Un jeune tente dans la confusion de prendre le micro. Les organisateurs l’en empêchent. Le ton monte. Les jeunes s’excitent…
Les mecs, ils sont cools. Demain on arrive tôt… C’est la première remarque que l’on s’est faite au réveil le lendemain matin. La journée fut courte, intense mais agréable comme d’habitude à New York. Nous étions pressés d’assister à la soirée phare de l’édition 2010. Le parcours fut moins long cette fois pour nous y rendre car la 125ème rue à Harlem est bien desservie par les « express trains » de la ligne A ou C direction Inwood. A peine sortis du métro, nous sommes attirés comme des mouches par les néons rouges du « Magic Theatres ».
Devant les portes vitrées, la queue est bien plus conséquente que la veille. Les dégaines « street wear » associées à des Teddy couverts d’écussons représentants la provenance de leurs sections Zulu s’agglutine devant la porte. Il faut très vite rentrer dans le rang pour pouvoir pénétrer dans l’honorable « mausolée ». L’attente n’est pas longue. Ce premier sas de rétention passé, direction le deuxième étage. Nous montons une série d’escalators, notre équipe initiale de quatre est au complet, on peut enfin se retrouver devant le Saint Graal : l’entrée du hip hop Center. C’est écrit en gros à gauche. Impossible de se tromper. Inimaginable de voir un tel niveau de reconnaissance en France. Les pionniers de la culture ont envahi un lieu et le gèrent. Devant nous, Jorge Popmaster Fabel Pabon, la légende du spanish Harlem : s’il y a bien une personne qui sait ce que veut dire le terme B-Boy sur cette planète, c’est bien lui ! Vice président des Rock Steady Crew, danseur, chorégraphe, DJ, producteur, peintre, historien de la culture Hip-Hop, bref un activiste de tous les instants. Il pose devant des photographes. À ses cotés le crew du Bronx, les Cold Crush Brothers. Un groupe mythique de la fin des années 70. Précurseur du « game » : leur premier label fut le premier label indépendant en deal avec une major. Leur rivalité avec leurs ennemis jurées les Fantastics Five et leurs apparitions dans Wild Style gravera à jamais leurs noms dans le Hall of Fame du Hip-Hop. Des vieux de la vieille en quelque sorte.
Après avoir passé la porte et une fouille sans excès de zèle, on arrive rapidement devant les tables qui constituent le check point Charly de l’événement, la caisse. C’est Afrika Islam qui est aux commandes avec deux acolytes. Le fils spirituel de Bambaataa, comme on l’appelle, gère les affaires, normal pour l’ancien manager et producteur d’Ice T. On sort nos flyers 20$ pour ne pas en payer 30… Je demande un coup de tampon sur mon Fly pour authentifier la transaction et surtout pour en faire un collector à garder dans mon musée personnel. On rentre enfin. Il y a déjà du son dans la salle et plus de stands qu’hier, des tee-shirts à la gloire de la cause noire nord américaine, de la Zulu Nation of course mais aussi des livres, des colliers, de la nourriture et des boissons, sont en vente. Derrière l’aluminium, la cuisine afro caribéenne préparée par les « big mamas » du quartier semble terrible. Un peu plus tard, nous nous accorderons une pose bien méritée. Des petits groupes discutent de part et d’autre de la salle. Nous sommes deux cent environ. Tout d’un coup, on croise Kool Herc, le père fondateur. Il est seul. Je le sais par très loquace mais il a l’air plus disponible aujourd’hui. Il semble, ou fait mine, de se rappeler de notre rencontre au Globo, il y a quelques années et de notre discussion sur la couverture légendaire du The Source numéro 50 avec lui, Bambaataa et Grand Master Flash. True School. Il me l’avait même signé. En fin de discussion, il me place un :
« Je vends des mixtapes, t’en veux ? » Un peu à court de liquidités sur l’instant, je réponds « peut être. Je vais voir ce soir comment ça se passe ici, merci Herc« . Il a l’air blasé.Au milieu de l’espace un fond d’écran a été monté pour réaliser des interviews. Un homme s’affaire à la technique. Il règle la caméra et le micro. Des vitrines d’exposition longent les bords de la salle. À l’intérieur, sont exposées des reliques de la grande époque avec des names plate mais ce sont surtout des casquettes et des sneakers collector customisés qui ont la part belle. Les affiches de Jams d’anthologies sont suspendues aux murs. Les noms prestigieux s’y succèdent : DJ Hollywood, DJ Break Out, Grand Wizzard Theodore… Impressionnant ! Le son provenant de la scène attire subitement notre attention, c’est du rock ! Nous n’y sommes pas habitués. Difficile pour nos oreilles ! Intrigués nous fendons la petite assemblée et parvenons devant « la scène ». Un groupe inconnu avec des dégaines inqualifiables s’excite sur de pauvres guitares qui n’ont rien demandées à personne, si ce n’est de l’amour, du swing et du funk. C’est une certaine énergie, question de culture.
« C’est ça le Hip-Hop ! Alors avant de mal regarder quelqu’un dans la rue ou de vous dire putain mat les baskets de cet enfoiré ! Souvenez-vous de ça ! Peace, Unity, Love and Havin’ Fun. Répétez tous avec moi !« . Le présentateur donne le ton. Il n’y a pas de plateau. La technique et les loges sont remisées dans le fond de la salle. Les artistes qui se succèdent jouent au même niveau que nous. La proximité y est donc assurée. On ne va pas s’en plaindre. Il y a un petit mais dissuasif service d’ordre assuré par quatre golgothes dotés d’une morphologie encore rare en France. Peut-être est-ce dû aux hormones dans la viande U.S chez White Castle ou du double Whopper with cheese ? Allez savoir. Nous comprenons tout de suite l’esprit. C’est celui du respect et de l’ouverture auquel nous sommes très peu habitués à Paris. Grand Master Caz himself fait son taf au micro, celui d’un véritable maître de cérémonie qu’il est depuis toujours : « Ici on joue du rock, c’est ça le hip hop, retour aux sources, back in a days. Nous respectons toutes les musiques ». Le ton de la soirée est donné… mais issus d’une jeunesse qui a beaucoup souffert du rock-variét, nous sommes un peu égarés. Ce n’est pas grave, on en profite pour finir notre tour du propriétaire. Nous retournons vers l’entrée car du monde s’agite : le messie intergalactique Afrika Bambaataa arrive. Il est bien entouré ! Il semble un peu fatigué comme nous l’avait dit la veille Campy des Black Spades : « Bam n’est pas là. Il ne peut pas faire toutes les soirées, c’est trop fatigant pour lui« . Beaucoup de participants attendent sa venue, mais il n’est pas seul. Il y a Docteur Shaka Zulu, le porte parole de la Zulu Nation et aussi la montagne Big Jeff : organisateur légendaire de tous ces événements. Les membres du gang viennent à leur rencontre. L’échange est complice, chaleureux et fraternel. Tous les codes de salut et marques de respect sont appliqués à la lettre. C’est un moment fort car c’est l’union entre le gang historique des Black Spades, de la Zulu Nation et des valeurs du hip hop originel. Derrière eux, une bâche en sérigraphie aux couleurs des anniversaires sert de fond pour la photo call. Tout le monde va taper la pose pour immortaliser l’événement. La Zulu Nation au travers Afrika Islam, Afrika Bambaataa et les représentants des Black Spades. Les flashes crépitent. La fondation ! s’exclame le groupe.
Un des membres du gang avait tenté de faire porter une veste à l’effigie du gang à Bambaataa. Il refusa poliment et préfèra la brandir devant lui. Parfait. Cette marque de respect à son gang d’origine remplit de joie ses invités. Nous leur succédons très vite pour une photo qui immortalisera l’unique présence française à cette fête d’anthologie. Il y a bien des membres de la section Zulu Nation Australienne mais rien d’autre. Chauffé à blanc par l’ambiance nous nous retournons sur les stands de tee-shirts. Le premier est tenu par une sœur musulmane, Christie Z Pabon. Elle discute avec deux nanas au look austère. Le décalage est total. Elle nous mêle à la discussion :
– Bonsoir. Vous venez d’où ?
– Paris, France.
– Amazing ! Formidable ! Nous sommes de la Zulu Nation de Seattle. Je fais partie de l’organisation du festival hip hop de la ville. Je vous donne mon contact. C’est bien de rencontrer des gens du monde entier.
Elle a l’air aussi d’en profiter pour sortir sa copine qui est le sosie craché mais en plus moche de Ugly Betty. Elle nous fixe bizarrement avec ses lunettes double foyers. Nous prenons un t-shirt sur ce stand. Dans celui d’en face, ce sont les grands classiques estampillé UZN. Nous cherchons un bon moment les modèles en Large au milieu des XXL, triple XL et jusqu’à quintuple XL. Nous en achetons 5, avec une petite réduction à la clé. Nous nous extirpons de se piège pour notre cash, nous tombons nez à nez avec Campy. Il est bien là, un peu surpris de nous revoir.
– Campy !
– Hey mes amis !
– Il passe par nous quatre pour nous saluer.
– C’est bien d’être la ! Alors ça vous plaît ?
– Oui terrible Campy ! On t’avait dit qu’on allait passer.
– Ici, c’est pour les vrais.
– C’est clair. Tiens, on a un tee-shirt pour toi. C’est notre label en France.
Je lui sors un modèle La Contrebande noir avec une sérigraphie rouge du logo. A l’instant où je le place devant lui, je m’aperçois que du Large ne suffira pas visiblement…
– Oh merci, t’inquiète pas, donne le moi pour mon fils, il va aimer ça, merci. Hey les mecs vous buvez quoi ?
– Rien pour l’instant.
– Mais si tenez ça !
Il nous sort de son teddy deux petites bouteilles qui ressemblent à de l’orange version Sunny Delight.
– Prenez pour vous les gars ! Bon on se croise tout à l’heure.Des la première gorgée nous nous apercevons de la teneur en alcool du breuvage fait maison. La vente d’alcool est interdite dans le centre mais il y a toujours une solution…
Nous continuons notre tour en direction de la scène. Il y a du mouvement, normal, un des supports historiques de la Zulu Nation vient d’arriver : j’ai nommé Ice Motherfucking T, accompagné de sa femme, la sulfureuse Coco. Fini Darlène qui immortalisa la cover du classique Power de notre dealer proxénète rappeur préfèré. Coco est encore plus spectaculaire ! Tous les attributs d’une femme sont poussés à leur paroxysme. Des courbes hors normes qui attirent l’œil de chacun sans pour autant générer des remarques désobligeantes ou mal placées parmi tous les mecs de l’assemblée. Tout le monde ici respecte Ice T, sa carrière, sa réussite et encore plus le fait qu’il n’a jamais oublié les siens. Avant de se placer en bord de scène pour assister au show. Ice T lance le premier groupe sérieux de la soirée : Son Of Bazerk avec une anecdote qui s’est passé à Saint-Louis : une grosse baston et une descente de flics en prime. On donne une chaise pour Coco. Ice monte sur une table pour surplomber la salle. Trois titres plus tard, c’est déjà au tour de Crash Crew d’être in full effect. DJ Lord Yoda X est aux platines. Le groupe signé par Sugar Hill Record, le label pionnier du hip hop ouvert entre 1979 et 1986, remet le couvert en enchaînant leurs hits «High Power Rap», «We Want To Rock», «Breaking Bells», «On the Radio» et pour finir «We Are Known As Emcees». Le son est bon. On reconnait les titres. Quel kiff d’écouter des pièces comme celles-ci en live ! À côté de nous, Ice T s’éclate lui aussi. Il rappe leurs textes en même temps qu’eux qu’il semble connaître par cœur. Grand Master Caz reprend le mic, big up le crew et lance le prochain plateau dans un :
« Et voici T Ski Valley ! Si vous ne connaissez pas T Ski Valley, vous ne connaissez pas le hip hop ! C’est à toi !« . Le flow qui suit nous replonge début des années 80 dans un phrasé typique de cette période. Il a une voix chaude de crooner. Il épelle les lettres de son pseudonyme de manière saccadé. Il joue simplement avec les mots dans un rythme basic mais rudement efficace. Il interpelle le public en insérant des détails dans son texte. Certains trouveront ça démodé aujourd’hui. Nous ont aime, obligé de sourire. « Everybody say Yeah ! » Il ne fera qu’un titre mais pendant un quart d’heure…C’est au tour des légendaires Cold Crush Brother de passer. Le groupe du King DJ Tony Tone qui mixait déjà lors du premier anniversaire de la Zulu Nation va tous nous les faire : «Week-end», «Punk Rock Rap», leur hit «Fresh», «Wild», «Fly & Bold» et pour finir «Feel the Horns/We Can Do This» mais aussi «The Bronx». Faute de temps sûrement les titres s’enchaînent mais ne sont pas joués en entier. Une mauvaise habitude devenue fréquente chez les rappeurs. Est ce la faute des artistes ? Est-ce la faute des promoteurs ? Vrai concert ou show case déguisé ? Difficile de le savoir. En l’espèce, il s’agit davantage de faire plaisir à tout le monde en même temps. C’est chose faite. Des lors, tout va très vite. S’avancent alors sur scène les Soulsonics Force de Pow Wow. Ils ont ouvert la voix de l’électro funk avec DJ Jazzy Jay aux manettes. Pow Wow, Mr. Biggs, The G.L.O.B.E sont dedans ce soir. Vingt minutes de leur tracks les plus connus : «Planet Rock», «Looking for the Perfect Beat» et «Renegades of Funk» sont mixés les uns aux autres. De la bombe mais nous lâchons un peu sur la fin pour refaire un tour dans la salle. Un cercle de danseurs s’est formé. Un enfant, de dix ans à peine, enchaîne des phases. A coté sur le petit plateau TV les interviews des personnalités présentes vont bon train dorénavant. Nous croisons Straigthman Lava Mercado le célèbre graffeur membre des Black Spades. La faim nous saisie. Direction le stand de bouffe. Au menu, rien d’étonnant, poulet braisé et riz servi dans des barquettes. Pas chère et délicieux surtout quand on est affamé, on en prend quatre. On se sent en famille. Nous assistons à l’une des scènes les plus inattendues à laquelle j’ai pu assister dans le hip hop. Bambaataa, surement fatigué, s’assoit à côté devant une grande table où sont dressés trois grands gâteaux d’anniversaire. Ils sont décorés et marqués aux couleurs de la Zulu Nation. Un pour célébrer le mois de novembre le traditionnel History Month, un pour le 36ème anniversaire du hip hop et un pour le 37ème de la Zulu Nation. Une femme à ses côtés coupe des parts. Bam fait tourner les assiettes. « Allez prenez ! Servez-vous !«
Un peu gênés, nous nous exécutons. Nous partageons donc des gâteaux, très bons d’ailleurs, avec l’ensemble des pionniers du hip hop et les membres du gang. Surréaliste ! Qui l’eut cru ? Pas nous en tout les cas ; surtout pas dans les années 80, dans notre ghetto français que constitue la Seine Saint-Denis. Voilà un dessert dont nous nous souviendrons ! Au loin, la foule acclame les nouveaux venus sur scène, c’est Smoothe Da Hustler Trigger Da Gambler qui vient d’arriver. Nous nous mêlons à l’auditoire. Avec eux on rentre dans les années du « golden age » du hip hop, les années 90. Le point culminant de leur passage fut la reprise en cœur par le public des deux bombes de l’album de 1996 «Broken Language» et «Hustlin’». Un rap bien crasseux, bien ghetto qui rend dingue la foule et Ice T. Il est intenable et risque de casser la table sur laquelle il était monté. Il rappe les textes en simultané et s’agite dans tous les sens, à tel point que les deux rappeurs l’invitent à partager la scène sur leur final. « Nous avons Ice T avec nous ce soir. Yo Ice vient montrer ce que tu sais faire».
Tracy Lauren Marrow ne se fait pas prier trop longtemps pour les rejoindre. Il prend le mic et de sa voix inimitable place un rap tonitruant. En un instant Ice T reprend sa place de boss sur scène. Il remplit l’espace et met d’accord tout le monde par l’impact des ses mots qui font mouches à tout les coups. Son flow est tranchant. Le maître donne une leçon à l’expérience. Il est très affûté ; quel talent ! Il s’arrête en riant. Tout le monde l’applaudit. Il dédicace Afrika Islam et la Zulu Nation qui l’a toujours soutenu puis remonte sur son perchoir. Il est déjà tard. Il est minuit et demi. Tout un groupe de jeunes des quartiers viennent de rentrer dans la salle. Ils ont une vingtaine d’année. L’urgence de ce qu’ils vivent se lit déjà sur leurs visages. Ils sont dans le dur. Campy en salue quelques uns. D’autres anciens les observent du coin de l’œil. C’est l’heure de conclure, Big Daddy Kane se fait attendre mais : «Ultramagnetics MC’s is in the building !» comme le scande Grand Master Caz.
Le crew du Bronx fait une entrée fracassante. Kool Keith est déchaîné. Il distribue avec Ced Gee, des magazines pornographique spécial big boots aux spectateurs. Il m’en donne un. Coco s’éclate sur sa chaise. TR Love arbore le fameux trois quart en daim noir et blanc avec marqué dans le dos Ultra Magnetics comme sur la pochette de «Critical Beatdown». Les : MC’s Ultra fusent de la scène ! Une prestation remuante très attendue qui ne décevra personne. Les esprits sont échauffés. Un jeune tente dans la confusion de prendre le micro. Les organisateurs l’en empêchent. Le ton monte. Les jeunes s’excitent. Caz au micro demande le retour au calme en lançant des peaces ou des respects. Une grosse engueulade éclate entre les anciens qui sont choqués par l’attitude des jeunes. Nous sommes à côté de Ice T et de Coco qui s’est levée inquiète. Maintenant, c’est le bordel. On ne comprend plus rien. Qui est avec qui ? Ice T scrute la salle de gauche à droite, fixe Coco dans un regard noir et lui lance un ordre : « Move ! Go go go ! ». On n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, Ice T ordonne de se casser sur le champ, on capte aussi la température et il nous faut pas plus de deux secondes pour comprendre qu’on doit lui emboîter le pas avec deux, trois autres. Nous échangeons quelques banalités avec lui en bas de l’immeuble et prenons quelques photos ensemble. Ice T et Coco grimpent en voiture et s’enfuient sur le boulevard. Nous continuons notre discussion avec le mec du Rhyme $yndicate qui nous donne ses coordonnées pour qu’on lui envoit des photos. Pas de taxi, il est 1 heure et quart du mat. 45 minutes de métro après arrêt Essex/Delancey. Pèlerinage accompli. Des images, des sons, des souvenirs plein la tête mais surtout définitivement DOWN WITH THIS ! Flo.