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Rocca, nouvel album : Bogota Paris

Actus
Kohndo, Rocca

Rocca repousse à nouveau les limites géographiques et artistiques de ses compositions dans son quatrième album solo, dont la sortie est prévue pour le 7 septembre 2015.

La Cliqua reprend du service depuis quelques années. A entendre une certaine musicalité (boiteuse) ambiante, la raison semble évidente. C’est maintenant la sortie du quatrième album solo de Rocca (« Bogota Paris », prévue pour le 7 septembre 2015) qui est sur les rails. Ce nouvel opus aura la particularité d’être disponible en deux versions : française et espagnole… Certainement une première du genre, soit deux fois plus de raisons pour l’écouter. Percutant comme La Squadra en son époque, Rocca continue de secouer le rap français avec ses rythmes afro-latinos, mais pas seulement : la production de « Bogota Paris » nous présente aujourd’hui le premier extrait de son nouveau projet (« Retour à la source ») avec Lyricson en featuring. Choix pertinent qui démontre que Rocca repousse à nouveau les limites géographiques et artistiques de ses compositions ; une énergie et une dimension musicale qui redonneront un nouveau souffle aux préférences nauséabondes de certaines rédactions ou autres oreilles bouchées. Nobel

Concert « Conçu pour durer »

Agenda
Kohndo

Pour célébrer le 20ème anniversaire de l’album de La Cliqua, Kohndo, Rocca et Daddy Lord C se retrouveront sur scène le 27 février à Bobigny.

Il est celui qui donnera son accord en premier pour un retour de La Cliqua sur scène (festival L’Original en 2008). Il est pourtant le premier à avoir quitté la formation historique du groupe en 1997. Kohndo nous avait confié quelques détails sur cette période : « Je sentais que ça se dégradait. (…) Rocca et Daddy lord C ont joué la carte de la colère avec leur morceau « Pas de place pour les traîtres ». (…) On en a reparlé dix ans après, tout a été réglé comme des adultes » (voir son interview exclusive). C’est maintenant à l’occasion du 20ème anniversaire de l’album « Conçu pour durer » que Kohndo, Rocca et Clarck se retrouveront sur la scène du Canal 93 (Bobigny) le 27 février 2015 lors du festival Terre(s) hip hop. Plus de 20 ans après sa création, La Cliqua demeure toujours un groupe incontournable dans l’histoire du rap français, au même titre qu’il demeure incontournable dans la carrière des ces trois MC’s. A noter également la réédition en vinyl du premier album de Kohndo « Tout est écrit » incluant « Classic » en featuring avec Rocca. Si l’on se réfère aux précédentes « reformations » de La Cliqua (Lyon 2008 & Paris 2009), inutile de préciser que ce show fera date pour tous les amateurs de « bon rap ». Nobel

Vendredi 27 février 2015 à partir de 19 heures 30
Canal 93 – 63 avenue Jean Jaurès – 93000 Bobigny

Rocca La Cliqua - Photo Alain Garnier - DWT Magazine Down With This

Rocca (1996) – Photo © Alain Garnier

L’Indis, recherche du sens

Interviews
Flynt, Kohndo, L'Indis

Au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public.

Il était évident de retrouver un jour ou l’autre L’Indis en interview sur Down With This. Et pas seulement pour la rime. C’est chose faite. Voici quelques clés pour en comprendre l’évidence. Clé numéro 1 : son frère Lavokato. Membre actif de Down With This dans les années 1990, il constitue un de nos points communs et ce n’est pas un hasard. Mais n’y voyez pas de copinage sinon DWT vous aurez déjà servi de L’Indis à toutes les sauces : « Exclu : L’Indis revient dans le game », « Exclu : L’Indis nous dévoile en avant-première un extrait de son nouvel album », etc… Ce n’est pas notre genre, même s’il l’aurait mérité. Clé numéro 2 : des valeurs communes. L’analyse, les positions et le pragmatisme de L’Indis sont autant d’atouts qui nous garantissent une interview de qualité. Pour la clé numéro 3, on pourrait faire un parallèle entre Bobigny et Aubagne, entre les YZ et les bartavelles mais vous jugerez par vous-même.

Down With This : Racontes-nous le contexte familial et social dans lequel tu as grandi ?
L’Indis : Mon père était d’origine tunisienne, l’ainé d’une fratrie de cinq enfants. Il a quitté la Tunisie dans les années 1960 pour trouver du travail en France et pouvoir envoyer de l’argent à sa famille, notamment pour que ses sœurs puissent poursuivre leurs études. Il y est finalement resté pour fonder une famille et lui offrir un meilleur cadre de vie que celui qu’il a connu là-bas. C’est pour cela que ça me fait rire lorsque je vois des jeunes qui ont la flegme de prendre le bus ou le métro pour du travail alors que nos parents l’ont fait. Par contre, eux l’ont fait en quittant leur pays natal, leur famille, leur culture, leurs mœurs, leur tradition, leur langue d’origine… Ils ont eu beaucoup de courage. Ce n’est pas facile de tout quitter comme ça. Mon père a vécu à Paris dans une chambre de bonne et a rencontré sa femme à Belleville. Ils se sont ensuite installés à Bobigny, dans le confort illusoire des HLM et se sont fait avoir comme beaucoup de gens à l’époque. Mais il ne s’est jamais adapté au climat français et est décédé à la suite de problèmes respiratoires. J’avais treize ans. Ce genre de parcours me fait réagir… J’en avais tiré deux leçons : premièrement, ne jamais prendre une cigarette, ses problèmes respiratoires ayant été déterminants pour moi, et deuxièmement, face à la volonté qu’il avait eu pour nous offrir un cadre de vie, bosser à l’école pour honorer son courage. Cela lui faisait un souci de moins.

DWT : Tu as pris la décision de rester à Bobigny et d’y installer à ton tour ta petite famille…
L’Indis : J’en parle souvent avec des balbyniens que je croise, même des anciens : quand on a grandi à Bobigny, on a une espèce d’attachement. Je ne sais pas si c’est valable pour toutes les villes, mais Bobigny colle à la peau, on a du mal à la quitter ! La dalle de Karl Marx a été détruite l’année dernière mais comme disait un rappeur, pour ne pas le citer, c’était comme un aimant : j’ai passé les deux tiers de ma vie sur cette dalle ! (rires)

Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez.

DWT : Bobigny a très tôt été représenté dans le rap comme par Ménélik, Kabal, mais aussi par ton frère, toi et Nakk ou encore 3MP et Boss’Raw. Comparé à d’autres villes de Seine Saint-Denis, comment expliques-tu que cela ait pris aussi vite à Bobigny ?
L’Indis : Ca me fait super plaisir que vous souligniez Bobigny sur la carte du rap français car on n’en parle pas assez. Dès la fin des années 1980, au centre commercial, à côté d’un disquaire de l’époque, ça breakait déjà dur. A l’époque, ce mouvement était réservé à un petit cercle. Quand on allumait la télé, on ne pouvait pas tomber sur un truc pareil, ce n’était pas grand public. II y avait un petit vivier de hip hoper sur Bobigny et donc ça a créé un truc. Prends par exemple Boss’Raw ou 357, des mecs de l’Abreuvoir, ils se sont notamment mis dedans parce que certains de leurs anciens comme les BCW étaient déjà dans la danse à l’époque. Des gars comme Skade et MC Heims, qui sera connu plus tard sous le nom de Ménélik, ont fait partie de ces anciens. Ils ont été pris tôt dans le hip hop et connaissaient déjà les sapes, les codes, les références… Tous ces trucs qui leur était réservé car il n’y avait qu’eux qui les connaissaient ! Quand je les voyais revenir de Châtelet, ça a été un peu pour moi ma source d’inspiration car j’étais trop jeune pour y aller moi même. On avait des notions dans toutes les disciplines. A l’époque, quand tu entrais dans le hip hop, c’était avec un véritable état d’esprit.

DWT : Comment te retrouves-tu avec ton frère à te mettre dans le rap et fonder votre groupe, Les 10’, au début des années 1990 ?
L’Indis : Vers 1987/1988, nous sommes tombé sur une cassette de Radio Nova que le grand frère de Nakk, si je ne me trompe pas, avait ramené. Le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots. On s’est donc mis à écrire dans la foulée et on l’a longtemps fait uniquement pour s’amuser. De toute façon, à l’époque, le business de cette musique n’existait pas encore. Les seuls disques qui étaient sortis étaient ceux de Johnny Go / Destroy Man mais c’était ultra confidentiel. Pour ma part, c’est Rapattitude (ndlr : 1ère compilation sortie en 1990, lire ici) auquel j’ai été confronté en premier. Même si on faisait du rap avant ça, cela ne rimait pour nous que comme un loisir. Aucune perspective de carrière à cette époque. De fil en aiguille, on a affiné notre écriture et de concert en concert, on a fini par gagner quelques auditeurs à Bobigny, puis ailleurs.

Vers 1987/1988, (…) le premier truc qui nous avait fait kiffé, c’était un passage des New Generation MC’s. On était scotché sur leur manière de jouer avec les mots.

DWT : Le fait que ton jumeau ait participé au noyau dur de l’édition papier de DWT durant ces mêmes années a t’il favorisé une certaine maturité au sein de votre groupe à ce moment ?
L’Indis : En tout cas, ça m’a transformé. Je prenais vraiment le rap comme un loisir comme je disais dans le sens où c’était vraiment un plaisir. D’être dans Down With This, de voir que cette équipe réfléchissait, bougeait, prenait des positions et s’engageait, ça m’a donné un autre regard sur le rap. J’ai essayé d’éviter de dire des conneries, j’ai essayé de défendre mes idées. Ca m’a fait murir au niveau de l’engagement et de l’angle d’attaque. Quand mon frère était dans Down With This, je voyais que j’avais affaire à de vrais activistes, qui se bougeait vraiment. Ca m’a changé dans ma façon de travailler.

DWT : On observe depuis toujours que Nakk revient souvent à tes côtés. On peut même se demander si vous ne seriez pas des triplés plutôt que des jumeaux ! Parle-nous de cette proximité avec lui.
L’Indis : On était dans la même classe en primaire, donc on était tout le temps ensemble. On était super complice à plein de niveau. Le rap est arrivé dans notre vie et on a observé ensemble son évolution. On a surement le même regard là-dessus. Il nous est arrivé d’écrire ensemble vers 1995. On s’enfermait dans la chambre avec mon frère, on se mettait une instru, etc… On n’a plus du tout travaillé comme ça par la suite. Mais Nakk est avant tout un ami d’enfance. Pour beaucoup de gens, c’est un rappeur, comme moi, mais quand on se voit, on ne parle pas de rap.

DWT : Pourquoi cette absence remarquée des 10’ sur le mythique « 11’30 » (sortie en 1996) alors que l’on y note la présence de Nakk ?
L’Indis : C’était une époque où on était un peu plus distant. Nakk faisait ses projets avec le groupe Soldafada. On était de notre côté. C’était peut-être l’époque où nous y étions le moins ensemble. Nakk s’était très vite fait remarqué par Le Damier (ndlr : ancien collectif balbynien dont faisait partie Ménélik) et il a rapidement été intégré à Soldafada, un groupe de ce collectif. Cela lui faisait également plaisir de rapper avec des mecs qui étaient ses anciens. Il a vite fait ses preuves et a toujours voulu se surpasser. Puis cette opportunité du « 11’30 » s’est présentée à eux.

DWT : Vous signez ensuite chez Original Bombattak, puis BMG, malheureusement sans jamais rien sortir. Qu’est ce qu’évoque pour toi cette période ?
L’Indis : Inconsciemment, je me demande si l’on n’a pas tout fait pour ne rien sortir. J’ai cette impression parfois, une espèce de « volonté inconsciente » qu’on avait de ne pas mettre les pieds dedans à fond pour ne pas s’exposer ou ne pas prendre de risque. On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.

On était arrivé avec notre produit, sans arrondir les angles. Ce qui ne pouvait pas coller avec la politique artistique des maisons de disques.

De plus, on n’a jamais eu les dents longues et on n’a jamais cherché à tout faire pour. Avec Nakk, on a été les premières options de Marc sur le lancement de son label à la fin des années 1990 (ndlr : reprenant le même nom que sa célèbre émission de radio, le label avait ainsi été dénommé « Bombattak »). Beaucoup d’artistes qui étaient mis en avant dans cette émission étaient signés chez Time Bomb (ndlr : label mythique). Marc nous a donc sélectionné pour accompagner la naissance de son label mais ça a fini par capoter : Nakk ayant signé ailleurs entre temps. Puis l’épisode BMG est arrivé. Ils nous ont financé des maquettes mais nous demandaient en parallèle d’arrondir les angles sur les instrus, sur quelques textes… Je n’aime pas trop en parler car ça fait super prétentieux… Mais en gros, en 1999/2000, il y avait deux maisons de disque qui se « battaient » pour nous : BMG et Delabel. Quand Laurence Touitou (ndlr : ancienne responsable de Delabel) nous a rencontré mon frère et moi, elle nous dit : « IAM arrive à 10 ans de contrat, il me faut un groupe pour les remplacer et je pense que vous avez le potentiel pour être les nouveaux IAM ». Elle était avec son collègue Luigi. Je pense que l’aspect commercial lié à notre image de jumeaux, de rappeurs blancs, à une époque où il n’y en avait pas énormément, avait joué en notre faveur. Delabel nous fait donc une proposition, BMG également. Ca se bagarrait un peu et Yona Azoulay (ndlr : ancienne directrice artistique de BMG) le savait. Elle ne devait pas beaucoup croire en nous mais comme elle voyait que ça bougeait du côté de Delabel, elle s’est dit qu’il y avait peut être un coup à jouer. On s’est donc retrouvé à enregistrer une vingtaine de morceaux qu’on avait de prêts au Studio Davout, Porte de Montreuil. On avait essayé de proposer quelque chose d’assez large à BMG tout en restant nous même mais ils nous ont imposé de refaire toutes nos instrus. En fait, Yona Azoulay essayait de nous glisser les instrus de son pote Cutee B. Elle nous disait qu’elle aurait beaucoup de mal à présenter nos morceaux en l’état à son boss, sans ces changements… Cette histoire s’est terminée au moment de l’écoute de nos maquettes. Yona Azoulay avait légitimé sa décision en s’appuyant sur un de nos de refrains dans lequel on rappait : « si je lâche pas l’affaire, c’est pour que nos potes applaudissent ». Elle avait stoppé l’écoute à ce moment-là en disant : « voilà, ils ont tout dit. En fait, ils rappent que pour leurs potes ! »… En gros, qu’on ne voulait pas d’un public autre que nos potes (rires). Cela lui semblait hyper réducteur mais l’histoire démontrera quelque temps après que le rap super intimiste allait représenter une valeur sûre dans ce business… Le problème qui se posait en fait est que ces gens cherchaient un groupe à développer alors qu’on avait déjà une expérience de dix ans dans le rap et des idées bien établies sur notre musique. Cela ne pouvait pas coller avec leurs attentes.

DWT : Vous commenciez à atteindre un certain âge. Vous vous attendiez tout de même à une possible professionnalisation de votre musique ?
L’Indis : Ben voilà, on était justement arrivé à un stade où on avait décidé d’arrêter. On était dans une période charnière de notre vie. Le rap était un loisir pour nous, on devenait « vieux » et on ne pouvait pas vivre de loisirs… D’un autre côté, est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.

Est-ce qu’on avait vraiment envie d’en faire notre métier ? Il a fallu prendre une décision et on l’a prise.

Cela dit, je ne blâme pas les mecs qui sont en maisons de disque en disant « ouais, ils font de la merde et tout ! » car ce n’est pas moi qui irai leur donner un salaire. Mais à partir du moment où tu acceptes que la musique devienne ton métier, et non un loisir, ton but est de ramener de l’argent. Tu n’es même pas obligé d’aimer tes collègues ou ton équipe ! Tu peux même te dire « je fais de la merde et je m’en fous car c’est mon boulot ». En ce qui nous concerne, on aimait trop le rap pour accepter ça. On s’est rendu compte que ce qui était pour nous un loisir était en fait pour d’autres un commerce. Ca a cassé un truc chez nous. Dans nos années, on n’avait jamais abordé cette pratique artistique comme un commerce. Puis on a commencé à découvrir les rouages des systèmes de rotation payante à moiti déguisée, etc…

DWT : Comme au moment de la sortie de votre morceau « On se reverra là-haut », avec Nakk et Wallen, qui avait pas mal été joué sur Skyrock ?
L’Indis : Ce qui s’est passé avec ce morceau, si vous voulez vraiment entrer dans les détails, c’est qu’à l’époque, Fred Musa aimait beaucoup ce morceau et le passait dans « La Nocturne » toutes les semaines (ndlr : émission « spé » de Skyrock) et ça, pendant au moins six mois. Musa essayait de convaincre Bounneau (ndlr : directeur des programmes de Skyrock) de le faire passer en rotation (ndlr : matraquage). C’était à une époque, entre 1998 et 2000, où si tu avais un morceau qui passait en rotation 24 fois, tu signais dans la semaine, et le mois suivant, tu étais disque d’or. L’époque que les puristes appellent l’âge d’or. Un jour, Bounneau convoque Marc (ndlr : directeur du label Bombattak) car il était producteur de ce morceau, et lui dit que Fred n’avait peut-être pas tort et qu’il s’apprêtait à le rentrer en rotation. Manque de pot, Bounneau a eu Sulee B au téléphone quelques jours après pour lui annoncer qu’il allait sortir l’album de Wallen. Bounneau a finalement dit à Marc qu’il allait rentrer un morceau de Wallen mais pas celui avec Nakk et nous. Quelques temps après, le morceau « Celle qui non » de Wallen, avec l’instru de Shurik’n, était matraqué sur Skyrock. Notre morceau passait donc à la trappe. On se heurtait à une succession de malchance. Mon frère me disait « à chaque fois, on a un tronc d’arbre qui nous rentre dans la jante, c’est que l’on n’est pas fait pour ça ». Mon frère est fataliste. Au bout d’un moment, il pensait que l’on ne pouvait pas lutter contre le destin. Il y a donc eu une forme de déception, mélangée avec l’âge… Pourtant on avait charbonné et on en avait fait des concerts ! On a un « parcours bâtard » car hormis des featuring, il n’y a pas de traces discographiques des 10’.

La Contrebande - Les 10 - Lindis - Zebda - La Caution - Casey - Scred Connexion - Nakk - Assassin

Compilation « Des mots vrais dans nos valises » (La Contrebande – 1999)

DWT : Le système de l’indépendance ne te semblait pas être une alternative à ce moment ?
L’Indis : C’est ça ! Mon regret aujourd’hui est qu’on n’a pas eu les couilles, ni même l’idée de jouer sur l’indépendance. Mais le problème qui se posait au niveau de l’indépendance, à ce moment, c’était que si tu n’es pas pote avec tel ou tel rédacteur en chef comme les Olivier Cachin, Arnaud Fraise, Antoine Garnier paix à son âme, Jean-Pierre Seck ou autre, tu ne pouvais pas présenter ton disque. Or, mon frère et moi n’étions pas pote avec ces gens-là. J’ai rien contre eux mais c’est vrai qu’ils mettaient en avant uniquement certains groupes et cela pouvait représenter un véritable handicap pour les ventes potentielles. Aujourd’hui, avec la force d’internet, tout ce petit système a été bouleversé et c’est d’ailleurs ce qui a favorisé mon retour et les ventes que j’ai pu faire.

DWT : Avant d’aborder ton retour, il y a quatre ans, raconte-nous ton anecdote sur la bande-originale du film de « La vérité si je mens » à laquelle tu as failli participer…
L’Indis : Comment savez-vous cela !? En gros, ils voulaient qu’on fasse un rap-couscous-merguez pour être sur la B.O., ou qu’on fasse la musique du générique, je ne sais plus. On avait été présenté au mec de Scorpio, le label qui avait en charge le projet, via Marc de Bombattak. Mais pour nous, faire du rap-couscous, c’était hors de question (rires).

DWT : On va maintenant parler de ton retour en 2010. Pour commencer, ta préférence : époque des jumeaux ou époque solo ?
L’Indis : En fait, quand mon frère a décidé d’arrêter, je ne me suis jamais dit que j’allais continuer. J’étais encore un peu plus dedans que lui car je continuais à côtoyer des artistes, de me retrouver dans des studios, etc… Je faisais donc quelques couplets, quelques featuring, mais sans plus. Je ne me voyais pas faire des morceaux sans lui. J’ai finalement repris il y a quatre ans. J’ai aujourd’hui l’impression que la période Bombattak était plus longue, car très intense, alors qu’en fait, elle n’a duré que deux ans. J’ai même fait beaucoup plus de concert en solo qu’à l’époque des 10’. Donc pour ce qui est de ma préférence entre l’époque des 10’ et celle d’aujourd’hui, c’est incomparable. Par contre, je me rends compte qu’il y a parfois beaucoup moins de compréhension que je pouvais en avoir avec mon frère. C’est dans ces moments-là que je me rends compte de la complicité ultime qu’on avait ensemble. Une complicité que je n’ai jamais retrouvé.

J’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser.

De toute façon, j’ai toujours fait écouter à Lavokato, mon jumeau, ce que je faisais pour avoir ses impressions avant que ça sorte. Il m’a fait progresser. Il est très dur mais très pointu. Ca m’aurait embêté qu’il ne suive pas ce que je fais, même s’il nous arrive d’être en désaccord.

DWT : Tu es arrivé, cette fois, en total indépendance. Ton retour s’est-il avéré rentable ?
L’Indis : Ca s’est avéré rentable et plus vite que je ne le pensais. Les frais investis sur mon album « Le Refuge » ont d’ailleurs été remboursé au stade des pré-commandes. Pour ce qui est du studio, tout avait été enregistré chez Char du Gouffre, avec qui on a partagé les bénéfices à part égale. Mais ça n’a pas été si simple et mon passé m’a beaucoup servi. Ce n’est que du positif vu les ventes et les concerts qu’on a fait un peu partout, surtout après six ans d’absence dans la musique.

DWT : Parle-nous de cette « écurie » dans laquelle tu gravites avec Le Gouffre…
L’Indis : C’est un gros collectif, avec quelques membres très actifs, de vrais charbonneurs. Un mec comme Char, un mec à l’ancienne, est capable de coller des stickers partout dans Paris, tout seul avec son sac à dos. C’est un vrai charbonneur et humainement un vrai moteur. Ce sont des mecs qui m’ont motivé et ça fait du bien d’être entouré par des gens qui te boostent. Ils essayent d’innover à chaque projet et ont déjà quelques surprises de prêtes qui vont arrivés bientôt.

DWT : Certains de tes morceaux comme « Barbaq de printemps », « J’ai vu » ou encore « Marche arrière » sont très empreints d’émotion ou de misère sociale… Pourquoi cette plume ?
L’Indis : Je n’ai pas forcément envie de pleurnicher mais plutôt envie de vider mon sac, c’est plus ça en fait. Je fais beaucoup de constat, surtout sur les choses qui deviennent des banalités en me demandant s’il n’y avait que moi qui les voyait. D’où l’idée du titre « Est-ce moi ? » dans mon album. Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les télés-réalité, les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.

Quand je vois ce qui fait rêver les enfants d’aujourd’hui, entre les « télés-réalité », les GTA ou le rap qu’ils écoutent, j’ai l’impression que j’ai besoin d’être le contrepoids de ces trucs-là.

A une époque, quand tu racontais l’histoire de la « Belle au bois dormant » aux petites filles, elles avaient juste envie d’être habillé en princesse à la kermesse. Ce n’était pas pour autant une perspective de carrière. Aujourd’hui, des émissions type « télé-réalité » où tu deviens une star en trois jours grâce à ton prénom et que tu es connu par toute la France, enfin sauf par moi, je trouve qu’elles véhiculent le message de pouvoir devenir quelqu’un sans avoir besoin de talent, en n’étant que futile, parlant mal le français et en ne gagnant rien par le mérite. C’est une forme de dérive quand un jeune tombe là-dessus en rentrant de l’école. En ayant le sentiment de devoir être le contrepoids de ce genre de truc, même si je suis d’accord que la musique doit être du divertissement, cela génère des morceaux moins festifs chez moi. J’essaye quand même de mettre dans mon écriture quelques jolies formes, quelques jolies tournures, quelques rimes travaillées pour que ça soit plaisant. Après, il y a les choses qu’il fallait que je dise au moins une fois dans mon vie. Il y a donc des morceaux très personnels où j’ai vidé des choses qu’il y avait de très lourdes dans mon sac. C’est aussi pour ça que j’ai eu du mal à rebondir après cet album. En même temps, je n’ai pas envie de tomber dans les trucs clichés de cette musique même si j’ai grandi dans un contexte très précis. Il y a des mecs qui ont eu des jeunesses super dorées, dans des écoles privées et tout ça… Moi, j’ai passé ma vie à Karl Marx, à Bobigny, dans le hall, voir des gens vendre tout ce qui est vendable, des gens faire tout ce qui est faisable dans une cité, avoir comme meilleur pote une tête de réseau dans le domaine des braquages, etc… mais j’ai jamais eu l’idée de dire dans un rap que mon pote est un braqueur ou quoi. On sait rester discret sur certains trucs car s’ils sont vrais, en parler n’est pas la meilleure idée. Un mec comme Booba, qui brise la scolarité de nos enfants, était dans des « Private School » payé par maman et te fait croire, au travers l’image qu’il donne, que la vie est facile. Quand tu fais de la musique, tu n’as pas forcément envie d’avoir le rôle d’un messager, de moralisateur, moi je suis d’accord avec ça. Sauf qu’au bout d’un moment, quand ton public pourrait avoir l’âge de tes enfants, demande-toi si tu serais capable de dire la même chose à ton fils que ce que tu racontes à ton public. J’ai du mal avec les trucs qui ne tirent pas vers le haut.

DWT : Crois-tu à cette notion, cette classification, de « rap d’adulte » ?
L’Indis : Je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me fait rire aujourd’hui, c’est que tu as des rappeurs de 23, 24 ou 25 ans qui racontent n’importe quoi et que tout le monde dit : « c’est pas grave, ils sont encore jeunes ». Moi, quand j’écoute ce que je faisais à 20 ou 21 ans, je parlais de truc sérieux. Quand j’ai entendu Flynt dire dans un rap qu’il ne savait pas ce qu’était le « rap conscient » et qu’il faisait juste du « rap d’adulte », je me suis qu’il avait eu le mot juste : on est des adultes !

DWT : Mais Booba est également un adulte…
L’Indis : Oui, sauf qu’un adulte a un discours responsable. Le vrai Booba, comment il est ? Il a 38 ans, il se rase la tête car en vrai, il a une calvitie, en vrai il a des poils blancs à sa barbe mais il les colore et il se fait des tatouages sur tout le corps. Donc en fait, un gamin de 15 ans a l’impression de s’identifier à un mec de 24/25 ans alors qu’en réalité, il est bientôt quadragénaire…

DWT : C’est le problème récurent des rappeurs de devoir se plier aux attentes d’un public d’une moyenne d’âge de 14 ans pour pouvoir vendre des disques…
L’Indis : Je crois sincèrement que Booba est un mec super intelligent. Il a de la culture. S’il voulait avoir une écriture subtile, il le pourrait. Mais il a bien compris que c’est plus vendeur de dire : « bim, bam, boom, la chatte à Mc Doom ». J’ai l’impression qu’il s’est dit que le plus con des cons doit pouvoir comprendre. Et c’est logique quand tu veux vendre un maximum de disques, tu vises les plus nombreux : les maléables, les simplets, etc… Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.

Le problème qui se pose avec ce genre d’artistes, c’est qu’il enfonce son public dans la connerie au lieu de l’en sortir.

Il a adopté une attitude américaine décomplexé comme le fait comme Fifty : gros tatouages, grosses voitures, etc… Mais au final, il insulte tout le monde en disant qu’il est le meilleur et en faisant rêver des gamins avec des trucs qu’ils n’ont jamais vu comme des meufs en string qui pèsent de la cocaïne. Ces artistes-là entretiennent les clichés que les gens non-initiés au rap ont de cette musique. De plus, ils finissent par salir et dénaturer cette musique.

DWT : Penses-tu que les prochaines générations de rappeurs s’exprimeront qu’au travers d’onomatopées ?
L’Indis : On en n’est pas loin.

DWT : Vu le nombre de clips que tu as sorti, tu accordes autant d’importance à l’image qu’à la production de tes morceaux…
L’Indis : C’est surtout que quand tu fais un clip, tu touches plus de monde. C’est le but premier. Après, je considère que le clip est un œuvre à part entière. C’est notamment pour cette raison que je me suis mis à la réalisation. Il faut que ce soit une œuvre qui amène un plus et pas juste un playback ou de l’habillage. Un clip est important car il a plus de portée sur You Tube qu’un écran noir avec le son et nom du morceau. Au début, c’est pour ça que tu le fais mais quitte à faire une vidéo, autant qu’il y ait une part de créativité dans la façon dont le clip sera réalisée. Depuis quelques temps, je fais des clips pour les autres et je ne fais plus rien pour moi… C’est également une création artistique et ça me plaît.

DWT : Comme nous le savons, tu apportes un détail très soigné quant au choix de tes instrus. Tu arrives à satisfaire toutes tes attentes ou tu te heurtes à des frustrations ?
L’Indis : C’est une super bonne question. C’est super ambigu, c’est un combat en fait. C’est même un point de litige avec mon frère. Pour avoir travaillé dans les années 1990, avec du sample et du grain, notre oreille s’est familiarisée à un certain type de son alors qu’aujourd’hui, ça sonne très électronique. Mais je n’ai pas envie de passer pour un vieux con. L’artiste doit créer, prendre des risques et ne peut pas reproduire tout le temps la même recette. D’un autre côté, les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.

Les musiques très modernes ne me parlent pas vraiment. Je caricature mais ça s’apparente à ce que faisait Indochine avec leurs claviers Yamaha.

Je n’ai pas envie de revendiquer que le rap était mieux avant, ni qu’on me prenne pour le mec old school, je me demande juste comment faire évoluer mon son. D’autant qu’on réfléchit à faire un album des 10’, ou en tout cas, un projet commun. Est-ce que ce projet doit sonner moderne ou comme il y a quinze ans ? Il ne faudrait pas enterré plutôt qu’entériner. C’est ambigu. Si ça sonne old school, j’avoue que ce n’est pas volontaire. Mais je pense aujourd’hui avoir trouvé un compromis, entre ce grain old school et la modernité, grâce à Nizi du crew Kids of Crackling. Il utilise les techniques de sampling d’avant et il ajoute certains rebondis dans la rythmique qui font que ça sonne moderne. Ce compromis m’a beaucoup plu ces derniers temps et Nizi arrive ainsi à me satisfaire.

DWT : Tu es rappeur, mais tu es surtout enseignant dans une école primaire depuis quelques années. Les deux fonctions sont-elles compatibles ?
L’Indis : Au niveau de l’emploi du temps, je mettrai toujours la priorité sur mon métier. Le rôle d’un père de famille est de ramener de l’argent, donc je mettrai toujours la priorité sur mon métier. J’essaye de faire en sorte que les deux soient compatibles. Par ailleurs, je pense que la ligne de conduite que j’essaye de faire ressortir dans mes morceaux est compatible avec la fonction d’enseignant. Certains de mes élèves sont tombés sur mes clips mais je préfère qu’ils gardent l’image d’un enseignant qui met l’accent sur l’instruction plutôt que d’un chanteur.

DWT : Tu as certainement un devoir de réserve par rapport à ta fonction d’enseignant mais que penses-tu des moyens déployés par l’éducation nationale dans les quartiers ?
L’Indis : C’est souvent un problème. Chaque gouvernement a mis en place des réformes comme si chaque gouvernement avait envie d’être le nouveau Jules Ferry ou envie de marquer l’histoire. Leur manière de trouver des moyens est souvent couplée par le fait de limiter les dépenses plutôt que de servir l’intérêt des enfants. Les syndicats se battent tous les ans parce qu’on embauche pas suffisamment de prof car l’idéal dans les écoles serait d’avoir un prof supplémentaire pour aider les élèves en difficultés. Or, dès le concours IUFM, ils n’ouvrent pas suffisamment de place d’admission au concours pour assurer le nombre de postes à pourvoir…

DWT : Autre sujet d’actualité : tu prends souvent position sur facebook contre l’horreur des massacres perpétrés en Palestine. Penses-tu que cette thématique a sa place dans le rap ?
L’Indis : La seule chose que j’ai envie de dénoncer est que je vois des êtres humains en tuer d’autres. Au delà d’une histoire de frontière ou de religion, je pense qu’il faut dénoncer ces actes. Quelque soit le pays, quelque soit la cause, c’est déguelasse. C’est con ce que je dis mais c’est juste ça. Quand je vois le gouvernement français rendre hommage à un soldat israélien qui a disparu et ne pas prendre position alors que le même jour, quatre enfants gazaouis explosent alors qu’ils jouaient sur une plage, ce n’est pas normal. Il y a un manque d’équité. Et face à tous les messages de haine que je peux voir un peu partout, c’est un message de paix que j’ai envie de véhiculer.

DWT : Tu es un observateur privilégié de ce qu’est devenu cette musique depuis la fin des années 1980 jusqu’à nos jours. Comment expliques-tu l’appauvrissement de cette dernière en France ?
L’Indis : Dans les années 1990, en tout cas avant 1996, tu ne pouvais pas te retrouver dans le hip hop si tu ne l’avais pas voulu. Dans ma cité, personne n’en écoutait, tout le monde était dans la funk. Il n’y avait que moi et il fallait être un fouineur pour continuer à être là-dedans. Tout le monde n’allait pas à Ticaret… Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…

Ce qui a intéressé les mecs de cité au rap, c’est la FF et Arsenik. Ca leur ressemblait. Et surtout, ça vendait. Tu imagines la suite…

Aujourd’hui, les mecs qui rappent dans les cités reprennent les ingrédients de Kaaris, car ils ne pensent qu’à une chose : se faire de la caillasse grâce au rap. Le gros tournant à mon sens, c’était 113 avec « Truc de fou ». C’est là que tous les mecs de cité se sont intéressés au rap, ils n’avaient pas forcément les codes, pas forcément les bases, et ne s’occupaient pas de savoir si untel ou untel rappait bien. Mais ils s’y sont intéressés et tout le monde s’est mis à rapper, à représenter sa cité. Ce tournant, c’est celui qui nous a fait passer de la culture hip hop à cette vision du rap. Et ça a ramené plus de T-max et d’YZ dans les clips pour « représenter ». Cette « nouvelle école », parfois ignare, n’a qu’un objectif : croquer. Et peu importe le message. Pour beaucoup parmi l’émergence de ces nouveaux rappeurs, être « crus » dans les textes leur suffisaient pour croire qu’ils rappaient bien. Ils n’ont pas eu tout l’apprentissage qu’on a eu sur cette culture, ce qui a fini par appauvrir cette musique. A force, on est retourné en arrière alors qu’on était arrivé à des progrès intéressants sur le plan technique, notamment grâce à des groupes comme les Sages Po’, Time Bomb, etc… Peut-être que c’était inévitable, peut être que c’est cyclique ou peut être que le rap était devenu tellement technique que ça ne parlait à plus personne…

DWT : Avec du recul, le hip hop était-il bien la culture qui devait se répandre en banlieue ?
L’Indis : …Qui « devait », du verbe devoir… (court silence) Déjà, j’avais l’impression que le rap était réservé à des mecs de rue au regard de l’image qui était véhiculée par cette musique. Je pensais que ces mecs vivaient comme nous. En gros, qu’ils vivaient ce qu’on vivait en bas de chez nous. Mais je me suis rendu compte super tardivement que ce n’était pas le cas et que ces rappeurs « engagés » et « antisystème » du jour s’empressaient de se retrouver le soir chez Castelbajac. Ils évoluaient dans des soirées mondaines alors qu’on avait l’impression qu’ils mangeaient des merguez-frites avec nous. Mais cette culture comportait beaucoup de potentiels pour les jeunes : danse, graff, etc…, et s’est répandue partout. L’esprit de compétition qui régnait à l’époque constituait aussi une forme d’attraction évidente pour les jeunes. Ca a permis à plein de mecs de pouvoir exister et de s’épanouir artistiquement. Après, quand l’argent est entré en jeu, ça a changé la donne.

DWT : On va se la faire à l’ancienne : pour terminer, ton mot de la fin ?
L’Indis : Ca fait plaisir d’être interviewé par DWT, qu’on connaît depuis plus de 20 ans et avec qui on continue de partager les mêmes valeurs et les mêmes passions. Donc Big up à DWT. J’espère que tous les artistes que ce média a soutenus au cours des années 1990 lui seront toujours disponibles et qu’ils n’auront pas la mémoire courte.

Kohndo, néoréalisme

Interviews
Kohndo, L'Indis, solo

Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap…

Les sonorités des bars de l’île de Koh Phangan en Thaïlande raisonnent alunissons. On écoute de tout sur Sairee Beach : électro, reggae, soul, rap. Il existe une île semblable à cela dans le hip hop français, celle de Kohndo. Un endroit rare, là où un artiste s’accorde le droit à l’éclectisme, celui d’un être serein et heureux de ce que la vie lui a mis au travers de sa route, après avoir collaboré avec La Cliqua et tant d’autres en France. L’artiste fait le pont avec les Etats-Unis en taffant avec Fred Wesley, Slum Village, Dwele, Guilty Simpson, Rasco, Teron Beal ou dernièrement Brother Amir. Le parcours artistique n’en est pas moins semé d’embûches mais l’état d’esprit est ouvert et positif, tant mieux, il va de paire avec l’esprit originel de la culture de base qu’il a épousé depuis bien longtemps. Kohndo est un musicien talentueux, cohérent et kiffeur de sons invétérés. Nul doute sur sa présence dans votre média hip hop 100% canal historique. D’ailleurs le son de Kohndo est le seul ghetto dans lequel nous accepterions volontiers de nous faire enfermer. Flo

Down With This : Quels sont tes rapports avec le Benin et l’Afrique en général ?
Kohndo : J’ai 38 ans je suis né à Saint-Cloud. Mes parents étaient en instance de divorce. Comme beaucoup de femmes africaines, ma mère subissait des violences conjugales. C’est pourquoi je suis retourné au Benin à l’âge de six mois afin qu’elle puisse finir ses études en génie civile, le plus sereinement possible. J’ai été élevé jusqu’à l’âge de 3 ans et demi par mes grands-parents à Ouidah. La dernière fois que j’y suis allé, c’était à l’âge de 6 ans. Pour moi le Bénin, c’est mon socle, la culture de ma famille, le Fon, la musique, la cuisine, mes oncles, mes tantes (que j’ai deux trois fois au téléphone dans l’année), et récemment mon demi-frère et mon père avec qui j’ai renoué. Après la naissance de ma fille, cet événement a été majeur pour moi cette année. J‘aime la culture béninoise, le rapport à la langue. Chez nous on parle fon pour se dire des choses intimes mais quand on échange sur des sujets politiques, sociaux, intellectuels… il n’y a pas plus éloquent qu’un Béninois. Ma famille a un rapport à la langue française qui est fascinant. Moi je ne parle pas fon mais je le comprends très bien. Je m’intéresse aussi à l’histoire de ce pays. J’ai de nombreuses interrogations sur le rôle du Bénin dans la déportation des esclaves mais ça reste une question très épineuse. Moi je suis issu d’un famille d’ancien esclave Brésilien revenus s’installer au Benin. Mon père lui est d’Abomey et ma grand-mère était Yoruba. Le Bénin, c’est donc le rapport à mes ancêtres, à mon histoire. Je sens qu’un homme est plus solide quand ses racines sont bien encrés dans sa mémoire et dans son cœur.

Il n’y a pas plus éloquent qu’un Béninois. Ma famille a un rapport à la langue française qui est fascinant. Moi je ne parle pas fon mais je le comprends très bien. Je m’intéresse aussi à l’histoire de ce pays. J’ai de nombreuses interrogations sur le rôle du Bénin dans la déportation des esclaves mais ça reste une question très épineuse.

DWT : …et l’Afrique en générale ?
Kohndo : Je n’ai jamais fais de concert là-bas, par contre je suis allé à Ouagadougou en 2005 pour monter un studio d’enregistrement avec mon associé Burkinabé Yolsé à la suite du décès de notre autre associé Daniel. Je me suis occupé de mettre en place la régie technique et j’ai assuré la formation deux techniciens du son. J’ai aussi collaboré avec quelques MC et chanteurs Burkinabés. Aujourd’hui, le studio Greenstone est le deuxième studio du Burkina. On y fait de la réalisation audiovisuelle et de la production de disque. Mais le développement et la réussite de ce projet sont avant tout l’œuvre de Yolsé. Sa rencontre a été primordiale dans ma vie artistique. Mon retour sur le continent en 2007 m’a apaisé. J’ai arrêté de penser au racisme latent, j’ai arrêté de compter le nombre de noirs présent dans l’assistance. Je m’y suis senti chez moi. J’y ai rencontré des gens qui me ressemble : calmes, ouverts et moins virulents que les jeunes de quartier avec qui j’ai grandi en France ou même mes compatriotes béninois. J’ai trouvé un pays qui correspond bien à mon état d’esprit.

DWT : Quels sont tes rapports avec la France ?
Kohndo : Je me sens africain par mes valeurs : le respect de l’autre, la bienveillance, le goût du verbe, la palabre, le goût des lettres, le respect des études, des ainés. Mais au niveau culturel et philosophique, je me rends compte que je suis le produit de l’école française. D’ailleurs, partir à l’étranger est la meilleure façon de répondre à cette question. C’est très intéressant de voir comment tu te définis quand t’es dans un autre Pays. Que ce soit à Varsovie, Londres, New York, Ouaga,… La première question qu’on te pose est « d’où tu viens, t’es de quel pays ? ». N’en déplaise à Marine Le Pen ou Eric Zemmour, comme beaucoup d’enfants d’immigrés, ma première réponse est « je suis français, je viens de Paris ». Suite à quoi, on me regarde généralement avec insistance et je réponds que je suis originaire du Bénin. Au fond, je me sens citoyen du monde, mais je suis avant tout un français. Il n’y a pas de honte à avoir. C’est là où je suis né, où j’ai grandi. Je connais la France de long en large, par les colos, les concerts, les ateliers, les rencontres… J’ai vécu dans le 93, à Bobigny, dans le 94, à Créteil, dans le 92, au Pont de Sèvres à Boulogne, Asnières, Colombes, Montrouge, à Paris, dans le 18ème, le 17ème. Mes amis vivent à Toulouse, Lorient, Château Thierry, Bordeaux. Je me sens français.

DWT : Dans quel contexte social as-tu grandi ?
Kohndo : Dans ma petite enfance, j’ai grandi chez mes grands-parents, à Ouidah. Mon grand-père était instituteur à la retraite et ma grand-mère commerçante sur  les marchés. Bref, une famille aux revenus modeste, le bas de la classe moyenne. Quand ma mère m’a repris à la suite de son divorce et la fin de ses études, elle et moi avons vécu en foyer quelques années puis dans un petit studio pour atterrir dans un appartement avec une autre famille. Nous étions six dans un deux pièces à Bobigny jusqu’à mes 10 ans. Je suis Parti de Bobigny à 12 ans.

DWT : Tu sens l’influence de ces moments et de cet environnement sur toi ?
Kohndo : Je n’étais pas dans les cités dortoirs. On était à la sortie des Courtilières, en face d’un terrain vague où j’ai fait les quatre cent coups. C’était la zone mais pour moi, c’était magique. La plus plupart des bâtiments ne faisaient que quatre étages, mais il y avait deux grande barres en guise de vis-a-vis mais ça ne faisait pas très « cité ». C’était un milieu prolétaire, avec pas mal d’ouvriers de Citroën à l’époque. J’ai l’impression d’avoir eu une enfance assez paisible et calme. Et puis, j’avais un sentiment d’échange entre voisins. Après Bobigny, j’ai été catapulté à Boulogne-Billancourt au Pont de Sèvres. C’était la première fois que je voyais des tours aussi hautes. Le Pont de Sèvres était découpé en trois. D’un coté, l’allée du vieux Pont de Sèvres où il y avait beaucoup d’ouvriers qui travaillaient chez Renault. En face, séparé par une grande allée marchande un quartier pour riches (les résidences Normandie) et à coté un ensemble d’HLM pour les fonctionnaires de la ville : la Place Haute, plutôt fréquenté par une classe moyenne. C’est là que j’habitais, rue Castéja. Au 4ème étage, il y avait Les Sages Po, au 5ème il y avait moi. Au départ j’étais dégouté de ne pas aller à l’école avec mes potes de quartier. Mais au final, je considère que j’ai eu de la chance. Même si c’était à l’autre bout de la ville, j’ai bénéficié d’un enseignement de qualité. Les profs étaient exigeants. Et c’est ce qui fait que j’ai pu avoir une éducation solide qui me sert encore aujourd’hui. Par contre, venant de Boboche, là où j’étais un élève brillant, je peinais à me maintenir au dessus de la moyenne malgré les efforts que je fournissais. J’ai tout de suite compris la notion de clivage sociale.  Il y avait des notions que je ne comprenais pas, comme partir en vacances durant l’année scolaire. Je n’avais la chance que d’aller en colonie qu’une fois par an. C’est déjà ça. Mais quand on te demande si tu vas à Avoriaz durant les vacances d’hiver… quand tu viens de Bobigny tu ne comprends pas. On était quatre noirs dans cet établissement, dont Dany Dan, Richard et une nana dont je ne me souviens plus le nom. Il y avait quatre ou cinq arabes et deux trois asiatiques. En dehors du collège, je traînais plutôt au Pont de Sèvres. J’ai toujours eu un pied dans les deux mondes. Ma mère est une des premières femmes noires à avoir été responsable d’une équipe technique et a fini à force de travail comme ingénieur en Bâtiment au sein d’une mairie de droite. Mais je l’ai vu subir le racisme et se prendre le plafond de verre en pleine gueule jusqu’à sa retraite ! Je ne suis pas un enfant qui traînait dehors car les études étaient importantes à la maison. Par contre j’ai toujours été impliqué dans la vie de quartier. Je répétait au BBADJ au Pont de Sèvres, j’y animais des open mic. J’ai même écris les premiers textes de LIM.

DWT : Tu as des bases musicales beaucoup plus proches des USA que de la France, comment l’expliques-tu et quels sont tes rapports avec ce territoire ?
Kohndo : Ma formation musicale a démarrée avec la discothèque familiale. Il y avait à 60% d’albums américains, 20% de français et 20% réellement africains. J’ai été nourri avec Isaac Hayes, Otis Redding, The Temptations, Diana Ross, Michael Jackson, Fela, Chief Ebenzaire, Bébé Manga, Moni Bilé, Jonas Pedro, Joe Dassin, Gainsbourg, c’était vraiment la grande sono mondiale à la maison. J’ai une mère mélomane et je crois que ça a démarré comme ça. C’est gràçe à elle que j’ai ce goût pour la bonne musique. Le fait aussi de vivre à Boulogne m’a donné aussi la possibilité d’avoir accès à la discothèque-médiathèque de la ville : une des plus grande discothèque de Jazz de France. C’est là où avec mon groupe Coup D’Etat Phonique, on allait se fournir en sample. Le responsable nous mettait des galettes de côté, du Miles Davis, du Booker T, du Coltrane… Finalement, toute mon éducation musicale s’est faite à cet endroit. À Boulogne, j’ai aussi bénéficié du câble télé. Cela voulait dire qu’à 17 heures, tous les jours, je bénéficiais de l’émission « Yo MTV Raps ! », dès l’âge de 12/13 ans. Tout ça fait que ma culture est plus américaine que française.

DWT : A quand remonte ton premier séjour aux USA ?
Kohndo : La première fois que j’y suis allé, c’était avec La Cliqua. C’était dans un cadre professionnel mais aussi de passionné car c’était l’anniversaire de la Zulu Nation. Je crois que c’était en 1993, pour les 20 ans de la Zulu Nation. C’était un rêve qui se concrétisait car je voyais les USA comme un monde parallèle. J’ai rappé avec Parish Smith, DJ Clue… Quand tu es fils unique et que tu vois très peu ta mère, tu te recrées un monde. Ma famille adoptive, c’était les « Huxtable » du Cosby Show (rires). Me retrouver aux USA à 18 ans était quelque chose de fort. En 2006, j’y suis retourné pour travailler mon troisième album « Deux pieds sur terre ». Je suis allé à Detroit. Là, pareil, c’était un super échange. La Femme de Yolsé était américaine et c’est gràce à eux que j’ai pu produire ce disque. Ils m’ont fait découvrir une autre facette des States. J’ai vraiment partagé leur quotidien. Ils courrent après l’argent. Le struggle (la lutte), le warfare (la guerre) ou la survie sont des mots qui m’ont marqué. Ils était toujours en train de mettre en place des biz pour assurer un train de vie decent et agréable. J’ai aussi connu les strips club, les limousine 4×4, les soirées de dingues. J’y est rencontré les Slum Village, Jay Dilla, Guilty Simpson, Proof (trois semaines avant qu’il décèdent), Dwelle, Joey Power le gars qui a mixé « Deux sur terre »  et en même temps, j’ai vu un rythme de vie que je ne pourrais jamais supporter. Aux States, si tu n’as pas d’argent tu n’es rien. La pression quotidienne est folle !

C’était un rêve qui se concrétisait car je voyais les USA comme un monde parallèle. J’ai rappé avec Parish Smith, DJ Clue… Quand tu es fils unique et que tu vois très peu ta mère, tu te recrées un monde. Ma famille adoptive, c’ était les « Huxtable » du Cosby Show (rires).

DWT : Quel a été ton premier contact avec le hip hop ?
Kohndo : On va dire que le premier morceau de rap, que j’ai écouté, c’est Double Dutch Bus de Frankie Smith. Il faisait partie d’une compile disco qui appartenait à ma mère. Ensuite, il y a eu ma grosse claque, les premiers breakers du Trocadéro qu’on a montré à la télévision. Je ne sais pas si c’était à l’occasion du New York City Rap Tour, mais je me souviens d’un journal télévisé, un dimanche après midi où t’avais les Break Machine et d’autres vrais B boys qui étaient là. C’était un tout petit peu avant que l’émission H.I.P. H.O.P. de TF1 apparaisse. J’avais vraiment pris ma tarte en voyant ces gars là faire du break dance. Ensuite, il y a eu l’émission H.I.P. H.O.P. avec Sydney Duteil avec qui j’ai bossé sur Blackstamps 20 ans après. Je connaissais des mecs plus âgés qui y participaient car c’était tourné à Pantin, ville limitrophe de Bobigny. J’étais trop petit pour y aller, je regardais donc ça à la télé. Ca a commencé comme ça, par la danse à Boboche. En arrivant à Boulogne-Billancourt, Zoxea et son Cousin Egosyst m’ont accueilli et ensemble, on a fondé Coup d’Etat Phonique. C’est Zox qui a trouvé le nom. A la suite de quoi j’ai préféré le beat box avec les Fat boyz, puis Doug E Fresh. C’est Zoxea qui m’a initié au beat box, au rap français. C’est lui qui m’a fait découvrir le Dee Nastyle de Radio Nova. Quant à Dany Dan, il a été le premier mec avec j’ai freestylé en colo. Melopheelo et DJ Letenz aka Ol tenzano (1er Dj des sage Po’) me filaient mes premières face B. Et Logilo m’a toujours donné des bon conseil en flow.

DWT : Ca t’a parlé tout de suite ce qui se passait dans cette émission de Dee Nasty ?
Kohndo : Si dans les faits, je suis un petit frère des sage Po’, en terme de style, je suis l’héritier de Puppa Lesly et de l’émission Yo Mtv’Raps. Pour moi, la notion de flow et de style était hyper importante. Quand j’écoutais le rap de NTM ou d’Assassin, j’entendais ce qu’ils pouvaient faire avec ce qu’ils avaient. Il étaient très influencés par les Ultramagnetic MC’s et Public Enemy alors que moi, je suis rentré dans le rap avec EPMD, Stetsasonic, les Hierogliphics (Del, Pharcyde) et la Native Tong… Mon style est plus le produit du rap US que français. L’album qui m’a fait péter un câble, c’était celui d’Eric B & Rakim « Paid in full », puis « Illmatic » de Nas. C’est seulement aujourd’hui après une longue réflexion que je peux finalement dire que je fais du RAP EN FRANÇAIS comme l’ont revendiqué Les Little à l’époque. Quelque soit le pays où je vais, je peux reconnaître un bon rappeur d’un mauvais grâce à son rapport au mot, au flow, au style et à sa présence. Il y a quelque chose de très musicale et de très clair. Pour en revenir au Dee Nastyle, j’était fan. Donc quand Dee Nasty a tenu à me voir faire parti de la Zulu Nation, je me senti honoré. Lui et Lionel D m’ont apporté tant de bonheur. Les rappeurs et les groupes qui m’ont marqué étaient : M Widdi, GMB, Saxo, les Littles, Solaar, Moda, IAM et pour l’attitude plus que pour le rap NTM, Assassin et  Minister AMER.

DWT : Parle-nous maintenant du groupe auquel tu as fait partie, La Cliqua…
Kohndo : Au départ, il y avait Daddy Lord C et la Cliqua. Mais à l’origine, il n’y avait pas de rappeurs dans La Cliqua ormi Izm, (co-fondateur de la série Les Lascars). Jelahee (aka Gallegos) était DJ, Sandra qu’on entend dans Freaky flow chantait,  Chimiste et Brian (aka Mush, aka Oeno aka Jr Ewing) produisaient les instrus et géraient la structure. J’officiais sous le nom de Doc Odnock (Kohndo à l’envers), Coup d’Etat Phonique était mon groupe, celui d’Egosyst et de Karim. DJ Sound avant remplacé par DJ Lumumba. On était toujours avec Raphaël qui avait 12 ans, Kimto (aka Vasquez), JP (aka Jeep12) de Less du neuf, Ali aussi (PM puis Lunatic), Sidy qui était danseur ainsi que Booba. Mais ce dernier commençait déjà a sacrément bien rappé. On faisait la tournée des radios, comme d’autres font des concerts, afin de nous faire connaître. C’est comme ça qu’on a rencontré Daddy Lord C. Il faisait la promo de son maxi. Chimiste et Brian ont kiffé notre son. Ils nous ont parlé du label Arsenal qu’ils montaient. Ils voulaient qu’on soit leur prochaine sortie. On a dit « ok » et on s’est retrouvé en radio à faire la promo de Daddy lord C en même temps qu’on se faisait connaître. Au bout de deux ou trois radios, Jelahee nous a dit qu’il bossait avec un rappeur qui venait de Colombie. Il nous a alors présenté Rocca. On se retrouvait toujours en radio ou dans des open mic. Ce qui fait que La Cliqua a été constitué de tout ce beau monde.

DWT : Que voyais-tu comme intérêt, en tant qu’artiste, au travers l’émergence des labels indépendants, en l’occurrence Arsenal Records ?
Kohndo : Je n’avais pas cette réflexion là. J’avais 17 ans. Nos rêves commençaient à devenir réalité quand il y a eu cette opportunité de sortir notre premier maxi puis notre album. Pour nous, c’était le Graal. Quand Coup d’Etat Phonique, et le reste de La Cliqua, on s’est retrouvé sur le devant de la scène, notre grande erreur fut de prendre « Conçu pour durer », premier album de La Cliqua, comme une mixtape. On ne se doutait pas de l’attente et de l’impact qu’on allait avoir sur le public et dans l’histoire du rap. Un  premier album a un impact déterminant dans une carrière. C’est la raison pour laquelle Egosyst et moi n’avons pas tiré notre épingle du jeu à ce moment-là. Pour avoir produit une demi-douzaine de disques, avec le temps, j’ai compris qu’Arsenal avait correctement joué son rôle de producteur, à savoir, toujours enregistré dans des studios top qualité, comme Athéna, en passant par Artistique Palace ou les Studios de la Seine. On a toujours enregistré dans des conditions excellentes, avec des mastering et des ingénieurs du son incroyables. Au niveau de la paie, les gars étaient correctes même si on pensait le contraire. il y avait un vrai clivage entre la production et les artistes. Mais ce qui a crée le brouillage, c’est que Chimiste fasse parti à la fois du groupe et de la production. Avec le recul, je me rends compte qu’on avait de bons contrats d’artiste, de bonnes royautés et des avances non-négligeable. Mais je n’ai jamais pu en profiter car mon premier album n’est pas sorti au sein d’Arsenal. Je n’ai aucun ressentiment par rapport à La Cliqua, ni par rapport à Arsenal. On avait toutes les clés mais ce qui nous manqué, pour faire une aventure à la Wu Tang, c’était le facteur humain. On pensait vivre une aventure familiale mais on était pas tous aussi bien armé en terme de connaissance business.

Nos rêves commençaient à devenir réalité quand il y a eu cette opportunité de sortir notre premier maxi puis notre album. Pour nous, c’était le Graal. (…) On ne se doutait pas de l’attente et de l’impact qu’on allait avoir sur le public et dans l’histoire du rap.

DWT : Très jeune groupe, comment La Cliqua arrivait t-elle à être omni-présente sur scène, en 1994/1995, dans les plus gros concerts rap américain pour y assurer les première-parties ?
Kohndo : Ce qui fait la réussite d’un groupe c’est son talent mais surtout son entourage. Autour de nous, il y avait Corrida, Barclay, Label 60, Texaco et Sidy qui s’occupait du street Marketing. Wrung qui lançait sa marque. Tous les taggeurs du 18, Les Daltons… Bref on était soutenu de partout et dans toute la France. On faisait énormément parler de nous : dans les soirées où on faisait des arrachages de mic, dans les radios où on s’imposait et où on ramenait une vibe avec de nouvelles instrus. Les gens téléphonaient aux radios. On s’est donc retrouvé avec un entourage de trend setter et de mecs connectés aux business par le biais de Chimiste et Brian. Des mecs comme Solo et Rockin’Squat nous ont filé de gros coups de main en nous faisant posé sur la B.O. de La Haine. Chimiste et Brian arrivaient donc à capter cette énergie là. Ce qui nous avait permis d’obtenir sans négocier les premières parties de House Of Pain et Arrested Development. On nous voulait, on nous appelait, point barre.

DWT : Vous avez notamment assuré une reformation de La Cliqua il y a quelques années, pour le festival L’Original de Lyon. Quel en était le principe et qui en est à l’origine ?
Kohndo : A la suite d’un medley que je faisais au festival Poteau Carré à Saint-Etienne, JM et Nasty, qui s’occupent de l’Original Festival, étaient présents et sont venus me voir pour me dire qu’entendre mes couplets de La Cliqua les avaient fait rêver. Ils m’ont demandé si une reformation était en vue. Je leur ai dit que le seul endroit où le groupe pouvait se retrouver serait la scène, pour refaire les morceaux de l’époque. Nasty avait rebondi en me disant « tu me dis que si tu faisais un concert avec les gars, ça ne poserait aucun problème ? Mais j’ai toujours cru que tu ne voulais plus entendre parler de ce groupe ! ». Je lui ai répondu que non, je trouve que les choses doivent avoir du sens, ce qui serait le cas sur scène. Redonner aux gens du bonheur et une musique auxquels ils sont attachés, c’est important. Il me dit alors qu’il connaît DjéDjé aka Egosyst. Je lui ai répondu de lui passer le bonjour et qu’effectivement, s’il voulait faire un concert La Cliqua, il n’y avait aucun problème pour moi. Ce sont donc eux qui ont commencé à passer des coups de téléphone à Rocca, Daddy Lord pour leur dire que j’étais OK pour donner un concert La Cliqua. Ca s’est fait et ça c’est très bien passé. La boucle est bouclée. Ces derniers temps, j’ai plaisir à avoir parfois Rocca au téléphone. Tout ce qui était de l’ordre des problèmes humains dans le groupe ont été réglés.

DWT : Pouvais-tu imaginer sortir un album solo à cette époque ?
Kohndo : Je suis parti de La Cliqua la veille de la signature de mon premier maxi solo. Deux jours avant, j’étais invité en studio par Egosyst, mon acolyte du Coup d’Etat Phonique. J’avais parlé avec Djé Djé et Raphaël. Je leur disais que je souhaitais d’abord faire la tournée avec Rocca pour voir si l’ambiance allait s’améliorer car je sentais que ça se dégradait. Je leur avais dit que si ça continuait comme ça, après cette tournée, j’allais sans doute arrêter. Le lendemain, Raphaël l’a répété aux autres. Dix, douze ans après, lors de la reformation de La Cliqua, j’ai eu une conversation avec Rocca qui me disait « écoute, réellement, on voulait que tu t’en ailles parce que le courant ne passait pas entre toi et Daddy Lord C. On estimait que tu n’étais pas assez virulent ». Je lui ai alors rappelé que c’était moi le ciment du groupe. Peu de gens le savent mais je suis l’auteur du refrain « le hip hop mon royaume mon home sweat home… », « Mot pour mot » était un solo à moi au départ. La personne que Rocca appelait à titre consultatif, c’était moi. J’ai écrit pas mal de couplet de Raphaël comme « Le rap mon paradis »… Quant à mon coté peace, je lui ai expliqué que je n’avais pas envie de jouer un rôle qui n’était pas le mien. Rocca m’a donné raison mais il m’aura fallu dix ans pour savoir si j’étais fou ou si on m’avait poussé dehors. Il faut savoir qu’au départ, l’entité Coup d’Etat Phonique représentait 70% de la Cliqua. Avec Coup d’Etat Phonique, on avait acquis une expérience scénique grâce aux Sages Po. On avait une vraie vision de la musique, de la compo, des prods. Daddy Lord C, qui était plus vieux que nous, et Rocca, se sentaient en retrait car ils ne nous connaissaient pas bien. Eux, se sont rapprochés et se sont construit un peu contre nous, alors que, pour les gamins qu’on était, on voyait La Cliqua comme une grande famille. On était plutôt naïfs. Daddy Lord C et Rocca eux avait une vision moins utopiste, et étaient plus mûrs, au niveau personnel, de leur musique et du business.

DWT : Explique-nous les raisons de ton départ d’Arsenal Records au bout de quatre années passées, sans réelle sortie de l’album du groupe au complet ?
Kohndo : J’étais dans l’esprit de la Native Tong, là où les autres était dans un esprit Mobb Deep. Je n’avais pas envie de jouer un rôle de caillera même intelligente. Si on était tous venu du même quartier, on aurait eu une histoire commune, donc un rêve commun. Il y aurait eu cette volonté de réussir ensemble. Or, on était une  sorte de dream team, un collectif où chacun voulait tiré la couverture à soi. C’est pour ça que La Cliqua n’a pas réussi à produire un album en tant que tel. C’est la vie. J’en ai tellement appris sur les rapports humains que je ne regrette rien. En partant de La Cliqua, je quittais le monde de la nuit, des maisons de disque, de la hype. Je me suis beaucoup interrogé sur qui je voulais être et ce que je voulais transmettre… Il y avait un décalage entre les paroles et les actes. A cette époque, on était des rock stars mais je ne m’en rendais pas compte. D’ailleurs, une des grandes phrases de Rocca était de dire : « Mais Kohndo, tu ne comprends pas, La Cliqua, c’est Wu Tang en France ! ». Pas faux sur certains points : j’ai signé des autographes sur des groupies à des endroits inimaginables et me suis retrouvé dans des situations digne d’un film de Todd Phillips… C’était la fête, c’était cool. Malgré tout, il y avait cette question qui revenait sans cesse en moi « mais qui tu as envie d’être ? ». J’avais peut être ces réflexions du fait d’être tombé dans pas mal de lectures comme Ghandi, Rousseau, Thomas More, Donal Walsh, Richard Wright…

En partant de La Cliqua, je quittais le monde de la nuit, des maisons de disque, de la hype. Je me suis beaucoup interrogé sur qui je voulais être et ce que je voulais transmettre… Il y avait un décalage entre les paroles et les actes. A cette époque, on était des rock stars mais je ne m’en rendais pas compte.

DWT : Revenons sur les mauvais rapports que tu as eu avec Rocca, comment les analyses tu avec du recul ?
Kohndo : Rocca et Daddy lord C ont joué la carte de la colère avec leur morceau « Pas de place pour les traîtres » une fois que j’ai quitté La Cliqua. On en a reparlé dix ans après, Rocca m’a dit qu’ils avaient déconnés. Je lui ai dit qu’il avait en effet déconné. Tout a été réglé comme des adultes. J’en ai également parlé avec Clarck. A nos âges, on a dépassé tout ça. On s’aimait bien au fond, la réalité était là. Quand j’ai appris les galères par lesquelles était passé Clarck, j’ai aussi eu beaucoup de peine. Mais aujourd’hui, quand je pense à La Cliqua, c’est avec autant de joie que de peine. J’ai le sentiment d’un gros gâchis. Heureusement, j’ai eu une putain de carrière après qui fait je me sens bien dans mes baskets aujourd’hui et que j’ai pu me construire un nom et une réputation en dehors de ce groupe.

DWT : De ces années, l’histoire pourrait ne retenir que Rocca. Est-il le plus doué d’entre vous ?
Kohndo : Oui et non. Il ne faut pas négliger cette émulation où on se mettait la pression. Quand on est arrivé avec Coup d’Etat Phonique, on a réellement mis la pression en terme de flow et d’écriture à Daddy Lord C et Rocca. Ils ont été doués dans le sens où ils ont relevé le challenge… Rocca est devenu meilleur par rapport à son flow. Il avait également affiné son écriture. Daddy Lord C aussi. Pour moi, il n’y a pas plus grand punchliner que lui. Donc, oui, si on retient de cette époque là, que ces deux artistes, c’est que c’était les meilleurs.

DWT : Y avait-il une stratégie bien définie pour la sortie de disques ou ceux-ci sortaient ils en fonction de la maturité des artistes et l’état d’avancement des maquettes ?
Kohndo : Il y avait un peu de tout ça. Les personnes qui avaient des maquettes bien avancées étaient forcement susceptibles d’être produit en premier. Mais il y avait aussi une réelle stratégie. D’une part, Rocca avait fait le meilleur morceau de « Conçu pour durer » avec  « Comme une sarbacane ». Il était donc attendu. D’autre part, le fait qu’il soit colombien ramenait une originalité. C’était justifié qu’il sorte en premier malgré que nous ayons un album de prêt avec le Coup d’Etat Phonique. Ce n’était pas le cas de Rocca. Il a du faire son album en un mois et demi. Tous les soirs, il m’appelait pour savoir si les choses se passaient bien. J’avais plaisir à échanger avec lui. Il y avait donc une stratégie du label. Rocca était mûr pour le faire. Il a mérité son premier album.

DWT : Lors de votre retour exceptionnel sur la scène de l’Elysée Montmartre en 2009, Daddy était émouvant, Rocca semblait tenir le groupe et toi un peu effacé… Comment l’as-tu vécu ?
Kohndo : Différemment… J’ai drivé toutes les répétitions. Je me suis toujours assuré que tout était bien structuré. Toutes les critiques que j’ai eu après les dates de Lyon et l’Elysée Montmartre sont que je drivais la scène avec Rocca. Ajoutons à cela que Rocca a le plus de titres figurant au répertoire de la Cliqua de cette époque.

DWT : Que penses-tu de la carrière éclair de Raphaël ?
Kohndo : Raphaël a eu une vie. C’est un vrai lascar. « Real bad boy moves in silence », c’est vraiment lui. Le rap était secondaire pour lui. Ca le faisait marrer. Il kiffait ça mais ce n’était pas là où il se voyait évoluer. Je ne sais pas pourquoi il a arrêté. Il a du talent, comme tant d’autres mais comme on m’a dit un jour : « si le talent suffisait pour signer, ça se saurait. Et si le talent suffisait pour faire une carrière aussi ».

DWT : Tu es parti, comme d’autres, dans une tournée avec des musiciens, il semble malgré cela que tu ais décidé de revenir au rap pur et dur…
Kohndo : Je fais parti des premiers MC’s à avoir cette expérience. J’ai fait parti, un court moment, du groupe Mad in Paris en 1998. J’ai eu mon premier groupe Velvet Club en 2005 et on est allé au Printemps de Bourges en 2007. En parallèle, je jouais avec le Rimshot Crew depuis 2003. Quand tu as l’occasion de jouer avec des mecs comme Nicolas Liesnard (clavier de catherine Ringer, arrageur sur Soul inside), Thierry Jean-Pierre qui est devenu mon bassiste sur « Soul inside », Gégé perc aux percussions, Song Williamson la nièce de Fred Wesley… Tu démarres au top. Il n’y a pas de clivage entre le hip hop organique et le hip hop électronique. Check l’album « Heavy Rhymes Experience vol1 » des Brand new Heavies en 1992 avec Large Pro, Pharcyde et tu verras…  Tu fais de la musique ou tu n’en fais pas. En tant qu’artiste, vers mes 24 ans en 1999, je me suis demandé si le rap pouvait être comme le jazz. Je me suis rendu compte qu’il y avait tout un travail à accomplir en terme de technique de chant, au niveau rythmique. Idem au niveau de l’écriture, les perspectives sont infinies. Je fais parti de ceux qui ont toujours considéré le rap comme de la chanson. Elle peut être engagée, violente ou douce. Cette musique est comme les autres, elle est à l’image de ceux qui la font. En jouant avec des musiciens, j’ai appris, échangé et partagé de nouvelles techniques. Je me suis confronté à d’autre styles et mon rap s’en ait trouvé grandi. Avec mon dernier album, je suis revenu aux sources du rap : le rythm’n’blues, la soul, le funk car c’est de là que tout part. J’ai même fais un titre house pour rappeler que la house viens de chez nous. Comme l’ont fait les jungle Brother. Aujourd’hui, j’entre dans une nouvelle phase. Mon prochain album, lui, sera produit à l’ancienne avec des samples et des machines pour plein de raisons…

Je fais parti de ceux qui ont toujours considéré le rap comme de la chanson. Elle peut être engagée, violente ou douce. Cette musique est comme les autres, elle est à l’image de ceux qui la font. En jouant avec des musiciens, j’ai appris, échangé et partagé de nouvelles techniques. Je me suis confronté à d’autre styles et mon rap s’en ait trouvé grandi.

DWT : …économiques ou artistiques ?
Kohndo : Les deux. J’ai toujours été indépendant et produit mes albums à fonds propres. Je n’ai plus les moyens d’être en studio et sur scène avec sept ou huit musiciens. Et comme je sais faire de la musique à minima, je peux créer avec un sampler. D’autre part, tous les autres styles électro, trip hop, house, rock travaillent de cette façon alors pourquoi s’en priver ? Mes connaissances musicales sont telles que je peux me mettre au clavier et/ou prendre une basse autant qu’une loop station et un sampler. Ce qui me manque en travaillant comme ça, c’est l’échange et le partage. Les facteurs économiques sont inhérents à la création. Le Fender Rhodes à été adopté dans le Jazz car il n’était pas toujours possible de transporter un piano à queue surtout dans les petite salle ou dans les chambre d’hôtel. On a intégré la boîte à rythme dans le Punk parce qu’au départ on n’avait pas de drummer. Idem pour le rap au début, tu n’avais que tes deux vinyles. Jouer avec des musiciens n’est pas toujours de tout repos. Comme partout, il faut savoir se faire comprendre et respecter. Mon rap est un instrument poly-rythmique. Je ne fais pas du funk, je ne fais pas de la soul, je ne fais pas de la variet’ je fais du hip hop ! On a une façon spécifique de groover, de mettre les accents sur les mots, de travailler avec le silence… Un jour, lors d’une séance d’enregistrement, j’ai du expliquer ça à des pontes (Michel Alibo à la basse, Johan Dalgaard au clavier et Franck Mantegari à la batterie…) après qu’il se soient mis à jouer mon titre sans me concerter. J’ai mis un froid. Mais quand on s’est parlé, ils ont joué hip hop et c’était fat ! Je suis noir, je suis grand, je suis gros, je fais du rap, alors forcément, la première chose qu’on veut voir de moi, c’est un mec bas du front. C’est en ça que ma musique est engagée. Elle est subtile. Je suis quelqu’un de posé, de structuré et d’intelligent. Le seul moyen de faire bouger ces a priori est d’être meilleur et de montrer la valeure de cette culture. C’est pas les musiciens qui donnent la caution artistique mais celui qui la crée.

DWT : Tu enseignes la musique à Puteaux dans les Hauts-de-Seine, quelle est ta pédagogie avec les élèves ?
Kohndo : Effectivement, je suis le premier à enseigner le rap au sein d’un conservatoire. J’y enseigne le rap en tant que technique de chant, mais aussi en tant qu’élément de la culture hip hop. De plus, là où je travaille on n’a pas réduit mon activité à l’écriture rap. Aujourd’hui, les techniques de création et de production du hip hop peuvent s’adapter à toutes les musiques du fait qu’il soit au carrefour de plein de musiques. L’apprentissage passe donc par l’utilisation des samplers et des logiciels de production pour les compositeurs. Cela passe aussi par de nouvelles approches textuelles. Toutes chansons est avant tout un texte mise en rythme. L’approche rythmique d’un texte induit la mélodie. Une fois que tu as compris cela, à toi d’y mettre les notes. La particularité d’un texte de rap est qu’il peut s’adapter à d’autres mélodies. C’est ce que font tous les rappeurs quand ils changent d’instru. C’est une des approches les plus pertinentes de notre époque. C’est ça qu’amène le rap et qui supplante l’approche traditionnelle de la chanson.

DWT : Qui sont tes élèves ?
Kohndo : J’ai 12 élèves. On passe à 20 à la rentrée prochaine. Le plus jeune a 15 ans, la moyenne est de 24 ans. J’ai des gens qui viennent de la pop, du rock, d’autres de la Soul. J’ai seulement quatre rappeurs. C’est hyper intéressant de travailler avec tous ces gens-là. Le département musique actuelle compte au total 680 élèves. Je suis enseignant à plein temps mais ça me laisse assez de temps pour créer moi même.

DWT : Ce n’est pas difficile de traiter avec une structure gérée par une municipalité ?
Kohndo : Il est important de travailler avec tous les gens capables de reconnaître notre art y compris les institutions. C’est avant tout une affaire de personnes. On m’a appelé parce qu’avant tout je suis un musicien et un artiste. Mais aussi un pédagogue. En plus d’une expérience pratique, je suis formé pour ça. Je suis expert pour des organismes régionaux et nationaux, j’anime des conférences autour du rap, son histoire et ses enjeux. Avant de travailler pleinement dans la musique j’ai aussi travaillé 6 ans pour une boîte d’assurance. J’ai cette chance d’avoir rencontré des gens ouvert à ma culture et à mon travail. Et ce n’était pas des gens de maisons de disques. Les gens les plus ouverts que j’ai rencontré sont dans Des salles de musiques actuelles. Les gens les plus formatés, les plus clivant voire même les plus racistes, je les ai rencontré en maisons de disques… C’est un racisme implicite. Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap. Alors que le même texte véhiculé par Hocus Pocus est qualifié de génial. Cela a à voir avec le système. Pour certaines personnes, le rap à message, le rap 0 textes, c’est Casey ou La Rumeur. Ce n’est pas « Pardonnez-moi », « Vise le ciel » «  La partition », « Liberté »… Tu peux être engagé et être subtile, ce n’est pas incompatible. Le dernier texte que j’ai écrit porte sur l’enfermement, le monde de la nuit, la prostitution et le travail au noir de certains taximan. Ce n’est pas parce que je le fais avec un certain lyrisme que je n’ai pas d’engagement. En France, pour être compris, il faut écrire comme un attardé ou bien être anarchiste-révolutionnaire. Entre les deux, il y a quoi ?

Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap…

DWT : Ton parcours démontre cette forme d’engagement, peux-tu nous en donner les grandes lignes ?
Kohndo : Au cours de ces quatre dernières années, j’ai monté un studio d’enregistrement avec DJ Sek au centre de détention de Poissy, j’ai fait des ateliers à Bois d’Arcy, créé un studio d’enregistrement et formé des détenus au beatmaking à Châteaudun. J’ai fais des ateliers d’écriture à Fleury-Mérogis et à Fresnes. Mon engagement est là. J’œuvre avec mon savoir-faire. Un jour, un type est venu me voir en sortant du métro et m’a expliqué qu’après avoir écouté « Un œil sur l’objectif », il a décidé de ne pas sortir ce soir-là. Il faisait de la contrebande d’alcool. Ses potes sont tombés, pas lui. Il s’était arrêter sur cette phrase « Dis moi qui va nourrir tes gosses quand derrière l’ombre des barres en taule, tu seras le boss ? ». Tout mon engagement est là. Si ma musique fait réfléchir les gens, c’est qu’elle est politique.

DWT : Tu votes ?
Kohndo : Pour moi, c’est fondamental. Je n’ai pas l’impression d’avoir du pouvoir mais je vote surtout parce qu’il y a des parents et des grands-parents qui sont morts pour ça. Un, je le fais par devoir et deux, c’est pour éviter que ma voix aille au FN. C’est pour moi la politique du moindre mal. J’ai une conscience de gauche mais je suis pour l’entrepreunariat. Je pense qu’on peut vivre dans une économie responsable. Je suis dans la culture du bon sens, c’est là où je me sens africain. Ma grande question est de savoir combien de personnes je peux tirer vers le haut. Le dernier titre que j’ai clipé s’appelle  « Vise Le Ciel« . Il traite de la difficulté, d’être noir, diplomé et vouloir sortir de son environnement Ce titre a été pris dans la bande originale d’un livre qui s’appelle « Dj Rising » (Edition Little, Brown – Groupe Hachette), dont tous les bénéfices sont reversés à l’association caritative Got Kidney ? dont le but est d’aider les enfants malades en attente d’un don d’organe. Les Beatnuts et pas mal de rappeurs de la région de San Francisco participe à ce programme. Encore une fois, là est mon engagement.

DWT : Quel est ton sentiment sur ce qu’est devenue cette musique chez les plus jeunes ?
Kohndo : Il y a le rap et culture hip hop. Le rap, c’est de l’industrie. Il y a énormément de variété de rap, on parle alors de production. Globalement ca ne me touche pas. De l’autre côté, il y a le Hip hop. Je trouve que le hip hop évolue bien. Tout ce qui est en rapport avec la danse, le graffiti, le djing, il y a un rap qui a un cœur hip hop. Quand j’entends des artistes comme Mos Def, Joey Badass, Casey, Rocé, Koma ou Nemir… je trouve qu’il y a du hip hop dedans. Ça sent la passion. Quand j’écoute The Roots, Common ça me galvanise, ça me met bien. C’est important qu’une musique soit en évolution. Il n’y a pas qu’une façon de voir le hip hop et le mien doit continuer à évoluer.

Quand j’entends des artistes comme Mos Def, Joey Badass, Casey, Rocé, Koma ou Nemir… je trouve qu’il y a du hip hop dedans. Ça sent la passion. Quand j’écoute The Roots, Common ça me galvanise, ça me met bien. C’est important qu’une musique soit en évolution. Il n’y a pas qu’une façon de voir le hip hop et le mien doit continuer à évoluer.

DWT : Tu es aussi un papa, laisseras-tu écouter du rap à ton enfant ?
Kohndo : Je laisserai ma fille écouter du bon hip hop. L’industrie du rap de La Fouine n’est pas le même que celui d’Oxmo qui n’est pas non plus le même que celui de Sexion d’Assaut, ni de 1995… Il y a assez de variété pour que chacun y trouve son compte. Par contre, je vais veiller à ce qu’elle soit critique sur ce qu’elle va entendre. Ça va être ça mon rôle d’adulte parce que je ne vais pas être un censeur. Je ne peux pas la mettre en porte à faux avec son époque. Après avoir kiffé Rakim, Nas ou Gangstarr, je ne peux pas dire d’un Kendrick Lamar qu’il révolutionne le rap ! Si mon éducation est bonne, ma fille n’ira pas vers ce rap  très industriel. Face à la sous culture et la pression sociale, il y a l’éducation et le caractère. Avec ma femme on va faire en sorte qu’elle ait les deux.

DWT : Grand amateur de cinéma, tu as aussi signé des B.O. dans ta carrière, qu’est ce qui t’attire dans ce milieu ?
Kohndo : Je fais beaucoup de lien entre la soul et le hip hop. Tous les artistes de soul que j’aime ont signé une bande originale de film. Isaac Hayes et Truckturner, Curtis Mayfield et Superfly, Bobby Womack et Across 110th street, même RZA pour Ghost Dog. Le cinéma, c’est l’opéra du 20ème et 21ème siècle. C’est bon aussi de se mettre au service des autres. Pour moi, la musique c’est de l’échange. Quand il n’y en a pas, ca devient uniquement du business.

DWT : Tu es un épicurien, parlons donc de cuisine… Quels sont tes goûts en la matière ?
Kohndo : Quand on parle de musique, on parle de sens, de goût. Souvent quand je dois définir la musique que j’aime ou que je crée, j’utilise des termes de cuisine. J’aime bien la junk food mais je suis avant tout un gastronome. Tu sais, tout peut être magnifié. Tu peux prendre un burger au Mac do ou t’en faire un au bœuf de Kobé. Ma musique, c’est ça. Le rap, c’est de la junk food mais moi j’y mets des épices et des saveurs particulières. J’en fait de la gastronomie, j’y mets de la passion. Mon rapport à la vie est un rapport aux sens. Mon rapport à la zik est identique. Ca te prend le ventre ou pas ! Quand tu mets la fourchette dans ta bouche c’est pareil, tu voyages ou tu voyages pas ! Au départ tout est sensoriel. Ça crée de l’amour ou pas.

Mon rapport à la vie est un rapport aux sens. Mon rapport à la zik est identique. Ca te prend le ventre ou pas !

DWT : Es-tu épanoui comme artiste dans cette musique aujourd’hui ?
Kohndo : Il y a très peu de rappeurs qui ont traversé les générations. C’est un vrai questionnement, quand tu as déjà fait trois albums, qu’est ce qui te motive à en faire un quatrième ? Comment tu le fais ? Comment tu réussis à prendre le poul de l’époque ? Est-ce que c’est nécessaire de le faire ? Peux-tu encore le faire et avoir encore une influence sur les gens ? Qu’est-ce que le rap aujourd’hui ? Je me suis retrouvé a radio Nova avec David Blot qui me dit : « Mais Kohndo, ton dernier album, c’est pas du rap ! ». On en revient à ce que je te disais tout à l’heure sur le stéréotype auquel doit répondre le rappeur. Il y a un programmateur de FIP qui m’a dit qu’il n’arrivait pas à comprendre le dernier The Roots et pourtant, cet album démontre qu’il est possible d’avoir un son hip hop après 25 ans de carrière. J’ai 98 morceaux qui sont sortis et qui sont enregistrés à la SACEM, hors mix tapes. Je bâtis une œuvre. Tous mes disques sont liés. Ils s’écoutent les uns à la suite des autres. C’est ça ma logique. Comment grandir et rester une force de proposition ? J’ai reçu une lettre de Trace TV qui me dit : « Nous avons toujours aimé Kohndo en tant qu’artiste mais c’est un artiste hors format. Trop adulte pour notre notre cible ». Ça te dit deux choses : soit Kohndo tu es trop vieux donc arrête de faire du rap ou soit cela suppose qu’il n’y a pas de public pour ce type de rap. Pourtant je vends mes disques et ma boîte se porte bien. Le public, il faut juste lui proposer. Je suis une force de proposition. Depuis  » Conçu pour durer « , je n’ai à rougir d’aucun morceau. Je me sens bien.

DWT : Parle-nous de tes rapports avec les majors…
Kohndo : Chez Delabel, c’était Marie-Lorette Guerin qui nous avait signé. Il y avait aussi un grand pote de Brian et de Chimiste : Benjamin Chulvanij, qui à la suite d’Arsenal Records, a décidé de créer Hostile Records. Il y avait un engouement autour du groupe et de la part de toutes les entités, tu sentais l’effervescence. Ce qui m’a vraiment fait tout drôle, c’est l’après, quand je suis parti du groupe. J’ai vu toutes les portes se fermer. On m’a toujours dit que le travail paie et j’ai toujours cru en moi. Je ne me posais pas la question de savoir si on cassait du sucre sur mon dos parce que je savais qu’à un moment donné, les gens reviendrait sur mon travail et qu’il y aurait un mot associé à ma carrière, le mot : qualité. Il faut savoir que quand je fais un disque, je le présente toujours en major. Je vais voir des directeurs artistiques pour échanger et voir ce qu’ils en pensent. Je me souviens d’avoir vu Nizare Bacare chez Warner, c’était une année où Hocus Pocus avait tout cartonné. Il avait tout intérêt à écouter mon disque. Il m’a tenu des propos comme quoi Féfé allait se casser la gueule (plus 100 000 albums vendus) et que Ben L’Oncle Soul aussi (Plus 500 000 album vendus). Tu vois le décalage ? Je proposais à un mec un album de hip hop au sens large en revenant à mes sources soul et le mec essayait tant bien que mal de m’expliquer que Canardo était celui qui allait tout cartonner. Il n’a même pas écouter deux titres et je me suis barré…

Il faut savoir que quand je fais un disque, je le présente toujours en major. Je vais voir des directeurs artistiques pour échanger et voir ce qu’ils en pensent. Je me souviens d’avoir vu Nizare Bacare chez Warner. (…) Il m’a tenu des propos comme quoi Féfé allait se casser la gueule (plus 100 000 albums vendus) et que Ben L’Oncle Soul aussi (Plus 500 000 album vendus). Tu vois le décalage ? (…) Il n’a même pas écouter deux titres et je me suis barré…

DWT : Tu signes pourtant chez un vieux briscard du bizness avec Nocturne de Patrick Colleony ?
Kohndo : Entre temps, j’avais co-fondé Menace Record avec Bayes Lebly, on était pote à ce moment-là. Je lui ai passé des thunes puis il s’est barré avec. Il a fait le mort pendant deux ans (rires). Vu les choix artistiques du label, de toute façon, cela ne m’intéressait pas. C’est en tout cas par son biais que j’ai rencontré Patrick Colleony. J’avais l’intention de sortir mon premier album avec le label Asetic qui n’a jamais eu d’existance légal. C’est comme ça que je me suis retrouvé à signer en distrib chez Nocturne sur un label fantôme. Heureusement depuis j’ai monté Greenstone Records. Patrick m’a toujours dit : « Kohndo, tu es le genre d’artiste qui a tout intérêt à rester indépendant ». C’est lui qui m’a donné les clés et qui m’a appris à être indépendant. Il me disait : « Trouve toi une distribution, monte ton label ».

DWT : Tu as toujours été un adepte du EP. Peux-tu nous donner ton avis, pour finir, sur ce support et s’il t’apparait toujours comme un support pertinent de nos jours ?
Kohndo : Cela reste le EP, qui avec 6 titres permet de ne pas être trop cher pour le client et qui permet au support vinyle d’exister. C’est difficile de faire plus de huit titres sur un format 33 tours. Et vu qu’il faut, à notre époque, être présent tous les six mois… Le meilleur support en 2013 reste le EP. Les singles n’ont plus besoin de supports, l’artiste crée, l’artiste donne via internet. Les auditeurs achètent ou font du don. J’appartiens encore à la génération qui a besoin de transmettre un message quand je compose un disque. Le mot album me rappelle les albums photos. Il retrace les derniers mois que tu as vécus : tes joies, tes peines, tes expérience, tes états d’âmes, tes réflexions… L’album est pour moi une sorte de journal intime. J’ai 38 ans. Je ne peux pas sortir des égotrips toutes les semaines. J’ai fais ça pendant 20 ans. Quel est l’intérêt ?

Le mot de la fin ira à Daniel Mpondo, mon associé et ami décédé en 2005. « Si tu ne vis pas, tu te meurs » alors je fais tout pour que chaque instant passé sur cette planète soit le meilleur. Je mets le meilleur de moi même dans tout ce que je fais et j’espère que mon public le ressent.

Propos recueillis le 24 juin 2013 par FLo – Photos par © Patricia Martinez aka OZ.
Remerciements à Emmanuel et Benjamin du Palais du Louxor pour leur bienveillance.
Photo archive Coup d’Etat Phonique par © Alain Garnier + archives personnelles de Kohndo.

Fab Lover, Ultramagnetic DJ

Interviews
Alain Garnier, Awer, DJ Fab, DJ Kozi, Down With This, EJM, Hip Hop Resistance, Kabal, Kohndo, La Caution, Le Globo, Underground explorer

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus.

A chaque revu d’effectif, on se doit de faire l’appel. De nos jours, beaucoup ont déserté ou baissé les armes… Le soldat Fab répond inlassablement présent, encore et encore. Il en a pourtant livré des batailles aux côtés des activistes de ce milieu. Depuis le début, puis dès le terrain vague de Stalingrad ou au Globo avec la crème des pionniers, il contribue largement à assurer une visibilité qualitative du hip hop en France, sans oublier son objectif : le respect des valeurs. Très peu peuvent se targuer d’avoir exploré l’underground comme lui. Très peu sont restés fidèle à la pureté de ce milieu. Longtemps nous espérons le retrouver sur la ligne de front comme digne représentant de cette culture.

Down With This : Comment le hip hop entre dans ta vie ?
DJ Fab : Je suis à Paris, je tombe sur un clip de Gladys Night and the Pips dans lequel un type tourne sur la tête ! Et là, waouh ! J’essaye de comprendre. Ca m’attire immédiatement. Il y a des breakeurs mais le hip hop n’existe pas encore dans son ensemble. Je devenais visible, comme mes potes, même si on nous prenait pour des aliens ! (rires) On nous remarquait et c’était ce qui comptait. On commençait à mettre des vestes en jean avec des choses inscrites dans le dos, des fat laces, des superstars… Cette culture émerge un peu plus grâce à des lieux comme le Bataclan, le Trocadéro, le terrain vague de Stalingrad, le Globo où nous nous retrouvions. Le hip hop vient à moi en France au début des années 1980. Quand j’allais aux Etats-Unis, le hip hop y était évidemment en route et cela commençait à mieux me parler. Je devenais surtout le Père Noël pour mes potes en leur ramenant des choses liées à la culture : des kangols par exemple… J’avais commencé par écouter Radio 7. Ce n’est pas le premier truc que j’entends mais c’est le truc qui m’interpelle le mieux. Il n’y avait pas trop de décalage finalement avec ce que je pouvais entendre aux Etats-Unis quand j’y retournai. Mais au début, la musique était une espèce de soul, d’électro…

DWT : Cette culture s’avèrera déterminante pour ton avenir…
DJ Fab : C’est la danse, comme pour beaucoup, qui m’a pris. J’ai beaucoup dansé à partir de 1984. J’étais à fond là-dedans. J’ai dansé au sol, il fallait impressionner, faire des coupoles. J’allais en Espagne, à Ibiza, avant que ça devienne ce que c’est devenu. J’y rencontre Dan de Ticaret que je ne connaissais pas encore mais avec qui je deviens ami. Nous faisions beaucoup de représentations sur place. Les gens ne connaissaient pas cette culture donc nous devenions en quelque sorte des stars (rires). On était les premiers à danser comme ça là-bas, avec les locaux. Mais je me suis rapidement rendu compte que danser est une chose très difficile et que l’on peux également se blesser. Par la suite, j’avais fait un aller-retour à Paris pour récupérer mes vinyles afin de mixer là-bas.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers le mix ?
DJ Fab : Presque par nécessité car j’étais danseur et il me fallait de la matière pour pouvoir danser. Mais je n’avais pas encore de platines. Je n’y connaissais pas grand chose. On était dans les lecteurs cassettes à l’époque. Les cassettes me semblaient plus évidente car je pouvais écouter ma musique partout grâce aux premiers walkman. J’essayais de retrouver des matières musicales quand je retournais aux États-Unis. Je commence ainsi à glisser vers le mix.

DWT : Tu partais souvent aux Etats-Unis ?
DJ Fab : Oui à Philadelphie, Chicago. Los Angeles aussi où j’ai bourlingué. Mais je n’y suis resté que deux ou trois mois. J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir. C’était trop tendu. Je suis ensuite arrivé à New York.

J’étais à Compton Los Angeles au début du temps des Bloods et des Crips. Cette période était très dure, vraiment trop dangereuse. Tu t’habillais en rouge, tu te faisais allumer. Tu t’habillais en bleu, tu te faisais allumer, pareil si tu t’habillais en noir.
DWT : Ta connaissance du matériel à l’époque était assez rudimentaire. Avec quel équipement te lances-tu dans le mix ?
DJ Fab : Ma première platine était une platine courroie avec laquelle tu ne pouvais rien faire (rires). Mon installation se limitait donc à cette platine courroie avec une platine cassette avec laquelle j’enregistrais en faisant des pauses et une table de mixage. Je faisais mon truc comme je pouvais mais c’était laborieux ! (rires) J’ai finalement retrouvé ce principe des platines chez un pote huppé, qui avait avec deux platines MK2 Technics 1200. Obligé d’aller voir ! (rires) Et là, je vois qu’il existe une sorte de platine qui ne s’arrête pas ! Ce matériel n’était pas accessible pour moi. Mais un jour, mon pote m’informe qu’il va déménager et me propose de les acheter. Je me mets donc à tanner ma mère comme un dingue, je fais des petits boulots, j’essaie d’économiser au max et comme c’est mon pote, je peux le payer en plusieurs fois. J’arrive donc à me procurer mes premières MK2 grises. J’ai toujours les mêmes d’ailleurs.

DWT : Comment décris-tu les qualités techniques de ces MK2 qui sont vite devenues une référence mondiale ?
DJ Fab : Cette platine a une stabilité et ce qu’on appelle du charisme. Elle a aussi une beauté et une solidité certaine. Je n’ai jamais eu une seule réparation dessus, je touche du bois. C’est le top et pourtant j’en ai testé des platines. Elles ont l’avantage d’être dénuées de tout gadget. Quand il y a trop de boutons, tu te perds même si tu peux t’adapter avec le temps. Mais quand tu es DJ, tu as envie d’aller vite. Le pitch de la 1200 me correspond parfaitement. C’est une Rolls.

DWT : Sur quel mixette s’est alors porté ton choix ?
DJ Fab : Ma première table était une BST. J’ai ensuite acheté une Gemini, c’était la même que DJ Cash Money avait utilisé au championnat DMC et au Globo à l’époque.


DWT : Le Globo marquera la naissance des soirées hip hop sur Paris avec la venue d’artistes mythiques comme Public Enemy ou Cash Money. Peux-tu retracer certaines «spécificités» de l’ambiance si particulière de ce lieu ?

DJ Fab : Si tu suis cette culture sur Paris, tu te retrouvais de manière naturelle au Globo. On allait au terrain vague (Stalingrad), à Ticaret qui était à côté, géré par mon ami Dan. On y trouvait des name-plates, mes premières vestes en jean graffés par Chino. Il m’avait d’ailleurs graffé une veste et mon jean en même temps (rires). La suite logique était d’assister aux soirées du Globo pour y écouter du son. Avec le Bataclan et la Main Jaune, ces lieux représentaient nos rendez-vous. Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. Si tu avais une Fat Goose, elle partait direct ! J’avais mes entrées donc je n’avais pas ce genre de soucis mais si tu ne connaissais personne, tu te faisais dépouiller direct. Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle. Les filles étaient très rares. Elles devaient comprendre les codes et savoir se comporter. Cela a bien changé de nos jours. Tu peux aller maintenant dans les soirées hip hop pour boire un verre en paix avec ta nana. Je trouve que c’est zen aujourd’hui et c’est tant mieux. Ce n’était pas le cas à l’époque. C’était tendu, il y avait beaucoup de guéguerres, des histoires avec les taggeurs. Et pour moi, qui habitait dans le 15ème à l’époque, c’était aussi le parcours du combattant pour rentrer chez moi car il fallait éviter les skinsheads. Entre nous et en dehors, c’est assez hardcore et fatigant.
Le Globo était l’endroit ultime mais ce n’était pas simple : soit tu avais tes entrées et tu pouvais y aller tranquillement, soit il fallait y aller avec une armée (rires) car c’était la guerre, l’époque de la dépouille. (…) Il y avait une haie d’honneur qui t’attendait du métro à la salle.
DWT : Cette période marque également ton entrée dans les clubs pour y prendre les platines…
DJ Fab : J’avais commencé par quelques petits endroits comme le Diable des Lombards avec le DJ des Black Panthers, devenus Baffalos par la suite. Le Timis Club puis au Globo. Massadian m’avait proposé de mixer aux ouvertures, avant Dee Nasty. Il n’y avait pas d’argent mais c’était le summum. Le Bataclan était également un temple avec énormément de danseurs. On avait l’impression d’être dans un Roxy français (boîte new yorkaise en 1982). C’était un melting-pot de plein de choses avec beaucoup de zaïrois qui s’arrêtaient de danser car nous avions notre heure hip hop pour pouvoir danser à notre tour (rires). Il y a également le Trocadéro que l’on ne peut pas nier où il s’est passé de belles choses et de belles rencontres. Je connaissais DJ Clyde qui habitait le 15ème comme moi. Je m’entraînais chez lui, il s’entraînait chez moi et vice-versa.

DWT : Tu taggais également, tu étais sensible au graff à l’époque ?
DJ Fab : Je suis allé un peu aux palissades du Louvre et sur les quais de Seine mais surtout à Stalingrad. Avec le talent de Jay et mon pote Boxer (rest in peace) et plein d’autres graffeurs, ce n’était pas dur d’apprécier leur travail. Je taggais aussi comme beaucoup et donc je m’y retrouvais. C’était un ensemble cette culture, il y avait des fringues, le dessin, la musique… C’était un tout.

DWT : Beaucoup de DJ’s concouraient au DMC. Pourquoi n’as tu jamais participé à ce championnat ?
DJ Fab : Premièrement, je n’avais pas le temps et deuxièmement, je trouvais que les durées de six minutes pour les passages, c’était juste frustrant car c’est beaucoup de stress. J’ai fait des choses sous d’autres aspects mais je ne me voyais pas travailler que sur six minutes. Le format me paraissait trop court. Il y avait énormément de choses à faire en même temps. Je trouvais ça trop dur pour moi car si je me mettais sur ces histoires de championnat, j’aurai été contraint de mettre d’autres choses de côté alors que j’avais des factures à payer.

DWT : Tu recentres tes activités par la suite autour d’EJM que tu accompagneras sur toute la période de ses deux albums entre 1990 et 1993. Tu en gardes de bons souvenirs ?
DJ Fab : Après avoir fait mes études, comptabilité puis gestion commerciale avec comme diplôme l’équivalent d’un bac plus deux, j’ai eu la chance d’avoir un bon poste dans l’hôtellerie. Le problème est que la musique commençait à prendre beaucoup de place dans ma vie. Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique. EJM m’avait été présenté par un mec de Vitry, à l’époque de la compilation Earthquake, dans lequel il avait posé le morceau « Nous vivons tous dans une ère de violence ». Il cherchait un DJ, on accroche super bien et ça devient mon poto ad vitam aeternam. On commence a beaucoup bougé ensemble, on va à Los Angeles, on part en Suisse et dans toute l’Europe… EJM a vraiment marqué sa période en étant tranchant direct. Il n’y avait pas de demi-mesure. Le seul problème, je pense, est que c’était quelqu’un de trop avant-gardiste et qui n’avait pas été compris. On avait également souffert en nous taxant de racisme car on avait une image pro-black alors que ce n’était pas le cas. On avait une équipe avec nous qui était assez dure mais c’était l’époque, il fallait marcher avec son posse. Il ne rigolait pas trop (rires). Les maisons de disques ne comprenaient pas trop. On n’était pas arrivé au niveau du Ministère AMER mais ça n’en était pas loin ! EJM était sur écoute, j’ai dû l’être aussi. Ce truc nous a dépassé et on en a beaucoup souffert je pense.

Je mettais des cravates le matin pour aller travailler et le soir, j’allais en studio avec EJM. Le lendemain matin, j’étais complètement éclaté mais je devais remettre une cravate ! Ce n’était plus gérable, je me suis donc concentré que sur la musique.
DWT : Il t’avait pourtant rebaptisé en ajoutant « Lover » à ton nom (rires)…
DJ Fab : J’étais beaucoup avec Ultramagnetic MC quand ils sont venus à Paris car je les connaissais un peu en amont avant leur venue en France, dont TR Love que je connaissais bien. Certains des membres de ce groupe avaient « love » dans leur nom. Ils s’étaient donc amusés à ajouter « love » au mien et ça a donné Fab Lover. EJM l’avait posé sur un morceau et c’est resté.

DWT : Pour en revenir à la carrière d’EJM, ce « revirement » très Jazz dans sa musique avait-il pour but de lui faire changer son image pour une autre moins dure ?
DJ Fab : A un moment, il a fallu calmer la dose. Je pense qu’il avait envie d’accéder à autre chose, d’autres horizons. Le jazz l’avait de toute façon toujours intéressé. Je suis fier d’avoir fait ce que j’ai fait. Cela m’a ouvert les yeux sur plein de choses également. C’était aussi une belle aventure humaine. Le dernier concert que nous avons fait s’est terminé en coups de feu. Je lui avait dit à l’époque que je n’avais pas envie de vivre la musique dans cette ambiance, même si ce n’était pas en lien direct avec le groupe.

DWT : La France a représenté une saturation à un moment pour toi. Sur quelles motivations t’es tu exilé en Suisse et en Allemagne ?
DJ Fab : A l’époque, EJM et moi connaissions une fille en suisse qui s’appelait Channel et qui avait beaucoup de connexions à Paris. Elle nous avait proposé des événements en Suisse et je suis resté. J’y étais à l’aise, je n’avais pas besoin de revenir à Paris. Puis après avoir rincé tout le pays en jouant partout, j’ai remarqué bizarrement que d’autres ont commencé à arriver comme DJ Cut Killer et plein d’autres. Je suis également resté en Allemagne, malgré les a priori qu’on pouvait avoir sur ce pays, c’était une place forte du hip hop. Ils étaient au top, ils le sont jusqu’à maintenant d’ailleurs.

DWT : Tu as connu quelques années après un tournée plutôt confortable aux côtés de Stomy Bugsy (ex-Ministère AMER)…
DJ Fab : J’ai vécu avec cette tournée le côté ultra-starification. C’était l’époque « Gangster d’amour » de Stomy. Lorsque nous nous sommes rendu en Afrique, il avait été accueilli comme un Dieu ! (rires) C’était dingue. Le public était hyper fan. Il y avait des choses qui me plaisaient et d’autres moins. Je suis intervenu sur cette tournée comme serait intervenu un guitariste ou un professionnel de la musique. C’était un métier mais cela ne m’empêchait pas d’être content de vivre ces moments de partage. J’ai vécu de vrais trucs sur cette tournée. J’ai aussi beaucoup rigolé avec Stomy, c’est une vraie crème et un vrai déconneur. Je suis content d’avoir vécu ces choses et les côtés « starification » de l’industrie que je ne connaissais pas.


DWT : Tu es également le DJ officiel de La Caution (que nous saluons au passage) depuis maintenant 10 ans…

DJ Fab : Il fallait qu’il y ait un groupe de coeur, de fond. Par rapport à mon parcours, la rencontre avec ce groupe collait très bien. Je n’ai pas eu besoin de m’adapter à ce qu’ils faisaient. Lorsque j’ai entendu cette technique, cette musique, je me suis dit que les mecs étaient très fort. Il se trouve qu’ils cherchaient un DJ. Ils avaient essayé avec Orgasmic du collectif dont je faisais partie avec TTC mais ça n’avait pas fonctionné. J’ai fait une première date et cela a très bien marché. Je considère aujourd’hui Ahmed (Nikkfurie) et Mohamed (Hi-Tekk) comme mes frères. Nous devrions envisager un troisième et dernier album mais je ne veux pas parler à leur place car c’est une histoire de famille. La Caution existe toujours pour le public. Ce n’est pas fini. Si cela doit être le cas, il faut envisager ce troisième album. Je pense que les fans sont en attente. Ahmed l’est aussi je pense et moi j’ai envie de remonter sur scène avec eux avec de nouveaux morceaux. Je comprends les positions de chacun, ce que dit Mohamed, qui est maintenant dans la vidéo et qui est un vrai artiste. Nikkfurie est très productif et très talentueux. La Caution a continué de tourner presque un an sans Mohamed mais c’était difficile car il a une place à part entière.

DWT : Quels souvenirs gardes-tu de la votre mini-tournée en Palestine ?
DJ Fab : Je suis très loin de la politique. Le problème de ce projet est que je n’étais pas chaud. J’essaie de ne pas mettre de la politique dans ma vie. La Palestine était un projet fort pour moi, je voyais ça comme un réel engagement. Ce n’est pas juste comme aller faire un concert à la Bastille. Je pouvais comprendre qu’Ahmed et Mohammed aient envie d’y aller comme à un pèlerinage mais cela devait se faire sans moi. C’est un sujet très sensible et je voyais mal ma place dans cette histoire. Ahmed a fini par trouver les mots justes et me convaincre. Je suis revenu plus grand car c’était une très belle expérience. J’ai connu des gens forts, humbles et qui vivent une vie incomparable avec ce que nous vivons ici.

DWT : Tu as travaillé avec Destroy Man, tu montes sur scène aujourd’hui avec Kabal, tu travailles avec Kohndo. Tu mènes des activités très variées…
DJ Fab : La tournée avec Kabal est une belle expérience. Ce sont des adultes. C’est rock, nouveau et alternatif pour moi. Je continue de travailler avec Khondo et j’aimerai qu’on travaille un disque ensemble. Je reste également attentif aux MC’s de la nouvelle génération. Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.

Un gars comme Némir, tu te dois d’être attentif à lui. Pareil pour Deen Burbigo, 1995 ou même A2H, etc… Cette nouvelle génération va très vite. Tellement vite que tu as l’impression qu’ils n’ont besoin de rien, d’ailleurs ils ne demandent rien.
DWT : Penses-tu que cette nouvelle génération correspond toujours aux valeurs du hip-hop ?
DJ Fab : Je ne pense pas. Aujourd’hui, les artistes sont tous dans leur truc. Pour reparler de Némir, c’est quelqu’un dans lequel je pourrai me reconnaître. Il apporte quelque chose de frais dans le rap, avec sa bonne humeur, son flow. Ce qui est rare dans la plupart des MC’s en France. Ils sont habituellement beaucoup plus dans une vision noire des choses. J’aime le hip-hop, je suis sensible au rap. Il y a des choses qui me touchent même si évidemment, il y en a très peu. Mais le peu qui me touche me plaît beaucoup. Mais en 2013, pour moi, les valeurs se sont perdues.

DWT : Les artistes américains sont également des gens avec qui tu as collaboré. On a quand même connu pas mal de déception quant à leurs prestations en France…
DJ Fab : A Paris, dans les années 1990, il y avait une sorte de comportement de la part du public qui ne leur permettait pas de faire ce qu’ils voulaient ou ce qu’ils font maintenant. A cette époque-là, nous composions un public qui était tellement réactif qu’on leur jetait des trucs si leur show était une carotte. Il arrivait que ça se transforme en bagarre. Ils repartaient alors avec l’image d’une France assez tendue. Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus. Cela avait permis de tout remettre à plat. Le public a ensuite changé et la monnaie européenne est arrivée. Quand ces artistes sont revenus ici dans les années 2000, j’avais l’impression qu’ils étaient maintenant en vacances. Ils savaient qu’ils allaient toucher des euros et c’est devenu la fête à neuneu.

Je me souviens de Treach de Naughty By Nature repartant en courant dans son bus de tournée. Un autre jour, il arrivait que Coolio se fasse tarter ou que Redman se prenne un coup de tête. Cela avait au moins l’avantage de faire comprendre aux prochains qui allaient venir en France qu’ils seraient exposé à des moments tendus.
DWT : Au travers vos activités de promoteur via Hip Hop Résistance (avec Awer rest in peace et Dj Kozi), label certifié avec le temps gage de haute qualité, doit-on y voir la démarche de proposer au public un show américain respectable grâce à votre savoir-faire et votre réseau ?
DJ Fab : Nous avions démarré le projet Hip Hop Résistance car il y avait un manque à Paris de ce que nous voulions voir sur scène. On s’est donné les moyens de faire venir des mecs que personne ne faisait venir. Les gens ont accroché et nous avons donc décidé de monter des projets qualitatifs et non quantitatif. Cela s’est toujours bien passé, malgré un raté avec Da Bush Babies qui était arrivé complètement bourré, en ayant fumé. Ils se sont mis à rapper sur du Beyoncé, des conneries comme ça. C’était blindé au niveau du public mais c’était n’importe quoi sur scène. On avait pris les devants en s’excusant auprès du public et en indiquant au groupe que ce ne sera plus par notre intermédiaire qu’ils reviendront en France. En dehors de ça, on a connu de beaux moments comme avec Masta Ace, Bahamadia, Wildchild et J-Dilla…

DWT : L’organisation d’événements à Paris n’a pas été souvent une chose facile à gérer. Quelques tensions dans ce milieu des promoteurs ont résonné, quels en étaient les causes ?

DJ Fab : Le milieu des concerts est spécial, il y a de la concurrence, de l’argent et une réputation en jeu. Il y a plein de choses. Il y a des gens avec qui on peut s’entendre comme MC5 (Mickael) ou Free Your Funk (Manu et Denis) avec qui je me suis très bien entendu et avec qui on a collaboré. On a appris beaucoup de choses avec Awer de son vivant et moi. C’est toujours un plaisir de bosser avec. Mais il y a aussi des gens avec qui cela n’a pas été aussi simple. Il faut bien comprendre que lorsque nous sommes sur ce secteur d’organisation d’événements, je suis en mode business, promoteur. Il se trouve qu’un gars, montait sa structure, en même temps que nous, avec des bouts de scotch comme nous. Nous étions bien installé dans l’underground et ça devait lui faire de l’ombre. Alors il s’est mis à mal parler et nous dénigrer. Il le faisait également à New York en disant aux gens de se méfier et de ne pas travailler avec nous. Cela devenait gênant. Cétait le genre de personne qui pensait que nous nous croiserons pas et qu’on pouvait se parler par mail uniquement, à distance. Mais il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas. L’histoire a été réglé à l’ancienne, sans échange de mails, et bizarrement ça allait beaucoup mieux par la suite.

DWT : La radio occupe chez toi une grande place. Est-ce que le formatage imposé par le business te laisse suffisamment de liberté pour animer ton émission sur Génération FM ?

DJ Fab : Mon émission, Underground Explorer, a lieu tous les dimanches (de 22 heures à minuit) et je n’ai aucun problème. Il faut savoir que nous ne sommes pas payés, c’est ce qui justifie surement cette liberté. Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
Lorsque je passe un disque en radio, c’est dans l’optique que les auditeurs écoutent quelque chose de différent. Je fais partager de la musique mais je n’impose pas. C’est aux auditeurs de décider ce qui est bon ou pas dans ce que je leur propose.
DWT : Connais-tu le nombre de vinyls que tu possèdes ? Continues-tu d’agrandir ta collection ?
DJ Fab : Je ne peux pas quantifier mes vinyls. J’en ai certainement beaucoup moins que Dee Nasty. J’en ai beaucoup acheté mais j’avoue que j’en ai pas mal volé aussi. Il y aussi ce qu’on te donne mais ce ne sont pas les plus intéressants car il s’agit de disques promo. Je les garde car je suis un amoureux du vinyl. J’ai dépensé beaucoup d’argent dedans. Je possède certains de mes disques en six exemplaires, tous cellophanés, comme le mini EP de NWA «100 miles and runnin’». J’ai toute une époque du rap qui me convient parfaitement, notamment ceux des années 1990 mais je n’achète plus de disques de rap. Par contre, je suis capable de mettre 200 euros dans un vinyl de Soul qui m’intéresse.

DWT : Existe t-il un vinyl que tu recherches et qui ne figure pas dans ta collection ?

DJ Fab : En toute modestie et sans être prétentieux, j’ai tout ce que j’ai besoin. A un moment, je recherchais un vieux maxi d’Ultramagnetic MC. DJ Asko me l’avait retrouvé sur le net. C’était une réédition mais bon, je l’avais tout de même pris.

DWT : Si tu devais citer un disque dans la soul et un autre dans le rap qui t’ont le plus marqué, lesquels choisirais-tu ?
DJ Fab : Entre autres pour la soul, la B.O. du film «Death Wish» car il y a dedans beaucoup de sample possible. Pour le rap, je dirais «Niggaz 4 life» de NWA, l’époque de l’apogée des sons de Doctor Dre. Musicalement, je trouve que ça sonne encore bien maintenant même si les BPM ont un peu augmenté. Ca sonne bien au point de vue mastering, ils avaient tout compris. La pochette est bien réalisée, les silhouettes qui quittent la scène de crime, c’était bien pensé. L’album était monstrueusement bien produit. Mais je pourrais aussi dire EPMD. Ce qui me plait dans le hip hop, c’est toutes ces énergies et pas seulement un groupe en particulier.

DWT : Quel est ton point fort techniquement parlant en tant que DJ ?
DJ Fab : Je dirais que pour pouvoir durer, il faut contrôler à peu près tous les aspects. Certains Dj’s sont super forts en scratch mais sur d’autres phases, il ne sont pas bons du tout. J’ai plus voulu développer plusieurs techniques pour être complet, scratch, mix, beatjungling, passe-passe. Mais aujourd’hui, tu as beau faire un flair, un trois doigts, un combo, tout le monde s’en fout. Pour moi, il fallait arriver à tout mettre dans le tempo, c’était le plus important.

DWT : Quelle a été la technique que tu as eu du mal à assimiler ?
DJ Fab : Beatjungling.

Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. (…) Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long.
DWT : Quel regard portes-tu sur la mutation du métier de DJ avec l’arrivée des platines CD pour scratcher et les logiciels de mixe ?
DJ Fab : Ce sont des contrôleurs. Je pense que la génération des DJ’s auquel j’appartiens seront les derniers à pratiquer de la sorte. Nos techniques de DJ ne retiennent plus l’intérêt des plus jeunes. Cela se perd. C’est certainement ce qui me blesse le plus. Beaucoup de DJ’s de ma génération sont restés à la maison pour s’entraîner, acquiert une technique et à essayer d’avoir un minimum de niveau. Aujourd’hui, juste avec un ordinateur et un contrôleur, il suffit que tu classes tes morceaux, tu appuies sur un bouton et les mixes se font tout seuls. Il n’y a plus aucun effort. Visuellement également, il n’y a plus rien. Les mecs ne s’occupent plus que de régler que les infra-basses et les basses. Il fallait beaucoup s’entraîner avant. Aujourd’hui, le jeune qui se met sur cette pratique ne veut plus apprendre. L’apprentissage est très long. Ces jeunes aimeraient tous faire ce que l’on fait mais c’est trop long à apprendre. Ils préfèrent aller sur quelque chose de plus rapide et qui est rentable tout de suite.
Dédicace de DJ Fab à l’équipe de Down With This pour avoir pris le temps et avoir eu l’envie de faire cette interview. Big up à tous les résistants qui viennent à nos concerts. Big up à Awer (RIP), Dj Kozi, Kohndo, La Caution, Tonton Steph, MC5, Free Your Funk, Batsh, Fire, Dan de Ticaret, EJM (Etat de Choc), Solo, Papa Lu, Mister Hyde et pleins d’autres que j’aurai voulu aussi remercier, ils savent qui ils sont…

Propos recueillis le 1er mars 2013 par Flo, Nobel et Fati. Photos-archives par © Yoshi Omori et © Alain Garnier
DJ Fab / Hip Hop Resistance (promoter concerts, booking) & Underground Explorer radio on 88.2FM with DJ Kozi (R.I.P Awer) every Sunday to 10pm / Midnight on www.generationsfm.com (Paris, France).
A suivre…
The Doppelgangaz le 31 mars au Glazart (Paris) avec Radikal MC en 1ère partie.
Remerciements à DJ Fab de nous avoir accordé son temps pour réaliser cette interview, précieuse pour la transmission de l’histoire de notre culture. Nous le remercions par ailleurs d’être toujours en activité et au contrôle de ce hip hop vrai et sincère. Remerciements également à Nathalie et Yoshi Omori pour leur aimable contribution (photo de DJ Fab au Globo en 1986) issue du livre légendaire « Mouvement » (co-écrit par JayOne et Marc Boudet, illustré par Yoshi Omori).

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