On mettait du temps à inventer des figures, on s’enfermait dans une salle pendant des heures pour créer les nouveaux pas. Ce réseau du web permet d’apprendre sans chercher ni à comprendre. Il y a une vision de la danse qui commence à évoluer mais il faut qu’elle reste une surprise…
Nous n’avions délibérément pas fait de « chapeau » pour la première partie de l’interview de Gabin Nuissier, ni pour celle de Solo. Le hip hop et eux ne faisant qu’un, il a nous semblé décalé de les présenter. Pour la deuxième partie de l’interview qui suit, nous ajouterons simplement que si vous voulez poursuivre dans les meilleures conditions, mettez la main sur le morceau « SOS, i’m in love» de Mr Morse and his new alphaband et jouez-le en boucle le temps de ces quelques réponses…
Down With This : La danse hip hop est-elle libre dans ses codes et sa lecture pour rentrer dans les théâtres ou doit-elle se plier aux codes des danses reconnus par les institutions, comme le contemporain par exemple ?
Gabin Nuissier : De la vision artistique de mon cheminement que j’ai au début, nous étions une somme d’individualité. Le film « Beat Street » nous a transformé et nous sommes devenus des groupes. Nous nous sommes entrainés pour travailler des combinaisons chorégraphiques, des spectacles de rue et autres pour essayer de ne vivre que de ça. Il y a eu un moment où l’on fut rejeté et un autre moment, dans l’obligation d’être accepté. Ceci a du sens. Alors quand nous avons occupé le théâtre, nous étions face à un autre défi : celui de réaliser des chorégraphies beaucoup plus longues que les dix minutes que nous faisions auparavant. Le théâtre est un lieu qui dépasse le simple fait de la démonstration. Tu apprends à connaître d’autres facettes du métier que tu ne pouvais supposer : gestion de la technique, de la lumière, du son, de l’espace, etc… Ce que j’ai appris, c’est que nous pouvions garder l’énergie, la virtuosité, la démonstration et arriver à faire voyager des spectateurs en fonction d’une écriture chorégraphique : une reconnaissance pour un travail d’auteur ! En 1996, après la tournée « Sobédo », nous avons obtenu le prix du Jeune Talent de la Chorégraphie par la SACD avec la génération Aktuel Force des années 1990 pour notre spectacle « Evolution », sans être sous la tutelle d’un chorégraphe contemporain. Quand on exprime ou imagine un spectacle quelconque, on ne se plie pas à un code, mais à l’écoute d’une musique en fonction d’un thème, d’une énergie et d’une technique dansée et maitrisée ! Cette culture hip hop, nous a appris à aller de l’avant. Nous devrions travailler notre propre conviction artistique sans devoir attendre une quelconque subvention. Car le plus grand danger, c’est l’habitude d’en avoir et de succomber si un jour on en a moins ! Cette danse hip hop est la plus contemporaine qui soit et représente la force unifié de la multi-culturalité des énergies et des styles dansés dans le monde. Elle est aussi une danse de rebond, entre ciel et terre, une rencontre entre énergie Africaine et énergie Asiatique : impact et légèreté. Elle a pour tempérament de maîtriser tous les aspects de l’espace, de ses forces, dans un souci de dépassement de soi. Elle se suffit à elle-même à condition qu’elle ne reste jamais figée et qu’elle mette l’accent sur l’imagination. Cette danse a également une autre facette, celle d’être démonstrative et compétitive au travers les battles mais aussi les chorégraphies, etc… Elle touche et rassemble toutes les couches sociales de notre société et lui ressemble. Si elle veut survivre, elle a pour mission d’être autonome en se mettant en réseau notamment.Quand nous avons occupé le théâtre, nous étions face à un autre défi : celui de réaliser des chorégraphies beaucoup plus longues que les dix minutes que nous faisions auparavant. Le théâtre est un lieu qui dépasse le simple fait de la démonstration.
DWT : Pourquoi les compagnies de danse hip hop comme Aktuel Force se tournent obligatoirement vers les théâtres ou les institutions pour pouvoir produire leurs spectacles alors que vous auriez pu vous tourner vers vos amis comme Joey Starr ou Kool Shen qui produisaient des rappeurs ?
Gabin Nuissier : Quand tu ouvres les portes du théâtre, tu constates qu’il y a tout un processus et tout un système mis en place pour aider les compagnies de danse dans leur développement. Pour anecdote, pour notre première création, « Sobédo », l’employeur n’était autre que le Théâtre Contemporain de la Danse. Ce théâtre nous payait en cachet, ce qui n’est pas dans ses habitudes car il a pour but d’acheter et payer un produit directement à une compagnie. A condition que celle-ci soit structuré et capable de payer ses charges… Cette structuration est nécessaire pour aller plus haut. Demander une coproduction ou partager un projet avec nos amis de NTM à l’époque n’était pas une idée qui nous traversait l’esprit parce que nous étions en plein mouvement. Eux étaient dans leurs tournées pour le rap et nous dans les théâtres pour la danse. Mais si NTM nous aurait proposé ce projet, nous l’aurions fait sans hésiter !DWT : Comment se fait-il que beaucoup de danseurs des débuts se soient tournés vers le rap et ont abandonné la danse d’après toi ?
Gabin Nuissier : Tout simplement par la médiatisation. Après le graff et la danse, c’était au tour du rap. A cette époque, vers 1987-1989, c’était le creux de la vague et la plupart des danseurs ont commencé à s’arrêter. Tandis que certains arrêtaient vraiment tout ce qui touche au hip hop, d’autres ont pris la direction du rap. Cette période fut le commencement de l’âge d’or du rap. Je pense que les rappeurs américains ont beaucoup contribué à cela du fait des clips qu’on pouvait voir à la télé, ainsi que grâce à quelques concerts sur Paris comme à la Mutualité ou à l’Elysée Montmartre.DWT : Qu’avez-vous voulu exprimer en participant au clip du morceau «Tout n’est pas si facile» de NTM ?
Gabin Nuissier : A cette époque, j’étais en tournée pour « Sobédo » avec la nouvelle génération d’Aktuel Force et c’était pour moi un grand plaisir de revoir tous mes complices : Xavier, Blaise, Bruno, Didier pour ce clip. Je l’aurai même fait gratuitement car c’était un plaisir que la première génération d’Aktuel Force soit rassemblé à cette occasion. Le texte et la musique nous parlait. On était rentré dans un tunnel du métro pour le réaliser. En 1996, danser dans ce clip, c’était quelque chose de magique parce qu’avant tout, NTM représente plus qu’un groupe, ce sont des amis !DWT : …ce morceau n’est pas anodin dans la carrière de NTM. Vous êtes-vous senti impliqué par le texte de cette chanson ?
Gabin Nuissier : Oui car cette chanson met en avant les valeurs de l’effort, de la mémoire mais aussi toute sa fragilité. C’est un texte que plusieurs générations ont chanté. On pourrait dire que c’est une chanson qui nous ressemble. Cette période marque aussi l’effervescence de la danse hip hop sur les scènes nationales. L’effet de ce clip a donné un coup de fouet au hip hop en général et a permis à NTM, d’avoir une dimension de danseurs et de rappeurs au sein de toute la France ! Je pense que l’occasion n’a pas manqué de faire un rapprochement entre NTM et Aktuel Force et vice versa !Le danger propre d’une culture est sa vision économique : l’argent devenant organisateur, sans réelle clairvoyance sur les aspects de cet art.
DWT : Est-ce que tu retrouves encore cet esprit d’unité de nos jours dans le hip hop où tu considères que chaque discipline excelle indépendamment de l’autre dans son coin ?
Gabin Nuissier : Je ne pourrai pas te répondre par la négative car cette culture est toujours en mouvement. Je dirai que tout se perd, pour mieux se retrouver. Le danger propre d’une culture est sa vision économique : l’argent devenant organisateur, sans réelle clairvoyance sur les aspects de cet art. On était très proches dans nos débuts, nous étions adolescents et le simple fait de se rencontrer nous rendait heureux. C’est maintenant difficile de mêler unité, forme de vie et argent. J’ai dépassé le cap de m’inquiéter que la culture puisse se déformer car elle nous a appris toujours à rebondir. Il faut surtout apprendre à être autonome. Il y a des choses qui nous appartiennent et c’est à nous de mettre en place les réseaux. L’unité devient palpable de cette manière…DWT : Comment perçois-tu l’énorme effet du net sur notre culture ?
Gabin Nuissier : Je trouvais que c’était un mauvais outil au début. J’y voyais tellement de matière et de vidéo sur la danse… Cela me semblait être outrageant pour ceux qui créatifs et beaucoup de travail trop facilement dévoilé. Je me disais que les gens n’auraient plus envie de rechercher les mouvements. Je n’avais jamais mis nos vidéos. D’autres anciens le faisaient mais pour notre part, nous avons toujours pensé que cela nuirait à la créativité. On y voyait aussi une forme d’égo trip. Et puis surtout, nous ne voulions pas donner la possibilité aux gens de nous copier car nous n’aimons pas ça. On mettait du temps à inventer des figures, on s’enfermait dans une salle pendant des heures pour créer les nouveaux pas. Ce réseau du web permet d’apprendre sans chercher ni à comprendre. Il y a une vision de la danse qui commence à évoluer et un problème deviendrait gênant dans les battles : que les danseurs en arrivent à faire des confrontations avec le mouvement des autres. Maintenant avec la vidéo et le web, tout le monde peut voir comment les autres dansent mais il faut que la danse reste une surprise, une découverte, qu’elle continue d’être surprenante quand un groupe entre en scène. C’est devenu tellement médiatisé, qu’on se retrouve parfois avec des équipes qui ont les mêmes combinaisons. Cela ne favorise pas ce que l’on a toujours défendu : l’originalité. On perd le fait de travailler ses mouvement, de mettre sa personnalité dans le geste. C’est dommage car cela permet d’avoir un certain caractère. Le Battle permet également d’arriver à l’extase du dépassement de soi. Si tu n’as pas prouvé ce que tu vaux de manière individuelle, tu n’as pas franchi les étapes correctement. D’ailleurs, Il me semble important de passer au théâtre ou sur des scènes nationales uniquement après être passé par les Battle. C’est obligatoire.Les animateurs de battle ont également un rôle qui nécessite une connaissance de l’histoire pour ne pas raconter de conneries. Ceux qui ont des lacunes devraient se renseigner ou mener un travail d’investigation pour être en phase. Ils devraient promulguer la véracité d’une culture.
DWT : Il y a également une forme d’escalade un peu trash et de surenchère…
Gabin Nuissier : Il y a des choses que l’on devrait bannir totalement de cette culture, car elle touche maintenant tous les niveaux sociaux et familiales : les gestes obscènes, la vulgarité, le mauvais état d’esprit, etc… Les animateurs de battle ont également un rôle qui nécessite une connaissance de l’histoire pour ne pas raconter de conneries. Ceux qui ont des lacunes devraient se renseigner ou mener un travail d’investigation pour être en phase. Ils devraient promulguer la véracité d’une culture. C’est un peu tout cela qui dévalorise notre culture car la parole et les gestes sont écouté et entendu par un très grand nombre. Je rajouterai qu’il faut faire attention aux battles avec les enfants car on doit surtout leur apprendre à se respecter et à s’aimer.