• Accueil
  • Le Site
  • Culture Hip-Hop
    • Jouez aux machines à sous en ligne sur le thème du hip-hop
  • Top films sur le Hip-Hop
  • Page du Contact

solo

Dee Nasty, down with the King

Interviews, Non Classe
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Nova, solo, Zekri

Pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi.

Dee Nasty passe des disques comme on passe un message. Son premier LP, «Paname City Rappin», est enregistré en 1984 et c’est le premier du genre autoproduit de France. Dix ans après (voir notre interview de l’époque ici), Dee Nasty nous avait présenté son troisième album « Le Deenastyle » avec la participation du regretté East (RIP). Il est l’un des rares qui n’a eu de cesse de favoriser l’émergence du hip hop en France, d’abord avec des micros ouverts sur le terrain vague de La Chapelle en 1986 puis notamment en 1988/1989 grâce à son émission mythique « Deenastyle » qu’il animait avec Lionel D sur Radio Nova, servant ainsi de tremplin aux premiers groupes de rap français signés en major. Aujourd’hui, Dee Nasty est Grandmaster. Une dénomination qu’on pourrait qualifier de folklorique mais qui n’en demeure pas moins une distinction certaine dans le monde des Dj’s dont il est le seul dépositaire en France. Méchant aux platines, pas assez dans la vie, il n’a souvent eu pour seul retour qu’un mépris déconcertant. Dur à accepter de la part d’un mouvement dont le mot d’ordre est unité. Il n’en demeure pas le moins également le pilier d’un hip hop qui nous a permis de nous évader de notre condition sociale, tout comme il a pu en échapper…

Down With This : D’abord, pour commencer, nous sommes honorés que tu refasses une nouvelle fois la Une de DWT, 20 ans après la couverture de notre numéro 5 (disponible ici). Voilà qui est dit (rires général). Tu es originaire de quel quartier ?
Dee Nasty : Je suis né à Vincennes. J’ai apparemment vécu un an rue Clavel à Belleville, Paris. Par la suite, direction Bagneux, en HLM. Mes parents avaient eu un appartement à la « Pierre Plate », un quartier tristement connu pour être la cité du gang des barbares. L’immeuble venait de sortir de terre. Il était tout neuf.

J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone (…) et qui s’habille avec des vêtements en laine de brebis. (…) Ça ne m’aurait pas dérangé.

DWT : Dans quel contexte familial as-tu grandi, que faisaient tes parents ?
Dee Nasty : Ma mère était femme au foyer, elle faisait de la couture. Elle s’occupait d’un atelier de peinture libre dans un centre culturel, le centre Alpha. Ils avaient de bonnes idées avec un petit côté catho. C’était l’époque qui voulait ça. Avec mai 68, il y a eu beaucoup de passage chez mes parents, ils ont fait des manifs, la grève de la faim pour plusieurs trucs, etc… Activistes militants donc. Mon père travaillait à l’aéroport d’Orly. Ils écoutaient de la flûte de pan. J’ai failli grandir dans une communauté qui vit comme au moyen-âge, sans voiture, sans téléphone, la communauté « L’Arche », fondée par Lanza Del Vasto. Ils s’habillent avec des vêtements en laine de brebis. Pour un gamin c’était fun, ça me changeait de la cité de la « Pierre Plate ». Que mon père arrête tout pour partir là-bas, ça ne m’aurait pas dérangé. Avec mes sinusites a répétitions, je ne supportais pas la poussière de la ville. Tout allait mieux à la campagne. Ça m’aurait permis de faire autre chose que de jeter des cailloux sur les autres. Je commençais à mal tourner, de bagarre en bagarre. J’étais un peu le souffre douleur : grand, blond et des yeux bleus. Je me prenais des cailloux sans savoir d’où ils venaient. En plus, ma mère m’habillait comme un petit bourge alors que ce n’était même pas notre cas. Quand j’ai commencé à pouvoir me défendre, ça a commencé à mal tourner. Je suis parti de Bagneux à 14 ans, pile au bon moment. Deux ans en Seine-et-Marne avec mes parents, puis je suis parti vivre ma vie.

DWT : 16 ans, c’est tôt pour quitter tes parents. Tu avais déjà des modèles à l’époque ?
Dee Nasty : J’ai des origines bretonnes donc je me suis pas mal intéressé à Alan Stivell et tout ce qu’il défendait. J’ai voulu apprendre le breton mais à côté de ça, j’adorais la soul et j’étais fan des Isley Brothers. Tout ça avait du mal à se concilier dans ma tête. J’avais pleins de potes qui écoutaient du rock et j’adorais ça aussi. Mais pour répondre à votre question, je n’avais pas de super héros (rires).

En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement.

DWT : Comment en arrives-tu aux platines ?
Dee Nasty : En 1978, j’ai eu une platine d’appartement, juste pour l’écoute, avec un ampli, un tuner et magnéto à bande. Comme beaucoup de monde à l’époque finalement. Ça m’avait familiarisé avec ces machines. Puis j’avais acheté une cellule avant/arrière et j’avais scié le plateau pour qu’il soit plus léger. Ce qui a déréglé le régulateur de vitesse… (rires) J’ai trouvé par moi même qu’un sac en plastique FNAC découpé plus une feuille de papier permettait de faire glisser les disques. J’ai surtout eu la chance d’habiter à San Francisco et de découvrir le hip hop aux Etats-Unis. J’avais eu aussi l’exemple de Grandmaster Flash avec The Adventures Of Grandmaster Flash On The Wheels Of Steel. Ca m’avait influencé. Automne 1982, il passe au Palace avec les Furious Five et je le vois live. C’était particulièrement impressionnant. Trois semaines avant il y avait eu le « New York City Rap Tour » avec Afrika Bambaataa.

DWT : C’est à ce moment que tu te diriges vers des studios de radio…
Dee Nasty : J’ai eu une émission, « Funkabilly », sur Radio Ark en Ciel qui émettait de Barbès sur le nord de Paris et le bas de Saint-Denis. J’achète quelques disques de funk et je commence à toucher les platines sauf qu’il en avait une dans un coin et l’autre un plus loin, donc impossible de mixer ! J’avais un pote antillais, Bruno Funk, qui est remercié dans chacun de mes albums. Il me fait connaître un pote, Maurice, qui jouait au Palace (ndlr : Boris, et non pas Maurice, erreur de retranscription – mise à jour du 15/12/2015 –). C’était le DJ avec Sidney. Il me propose de venir faire des séries Jazz Funk Hip Hop du moment dans les soirées antillaises. Cela marchait bien. Je commence à découvrir les platines en passant d’un disque à l’autre en faisant des enchaînements à peu près cohérents. Ça se passe super bien et je continue.

DWT : Tu es sur quelle table de mix à cette époque ?
Dee Nasty : A l’époque, en 1982, je m’achète un petit mixeur où il n’y avait pas de pré-écoute. Je ne sais même pas s’il y avait une marque mais il y avait deux potards. C’était plus un mélangeur. Ma table d’après m’a plus marqué, c’était une BST.

DWT : A cette époque des « radios libres », tu te retrouves par la suite dans des radios assez « charismatiques »…
Dee Nasty : Il y a eu des fusions forcées entre les radios et je me suis notamment retrouvé sur différentes radios comme Fréquence Gay. J’avais mon émission mais il y avait une sorte de racisme des homos envers les hétéros, comme si on avait rien à foutre là. C’était un peu le cas. Je décrochais le téléphone pendant l’émission et c’était uniquement pour me faire draguer.

J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985.

DWT : Vient ensuite Carbone 14 avec une émission qui était apprécié par de nombreux auditeurs…
Dee Nasty : Cette émission, Planète Funk, n’a pourtant duré que six mois… Je connaissais des gens à Carbone 14, j’y suis donc allé et ça a collé. J’avais carte blanche, trois platines et une boîte à rythme. J’invitais des potes pour des sessions. Mais en 1983, Carbone 14 n’a pas sa licence et ça s’arrête. C’était dans le bas de Bagneux. J’arrive un jour et j’apprends que des CRS avaient tout emmené. Tout le monde était en larmes. C’était une époque durant laquelle il y avait des camionnettes avec de grosses antennes sur le toit qui cherchaient les émetteurs pirates. Puis il y a eu Supernana avec Radio Aligre. J’allais aussi à RDH, à Rosny-sous-Bois, la « Radio des Handicapés », ça fait rire tout le monde mais c’est vrai ! J’avais un créneau funk et rap de deux heures. C’était de 1983 a 1985. Ils n’ont pas eu l’autorisation de continuer non plus.

DWT : S’en suit les grandes heures à la Chapelle/Stalingrad. Comment t’es venu cette idée de passer par-dessus un mur de deux mètres de haut avec des platines et un groupe électrogène ?
Dee Nasty : Toujours pendant mes courses, à la Plaine Saint-Denis, je vois un magasin avec un groupe électrogène à louer. C’était super pas cher et il fallait juste une petite caution pour le louer. Arrivé au terrain, mon scooter servait de marche pied. Il y avait toujours des gars pour me donner un coup de main. On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter. Après, j’allais à la station service juste à côté pour récupérer de l’essence avec un jerricane. On mettait le groupe le plus loin possible car sinon c’est comme si tu avais une mobylette qui tournait dans ta tête (rires). Ça valait le coup.

On passait tout par dessus le mur : électrogène, ampli, enceintes 150 watts et mes deux platines Technics que je venais juste d’acheter.

DWT : Tu embrasses très vite la Zulu Nation et rencontre également très tôt Afrika Bambaataa. Ca a été salvateur ?
Dee Nasty : Ça semblait naturel. J’étais parti dans ma vie dans quelque chose où je ne serai pas resté vivant très longtemps. Cela m’a donné une énergie suffisamment forte de voir ces gars de là-bas qui sont sains, qui défendent des valeurs simples alors qui sont plus dans la merde que nous. Paix, amour, unité. Ça m’a fait le plus grand bien. Je me suis m’y dedans avec autant beaucoup de force. Après, ça ne m’a pas lâché. J’ai rencontré Bambaataa à Radio 7, avec Sidney, il faisait des dédicaces. Je considère que grâce à ce mouvement, je suis devenu Deenasty. Sinon, je serai resté Daniel Bigeault, une espèce de loser, un mec dont on ne sait pas vraiment ce qu’il va devenir. Il y a encore plein de chose à faire. Ce n’est pas un message galvaudé même si j’ai mis beaucoup d’années à reconstruire la Nation Zulu en France.

A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie.

DWT : Tu as connu des moments durs dans la vie avec la drogue, l’alcool. Comment y as-tu fait face ?
Dee Nasty : C’est arrivé bien avant le hip hop. A treize ans, j’étais alcoolique juvénile. A 17, déjà tox. Après, c’est un combat de la vie. Forcément, c’est une canne qui t’aide à marcher. J’ai vu des docteurs, etc… C’est des périodes de la vie. Ce qui est rigolo, c’est que dans les périodes les plus sobres, on disait : « oh, Deenasty est en forme, il a pris de la coke ! », « oh, Deenasty est fatigué, il a pris de l’héro ! ». On ne te lâche pas avec ces : « oh, il est retombé dedans » alors qu’en fait, rien du tout. Un jour, je vais écrire un bouquin avec le pourquoi du cheminement, la rue, les rencontres, les braquos. Tous les trucs d’un jeune qui fait qu’il n’a que sur lui qu’il peut compter, et surtout pas sur son entourage. J’ai eu une hépatite B, une hépatite C, j’ai fait une rémission. Je me suis guéri tout seul. Le truc incroyable vu ce qui m’attendais. Je m’en suis bien sorti. La musique m’a sauvé. Certains peuvent se permettent des trucs, ça fait parti de leur image Rap’n’Roll mais moi, ce n’est pas possible. Je ne comprends pas trop pourquoi d’ailleurs. L’alcool, c’est venu plus avec le temps, de soirées en soirées. Ce n’était pas mon truc principal. Très jeune oui mais je m’en étais détaché. Moi, c’était coke puis héro depuis l’âge de 17 ans. J’étais jeune. Il faut savoir qu’un produit est un outil. Il faut savoir le considérer comme tel. Ça peut servir à quelque chose. Ça peut être un outil pour renforcer une personnalité un peu perdu mais il faut vraiment avoir une sorte de grand frère pour ne pas que ça parte en couille. Je n’ai jamais été suicidaire. Je consommais parce que j’avais un travail super dur pour lequel je restais 14 heures sur un scooter dans le froid et sous la pluie. L’héro tient chaud. C’était le cas pour tous les coursiers avec qui je travaillais. Tout le monde se disait qu’on n’y touchera pas et c’est rentré dans le milieu de la course. Tu ne vois aucune autre perceptive que celle de rester coursier. Tu risques ta vie tous les jours. C’est une sorte de cercle… J’ai perdu énormément de gens pendant cette période, par des overdoses, des accidents, sans parler des handicapés a vie. Certains ont fait des braquos mal préparés et sont tombés. Beaucoup était souriant quelques années auparavant puis l’héro est passée par là. C’était vraiment des histoires à la con.

DWT : Dans ton parcours d’homme de radio, il y a surtout ton émission myhtique « Deenastyle » que tu animais avec Lionel D sur Radio Nova et qui a marqué l’histoire du rap en France. On t’a pourtant entendu dire à plusieurs reprises que Radio Nova n’avait pas tant soutenu le hip hop au moment de ton émission. Pourquoi ?
Dee Nasty : Tout à fait. Mais il y a eu plusieurs phases. D’abord, Radio Nova joue plutôt du Flamenco, du Zouk, de la world music. Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je travaillais dans le même studio à cette époque. Je participe à un morceau avec eux et Bernard Zekri suit l’histoire. Il avait entendu parler de moi via les free jams de La Chapelle. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui, ce qu’il ne savait pas. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ». On fait une émission zéro avec Martin Meissonnier comme réalisateur. Et je me retrouve avec une demie-heure par jour dans laquelle je peux faire des thématiques gogo, break beat, hip hop old school, new school avec les débuts de Public Enemy par exemple sous le nom de Spectrum City.

Bernard Zekri m’approche via Destroy Man et Johnny Go. Je lui raconte mon parcours et lui dit que je suis un grand fan de lui. Il me dit : « écoute, je vais parler de toi à Martin Meissonnier pour qu’il fasse une émission avec toi ».

C’était à la même époque que Chez Roger Boîte Funk. J’étais payé 500 francs. J’ai eu le malheur de demander une augmentation à Jacques Massadian et je me suis fait virer. On me sucre aussi mon émission radio et je passe à vingt minutes ou je dois passer des sons sans parler. Au final, on me vire encore puis on me redonne une autre émission, le dimanche soir de 22 heures à minuit. Comme ils n’aimaient pas comment j’animais, ils me mettent avec Lionel D qui faisait aussi les bons plans rappés sur Nova avant de se faire virer lui aussi. On est content de se retrouver mais on se dit « qu’est ce qu’on va faire pendant deux heures ? ». On décide de faire une heure de rap ricain puis une heure de rap français. Au départ, on ne pensait pas inviter tout le monde car on n’avait pas de carte blanche. Mais comme c’était le dimanche soir, il n’y avait plus personne dans la radio. La première émission, Lionel balance tous ses textes. On se dit « merde, ça c’est fait. Qu’est ce qu’on va faire maintenant ? » L’émission d’après, on invite Les New Génération MC’s avec EJM. Et boum, c’est une évidence ! Lionel anime et fait passer le micro. La semaine d’après, il y a vingt personnes en bas qui veulent rapper. On dit « ouais, venez ! ». On ne peut pas savoir à l’avance le niveau. On ne peut pas faire d’audition. On est des potes bienveillants. Les émissions passent et on se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. On se dit qu’une fois revenu dans leurs quartiers, ils vont se faire charrier un peu mais du coup, ils vont travaillé et revenir mieux préparé. Petit à petit, le niveau monte. Je me rappelle notamment de Coffee B, rien que son nom, c’était rigolo. Il y avait Les Little, Rico qui venaient tout le temps. Des collectifs de banlieues différentes montaient à la radio. Un jour, NTM et Assassin veulent participer à l’émission mais ils se viandent. J’étais obligé de passer les disques qu’ils voulaient et ça m’énervait car normalement, je faisais ma programmation et tout le monde s’adaptait aux disques que je jouais. Ils se rendent compte que ça se passe mal pour eux et décident de préparer un deuxième passage qui sera plus professionnel, sans pour autant voir le niveau des autres qui étaient mieux préparés. Ils étaient super arrogants mais ça à contribuer à une sorte d’émulation par des défis artistiques. Nova l’apprend et le prend mal. En même temps, ils voient qu’on gère même si nous étions que deux à tout faire. Lionel pour gérer ce qu’on va appeler le plateau et moi la régie à passer les sons, les micros et faire les mixes avec vingt gars derrière qui n’arrêtent pas de me parler. Un jour, des mecs sont montés sur un radiateur. Résultat : il se casse et tombe en provoquant une énorme fuite d’eau. Il a fallu tout éponger. Il y a eu quelques tags, des mecs qui pissent dans l’ascenseur et les premières réflexions du lundi matin quand les mecs de Nova arrivent. « Pourquoi ça sent la pisse ? ». Ils entendent des gens assez bien placés qui leur disent que leurs gamins écoutent l’émission le dimanche soir et se rendent compte de la place que ça a pris en l’espace de seulement quatre dimanche. Ça y est ! C’était du feu de Dieu avec le vrai Deenastyle. Nova laisse faire mais ce n’est pour autant qu’ils pensent à mettre quelqu’un de la radio ou de la sécurité pour nous aider. Et arrive ce jour quand des gamins d’Orly volent le standard de la radio. Invendable mais du coup, le lundi, plus de standard dans la radio. Résultat : Lionel D et Deenasty persona non grata à Radio Nova. Au final, Lucien qui revenait de New York, et qui venait tout le temps nous voir, retrouve le standard trois jours après et nous le ramène. L’émission ramenait beaucoup de monde. On arrivait à les faire partir mais il fallait tout nettoyer après, jusque dans la cour et les tags dans les chiottes ! On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé » mais des plaintes commençaient à tomber au sujet des tags de la cour. Alors on brossait, on brossait (rires).

On se retrouve avec des cinquantaines de personnes qui déboulent dans l’émission chaque semaine. Y a des talents et des trucs moins bien. (…) On avait juste un sceau d’eau et du St Marc pour tout nettoyer après. Jean-François Bizot nous disait : « il faut laisser l’endroit tel que vous l’avez trouvé »

J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. (…) Certains ont des flingues et les ont sorti.

DWT : Ton émission servait également de relais pour la promotion des soirées, notamment celles organisées par IZB…
Dee Nasty : Ils venaient toutes les semaines pour promotionner leurs concerts de rap américains. D’ailleurs, contrairement à ce qu’ils disent dans le livre « Regarde ta jeunesse dans les yeux », c’est moi qui leur présente le manager de Public Enemy alors qu’ils disent qu’ils le rencontrent par hasard. Je ne suis pas le hasard. C’est grave mais ça ne m’étonne pas. C’était d’ailleurs grâce au manager de PE que le groupe était venu Chez Roger Boîte Funk gratuitement, parce que je l’avais rencontré à New York. IZB décide six mois à l’avance de faire un gros truc à l’Elysée Montmartre. On en parle chaque semaine dans l’émission. Deux semaines avant, Lionel et moi leur disons qu’on apprécierait avoir deux invitations. Mais les invitations n’arrivent jamais bien qu’ils nous les promettent. Du coup, avec Lionel, on va sur place mais pas d’invitations pour nous à la caisse. Puis on nous dit : « toi, Dee Nasty, tu as un invit mais pas Lionel D ». Du coup, on regarde ce qu’on a dans nos poches et on paie la place. On rentre dans la salle et IZB nous regarde bizarre. On reste un peu puis on s’en va. Et ça monte, ça monte. L’émission d’après c’est moi qui sors « ouais les IZobie Mamie Nova ne vous dit pas merci ». J’aurai pas dû mais c’était injuste ce qu’ils nous avaient fait. Du coup, l’émission d’après les IZB déboulent à une cinquantaine avec Jaïd en tête. Ils sont bloqués par Jacques Massadian qui fait du sport. Ils demandent un droit de réponse et c’est Jaïd qui monte, il passe derrière le micro pour dire que des conneries. Je dis aussi ce que j’ai à dire. Résultats des courses : certains ont des flingues et les ont sorti. Certains le racontent et sont super fiers. Ils peuvent : cinquante contre deux, waouh, c’est extraordinaire !

DWT : La suite ?
Dee Nasty : Ben on s’est fait virer. Le Deenastyle, c’était bien gentil mais terminé. On a eu droit a une dernière émission et c’est là que j’ai écris « Le rap pour un con ». Ils m’ont pris pour un con. On n’était même pas payé, on faisait ça pour l’amour du truc. Les IZB s’étaient auto-proclamé les « Incredible Zulu Boys » alors qu’ils n’étaient même pas zulus. Ce qui est extraordinaire, c’est que je viens tout juste de nommer Jaïd car il ne l’était même pas. Bambaataa m’a permis de nommer des gens. J’ai donc nommés lui et Lord Salim.

Je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad.

DWT : Comment avais-tu rencontré Lionel D ?
Dee Nasty : A la sortie de mon disque Paname City Rappin’ en 1984. A la fête de la musique, avec mon pote Bad Benny de RDH. Afrika Bambaataa officie sur la place du Trocadéro, je tombe sur Lionel D et lui fais écouter mon album avec mon poste-radio. Il me dit que lui aussi rappe en français. Il me fait un rap, du coup on l’invite sur RDH et de là est né un truc. Pas une amitié mais un premier contact. On forme par la suite un groupe qui se nomme Platinum Squad, avec un batteur, moi à la boîte à rythme et une seule platine pour les scratchs. On rappait tous les deux. Surtout en français même si Lionel maîtrise bien le rap en anglais. J’ai une seule cassette qui témoigne de cette époque. Après on essayait de jouer au Bataclan mais on ne nous a jamais laissé faire. Même pas un petit show-case, rien. C’était chacun son crew à cette époque.

DWT : Historiquement, à quel groupe as-tu appartenu vraiment ?
Dee Nasty : Ben aucun à ma connaissance (rires).

DWT : C’est très rare que nous menions des interviews dans le cadre d’une promo. C’est avec plaisir que nous dérogeons à la règle pour soutenir la sortie de ton nouvel album, « Classique ». Pour commencer : tu le sors chez Celluloïd, tu t’es fait un énorme kiffe ?
Dee Nasty : Celluloïd était intéressé. Ça c’est fait avec Gilbert Casteo qui est associé avec Jean Karakos. Il connait mon éditeur qui lui en a parlé. Ce n’est pas évidement, il a 77 ans, ils sont trois dans le label mais je suis content car c’est un clin d’œil avec le passé. Je rêve maintenant de refaire un maxi avec exactement la même pochette de l’époque.

Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir.

DWT : Cet album contient également des featuring aussi différents qu’incroyables : Rachid Taha, Afrika Bambaataa par exemple ! Il n’y a que toi pour faire des choses comme ça dans le hip hop.
Dee Nasty : Avec Rachid Taha, on a toujours rêvé de faire quelque chose ensemble. C’était l’occasion, il a dit oui tout de suite. On a fait ça chez lui. Il a demandé à son fils de brancher le micro et on a fait ça d’une prise ! Je trouve que c’est le seul rocker légitime de France. C’est un gars que j’adore artistiquement. J’aimerai qu’on fasse un album ensemble. On a fait deux morceaux ensemble qui sont très réussis et personne ne l’a emmené sur le terrain de l’électro funk. Pour Bambaataa, il était à Paris, invité par LBR. On a enregistré chez lui : un morceau et deux pistes Freestyle. Sur cet album, j’avais la liste des gens avec qui je voulais travailler. Je voulais aussi faire un trio de DJ’s. Personne ne s’occupe de moi, j’ai certes un éditeur mais je voulais surtout prouver que je suis un musicien. J’en ai marre qu’on me dise que mes albums sont des compilations ou des mix-tapes. Pour ceux qui l’ignorent encore, je compose, je joue de la musique, je joue de la guitare. J’ai envie de le faire savoir. Tout cela c’est fait naturellement. J’ai commencé cet album il y a quatre ans. Le dernier était tellement passé inaperçu que j’avais une revanche à prendre et ça a donné un album dont je suis fier.

DWT : Au cours de ta carrière, tu as recroisé la route des NTM. Parle-nous de ton travail que tu avais réalisé pour la sortie de leur troisième album, disque de platine, « Paris sous les bombes » ?
Dee Nasty : J’ai fais l’instru de « Come Again » (Pour que ça sonne funk), la première version. L’album devait sortir trois mois après. On était au Studio de la Seine. Ils étaient venus chez moi écouter le morceau et choisir une instru, que j’avais fait pas spécialement pour eux d’ailleurs, pour Big Brother Hakim je crois. On l’enregistre. Je fais aussi une version remix et une version dub. Ils sont contents puis plus de nouvelles. J’apprends un jour que l’album sort et je rencontre Joey Starr qui me dit : « Oh ! En fait, on a pas gardé ton instru, c’est Clyde qui a refait la musique ». Ok, ça aurait été sympa de me le dire d’autant plus que j’avais été payé en avance pour la sortie du maxi. Donc l’avance de 10 000 francs qu’on m’avait fait, je la dois encore à Sony Epic. Tous les ans, je reçois des relevés avec moins 10 000 francs dessus. On s’est recroisé vite fait mais ils s’en battent les couilles en me disant qu’ils ne s’occupent pas de la partie business. J’avais aussi failli faire une tournée avec eux. DJ Clyde était parti. J’étais déjà en tournée avec Big Brother Hakim, faute de temps, j’ai proposé le truc à un mec du magasin LTD, ancien disquaire de Châtelet Paris. Il ne pouvait pas non plus mais en a parlé à son cousin, Dj James. Il a été auditionné puis retenu. J’espère qu’il sait que c’est grâce à moi (rires).

DWT : As tu des nouvelles de Big Brother Hakim ?
Dee Nasty : Oui, il habite mon quartier. Il est à cinquante mètres de chez moi. On est toujours fâchés mais on se croise.

Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ?

DWT : Que ressens-tu à propos de certaines « cérémonies » sur le hip hop comme il a pu en avoir il y a quelques années à l’Olympia ou à La Cigale en 2012 dans lesquelles tu n’es même pas récompensé, ni même invité ?
Dee Nasty : Cela me met dans une rage folle. Heureusement, j’ai ma femme qui arrive à me recentrer. Ça me met en colère. Je trouve ça super injuste. En même temps, je n’avais pas envie d’y être parce que d’entrée, je trouve que ça pu. Mais je me dis : « Pourquoi ils n’y ont même pas pensé ? » Et s’ils y ont pensé, « Pourquoi ils m’ont éradiqué du truc ? ». Je ne comprends pas. Je pus de la gueule ? Je suis infréquentable ? Ils ont peur de quoi ? Je pense, en fait, qu’ils n’y ont juste pas pensé… C’est un peu particulier. Cela n’a jamais été facile pour moi. Autant le respect vient avec le temps mais là, c’est un respect forcé car j’arrive encore à m’accrocher. Il y a beaucoup d’empathie du genre « Le vieux, il s’accroche, il n’a que ça dans la vie ». C’est ce que je ressens comme réaction quand je joue dans des bars : « ah ouais, toi là ? », genre, je mériterai mieux. Mais non, moi j’adore faire ça ! En tout les cas, je n’ai pas lâché, j’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

J’ai encore des choses à dire et j’aimerai comprendre pourquoi je dérange au point d’occulter le fait que j’existe. Et pourquoi je suis dans la case dans laquelle ils m’ont mis ? En plus, elle est trop petite pour moi cette case.

Je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur ».

DWT : Tu étais pourtant au sein d’un gros collectif de DJs lorsque le Double H de Cut Killer se monte…
Dee Nasty : Les premiers temps, je suis chez Roger Boîte Funk. Cut Killer vient me voir car c’est juste a côté de chez lui et que je suis un peu l’icône en tant que DJ. Effectivement, j’ai fait troisième au championnat du monde à ce moment-là. Sur la fin de Chez Roger, j’ai des contacts avec Cash Money. Donc je fais venir Cash Money pour me mettre en danger mais pour montrer aussi que je suis aussi le patron. C’est un mec que j’idolâtre. Je savais très bien qu’au lendemain de son passage, les mecs allaient dire « ah mais Deenasty, c’est pas le meilleur » et que je m’en inspire. Cut Killer, à ce moment là, il a vu les deux dans l’art du djing. Il faut savoir que Cut Killer était le DJ des IZB et le moins qu’on puisse dire, je n’étais pas très proche d’eux… Quand Cut Killer a pris ses distances avec eux, on a pu se parler. Mais c’est DJ Abdel qui m’a vraiment fait rencontrer Cut Killer. L’idée du Double H est venu après. J’y adhère. Il y avait East dedans (RIP). Je les invite sur mon troisième album, « Le Deenastyle ». Ils avaient une bonne place dedans, premier morceau de l’album, puis participation à la tournée promo que Polydor avait organisé. Tout se passe bien sauf que Cut Killer et East veulent avoir leur truc à part. Après, il y a l’histoire du « Diamant est éternel ». J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres.

J’avais invité tout le monde. Mais Cut Killer et son manager estimaient que sa notoriété était plus importante et qu’il devait recevoir plus d’argent que les autres. Ce que je refuse, ça part en couille.

Faster Jay voulait aussi plus d’argent. J’ai dis non, que ce n’était pas possible. Je tenais à ce que tout le monde soit au même niveau, ce que la plupart avait accepté et c’était très bien comme ça. Ça devient finalement un truc super houleux, super tendu. On se réconcilie par la suite et : « ok, vas-y pour le Double H« . Au démarrage, je donne tous mes contacts et donc tout le monde appelle le Double H et je me fais voler mes soirées. Je me rends compte que c’était le même état d’esprit que sur « Diamant est éternel ». La dernière tentative, c’est quand j’ai fait Dj School. J’y invite Cut Killer pour faire une démo dedans et il fait un procès parce qu’il trouvait que son nom avait été écrit trop petit et que par contre, sa tête était trop grosse. La dernière fois qu’on c’est vu, c’est au Rex. Le mec fait un truc de double face tout le temps. C’est insupportable. Alors que j’étais en galère de thune un jour, et que je n’avais jamais rien touché sur mes collaborations avec le Double H, je lui demande de me prêter de l’argent, 500 euros. Il ne m’en propose que 200… Je n’ai même pas été récupérer l’argent, j’ai envoyé un pote. C’était de la carambouille tout le temps. Rien à voir avec DJ Abdel, je lui demandait 500€, c’était direct : « ben passe demain au bureau chercher l’enveloppe » et il me filait 1000€ sans que j’ai besoin de lui rendre, en me disant que je les méritait avec tout ce que j’avais fait pour lui.

Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

DWT : On a pu lire que tu avais été très en colère contre le Double H. Irais-tu jusqu’à dire que tu étais là au bon moment, juste pour légitimer cette formation ?
Dee Nasty : Je pense que oui. On fait une réunion chez Double H un jour, rue Saint-Hippolyte. Une réunion dont l’ordre du jour était la côte de chaque DJ… Cut 8 000 euros, Abdel, 7000 euros, moi et LBR, 2 000 euros chacun. C’est là où j’ai arrêté. J’ai dit : « C‘est une période de solde ? ». On m’a dit que j’étais trop old school. J’avais les mêmes disques mais on me faisait passer pour l’after de Cut… A l’époque, le terme « old school » était plus une insulte qu’autre chose. On était en fait tous employé à travailler pour Cut Killer et dorer son blason continuellement. Moi j’étais dans la case toxico donc ils disaient : « Deenasty, lui il est perdu, on l’oublie, bon débarras ». Ce n’était juste plus supportable.

Cut Killer Double H - Dee Nasty - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu te plaignais d’ailleurs à cette époque de ne plus recevoir les disques des labels et qu’ils allait tous chez Cut Killer…
Dee Nasty : Ouais, c’était ça. J’en recevais un peu mais le problème à l’époque, c’est qu’il y avait des mecs qui travaillaient à la poste de Riquet et qui me prenaient tout avant que ça arrive. J’avais juste l’avis dans la boîte aux lettres. Du coup, j’allais directement voir les labels pour récupérer les disques. À ce moment-là, j’allais régulièrement à New York. Il y avait des soirées où ça passait beaucoup de rap français. J’ai fait beaucoup de promotion de rap français, qui était à mes yeux à ce moment arrivé à son âge d’or. Il était en cohérence totale. Il y avait un magasin de skeud « Liquid Sky » à Alphabet City qui voulait faire un bac de rap français. J’y jouait le week end que du rap français et ça avait commencé a fédérer tous les expatriés et des américains intéressés par ça. Les labels comme Nouvelle Donne ou Double H me disaient « mais on s’en fout de vendre dix pièces à Manhattan« . Dommage, cela les intéressait beaucoup. En considérant déjà les 80 000 jeunes haïtiens francophones qui kiffaient le rap, plus les « expats« , ça faisait du monde.

DWT : Tu as sûrement la collection de vinyles la plus importante de France en matière de hip hop et d’électro funk. C’est un héritage important pour ton enfant…
Dee Nasty : Oui, en gros 25 500 disques. Ca fait cinq tonnes. C’est un héritage un peu lourd. (rires) Le temps qu’elle fasse le tour de tout ce qu’il y a… Est-ce qu’en grandissant, elle va aimer ces disques-là ? Je pense que oui mais ce n’est pas forcément un cadeau. Elle a des goûts divers et variés comme un enfant de onze ans. Moi par exemple à cet âge, j’aimais encore Claude François. Elle sait que ça va être ses disques alors elle me dit d’en prendre bien soin. Et après, qu’est ce qu’elle va en faire ? Ça prend beaucoup de place. Elle aura de quoi se souvenir de papa, ça c’est sur (rires).

DWT : Premier vinyle ?
Dee Nasty : C’était une compilation, Dance For Ever, avec No Milk Today et Fever. J’étais en colonie de vacances. J’étais tombé amoureux d’une fille de mon âge lors d’une boum et il y avait ce disque qui passait. Je voulais absolument retrouver ce disque au Prisunic ou Monoprix de Montrouge (rires). J’ai aussi trouvé peu après un 45 Tours sur un marché, Les Poppys.

DWT : C’est notamment durant ton « époque coursier » que tu as récupéré pas mal de vinyles dans les maisons de disques…
Dee Nasty : Pas dans les maisons de disques, bien que je dépouillais les colis des postes. Mais il n’y avait que de la merde, alors j’ai arrêté de le faire. J’en prenais un ou deux et puis je refermais le colis (rires). Ils ne sont rendus compte de rien. Coursier me permettait surtout de passer chez tous les disquaires.

Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés.

DWT : Le dernier Kendrick Lamar ou Young Thug, tu l’as par exemple ?
Dee Nasty : Non parce que c’est un budget. Il faut que je ramène de l’argent à la famille. J’ai déjà claqué pour 25 000 disques tout seul. Ce n’est pas tombé du ciel. On m’en a offert très peu. Ça a été le budget numéro un pendant très longtemps. Ça fait que quelques années que j’ai réussi à me sevrer de cette envie irrépressible d’aller acheter les dernières nouveautés. Une fois que tu as loupé plein de choses, t’es moins pressé, c’est pas grave. Je le trouverai plus tard. Je reste ouvert à ce qu’il se fait mais comme ce que j’aime ne sort pas en vinyle, du coup je vais me les faire presser. Il y a par exemple du rap australien en ce moment qui est très bon. Nous sommes aussi en plein âge d’or dans le rap latino.

DWT : Si tu devais en garder un seul pour l’emmener sur une île déserte ?
Dee Nasty : The Isley Brothers avec The Heat Is On de 1975 avec le fameux For the Love of You et Fight The Power. C’est mon groupe fétiche avec Slave.

DWT : Comment se fait-il que ta passion pour la musique ne t’ait jamais conduit à ouvrir ton propre disquaire ?
Dee Nasty : J’y pense encore. Mais il me fallait un apport. Aujourd’hui ce serait plus un bar qui fasse en même temps dépôt de disques. Pour les gens du quartier. Servir des verres et passer des sons. Avec une cave pour faire passer des gars. Un truc en gérance. Ça fait dix ans que j’y pense vraiment. J’attends l’opportunité.

Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style.

DWT : Tu as des conseils à donner aux jeunes qui se lancent dans ce délire du vinyle ?
Dee Nasty : Ça dépend si tu es collectionneur ou DJ. Le DJ est un peu attaché à la nouveauté s’il veut être parmi les premiers et se démarquer des autres par rapport au style qui est joué. Le conseil : c’est de trouver sa propre identité et de défendre son style. Ça servira dans le futur pour dire que c’est untel qui a défendu tel ou tel style. Surtout qu’avec internet, les disques ont tous la même valeur partout. Même sur une brocante, les gars savent ce qu’ils vendent. C’est de plus en plus difficile de faire des bonnes affaires. J’ai personnellement quelques connections comme à Miami où on me prépare des lots. J’attends d’en avoir une cinquantaine pour me les faire envoyer.

DWT : Quel est pour toi le DJ le plus technique de France ?
Dee Nasty : Il paraît que c’est Logilo. Après c’est à Crazy B de le dire et de savoir où il se positionne. Logilo a fait plusieurs fois les championnats, Crazy B aussi. Est-ce qu’ils se connaissent ? Est-ce qu’ils s’apprécient ? Qu’ils partagent leurs techniques l’un et l’autre. Après, il y en a qui sont dans l’ombre comme DJ Hitch qui est exactement au niveau de ces deux là. En tout cas, pour finaliser le truc, c’est des Zektariens des platines, ils sont très très hauts. Après, c’est a chacun d’apprécier la musicalité de l’un ou de l’autre. C’est des gars qui ont amené le djing tellement haut…

DWT : Qu’elle est ta spécialité pour ta part ? Cut, passe passe ou plutôt scratch ?
Dee Nasty : Les trois. C’est la même chose. Moi, ma particularité, c’est le « Percu Scratch ». C’est moi qui ait inventé le nom pour que ce soit reconnu par la Spedidam et la SACEM. Il y a le mot « percu » dedans donc à partir de là, tu peux être perçu comme un vrai musicien. Je suis un DJ complet qui peut à la fois être soliste, rythmique et ambiant.

DWT : Et de tous les temps, qui est pour toi le plus gros tueur aux platines ?
Dee Nasty : J’ai beaucoup d’affection pour QBert. On est né sur la même planète, Zektar ! Il est tellement gentil. C’est un amour. Il a sauvé le scratch. Il a inventé le terme de turntablism.

DWT : Si on devait passer un titre à ton enterrement, tu aimerais lequel ?
Dee Nasty : « Fight the Power » en hommage aux Isley Brothers (1975).

Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion.

DWT : Maintenant que Bernard Zekri reprend la tête de Radio Nova via Matthieu Pigasse, penses-tu que nous ayons une chance de t’entendre à nouveau là-bas ?
Dee Nasty : J’en rêverai mais je ne sais pas. En plus, je sais ce que je ferai. Ce serait un global hip hop comme ce que je fais pour RFI. Ma mission a toujours été de faire connaître aux gens tout ce à quoi ils n’avaient pas accès. Enfin, faire circuler l’information et la passion. Au sein de Nova ce serait encore mieux. J’aimerai d’ailleurs qu’ils défendent vraiment mon dernier album et pas juste deux mois en playlist. Il y a plusieurs morceaux dont ceux avec Rachid Taha qui le méritent. Mon album a environ six mois de vie. J’espère qu’il ira jusqu’au printemps. Nova ne l’a pas fait sur les albums précédents, donc j’espère que ce sera le cas sur celui-ci. C’est peut être mon dernier album en tant que tel alors j’espère vraiment.

DWT : Comment qualifies-tu ton entêtement et ta détermination ?
Dee Nasty : Je dirai que c’est un contrat de vie ! Passion, partage et surtout beaucoup d’amour.

Propos recueillis le 13 novembre 2015 par FLo, Fati et Alain Garnier. Photos par © Alain Garnier. Remerciements à Jow-l et Frédérique, Les Disques Pirates. Dédicace à la Zulu Nation France. Peace, love, unity & havin’ fun.

Fab Five Freddy les bons tuyaux

Interviews
Bramly, Fab Five Freddy, Lionel D, solo, Zekri

L’histoire intéressante qui est liée à « comment le hip hop a commencé en France », je crois que c’est quand j’ai rencontré François Bizot à Paris en 1980…

Fab Five Freddy - Exclu Down With This - DWT Magazine

Fab Five Freddy – Photo D.R.

On y est : l’un des plus anciens activistes du hip hop a accepté de répondre en exclusivité aux questions du plus ancien média hip hop de France ! Quoi de plus étonnant finalement puisque DWT, c’est définitivement le média le plus funky de France, qui continue de glisser sur la tête des « journalistes du hip hop » en place ! Véritable touche à tout artistique, original de chez original, old timer de chez old timer, ami du tout New York puis de l’ensemble du mouvement hip hop mondial qu’il a vu naître et exploser, notre hôte du mois est aussi « le journaliste » qui a rencontré la totalité des plus grands représentants de notre culture lors de ses célèbres interviews. Un peu comme nous en somme (rires). A la différence près que ce dernier est nettement plus intéressant que les 3/4 des rappeurs français réunis ! Voici donc le bien nommé, l’inégalable, l’ineffable, le fabuleux, Fab5 Freddy himself ! Qui n’a pas attendu son épopée journalistique chaque semaine sur « Yo ! MTV Raps » ?! Ses interviews improbables dans le vrai « terter » du hip hop, entre le Bronx et Compton mais aussi de part le monde : Japon, Allemagne ou même la France qu’il connait très bien. Nous aurions pu échanger toute la nuit sur les anecdotes qui ont jalonnées sa vie. L’homme qui a côtoyé et signé les interviews de toutes les vraies légendes du hip hop, voir même leurs clips, nous répond enfin. C’est définitivement pour vous et avec honneur sur DWT MAG.

Down With This : Tu es né à Brooklyn en 1959, quel genre de quartier était Brooklyn à l’époque ?
Fab Five Freddy : Brooklyn a toujours été un quartier ouvrier, de classe moyenne.

J’ai commencé à peindre dans la rue, à faire des graffs et puis je me suis rendu compte que je voulais devenir un artiste « sérieux ». Tu sais, petit, j’étais toujours fourré dans les musées, je séchais les cours pour aller au musée et puis j’ai tilté.

DWT : De là, tu fais tes premiers pas dans l’art via la peinture ?
Fab Five Freddy : Oui, j’ai été l’un des premiers à venir du graffiti pour arriver dans le monde de l’art et à faire des expos dans des galeries et dans plein d’autres endroits. J’ai commencé à peindre dans la rue, à faire des graffs et puis je me suis rendu compte que je voulais devenir un artiste « sérieux ». Tu sais, petit, j’étais toujours fourré dans les musées, je séchais les cours pour aller au musée et puis j’ai tilté. Les artistes pop étaient inspirés par les mêmes choses que les graffeurs : les cartoons, la pub, et j’ai réalisé qu’il existait un lien et que je voulais développer ce lien en tant qu’artiste.

DWT : Parles nous de ton arrivée dans le crew mythique The Fabulous 5, au coté du légendaire Lee Quiñones ?
Fab Five Freddy : En fait, je n’ai pas participé à ce que The Fabulous 5 avait réalisé sur les trains, je suis arrivé vers la fin mais j’avais dans l’idée d’amener tout ça à un autre niveau : dans le monde de l’art. J’ai rencontré Lee qui a parlé de moi à certains des membres d’origine, et c’est eux qui m’ont proposé d’en faire partie. Au début, c’était surtout Lee et moi qui avons aidé à développer tout ça dans le monde de l’art.

DWT : Tu côtoies par la suite des artistes comme Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat, Futura 2000, Rammellzee, Keith Haring, Kenny Scharf ! N’est-ce pas incroyable pour un petit gars venu de Brooklyn ?
Fab Five Freddy : Bien sûr, oui c’était cool. J’ai rencontré Jean-Michel à ses débuts, on essayait tous les deux de faire des choses similaires, on est devenu très proches et on partageait les mêmes idées sur la pop culture et sur une certaine manière d’intégrer ce mouvement. Puis, plus tard, nous avons rencontré Warhol, il était une véritable source d’inspiration pour plein d’artistes, et le fait qu’il aime beaucoup notre travail, ça nous a encouragé dans l’idée qu’on avait raison, qu’on était dans le vrai. On commençait à se faire un nom dans le New York underground alors le fait que des gens comme lui, qu’on admirait, apprécie notre travail, c’était encourageant, ça prouvait qu’on avait raison. Il savait que j’avais peint un train de boîte de soupes, que c’était un hommage envers lui et son travail. C’était aussi un message adressé aux autres graffeurs pour leur dire qu’on pouvait peindre sur autre chose que sur des trains, qu’on pouvait y mettre autre chose que son nom. L’idée c’était d’inspirer d’autres graffeurs et de montrer aux gens du milieu de l’art, qu’on connaissait l’art moderne, ou du moins certains d’entre nous comme moi ! (rires)

C’était aussi un message adressé aux autres graffeurs pour leur dire qu’on pouvait peindre sur autre chose que sur des trains, qu’on pouvait y mettre autre chose que son nom.

DWT : Qui est le premier français que tu rencontres dans le milieu hip hop ?
Fab Five Freddy : En fait, je n’ai pas rencontré de français dans le hip hop ! L’histoire intéressante qui est liée à « comment le hip hop a commencé en France », je crois que c’est quand j’ai rencontré François Bizot à Paris en 1980… Je venais de Milan avec Lee où avaient lieu les premières expositions sérieuses de nos peintures, à Rome puis à Milan en Italie, et je suis allé pour la première fois à Paris et j’ai rencontré Bizot. L’un des membres d’un nouveau groupe de new wave les Talking Heads, David Byrne, m’a présenté Bizot et lui a dit que j’étais en train d’initier cette nouvelle culture à New York. Bizot a voulu me rencontrer, je suis allé dans les bureaux du magazine Actuel et il m’a dit « je vais envoyer un groupe de journalistes à New York pour écrire un grand article sur tout ce qui se passe et je t’envoie quelqu’un pour écrire spécialement sur toi ». Et cette fille Elisabeth D est venue et je l’ai emmené dans le Bronx, dans mon art, dans mon studio, et chez mon autre ami Keith Haring. Elle a écrit un grand article, et cet article a permis aux gens en France de connaître cette culture. Le mec qui écrivait pour Actuel à New York, s’appelait donc Bernard Zekri, il a aidé à coordonner tout ça. Nous sommes devenus de bons amis. Il pensait que je devais faire un disque en français… Tu sais j’avais pas d’argent à l’époque et je n’étais pas un rappeur. Je pouvais rapper mais je n’essayais pas d’en être un. Il m’a dit « mec, on pourrait faire un disque, je connais un label qui pourrait produire, je pourrai t’apprendre à rapper en français ». Je trouvais cette idée folle mais je me suis dis « ok essayons« . J’avais besoin de me faire quelques dollars pour payer mon loyer, je ne me faisais pas d’argent encore, et j’ai fait ce disque qui est devenu « Change the Beat ». Le mec du label était super excité car il voyait que des choses commençaient à se passer à New York, que la presse commençait à s’intéresser à ce qu’on faisait, et il a voulu sortir plusieurs disques. Il a appelé Futura, DST, Phase 2 et un autre mec (ndlr : The Smurfs), il y a eu 5 autres disques avec le mien. Mon disque a fait démarrer le projet et la maison de disque a décidé de sortir une série de ces disques. Puis Bernard Zekri a rassemblé tous les disques des autres artistes et a organisé une tournée en 1982 et nous avons parcouru la France.

Mon disque a fait démarrer le projet et la maison de disque a décidé de sortir une série de ces disques. Puis Bernard Zekri a rassemblé tous les disques des autres artistes et a organisé une tournée en 1982 et nous avons parcouru la France.

Au début, il y avait moi, Bambaataa, le Rock Steady Crew, plus de trente personne qui voyage en France pour faire ce qui est devenu le premier show hip hop en Europe, DJ, Scratching, du graffiti sur scène, du breakdance et tout ça en même temps. Les français venaient partout où on allait et ils regardaient, ils apprenaient et juste après ça a commencé à se développer en France. On n’a jamais pensé que ça allait prendre cette tournure, lorsqu’on regarde en arrière, c’est une très belle chose d’avoir développé cette culture et de l’avoir montré aux français qui ont dit « ok, on va plonger là-dedans et en faire notre propre version ». Et puis, Bernard est devenu quelqu’un d’important dans les médias en France, à Canal + et tous ces gros trucs.

Fab 5 Freddy - Change the beat - Celluloid - DWT Magazine - Down With This

DWT : Tu les as inspiré mais as-tu conscience d’avoir évangélisé la jeunesse française au hip hop lors de la tournée New York City Rap en 1982 ?
Fab Five Freddy : Je ne me rendais compte de rien, c’est bien plus tard, lorsque j’ai vu qu’ils étaient à fond ! Au début, je me suis dit on va aller en France, on va s’amuser, les gens ne comprenaient pas notre anglais mais ils aimaient l’attitude, l’énergie, voir des noirs, des portoricains, des gens de couleurs sur scène avec une attitude de la rue qu’ils n’avaient jamais vu avant. Ils comprenaient bien plus que ce que l’on pensait et c’est là qu’on a compris. Puis ça s’est développé très vite et on savait qu’ils s’étaient inspirés de tout ça car la culture a vraiment émergé.

Les gens en France étaient très ouverts, réceptifs, intéressés par ce que l’on faisait.  C’était très excitant car ça n’avait même pas encore commencé à devenir important en Amérique !

DWT : Quel regard as-tu sur la France et sur Paris plus particulièrement ?
Fab Five Freddy : C’était cool, c’était Paris : marrant, génial ! Les gens étaient très ouverts, réceptifs, intéressés par ce que l’on faisait.  C’était très excitant car ça n’avait même pas encore commencé à devenir important en Amérique ! Les gens en France et dans d’autres endroits en Europe comme l’Angleterre, Amsterdam étaient très très excités, bien plus que l’Amérique l’était je dois dire. Le hip hop à l’époque était juste un phénomène à New York : cette culture ne s’était pas encore développé dans tout le pays. La France s’y est intéressée plus sérieusement parce qu’il y avait moins de racisme, ou un type de racisme différent qu’en Amérique. C’était très bien.

DWT : Quelle image gardes-tu de cette tournée ?
Fab Five Freddy : Je ne sais pas s’il y a un souvenir marquant. Le fait de le faire, que les gens aient aimé… On savait qu’ils ne comprenaient pas ce qu’on racontait mais ils captaient quand même le rythme, la force, l’attitude. C’était juste marrant d’être à Paris, j’étais le seul à y être déjà venu (ndlr : on corrige car Mr Freeze RSC y avait déjà mis plus que les pieds…) et tu sais, il y avait un bel accueil, on a rencontré des gens très cools, les gens étaient très gentils avec nous. On a été aux Bains Douches, qui était un club très en vogue à cette époque, ou dans une autre grosse boîte, Le Palace. Il y avait des gens formidables partout, c’est ce dont je me souviens. C’était cool, on nous traitait bien.

DWT : Parle-nous également de Sophie Bramly et du travail de photos qu’elle avait si bien mené à vos côtés…
Fab Five Freddy : Et bien Sophie trainait à New York, elle était amie avec Bernard, donc je la voyais pas mal dans différentes fêtes, et comme nous démarrions l’aventure à New York, elle était là tout le temps. Elle était super, pleine d’énergie, prenant des photos, tout le monde aimait bien Sophie donc elle a vraiment traîné avec nous. Je crois qu’aucun journaliste américain n’a fait partie de la culture comme elle. Elle observait tout cela très sérieusement et ses photos montrent qu’elle comprenait que c’était spécial, intéressant. Elle était brillante, elle était vraiment en avance par rapport à plein de gens en Amérique. Elle savait capturer ces moments et elle était aussi l’exemple incarné de la manière dont les français nous traitaient, ils étaient ouverts et intéressés par cette nouvelle culture. Les américains n’avaient pas encore compris que quelque chose de puissant était en train de se produire.

Beaucoup d’artistes de cette époque, qui sont devenus énormes comme Tupac, Snoop, ont fait leur première grande interview avec moi sur MTV.

DWT : Beaucoup de monde aurait voulu être à ta place à l’époque de « Yo ! MTV Raps », tu connais tout le monde dans le hip hop et tu as parcouru la terre entière grâce à lui. Quel est ton meilleur et ton pire souvenir de cette époque ?
Fab Five Freddy : Oh man ! Le meilleur c’était de rencontrer des artistes différents dans différents endroits où je n’avais jamais été. Je pouvais rencontrer ces nouvelles personnes et leur poser des questions, un peu comme ce que tu fais avec moi. Savoir comment tu es arrivé là-dedans, qu’est-ce qui t’inspire, tout le monde a une méthode différente et une histoire différente. Le grand souvenir est que c’était cool de rencontrer ces nouvelles personnes partout où j’allais ! Beaucoup d’artistes de cette époque, qui sont devenus énormes comme Tupac, Snoop, ont fait leur première grande interview avec moi sur MTV parce que c’était la seule émission qui les montrait à travers le pays et le monde, donc c’était un truc très spécial tu sais. Le pire souvenir ? Je ne peux pas penser à un pire souvenir, je ne les garde pas en tête, j’avance.

DWT : Vous aviez reçu notamment le groupe IAM et MC SOLAAR et son DJ Jimmy Jay. Que pensais-tu à l’époque de « Yo ! MTV Raps » du niveau de la scène rap en France ?
Fab Five Freddy : J’ai interviewé MC Solaar et j’ai réalisé le clip du titre de Guru avec MC Solaar « Le Bien, le Mal » à Paris. Je pensais que c’était génial qu’ils en soient là, de voir les français s’impliquer dans la culture, faire leur propre truc, c’était parfait.

Ils m’ont emmené dans un magasin qui s’appelait Ticaret, les mecs de la boutique étaient venus voir le premier « New York City Rap Tour » ! Ils m’avaient expliqué comment ils sont sortis du show, comment ils avaient été inspiré et développé la culture hip hop en France.

DWT : Parle-nous plus particulièrement de l’ambiance du tournage de ce clip ?
Fab Five Freddy : Bien, marrant. Je faisais mon truc. C’était super. Tout était super. En gros me voilà de retour à Paris 10 ou 12 ans plus tard et en préparant ce clip et je pouvais voir à quel point le hip hop avait grandi. Ils m’ont emmené dans un magasin qui s’appelait Ticaret, les mecs de la boutique (ndlr : Dan notamment) étaient venus voir le premier « New York City Rap Tour » ! Ils ont été influencés à ce moment-là et ont développé ce qu’ils faisaient. Ils m’avaient expliqué comment ils sont sortis du show, comment ils avaient été inspiré et développé la culture hip hop en France. J’étais halluciné d’écouter cette histoire et de rencontrer tous ces gens différents !

DWT : Es-tu toujours proche de la Zulu Nation et de ses valeurs ?
Fab Five Freddy : Je ne dirais pas proche, je veux dire que j’adore ce qu’ils font, Bambaataa est un bon ami mais je suis juste content que ça continue, que ça donne aux gens une identité, que ça aide les gens à regarder l’Afrique d’une manière forte et progressive. A cause du racisme en Amérique, beaucoup de gens ont appris à mépriser l’Afrique, car l’Afrique avait été abusée par de nombreux pays européens. Ce pays est construit sur le travail des esclaves et les esclaves venaient d’Afrique donc c’est intéressant de connaître toute cette histoire et que des gens aident les jeunes à voir l’Afrique d’une nouvelle manière avec le Zulu Nation. Tout le concept qui a inspiré tout cela est une bonne chose, une très bonne chose.

DWT : Avec du recul, penses-tu que d’importer la culture hip hop du Bronx dans les night clubs de downtown New York via le Negril et le Roxy a été bénéfique pour l’évolution de la culture et de ses activistes ?
Fab Five Freddy : Qu’est ce que tu en penses ?

DWT : Je pense que ça l’était !
Fab Five Freddy : C’est clair, tu as raison ! C’est évident !

DWT : En étais-tu conscient à l’époque ?
Fab Five Freddy : Je l’étais ! J’étais très conscient de ce que j’essayais de faire, d’amener, et en dehors des gens qui y participaient, personne ne considérait cela sérieusement. Pour moi, c’était très sérieux et il fallait le médiatiser, le présenter à d’autres gens pour trouver plus de soutiens. C’est une des choses que j’ai faite aussi pour aider les gens à comprendre mon propre travail et qui j’étais. En Amérique, on véhiculait une image très négative et aussi très raciste de New York, et je voulais créer une perception plus forte, une image claire, précise. C’est aussi ce qui m’a motivé à faire ce qui a conduit au premier film hip hop Wild Style, montrer ce que nous faisions vraiment afin que les gens puissent mieux comprendre ce que c’était.

Beat Street n’est pas considéré comme le film classique de cette période, Wild Style l’est. Beat Street a servi de vitrine à plein de gens auprès d’un large public, il arrive après que tout ait été dit et fait, si tu veux voir la réalité : tu regardes Wild Style.

DWT : Tu viens d’évoquer Wild Style, quelle différence fondamentale fais-tu entre un film comme Beat Street et Wild Style dans lequel tu as joué ?
Fab Five Freddy : On ne pas comparer. Wild Style a été fait par de vraies personnes de la scène. Beat Street a essayé de faire une version hollywoodienne à gros budget de ce que nous avions déjà fait. Tu sais Beat Street n’est pas considéré comme le film classique de cette période, Wild Style l’est. Beat Street a servi de vitrine à plein de gens auprès d’un large public, il arrive après que tout ait été dit et fait, si tu veux voir la réalité : tu regardes Wild Style. Dans ce film, tu peux facilement sentir à quel point c’est vrai. Et c’est-ce que nous voulions faire depuis le début : nous voulions faire quelque chose qui était aussi réel que nous.

DWT : En France, tu es perçu comme étant le mec le plus « cool » de New York, tu en as conscience ?
Fab Five Freddy : Non pas vraiment. Pas dans ce sens. C’est gentil, je suis flatté mais il y a plein de gens qui sont cools…S’ils comprennent les choses que j’ai faites pour que les gens connaissent la culture, si c’est considéré comme étant cool alors je le prends bien parce que je voulais que les gens nous voient avec une lumière différente. Il faut comprendre que toute la communication qui était faite autour des graffeurs était très négative, parce que c’était des noirs et des portoricains en majorité qui graffaient, il y avait des blancs aussi mais ils nous voyaient comme l’une des pires choses qui arrivait sans comprendre qu’il y avait de la créativité. J’ai aidé à montrer cela et c’est ce dont je suis le plus fier, dons si ça c’est être cool, alors je prends !

DWT : La peinture, le rap, la photo, l’écriture, le journalisme, le réalisation… finalement, tu sais presque tout faire. Où pouvons nous voir ton travail, notamment tes toiles ?
Fab Five Freddy : Je ne suis pas un rappeur, mais j’ai rappé parfois, il y a des années. Comprends bien, je ne suis pas un rappeur bien que je sois un grand fan. Je suis un artiste, un réalisateur et j’ai aussi fait des trucs face caméra mais les choses principales que je fais : ce sont des peintures. Mais comme je te dis, j’ai participé aussi à de grands projets cinématographiques et télévisuels. Je n’ai pas de galerie à Paris qui me représente pour le moment mais j’espère que ça sera bientôt le cas pour qu’on puisse voir mon travail.

Il faut comprendre que toute la communication qui était faite autour des graffeurs était très négative, parce que c’était des noirs et des portoricains en majorité qui graffaient, il y avait des blancs aussi mais ils nous voyaient comme l’une des pires choses qui arrivait sans comprendre qu’il y avait de la créativité.

DWT : Un petit mot pour la scène hip hop française ?
Fab Five Freddy : Oui je peux dire plein de trucs. Je pense que la chose la plus importante sur le hip hop en France, c’est que ça a donné une voix aux noirs, aux maghrébins, aux gens pauvres. Une voix que les jeunes n’avaient pas aussi. Ils n’avaient pas de moyen d’exprimer ce qui se passait réellement. Tu sais, j’étais à paris il y a quelques semaines, j’ai dîné avec Lucien et Matthieu Kassovitz, le réalisateur de la Haine chez Sophie et on a parlé de l’histoire du hip hop en France, on a parlé de ce qui se passe en Amérique en ce moment avec les noirs. C’était une super conversation qui m’a montré que plein de gens du hip hop en France, à Paris, sont très conscients des luttes que nous avons encore ici en Amérique et je suis conscient comme beaucoup d’autres des luttes que les gens de couleurs doivent affronter ici. La combat continue et j’ai été content de parler avec des gens qui connaissent bien cette histoire depuis ses débuts, des problèmes qui persistent dans les banlieues. Avec tout ce qui se passe, le hip hop est encore la voix des jeunes.

DWT : As-tu vu la Haine de Mathieu Kassovitz ? Qu’en as tu pensé ?
Fab Five Freddy : Oui bien sur je l’ai vu ! J’ai été impressionné, c’est un film génial, ça m’a montré ce qu’il se passait vraiment dans les banlieues. Ça m’a aidé à comprendre d’où venait la vraie énergie rap / hip hop de France, de ces gens qui vivent en dehors de la ville de la culture, c’est très fascinant. Tu sais en Amérique, quand tu dis banlieue, c’est une chose différente, ça veut dire que tu as une jolie maison, que tu as réussi. En France, quand tu vas en banlieue tu te dis que c’est ici le ghetto, c’est ce que ce film nous a appris pour nous. En général, quand je venais à Paris, je n’allais pas dans les banlieues pour voir où les vrais gens habitaient. On m’en parlait mais je ne comprenais pas vraiment. Puis j’ai appris ce que la banlieue voulait vraiment dire et le film de Matthieu a été très important pour cela.

DWT : Et pour finir en 2015, « Fab 5 Freddy told me everybody’s fly » ?
Fab Five Freddy : Ok. Tu veux parler du disque de Blondie ? Ca a été la manière de Blondie de s’imprégner de plein de choses que je lui apprenais sur la culture, je lui disais qu’il y avait des mecs fly, des filles fly, flash est le DJ le plus rapide et ça a été sa manière d’intégrer plusieurs choses que je lui enseignais, et d’en faire un disque. Oui, je pense que je lui ai vraiment dit ça, dans le monde du hip hop, c’était le genre d’argot qu’on utilisait. Etre fly, ça voulait dire que tu avais le bon style, que tu comprenais ce qu’il se passait dans la culture hip hop à cette époque.

J’ai grandi en sachant, que les gens en France et dans d’autres pays en Europe, traitaient les musiciens de jazz bien mieux qu’en Amérique. J’étais conscient de cela et j’ai été très heureux de faire partie du mouvement qui a étendu cette culture en France.

DWT : Merci beaucoup pour l’interview, c’était très cool…
Fab Five Freddy : De rien ! Comme je te l’ai dit j’ai toujours eu un lien très fort avec les gens en France, j’ai tant appris. Une partie de mes racines vient du jazz, mon père était un ami intime de Max Roach qui était un batteur de jazz très important dans les années 1950. J’ai grandi en sachant, que les gens en France et dans d’autres pays en Europe, traitaient les musiciens de jazz bien mieux qu’en Amérique. J’étais conscient de cela et j’ai été très heureux de faire partie du mouvement qui a étendu cette culture en France. Les gens nous traitaient de la même manière que les musiciens de jazz, avec plein d’amour, de compréhension, et ça dès les débuts, il n’y avait pas le racisme et l’ignorance que les gens de cette culture ont dû gérer en Amérique. Même si j’ai remarqué des problèmes en France, les français ou beaucoup d’entre eux comprennent très bien la créativité, et c’est génial. Le meilleur reste à venir, j’en suis sûr. Les gens sont inspirés et vont vers de nouveaux moyens d’expression avec cette culture.

Opération Yoshi Omori

Interviews
Jay One, JayOne, Mouvement, solo, Stalingrad, Yoshi Omori

J’ai eu la chance d’assister à des instants très forts qui représentent un grand cadeau dans ma vie quand j’y repense.

Le 22 novembre aura le lieu le vernissage de l’exposition 1986-1989 du photographe Yoshi Omori à la Galerie Lano au 3 rue de Lanneau dans le 5ème arrondissement de Paris (métro Maubert Mutalité). Cet événement présentera le travail jusqu’à lors inédit du photographe lors des années myhiques du terrain vague de Stalingrad et des soirées magiques du Globo. Vous y découvrirez pour la première fois de nombreux clichés jamais révélés au public mais également quelques tirages issus du livre culte Mouvement, co-écrit par JayOne et Marc Boudet. Cette exposition exceptionnelle se poursuivra en ligne sur notre site du 24 novembre au 15 décembre 2013 (voir les œuvres ici). En attendant, voici en exclusivité quelques réponses aux questions que Yoshi Omori a eu l’amabilité de nous accorder.

Down With This : Sur quelle idée te retrouves-tu en France ?
Yoshi Omori : Je suis d’abord arrivé en provenance du Japon jusqu’aux Etats-Unis. J’ai ensuite voulu voir un peu l’Europe, ses traditions, etc… et j’ai atterri à Aix-en-Provence. Un après-midi, je suis tombé par hasard sur un bouquin de photo dans une librairie. En sortant de là, après avoir regardé toute l’après-midi des livres sur le sujet, j’ai décidé de devenir photographe. J’ai cherché un peu partout pour apprendre la photographie mais je me suis vite rendu compte que l’école et les études coûtaient trop cher. Je suis monté à Paris pour continuer d’apprendre comme je pouvais. J’étais alors logé chez Marc Boudet (ancien journaliste, co-auteur du livre Mouvement) qui habitait à deux pas du terrain vague de Stalingrad. C’est dans cet endroit que Marc m’a emmené et c’est ainsi que j’ai commencé à y faire mes toutes premières photos.

J’ai eu la chance d’assister à des instants très forts qui représentent un grand cadeau dans ma vie quand j’y repense.

DWT : Comment les activistes hip hop de l’époque percevaient-ils ton travail au terrain ?
Yoshi Omori : Il y en a qui se barraient quand ils me voyaient arrivé (rires). Je les recroise maintenant et on en rigole. Mais l’accueil était très bon. Finalement, je n’avais pas trop de difficultés à prendre des photos, les gens étaient ouverts. J’ai eu la chance d’assister à des instants très forts qui représentent un grand cadeau dans ma vie quand j’y repense.

DWT : Qu’est-ce que ce lieu exprimait pour toi à ce moment alors que tu débarquais du bout du monde ? Tu étais surpris par ces gens, cette énergie, ces graffs ?
Yoshi Omori : C’était frais, très flash. Je ne connaissais pas le hip hop, je découvrais. Tout était nouveau pour moi. J’écoutais un peu de jazz au Japon mais c’est tout. Ce que j’allais découvrir allait être un peu différent ! (rires) J’ai rapidement fait la connaissance de JayOne, JonOne, Mode2…  Je les suivais ensuite dans d’autres pays comme en Angleterre, Italie ou Allemagne. J’ai photographié pendant trois ans ces moments magiques, de 1986 à 1989. Lorsque certains d’entre eux ont commencé à peindre sur toile, j’ai voulu me diriger vers autre chose et petit à petit, à partir de 1989, je m’en suis éloigné. J’avais l’envie de travailler en noir et blanc, sur des trucs plus personnels, et de voyager. J’ai alors baroudé pendant quatre ans un peu partout dans le monde.

DWT : Tu as découvert des énergies similaires à la culture hip hop lors de tes voyages ?
Yoshi Omori : C’était autre chose. Les voyages constituent déjà une forme d’énergie. Je voulais devenir photographe. A partir du moment où je photographiais de nouvelles choses, des découvertes, cela me comblait. Je ne faisais que ça, je ne pensais pas à autre chose. Je n’étais que dans les instants que je captais avec mon objectif.

DWT : L’année dernière, le livre Mouvement a enfin révélé les rares photos prises à Stalingrad et au Globo. Cette publication était-elle importante pour toi ?
Yoshi Omori : L’impulsion de cet ouvrage vient de JayOne. On a commencé en à discuter vers 2006/2007. Je suis très satisfait de ce livre et j’ai été très touché que les gens l’aient apprécié à leur tour. Il y avait eu dans le passé, au début des années 1990, une approche de Françoise Verny, ancienne directrice de Flammarion, qui était intéressé par mes photos. Cela n’avait pas abouti car le cinéaste Cyril Collard, l’auteur qui s’occupait de ce projet, est décédé du SIDA avant que ce projet se concrétise. Ce gars connaissait bien les gens du terrain de Stalingrad. Mes photos de cette époque n’ont vu le jour que l’année dernière dans le livre Mouvement et c’est très bien ainsi.

Il y avait une énergie particulière, ils créaient une autre dimension. C’est ce côté particulier qui m’avait attiré.

DWT : Tu as continué de photographier les artistes du mouvement au fil des années jusqu’à maintenant ?
Yoshi Omori : J’ai fait ce travail avec JayOne car j’ai continué, et je continue, de le voir régulièrement. Mais pour moi, ce qui était intéressant, c’était ce qu’ils faisaient dans la rue, avec le paysage urbain. Il y avait une énergie particulière, ils créaient une autre dimension. C’est ce côté particulier qui m’avait attiré. Lorsqu’ils se sont appliqués sur toile, cela devenait pour moi leur univers personnel. C’était un peu trop jeune pour moi de travailler sur des portraits d’eux et de réussir à les interpréter. Maintenant, je peux.

Propos recueillis le 16 octobre 2013 par Nobel – Photo portrait de Yoshi Omori par © Louis Bottero

Kohndo, néoréalisme

Interviews
Kohndo, L'Indis, solo

Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap…

Les sonorités des bars de l’île de Koh Phangan en Thaïlande raisonnent alunissons. On écoute de tout sur Sairee Beach : électro, reggae, soul, rap. Il existe une île semblable à cela dans le hip hop français, celle de Kohndo. Un endroit rare, là où un artiste s’accorde le droit à l’éclectisme, celui d’un être serein et heureux de ce que la vie lui a mis au travers de sa route, après avoir collaboré avec La Cliqua et tant d’autres en France. L’artiste fait le pont avec les Etats-Unis en taffant avec Fred Wesley, Slum Village, Dwele, Guilty Simpson, Rasco, Teron Beal ou dernièrement Brother Amir. Le parcours artistique n’en est pas moins semé d’embûches mais l’état d’esprit est ouvert et positif, tant mieux, il va de paire avec l’esprit originel de la culture de base qu’il a épousé depuis bien longtemps. Kohndo est un musicien talentueux, cohérent et kiffeur de sons invétérés. Nul doute sur sa présence dans votre média hip hop 100% canal historique. D’ailleurs le son de Kohndo est le seul ghetto dans lequel nous accepterions volontiers de nous faire enfermer. Flo

Down With This : Quels sont tes rapports avec le Benin et l’Afrique en général ?
Kohndo : J’ai 38 ans je suis né à Saint-Cloud. Mes parents étaient en instance de divorce. Comme beaucoup de femmes africaines, ma mère subissait des violences conjugales. C’est pourquoi je suis retourné au Benin à l’âge de six mois afin qu’elle puisse finir ses études en génie civile, le plus sereinement possible. J’ai été élevé jusqu’à l’âge de 3 ans et demi par mes grands-parents à Ouidah. La dernière fois que j’y suis allé, c’était à l’âge de 6 ans. Pour moi le Bénin, c’est mon socle, la culture de ma famille, le Fon, la musique, la cuisine, mes oncles, mes tantes (que j’ai deux trois fois au téléphone dans l’année), et récemment mon demi-frère et mon père avec qui j’ai renoué. Après la naissance de ma fille, cet événement a été majeur pour moi cette année. J‘aime la culture béninoise, le rapport à la langue. Chez nous on parle fon pour se dire des choses intimes mais quand on échange sur des sujets politiques, sociaux, intellectuels… il n’y a pas plus éloquent qu’un Béninois. Ma famille a un rapport à la langue française qui est fascinant. Moi je ne parle pas fon mais je le comprends très bien. Je m’intéresse aussi à l’histoire de ce pays. J’ai de nombreuses interrogations sur le rôle du Bénin dans la déportation des esclaves mais ça reste une question très épineuse. Moi je suis issu d’un famille d’ancien esclave Brésilien revenus s’installer au Benin. Mon père lui est d’Abomey et ma grand-mère était Yoruba. Le Bénin, c’est donc le rapport à mes ancêtres, à mon histoire. Je sens qu’un homme est plus solide quand ses racines sont bien encrés dans sa mémoire et dans son cœur.

Il n’y a pas plus éloquent qu’un Béninois. Ma famille a un rapport à la langue française qui est fascinant. Moi je ne parle pas fon mais je le comprends très bien. Je m’intéresse aussi à l’histoire de ce pays. J’ai de nombreuses interrogations sur le rôle du Bénin dans la déportation des esclaves mais ça reste une question très épineuse.

DWT : …et l’Afrique en générale ?
Kohndo : Je n’ai jamais fais de concert là-bas, par contre je suis allé à Ouagadougou en 2005 pour monter un studio d’enregistrement avec mon associé Burkinabé Yolsé à la suite du décès de notre autre associé Daniel. Je me suis occupé de mettre en place la régie technique et j’ai assuré la formation deux techniciens du son. J’ai aussi collaboré avec quelques MC et chanteurs Burkinabés. Aujourd’hui, le studio Greenstone est le deuxième studio du Burkina. On y fait de la réalisation audiovisuelle et de la production de disque. Mais le développement et la réussite de ce projet sont avant tout l’œuvre de Yolsé. Sa rencontre a été primordiale dans ma vie artistique. Mon retour sur le continent en 2007 m’a apaisé. J’ai arrêté de penser au racisme latent, j’ai arrêté de compter le nombre de noirs présent dans l’assistance. Je m’y suis senti chez moi. J’y ai rencontré des gens qui me ressemble : calmes, ouverts et moins virulents que les jeunes de quartier avec qui j’ai grandi en France ou même mes compatriotes béninois. J’ai trouvé un pays qui correspond bien à mon état d’esprit.

DWT : Quels sont tes rapports avec la France ?
Kohndo : Je me sens africain par mes valeurs : le respect de l’autre, la bienveillance, le goût du verbe, la palabre, le goût des lettres, le respect des études, des ainés. Mais au niveau culturel et philosophique, je me rends compte que je suis le produit de l’école française. D’ailleurs, partir à l’étranger est la meilleure façon de répondre à cette question. C’est très intéressant de voir comment tu te définis quand t’es dans un autre Pays. Que ce soit à Varsovie, Londres, New York, Ouaga,… La première question qu’on te pose est « d’où tu viens, t’es de quel pays ? ». N’en déplaise à Marine Le Pen ou Eric Zemmour, comme beaucoup d’enfants d’immigrés, ma première réponse est « je suis français, je viens de Paris ». Suite à quoi, on me regarde généralement avec insistance et je réponds que je suis originaire du Bénin. Au fond, je me sens citoyen du monde, mais je suis avant tout un français. Il n’y a pas de honte à avoir. C’est là où je suis né, où j’ai grandi. Je connais la France de long en large, par les colos, les concerts, les ateliers, les rencontres… J’ai vécu dans le 93, à Bobigny, dans le 94, à Créteil, dans le 92, au Pont de Sèvres à Boulogne, Asnières, Colombes, Montrouge, à Paris, dans le 18ème, le 17ème. Mes amis vivent à Toulouse, Lorient, Château Thierry, Bordeaux. Je me sens français.

DWT : Dans quel contexte social as-tu grandi ?
Kohndo : Dans ma petite enfance, j’ai grandi chez mes grands-parents, à Ouidah. Mon grand-père était instituteur à la retraite et ma grand-mère commerçante sur  les marchés. Bref, une famille aux revenus modeste, le bas de la classe moyenne. Quand ma mère m’a repris à la suite de son divorce et la fin de ses études, elle et moi avons vécu en foyer quelques années puis dans un petit studio pour atterrir dans un appartement avec une autre famille. Nous étions six dans un deux pièces à Bobigny jusqu’à mes 10 ans. Je suis Parti de Bobigny à 12 ans.

DWT : Tu sens l’influence de ces moments et de cet environnement sur toi ?
Kohndo : Je n’étais pas dans les cités dortoirs. On était à la sortie des Courtilières, en face d’un terrain vague où j’ai fait les quatre cent coups. C’était la zone mais pour moi, c’était magique. La plus plupart des bâtiments ne faisaient que quatre étages, mais il y avait deux grande barres en guise de vis-a-vis mais ça ne faisait pas très « cité ». C’était un milieu prolétaire, avec pas mal d’ouvriers de Citroën à l’époque. J’ai l’impression d’avoir eu une enfance assez paisible et calme. Et puis, j’avais un sentiment d’échange entre voisins. Après Bobigny, j’ai été catapulté à Boulogne-Billancourt au Pont de Sèvres. C’était la première fois que je voyais des tours aussi hautes. Le Pont de Sèvres était découpé en trois. D’un coté, l’allée du vieux Pont de Sèvres où il y avait beaucoup d’ouvriers qui travaillaient chez Renault. En face, séparé par une grande allée marchande un quartier pour riches (les résidences Normandie) et à coté un ensemble d’HLM pour les fonctionnaires de la ville : la Place Haute, plutôt fréquenté par une classe moyenne. C’est là que j’habitais, rue Castéja. Au 4ème étage, il y avait Les Sages Po, au 5ème il y avait moi. Au départ j’étais dégouté de ne pas aller à l’école avec mes potes de quartier. Mais au final, je considère que j’ai eu de la chance. Même si c’était à l’autre bout de la ville, j’ai bénéficié d’un enseignement de qualité. Les profs étaient exigeants. Et c’est ce qui fait que j’ai pu avoir une éducation solide qui me sert encore aujourd’hui. Par contre, venant de Boboche, là où j’étais un élève brillant, je peinais à me maintenir au dessus de la moyenne malgré les efforts que je fournissais. J’ai tout de suite compris la notion de clivage sociale.  Il y avait des notions que je ne comprenais pas, comme partir en vacances durant l’année scolaire. Je n’avais la chance que d’aller en colonie qu’une fois par an. C’est déjà ça. Mais quand on te demande si tu vas à Avoriaz durant les vacances d’hiver… quand tu viens de Bobigny tu ne comprends pas. On était quatre noirs dans cet établissement, dont Dany Dan, Richard et une nana dont je ne me souviens plus le nom. Il y avait quatre ou cinq arabes et deux trois asiatiques. En dehors du collège, je traînais plutôt au Pont de Sèvres. J’ai toujours eu un pied dans les deux mondes. Ma mère est une des premières femmes noires à avoir été responsable d’une équipe technique et a fini à force de travail comme ingénieur en Bâtiment au sein d’une mairie de droite. Mais je l’ai vu subir le racisme et se prendre le plafond de verre en pleine gueule jusqu’à sa retraite ! Je ne suis pas un enfant qui traînait dehors car les études étaient importantes à la maison. Par contre j’ai toujours été impliqué dans la vie de quartier. Je répétait au BBADJ au Pont de Sèvres, j’y animais des open mic. J’ai même écris les premiers textes de LIM.

DWT : Tu as des bases musicales beaucoup plus proches des USA que de la France, comment l’expliques-tu et quels sont tes rapports avec ce territoire ?
Kohndo : Ma formation musicale a démarrée avec la discothèque familiale. Il y avait à 60% d’albums américains, 20% de français et 20% réellement africains. J’ai été nourri avec Isaac Hayes, Otis Redding, The Temptations, Diana Ross, Michael Jackson, Fela, Chief Ebenzaire, Bébé Manga, Moni Bilé, Jonas Pedro, Joe Dassin, Gainsbourg, c’était vraiment la grande sono mondiale à la maison. J’ai une mère mélomane et je crois que ça a démarré comme ça. C’est gràçe à elle que j’ai ce goût pour la bonne musique. Le fait aussi de vivre à Boulogne m’a donné aussi la possibilité d’avoir accès à la discothèque-médiathèque de la ville : une des plus grande discothèque de Jazz de France. C’est là où avec mon groupe Coup D’Etat Phonique, on allait se fournir en sample. Le responsable nous mettait des galettes de côté, du Miles Davis, du Booker T, du Coltrane… Finalement, toute mon éducation musicale s’est faite à cet endroit. À Boulogne, j’ai aussi bénéficié du câble télé. Cela voulait dire qu’à 17 heures, tous les jours, je bénéficiais de l’émission « Yo MTV Raps ! », dès l’âge de 12/13 ans. Tout ça fait que ma culture est plus américaine que française.

DWT : A quand remonte ton premier séjour aux USA ?
Kohndo : La première fois que j’y suis allé, c’était avec La Cliqua. C’était dans un cadre professionnel mais aussi de passionné car c’était l’anniversaire de la Zulu Nation. Je crois que c’était en 1993, pour les 20 ans de la Zulu Nation. C’était un rêve qui se concrétisait car je voyais les USA comme un monde parallèle. J’ai rappé avec Parish Smith, DJ Clue… Quand tu es fils unique et que tu vois très peu ta mère, tu te recrées un monde. Ma famille adoptive, c’était les « Huxtable » du Cosby Show (rires). Me retrouver aux USA à 18 ans était quelque chose de fort. En 2006, j’y suis retourné pour travailler mon troisième album « Deux pieds sur terre ». Je suis allé à Detroit. Là, pareil, c’était un super échange. La Femme de Yolsé était américaine et c’est gràce à eux que j’ai pu produire ce disque. Ils m’ont fait découvrir une autre facette des States. J’ai vraiment partagé leur quotidien. Ils courrent après l’argent. Le struggle (la lutte), le warfare (la guerre) ou la survie sont des mots qui m’ont marqué. Ils était toujours en train de mettre en place des biz pour assurer un train de vie decent et agréable. J’ai aussi connu les strips club, les limousine 4×4, les soirées de dingues. J’y est rencontré les Slum Village, Jay Dilla, Guilty Simpson, Proof (trois semaines avant qu’il décèdent), Dwelle, Joey Power le gars qui a mixé « Deux sur terre »  et en même temps, j’ai vu un rythme de vie que je ne pourrais jamais supporter. Aux States, si tu n’as pas d’argent tu n’es rien. La pression quotidienne est folle !

C’était un rêve qui se concrétisait car je voyais les USA comme un monde parallèle. J’ai rappé avec Parish Smith, DJ Clue… Quand tu es fils unique et que tu vois très peu ta mère, tu te recrées un monde. Ma famille adoptive, c’ était les « Huxtable » du Cosby Show (rires).

DWT : Quel a été ton premier contact avec le hip hop ?
Kohndo : On va dire que le premier morceau de rap, que j’ai écouté, c’est Double Dutch Bus de Frankie Smith. Il faisait partie d’une compile disco qui appartenait à ma mère. Ensuite, il y a eu ma grosse claque, les premiers breakers du Trocadéro qu’on a montré à la télévision. Je ne sais pas si c’était à l’occasion du New York City Rap Tour, mais je me souviens d’un journal télévisé, un dimanche après midi où t’avais les Break Machine et d’autres vrais B boys qui étaient là. C’était un tout petit peu avant que l’émission H.I.P. H.O.P. de TF1 apparaisse. J’avais vraiment pris ma tarte en voyant ces gars là faire du break dance. Ensuite, il y a eu l’émission H.I.P. H.O.P. avec Sydney Duteil avec qui j’ai bossé sur Blackstamps 20 ans après. Je connaissais des mecs plus âgés qui y participaient car c’était tourné à Pantin, ville limitrophe de Bobigny. J’étais trop petit pour y aller, je regardais donc ça à la télé. Ca a commencé comme ça, par la danse à Boboche. En arrivant à Boulogne-Billancourt, Zoxea et son Cousin Egosyst m’ont accueilli et ensemble, on a fondé Coup d’Etat Phonique. C’est Zox qui a trouvé le nom. A la suite de quoi j’ai préféré le beat box avec les Fat boyz, puis Doug E Fresh. C’est Zoxea qui m’a initié au beat box, au rap français. C’est lui qui m’a fait découvrir le Dee Nastyle de Radio Nova. Quant à Dany Dan, il a été le premier mec avec j’ai freestylé en colo. Melopheelo et DJ Letenz aka Ol tenzano (1er Dj des sage Po’) me filaient mes premières face B. Et Logilo m’a toujours donné des bon conseil en flow.

DWT : Ca t’a parlé tout de suite ce qui se passait dans cette émission de Dee Nasty ?
Kohndo : Si dans les faits, je suis un petit frère des sage Po’, en terme de style, je suis l’héritier de Puppa Lesly et de l’émission Yo Mtv’Raps. Pour moi, la notion de flow et de style était hyper importante. Quand j’écoutais le rap de NTM ou d’Assassin, j’entendais ce qu’ils pouvaient faire avec ce qu’ils avaient. Il étaient très influencés par les Ultramagnetic MC’s et Public Enemy alors que moi, je suis rentré dans le rap avec EPMD, Stetsasonic, les Hierogliphics (Del, Pharcyde) et la Native Tong… Mon style est plus le produit du rap US que français. L’album qui m’a fait péter un câble, c’était celui d’Eric B & Rakim « Paid in full », puis « Illmatic » de Nas. C’est seulement aujourd’hui après une longue réflexion que je peux finalement dire que je fais du RAP EN FRANÇAIS comme l’ont revendiqué Les Little à l’époque. Quelque soit le pays où je vais, je peux reconnaître un bon rappeur d’un mauvais grâce à son rapport au mot, au flow, au style et à sa présence. Il y a quelque chose de très musicale et de très clair. Pour en revenir au Dee Nastyle, j’était fan. Donc quand Dee Nasty a tenu à me voir faire parti de la Zulu Nation, je me senti honoré. Lui et Lionel D m’ont apporté tant de bonheur. Les rappeurs et les groupes qui m’ont marqué étaient : M Widdi, GMB, Saxo, les Littles, Solaar, Moda, IAM et pour l’attitude plus que pour le rap NTM, Assassin et  Minister AMER.

DWT : Parle-nous maintenant du groupe auquel tu as fait partie, La Cliqua…
Kohndo : Au départ, il y avait Daddy Lord C et la Cliqua. Mais à l’origine, il n’y avait pas de rappeurs dans La Cliqua ormi Izm, (co-fondateur de la série Les Lascars). Jelahee (aka Gallegos) était DJ, Sandra qu’on entend dans Freaky flow chantait,  Chimiste et Brian (aka Mush, aka Oeno aka Jr Ewing) produisaient les instrus et géraient la structure. J’officiais sous le nom de Doc Odnock (Kohndo à l’envers), Coup d’Etat Phonique était mon groupe, celui d’Egosyst et de Karim. DJ Sound avant remplacé par DJ Lumumba. On était toujours avec Raphaël qui avait 12 ans, Kimto (aka Vasquez), JP (aka Jeep12) de Less du neuf, Ali aussi (PM puis Lunatic), Sidy qui était danseur ainsi que Booba. Mais ce dernier commençait déjà a sacrément bien rappé. On faisait la tournée des radios, comme d’autres font des concerts, afin de nous faire connaître. C’est comme ça qu’on a rencontré Daddy Lord C. Il faisait la promo de son maxi. Chimiste et Brian ont kiffé notre son. Ils nous ont parlé du label Arsenal qu’ils montaient. Ils voulaient qu’on soit leur prochaine sortie. On a dit « ok » et on s’est retrouvé en radio à faire la promo de Daddy lord C en même temps qu’on se faisait connaître. Au bout de deux ou trois radios, Jelahee nous a dit qu’il bossait avec un rappeur qui venait de Colombie. Il nous a alors présenté Rocca. On se retrouvait toujours en radio ou dans des open mic. Ce qui fait que La Cliqua a été constitué de tout ce beau monde.

DWT : Que voyais-tu comme intérêt, en tant qu’artiste, au travers l’émergence des labels indépendants, en l’occurrence Arsenal Records ?
Kohndo : Je n’avais pas cette réflexion là. J’avais 17 ans. Nos rêves commençaient à devenir réalité quand il y a eu cette opportunité de sortir notre premier maxi puis notre album. Pour nous, c’était le Graal. Quand Coup d’Etat Phonique, et le reste de La Cliqua, on s’est retrouvé sur le devant de la scène, notre grande erreur fut de prendre « Conçu pour durer », premier album de La Cliqua, comme une mixtape. On ne se doutait pas de l’attente et de l’impact qu’on allait avoir sur le public et dans l’histoire du rap. Un  premier album a un impact déterminant dans une carrière. C’est la raison pour laquelle Egosyst et moi n’avons pas tiré notre épingle du jeu à ce moment-là. Pour avoir produit une demi-douzaine de disques, avec le temps, j’ai compris qu’Arsenal avait correctement joué son rôle de producteur, à savoir, toujours enregistré dans des studios top qualité, comme Athéna, en passant par Artistique Palace ou les Studios de la Seine. On a toujours enregistré dans des conditions excellentes, avec des mastering et des ingénieurs du son incroyables. Au niveau de la paie, les gars étaient correctes même si on pensait le contraire. il y avait un vrai clivage entre la production et les artistes. Mais ce qui a crée le brouillage, c’est que Chimiste fasse parti à la fois du groupe et de la production. Avec le recul, je me rends compte qu’on avait de bons contrats d’artiste, de bonnes royautés et des avances non-négligeable. Mais je n’ai jamais pu en profiter car mon premier album n’est pas sorti au sein d’Arsenal. Je n’ai aucun ressentiment par rapport à La Cliqua, ni par rapport à Arsenal. On avait toutes les clés mais ce qui nous manqué, pour faire une aventure à la Wu Tang, c’était le facteur humain. On pensait vivre une aventure familiale mais on était pas tous aussi bien armé en terme de connaissance business.

Nos rêves commençaient à devenir réalité quand il y a eu cette opportunité de sortir notre premier maxi puis notre album. Pour nous, c’était le Graal. (…) On ne se doutait pas de l’attente et de l’impact qu’on allait avoir sur le public et dans l’histoire du rap.

DWT : Très jeune groupe, comment La Cliqua arrivait t-elle à être omni-présente sur scène, en 1994/1995, dans les plus gros concerts rap américain pour y assurer les première-parties ?
Kohndo : Ce qui fait la réussite d’un groupe c’est son talent mais surtout son entourage. Autour de nous, il y avait Corrida, Barclay, Label 60, Texaco et Sidy qui s’occupait du street Marketing. Wrung qui lançait sa marque. Tous les taggeurs du 18, Les Daltons… Bref on était soutenu de partout et dans toute la France. On faisait énormément parler de nous : dans les soirées où on faisait des arrachages de mic, dans les radios où on s’imposait et où on ramenait une vibe avec de nouvelles instrus. Les gens téléphonaient aux radios. On s’est donc retrouvé avec un entourage de trend setter et de mecs connectés aux business par le biais de Chimiste et Brian. Des mecs comme Solo et Rockin’Squat nous ont filé de gros coups de main en nous faisant posé sur la B.O. de La Haine. Chimiste et Brian arrivaient donc à capter cette énergie là. Ce qui nous avait permis d’obtenir sans négocier les premières parties de House Of Pain et Arrested Development. On nous voulait, on nous appelait, point barre.

DWT : Vous avez notamment assuré une reformation de La Cliqua il y a quelques années, pour le festival L’Original de Lyon. Quel en était le principe et qui en est à l’origine ?
Kohndo : A la suite d’un medley que je faisais au festival Poteau Carré à Saint-Etienne, JM et Nasty, qui s’occupent de l’Original Festival, étaient présents et sont venus me voir pour me dire qu’entendre mes couplets de La Cliqua les avaient fait rêver. Ils m’ont demandé si une reformation était en vue. Je leur ai dit que le seul endroit où le groupe pouvait se retrouver serait la scène, pour refaire les morceaux de l’époque. Nasty avait rebondi en me disant « tu me dis que si tu faisais un concert avec les gars, ça ne poserait aucun problème ? Mais j’ai toujours cru que tu ne voulais plus entendre parler de ce groupe ! ». Je lui ai répondu que non, je trouve que les choses doivent avoir du sens, ce qui serait le cas sur scène. Redonner aux gens du bonheur et une musique auxquels ils sont attachés, c’est important. Il me dit alors qu’il connaît DjéDjé aka Egosyst. Je lui ai répondu de lui passer le bonjour et qu’effectivement, s’il voulait faire un concert La Cliqua, il n’y avait aucun problème pour moi. Ce sont donc eux qui ont commencé à passer des coups de téléphone à Rocca, Daddy Lord pour leur dire que j’étais OK pour donner un concert La Cliqua. Ca s’est fait et ça c’est très bien passé. La boucle est bouclée. Ces derniers temps, j’ai plaisir à avoir parfois Rocca au téléphone. Tout ce qui était de l’ordre des problèmes humains dans le groupe ont été réglés.

DWT : Pouvais-tu imaginer sortir un album solo à cette époque ?
Kohndo : Je suis parti de La Cliqua la veille de la signature de mon premier maxi solo. Deux jours avant, j’étais invité en studio par Egosyst, mon acolyte du Coup d’Etat Phonique. J’avais parlé avec Djé Djé et Raphaël. Je leur disais que je souhaitais d’abord faire la tournée avec Rocca pour voir si l’ambiance allait s’améliorer car je sentais que ça se dégradait. Je leur avais dit que si ça continuait comme ça, après cette tournée, j’allais sans doute arrêter. Le lendemain, Raphaël l’a répété aux autres. Dix, douze ans après, lors de la reformation de La Cliqua, j’ai eu une conversation avec Rocca qui me disait « écoute, réellement, on voulait que tu t’en ailles parce que le courant ne passait pas entre toi et Daddy Lord C. On estimait que tu n’étais pas assez virulent ». Je lui ai alors rappelé que c’était moi le ciment du groupe. Peu de gens le savent mais je suis l’auteur du refrain « le hip hop mon royaume mon home sweat home… », « Mot pour mot » était un solo à moi au départ. La personne que Rocca appelait à titre consultatif, c’était moi. J’ai écrit pas mal de couplet de Raphaël comme « Le rap mon paradis »… Quant à mon coté peace, je lui ai expliqué que je n’avais pas envie de jouer un rôle qui n’était pas le mien. Rocca m’a donné raison mais il m’aura fallu dix ans pour savoir si j’étais fou ou si on m’avait poussé dehors. Il faut savoir qu’au départ, l’entité Coup d’Etat Phonique représentait 70% de la Cliqua. Avec Coup d’Etat Phonique, on avait acquis une expérience scénique grâce aux Sages Po. On avait une vraie vision de la musique, de la compo, des prods. Daddy Lord C, qui était plus vieux que nous, et Rocca, se sentaient en retrait car ils ne nous connaissaient pas bien. Eux, se sont rapprochés et se sont construit un peu contre nous, alors que, pour les gamins qu’on était, on voyait La Cliqua comme une grande famille. On était plutôt naïfs. Daddy Lord C et Rocca eux avait une vision moins utopiste, et étaient plus mûrs, au niveau personnel, de leur musique et du business.

DWT : Explique-nous les raisons de ton départ d’Arsenal Records au bout de quatre années passées, sans réelle sortie de l’album du groupe au complet ?
Kohndo : J’étais dans l’esprit de la Native Tong, là où les autres était dans un esprit Mobb Deep. Je n’avais pas envie de jouer un rôle de caillera même intelligente. Si on était tous venu du même quartier, on aurait eu une histoire commune, donc un rêve commun. Il y aurait eu cette volonté de réussir ensemble. Or, on était une  sorte de dream team, un collectif où chacun voulait tiré la couverture à soi. C’est pour ça que La Cliqua n’a pas réussi à produire un album en tant que tel. C’est la vie. J’en ai tellement appris sur les rapports humains que je ne regrette rien. En partant de La Cliqua, je quittais le monde de la nuit, des maisons de disque, de la hype. Je me suis beaucoup interrogé sur qui je voulais être et ce que je voulais transmettre… Il y avait un décalage entre les paroles et les actes. A cette époque, on était des rock stars mais je ne m’en rendais pas compte. D’ailleurs, une des grandes phrases de Rocca était de dire : « Mais Kohndo, tu ne comprends pas, La Cliqua, c’est Wu Tang en France ! ». Pas faux sur certains points : j’ai signé des autographes sur des groupies à des endroits inimaginables et me suis retrouvé dans des situations digne d’un film de Todd Phillips… C’était la fête, c’était cool. Malgré tout, il y avait cette question qui revenait sans cesse en moi « mais qui tu as envie d’être ? ». J’avais peut être ces réflexions du fait d’être tombé dans pas mal de lectures comme Ghandi, Rousseau, Thomas More, Donal Walsh, Richard Wright…

En partant de La Cliqua, je quittais le monde de la nuit, des maisons de disque, de la hype. Je me suis beaucoup interrogé sur qui je voulais être et ce que je voulais transmettre… Il y avait un décalage entre les paroles et les actes. A cette époque, on était des rock stars mais je ne m’en rendais pas compte.

DWT : Revenons sur les mauvais rapports que tu as eu avec Rocca, comment les analyses tu avec du recul ?
Kohndo : Rocca et Daddy lord C ont joué la carte de la colère avec leur morceau « Pas de place pour les traîtres » une fois que j’ai quitté La Cliqua. On en a reparlé dix ans après, Rocca m’a dit qu’ils avaient déconnés. Je lui ai dit qu’il avait en effet déconné. Tout a été réglé comme des adultes. J’en ai également parlé avec Clarck. A nos âges, on a dépassé tout ça. On s’aimait bien au fond, la réalité était là. Quand j’ai appris les galères par lesquelles était passé Clarck, j’ai aussi eu beaucoup de peine. Mais aujourd’hui, quand je pense à La Cliqua, c’est avec autant de joie que de peine. J’ai le sentiment d’un gros gâchis. Heureusement, j’ai eu une putain de carrière après qui fait je me sens bien dans mes baskets aujourd’hui et que j’ai pu me construire un nom et une réputation en dehors de ce groupe.

DWT : De ces années, l’histoire pourrait ne retenir que Rocca. Est-il le plus doué d’entre vous ?
Kohndo : Oui et non. Il ne faut pas négliger cette émulation où on se mettait la pression. Quand on est arrivé avec Coup d’Etat Phonique, on a réellement mis la pression en terme de flow et d’écriture à Daddy Lord C et Rocca. Ils ont été doués dans le sens où ils ont relevé le challenge… Rocca est devenu meilleur par rapport à son flow. Il avait également affiné son écriture. Daddy Lord C aussi. Pour moi, il n’y a pas plus grand punchliner que lui. Donc, oui, si on retient de cette époque là, que ces deux artistes, c’est que c’était les meilleurs.

DWT : Y avait-il une stratégie bien définie pour la sortie de disques ou ceux-ci sortaient ils en fonction de la maturité des artistes et l’état d’avancement des maquettes ?
Kohndo : Il y avait un peu de tout ça. Les personnes qui avaient des maquettes bien avancées étaient forcement susceptibles d’être produit en premier. Mais il y avait aussi une réelle stratégie. D’une part, Rocca avait fait le meilleur morceau de « Conçu pour durer » avec  « Comme une sarbacane ». Il était donc attendu. D’autre part, le fait qu’il soit colombien ramenait une originalité. C’était justifié qu’il sorte en premier malgré que nous ayons un album de prêt avec le Coup d’Etat Phonique. Ce n’était pas le cas de Rocca. Il a du faire son album en un mois et demi. Tous les soirs, il m’appelait pour savoir si les choses se passaient bien. J’avais plaisir à échanger avec lui. Il y avait donc une stratégie du label. Rocca était mûr pour le faire. Il a mérité son premier album.

DWT : Lors de votre retour exceptionnel sur la scène de l’Elysée Montmartre en 2009, Daddy était émouvant, Rocca semblait tenir le groupe et toi un peu effacé… Comment l’as-tu vécu ?
Kohndo : Différemment… J’ai drivé toutes les répétitions. Je me suis toujours assuré que tout était bien structuré. Toutes les critiques que j’ai eu après les dates de Lyon et l’Elysée Montmartre sont que je drivais la scène avec Rocca. Ajoutons à cela que Rocca a le plus de titres figurant au répertoire de la Cliqua de cette époque.

DWT : Que penses-tu de la carrière éclair de Raphaël ?
Kohndo : Raphaël a eu une vie. C’est un vrai lascar. « Real bad boy moves in silence », c’est vraiment lui. Le rap était secondaire pour lui. Ca le faisait marrer. Il kiffait ça mais ce n’était pas là où il se voyait évoluer. Je ne sais pas pourquoi il a arrêté. Il a du talent, comme tant d’autres mais comme on m’a dit un jour : « si le talent suffisait pour signer, ça se saurait. Et si le talent suffisait pour faire une carrière aussi ».

DWT : Tu es parti, comme d’autres, dans une tournée avec des musiciens, il semble malgré cela que tu ais décidé de revenir au rap pur et dur…
Kohndo : Je fais parti des premiers MC’s à avoir cette expérience. J’ai fait parti, un court moment, du groupe Mad in Paris en 1998. J’ai eu mon premier groupe Velvet Club en 2005 et on est allé au Printemps de Bourges en 2007. En parallèle, je jouais avec le Rimshot Crew depuis 2003. Quand tu as l’occasion de jouer avec des mecs comme Nicolas Liesnard (clavier de catherine Ringer, arrageur sur Soul inside), Thierry Jean-Pierre qui est devenu mon bassiste sur « Soul inside », Gégé perc aux percussions, Song Williamson la nièce de Fred Wesley… Tu démarres au top. Il n’y a pas de clivage entre le hip hop organique et le hip hop électronique. Check l’album « Heavy Rhymes Experience vol1 » des Brand new Heavies en 1992 avec Large Pro, Pharcyde et tu verras…  Tu fais de la musique ou tu n’en fais pas. En tant qu’artiste, vers mes 24 ans en 1999, je me suis demandé si le rap pouvait être comme le jazz. Je me suis rendu compte qu’il y avait tout un travail à accomplir en terme de technique de chant, au niveau rythmique. Idem au niveau de l’écriture, les perspectives sont infinies. Je fais parti de ceux qui ont toujours considéré le rap comme de la chanson. Elle peut être engagée, violente ou douce. Cette musique est comme les autres, elle est à l’image de ceux qui la font. En jouant avec des musiciens, j’ai appris, échangé et partagé de nouvelles techniques. Je me suis confronté à d’autre styles et mon rap s’en ait trouvé grandi. Avec mon dernier album, je suis revenu aux sources du rap : le rythm’n’blues, la soul, le funk car c’est de là que tout part. J’ai même fais un titre house pour rappeler que la house viens de chez nous. Comme l’ont fait les jungle Brother. Aujourd’hui, j’entre dans une nouvelle phase. Mon prochain album, lui, sera produit à l’ancienne avec des samples et des machines pour plein de raisons…

Je fais parti de ceux qui ont toujours considéré le rap comme de la chanson. Elle peut être engagée, violente ou douce. Cette musique est comme les autres, elle est à l’image de ceux qui la font. En jouant avec des musiciens, j’ai appris, échangé et partagé de nouvelles techniques. Je me suis confronté à d’autre styles et mon rap s’en ait trouvé grandi.

DWT : …économiques ou artistiques ?
Kohndo : Les deux. J’ai toujours été indépendant et produit mes albums à fonds propres. Je n’ai plus les moyens d’être en studio et sur scène avec sept ou huit musiciens. Et comme je sais faire de la musique à minima, je peux créer avec un sampler. D’autre part, tous les autres styles électro, trip hop, house, rock travaillent de cette façon alors pourquoi s’en priver ? Mes connaissances musicales sont telles que je peux me mettre au clavier et/ou prendre une basse autant qu’une loop station et un sampler. Ce qui me manque en travaillant comme ça, c’est l’échange et le partage. Les facteurs économiques sont inhérents à la création. Le Fender Rhodes à été adopté dans le Jazz car il n’était pas toujours possible de transporter un piano à queue surtout dans les petite salle ou dans les chambre d’hôtel. On a intégré la boîte à rythme dans le Punk parce qu’au départ on n’avait pas de drummer. Idem pour le rap au début, tu n’avais que tes deux vinyles. Jouer avec des musiciens n’est pas toujours de tout repos. Comme partout, il faut savoir se faire comprendre et respecter. Mon rap est un instrument poly-rythmique. Je ne fais pas du funk, je ne fais pas de la soul, je ne fais pas de la variet’ je fais du hip hop ! On a une façon spécifique de groover, de mettre les accents sur les mots, de travailler avec le silence… Un jour, lors d’une séance d’enregistrement, j’ai du expliquer ça à des pontes (Michel Alibo à la basse, Johan Dalgaard au clavier et Franck Mantegari à la batterie…) après qu’il se soient mis à jouer mon titre sans me concerter. J’ai mis un froid. Mais quand on s’est parlé, ils ont joué hip hop et c’était fat ! Je suis noir, je suis grand, je suis gros, je fais du rap, alors forcément, la première chose qu’on veut voir de moi, c’est un mec bas du front. C’est en ça que ma musique est engagée. Elle est subtile. Je suis quelqu’un de posé, de structuré et d’intelligent. Le seul moyen de faire bouger ces a priori est d’être meilleur et de montrer la valeure de cette culture. C’est pas les musiciens qui donnent la caution artistique mais celui qui la crée.

DWT : Tu enseignes la musique à Puteaux dans les Hauts-de-Seine, quelle est ta pédagogie avec les élèves ?
Kohndo : Effectivement, je suis le premier à enseigner le rap au sein d’un conservatoire. J’y enseigne le rap en tant que technique de chant, mais aussi en tant qu’élément de la culture hip hop. De plus, là où je travaille on n’a pas réduit mon activité à l’écriture rap. Aujourd’hui, les techniques de création et de production du hip hop peuvent s’adapter à toutes les musiques du fait qu’il soit au carrefour de plein de musiques. L’apprentissage passe donc par l’utilisation des samplers et des logiciels de production pour les compositeurs. Cela passe aussi par de nouvelles approches textuelles. Toutes chansons est avant tout un texte mise en rythme. L’approche rythmique d’un texte induit la mélodie. Une fois que tu as compris cela, à toi d’y mettre les notes. La particularité d’un texte de rap est qu’il peut s’adapter à d’autres mélodies. C’est ce que font tous les rappeurs quand ils changent d’instru. C’est une des approches les plus pertinentes de notre époque. C’est ça qu’amène le rap et qui supplante l’approche traditionnelle de la chanson.

DWT : Qui sont tes élèves ?
Kohndo : J’ai 12 élèves. On passe à 20 à la rentrée prochaine. Le plus jeune a 15 ans, la moyenne est de 24 ans. J’ai des gens qui viennent de la pop, du rock, d’autres de la Soul. J’ai seulement quatre rappeurs. C’est hyper intéressant de travailler avec tous ces gens-là. Le département musique actuelle compte au total 680 élèves. Je suis enseignant à plein temps mais ça me laisse assez de temps pour créer moi même.

DWT : Ce n’est pas difficile de traiter avec une structure gérée par une municipalité ?
Kohndo : Il est important de travailler avec tous les gens capables de reconnaître notre art y compris les institutions. C’est avant tout une affaire de personnes. On m’a appelé parce qu’avant tout je suis un musicien et un artiste. Mais aussi un pédagogue. En plus d’une expérience pratique, je suis formé pour ça. Je suis expert pour des organismes régionaux et nationaux, j’anime des conférences autour du rap, son histoire et ses enjeux. Avant de travailler pleinement dans la musique j’ai aussi travaillé 6 ans pour une boîte d’assurance. J’ai cette chance d’avoir rencontré des gens ouvert à ma culture et à mon travail. Et ce n’était pas des gens de maisons de disques. Les gens les plus ouverts que j’ai rencontré sont dans Des salles de musiques actuelles. Les gens les plus formatés, les plus clivant voire même les plus racistes, je les ai rencontré en maisons de disques… C’est un racisme implicite. Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap. Alors que le même texte véhiculé par Hocus Pocus est qualifié de génial. Cela a à voir avec le système. Pour certaines personnes, le rap à message, le rap 0 textes, c’est Casey ou La Rumeur. Ce n’est pas « Pardonnez-moi », « Vise le ciel » «  La partition », « Liberté »… Tu peux être engagé et être subtile, ce n’est pas incompatible. Le dernier texte que j’ai écrit porte sur l’enfermement, le monde de la nuit, la prostitution et le travail au noir de certains taximan. Ce n’est pas parce que je le fais avec un certain lyrisme que je n’ai pas d’engagement. En France, pour être compris, il faut écrire comme un attardé ou bien être anarchiste-révolutionnaire. Entre les deux, il y a quoi ?

Un noir en maison de disques n’a pas le droit à l’intelligence. On m’y a déjà demandé de faire des textes moins intelligents en m’expliquant que la cible du rap (à savoir les noirs et les arabes) ne serait pas en mesure de s’identifier à mon rap…

DWT : Ton parcours démontre cette forme d’engagement, peux-tu nous en donner les grandes lignes ?
Kohndo : Au cours de ces quatre dernières années, j’ai monté un studio d’enregistrement avec DJ Sek au centre de détention de Poissy, j’ai fait des ateliers à Bois d’Arcy, créé un studio d’enregistrement et formé des détenus au beatmaking à Châteaudun. J’ai fais des ateliers d’écriture à Fleury-Mérogis et à Fresnes. Mon engagement est là. J’œuvre avec mon savoir-faire. Un jour, un type est venu me voir en sortant du métro et m’a expliqué qu’après avoir écouté « Un œil sur l’objectif », il a décidé de ne pas sortir ce soir-là. Il faisait de la contrebande d’alcool. Ses potes sont tombés, pas lui. Il s’était arrêter sur cette phrase « Dis moi qui va nourrir tes gosses quand derrière l’ombre des barres en taule, tu seras le boss ? ». Tout mon engagement est là. Si ma musique fait réfléchir les gens, c’est qu’elle est politique.

DWT : Tu votes ?
Kohndo : Pour moi, c’est fondamental. Je n’ai pas l’impression d’avoir du pouvoir mais je vote surtout parce qu’il y a des parents et des grands-parents qui sont morts pour ça. Un, je le fais par devoir et deux, c’est pour éviter que ma voix aille au FN. C’est pour moi la politique du moindre mal. J’ai une conscience de gauche mais je suis pour l’entrepreunariat. Je pense qu’on peut vivre dans une économie responsable. Je suis dans la culture du bon sens, c’est là où je me sens africain. Ma grande question est de savoir combien de personnes je peux tirer vers le haut. Le dernier titre que j’ai clipé s’appelle  « Vise Le Ciel« . Il traite de la difficulté, d’être noir, diplomé et vouloir sortir de son environnement Ce titre a été pris dans la bande originale d’un livre qui s’appelle « Dj Rising » (Edition Little, Brown – Groupe Hachette), dont tous les bénéfices sont reversés à l’association caritative Got Kidney ? dont le but est d’aider les enfants malades en attente d’un don d’organe. Les Beatnuts et pas mal de rappeurs de la région de San Francisco participe à ce programme. Encore une fois, là est mon engagement.

DWT : Quel est ton sentiment sur ce qu’est devenue cette musique chez les plus jeunes ?
Kohndo : Il y a le rap et culture hip hop. Le rap, c’est de l’industrie. Il y a énormément de variété de rap, on parle alors de production. Globalement ca ne me touche pas. De l’autre côté, il y a le Hip hop. Je trouve que le hip hop évolue bien. Tout ce qui est en rapport avec la danse, le graffiti, le djing, il y a un rap qui a un cœur hip hop. Quand j’entends des artistes comme Mos Def, Joey Badass, Casey, Rocé, Koma ou Nemir… je trouve qu’il y a du hip hop dedans. Ça sent la passion. Quand j’écoute The Roots, Common ça me galvanise, ça me met bien. C’est important qu’une musique soit en évolution. Il n’y a pas qu’une façon de voir le hip hop et le mien doit continuer à évoluer.

Quand j’entends des artistes comme Mos Def, Joey Badass, Casey, Rocé, Koma ou Nemir… je trouve qu’il y a du hip hop dedans. Ça sent la passion. Quand j’écoute The Roots, Common ça me galvanise, ça me met bien. C’est important qu’une musique soit en évolution. Il n’y a pas qu’une façon de voir le hip hop et le mien doit continuer à évoluer.

DWT : Tu es aussi un papa, laisseras-tu écouter du rap à ton enfant ?
Kohndo : Je laisserai ma fille écouter du bon hip hop. L’industrie du rap de La Fouine n’est pas le même que celui d’Oxmo qui n’est pas non plus le même que celui de Sexion d’Assaut, ni de 1995… Il y a assez de variété pour que chacun y trouve son compte. Par contre, je vais veiller à ce qu’elle soit critique sur ce qu’elle va entendre. Ça va être ça mon rôle d’adulte parce que je ne vais pas être un censeur. Je ne peux pas la mettre en porte à faux avec son époque. Après avoir kiffé Rakim, Nas ou Gangstarr, je ne peux pas dire d’un Kendrick Lamar qu’il révolutionne le rap ! Si mon éducation est bonne, ma fille n’ira pas vers ce rap  très industriel. Face à la sous culture et la pression sociale, il y a l’éducation et le caractère. Avec ma femme on va faire en sorte qu’elle ait les deux.

DWT : Grand amateur de cinéma, tu as aussi signé des B.O. dans ta carrière, qu’est ce qui t’attire dans ce milieu ?
Kohndo : Je fais beaucoup de lien entre la soul et le hip hop. Tous les artistes de soul que j’aime ont signé une bande originale de film. Isaac Hayes et Truckturner, Curtis Mayfield et Superfly, Bobby Womack et Across 110th street, même RZA pour Ghost Dog. Le cinéma, c’est l’opéra du 20ème et 21ème siècle. C’est bon aussi de se mettre au service des autres. Pour moi, la musique c’est de l’échange. Quand il n’y en a pas, ca devient uniquement du business.

DWT : Tu es un épicurien, parlons donc de cuisine… Quels sont tes goûts en la matière ?
Kohndo : Quand on parle de musique, on parle de sens, de goût. Souvent quand je dois définir la musique que j’aime ou que je crée, j’utilise des termes de cuisine. J’aime bien la junk food mais je suis avant tout un gastronome. Tu sais, tout peut être magnifié. Tu peux prendre un burger au Mac do ou t’en faire un au bœuf de Kobé. Ma musique, c’est ça. Le rap, c’est de la junk food mais moi j’y mets des épices et des saveurs particulières. J’en fait de la gastronomie, j’y mets de la passion. Mon rapport à la vie est un rapport aux sens. Mon rapport à la zik est identique. Ca te prend le ventre ou pas ! Quand tu mets la fourchette dans ta bouche c’est pareil, tu voyages ou tu voyages pas ! Au départ tout est sensoriel. Ça crée de l’amour ou pas.

Mon rapport à la vie est un rapport aux sens. Mon rapport à la zik est identique. Ca te prend le ventre ou pas !

DWT : Es-tu épanoui comme artiste dans cette musique aujourd’hui ?
Kohndo : Il y a très peu de rappeurs qui ont traversé les générations. C’est un vrai questionnement, quand tu as déjà fait trois albums, qu’est ce qui te motive à en faire un quatrième ? Comment tu le fais ? Comment tu réussis à prendre le poul de l’époque ? Est-ce que c’est nécessaire de le faire ? Peux-tu encore le faire et avoir encore une influence sur les gens ? Qu’est-ce que le rap aujourd’hui ? Je me suis retrouvé a radio Nova avec David Blot qui me dit : « Mais Kohndo, ton dernier album, c’est pas du rap ! ». On en revient à ce que je te disais tout à l’heure sur le stéréotype auquel doit répondre le rappeur. Il y a un programmateur de FIP qui m’a dit qu’il n’arrivait pas à comprendre le dernier The Roots et pourtant, cet album démontre qu’il est possible d’avoir un son hip hop après 25 ans de carrière. J’ai 98 morceaux qui sont sortis et qui sont enregistrés à la SACEM, hors mix tapes. Je bâtis une œuvre. Tous mes disques sont liés. Ils s’écoutent les uns à la suite des autres. C’est ça ma logique. Comment grandir et rester une force de proposition ? J’ai reçu une lettre de Trace TV qui me dit : « Nous avons toujours aimé Kohndo en tant qu’artiste mais c’est un artiste hors format. Trop adulte pour notre notre cible ». Ça te dit deux choses : soit Kohndo tu es trop vieux donc arrête de faire du rap ou soit cela suppose qu’il n’y a pas de public pour ce type de rap. Pourtant je vends mes disques et ma boîte se porte bien. Le public, il faut juste lui proposer. Je suis une force de proposition. Depuis  » Conçu pour durer « , je n’ai à rougir d’aucun morceau. Je me sens bien.

DWT : Parle-nous de tes rapports avec les majors…
Kohndo : Chez Delabel, c’était Marie-Lorette Guerin qui nous avait signé. Il y avait aussi un grand pote de Brian et de Chimiste : Benjamin Chulvanij, qui à la suite d’Arsenal Records, a décidé de créer Hostile Records. Il y avait un engouement autour du groupe et de la part de toutes les entités, tu sentais l’effervescence. Ce qui m’a vraiment fait tout drôle, c’est l’après, quand je suis parti du groupe. J’ai vu toutes les portes se fermer. On m’a toujours dit que le travail paie et j’ai toujours cru en moi. Je ne me posais pas la question de savoir si on cassait du sucre sur mon dos parce que je savais qu’à un moment donné, les gens reviendrait sur mon travail et qu’il y aurait un mot associé à ma carrière, le mot : qualité. Il faut savoir que quand je fais un disque, je le présente toujours en major. Je vais voir des directeurs artistiques pour échanger et voir ce qu’ils en pensent. Je me souviens d’avoir vu Nizare Bacare chez Warner, c’était une année où Hocus Pocus avait tout cartonné. Il avait tout intérêt à écouter mon disque. Il m’a tenu des propos comme quoi Féfé allait se casser la gueule (plus 100 000 albums vendus) et que Ben L’Oncle Soul aussi (Plus 500 000 album vendus). Tu vois le décalage ? Je proposais à un mec un album de hip hop au sens large en revenant à mes sources soul et le mec essayait tant bien que mal de m’expliquer que Canardo était celui qui allait tout cartonner. Il n’a même pas écouter deux titres et je me suis barré…

Il faut savoir que quand je fais un disque, je le présente toujours en major. Je vais voir des directeurs artistiques pour échanger et voir ce qu’ils en pensent. Je me souviens d’avoir vu Nizare Bacare chez Warner. (…) Il m’a tenu des propos comme quoi Féfé allait se casser la gueule (plus 100 000 albums vendus) et que Ben L’Oncle Soul aussi (Plus 500 000 album vendus). Tu vois le décalage ? (…) Il n’a même pas écouter deux titres et je me suis barré…

DWT : Tu signes pourtant chez un vieux briscard du bizness avec Nocturne de Patrick Colleony ?
Kohndo : Entre temps, j’avais co-fondé Menace Record avec Bayes Lebly, on était pote à ce moment-là. Je lui ai passé des thunes puis il s’est barré avec. Il a fait le mort pendant deux ans (rires). Vu les choix artistiques du label, de toute façon, cela ne m’intéressait pas. C’est en tout cas par son biais que j’ai rencontré Patrick Colleony. J’avais l’intention de sortir mon premier album avec le label Asetic qui n’a jamais eu d’existance légal. C’est comme ça que je me suis retrouvé à signer en distrib chez Nocturne sur un label fantôme. Heureusement depuis j’ai monté Greenstone Records. Patrick m’a toujours dit : « Kohndo, tu es le genre d’artiste qui a tout intérêt à rester indépendant ». C’est lui qui m’a donné les clés et qui m’a appris à être indépendant. Il me disait : « Trouve toi une distribution, monte ton label ».

DWT : Tu as toujours été un adepte du EP. Peux-tu nous donner ton avis, pour finir, sur ce support et s’il t’apparait toujours comme un support pertinent de nos jours ?
Kohndo : Cela reste le EP, qui avec 6 titres permet de ne pas être trop cher pour le client et qui permet au support vinyle d’exister. C’est difficile de faire plus de huit titres sur un format 33 tours. Et vu qu’il faut, à notre époque, être présent tous les six mois… Le meilleur support en 2013 reste le EP. Les singles n’ont plus besoin de supports, l’artiste crée, l’artiste donne via internet. Les auditeurs achètent ou font du don. J’appartiens encore à la génération qui a besoin de transmettre un message quand je compose un disque. Le mot album me rappelle les albums photos. Il retrace les derniers mois que tu as vécus : tes joies, tes peines, tes expérience, tes états d’âmes, tes réflexions… L’album est pour moi une sorte de journal intime. J’ai 38 ans. Je ne peux pas sortir des égotrips toutes les semaines. J’ai fais ça pendant 20 ans. Quel est l’intérêt ?

Le mot de la fin ira à Daniel Mpondo, mon associé et ami décédé en 2005. « Si tu ne vis pas, tu te meurs » alors je fais tout pour que chaque instant passé sur cette planète soit le meilleur. Je mets le meilleur de moi même dans tout ce que je fais et j’espère que mon public le ressent.

Propos recueillis le 24 juin 2013 par FLo – Photos par © Patricia Martinez aka OZ.
Remerciements à Emmanuel et Benjamin du Palais du Louxor pour leur bienveillance.
Photo archive Coup d’Etat Phonique par © Alain Garnier + archives personnelles de Kohndo.

Ticket choc pour le « Mouvement »

Documents
Bando, bbc, ctk, Fat, Jay One, Le Globo, Marc Boudet, solo, Stalingrad, TCG, Yoshi Omori

Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler… Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial.

Voici un livre d’une importance capitale pour le hip hop français. En le parcourant attentivement, votre proximité avec le terrain vague de Stalingrad et les ambiances festives du Globo seront déboussolantes. Par la conviction de Jay One, Marc Boudet et Yoshi Omori, ces deux lieux historiques qui ont accueilli les pionniers du hip hop en France (milieu des années 1980) reprennent vie sous forme de récits réussis et d’archives uniques.

Jacky (Jay One) a été le moteur de cette histoire, il a fait une grosse partie du boulot, de la maquette… Il m’a cassé les burnes pour l’écriture et il a eu raison car on s’est aperçu que les textes correspondaient exactement à la thématique. (Marc Boudet)

La force de cet ouvrage est bien sur construit autour des photos inédites du photographe Yoshi Omori. Ces dernières vous permettront de visualiser la plupart des véritables «usagers»  du terrain. Comme s’amusait à nous le rappeler Fat (Salim) lors de notre entrevue : « à en entendre les récits farfelus de certains qui n’étaient même pas nés à l’époque, il aurait fallu installer des miroirs sur les murs du terrain pour avoir l’impression qu’il y avait foule ! ».
Jay One (BBC), artiste peintre et ancien de Stalingrad, a joué un rôle déterminant dans la sortie de ce livre, comme nous le confirme l’ancien journaliste Marc Boudet : «Jacky (Jay One) a été le moteur de cette histoire, il a fait une grosse partie du boulot, de la maquette… Il m’a cassé les burnes pour l’écriture et il a eu raison car on s’est aperçu que les textes correspondaient exactement à la thématique».

Jay poursuit : «Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial. Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler. C’est bien qu’il y ait des gens qui soient issus du mouvement pour faire des livres et qui gèrent un peu ces aspects. Qui de mieux pour en parler ?».
La boucle est bouclée. Celui qui se rendait au terrain comme un fidèle en mission a décidé de ne pas laisser tomber son temple. Découvert par son frère d’arme, l’artiste peintre Ash (BBC) en 1984, le terrain est confisqué en 1989 mais il reste encore dans la famille… et continue de drainer toutes sortes de lettrage puisque s’y est dressé, en remplacement, un centre de tri de la Poste. Mais l’ambiance a un peu changé…

Il y a eu très peu de matières graphiques ou de vidéos qui ont circulé alors que Stalingrad et Le Globo étaient deux hauts lieux du mouvement hip hop français, européen et même mondial. Il y a pas mal de gens qui cherchent à savoir ou qui en entendent parler (Jay One).

Jay a lancé ce projet de livre en 2007 en sollicitant Marc Boudet, qu’il avait rencontré au terrain près de trente ans auparavant. Journaliste consciencieux (tiens, ça existe ?), Marc empruntait le métro aérien chaque jour pour aller au taf et restait interpellé par les «activités» du terrain. Ces mouvements de danse et de peinture avaient fini par l’attirer. Yoshi Omori, qui a eu l’intelligence de capturer ces moments de gestation, l’accompagnait très régulièrement : « Yoshi était quasiment le seul à y faire des photos. En tant qu’ancien journaliste, je savais qu’il y avait des images qui méritaient d’être publié. Aucune image n’est sorti du Globo. Il n’y a pas eu de film. On avait essayé en 1987 de diffuser ces images dans la presse spécialisée mais on n’y était pas arrivé. Personne ne voulait en entendre parler. J’avais fait le tour de toutes les rédactions spécialisées mais bon, je ne préfère pas raconter tous ces détails, croustillants… Peut être une autre fois… En tout cas, j’ai quitté le journalisme à cause de ça ». La somme des mots et les photos publiées provoquent un véritable flashback aux côtés des pionniers et activistes de ce mouvement mondial : DJ’s Red Alert, Cash Money, Dee Nasty, Fab, les BBC, TCG, BOS, NTM, IZB, Johnny Go, Destroy Man, Colt, Mode2, Bando, Meo, Solo, Squat, Gabin, Noël, Jonone, Fat, Scot… mais également Public Enemy pour un concert légendaire !

Aux Etats-Unis, le photographe Joe Conzo avait offert la «bible» au hip hop américain à travers son livre Born in the Bronx (2007), précieux ouvrage mêlant photos et archives. C’est maintenant au tour de Jay, Yoshi et Marc de nous livrer notre «bible» française dont la retranscription est honorable pour la mémoire du mouvement. Marc Boudet nous précise à ce propos : « finalement, c’est bien que ça sorte près de trente ans après. Ca n’aurait peut être pas été perçu de la même manière si cela serait sorti avant. Jacky (Jay) m’avait relancé en 2007 en me disant « y en a marre, faut faire quelque chose». Je me sentais redevable vis à vis d’une partie des gens qui m’avaient accueilli à l’époque. Le temps a passé et cela devait sortir maintenant, c’était écrit… ».
«On se préoccupait peu de connaître l’éditeur. On s’intéressait plus à la teneur du bouquin. On ne voulait même pas entrer en contact avec un gros éditeur. On voulait que se soit le plus indépendant possible et garder le contrôle.» Cette précision de Jay est importante car ce qui résulte de cette démarche est un engagement sur le fond et non pas en substance comme on a pu le déplorer récemment devant la manoeuvre maladroite et mercantile : la triste «contrefaçon» de Rapattitude (bien que les photos d’Alain Garnier offrent à cet autre livre sa seule crédibilité). On est cette fois en phase comme on a pu l’être avec Paris Tonkar, Paris City Graffiti ou encore Descente Interdite.
Ils avaient vu juste. Ce livre se devait d’exister pour l’histoire et la mémoire du hip hop en France. Il rebooste par la même occaz la fierté d’y appartenir.

Malgré des légendes de photos parfois un peu «terrain vague», les instants captés de ce monde parallèle suffisent à en décrypter le plus important : sa brillante spécificité en France en avait fait la place européenne la plus consistante. L’idée d’une vulgaire transposition est ainsi balayée pour laisser place à une incontestable universalité du hip hop. «J’ai l’impression que nous avons enfin bouclé un travail d’information qui n’avait pas été fait à une certaine époque…» souligne Marc Boudet. Quelques photos additionnelles récentes de poings américains et autres schlass d’époque tendent à rappeler également que la vie au terrain n’était parfois pas aussi cool que les scratchs de DJ Dee Nasty…

Honorez l’invitation spatio-temporelle de Jay One Ramier, Marc Boudet et Yoshi Omori les yeux fermés et rouvrez-les à bord de leur Doloréane… Marty Mac Fly n’a encore rien vu à côté de ce que vous allez pouvoir apprécier. Pour ce voyage, qui mérite de payer son ticket choc, merci et encore merci. Nobel

Assassin et son histoire vu par Solo

Interviews
assassin, Black Frog, Dee Nasty, Joey Starr, Kool Shen, la chapelle, pcb, Rockin'Squat, solo, sydney, toxic

Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté.

DWT : Quand est-ce que tu rentres dans les rangs ?
Solo : J’avais vu sur TF1 un sujet sur la tournée « New York City Rap Tour » en France dans l’émission « Mégahertz » d’Alain Maneval, qui avait diffusé des images incroyables de la venue à Paris en 1982 d’Afrika Bambaataa avec Fab 5 Freddy, DST, le Rock Steady Crew, Mister Freeze, les Double Dutch girls, Futura, Rammellzee,  etc…  C’est là que j’ai tout découvert. Je n’y étais pas allé car j’étais un reurti, banlieusard et danseur de kyfun… J’étais déjà dans Kurtis Blow, mais pour moi c’était de la funk et pas du rap. J’avais essayé de danser à la minute même après cette émission, j’avais tout poussé chez moi pour tester mais il m’avait fallu encore six mois pour que je comprenne vraiment ce que c’était. Et c’est grâce à « Flashdance » en 1982 ou 1983 que je comprends clairement ce que c’est et que je me prends LA quecla… Et c’est là que tout a démarré pour moi : les gants blancs, etc…

J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse.

DWT : Tu vivais à Anthony (92) à l’époque. Beaucoup avaient vu la lumière comme toi en 1983 dans ton quartier ?
Solo : J’étais le seul. Pour mes potes, c’était uniquement l’oseille qui comptait. En allant faire mes affaires de reurti sur Paris, moi qui était habitué à voir des skates tout pourris, je vois des mecs sur des super skates et là, je me rends compte qu’il existe d’autres choses… Et je me dis que c’est quand même plus cool que de passer son temps à se faire courser par les flics… J’ai quatorze ou quinze ans, je vois des mecs depuis deux ou trois ans qui prennent de la dope, certains font des overdose et d’autres qui passent leur temps en maison de correction ou en prison pour les plus grands. C’est la casse. Je m’interroge sur mon cheminement et comment ça va se finir : soit je vais être un super braqueur, soit je passerai mon temps à cambrioler les gens, soit je finirai toxico ou charclo. Il n’y avait même pas l’espoir du travail, ni en réalité, ni en rêve… Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !! Je suis interpellé par ces gens qui utilisent l’espace public pour pratiquer des activités d’une manière qui m’était jusqu’à lors inconnue. C’est surtout d’autres mecs qui dansaient à Montparnasse devant les miroirs de la tour, qui vont vraiment m’interpeller. Au début, j’y vais pour voir et comprendre un peu plus, de mes yeux, ce qui ressemblait à ce que j’avais vu à la télé. Moi qui cours partout, joue au foot et danse tout le temps, j’accroche réellement et je finis par les rencontrer.

DWT : …Tu en arrives par occuper la place de danseur officiel dans l’émission « H.I.P. H.O.P. » présenté par Sydney sur TF1 en 1984 au sein des Paris City Breakers (PCB). Comment t’es tu retrouvé à former ce crew avec les deux autres danseurs ?
Solo : Ca s’est fait au travers d’une rencontre avec Scalp au Trocadéro. Scalp est le petit frère de la fiancée de l’époque (Candy) de Sydney, il cherchait un autre danseur pour un direct dans une émission de variété (« Atout cœur » de Patrick Sabatier). Scalp et Franck le breaker fou avaient décidé, sous l’impulsion de Sydney, de fonder les PCB en référence aux New York City Breakers. J’ai été intégré au groupe et les choses se sont enchainées pour moi.

Je choisis d’accrocher à ce truc super nouveau et frais, qui n’est pas dans une optique négative et surtout qui est… FUN !!

DWT : Sur quelles bases cette émission a t-elle été montée ?
Solo : Marie-France Brière était directrice des programmes de Radio 7 (Radio France) où Sydney avait une émission de radio quotidienne ou hebdomadaire, je ne sais plus, dans laquelle il jouait de la funk, de l’électro-funk et du Rap. Brière était témoin de l’engouement des jeunes pour ces nouvelles musiques car à chaque fois que Sydney invitait un artiste américain à la radio, il y avait un envahissement du hall d’entrée de Radio France. Bien que ce hall soit immense, tu ne pouvais même plus y rentrer. Des mômes dansaient partout, un joyeux bordel sans histoires, tous étaient là juste pour participer. La radio n’avait jamais connu d’envahissement avant Sydney. Voyant cela et passant directrice des programmes variétés de  TF1, Marie-France Brière décide en 1984 d’accorder un créneau horaire à Sydney pour animer la première émission de télé du monde consacrée au hip hop. Tout d’un coup, petit renoi de banlieue que j’étais, je me retrouve à la télé alors qu’on me considérait comme un cancre notoire ou une espèce de relou de service. Les gens qui me regardaient à moitié se mettent à me regarder vraiment. et tout ce qui était du domaine du rêve, limite inconcevable, devient réalisable…

DWT : La déprogrammation de cette émission a t-elle été vécu comme un arrêt brutal vu l’effervescence qu’elle avait provoqué dans votre quotidien ?
Solo : C’était une dure réalité mais c’est ce qui a permis de tester notre détermination et de connaître réellement nos motivations : s’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée, qu’il fallait arroser, aider à se développer afin que la plante prenne de l’envergure. Le but de cette émission de télé était juste de faire découvrir ce courant culturel. Il ne faut pas prêter à des chaînes de télé ou à ce genre de médias des intentions qu’ils n’avaient pas.

S’agissait-il juste des mêmes motivations que ceux qui avaient mis cette émission en place, à savoir une passade, où s’agissait-il d’une passion qui avait laissé une trace ?  Pour nous c’était une graine qui avait été semée.

DWT : Un nouveau chapitre de ton activisme va démarrer… Comment débute l’histoire du groupe Assassin ?
Solo : Je me rends à New York grâce aux thunes touchées par « H.I.P. H.O.P. » et j’y rencontre par hasard, dans une boîte, Vincent Cassel, le grand frère de Squat, en 1984. On se parle vite fait car il me reconnaît. Lui avait découvert le hip hop, non pas au travers d’une émission de télé, mais en se rendant à New York car sa mère y habitait. Je l’ai recroisé par la suite en France aux Bains Douches et on est devenu ami. L’année qui a suivi, je me suis fait virer de chez moi et je me suis retrouvé à traîner. L’émission « H.I.P. H.O.P. » s’étant arrêtée, je n’ai plus les mêmes moyens financiers que j’avais avant. Vincent m’a hébergé pendant un certain laps de temps et j’ai donc connu Mathias alias Squat, son petit frère. Squat n’était pas pas trop là car il était encore en sport étude tennis. Quelques temps après, on commence à être dans les balbutiements du rap. Comme on est vraiment LA bande de potes, on essaye de faire des trucs ensemble. Vers 1986/1987, Marco Prince (FFF) nous aide à faire une maquette et nous fait enregistrer dans le petit studio d’une boite de pro d’un ami commun, Olivier Brial, paix à son âme. Le morceau s’appelait « Les esprits faibles » dans lequel Vincent Cassel, Squat et moi rappions : « Les esprits faibles doivent être à la mode, mais je te dis que le mien n’est pas commode, il est froid comme le fer et dure comme la pierre…« . Un ou deux ans après, Squat et moi nous fréquentions plus assidument. Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

DWT : Le fait d’avoir côtoyé très tôt le monde du show business, de la mode et des décideurs a t-il favorisé l’existence d’Assassin ?
Solo : A cette époque là, où tu es bon et t’existes, où tu es nul et tu es rayé, point barre. Il n’y a même pas d’entre deux. La connexion se fait parce qu’il y a une qualité. Ces gens là n’étaient pas des philanthropes qui nous disaient simplement « ah ouais tu es mon pote, tu es cool » avec une petite tape dans le dos. Il fallait susciter un engouement, avoir du charisme et être incontournable pour les intéresser. Comme Rakim disait à l’époque : « l’important n’est pas d’où tu viens mais ou tu te tiens »». L’énergie que nous dégagions et notre potentiel comptait beaucoup.

Je trouve le nom d’Assassin vers 1987 ou 1988 et le groupe est lancé autour de pas mal d’énergies que je centralisais à ce moment.

 

DWT : La démarche de quitter Remark Records, avec qui vous aviez sorti « Note mon nom sur ta liste », en prenant la décision de vous auto-produire dès 1993, démontre t-elle réellement que vous aviez la capacité d’être indépendants ?
Solo : Entre ce qu’on a dit et ce qu’on a fait… J’avais contacté Corida au départ, en 1992, pour que nous calions une date d’Assassin à La Cigale. Nous rencontrons Jacques Renault et il nous fait confiance. Le concert est complet et sans promo, le show était incroyable… Corida est devenu notre partenaire et nous a aidé à concrétiser ce qu’on a entamé. Nous prenions les décisions mais ils nous conseillaient, nous épaulaient financièrement et juridiquement. On était dans une démarche d’indépendance et on se comportait comme tel. Mis à part IAM, je ne suis pas certain que tout ceux qui ont signé à l’époque sortaient quelque chose qui ressemblait à leur démo. Pour NTM par exemple, ils se sont retrouvés avec des directeurs artistiques, etc… Ce n’était pas notre cas. On se prenait la tête, on gérait tout, on faisait nos maquettes et on les enregistrait dans un gros studio. On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

On a eu cette opportunité d’avancer avec Corida, ce qu’on a fait, mais on a eu du mal à le gérer correctement sur la durée. L’indépendance demande une cohésion et une maturité qui nous ont fait défaut…

DWT : Comment en arrives-tu à quitter le groupe alors qu’il commence à prendre un sérieux envol ?
Solo : Je trouvais qu’il y avait un décalage entre nos actions, ce qu’on dégageait et ce qu’on était réellement. Il y avait pour moi un décalage paradoxale entre la manière dont on apparaissait et la manière de se comporter les uns avec les autres. Il y avait aussi une certaine forme d’inconsistance dans ma manière de faire face à certaines problématiques, comme le développement du groupe ou l’équilibre des rapports entre les uns et les autres. Certains pesaient plus que d’autres dans la prise de décision. Je ne m’y retrouvais pas et je n’arrivais pas à me positionner. J’ai pensé que la solution était de m’en aller. Squat a essayé de faire perdurer le groupe avec ses armes et ses moyens et il ne s’en est plutôt pas si mal tiré. Il a eu du cran et du courage car ce n’est pas évident de continuer seul une aventure qui a été commencé à plusieurs. C’était plus facile de parler que de faire. Ce qu’est devenu Assassin peut plaire ou déplaire, mais on ne pourra jamais enlever à Squat qu’il a réussi à continuer.

DWT : Peux-tu enfin nous faire partager les raisons du clash Assassin / NTM ?
Solo : Malentendu, mauvaise foi… tout ce qui représente les humains dans leurs mauvais côtés. Il y avait de la compétition mais également, et finalement, de la concurrence… Et il y a cette histoire d’Olympia… NTM y avait déjà calé une date en 1993. Nous voulions également faire une grosse date sur Paris. La seule qui restait à l’Olympia, c’était un jour avant eux… Corida pose une option dessus. Ils en ont eu vent avant qu’on ait le temps de leur expliquer ce qu’on envisageait.

Nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter une trahison, et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

On développait avec NTM l’image des représentants du « nord », donc on s’était dit qu’on allait occuper l’Olympia ensemble pendant deux jours, genre mini-festival, faire une communication commune, etc… Car de toute façon, on avait l’habitude de faire des scènes ensemble, ça restait dans cet esprit. Sauf que Joey Starr, apprenant l’info de son côté, appelle Squat et l’abreuve d’insultes sur son répondeur. Malgré ma tentative, dans la foulée, d’expliquer à Joey notre démarche et qu’il avait tort de réagir comme ça, il ne voulait rien entendre et à continuer d’être véner (ndlr : la date des NTM à l’Olympia est finalement annulée). C’est pour ça que je dis que c’est de la mauvaise foi car on était supposé être des amis, de longue date en ce qui me concerne avec Joey, sans parler des affinités affichées entre les deux groupes et la multitude de services que Crazeebo et moi même leurs avions rendu : la première maquette que Joey est jamais enregistrée, les bandes pour leurs concerts, j’avais même co-produit avec DJ S le morceau « C’est clair » de leur premier maxi sans avoir été crédité… Bref, cela ne me paraissait pas incongru qu’on puisse s’expliquer vu que nous avions l’habitude avec NTM d’avancer ensemble. Ils ne l’ont pas entendu de cette oreille, c’était, à les écouter, une trahison et donc une déclaration de guerre en bonne et due forme, excuse qui leur permettait de nous faire passer d’amis à rivaux à abattre.

DWT : Qu’est ce qui t’as motivé pour la reformation d’Assassin sur la scène de l’Olympia en 2009 ? Celle-ci laisse t-elle présager des retrouvailles également en studio ?
Solo : Il y a quelque chose qu’on ne peut pas enlever, c’est que ce groupe fait partie de mon histoire. C’est aussi une manière de passer l’éponge sur les côtés conflictuels et de démontrer que ce groupe a beaucoup apporté. Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

Pour ce qui est de retourner en studio ensemble, je l’ai proposé à Squat mais ça n’a pas été suivi d’effet, donc pour moi, c’est lettre morte. Après l’Olympia, la question s’est posé, mais ça n’a plus lieu d’être.

DWT : En 1994, tu en arrives à quitter Assassin, pourquoi tu ne continues pas une carrière solo ?
Solo : Manque de confiance, manque de confiance, manque de confiance et encore manque de confiance. Sur l’existence en tant qu’artiste par exemple, je voulais viser plus haut que ce que je pouvais faire. Après Assassin, et dans ce mouvement musical, je me mettais la barre beaucoup trop haute. En tout cas, plus haut que mes propres capacités. Je voulais tellement bien faire, qu’à la fin, de manière inconsciente, je ne faisais pas, pour ne pas me tromper.

Photo © Nico/SKGZ – Aiiight.fr

DWT : En 1996, un projet de trio voit le jour composé de Polo, Jojo (Joey Starr) et Solo… Que s’est-il passé ?
Solo : J’étais encore dans la naïveté de croire que les choses peuvent se passer d’une manière super simple. Dans tout ce qui est de l’ordre du partage et de ce que je mets dans mes relations, il s’agit de sincérité et de simplicité. Ce n’est pas parce que ça n’allait pas un jour qu’on ne pouvait pas évoluer. Tout le monde n’y mettait pas la même volonté. Ca a été une jolie idée mais ça n’a pas abouti. Joey a une certaine personnalité. Quand tu vois que son dernier album s’appelle « Egomaniac », il est au moins lucide sur lui même. J’ai été un personnage très naïf pendant très longtemps.

DWT : Monter ce trio avec Joey constituait-il une forme de revanche sur ton départ d’Assassin ?
Solo : C’était une démarche naturelle. A un moment, j’étais assez proche de Didier et dans une intimité qui faisait que j’en suis arrivé un jour à lui dire qu’il était le frère que je n’avais pas eu. Est-ce que ce sentiment était partagé de sa part ? Je ne peux pas répondre à sa place. C’est quelqu’un avec qui j’ai traversé pas mal d’époques, pas mal d’épreuve de la vie. Dans mon imaginaire, le vrai groupe qui aurait du exister naturellement, il aurait dû être composé de Solo et Joey Starr ! Avec du recul, vu la haine viscéral que Joey éprouvait à l’égard de Squat, c’était peut être une manière de marquer le coup pour lui. Il arrive que cela se fasse inconsciemment et que certains n’aient même pas conscience du côté vindicatif ou mesquin de leurs actes. Est-ce que c’était le cas de Joey vis à vis de moi ou de Squat, il n’y a que lui qui peut répondre.

DWT : Tu gardes des souvenirs sympas de l’époque de La Chapelle…
Solo : …sympas ?

Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout !

DWT : …il y avait quand même les block party de Dee Nasty…
Solo : Il y a eu des bastons mémorables oui !! C’était surbouillant frère. Des mecs se faisaient gravement dépouillés. Il y avait des trucs sales. Il y avait une équipe de relous composé de Monster Kaze, Rital et d’autres taggers survéners. On marchait beaucoup à la bière à l’époque. Un jour, Lady V était allé seule au terrain. Monster Kaze avait voulu la taper, je crois même qu’il l’avait giflé. C’était vers 1986 ou 1987, à l’époque où Didier Morville (ndlr : futur Joey Starr) était surnommé « Joey Valstar »… A l’époque, j’habitais rue de la Roquette, donc elle arrive chez moi en pleurs. Je fonce là bas, ça part en baston et ça se termine au couteau. Kaze essaye de me planter le couteau dans la gorge. J’arrive à lui retirer mais il m’ouvre le menton. Je l’ai acculé jusqu’en haut d’une rampe, au fond du terrain, qui montait car il devait y avoir un ancien parking. Arrivé en haut, j’essayai de le faire tomber dans le vide… Il y avait eu aussi un défi de break avec Joël de Timide Et Sans Complexe qui s’était mal terminé. Je l’avais mis à l’amende au break et il commence à parler mal. Je viens vers lui car ça chauffe. Le mec me dit « ah ouais, viens ! » et il sort un espèce de grand bâton avec des clous au bout ! C’était un lieu incontournable. Son histoire est mémorable. Il y avait cette atmosphère genre block party à la new yorkaise retranscrit à la française. Mais sinon, dans la manière dont les choses se déroulaient, il y avait toujours un moment où ça partait en vrille.

DWT : Quelle vision as-tu de la transposition du hip hop en France ?
Solo : Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route. Le meilleur exemple est qu’en France, il s’agit beaucoup plus d’égotrip et de représentation par rapport à un truc personnel qu’une vision d’ensemble et de partage. Et je suis autant à blâmer que les autres. Le rap n’est qu’une discipline du hip hop mais il ne faut pas oublier qu’au début, c’était le DJ qui était la star et qui appelaient les MC’s pour alimenter son truc. Les MC’s se sont accaparés la vedette et les DJ’s ont été relégué en arrière plan. Le hip hop, c’était que quand tu faisais une party, tu avais obligatoirement avoir le DJ, le MC, le crew de danseurs et les graffeurs…

Le hip hop n’est pas un art de vivre en France. Il n’y a pas cette forme d’unité entre les différents éléments. Chaque discipline ne représente que pour elle même. Ca m’attriste car la retranscription s’est perdue en route.

DWT : Vois-tu une forme d’influence sur la création de cette musique, voir un formatage, lorsque certains directeurs de programmation de radio, à partir du milieu des années 1990, ne se gênaient pas pour mettre leur grain de sel en studio lorsque des groupes enregistraient ?
Solo : Il faut surtout s’interroger sur ce que ces artistes étaient prêts à faire. Il appartient à chacun de décider. Maintenant, je pense que ce n’est pas la place d’un directeur d’antenne ou de programmation de radio d’être dans un studio quand le groupe est en train de créer ou lui demander de remanier après coups. Des gens l’ont accepté sinon cela n’aurait pas eu lieu. Ce genre de personne ne s’invite pas tout seul dans un studio, on l’y convie. On ne peut pas diaboliser un directeur de programmation de venir participer puisque c’est les artistes eux même qui l’invitent… C’est plutôt ce genre d’artistes qu’il faut diaboliser. C’est à eux de se poser des questions et de se demander s’ils ont baissé leur pantalon et leur culotte à un moment donné. Quand on lisait « interdit aux bâtards » dans Get Busy, c’est ça que ça voulait dire. Cette musique a été formaté car certains l’ont bien voulu. Est-ce que moi, j’en fait parti ? Non !

DWT : Tu diriges maintenant ton label Black Frog et prend souvent les platines notamment au sein des soirées Toxic. Est-ce que tu retrouves une sorte d’épanouissement sincère comme au début de ce mouvement ?
Solo : C’est maintenant que j’ai l’impression vraiment d’être hip hop. Je le suis plus que je ne l’ai jamais été. L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

L’essence réellement du hip hop qui rassemble le mix des cultures, le partage, la détermination, le côté positif, le respect d’une certaine forme d’humanité, je n’ai jamais été là dedans autant que je le suis aujourd’hui.

 

Retrouvez Solo au commande de son label Black Frog ent. pour la sortie du Maxi « Pigalle » des « MonomaniaX » (courant mai 2012) avec des remixes de Para One / Blackjoy / Kaptain Cadillac et la vidéo réalisée par Jeremy Halkin & Anto Hinh Tai ainsi que le EP du talentueux Uncle O annoncé pour courant juin 2012.

Interview Ministère AMER (1995)

Documents
Kenzy, Ministere AMER, Passi, solo, Stomy Bugsy

Tous les pédés du mouvement hip hop veulent nous boycotter !
Quand on dit « tous les pédés », on ne fait pas de d’exception entre tout ceux qui nous aiment bien maintenant et ceux qui ne nous aimaient pas avant.

Le rouleau compresseur de la première moitié des années 1990, certainement le groupe le plus virulent du rap français de l’époque, revient sur le devant de la scène médiatique pour annoncer leur concert-événement du 22 septembre prochain à l’Olympia. Il aura donc fallu attendre le 20ème anniversaire d’un album incontournable du rap français pour que le groupe se reforme enfin. L’occasion pour Down With This de publier au format numérique un entretien que nous avions réalisé en 1995 pour notre édition papier et qui avait fait date… A une époque où le groupe prenait pourtant soin de rappeler très sérieusement : « Ne laissez personne parler pour vous, ne laissez personne se faire un avis pour vous. Personne, pas même le Ministère AMER ».

DWT : Dans votre dernier album (ndlr « 95200 »), votre discours semble s’adresser principalement aux « négros »…
Ministère AMER : On n’écrit pas pour les négros, on écrit comme des négros, ce n’est pas pareil. Quand on écrit des rap, on écrit en tant que noir vivant en France, donc on n’écrit pas en tant que blanc ou arabe vivant en France. Sur n’importe quel sujet, tu peux prendre mon point de vue et le tien, ils différeront. Non pas parce qu’on vit dans deux villes différentes, mais parce qu’on est de deux origines différentes, et qu’on a un passé et des histoires différentes. On ne s’adresse pas un public bien spécifique. Les gens qui achètent nos disques ne sont pas tous noirs.

DWT : Dans le morceau « Autopsie », vous semblez avoir une sérieuse dent contre les toxs…
Ministère AMER : Autopsie n’est pas une chanson contre les toxicos. Une fois de plus, notre spécialité est de faire des pieds de nez à tout le monde, et à tout ceux qui semble avoir des idées reçus sur plein de choses et sur nous. Nous ne sommes pas là pour dire « ne prenez pas de la drogue ». On dit aux gens « si vous aimez la drogue, prenez-en, mais si vous en crevez, bien fait pour votre gueule ». On n’est pas l’assistance sociale, ni la MJC AMER, nous sommes le Ministère AMER ! Tu veux prendre de la drogue ? Prends-en. Mais le jour où tu crèves, on n’ira pas à ton enterrement et on ira même pisser sur ta tombe ! Maintenant, on va parler de chiffres. Nous vendons 25 000 disques pour l’instant, et vendre 25 000 disques, ça nous a pas rendu naïfs au point de penser, ne serait-ce que cinq secondes, que si aujourd’hui, on prend le micro et qu’on dit à des jeunes « arrêtez de vous droguer » qu’ils vont arrêter de le faire. Bougez-vous pour vous ! On n’est pas là pour dire « faîtes ceci » ou « faîtes cela ». Il y a déjà assez des religions, des parents, de la police et de tout ce qui est étatique. Sinon, on ne rentre pas dans les discours de légalisation. Nous ne faisons pas de différence entre bière et Haschich. Il ne faut pas que se soit légal. Je ne veux pas que mon fils aille acheter une barrette de shit comme il achèterait un carambar. Alors contre tout ce qui est légalisation, Ministère AMER est contre. En plus, ça mettrait trop de personnes au chômage…

Tu veux prendre de la drogue ? Prends-en. Mais le jour où tu crèves, on n’ira pas à ton enterrement et on ira même pisser sur ta tombe !

DWT : Qu’est ce que ça vous fait de ne voir aucun noir, ou très peu, à la télévision ?
Ministère AMER : On dit tous les jours aux gens, aux noirs en France et même aux blancs, que la France est un pays raciste. A chaque fois que l’on allume la télé, ça ne fait que confirmer ce que l’on dit. Pas de noir à la télé, ça veut dire que l’on n’existe pas. C’est simple.

DWT : Qu’entendez-vous par « tous les pédés du mouvement h-i-p h-o-p veulent nous boycotter » ?
Ministère AMER : Il y a un sujet, un verbe et un complément : tous les pédés du mouvement H-i-p-H-o-p veulent nous boycotter. Tu prends tout ce qui est écrit sur le rap depuis le début, ou même les reportages à la télé depuis le début du mouvement rap en France, et tu comptes toutes les fois où on nous a cité, tu verras que ça doit tenir sur les narines d’un nez. Pourtant, on est là depuis 1990, en tant que professionnel dans la chose. Quand on dit « tous les pédés », on ne fait pas d’exception entre tout ceux qui nous aiment bien maintenant et ceux qui nous aimaient pas avant. A l’intérieur de ce mouvement, il y a une forme de censure. Il y a des gens qui s’auto-censurent et qui sont sensé être la génération qui va tout faire péter, mais qui en fin de compte sont tous des pédés. Mais on ne vous parle que des gens qui font la scène hip-hop, rap, pas les mecs qui écoutent, juste les gens qui sont soi-disant là depuis longtemps et qui ont une stature de mecs hardcore. On n’a jamais été impliqué là-dedans. Le fait que nous étions toujours mis à l’écart, ça veut vraiment dire que les gens, depuis le début, ne nous ont pas perçus comme étant le même groupe que tout ceux qui étaient déjà sur la scène. On a une habitude, c’est que quand les gens ne veulent pas de nous chez eux, on s’en va, on rentre chez nous. On n’est pas des crevards, on a des maisons. Maintenant, on fait nos disques. Comme quoi, on peut faire des bons disques sans être zulu.

On a une habitude, c’est que quand les gens ne veulent pas de nous chez eux, on s’en va, on rentre chez nous.

DWT : …Pouvez-vous nous donner votre définition d’un « zulu » ?
Ministère AMER : Je ne peux pas donner ma définition, mais je peux vous citer une phrase du roi zulu : « A Paris, la zulu, c’est funky ». (rires).

DWT : Musicalement vous semblez être large dans vos conceptions musicales. Vous utilisez autant un solo de guitare joué, qu’un break-beat…
Ministère AMER : Pourquoi pas ? Ca rajoute un plus. Stomy et Passy écrivent le rap, Desh demande ce qu’il lui faut pour ce morceau. S’il n’arrive pas à repiquer quelque chose qu’il aime, on fait appel à une palette d’artistes qui est autour de nous. On fait travailler d’autres personnes, et en plus ce sont des copains, ça les aide.

Propos recueillis en 1995 par Nobel et Beusai – Photo par © Alain Garnier et © Nobel

Rechercher

Categories

  • Actus
  • Agenda
  • Carte Blanche
  • Documents
  • Interviews
  • Non Classe
  • Société

Lokiss – Prédateur isolé

Interviews
gabin, lava

Bboy Benji – Fight Club

Interviews
benji, freeze, gabin, junior, Wanted posse

Finale BOTY 2016 : Triplé historique pour Melting Force !

Actus
freeze, Wanted

Battle of the Year France 2016

Agenda
freeze, gabin, Wanted posse

Wanted Posse et West Gang (France) remportent la grande finale du Battle Cercle Underground !

Actus
freeze, gabin, Wanted posse

Cercle Underground : affrontement mondial

Agenda

Interview Dee Nasty (1995)

Documents
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Zekri

Dee Nasty, down with the King

Interviews, Non Classe
Dee Nasty, Lionel D, Mr Freeze, Nova, solo, Zekri

Fab Five Freddy les bons tuyaux

Interviews
Bramly, Fab Five Freddy, Lionel D, solo, Zekri

Funktherapy réunit deux légendes de la danse : Shabba-Doo et Crazy Legs !

Agenda

Copyright © DownWithThis.Fr | Tous droits réservés