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Interview Ministère AMER (1995)

Tous les pédés du mouvement hip hop veulent nous boycotter !
Quand on dit « tous les pédés », on ne fait pas de d’exception entre tout ceux qui nous aiment bien maintenant et ceux qui ne nous aimaient pas avant.

Le rouleau compresseur de la première moitié des années 1990, certainement le groupe le plus virulent du rap français de l’époque, revient sur le devant de la scène médiatique pour annoncer leur concert-événement du 22 septembre prochain à l’Olympia. Il aura donc fallu attendre le 20ème anniversaire d’un album incontournable du rap français pour que le groupe se reforme enfin. L’occasion pour Down With This de publier au format numérique un entretien que nous avions réalisé en 1995 pour notre édition papier et qui avait fait date… A une époque où le groupe prenait pourtant soin de rappeler très sérieusement : « Ne laissez personne parler pour vous, ne laissez personne se faire un avis pour vous. Personne, pas même le Ministère AMER ».

DWT : Dans votre dernier album (ndlr « 95200 »), votre discours semble s’adresser principalement aux « négros »…
Ministère AMER : On n’écrit pas pour les négros, on écrit comme des négros, ce n’est pas pareil. Quand on écrit des rap, on écrit en tant que noir vivant en France, donc on n’écrit pas en tant que blanc ou arabe vivant en France. Sur n’importe quel sujet, tu peux prendre mon point de vue et le tien, ils différeront. Non pas parce qu’on vit dans deux villes différentes, mais parce qu’on est de deux origines différentes, et qu’on a un passé et des histoires différentes. On ne s’adresse pas un public bien spécifique. Les gens qui achètent nos disques ne sont pas tous noirs.

DWT : Dans le morceau « Autopsie », vous semblez avoir une sérieuse dent contre les toxs
Ministère AMER : Autopsie n’est pas une chanson contre les toxicos. Une fois de plus, notre spécialité est de faire des pieds de nez à tout le monde, et à tout ceux qui semble avoir des idées reçus sur plein de choses et sur nous. Nous ne sommes pas là pour dire « ne prenez pas de la drogue ». On dit aux gens « si vous aimez la drogue, prenez-en, mais si vous en crevez, bien fait pour votre gueule ». On n’est pas l’assistance sociale, ni la MJC AMER, nous sommes le Ministère AMER ! Tu veux prendre de la drogue ? Prends-en. Mais le jour où tu crèves, on n’ira pas à ton enterrement et on ira même pisser sur ta tombe ! Maintenant, on va parler de chiffres. Nous vendons 25 000 disques pour l’instant, et vendre 25 000 disques, ça nous a pas rendu naïfs au point de penser, ne serait-ce que cinq secondes, que si aujourd’hui, on prend le micro et qu’on dit à des jeunes « arrêtez de vous droguer » qu’ils vont arrêter de le faire. Bougez-vous pour vous ! On n’est pas là pour dire « faîtes ceci » ou « faîtes cela ». Il y a déjà assez des religions, des parents, de la police et de tout ce qui est étatique. Sinon, on ne rentre pas dans les discours de légalisation. Nous ne faisons pas de différence entre bière et Haschich. Il ne faut pas que se soit légal. Je ne veux pas que mon fils aille acheter une barrette de shit comme il achèterait un carambar. Alors contre tout ce qui est légalisation, Ministère AMER est contre. En plus, ça mettrait trop de personnes au chômage…

Tu veux prendre de la drogue ? Prends-en. Mais le jour où tu crèves, on n’ira pas à ton enterrement et on ira même pisser sur ta tombe !

DWT : Qu’est ce que ça vous fait de ne voir aucun noir, ou très peu, à la télévision ?
Ministère AMER : On dit tous les jours aux gens, aux noirs en France et même aux blancs, que la France est un pays raciste. A chaque fois que l’on allume la télé, ça ne fait que confirmer ce que l’on dit. Pas de noir à la télé, ça veut dire que l’on n’existe pas. C’est simple.

DWT : Qu’entendez-vous par « tous les pédés du mouvement h-i-p h-o-p veulent nous boycotter » ?
Ministère AMER : Il y a un sujet, un verbe et un complément : tous les pédés du mouvement H-i-p-H-o-p veulent nous boycotter. Tu prends tout ce qui est écrit sur le rap depuis le début, ou même les reportages à la télé depuis le début du mouvement rap en France, et tu comptes toutes les fois où on nous a cité, tu verras que ça doit tenir sur les narines d’un nez. Pourtant, on est là depuis 1990, en tant que professionnel dans la chose. Quand on dit « tous les pédés », on ne fait pas d’exception entre tout ceux qui nous aiment bien maintenant et ceux qui nous aimaient pas avant. A l’intérieur de ce mouvement, il y a une forme de censure. Il y a des gens qui s’auto-censurent et qui sont sensé être la génération qui va tout faire péter, mais qui en fin de compte sont tous des pédés. Mais on ne vous parle que des gens qui font la scène hip-hop, rap, pas les mecs qui écoutent, juste les gens qui sont soi-disant là depuis longtemps et qui ont une stature de mecs hardcore. On n’a jamais été impliqué là-dedans. Le fait que nous étions toujours mis à l’écart, ça veut vraiment dire que les gens, depuis le début, ne nous ont pas perçus comme étant le même groupe que tout ceux qui étaient déjà sur la scène. On a une habitude, c’est que quand les gens ne veulent pas de nous chez eux, on s’en va, on rentre chez nous. On n’est pas des crevards, on a des maisons. Maintenant, on fait nos disques. Comme quoi, on peut faire des bons disques sans être zulu.

On a une habitude, c’est que quand les gens ne veulent pas de nous chez eux, on s’en va, on rentre chez nous.

DWT : …Pouvez-vous nous donner votre définition d’un « zulu » ?
Ministère AMER : Je ne peux pas donner ma définition, mais je peux vous citer une phrase du roi zulu : « A Paris, la zulu, c’est funky ». (rires).

DWT : Musicalement vous semblez être large dans vos conceptions musicales. Vous utilisez autant un solo de guitare joué, qu’un break-beat…
Ministère AMER : Pourquoi pas ? Ca rajoute un plus. Stomy et Passy écrivent le rap, Desh demande ce qu’il lui faut pour ce morceau. S’il n’arrive pas à repiquer quelque chose qu’il aime, on fait appel à une palette d’artistes qui est autour de nous. On fait travailler d’autres personnes, et en plus ce sont des copains, ça les aide.

Propos recueillis en 1995 par Nobel et Beusai – Photo par © Alain Garnier et © Nobel

LandersSarrazin

Salut à tous les fans de hip-hop ! Je suis Landers Sarazzin, votre référence pour tout ce qui concerne le hip-hop. En tant qu'auteur et passionné fervent de ce genre électrisant, j'ai consacré ma vie à démêler les complexités, explorer les profondeurs et vibrer au rythme des beats qui définissent la culture hip-hop. J'ai découvert que ma véritable passion ne réside pas dans le fait de rapper mais d'écrire sur la musique qui nous émeut. E-mail / Instagram

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