés du moment, Kaaris. Je suis comme tout le monde. On me bourre le crane à la radio et au final j’aime bien. J’aime le rap américain parce que je vis la moitié de l’année à South Beach Miami. J’aime grave la culture hype des années 90.

DWT : Qui est le plus technique en France pour toi ?
Benji : Aucune idée. Gamin, j’étais impressionné par Ibrahim Dembélé.

DWT : Quel est selon toi le meilleur crew de l’histoire ?
Benji : Sur le nom, Rock Steady Crew. J’aimais bien Ground Zero mais pas pour les mêmes raisons. C’était un grand groupe de guerriers. J’étais plus fan des Rock Steady et de Rock Force Crew, qui était de ma génération et avec qui j’ai dansé. C’était mes idoles. C’était un rêve de danser avec eux. J’ai gagné avec eux il y a quelques semaines à Varsovie. On a refait l’équipe d’il y a dix ans. C’était une manière de dire aux petits jeunes : « hey, les papys vous ont botté le fion ! ». On était contents.

DWT : Meilleur danseur toute époque confondue ?
Benji : Ken Swift a fait partie des tueurs. Il a fait le début et il a fait la fin. Il est toujours là. Il a fait du sauvage, il n’a jamais dit non. Et il fait partie de mecs qui n’ont pas craché sur les nouvelles générations.

DWT : S’il a une collaboration que tu souhaiteras faire, laquelle aimerais-tu ?
Benji : J’aimerai rencontrer Chino. J’aimerai parler avec lui pour comparer les galères qu’il a eu avec sa religion et ses machins. J’aimerai rencontrer pleins de gens en fait.

On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse.

DWT : Au final, comment qualifier ta détermination ?
Benji : Je suis un mec déterminé. J’arrive à me mettre un objectif. Je me mets dans la tête tout le temps une barrière à atteindre qui est au-dessus de moi. Ça va être dur mais je vais l’atteindre. C’est un peu ça mon truc, il faut toujours voir au-dessus sinon tu n’avances plus. Je ne me mets pas de barrière genre j’ai 34 ans, c’est fini. J’aime ma liberté, c’est pour ça que j’aime mon métier de serrurier. Je patrouille et à tout moment, je peux aller m’entrainer. Ma liberté, c’est aussi d’aller chercher les mouvements que je veux. Il y a beaucoup d’identités différentes dans le break. Regarde dans le patinage artistique, ils ont pleins de figures imposées. On a de la chance d’être libre de nos mouvements. C’est ça la force de notre culture, tu as le droit d’être différent, d’avoir ton identité. C’est très important dans notre danse. Beaucoup de danseurs dansent pareils maintenant. Ils ont vu tellement de vidéos. En vérité, ils sont dans l’ombre de quelqu’un. Mais avoir son style et être reconnu grâce à lui, c’est très important.

DWT : Pour conclure, tu penses avoir marqué l’histoire de la danse hip hop ?
Benji : Si vous faites une interview de moi aujourd’hui, c’est que j’ai dû la marquer un peu (rires). J’ai marqué chaque danseur différemment. Certains d’entre eux n’aimaient pas forcément mon style mais avaient peut être du respect pour mon engagement. Ou du respect pour le fait que j’ai fait des battles sauvages et que je défende autant l’underground. Je le vois ces dernières années, il y a des mecs qui me suivent et qui disent : « je ne suis pas spécialement d’accord avec Benji mais sur certaines choses, je le suis et je le rejoins ». D’autres affirment qu’ils ne sont pas fans de mon style mais reconnaissent que je le fais bien et mieux : « c’est normal car c’est lui qui l’a inventé ».

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Photo © Alain Garnier

Interview réalisée le mardi 7 juin 2016 par Fati, FLo et Alain Garnier / Photos par © Alain Garnier.
On en place une spéciale pour l’excellent Paul Belêtre, le réalisateur fou (narvalo, branche le micro de la XL1 la prochaine fois) et à b-boy Junior des Wanted : Qui a gagné en réalité ?

Battle of the Year France 2016

Agenda
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Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au Battle Of The Year International.
Organisé par l’association Attitude, le Battle Of The Year France est de retour à Montpellier ! Cette 16ème édition de la plus grande manifestation hip hop française aura lieu le samedi 21 mai 2016 au Zénith Sud de Montpellier. Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au Battle Of The Year International qui se déroulera le 29 octobre 2016 à Essen (Allemagne). Animée par les speakers Maleek (France) & Fourmi (Zulu Nation Belgique) et ambiancée par les DJ’s Taj Mahal & Keysong (France), la finale BOTY France 2016 opposera les crews 38 de Fièvre (Toulouse), Ematom (Lyon), Fantastik Armada (Meaux), KLA (Calais), Indigènes (Vauvert), Melting Force (St-Étienne), AZS Crew (Lille), Brigands Crew (Réunion), Soul Fire (Lyon), SNT (Caen), Yeah Yellow (Paris), Wolsgang (Lyon) et le Crew Mayotte. Juges : Storm, Roxrite (Redbull Allstar), Jey (L.O.), Neil (Vagabond Crew) & Salim (Pockemon/Arabiq Falvour). A noter la conférence de bboy Mounir (Vagabond Crew) sur sa vision du breakdance et la tenue de plusieurs showcase : HWE par bboy Mounir, Cie Breakin’ House (Breakin’ School – Toulouse) ainsi que le Bboy Cypherz.
Finale Battle of the Year France 2016
Samedi 21 mai 2016 – A partir de 17 h 30
Zénith Sud Montpellier
Affiche Battle of the Year - BOTY 2016 FRANCE - Down With This - DWT Magazine

Wanted Posse et West Gang (France) remportent la grande finale du Battle Cercle Underground !

Actus
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Le judicieux choix des équipes internationales a apporté un véritable élan de fraicheur et de nouveauté pour cette onzième édition.

Mettre en avant l’art hip hop et les cultures urbaines en valorisant la France au niveau mondial, et faire rayonner la région parisienne à travers un événement fédérateur : voici des objectifs que les organisateurs du Cercle Underground ont rempli avec succès cette année. Petits et grands, connaisseurs ou amateurs, danseurs ou encore simples curieux se sont mélangés ce 16 avril dans une ambiance cordiale où chaque danseur était libre de s’entraîner face à ses futurs adversaires dès le début de l’événement. C’est dans cet esprit de partage et d’échange artistique que le public a pris place au coeur de l’Académie Fratellini.

Les entraînements ont ensuite laissé place à l’affrontement des battles durant lesquels chaque danseur a défendu les couleurs de son équipe avec conviction et bon esprit de jeu. Le tout menant jusqu’au jugement final d’un jury de poids : Yaman (danseur break et chorégraphe), Alesya (danseuse house russe), Icee (danseur hip-hop et chorégraphe), Nelson (danseur pop).

C’est grâce à deux équipes que la France a encore une fois réussi à affirmer son niveau : WANTED POSSE (équipe break) et WEST GANG (équipe poppin’) ont remporté la onzième édition du Cercle Underground aux côtés de deux autres équipes japonaises en Hip hop et House (les JAPAN TEAM). Nous saluons les organisateurs, Hagson et Muse Artistic Agency, pour la qualité et la tenue de cet événement hors pair.

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Lokiss – Prédateur isolé

Avec LOKISS on sait tout de suite qu’on ne va pas distribuer des bisous. Tant mieux le hip hop c’est d’abord une démarche personnelle pour s’y intéresser réellement puis arrive l’envie du dépassement de soi afin de s’élever intellectuellement. Par la suite, il y a d’éventuels partages et confrontations avec d’autres aficionados de notre mouvement alors conversons tous ensemble. Au passage, sur Down With This on libère la parole de ceux qui ont des choses intéressantes à dire, peu importe […]

Interviews
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Bboy Benji – Fight Club

Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant il était temps de dresser un large état des lieux de sa discipline avec lui. Photo © Alain Garnier Il aurait pu rentrer dans les cercles sur la chanson du générique de San Ku Kaï. Car Benji, c’est la bataille. Mais c’est aussi un message. Il n’a jamais fait l’unanimité en France et pourtant tout le monde le connait dans le milieu du break. Les anciens notamment, qui n’ont eu de […]

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Finale BOTY 2016 : Triplé historique pour Melting Force !

Melting Force remporte le titre de Meilleur Show 2016, la finale du battle contre Fantastik Armada et obtient la 1ère place au 1VS1. Bboy Nasso (Melting Force) – 1VS1 – Battle of the Year 2016 A l’issue de la 16ème édition du Battle of the Year au Zenith sud de Montpellier, opposé à Fantastik Armada (Meaux), le crew Melting Force de Saint-Etienne a été déclaré vainqueur par le jury, composé cette année de Storm, Roxrite (Redbull Allstar), Jey (L.O.), Neil […]

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Battle of the Year France 2016

Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au Battle Of The Year International. Organisé par l’association Attitude, le Battle Of The Year France est de retour à Montpellier ! Cette 16ème édition de la plus grande manifestation hip hop française aura lieu le samedi 21 mai 2016 au Zénith Sud de Montpellier. Les meilleurs crews, bboys et bgirls de France métropolitaine et des DOM-TOM s’affronteront pour gagner leur place au […]

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freeze, gabin, Wanted posse

Wanted Posse et West Gang (France) remportent la grande finale du Battle Cercle Underground !

Le judicieux choix des équipes internationales a apporté un véritable élan de fraicheur et de nouveauté pour cette onzième édition. Mettre en avant l’art hip hop et les cultures urbaines en valorisant la France au niveau mondial, et faire rayonner la région parisienne à travers un événement fédérateur : voici des objectifs que les organisateurs du Cercle Underground ont rempli avec succès cette année. Petits et grands, connaisseurs ou amateurs, danseurs ou encore simples curieux se sont mélangés ce 16 […]

Actus
freeze, gabin, Wanted posse

Cercle Underground : affrontement mondial

Avec une affluence en constante augmentation, le Battle Cercle Underground est devenu au fil des années une référence dans la danse hip hop multi-disciplines. Le 16 avril 2016, le Cercle Underground organise sa 11ème édition parrainée par Paul Pogba. Ce battle de hip hop incontournable, réunissant la crème de la crème des danseurs internationaux, se tiendra cette année encore à l’Académie Fratellini, à Saint Denis. 16 équipes de danseurs venant de 9 pays (Etats-Unis, Japon, Russie, Espagne, France, …) sélectionnées […]

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Interview Dee Nasty (1995)

Je trouve encore qu’il y a un manque de solidarité entre les groupes. Chacun est jaloux de l’autre en croyant que l’autre fait mieux. Alors que nous venons d’interviewer à nouveau Dee Nasty, nous avons fait le choix de publier en premier l’interview que nous avions réalisé il y a 20 ans, en 1995. Pour l’interview récente, il faudra patienter jusqu’à 16 heures. Début des années 1990, nous sommes au cœur même de ce qu’était cette culture. Le travail que […]

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Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Zekri

Dee Nasty, down with the King

Pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi. Dee Nasty passe des disques comme on passe un message. Son premier LP, «Paname City Rappin», est enregistré en 1984 et c’est le premier du genre autoproduit de France. Dix ans après (voir notre interview de l’époque ici), Dee Nasty nous avait présenté son troisième album « Le Deenastyle » avec la participation du regretté East (RIP). Il est l’un […]

Interviews, Non Classe
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Nova, solo, Zekri

Fab Five Freddy les bons tuyaux

L’histoire intéressante qui est liée à « comment le hip hop a commencé en France », je crois que c’est quand j’ai rencontré François Bizot à Paris en 1980… Fab Five Freddy – Photo D.R. On y est : l’un des plus anciens activistes du hip hop a accepté de répondre en exclusivité aux questions du plus ancien média hip hop de France ! Quoi de plus étonnant finalement puisque DWT, c’est définitivement le média le plus funky de France, qui continue […]

Interviews
Bramly, Fab Five Freddy, Lionel D, solo, Zekri

Funktherapy réunit deux légendes de la danse : Shabba-Doo et Crazy Legs !

Les deux représentants de la “street dance” les plus sérieux et souverains en la matière seront à Meudon (Hauts-de-Seine) du 19 au 25 octobre 2015. Ils se sont croisés au Festival de Cannes en 1984 lors de la promotion des films cultes Beat Street et Break Street 84 (dans lesquelles ils tiennent les rôles principaux) mais n’ont jamais participé ensemble à un événement. Le plus grand danseur de rue de tous les temps : Shabba-Doo (Original Soul train Gang / […]

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