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Ali, accords de paix

Ca m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question.

« Si tu en tues un, protège ton dos, il en reste un ». Ali est celui-là. Il est l’artiste rescapé du label 45 Scientific, historiquement composé du « métisse café crème, MC cappuccino criminel au M.I.C. », d’Ali, de Jean-Pierre Seck et du général Géraldo toujours aux ordres des productions du 45. Ali, personnage atypique et charismatique du rap hexagonal, vient de signer son troisième album solo, un cap important dans la carrière d’un artiste. L’encre a bien coulé depuis ses débuts sous les noms de Daddy Ali et Poète Musulman. Le R.A.P. et son game ne sont pourtant pas sa première préoccupation. C’est avant tout l’Islam et sa pratique qui rythme sa vie. Avec un fort attachement aux valeurs de sa religion, prônant paix, amour et unité, Ali nous livre son rapport à la musique et ses sentiments sur son parcours. Il tombe à pic. C’est en ces heures troubles pour l’opinion publique mondiale que nous le rencontrons. Ali déclare dans l’interview « Avant de vouloir défendre quelque chose, il faut le vivre pleinement ». Alors nous l’accueillons volontiers dans les colonnes du média qui vit pleinement le hip hop français depuis plus de 20 ans !

Down With This : Ton vrai prénom est Yassine. Ali est l’acronyme d’ « Africain Lié à l’Islam », parle-nous du lien que tu entretiens avec ce continent.
Ali : A un certain moment, il y a eu un mouvement qui consistait à jouer avec les mots, comme avec C.R.E.A.M. de Wu Tang. A cette époque c’était Daddy Ali, Daddy Yod, Daddy Lord C… Ce n’était pas « Africain Lié à l’Islam » dès le départ. C’est venu avec le temps, avec un mouvement et une culture de l’époque. Et même, ce n’est pas parce que Wu Tang avait fait C.R.E.A.M. que je l’ai fait de mon côté. Il y avait une globalité à faire ça. Le premier lien, c’est celui avec le Maroc, avec mes oncles, mes tantes présentes dans ce pays. Ensuite, j’ai pu voyager au Sénégal et en Guinée, donc c’est vraiment un lien fraternel qui est très important pour moi. On va dire que c’est un rapport de fraternité, tout simplement. Plus jeune, j’étais très attaché à ce continent, j’y suis toujours, mais ayant voyagé, je le vois autrement. Je vais maintenant plus m’attacher à l’individu et aux rencontres. Je peux avoir de très bons souvenirs avec des personnes rencontrés en Europe. Ce n’est plus réellement un attachement centré uniquement sur le côté « afro-centrique ». Au contraire, c’est plus un sentiment d’ouverture. C’est vrai que je suis panafricain mais ce n’est pas un panafricanisme de retrait, de clôture… Au contraire, je suis humain et j’ai appris par le voyage à avoir le même rapport avec des frères africains, des frères européens, nord américains ou asiatiques.

DWT : Tu vis en Indonésie, le pays musulman le plus peuplé au monde, es-tu en contact avec des artistes de la scène hip hop Indonésienne ?
Ali : Je suis entre la France et l’Indonésie. En Indonésie, je suis à la capitale, Jakarta. Ma femme et mes enfants sont là-bas. La plus grande a 15 ans et les deux petites dernières ont 5 et 8 ans. J’ai un rapport familial très fort, et on va dire très intime. Pour ce qui est du hip hop en Indonésie, j’ai déjà vu du graffiti à Jakarta. L’univers hip hop est présent dans ce pays mais comme je suis très souvent en déplacement en France, je n’ai pas encore approfondi cela. C’est très récent.

DWT : Pourquoi ne pas avoir choisi le Maroc, pays de tes parents ?
Ali : C’était un choix de vie. A un moment, ma femme qui vivait en France a voulu retourner vivre en Indonésie. Par amour, j’ai suivi ce qu’elle voulait faire.

Il y avait donc ce rapport d’enfants, d’amitié, d’aventure mais aussi de voir les plus grands faire déjà du rap et faire tourner des cassettes de funk ou de rap entre eux. Certains d’entre eux dupliquaient des cassettes, d’autres graffaient.

DWT : Quels souvenirs gardes-tu des Epinettes à Issy-les-Moulineaux (92) ?
Ali : C’est un souvenir très léger parce que j’étais petit. On cherchait à se réunir avec les plus grands et les jeunes de notre âge. C’est des souvenirs de début d’adolescence. C’était agréable, les premières rencontres. Dans un texte je dis que « ça commence par vouloir ressembler aux aînés, le grain de café au cou, à la peau de lézard aux pieds, on finit engrainé« . C’était la mode des Weston, de la funk et de s’habiller d’une certaine façon. Il y avait donc ce rapport d’enfants, d’amitié, d’aventure mais aussi de voir les plus grands faire déjà du rap et faire tourner des cassettes de funk ou de rap entre eux. Certains d’entre eux dupliquaient des cassettes, d’autres graffaient. On marchait en sortant de l’école, on parlait de tout, on rappait, c’était ça les Épinettes.

DWT : Peux-tu nous resituer brièvement ta provenance sociale ?
Ali : Je suis né à Paris 14ème. Mon père a effectué beaucoup de travaux difficiles avant de pouvoir ouvrir un commerce. Il a eu une intégration compliquée. À ma naissance, il était déjà commerçant. Ma mère était professeur de langue marocaine à Colombes.

DWT : Certains pratiquants se revendiquent d’un courant ou d’un autre de l’Islam. Te réclames-tu de cela et est-ce que tu en suis un plus particulièrement ?
Ali : Je ne me définis d’aucun courant religieux, je suis musulman. L’Islam étant un, malgré les différentes écoles, groupe et confrérie. Le socle de l’Islam est vraiment un. On reconnaît tous les prophètes depuis Adam, Abraham, Moïse, Jésus. Ce sont nos prophètes. Le prophète Mahomet, que la paix de Dieu soit sur lui, est le dernier prophète. On est tous d’accord là-dessus. On a une révélation sur laquelle on est tous d’accord : celle de Gabriel. On a aussi le Dieu unique, qui nous relie avec nos frères juifs sur ce plan là et à nos frères chrétiens qui le définissent en tant que père. Je garde donc vraiment l’essentiel et le socle premier qui sont ces éléments. Je ne m’éloigne pas de l’essentiel. Les groupes, les divergences sont des portes que je ne franchis pas. Le premier repère que j’ai, c’est mon père, tout simplement, et ma mère. La famille étant très importante, c’est ce chemin que je suis : celui de l’héritage. Le fait de voir son père pratiquer et de vivre ça sereinement, c’est le premier des repères.

DWT : Beaucoup de rappeurs ont, ou ont eu, des positions divergentes sur la pratique de l’Islam vis à vis du rap. On pourrait citer à ce propos des artistes comme Kéry James, Abd Al Malik, Médine ou Fabe. En ce qui te concerne, comment concilies-tu les deux ?
Ali : Tout est lié, vraiment. Ma foi, c’est mon moteur, ma locomotive. Il y a un très beau verset du Coran que dieu nous donne : Dieu parle à David et lui rappelle par rapport au psaume que David avait la plus belle voix et que ses merveilleuses psaumes étaient psalmodié. On était dans le chant. Dieu lui rappelle : « Oh David, ne suis pas le chemin de tes passions, elles peuvent t’égarer du sentier de Dieu ». Cela veut dire que quand il y a un rapport passionnel, il ne faut pas mettre sa passion, sa locomotive au dessus de son obéissance aux commandements, à partir du moment où le rapport avec Dieu est par l’intention, que j’espère sincère, propre et éclairé, la machine est en marche et le reste va suivre cette direction. Il y a des choses évidentes. Les formes d’art ont toujours fait partie des cultures humaines. Je décris la culture comme de la végétation qui pousse avec de la mauvaise herbe. Et l’Islam, c’est tout simplement : « retirons la mauvaise herbe intérieure » !

DWT : A chaque sortie d’album, tu nous sors un classique. 2005 : « Préviens les autres » (featuring Hi-Fi), 2010 : « Positive Énergie »… Tu fais le pari sur quel titre en 2015 ?
Ali : Je ne parie pas, déjà. Je suis content de tout : l’album, les 14 titres. Dans la globalité, le bonheur pour moi, c’est d’avoir fait un titre dans ma vie qui s’appelle « Que la paix soit sur vous ». C’est très important et j’espère pouvoir diffuser ce message de paix. J’ai une phrase très importante avec un mot clé : « Avant de parler de paix, je me dois de parler en paix ». On a souvent parlé de paix dans les thématiques mais émotionnellement, on n’est pas en accord avec ce qu’on dit. Avant de vouloir défendre quelque chose, il faut le vivre pleinement. Pareil pour les rapports humains. A un moment, ça ne servira à rien de rentrer dans des débats intellectuels et interminables tant que la source même n’est pas paisible. On ne trouvera jamais de solution. C’est pour cela que le titre important de mon album est tout simplement « Que la paix soit sur vous ». C’est ce qui relie les autres, ce qui définit l’essentiel de cet album.

Dieu merci, on est notre libre arbitre. Mais on fait des choix en respectant une certaine obéissance. On a alors de meilleurs résultats que ce qu’on aurait pu espérer.

DWT : Tu viens de signer ton troisième album solo, un cap important, comment le perçois-tu ?
Ali : Mes albums sont cohérents par rapport à un certain âge. Souvent, quand je parle avec des gens proches de la trentaine, ils mettent la musique dans des cases, soit noir, soit blanc. C’est comme ça ou comme ça. Souvent, une fois marié, on commence à se poser les vraies questions. On revient sur soi-même, sans vouloir nécessairement être dans un repli. Je pense que c’est essentiellement des accompagnements de vie et d’âge. Je comprends mieux ce que j’ai voulu faire à l’époque et je m’y retrouve aujourd’hui. J’espère encore m’épanouir et m’améliorer. C’est des cheminements qui, avec le temps, sont pour moi logique. Dans « Chaos et harmonie », même dans le graffiti, on voyait le côté chaotique en train d’exploser dans l’écriture. A un moment, c’est devenu un choix de vie plus évident. Inconsciemment l’album suivant, « Le Rassemblement », regardait vers le côté harmonieux de l’album précèdent. Il y a des logiques. C’est ce qui est beau dans le rapport à Dieu. Ce n’est pas nous qui faisons tout à certain moment. Dieu merci, on est notre libre arbitre. Mais on fait des choix en respectant une certaine obéissance. On a alors de meilleurs résultats que ce qu’on aurait pu espérer. C’est ce qui est très bon en l’Islam. La foi, c’est ce qui nous permet d’éclairer nos lendemains. Je pense que c’est ça, c’est un parcours de foi sur le long terme à travers ces trois albums. Rien qu’à l’écoute, « Chaos et Harmonie », c’est vrai que c’était très lourd, très sombre à l’époque. Avec « Le Rassemblement » ça s’est éclairci d’un point de vue personnel. Sur le troisième, c’est un juste milieu. Comme on dit, en l’Islam, se marier c’est la moitié de sa religion. Je le ressens vraiment. C’est un épanouissement, un élargissement du cœur. C’est une très belle chose que de se marier. Après, avoir des enfants, c’est magnifique, cela nous rappelle, une fois de plus, Dieu. Malheureusement, aujourd’hui, les gens ne croient plus au miracle. Pourtant le fait de voir un bébé naître est le plus beau miracle. Cette vision adoucit le cœur.

DWT : Ton travail est emprunt de mélancolie ; comment la ressens-tu au quotidien ?
Ali : C’est vrai qu’à une certaine époque, il y avait énormément de mélancolie dans mon écriture, surtout dans « Chaos et Harmonie », vers 2005. Ça fait partie de la culture française avec l’accordéon et le côté parisien. C’est une beauté avec de la tristesse dedans. Je me suis détaché de cette mélancolie car elle est dangereuse. C’est une porte ouverte à la tristesse, voir à la déprime. C’est très dangereux. Le côté noir et blanc, je l’ai cassé car il y a des couleurs dans la vie. Le danger de l’obscurité, c’est de rester enfermé dedans. Quand on parle de grisaille, on voit tout en gris. Alors que non, il y a de la couleur dans la vie et je suis très heureux de pouvoir en mettre dans mes albums.

Je n’ai pas envie d’être un rat de laboratoire enfermé dans des zones qui n’existent pas dans la réalité de la vie. Les zones, les frontières n’existent réellement que sur le papier.

DWT : Explique-nous cette habitude que tu as dans tes textes à citer des lieux ou des villes ?
Ali : Les villes c’est des rattachements. C’est ce que je disais dans un album précédent : « Les murs de mon 92 n’ont pas muré mon esprit ». Je n’ai pas envie d’être un rat de laboratoire enfermé dans des zones qui n’existent pas dans la réalité de la vie. Les zones, les frontières n’existent réellement que sur le papier. C’est très dangereux de vivre dans des cases et je n’ai pas envie de rester enfermé. Il faut faire des rappels et ne pas être dans le nombrilisme.

DWT : Donc plus de « 9.2.i » ?
Ali : J’ai 39 ans maintenant. Mais à un certain moment, oui… A un certain âge, tu veux représenter. Comme quand tu fais tes premières radios et que tu ne parles que de tes copains et tes amis. C’est dans la culture hip hop que de représenter mais à un moment, on a la chance de grandir, de voyager et de voir quelque chose de plus grand. Il faut élargir son champ de vision. C’est ce que les gens oublient à chaque fois. A différents âges, le cerveau n’est pas pareil. Heureusement, il évolue. Tu as périodes très sensorielles comme quand tu vas apprendre à marcher par exemple.

DWT : On sent que tu rêves d’unité. Vois-tu cela de manière anecdotique dans le hip hop et plus sérieusement dans l’Islam ?
Ali : Ça commence déjà par soi-même. L’union commence par la sincérité qu’on a envers ceux à qui on croit. Prends un parti politique, ils vont splitter rapidement, au bout d’un an ou après des élections par exemple, car la plupart fonctionnent par intérêt. La famille est très importante aussi mais même au sein de celle-ci il y a des cas de divorce, des mésententes entre frères et sœurs. On en revient à Abel et Caïn. Je veux être qui ? Ce n’est pas spécifique au hip hop ou à l’Islam. C’est spécifique à l’individu et son rapport à l’autre.

Je me souviens d’un frère de La Brigade qui s’appelle Davis. Il était venu me voir avec une douceur que je n’oublierai jamais. (…) Ca m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question.

DWT : Un ex-rappeur, Fabe, converti à l’Islam depuis, avait critiqué à une autre époque les paroles du groupe Lunatic auquel tu appartenais. Irais-tu dans son sens aujourd’hui ?
Ali : Je vais dans son sens avec la compréhension qu’un jeune reste un jeune. Quand je vois un adolescent avec quelque chose de négatif, avant d’être dur avec lui, je vais essayer de lui faire comprendre. Je me souviens d’un frère de La Brigade qui s’appelle Davis. Il était venu me voir avec une douceur que je n’oublierai jamais alors que le gars est un « placard ». Il m’avait dit : « Frère, ce n’est pas bon ». Quand tu es fort et que tu n’es pas dur, que tu as la possibilité de l’être mais que tu ne l’es pas, c’est ça la véritable force. La manière dont il m’a transmis quelque chose m’a tellement touché que ça fait partie des éléments déclencheurs qui m’ont permis de me remettre en question. C’est par des rencontres qu’il y a des cheminements. Ce ne sont pas des choses hasardeuses. C’est encore une fois un rapport de cœur. Il m’a parlé avec son cœur et ça a porté ses fruits avec le temps. Donc j’essaie d’avoir ce rapport là avec les plus jeunes en me disant « c’est des ados » il faut avoir une certaine manière de leur parler. Chez nous, on nous met dans des cases « délinquance » en oubliant qu’on parle d’adolescents. Quand tu as des adolescents de bonnes familles, venus de milieux sociaux très favorables et qu’ils font quelque chose de mauvais, tout de suite on va trouver un psychologue pour qu’il y ait un suivi et une compréhension. Mais nous, non. Les animaux restent des animaux. On va les civiliser donc il y a un rapport très hautin avec lequel il faut faire très attention. Il y a un rapport humain sur lequel il va falloir revenir et pouvoir se dire qu’un enfant reste un enfant et qu’un ado se cherche entre l’enfance et l’âge adulte. C’est pareil pour tout le monde. Donc oui, j’ai suivi cette direction mais de façon plus douce.

Je n’avais rien à prouver à qui que se soit. Je ne l’avais pas pris personnellement et ça ne m’avait pas touché. Par contre, les faux durs, c’était les bouffons qui à l’époque aimaient envenimer ce truc. C’est toujours ces lâches là qui attendent qu’il y ait une embrouille pour parler.

DWT : Tu trouves donc que Fabe avait été trop dur avec vous à l’époque ?
Ali : Avant de critiquer quelqu’un, il faut d’abord essayer de le connaître, de comprendre son cheminement et pourquoi il dit ça. Fabe est quelqu’un que j’aimais beaucoup, que j’appréciais artistiquement quand j’étais plus jeune et que j’apprécie aussi humainement. Dans mon cœur, j’étais dans mon monde. La preuve : quand on est touché, on répond. J’étais dans un tempérament où tu remets les choses à leur place, pas par interférences mais en relation direct. Quand ça arrivait, on rencontrait la personne et on en parlait. On s’est vu à la mosquée une fois, après qu’il ait quitté le rap. C’est mon frère, il n’y a aucun problème là dessus. Et même avant, c’était déjà mon frère. Le problème, c’est les gens qui mettent de l’huile sur le feu. C’est chaud pour celui qui va mal le prendre. Je n’avais rien à prouver à qui que se soit. Je ne l’avais pas pris personnellement et ça ne m’avait pas touché. Par contre, les faux durs, c’était les bouffons qui à l’époque aimaient envenimer ce truc. C’est toujours ces lâches là qui attendent qu’il y ait une embrouille pour parler.

DWT : Que penses-tu de la stratégie des clashs dans le rap ?
Ali : Je n’aime pas ça. On en revient encore à Abel et Caïn. Je n’en fais pas, ça ne m’intéresse pas. Je l’observe une fois de plus mais ce sont deux choses différentes de faire et d’observer. Le clash, c’est une culture comme avec Mohammed Ali avant de monter sur le ring. J’espère ne jamais devoir en faire. J’ai fais des cypher à New York mais ce n’était pas des battles. Juste pour montrer ton adresse et faire voir ce que tu sais faire.

Il va falloir des excuses de la part de ceux qui me mettent ça sur le dos. Pour moi, ça c’est insultant. C’est plus insultant que ce que vous venez de me demander concernant Fabe.

DWT : Ton avis sur l’idée qui circule que ton ancien groupe ait « lancé et validé le concept d’islamo-racaille »… ?
Ali (agacé) : Déjà, je n’ai rien lancé du tout. Donc il va falloir des excuses de la part de ceux qui me mettent ça sur le dos. Pour moi, ça c’est insultant. C’est plus insultant que ce que vous venez de me demander concernant Fabe. Je ne vais pas rentrer dans les polémiques en cherchant à évoquer d’où ça vient. Je suis en paix, l’embêtement ne vient qu’avec celui qui le cherche. Le terme « islamo-racaille »… A un moment, il faut laisser l’Islam tranquille. Le banditisme est clairement proscrit dans les pages donc venir mettre le terme racaille avec Islam, c’est insulter l’Islam. Ce n’est pas juste moi. Comme reprendre le terme « islamo-fascisme », c’est insultant. L’Islam est un, il n’y a pas un « Islam-bisounours » ou un « Islam-fasciste ». C’est un juste milieu, un rapport de paix. Des gens qui associent ces préfixes avec l’Islam insultent cette religion. A l’époque, quand nous sommes venus, c’est vrai que c’était dur, mais pas racailleux. J’avais même des propos contre la mentalité racaille.

La réalité des quartiers, c’est qu’il y a des gens qui prient et d’autres qui se droguent. On n’a fait que refléter une réalité à un moment.

DWT : …Mais tu cautionnais l’attitude de ton collègue de l’époque en étant dans le même groupe…
Ali : Je ne cautionnais rien du tout. La réalité des quartiers, c’est qu’il y a des gens qui prient et d’autres qui se droguent. On n’a fait que refléter une réalité à un moment. Ca ne veut pas dire que je vais cautionner l’autre réalité. Elle existe. Tu crois, tu ne crois pas, tu pries, tu ne pries pas, tu te drogues, tu ne te drogues pas. Ça été une rencontre de réalité de terrain. Ça ne veut pas dire qu’en faisant cet album, je cautionne tous les vendeurs de drogues, tous les cocaïnomanes, ce n’est pas du tout vrai. L’Islam est une religion qui m’a permis de m’améliorer humainement donc il était naturel que j’en parle. C’était à un âge de transition et de changement de conditions sociales. A un moment, on veut s’améliorer dans la vie et « s’en sortir ». Je suis quelqu’un qui à la base veut faire les choses biens. Je voulais faire un bac littéraire, on m’a dit clairement : « ce n’est pas fait pour toi ». C’était très raciste à l’époque. Donc à un moment, il y a une révolte qui se crée : « Ah bon, c’est comme ça ? Donc je vais faire les choses par moi même et je vais me battre pour moi ». Il y avait à l’époque une rage et une colère. Mais aller jusqu’à dire que j’ai ramené « le concept de l’islamo-racaille », c’est très insultant. Dans un de mes titres, « Réflexion », je parle exactement de ça en disant : « Méfie-toi, c’est toi qu’on voit quand tu médis, quand tu parles de quelqu’un sans le connaître ». Cela révèle qui tu es, profondément. Ce sont des gens qui ont parlé de moi sans me connaître. J’étais en train d’exprimer un état d’être. Le rap c’est un moyen d’expression. On vient interpeller mon âme, d’être à être. Ça fait un effet boule de neige comme quand on a inventé le terme « juifs-voleurs-d’argent ». C’est dangereux. Aujourd’hui, on trouve normal d’employer le terme « islamo-racaille ». Avant, on nous appelait les Mahométans, c’était l’orientalisme, rien de nouveau sous le soleil. C’était les barbares, les indiens coupeurs de têtes sans connaître la culture qu’il y a derrière. L’Islam est propre de toutes les accusations d’untel ou untel. Le terme « islamo-racaille », je n’y ai jamais contribué. Ca n’existe pas, c’est une fantaisie.

L’Islam est propre de toutes les accusations d’untel ou untel. Le terme « islamo-racaille », je n’y ai jamais contribué. Ca n’existe pas, c’est une fantaisie.

DWT : Que penses-tu des groupes comme X-Clan, Brand Nubian, Poor Righteous Teachers, Mos Def ?
Ali : Pour moi, les pionniers de cette mouvance culturelle et musicale sont les Last Poets et Ahmad Jamal. C’est quelque chose qui automatiquement m’a parlé. Je n’ai jamais été enfermé dans une case. C’est la musicalité qui m’interpellait. Je n’étais pas dans Brand Nubian contre Vanilla Ice, ça devient raciste. 3rd Bass, c’était excellent. Là, on est dans la culture, la sensibilité et le respect de l’artistique. Ça me parle. Toute cette époque là était joyeuse. Sérieuse tout en étant légère, c’est ce que j’ai aimé.

DWT : As-tu un album de rap préféré ou un titre culte ?
Ali : Culte non mais on va dire plutôt d’accompagnement de vie. J’étais dans un rapport d’émotion et de plaisir. L’album qui m’a plus marqué était celui de Smif-n-Wessun : « Dah Shinin ». Je l’avais écouté toute une année sans écouter autre chose. Cet album était magnifique, il m’a marqué avec les phases « I shine, you shine » (sur Wrekonize). Il y avait ce rapport à l’autre, cette chaleur avec ce rapport humain. On n’était pas dans de l’individualisme. Et aussi, ramener du raggamuffin comme KRS1 dans le rap, j’ai trouvé que c’était une très belle alchimie.

Le hip hop a été synthétisé et les disciplines ont été regroupées mais il est beaucoup plus grand que cela. Le hip hop fait partie des vrais mouvements culturels.

DWT : Es-tu sensible ou solidaire des opinions que développe Louis Farrakhan de la Nation Of Islam ?
Ali : C’est un grand leader politique. Spirituellement, ce n’est pas mon cheminement. Nous n’allons pas dans la même direction. Mais il faut comprendre le parcours de mes frères afro-américains. Il n’y avait personne pour eux avant Marcus Garvey, peut-être même avant. Alors à un moment, il a fallu se structurer. Il a fallu des organisations car une entraide était nécessaire. Ce n’était que de la récupération à l’extérieur. J’étais sensible à ses actions pour défendre les jeunes afro-américains qui se font descendre dans la rue. Il est le porte-parole de ces injustices. Il y a une chose qui va nous relier très fortement, c’est le slogan : « Pas de justice, pas de paix ». Comme je le dis dans l’album : « être pacifier ne m’a pas rendu passif ». Les injustices, il faut savoir les dénoncer. Et c’est ce qu’a fait d’un point de vue politique Louis Farrakhan. Il y a une réalité de terrain, une réalité des conditions sociales qui fait que des gens sont dans la pauvreté. A un moment, il faut une entraide sans attendre après l’autre. D’un point de vue spirituel, c’est autre chose. Il faut comprendre d’autres points de vue, comme la franc-maçonnerie, Father Divine, les raéliens, le New Age qui est le satanisme… Je ne suis pas là pour juger, ils font ce qu’ils veulent. Je ne rentre pas dans les courants. Bien sur, on a tous le souffle de Dieu en nous. Mais on a eu un prophète avec un message clair. L’Islam est une religion. Je ne vais pas faire de la politique spirituelle pour arranger les gens. Le Coran, je ne vais pas commencer à le remettre en question. Les commandements sont : « il n’y a de Dieu que Dieu, rien ne peut lui être comparable ». Je m’accroche à ça. Dieu est bon. Un des attributs de Dieu est « Salam » : la paix. Si tu la ressens, ton cœur le perçoit. Le souffle de vie que Dieu nous a donné, on doit l’entretenir. La Zulu Nation, par exemple, c’est une autre école, avec le relais social des Black Spades. L’important, c’est la contribution qu’ils ont pu amener dans le développement individuel : est-ce que tu as permis à des gens de s’épanouir et de devenir meilleur dans la vie ? Le hip hop a été synthétisé et les disciplines ont été regroupées mais il est beaucoup plus grand que cela. Le hip hop fait partie des vrais mouvements culturels.

DWT : Ton album sort chez 45 Scientific. Pourquoi ce choix ?
Ali : Avec Geraldo, au niveau de la musicalité et de l’entente, on a eu un long parcours. Et le fait d’aimer réellement la culture nous a réuni. On s’est rencontré bien avant 45, bien avant Time Bomb donc c’est quelqu’un que je connais depuis suffisamment longtemps pour me dire que c’est un ami de longue date. Cela se fait naturellement.

DWT : Quelle est ton implication aujourd’hui au sein du label ?
Ali : Je suis producteur depuis le début chez 45. C’est de l’autoproduction avec une distribution par Musicast. Il n’y a pas d’artistes en signature pour le moment. On verra… Je ne me pose pas cette question. J’avance par expérience et aventure humaine. Si je dois le faire, je le ferai. Ce n’est pas nécessité ou par pression. Un label, c’est sortir des disques mais c’est aussi être une structure de qualité. En indépendant, on peut quand même être content de ce qu’on a fait. On est plus sur la défense d’un état d’esprit.

DWT : Tu as toujours dégagé une certaine aura, une prestance, un certain charisme bien différent des autres rappeurs français en es-tu conscient ? En joues-tu auprès de tes auditeurs ?
Ali : Ça serait grave parce que cela s’appellerait « être un gourou » et que Dieu me préserve de ça. J’essaie de suivre l’exemple de mon prophète en ne parlant que quand c’est nécessaire. Je n’ai pas souvenir qu’on m’ait parlé d’aura ou de choses comme ça. Je ne préfère donc pas en parler.

DWT : Tu as des enfants, les laisseras-tu écouter du rap ?
Ali : Oui, si c’est du bon rap.

DWT : Tu le définis comment ?
Ali : Quand il n’y a pas d’insultes.

DWT : Donc pas la tendance actuelle de la trap ?
Ali : Pas de case. Si ça se trouve, il y a de la trap sans insultes mais il faut chercher (rires). J’en suis sur et certain : il faut creuser, se renseigner. Un message important aux lecteurs : ne rentrez pas dans des cases !

LandersSarrazin

Salut à tous les fans de hip-hop ! Je suis Landers Sarazzin, votre référence pour tout ce qui concerne le hip-hop. En tant qu'auteur et passionné fervent de ce genre électrisant, j'ai consacré ma vie à démêler les complexités, explorer les profondeurs et vibrer au rythme des beats qui définissent la culture hip-hop. J'ai découvert que ma véritable passion ne réside pas dans le fait de rapper mais d'écrire sur la musique qui nous émeut. E-mail / Instagram
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